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M. Renan, l'Allemagne et l'athéisme au XIXe siècle

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DEUXIÈME PARTIE.

CHAPITRE V.
L’ALLEMAGNE ET LE CHRISTIANISME.

Omnia in ipso constant.

(Saint Paul.)

Ici l’horizon s’agrandit devant moi ; je vais adresser la parole à une grande nation que j’aime. Depuis que je vis, depuis que je pense, elle a occupé ma pensée et ma vie. J’ai regardé vers elle depuis que mes yeux sont ouverts ; son nom a toujours remué en moi quelque chose d’intime et de mystérieux. J’aime sa grandeur sereine et sa sévérité. Pleine de ruines et de souvenirs, simple et solennelle, la terre d’Allemagne ressemble aux pensées et aux œuvres que pourraient produire ses enfants. A la lecture des pages que je vais discuter et combattre, je me suis senti arrêté quelquefois, arrêté par les battements de mon cœur, et les larmes me venaient aux yeux quand je me demandais ce qu’auraient fait dans l’intérieur de l’Église les hommes qui ont tenté de si grandes choses, mais qui n’ont pu les réaliser parce qu’ils étaient en dehors d’elle. Dieu sait avec quel immense désir je me transportais à l’heure solennelle où ces égarés rentreraient dans l’assemblée une et universelle vers laquelle ils aspirent sans s’en apercevoir. Cette préoccupation me remplissait l’âme, et je contemplais intérieurement l’idéal de l’Allemagne chrétienne. Chère et illustre sœur, ma parole ira-t-elle jusqu’à vous ? L’Orient, berceau du monde, fut le théâtre de la première scission, de la première catastrophe. Large, méditative et profonde ainsi que lui, vous êtes dans l’Europe comme un autre Orient. C’est vous aussi qui avez fait le grand malheur, le péché originel de la société moderne, le protestantisme. Vous avez ouvert la source de l’erreur ; vous avez été le théâtre de la révolte ; vous serez, si vous voulez, celui de la réconciliation. Par vous la science et la vie, l’idée et la foi vont, si vous le permettez, s’unir dans une harmonie qui s’augmentera des discordances passées. Je vous adjure de m’entendre.

Rendre justice à ceux qu’on va combattre, respecter en eux tout ce qui est respectable, telle est, dit-on quelquefois, la meilleure tactique, le mode de discussion le plus habile, et cela est vrai ; mais, ainsi entendue, la justice ne serait qu’une finesse, un calcul. Elle est trop au-dessus de ces considérations pour se plier à elles. Il faut rendre justice, parce que la justice est un droit et un devoir. Il y a dans l’équité une force que chacun sent, une force salutaire et conciliatrice. Celui qui se prive volontairement de cette sainte puissance, ne manque pas seulement d’habileté, il manque de grandeur et d’élévation.

Si, ayant aspiré à de grandes vérités, l’Allemagne s’est radicalement trompée dans l’application qu’elle en a faite, il est digne d’elle de le savoir, de le comprendre et de le reconnaître.

Je vais exposer sommairement la pensée d’Hégel et l’opposer au christianisme. Le christianisme s’affirmera lui-même en s’énonçant ; Hégel se réfutera, se niera lui-même en s’exprimant, et peut-être ses disciples comprendront-ils la parole que je leur adresse : cette vérité une, immense, synthétique, que leur maître a cherchée sans la trouver, parce qu’il la cherchait hors du Verbe fait chair, le christianisme l’offre au genre humain.

Quelle est la pensée d’Hégel ? A-t-il dit, comme quelques Français le croient : Le oui et le non sont précisément la même chose ; je suis ici et je n’y suis pas ; Paris et Nantes sont la même ville ? Si Hégel eût lancé dans le monde cette absurdité pure et simple, au lieu de remuer l’Allemagne, il eût été enfermé dans une maison de fous.

Voici, en un mot, la pensée-mère de sa doctrine :

« L’affirmation porte en soi une limite qui est le germe d’une négation. La philosophie tire cette négation de l’affirmation, mais elle poursuit son mouvement. Elle nie la négation elle-même, et par cette négation de la négation retourne au concept primitif. Mais ce concept n’est plus ce qu’il était tout à l’heure : il a développé ce qu’il contenait virtuellement ; il est devenu l’unité suprême et l’équation entre la première affirmation et la négation opposée.

« Exemple : dans la clarté absolue, sans ombre ni couleur, ou ne distinguerait absolument rien. La clarté absolue est donc identique à sa négation, l’obscurité absolue ; mais ni l’une ni l’autre n’est complète ; il faut l’une et l’autre. En les réunissant, vous avez la clarté mêlée à l’obscurité, qui est la lumière. L’électricité signale dans la nature cette attraction des contraires. L’électricité étant la vie, cette tendance devient celle des corps eux-mêmes. L’être en soi, l’être autre, le retour à l’être, voilà la théorie. (Thèse, antithèse, synthèse.) »

Par cette théorie de l’identité des contraires, où Hégel a-t-il été conduit ? Nul ne le sait. Ses disciples les plus assidus, les plus intelligents, après l’avoir entendu dix années consécutives, se sont demandé si le maître croyait à l’existence de Dieu, et n’ont pas pu se répondre.

C’est qu’en effet Hégel n’attachait aucune importance aux conclusions. Toute la science pour lui consistait dans la méthode. Indifférent au combat, il fournissait des armes à tous les combattants, sans souhaiter à personne ni la victoire ni la défaite.

Peut-être cette indifférence, qui est la négation même de la philosophie, résulte-t-elle de sa méthode. Si, en effet, l’affirmation et la négation sont identiques, toutes les doctrines deviennent égales et indifférentes. La découverte de cette identité est alors la seule découverte qu’on puisse faire en philosophie. Pour qui possède la méthode, toutes les doctrines sont vraies, car celui-là sait de quelle manière elles le sont ; pour qui ne la possède pas, toutes les doctrines sont fausses, car celui-là ne sait pas de quelle manière elles le sont. Toutes les doctrines en effet sont vraies, d’après Hégel, mais incomplètes. De là il tiré sa philosophie de l’histoire et son histoire de la philosophie. L’histoire de la philosophie c’est l’histoire de l’homme cherchant l’absolu et ne le trouvant pas, jusqu’au jour où Hégel lui révèle la méthode. Ainsi il y a du vrai dans tous les systèmes, mais le système d’Hégel est seul absolument vrai, d’après Hégel, puisqu’il embrasse tous les autres. Par exemple : à l’idée correspond l’école éléate qui nie tout, sinon l’Être. A la négation de l’idée correspond l’école des bouddhistes, pour qui l’Être c’est le néant. Chaque système ne contient qu’un côté de la vérité ; le droit du contraire n’y est pas reconnu. La philosophie absolue démontre l’identité de tous les contraires. Hégel proclame l’égalité, l’identité de l’être et du néant. Il contient ainsi, d’après son système, la vérité complète.

Si cette méthode avait une conclusion, cette conclusion serait le panthéisme, qui affirme l’unité absolue de toute substance, et le fatalisme, qui est la négation absolue du devoir, le bien et le mal n’étant plus pour lui qu’une seule et même chose. Voilà l’erreur radicale, fondamentale, immense de ce siècle-ci ; voilà la négation-mère ; voilà le panthéisme ; voilà la porte ouverte au néant ; voilà le doute absolu, qui est l’absence même de philosophie, érigé en philosophie absolue.

Pourquoi cette erreur est-elle capitale ? C’est que la vérité dont elle abuse est une vérité capitale.

Cette vérité, c’est la synthèse.

Schelling et Hégel ont eu faim et soif de synthèse. Ils ont voulu se placer en face d’un être, le regarder et dire : Omnia in ipso constant.

Mais ils l’ont dit de la création et ils ont affirmé l’identité des contraires.

De qui fallait-il dire : Omnia in ipso constant, et dans quel sens fallait-il le dire ?

Il fallait le dire de celui de qui le Saint-Esprit l’a dit par la bouche de saint Paul, de celui sur qui Dieu a prononcé cette parole : « La miséricorde et la vérité se sont rencontrées, la justice et la paix se sont embrassées. »

Et ailleurs : « Tout a été créé par Jésus-Christ dans le ciel et sur la terre : les choses visibles et les invisibles, soit les trônes, soit les dominations, soit les principautés, soit toutes les puissances. Tout a été créé par lui et pour lui ; il est avant tout, et toutes choses subsistent par lui ; il est le chef et la tête du corps de l’Église ; il est le prenier-né d’entre les morts, afin qu’il soit le premier en tout, parce qu’il a plu au Père que toute plénitude résidât en lui, et de réconcilier toutes choses avec soi par lui, ayant pacifié par le sang qu’il a répandu sur la croix tant ce qui est sur la terre que ce qui est au ciel. »

Il y a un être in quo omnia constant, c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Est-ce à dire qu’en lui se trouve l’identité des contraires, de l’être et du néant, de la vérité et de l’erreur, du bien et du mal ?

Non pas !

Mais il est la voie, la vérité, la vie. Il est aussi la résurrection. Le monde, créé par lui, a été racheté par lui. Vainqueur de la négation, si réelle qu’elle soit, il ramène la vie et la mort, l’erreur et la vérité, le bien et le mal, non pas à l’identité, mais à cet ordre nouveau, à cet ordre immense qui embrassant jusqu’au désordre, le réduit par la justice ou la miséricorde à un ordre supérieur. Ainsi toute chose apparaîtra quand apparaîtra Celui en qui tout a sa raison d’être : Quum Christus apparuerit, vita vestra, et vos apparebitis. Le bien et le mal apparaîtront, profondément divers et diversement traités, mais semblablement traités en ce sens que chacun obtiendra la place qui convient. Le ciel et l’enfer apparaîtront, profondément différents en ce sens qu’ils manifesteront Dieu diversement, profondément semblables en ce sens qu’ils manifesteront le même Dieu.

Hégel, et voici une observation que je recommande à ses disciples, Hégel confond deux idées qui ne se ressemblent pas. Cette confusion est capitale, et la distinction que nous allons lui opposer éclaire la question. Hégel confond les oppositions qui sont dans l’ordre, les deux pôles de l’électricité, par exemple, et les contradictions qui constituent le désordre, par exemple le mal, négation du bien. Il confond ces diversités légitimes qui rentrent toutes dans l’unité de la vie avec cette contradiction qui est la mort. Les jeux de la vie peuvent rester dans l’ordre, mais la mort est un désordre qui ne peut rentrer que par un circuit dans l’ordre immense. Or, pour contempler l’harmonie suprême, il fallait s’élever au-dessus de ce monde relatif, il fallait remonter à l’essence infinie. La justice et la miséricorde, oppositions relatives, trouvent directement dans l’essence de Dieu leur solution. Le bien et le mal, contradictions absolues, trouvent indirectement par le ciel et l’enfer leur solution, sans jamais s’identifier.

Les contradictions absolues rencontrent une solution relative.

Les oppositions relatives rencontrent une solution absolue.

L’homme est un dans son essence, mais il est sujet à se répandre facilement sur la matière, qui est le multiple ; il se laisse dissoudre par elle, et alors, multiple lui-même, il a besoin d’un effort de la volonté pour revenir à l’unité d’où il est parti. Cet effort, c’est la liberté. La liberté est le passage de l’unité spontanée à l’unité réfléchie.

Hégel se trompe sur la nature de l’harmonie. Il croit qu’elle existe déjà dans le monde que nous voyons. Il croit que l’ordre est cette création que nous avons sous les yeux. Il regarde le mal comme une nécessité aussi absolue que le bien. Par là même le mal n’est plus le mal ; il est la forme naturelle de certaines choses, forme opposée à la forme du bien, mais qui, unie à celle-ci, complète l’harmonie et l’ordre au lieu de les troubler.

Hégel oublie, dans cette construction arbitraire de l’ordre, plusieurs éléments graves qui se mêlent à tout, entre autres le péché originel, la liberté de l’homme, la différence du temps et de l’éternité. L’harmonie en effet, non pas telle qu’il la conçoit, mais telle qu’elle est, l’harmonie, c’est-à-dire l’ordre vainqueur du désordre, c’est-à-dire le bien qui ne nie pas le mal, mais qui en triomphe en le mettant à sa place : cette harmonie-là est le secret et la réserve de l’éternité. En affirmant que l’ordre est déjà achevé et visible, en posant l’être et le néant comme deux ennemis qui resteront en face l’un de l’autre, et qui ne font qu’un être identique à lui-même, Hégel nie Dieu, la raison, et rend inutile l’éternité, car l’ordre absolu est déjà pour lui dans le temps. En affirmant que le bien et le mal sont les efflorescences nécessaires d’une tige unique qui fleurit fatalement, Hégel nie la vérité, la liberté de Dieu, celle de l’homme, la morale, la religion et la philosophie.

S’il eût dit qu’à travers la vie et la mort réconciliées, les hommes devaient arriver à une seconde naissance, à une résurrection, suprême et éternelle harmonie, il eût proclamé la vérité ; mais il l’a niée, parce qu’il a confondu l’opposition actuelle mais accidentelle où nous sommes plongés, et l’ordre absolu dans lequel nous vivrons quand nous vivrons tout à fait.

Quand Schelling a affirmé l’identité de l’esprit et de la matière, Schelling s’est trompé radicalement, et son erreur a été immense, car il aspirait à une vérité immense. Pour lui, la nature n’est que l’organisme visible de notre entendement ; aussi elle produit des formations régulières, et elle les produit avec nécessité, de sorte que l’idéalisme transcendental et la philosophie de la nature sont deux sciences identiques qui ne se distinguent que par la direction opposée de leurs recherches. Ensemble elles constituent le système complet de la science. Le monde est pour lui un aimant dont les différences n’excluent pas l’unité. L’esprit et la matière sont dans ce système les deux pôles de l’absolu.

Toute erreur est une négation qui se présente sous la forme d’une affirmation.

Supprimons la négation, et nous dirons :

L’esprit humain conçoit la symétrie, l’harmonie, la géométrie, parce qu’il est en rapport avec la vérité.

La matière subit la régularité, la géométrie qui règne dans la nature.

Les opérations de l’esprit sont régulières et soumises à ses lois.

Les opérations de la matière sont régulières et soumises à ses lois.

En effet, l’esprit humain et l’univers matériel ont tous deux leur raison d’être et leur loi dans la loi souveraine, qui est en même temps le type ; dans le Verbe en qui Dieu contemple les êtres et les lois ; et pourtant l’esprit humain et l’univers matériel sont parfaitement distincts.

C’est toujours dans l’infini que réside cette harmonie, que l’Allemagne cherche dans la création.

L’univers, bien que son type réside dans le Verbe, est une substance distincte de la substance divine. Son archétype est en Dieu ; mais l’univers créé n’est pas Dieu. L’âme humaine est aussi la réalisation d’une idée contemplée par Dieu dans le Verbe. Son archétype est en Dieu, mais l’âme n’est pas Dieu. Les créatures visibles et les créatures invisibles ayant toutes leur archétype dans le même Verbe, cette relation commune explique les relations mystérieuses qui unissent les deux mondes. Les combinaisons inouïes de l’un et de l’autre, puis de l’un avec l’autre, sont quelques évolutions de la sagesse qui se complaît dans la beauté de son œuvre. La régularité, l’harmonie, la géométrie, la beauté, la musique, sont écrites dans un monde, sont écrites dans l’autre, et sont écrites dans la combinaison des deux mondes. Le même Verbe qui est leur archétype à tous deux est aussi leur loi à tous deux. Il préside à leur évolution comme il a présidé à leur naissance. Mais voici, entre l’homme et la nature, une grande différence qu’a méconnue l’Allemagne. Cette loi adhère à la nature ; elle n’adhère pas à l’homme : elle s’impose à la création inanimée qui obéit toujours ; elle se propose à l’homme qui peut désobéir et qui désobéit. La liberté met entre la nature et nous l’abîme qu’a oublié Schelling. L’évolution de la nature est nécessitée, la nôtre est libre. Le péché est l’infidélité de l’être créé vis-à-vis du type idéal de lui-même, que Dieu contemple dans son Verbe. L’ordre est dans nos mains : nous le troublons quand nous voulons, et alors Dieu, qui nous respecte trop pour assujettir nos volontés à l’ordre, mais qui se respecte trop pour assujettir l’ordre à nos volontés, fait jaillir un ordre nouveau du désordre introduit par nous. Notre liberté tient en éveil l’activité divine ; aussitôt l’univers visible et l’univers invisible deviennent féconds en combinaisons nouvelles d’où sort, avec un ordre nouveau, la conciliation facile et merveilleuse de notre liberté et de la volonté divine.

Séduits par la pensée de l’absolu, Schelling et Hégel ont oublié les diversités, les oppositions qui, loin de nuire à l’harmonie, la font resplendir d’un éclat nouveau. Ils ont méconnu la grandeur vraie, celle qui résulte des choses telles qu’elles sont, pour adopter une hypothèse gigantesque en apparence, mais inconsistante en réalité, qui ruine l’ordre et l’homme avec la prétention de les glorifier tous deux. Un enfant de douze ans qui sait son catéchisme les avertirait de leur erreur.

Chose remarquable, cette doctrine détruit absolument l’amour dans sa racine ; l’amour s’adresse à la vie. Quel être a jamais pu aimer un mécanisme ? Donnez-nous un dieu machine, un homme machine, un univers machine, personne n’aimera plus personne. Aussi le panthéisme, froid comme la tombe, écrit-il à la racine de l’homme, sur la première page de l’âme, sa condamnation en lettres noires ; il apporte la tristesse.

Entrons dans le détail de quelques oppositions, et, avant d’insister sur la solution absolue du problème, essayons de trouver quelque ébauche de synthèse.

Que deux voyageurs montent la même montagne, l’un par le versant de gauche, l’autre par le versant de droite, ils apercevront deux paysages tout à fait différents, et celui-là seul aura le secret de leur désaccord qui aura atteint la dernière crête et dominé l’horizon à droite, à gauche, en avant, en arrière. Les lanternes sourdes n’éclairent qu’un point du paysage ; mais tout dissentiment ne s’apaiserait-il pas si la lumière pouvait se placer assez haut pour illuminer à perte de vue ?

Jetons donc sur nos œuvres un coup d’œil préparatoire.

Quand l’ordre tend à apparaître, les oppositions tendent à se concilier. Il est réservé à l’art de nous présenter dès ce monde des créations accomplies, ébauches d’harmonie qui promettent la grande harmonie. Le sentiment de l’harmonie n’est-il pas un pressentiment de l’éternité ? C’est lui qui manifeste déjà le beau, tandis que, partout ailleurs, nous ne faisons que le préparer. C’est lui qui anticipe déjà sur l’éternité, réalisation suprême de l’art absolu. C’est à lui que nous nous adresserons d’abord pour surprendre les secrets de la création et saisir, s’il est possible, la lumière en travail. Il ne nous présentera aucune harmonie parfaite. L’art est un essai qui nous réjouit. Quelle est donc cette joie qu’il nous apporte ? Cette joie est un commencement de délivrance.

L’art est l’opposition que présentent l’idée et la forme se résolvant dans l’harmonie où elles se pénètrent l’une par l’autre.

L’harmonie n’est jamais l’identité des deux termes, mais leur conciliation.

Le drame, c’est l’opposition entre l’idéal et le réel, manifestée par la lutte du devoir et de la faiblesse, manifestée par l’épreuve. Dans le dénouement doit apparaître l’harmonie, la conciliation ; le dénouement c’est la part de Dieu.

La force humaine qui pousse l’opposition vers l’harmonie, c’est le sacrifice. La miséricorde et la justice éternelles opèrent la conciliation. L’histoire et la vie offrent des instants de lumière et de bonheur ; ce sont les invasions de l’art dans la réalité ; ce sont les apparitions de l’idéal qui, par instant, fond sur le réel et l’embrasse. Il semble alors que la Providence, qui a l’habitude de se cacher, intervienne sensiblement. Notre joie dans ces moments suprêmes de la réalité, notre joie dans les grandes apparitions de l’art, vient de cette conscience intime qui nous révèle une opposition vaincue. Au lieu de nous apparaître dans leur isolement et leur obscurité, les choses nous apparaissent reliées les unes aux autres et transfigurées dans la lumière qui donne à tout la beauté. Au coucher du soleil, un objet par lui-même dépourvu de beauté, une maison, une écurie, devient beau dans le coup d’œil général, grâce aux flots de lumière dont il est inondé. Ainsi, la chose qui nous semblait laide quand nous la regardions en elle-même et dans la nuit, illuminée dès que nous la voyons d’en haut, participe aux splendeurs de l’universel rayonnement.

Dans l’art, miroir magique où la vérité se reflète à l’état symbolique, sensible, et, si je puis le dire, prophétique, on nomme inspiration l’intuition de l’accord et travail, la réflexion par laquelle l’opposition cherche à se résoudre. L’inspiration est l’action de l’idée dans l’artiste ; le travail est l’action de l’artiste dans l’idée. Par l’inspiration, l’idée saisit l’artiste et lui apparaît dans son essence, dans son type, dans son unité. Par le travail, l’artiste saisit l’idée et l’élabore ; il lui prépare un moule où elle doit prendre forme. La forme concrète, c’est ce qui la détermine, ce qui la définit ; c’est la puissance en vertu de laquelle l’œuvre est ce qu’elle est, et non pas autre chose. Par l’inspiration, une idée apparaît dans son rapport avec l’Idée absolue. Par le travail, elle se fait particulière, s’oppose à l’absolu et revêt une forme qui lui est propre. Or, cette opposition, qui pèse sur l’artiste en travail de l’idée, se résout dans une harmonie d’autant plus haute qu’elle a coûté plus cher. Cette harmonie, c’est la création artistique ; la création, c’est la résultante des deux forces ; la création artistique, c’est l’idée particulière revêtue de sa splendeur, et déclarant par sa vie montrée au dehors l’union en elle de l’absolu et du relatif, du général et du particulier, proclamant à la fois, dans le temps et dans l’espace, par la parole et par la lumière, son essence, qui est son rapport avec l’Idée absolue, et sa forme, qui est sa vie particulière.

L’inspiration est positive, l’exécution est négative ; elle est négative, puisqu’elle est une limite, une restriction (le sacrifice a sa place dans l’art). La création est harmonique.

C’est donc perdre son temps que de se demander si le génie est la persévérance, comme Buffon n’a pas eu honte de le dire, ou s’il serait par hasard une inspiration aveugle et désordonnée.

Le génie n’est pas telle ou telle face de l’opposition. Il est la force qui la résout. Vu d’en bas, il apparaît au vulgaire comme une folie inquiétante qui n’inspire pas même de pitié. Car toute souffrance supérieure trouve les hommes impitoyables.

Le génie est la faculté de créer. Il conçoit, et comme tel, il est passif. Puis l’idée conçue fait en lui son travail secret. Il la porte. Il subit son opération latente et mystérieuse. Il réagit, il est actif : c’est la terre qui a ouvert son sein à la semence féconde et qui attend en silence que le soleil, à l’heure marquée, fasse naître la rose qui réjouit et embaume la création. L’action de l’idée sur l’homme c’est l’action de la lumière sur la matière terrestre. Elle opère dans la plus vile poussière. Mais il faut que la terre ait été ouverte, fécondée, meurtrie, et que le cœur de l’homme ait été déchiré. Tout est conçu dans la joie et enfanté dans la douleur. Telle est la loi.

Cette activité et cette passivité du génie, ces éclats de lumière qui l’invitent et ces ténèbres qui le repoussent, cette force et cette faiblesse qui lui font une vie si étrange, ces grands espoirs et ces grands accablements, ces antinomies immenses qui évoquent en lui la vie et la mort, que deviendront ces choses ? Quel sera le sort de ces puissances mystérieusement séparées, mystérieusement combinées qui ont l’une pour l’autre une invincible horreur et une invincible affinité ?

Une création sera faite, et le génie ne se souviendra plus de l’enfantement douloureux parce qu’une œuvre d’art aura paru dans le monde. Il se sentira ravi dans une harmonie inconnue.

Comme il n’aura pas observé certaines règles convenues dans les poétiques, on dira qu’il est indiscipliné.

Pendant que vous observez vos règles et que vos adversaires, aussi esclaves que vous, les violent systématiquement, lui, sans penser ni à eux ni à vous, il a observé la loi. Les yeux fixés sur le type invisible, il l’a exprimé suivant qu’il convenait. Il n’est le génie que parce qu’il est l’expression de la loi plus haute par laquelle il crée, et devant laquelle disparaissent abîmées les petites difficultés qui vous agitent. Vous ne voyez de lui que le côté négatif. Vous voyez ce qu’il n’est pas. Vous ne voyez pas ce qu’il est.

Le talent n’a pas cette puissance, parce qu’il n’a pas cette faiblesse. Il n’est ni si actif ni si passif. Il n’habite ni les sommets ni les abîmes.

Le génie est entraîné. Le talent marche à son pas. Il fait comme il veut. Le génie fait comme il peut. Le génie crée suivant les lois de la création. Le talent fabrique quelquefois suivant les lois de l’industrie. C’est parce qu’il est de l’essence du génie d’être opposé à lui-même qu’il est dans ses habitudes d’être blasphémé. Quiconque ne parle pas la langue commune est mis hors la loi.

C’est pour ne pas s’être trempée dans la source vive que la littérature française, dans beaucoup de productions qu’elle étale comme modèles classiques, est restée une lettre morte, une forme vide, sans vie, c’est-à-dire sans idéal et sans réalité. La vie de l’homme est un incessant combat ; les mouvements de l’automate échappent à toute opposition. La rose qui s’épanouit offre au soleil le spectacle d’un combat, celui de la lumière et du fumier. Mais la mort règne sans inquiétude dans la fleur faite avec des coquillages.

Il y a entre le grand poëte et le versificateur la même distance qu’entre le savant qui fait appel aux lois de la nature pour produire une action organique, vivante, et le faiseur de tours qui cherche à étonner par certains artifices manuels, mécaniques. L’escamoteur, si adroit qu’il puisse être, inspirera toujours une sorte de dégoût. Le mécanisme par lequel il opère n’a pas la vie en lui et ne s’adresse pas au sens de la vie chez le spectateur. L’art classique, dans beaucoup de ses représentants, avait ravalé la poésie au rang de l’escamotage qui a pour premier mérite une difficulté matérielle vaincue, ou éludée d’après certaines règles.

Pourquoi le cœur nous bat-il au récit d’une grande bataille, sinon parce que notre esprit s’assimile avec bonheur cette forme de l’universelle opposition ? Et pourquoi la lutte, qui n’est pas un bien en soi, trouverait-elle un écho dans notre âme, avide de paix, sinon parce qu’elle conduit à l’harmonie, terme de nos désirs ? Pourquoi aimons-nous la guerre ? C’est que nous aimons la paix.

L’art organique est une harmonie conquise.

L’art mécanique est une symétrie qui n’a pas fait verser de sang.

Il y a deux sortes de simplicité, l’une vraie, l’autre fausse.

La simplicité fausse, celle qui plaît au plus grand nombre, n’offre qu’un terme à l’esprit, ne présente qu’un côté des choses. Le XVIIIe siècle avait cette apparence de simplicité. Voilà pourquoi Voltaire passe généralement pour un auteur clair, bien qu’en réalité il soit absolument inintelligible. Mais pour s’apercevoir qu’il est inintelligible, il faut avoir soi-même de l’intelligence. Quand on n’en a pas, et qu’on rentre ainsi dans la grande majorité des hommes, on le croit clair, parce qu’il ne fait ni n’exige aucune réflexion.

La simplicité vraie présente à l’esprit trois termes, deux termes qui s’opposent, et le troisième en qui ils s’harmonisent. Mais comme cette simplicité-là est vraie et profonde, elle demande des âmes vivantes qui puissent se l’assimiler. Elle paraît obscure à ceux qui haïssent la lumière.

Qu’est-ce que le coup de foudre, sinon le choc des deux électricités ?

Jetons un coup d’œil sur l’histoire. Elle nous présentera un commencement d’harmonie.

La vie humaine est-elle seulement l’œuvre de la liberté humaine ? Non. Nous sommes maîtres de nos déterminations, mais nous n’en tenons pas dans nos mains les conséquences. La vie humaine est-elle entièrement l’œuvre d’une force étrangère, et notre liberté est-elle sans puissance sur notre destinée ? Non. L’homme dépend de sa liberté. Il dépend aussi de ce qui n’est pas lui. Une mouche qui vole empêche un homme de penser. Un grain de sable a fait mourir Cromwell. L’homme désire. La nature résiste. Elle ne se prête pas. La liberté veut. La nature ne veut pas. Elle manque essentiellement de complaisance. Nos combinaisons les plus savantes, les plus profondes sont déjouées par l’accident le plus simple, le plus facile à prévoir et pourtant le plus inattendu.

Cependant, toute seule, que peut la liberté ? Tout comme intention, rien comme résultat. D’où vient donc que l’homme commence, entreprend ? Il n’entreprendrait pas, s’il n’espérait pas terminer. Or il sent que tout seul, il ne peut rien mener à terme, qu’il ne peut se passer du concours des choses extérieures, qu’il ne peut les soumettre par son propre pouvoir, que la nature est un ennemi nécessaire, à la fois obstacle et moyen. Si la liberté et la nature étaient irréconciliables, si ces deux quantités restaient éternellement incommensurables entre elles, un invincible découragement s’emparerait de l’homme. Il n’agirait plus, n’osant plus espérer la fin de son action. Et cependant il agit. Comment se fait-il que l’homme agisse ?

Il agit en vertu d’une croyance sous-entendue dont il n’a pas toujours conscience. Il agit, parce que la voix intérieure lui dit tout bas : la nature n’est pas autonome, n’est pas aveugle. La nature a ses lois comme l’homme a les siennes. Tous deux ont le même maître, quoique l’homme ait le pouvoir de désobéir, refusé à la nature.

Plus l’homme est placé haut, plus il a confiance dans le dernier secret. Cette confiance s’appelle des deux plus beaux noms qu’il y ait dans notre langue : sainteté, génie.

Je puis tout en celui qui me fortifie, dit la sainteté. Le génie a confiance, sans être tout-puissant, parce qu’il a le sentiment profond des oppositions de ce monde et le pressentiment de l’harmonie qui les résoudra. Le talent calcule, le génie regarde et voit. Son organe est l’intuition ; cette intuition est la conviction qu’il n’agira pas seul, qu’il est instrument, qu’il est surveillé, que le maître qui l’emploie ne l’abandonnera pas en route ; aussi part-il sans crainte. Il sait qu’il arrivera, car il se sent poussé. Christophe Colomb n’avait pas tout prévu quand il posa le pied sur le navire béni. Et s’il eût tout calculé, il eût manqué son but. Il n’eût eu que du talent. Comme il avait du génie, il eut confiance dans la complicité divine. Il se connaissait, il se sentait ; il entendait jour et nuit la voix qui appelle ; il est parti sur parole. Sentir l’Amérique, c’était pour lui se connaître. Il savait qu’il était, lui, incapable de la découvrir ; qu’un souffle de vent pouvait l’écarter de la terre promise ; mais il savait aussi que les vents et la mer entendraient la même voix que lui et obéiraient à la même parole. Quand un homme de talent se prépare à livrer bataille, il examine, il discute, il pèse le pour et le contre. L’homme de génie voit le champ de bataille et se sent vainqueur : il a la parole du Dieu des armées.

Le génie actif affirme Dieu d’une affirmation positive, en ce sens qu’il affirme quelque chose de ce que Dieu est. Le génie passif affirme Dieu d’une affirmation négative : Silentium laus. Il se tait devant lui, et ce silence même est une affirmation suréminente, puisqu’il affirme l’être comme dépassant infiniment toutes les affirmations de l’être.

Portons plus haut nos regards. Il faut maintenant les appliquer sur celui qui est crucifié entre le ciel et la terre, celui en qui réside toute plénitude, in quo omnia constant.

La vérité est une, l’erreur est multiple.

Le paganisme est l’adoration des forces extérieures, des forces animales ou végétatives, de la nature, du non-moi de l’homme.

Le rationalisme, très-bien représenté par Fichte, est l’adoration du moi, de la force intellectuelle et morale de l’homme ; c’est une forme plus élevée de l’idolâtrie.

Le panthéisme, représenté par Schelling, est l’adoration simultanée des forces animales et des forces morales de l’homme, de l’animal et de la plante, l’adoration simultanée de l’homme et de la nature, comme puissances identiques quant à leur essence et quant à leur développement.

Le panthéisme d’Hégel n’est que le panthéisme de Schelling systématisé. Hégel n’a inventé que la méthode.

L’erreur d’Hégel occupe dans le désordre intellectuel cette première place qui est celle de l’orgueil dans le désordre moral. L’orgueil dit : Le Néant c’est l’Être, Hégel ne parle pas autrement ; Satan non plus. Et la formule de l’orgueil est la formule de l’absurde.

Le panthéisme représente l’erreur dans sa forme suprême, dans sa forme absolue. De toutes les erreurs il est la plus complète ; par là même il est près peut-être de revenir à la vérité, puisqu’il a parcouru le cercle de l’erreur ; il en a fait le tour, il ne peut plus désormais se convertir qu’à Dieu.

Le christianisme ne place l’absolu qu’en Dieu, n’adore que Dieu, sépare Dieu de la création ; mais reliant avec autant de force qu’il distingue, il affirme que l’incarnation du Verbe unit Dieu à l’homme, et par lui à la nature, sans jamais les confondre.

Omnia vestra sunt ; vos autem Christi, Christus autem Dei.

Le panthéisme est la synthèse de l’erreur.

Le christianisme est la synthèse de la vérité.

Le christianisme, distinguant le fini de l’infini, et les reliant à la fois par Celui qui réconcilie toutes choses en sa personne immense, humanisant Dieu, divinisant l’homme, sans confondre un seul instant l’homme et Dieu, faisant la distinction d’autant plus immense qu’il fait l’union plus intime, établissant la diversité des substances, et à la fois posant le dogme de la transsubstantiation, le christianisme seul a le droit de prononcer sur Dieu l’affirmation suprême qui résume ma pensée tout entière : Omnia in ipso constant.

Schelling a voulu parler de la même manière ; cette affirmation suprême, Schelling a voulu la poser.

Mais le panthéisme, qui aspire à cette parole, est trop petit pour la prononcer. Il veut s’élever, les ailes lui manquent ; il retombe de tout son poids sur la terre ; il s’attache à la création, il l’embrasse, il l’adore. Il veut dire à propos d’elle la parole qui n’est vraie que de Dieu ; mais la création n’entend pas son cri, elle ne répond pas. Celui que saint Jean et saint Paul appellent Ipse, le principe et la fin de tout, ipse ipsissima vita, comme parle saint Athanase, le grand Ipse, celui-là est le seul de qui la parole humaine, avide de proclamer l’universelle union et l’universelle distinction, puisse dire sans mensonge en face de Dieu, de l’homme et de la nature : Omnia in ipso constant.

Cette vérité, tellement ancienne qu’elle est éternelle, est en même temps plus jeune que ce qu’il y a de plus jeune. L’humanité a tout usé, excepté le christianisme.

Elle ne l’a pas usé parce qu’elle ne l’a pas fait. Le christianisme est la vérité ; je veux dire qu’il est la Religion. Ceci n’est pas un pléonasme. Évitons cette confusion redoutable qui couvre le monde d’erreurs. Le XIXe siècle est très-poli envers le christianisme. Mais ce n’est pas la politesse que le christianisme réclame. Presque tous les inventeurs de systèmes se donnent comme les successeurs de Jésus-Christ. Ils croient, bien entendu, l’avoir dépassé ; mais enfin ils consentent à relever de lui.

Leur christianisme est une sorte de philosophie humanitaire, fille de Rousseau, ou de Socinius, ou de Fourier, une religion sans dogme qui adore l’homme et oublie Dieu.

D’autres sont plus gais : ils font du christianisme une mélodie sans idée ; ils lui permettent de bercer doucement le cœur de l’homme pendant que la philosophie nous formera l’esprit. Leur christianisme est un rêve sentimental qui vous endort comme le bruit d’une cascade. Les uns se disent chrétiens parce qu’ils sont mécontents, parce qu’ils abritent derrière le nom du christianisme leurs utopies humanitaires, les autres parce que le ciel est bleu et qu’ils abritent derrière le nom du christianisme leurs rêves médiocres.

Le christianisme vrai est la Religion. La première préparation pour qui veut le recevoir, c’est le sentiment profond de l’impuissance de l’homme à le fonder. Il contient dans ses profondeurs, non pas une série de phrases creuses et vagues, mais des vérités révélées, les plus sérieuses des choses connues, et la science des sciences, la théologie. Il contient non pas des rêves, mais des dogmes.

Il est la vérité absolue révélée dans le temps et dans l’espace par la parole absolue. Il n’est pas un développement naturel du progrès humain. Cette erreur est une des plus funestes qui soient au monde. Il est un don de Dieu, ce don libre et gratuit qui eût pu n’être pas, et que Jésus-Christ annonçait à la Samaritaine. Quiconque l’accepte comme un progrès naturel, comme le produit de l’ordre naturel, comme une efflorescence de la tige humaine, le méconnaît pleinement. Jamais l’homme déchu ne fût remonté vers Dieu. C’est Dieu qui est descendu vers l’homme. Quelques-uns ont voulu d’un christianisme humain. Ils ont supprimé la grâce : ils ont supprimé Dieu. Leur christianisme a eu le sort de toutes leurs œuvres. Il est mort avec eux et même avant eux. Le christianisme qui ne meurt pas, c’est le catholicisme. C’est la religion divine. Altérée par vous dans l’hérésie, elle vous plaît, parce que vous vous reconnaissez dans son altération qui est votre ouvrage et qui vous ressemble. Le catholicisme, lui, ressemble à Dieu. Il en porte la marque. Complet, absolu, absolument divin, muni de ses dogmes et de ses sacrements, il vous est en horreur, parce que vous n’avez pas prise sur cette chose à part qui n’est absolument pas votre ouvrage.

Voilà le christianisme, non pas complaisant et maniable, mais puissant, immuable et divin, non tel que le voudraient les hommes, non tel qu’ils l’auraient fait, s’ils l’avaient fait, mais tel qu’il est, tel que l’Église l’a reçu, le conserve et l’enseigne aux nations.

L’hérésie porte la signature de l’homme. Elle est une transaction : elle permet les transactions. L’homme lui a communiqué quelque chose de son infirmité, de sa défaillance. Le catholicisme est tout d’une pièce. Il est divin tout entier, on s’agenouille ou on se détourne.

Sachons-le donc, car il faut éclaircir les points de vue : en abordant le christianisme, nous abordons la grâce, l’ordre surnaturel : nous abandonnons les domaines que l’effort humain pouvait conquérir. Oublier cette distinction, c’est troubler dans leurs fondements la science et la vie ; car elle domine la science et la vie. Je vous demande qu’elle soit présente à votre pensée comme à la mienne, pendant l’étude que nous faisons ensemble.

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