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Trois hommes: Pascal, Ibsen, Dostoïevski

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V

PUISSANCE ET MISÈRE DU MOI

«Je ne sais qu'une révolution, qui n'ait pas été faite par un gâcheur;» dit Ibsen à son ami, l'orateur de la révolte: «c'est naturellement du déluge que je parle. Cependant, même cette fois-là, le diable fut mis dedans: car Noé, comme vous savez, a pris la dictature. Recommençons donc, et plus radicalement. Vous autres, occupez-vous de submerger le monde: moi, je mettrai la torpille sous l'arche, avec délices.» L'État est la malédiction de l'individu: qu'on abolisse l'État. Toute notre morale sent la pourriture, comme les draps d'enterrement: qu'on abolisse la morale et l'église. Le moi a sa morale prête; le moi a son église. La joie de vivre ne peut-elle pas suffire à l'homme, désormais? Le moi est bon; il est clair; il est solide. Il ne laisse rien d'intact, parce qu'il vaut beaucoup mieux que ce qu'il détruit. Le moi est l'honnête anarchiste qui ne sépare pas le plaisir de la justice, ni la volupté de la vertu. C'est pour faire le bonheur de la planète, qu'il met le feu à la ville. Il prêche ingénument le retour à la nature, tant il a peu de malice. Mais qu'est-ce bien que la nature, sinon le bon plaisir tempéré par la pure vertu? Et, du reste, s'il n'en était pas tout à fait ainsi, le moi, qui est toute excellence, se fera juge aussi de la nature. Et d'abord il faut délivrer les femmes. De la nature? Sans doute; car, au fond, la nature se dissimule sous les lois, qui n'en sont que l'habit politique. Le moi est l'universelle pierre de touche; il a la vérité; il a la santé; il n'erre pas; à lui de purifier l'espèce; à lui de la condamner, ou de s'y préférer. Le moi reste la seule puissance et le seul juge. Il n'a qu'à vouloir.

L'Idole de la volonté

L'ivresse du moi: dans sa force il se croit bon; et il se décide à agir pour donner une preuve de sa force.

Être soi tout entier ne diffère en rien d'être soi-même. On s'en fait un devoir. Tout ou rien, c'est la politique de notre morale. Le moi n'a donc pas honte d'être optimiste? Loin de là, quand il n'en sent pas encore l'horrible nausée, le moi est fanatique du bien qu'il se flatte de faire. Nul n'a plus de foi: il la porte dans les moindres faits de la vie; car une foi semblable n'est que le furieux appétit qui se jette sur tout.

Il s'assure qu'il suffit à un monde. Puisque tout est mauvais, et que tout pourrait être bon, il est juste de monter à l'assaut, et de miner le mal dans la citadelle. Il s'agit toujours de tout détruire. Voilà le comble de l'espérance, et qui marque plus de force dans le génie que de clairvoyance. Où la volonté domine, les idées n'ont pas besoin d'être claires; l'homme voit le monde à travers son désir; il ne l'a point encore saisi de près, y regardant les yeux dans les yeux; et celui qui devait être le plus intelligent des poètes, pendant longtemps, n'a pas eu tant d'intelligence que d'énergie. La volonté, cette forme du moi en action, doit renouveler le monde. Va droit au but, se dit le héros; délivre la volonté, ou succombe. Voilà le comble de l'espérance jusque dans le désespoir; et, ivre de soi, il s'écrie: «C'est là vivre! Briser, renverser, frapper! Déraciner les pins! Voilà la vie! Voilà qui endurcit et qui élève!» L'anarchiste exulte, parce qu'il espère. Dans tout anarchiste qui a la foi, il y a un optimiste qui délire; et qui peut-être, un jour, s'il guérit de sa folie, la prendra en dégoût. L'enfance de ce tyran, voué à l'exil, jette d'épaisses gourmes. Qu'il est encore loin de sa beauté et de sa grandeur!

Le mouvement importe plus à la volonté que le plan où elle se meut; et plus que le terme où elle va, la vitesse de la course. Quand les héros d'Ibsen proclament qu'ils sont libres, ils n'ont plus rien d'humain. «Dieu n'est pas si dur que mon fils,» dit la mère de l'indomptable Brand; et ce pasteur, machine à vouloir, qui ne veut vivre que pour le Christ, avoue, dans son triomphe, qu'il sait à peine s'il est chrétien. Le plus affreux mystère du moi, c'est qu'il arrive un moment où la volonté tourne à vide. On met tout à feu et à sang; la nuit vient et l'on s'assied dans l'ombre, se disant: Je ne crois plus, je ne sais plus; vais-je donc ne vouloir plus? Car que m'importe de tout être, où il n'y a rien.

Le moi pressent le danger mortel du doute: ne faites jamais la folie de douter de vous-même. Il faut croire en soi. Rien ne nous est bon que ce qui nous y aide; il n'est mal, que ce qui nous en éloigne.

La volonté est l'organe de la puissance. Être soi, c'est dominer. On ne veut que pour pouvoir. Puissant en énergie, je ne vis que pour être puissant en actes. Il faudra que je vous le fasse sentir, ô mes frères très libres. Le pouvoir, voilà la vie, l'appétit de l'homme, la propre affinité de son sang.

Même vaincu, l'homme puissant ne baisse pas la tête. Il ne regarde pas sa vie comme perdue: tant qu'il lui reste un souffle, c'est une haleine de volonté qu'il respire. La mort même ne ruine pas toujours cette espérance. Le grand moi est pareil au phtisique dans la force de l'âge; quand tout est détruit et que la mort s'annonce, il connaît une dernière fièvre, un rêve suprême, où il s'endort dans son propre poison.

Antique et Moderne.

Ils sont plaisants de prendre la vie antique pour le modèle d'une vie libre.

Le fait et le moi s'opposent; ils se bravent; et l'un toujours asservit l'autre. L'art antique est forme, et soumis au fait. Le moderne est sentiment, et le moi y domine. L'antique est horizontal, surface, si je puis dire; le moderne, volume, profondeur et vertical.

L'ordre et la beauté antiques viennent de ce que le cœur manque, c'est un art sans âme; moyennant quoi, il est tranquille. Les enfants aussi ont leur paix grecque: ils jouent dans la chambre où la mère se meurt, et jusque sur le lit, si on les laisse jouer. J'admire cette sérénité, et, malgré moi, je la méprise.

Le grand avantage d'Athènes sur Paris, pour la vie heureuse, c'est que je suis à Paris et qu'Athènes n'est plus. Nous mettons l'âge d'or dans le passé, par prudence: il ne faudrait pas le défier d'être. L'enfance de notre âme est la fée, et d'or enfin tout ce qu'elle touche. Mais tout ce qui nous touche est de terre, sitôt que nous sommes touchés. Le plus sûr est de rêver.

La beauté manque à Ibsen: de là qu'il fait le rêve de l'antique. Il cherche l'ordre. Il le veut à tout prix. Mais il n'arrive pas à y sacrifier la vie intérieure, notre chère folie, et la sienne.

L'antique est sain comme le vide, assez souvent. Ce qui est tout à fait sain est nul, sans doute. Les vivants sont des malades, et pas un n'en réchappera. Tout homme est malade. Les anciens ne pensaient pas l'être; ils se croyaient bien portants, tant qu'ils ne souffraient pas de paralysie. Mais eux-mêmes, à la fin, ils se sont vus paralytiques.

L'antique est si peu le Moi, que le Bouddha le nie au nom de la volupté même.

La conscience malade, voilà le théâtre de la fatalité moderne. Comme le cœur, on ne sent sa conscience que si l'on en souffre. La tragédie grecque n'est que le fait. Les hommes tombent comme les générations des feuilles. Aussi la tragédie grecque nous semble presque toujours admirable, et ne nous intéresse presque plus. Il n'y a que la terreur, et la pitié n'y est qu'une peur réflexe. Ce ne sont guère des hommes: mais des dieux aveugles et des automates aveuglés.

La tragédie moderne, c'est le moi en contact avec le monde. Le moi est plein d'énergie: acte contre acte. Le fait, et un déluge de faits tous terribles, ne sont pas si tragiques qu'une seule décision à prendre pour la conscience malade.

Nous sommes tous chrétiens malgré nous: si nous sommes pensants. Et c'est en vertu de notre âme, qui est à elle seule, et pour soi, l'état, le monde, et toute la cité. Il est vrai que le propre chrétien est en présence de son Dieu. Sans son Dieu, il est suspendu dans le vide. Mais combien, de là, les vues sont puissantes sur le fond, et hardies dans l'abîme.

Le christianisme a créé le monde intérieur. Il n'a pas du tout supprimé l'autre: il l'a réduit à la seconde place. Un Athénien chassé d'Athènes n'était plus guère un homme; car, pour être homme, il fallait d'abord être citoyen. Désormais, je suis homme dans Sirius même. On ne peut m'en ôter le caractère. Ils le savent bien, tous ces grands exilés, qui ont commencé de l'être dans leur propre ville, et dès le sein même de leur mère.

Que le moi est le parfait pessimiste.

Ibsen a tous les dehors de la méchanceté. Il ne plaint pas ses victimes. Il prend la plupart de ses héros dans la paix d'une condition moyenne, et il les pousse à la mort, d'une main pesante, d'une allure rapide. Le nid de la honte et du mensonge est fait comme celui des oiseaux, patiemment, d'une foule de débris, et très souvent d'immondices: là, il fait tiède, et les hommes ont chaud. Ibsen les tire de ce bon poêle, et les traîne dans l'hiver de la vérité nue, sous les étoiles glaciales. S'ils tombent frappés par le vent de la nuit, il reste encore un orage de neige sur leur cadavre; et s'ils hésitent au bord du précipice, où il les a conduits, d'un coup violent entre les deux épaules, il en hâte la chute. Il ne pleure pas sur eux; parfois, au contraire, il les bafoue. Sa tristesse est sans douceur; elle aime le sarcasme. Il est dur; il a l'air cruel; il semble jouir de la catastrophe, tant il se soucie peu de l'amortir. Ses traits tiennent de l'acier; il coupe et il tranche dans la vie et dans les passions comme dans une matière morte. Et les gouttes de sang, cette rosée fraternelle des larmes, il les tarit aussitôt à la manière du chirurgien, sûr de sa méthode, qui lie les artères et suture la plaie.

Dans son insomnie, l'homme qui aime le plus ses chiens, les hait aboyants. On ne les hait pas pour ce qu'ils sont: il serait trop absurde. Ni les chiens aboyant la nuit, ni la foule des hommes dans la cohue, ne méritent la haine. On ne leur en veut pas de n'être point ce qu'on est soi-même; mais s'ils ne sont pas odieux, ils peuvent être insupportables. Ils ont l'air d'appeler la haine, comme le solitaire se donne l'apparence de la leur vouer.

Ibsen n'a point de méchanceté; mais il n'a pas de bonté davantage. C'est qu'entre lui et les autres, le cœur manque; le pont rompu empêche tout passage entre les deux rives du torrent. L'esprit ne sert de communication aux hommes que pour se mesurer, ou se fuir; au mieux, pour se connaître et passer le temps. Il n'aide point à vivre, l'amour seul y suffit.

La méchanceté d'Ibsen est un préjugé contre lui: on le juge méchant, parce qu'on voudrait qu'il fût bon. Il n'est ni l'un ni l'autre dans son œuvre. Il est froid comme l'intelligence. La froideur est le propre de la pensée; à la longue elle dédaigne même de prendre parti. Elle paraît toujours méchante aux souffreteux de la vie,—car ils réclament des soins. La force fait peur aux faibles.

On ne peut avoir que froideur ou dédain pour les hommes, quand rien de suprême ne commande l'amour. L'amour de Dieu et l'amour humain se portent l'un l'autre. La pitié n'est pas une inclination ordinaire; l'être y met tout ce qu'il a de meilleur,—à ses dépens. Combien d'hommes enfin n'ont eu ni pitié ni tendresse pour les autres, qu'à la condition de sentir sur eux-mêmes la tendresse et la pitié de Dieu?

L'orgueil de l'esprit ne souffre pas de paix bâtarde. Entre ce qui lui semble juste et le contraire, point d'alliance. Pas de charité. L'erreur n'est point un objet de pitié. Comme tant d'autres, Ibsen du moins n'essaie pas de me faire croire qu'il me dépouille pour mon bien, et que j'en sois plus riche.

La volonté pure, c'est la morale, jusqu'à un certain point; mais c'est encore plus la loi de fer qui destine les uns à ne rien valoir et à en être châtiés, les autres à avoir un haut prix, à le connaître, et à frapper ceux qui ne l'ont point. Quel que soit, d'ailleurs, l'étalon de mesure. C'est peu que ma force fasse mon droit, elle en fait l'excellence.

La volonté pure n'a rien d'humain; elle est cruelle comme le glaive, et sourde comme la mécanique. Qu'en semble à tous ces professeurs de fade humanité, ivres de vin doux et de raisons abstraites?

Que tous les hommes soient purs: ils n'auront plus besoin de vouloir, ni de se faire quelque bien. En attendant, aux plus purs de vouloir pour tous les autres,—à eux de faire régner leur volonté. Leur droit est évident, s'ils le peuvent. Et, s'ils le font, à coups de hache. Cela s'est vu.

La morale sans charité est une espèce de méchanceté irréprochable. De là, que l'homme le plus pur peut paraître le plus méchant.

On délire plus aisément en morale qu'en persécution et en grandeur. La vertu facile est aussi une idée fixe. La morale parfaite est l'ennemie mortelle de la morale.

On fait une confusion, quand on se sert de l'esprit pour ruiner la conscience; et non moindre si l'on s'en sert pour la fortifier. L'intelligence s'attaque aux lois de la morale, comme si c'était un produit de l'esprit. En rien: c'est une nécessité de la nature.

La morale est la face visible de la religion. Ruinez la religion; mais ne vous flattez pas de sauver la morale. Même dans la religion, il n'y a que le tenace, le pressant, l'ardent besoin de vivre. On ne croit pas par raison, mais par nécessité; et d'instinct:—non pour satisfaire à la logique, mais pour vivre. Aristote mourant pouvait seul savoir combien la nature se moque d'Aristote. La foule des hommes court au plus pressé, et commence par où la plupart des philosophes finit.

L'étrange démarche de l'esprit, il est mort quand il triomphe. La morale ne tient pas devant lui; mais dans la morale, il ne renverse pas des lois factices; il va, encore un coup, contre la vie. Quant à moi, j'y consens; mais il ne faut pas feindre qu'on délivre les hommes, quand on les tue. Partout où la vie persiste, la religion remplace la religion, et la morale la morale. Il y a bien lieu de rire et de prendre en pitié cet esprit qui se croit libre: pas plus que le cours des saisons.

Une naïveté sauvage permet seule à ce moi de croire longtemps à l'excellence de son œuvre. Qu'il en juge sur sa victoire: après le combat, il peut voir ce qu'en font les soldats de l'armée, ces partisans d'occasion, tous mercenaires, et les femmes surtout. La plus noble cité est à feu et à sang. Où est le gain si pur que l'on devait faire? L'armée a perdu tout ce qu'elle avait de bon; elle n'a rien acquis de cette excellence, qui devait lui venir de surcroît et nécessairement. Qu'on est honteux, vainqueur, de se voir vaincre dans les autres! Ibsen, une fois, s'est mis en scène avec cette parodie. Il montre la honte d'être vrai et d'avoir cru aux hommes. Le peuple, d'ailleurs, se charge de la leçon. Malheur à celui qui découvre la maladie de tous, et prétend guérir les malades: ils ne veulent pas qu'on les soigne, parce qu'ils ne veulent pas être malades. Le bon médecin ne flatte pas le peuple; et le peuple veut être flatté. Il faut respecter en lui le mensonge, parce qu'il tient à son mensonge, comme la chair à la peau. Et, après tout, il a raison. Car, à quoi pense le docteur Stockmann? A écorcher vif ce peuple?—Il n'a donc pas tort de répugner à ce qu'on l'écorche. Aussi bien, le médecin qui aime trop la vérité, n'aime pas assez son malade. Prétend-il, lui seul, à créer une cité pure? A faire un monde où tous les hommes soient vrais? intelligents? sans péché? où toutes les eaux seront de cristal? où enfin il n'y ait pas un malade?—Ce rêve est bien vain: dans le monde qu'il suppose, il n'y a pas place à la mort. Dès lors, à quoi bon le médecin?

Ibsen n'a point gardé à l'intelligence le haut rang qu'il l'invitait à prendre. Comme beaucoup de très vieux sages, il semble conclure à la loi du bon plaisir. Que chacun le prenne où il veut; c'est déjà beaucoup qu'il le puisse. Il n'est que d'asseoir sa vie dans la volupté, depuis la plus basse jusqu'à la cime du grand amour. Le parti d'aimer est le plus sûr. Il le dit, cet Ibsen autrefois si glacé, si rigide; et nul épicurien ne fut jamais plus triste, que ce sceptique au désespoir, couronné de neige et d'asphodèles funéraires. L'aveu lui en vient aux lèvres,—une espèce de regret de n'avoir pas lui-même suivi cette règle[25]: combien il est admirable qu'au moment même où il l'exprime, dans un soupir, il fasse entendre qu'à n'en pas douter, il ne l'eût jamais pu vouloir?—Incurable vieux homme, du vieux temps, et noble jusqu'aux moelles: son âme religieuse habite le temple désert.

[25] Cf. Quand nous nous réveillerons d'entre les morts.

Solness invoque le Tout-Puissant, dans sa détresse. Je puis bien ne croire à rien, mais non pas faire que je me passe de croire. La force religieuse d'un esprit marque son envergure. La religion est l'étendue de l'âme, et comme elle, s'espace dans ce sombre univers. Plus la religion s'éloigne de nous, plus il nous appartient d'en sentir le manque et d'en souffrir. La vie éternelle est la grande maladie dont nous ne pouvons guérir. Pour la foule des hommes, la religion est tout ce que les âmes bornées et les esprits vulgaires ont d'espace et de vue. Je plains ceux pour qui il n'y a pas de mystère: ils n'ont de mystère pour personne; et aussi peu de vie, à proportion. Que pèse, ici, un peu plus d'intelligence, ou un peu moins? Une sotte vanité, et l'ignorance du fond ont donné seules quelque prix à ce qui en a si peu pour vivre.

Le moi est le profond pessimiste: car il est le seul.

Le plus malheureux est le plus seul, si grand soit-il, ou se vante-t-il d'être. Et celui-là veut vivre; il s'y attache d'une étreinte désespérée, d'une ardeur si violente, qu'après tout elle est basse: il est tout ventre, et tout affamé pour cette nourriture unique et sans pareille.

Plus l'homme est heureux, plus il lui est facile de mourir. Heureux et confiant, cet homme est un enfant qui joue: il ne croit pas à sa mort; il ne la pense même pas. Il ne croit qu'à l'instant; et tout instant est vie. Étrange ironie que plus on ait de bonheur, et moins l'on se sente.

L'homme tout en soi, jusque dans l'excès de la joie, médite continuellement la mort. Ainsi il ne peut la souffrir. L'ombre seule, le soupçon, le nom lui en est horrible. La lumière du jour en est obscurcie; le soleil en est éteint à midi. La pensée cruelle frappe soudain au cœur, besaiguë affilée qui, après avoir tranché dans le vif de l'espérance, transperce le sentiment même de la possession.

L'homme de foi joue au soleil, dans la pleine nuit. Je ne sais point ce qu'elle est, ni où elle se fonde, cette religion: mais certes elle est une bonne lumière pour une foule d'hommes. Elle ôte toute créance à la mort. Je juge de la foi là-dessus. Elle rassure l'agonie, comme une mère apaise la nausée d'un enfant qu'elle purge. Voilà ce que j'en suppose. J'ai lu ce texte dans les yeux de quelques hommes. Comment n'admirer pas la main qui l'a écrit?


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