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Trois hommes: Pascal, Ibsen, Dostoïevski

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IX

LE MOI EST LE HÉROS QUI DÉSESPÈRE

O la dure passion, celle d'être! Chaque heure du jour la renouvelle. Tout est beau; tout est sans prix; et tout fuit. L'amour n'est-il pas beaucoup plus impitoyable que la haine?—L'amour me fait sentir à tout instant la valeur et l'étendue de ma perte. Le bonheur des saints est celui-ci: ils possèdent davantage à mesure qu'ils perdent. Tout ce qui leur est pris d'instant en instant, leur fait un étrange avancement d'hoirie. J'entends la gaieté des saints. Pour tel que va le commun des hommes, les optimistes jouissent le moins de la vie, il me semble; ils ignorent les délices tremblantes de la possession très précaire, qui la font goûter cent fois dans le cœur et dans la pensée comme par le fait de la chair même.

O de toutes les passions la plus dure,—celle d'être! Plus tu aimes la vie, et plus tu désespères de vivre. Car, tu en sais bien la fin: ici un souffle; et la lumière est éteinte. Et que cette divine illumination brille sous le ciel sans moi?—Quel abîme de désespoir m'ouvrent mes seules ténèbres!

Les sages sont sans doute les médiocres, selon l'opinion des anciens. Et les médiocres sont les indifférents. Mais les plus tristes aiment le plus la vie. Ils sont l'âme du sablier qui s'écoule. La profonde amertume est déjà sur la langue des hommes, qui ont baigné de tout leur être dans la lumière du soleil, qui l'ont aspirée par tous les pores, comme un fleuve de miel. Ce n'est pas à cause que mon père a mangé du fruit vert, que j'ai la bouche agacée du goût aigre; mais parce qu'il a trop aimé le miel, et que mes lèvres en sont barbouillées: elles l'ont été dès les siennes. Chaque jour, cette onction délicieuse s'épuise; et plus je la dévore, plus j'en suis avide; et ma gorge se fait très amère.

Ibsen est le type de la grande amertume. C'est le goût propre de la vérité. Et son propre mouvement, c'est qu'elle dévaste.

Qui peut nier l'importance souveraine de Dieu pour la vie de l'homme?—Je laisse de côté la conduite; car, si la peur n'a point créé les dieux, la crainte suffit à créer les lois. En politique, les plus forts s'arrangent toujours pour être les plus justes; ou pour le paraître, ou pour forcer les plus faibles à le croire, s'ils ne le sont pas. Mais bien plus que la cité, c'est le bonheur de l'homme qui est en jeu. Il est étonnant que si peu de gens s'en doutent. Comme le sang coule dans les veines, l'attrait du bonheur se répand, dès l'origine, dans l'âme vivante. Toute la vie gravite vers le bonheur. C'est la première loi. Rien n'est calculable que selon elle. Je ne pense point qu'une orbite y satisfasse, sinon celle de la foi, et si l'on veut, de l'ignorance. Je ris d'une sagesse qui détruit le bonheur. Athènes n'a pas si mal fait de donner la ciguë au trop sage Socrate. Je ne vois point de bonheur qui ne justifie toute ignorance. Si pauvre soit-il, et si épaisse qu'on la voudra. Ibsen en est plein d'atroces exemples: jusqu'à la fin, il montre qu'un même coup de vent emporte l'ignorance et les semblants du bonheur. Il ne jouit pas de son œuvre; il en pèse les ruines. «Écoutez-moi bien,» dit Solness. «Tout ce que j'ai réussi à faire, à bâtir, à créer, à rendre beau, solide, et noble cependant,—tout cela, j'ai dû l'acheter, le payer, non pas avec de l'argent, mais avec du bonheur humain. Et non pas même avec mon propre bonheur, mais avec le bonheur d'autrui.»

Il faut croire, et ne pas le savoir. Ou, il faut ne croire à rien, mais ne pas s'en douter.

On nous parle sans cesse des anciens, qui, dit-on, n'avaient pas besoin de Dieu pour vivre. En effet, il leur en fallait cent, et plutôt que de n'en pas avoir un, ils s'en donnaient mille. Qu'importe l'opinion de deux ou trois philosophes? Ils n'ont jamais compté pour rien. La philosophie n'est jamais qu'un dialogue des morts. Il faut des dieux aux vivants. Sauf quelques maîtres de danse qui inventent l'histoire pour s'en faire des arguments, tout le monde sait que la cité antique est née du culte. La religion est mêlée à tous les actes de la vie publique. Le peuple y est plus dévot qu'il ne l'a jamais été depuis. La cité antique est fondée sur l'autel des dieux. Toute la différence est que ces dieux ne commandent point la vertu ni le scrupule par leur exemple; mais les lois y ont toujours suppléé, et fort durement. La manie de confondre la religion dans la morale n'est pas le fait d'un esprit bien libre. Que toutes deux se soutiennent, il est vrai; mais inégalement. L'une se passe fort bien de l'autre,—qui est la religion. La morale ne lui rendra pas la pareille: elle ne peut. C'est à la vie même que se lie la religion; elle procède de l'instinct le plus radical dans l'homme, le désir de vivre. La morale n'est, toute seule, qu'une règle générale de convenance: il s'agit d'accorder les actes et les appétits de chaque homme à ce qu'exige le puissant instinct commun à tous. C'est pourquoi la morale varie; et la religion ne s'en soucie guère: elle ne s'inquiète pas de ces variations; car le fond de l'homme demeure le même.

Il n'est pas un de ceux qui invoquent les anciens, qui pût souffrir, un seul jour, la vie antique. Gœthe était plus prudent: il voulait que l'on accordât l'ancien plaisir de vivre et la souffrance nouvelle. Et enfin, ces temps sont fabuleux. Quoi encore? Les grandes âmes, dans l'antiquité, étaient tristes aussi.


L'ironie n'est pas médiocre de voir les grands esprits rejeter la religion, sans pouvoir se défaire de la morale. Ibsen est admirable dans cette entreprise. On lui croirait des remords. Je sais bien ce que c'est: sur les ruines, c'est le cri de la vie.

La morale est le journal de la religion. On brûle tous ses livres, et on ne peut se passer de lire le journal. Ibsen se rend peu à peu entièrement libre de Dieu, du culte et de toute église. Il ne se délivre pas de soi. Il essaie en vain de dépouiller la morale. Pas un homme un peu profond ne ferait mieux que lui: nous nous regardons trop faire. Quand nous invoquons le plus la vie, et que nous portons plus avidement la main sur elle, c'est qu'elle nous échappe. De quoi s'affranchit-on?—De la vie, et non de ce qui la gêne. On ne dépouille pas même l'instinct de vivre: on ne rejette que le goût qui y attache. Et l'on ne peut se délivrer de la conscience. C'est le contraire qu'il faudrait faire, si l'on était sage; mais c'est ce qui n'est pas possible. La sagesse ne manque pas tant que les moyens.

Pour être libres, et par une pente fatale, nous détruisons tout ce qui n'est pas le moi: c'est en vain. Bientôt, en dépit de tous les efforts, le moi rétablit ce qu'il a voulu détruire. Mais la joie a payé les frais de la guerre.

Quiconque arrive à la connaissance de cette détestable contradiction, se désespère: il s'est découvert une incurable maladie. Et ceux qui ne la découvrent pas, font pitié à penser: ce sont des infirmes qui proposent leurs béquilles et leur paralysie en panacée non seulement aux malades, mais aux gens bien portants.

L'esprit n'exige aucunement le bonheur de l'homme, ni la vie. Voilà ce qu'on ne peut trop redire. Cet impassible ennemi tend à tout le contraire. Comme s'il devait tant s'agir de l'esprit, quand il s'agit d'abord de vivre?


Ibsen se replie sur soi-même, comme la forêt que courbe un éternel orage, et le vent la fait moins ployer qu'il ne la violente. Ainsi nous tous, qui sommes sans espoir, nous vivons en Norwège. C'est un climat de l'âme; et il règne aussi en Angleterre, quelquefois, et parfois aussi en Bretagne. On peut quitter un pays, et se porter dans un autre; on laisse l'océan derrière soi. Peut-être même, l'amour aidant ou, s'il en est, une autre occasion divine de fortune,—l'âme connaît-elle diverses saisons. Mais le climat de la pensée, une fois établi, ne varie guère; l'intelligence le fixe une fois pour toutes; et le siècle nous y retient avec une inflexible rigueur. On ne s'échappe pas; ni on n'échappe au monde, ce qui est pis. Que ce monde-ci croie à la joie, et qu'il la goûte, ou qu'il ait l'air d'y croire, il fait comme s'il y croyait. De là vient la loi sans pitié que la foule des hommes fait peser sur l'homme sans espérance. Il n'est pas aimé, ni même haï, si l'on veut: il est mis à l'écart. Il a voulu l'être; ou plutôt il y a été forcé, en vertu de sa nature, à raison de ce qu'il est et de ce que sont les autres. Mais combien ils se sont tous compris, à demi mot, sans se concerter, pour rompre tous les ponts entre les deux rives. Voilà notre Norwège et le climat social de ceux qui, privés de Dieu, ne se peuvent passer de Dieu; à qui la vie ne rend presque rien de l'immense trésor qu'ils y placèrent, et qu'ils y ont perdu.

Il n'est pas si facile que les rhéteurs et les médiocres le prétendent, de se faire un Dieu du genre humain. Le corroyeur de Paphlagonie a beau se frapper sur la cuisse, le dieu dont il est membre, et l'une des plus fortes bouches, ce dieu n'est pas de ceux qu'on accepte les yeux fermés, ni à qui l'on se livre: car adorer, c'est se livrer. Mais au contraire, ceux qui ont été si puissants que de se soustraire à toute contrainte, et de tout immoler, même le bonheur, à la passion d'être libres, ceux-là, qui ont repoussé le meilleur maître et le plus beau de tous, ne sont pas près de se livrer à la première puissance venue. Eût-elle nom «Humanité», elle n'est pas si belle que son nom; et comme il faut toujours que des hommes vivants fassent un corps aux abstractions, pour qu'elles aient l'air de vivre, celle-ci leur emprunte une laideur par trop insolente, même dans une idole.

Que reste-t-il en cette extrémité?—Une douleur passionnée d'avoir vécu, que le désespoir de mourir rend manifeste; et le regret sans fin de l'unique bonheur: c'est le regret du grand amour; et, ne l'ayant pas reçu, le remords de ne s'être pas entièrement donné soi-même. Car à moins de l'éternelle vie, cette vie ne nous est rien que la somme de tout ce que nous pouvons perdre.

Dans les honneurs qu'on lui a rendus, Ibsen m'a paru le plus dédaigneux des vieillards. Au banquet que lui offrirent les femmes libres, il fit en deux mots l'éloge de la famille. Ayant dîné avec eux, il dit aux révolutionnaires qu'il allait finir la soirée chez le roi; et aux courtisans il annonça, du ton discret ordinaire à son exquise politesse, qu'il irait souper chez les anarchistes. Ce grand homme ne croit plus guère aux idées. L'artiste seul demeure. Il est fidèle, par tempérament, à la fiction d'une vie libre et pure. Avant tout, sa fibre est morale: c'est elle qui fait le lien entre les contradictions. Il a la conscience forte, comme il a de gros os.

Je suis d'un œil avide son déclin furieux. Une immense amertume se fait jour dans son indulgence et son mépris. Il ne pense qu'à soi; il ne vit que pour soi; et sans doute avec horreur. Les outrages de la fin, les atteintes de la vieillesse et de la mort, il se roidit là contre, comme on se défend d'une irréparable injure. Il fait le brave. Dans ses maux, il lève la tête, et je crois l'entendre faire son Oraison du mauvais usage des maladies.


Je m'irrite, parce que je suis seul; et qu'il ne me reste rien.

Je n'avais que la vie. Je la méprisais comme un néant. Et pourtant, elle seule était solide; elle est encore tout ce que je tiens, et qui déjà m'échappe. Ainsi, je suis enchaîné tout entier à ce qui n'est presque point. Précieuse et misérable vie; fortune qu'il faut perdre, et qu'on ne retrouve pas; nulle et réelle toutefois, en ce qu'elle est la seule où l'homme puisse atteindre, dès l'instant qu'il ne peut plus sortir de lui.

Elle ôtée, je perds tout: et je me le dis sans cesse. Et le cours du soleil, l'ombre qui me suit, sans cesse le répète. Le vieillard est celui qui fait les comptes de sa perte et qui ne peut s'en détacher, chaque heure effaçant un nombre à la colonne des chiffres: à l'avoir de mon bien, plus qu'une page; plus qu'une demie; plus que trois lignes; plus... Qui me consolera dans l'ignoble extrémité de ne plus être? Sont-ce les hommes? Mais ils continueront bien d'être sans moi. Il faudrait que je crusse infiniment à moi-même, pour un peu croire à vous. Mon éternité seule pourrait être le gage de la vôtre.

Vos bons offices ne m'aideront pas à mourir. La sainteté ne dépend pas de vous. Il est trop tard. Je vous en veux de ce que vous n'avez pas fait, d'abord, en voyant ce que depuis vous vous mêlez de faire. Vous m'aiderez bien à mourir?—C'est à vivre qu'il fallait m'aider: j'y aurais pu garder foi; vous l'avez ruinée de bonne heure, au contraire. Je n'ai rien dû qu'à moi seul. Et s'il n'avait tenu qu'à vous... Désormais je suis pour moi-même ce qu'autrefois vous fûtes; et ce que j'étais alors pour moi, vous l'êtes en vain: je n'y crois plus.

Je vous le dis amèrement: vous ne m'avez pas connu.

La force de l'homme qui ne s'emploie ni dans la politique, ni dans les journaux, ni dans les affaires, ni dans les armes est ce que l'on connaît le moins. Il n'est médecin ou savant ingénieur qui ne se croie bien plus utile qu'un saint ou qu'un grand poète,—et, après tout, qui ne le soit. Je n'y contredis plus. Mais quand les gens d'affaires, le soir, se mettent au lit, ils se couchent assurés d'avoir donné un effort incomparable, ayant usé du jour à leur profit, et à celui des autres hommes par surcroît. C'est en quoi ils se trompent. Pour le prix et l'utilité, il va sans dire que le labeur de ces hommes affairés vaut son poids d'or; et chaque médecin, chaque journaliste est un digne Titus qui, sur le tard de la nuit, peut se rendre le témoignage de l'empereur romain. Mais pour la force et la valeur qui bat au cœur d'un homme, un saint dans sa cellule, et le grand poète devant son écritoire, ne souffrent pas qu'on les compare à personne; et pourtant, ni le premier ne se vante, ni le second n'est sûr de rien. Ils disent comme moi: «Je suis ma propre ombre... Ma conscience inquiète me torture. J'ai vu, soudain, que tout, vocation, travail d'artiste, et le reste, ce ne sont que des choses creuses, vides, insignifiantes, au fond.»

Il vous est trop facile aujourd'hui de m'entourer, après m'avoir condamné à la fuite. Qu'ai-je à faire de vos louanges? Ce n'est même pas un semblant d'amour: car on n'aime en vérité que ceux qui souffrent; vous m'avez laissé souffrir solitairement.


Que suis-je pour vous? Rien de plus qu'un nom, une façon de statue. Vous me montrez aux étrangers, je le sais. Vous me couronnez comme un mort: c'est les tombes que l'on fleurit. Je vous saurai gré de l'admiration, quand la pierre du sépulcre sera chaude de vos lauriers. Mais qui aime les tombes? On se glorifie d'elles, qui ne nous sont rien. En moi, vous ne vantez que vous. Je n'ai jamais pensé à vous vanter en moi.

C'est l'amour qu'il me fallait, et quand je pouvais le rendre, aussi vif, aussi chaud que je l'ai senti: jeune et fort, comme j'étais, et comme il me semble si indigne de ne plus être. Alors, j'eusse vécu; et tout eût été changé. Oh! combien je vous reproche la vie que j'ai tant de fois découverte, et que je n'ai pas possédée! Ce soir, je regarde derrière moi; je pense avoir fait le rêve de vivre, comme le pauvre, mourant d'inanition, songe dans son dernier sommeil qu'il s'assied au haut bout de la table, pour un festin royal.

Vous protestez en vain de vos sentiments pour moi. Il est trop tard, vous dis-je. Il est trop tard; et peut-être, pour tout.

Il est trop tard pour me plaire au succès. Nous ne parlons plus la même langue. La jeunesse est passée. Je ne sais plus me vendre. La monnaie du bonheur n'a plus cours dans ma maison. Qu'en ferais-je? La douceur de vivre, la joie des passions au soleil, l'ivresse de croire et de gravir la montagne, quand on ne pense même pas jamais descendre, voilà les biens que vous ne pouvez pas me donner. Pourtant vous avez su me les prendre. Tous vos trésors prodigués ne me les rendraient pas. La fortune et la gloire, comme vous dites, ne sont que la rançon d'un prisonnier, que vous avez fait mourir dans sa prison, avant de le délivrer. Je suis maintenant captif de la mort. Perdu dans ce terrible infini du vide, où l'homme ne tombe peut-être au précipice que poussé par la désolation, ou pour avoir glissé sur l'arête d'une route glacée,—je roule maintenant sur la dernière pente.

Laissez donc. Je vous dis merci; je prends vos offrandes; et votre applaudissement fait un bruit agréable à mes oreilles. Mais ne comptez pas sur une plus ample reconnaissance. Je ne vous aime pas. Vous ne m'avez pas assez donné, quand il était temps.


Je suis le type du meilleur homme, et du pire: celui qui ne peut plus vivre et qui vit cependant. L'horreur de chaque vertu m'est présente, et le bien dans chaque crime. Tout est condamné par l'homme, qui ne juge qu'en homme. Je suis celui qui sais vouloir et qui déteste sa volonté.

Je ne me plains pas: car de quoi serait-ce? Je devais être ce que je suis. Et vous deviez être ce que vous êtes. Il fallait que je finisse dans l'amertume de vos honneurs, comme je devais vivre dans la solitude. Il fallait que vous en fussiez coupables envers moi; mais je l'ai été contre vous, de n'être pas ce que vous êtes. Je sais aussi ce crime. Parfois, je m'en absous.

Le seul qui soit mon égal en Europe se meurt, comme je fais, malade aussi et au même âge: mais heureux, celui-là, jusque dans la dernière angoisse. Voilà en quoi il me domine: il a le bonheur: il n'est que de croire à la vie, pour croire à soi-même. Sa foi lui vient de vous, hommes. A moi, vous l'avez refusée. Je suis plus intelligent que lui: je le comprends et il ne me comprend pas. Mais c'est peu de l'intelligence.

Je vais me taire. Je vous ai habitués à beaucoup de silence. Je n'ai pas ouvert bureau public de conseils, d'oracles ni d'avis. Je me suis détourné de toute votre politique. Ma bouche est pleine d'ennui parce que je vous parle. L'atroce sentiment de ne point avoir en vous de semblables, était sans doute en moi de tout temps; mais combien vous l'avez fait grandir! La foi vient de vous seuls, ô hommes; et de vous seuls, la vie. Ainsi ma grande mort vous accuse. Car je suis grand. Mais si j'ai la grandeur, depuis longtemps, je sais, moi, que j'ai la mort égale. Et c'est de quoi je me désespère; rien de plus ne m'est laissé.

Qu'importe le dernier été, et les froides illuminations de la gloire? Qu'importe toute victoire? Où il n'y a qu'un homme et que la vie, il n'y a rien; la mort coupe au plus court. Seule elle est là, l'inévitable torture. Tous les biens du monde, en vain, chargeraient ma tête: j'en serais écrasé davantage. C'est en vain que l'on me ferait les plus riches promesses: possesseur de l'univers entier, il me manquerait l'espérance du seul bien désirable: je suis dépossédé de ce qui dure. Je triomphe et je désespère. Je me possède; je vous possède; et je n'ai rien.

1901


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