Un nid dans les ruines
VII
On dira peut-être que le jeune Rupert sautait à pieds joints par-dessus les formalités. Ces choses-là réussissent quelquefois. Dans l’occasion, je n’eus pas le courage de dire à celui qui donnait à ma fille une telle preuve d’amour : « Je ne sais pas encore si je serai votre mère ou non ; il faut le temps de réfléchir. » Avait-il réfléchi ? Lui, qui refusait de « s’enfariner » en épousant Mina Kardaun, avait-il seulement hésité en apprenant qu’il y avait plus que de la farine sur le passé du beau-père qu’il allait avoir ?…
Le lendemain j’étais avec Flatmark chez le Roi. L’étiquette, aussi bien que mes sentiments personnels, nous obligeaient à demander sa permission. Ce ne fut pas une permission qui sortit des lèvres du cher souverain : ce fut une exclamation de joie. Quand je restai seule avec l’auguste vieillard, il me dit :
— J’aime mieux votre fille pour ce brave garçon, que l’héritière de Kardaun, toute jolie qu’elle est.
— Avec l’agrément de Votre Majesté, ma fille n’est pas laide, répondis-je en faisant une révérence.
— Ma chère filleule, je vous crois sur parole, en attendant que j’en puisse juger de visu. Mais le millionnaire ne va-t-il pas vous arracher les yeux ?
— Pas les yeux, Sire ; mais autre chose. Il me laisse ma maison pour compte, ce qui réduit le jeune ménage à la portion congrue. Ceci, d’ailleurs, n’est un désappointement que pour moi seule ; j’avais tenu secrets mes espoirs de fortune au jeune Flatmark.
— Bon ! fit le Roi. Je ne les laisserai pas tout à fait mourir de faim.
— Moi non plus, Sire, avec l’aide de Dieu. Je vais redevenir Frau Tiesendorf et continuer mon petit commerce. Pour jamais, cette fois, je dis adieu au monde et à la Cour. Nunc dimittis, comme chanterait la comtesse Bertha.
— Ma chère enfant, je ferai bientôt comme vous. J’ai accompli mon temps sur la terre. Tous deux nous avons vu crouler nos espoirs. Mais, dans les ruines des vôtres, voilà que de chers oiseaux vont faire leur nid. Je vous laisse heureuse du bonheur de vos enfants : ce sera, au moment du départ, un souci de moins.
J’eus quelque peine à obtenir que Flatmark attendît jusqu’au lendemain pour courir à Obersee. Nous fîmes la route ensemble et j’eus, dans cette vieille demeure perdue au milieu des montagnes, l’heure la plus douce de ma vie en contemplant la joie d’Élisabeth. La comtesse Bertha semblait, elle aussi, marcher sur les nuées, avec la conviction que tout ce bonheur était son œuvre. Elle était redevenue jeune. Laquelle des deux, d’elle ou de sa petite-nièce, était la plus sentimentale, je n’oserais prendre sur moi de le juger. Nul ne peut dire ce qui fût advenu si le général avait été là, pour profiter de ce regain de jeunesse.
Il fallut bientôt fermer ce paradis, provisoirement. Je partis, emmenant Rupert dont le congé ne devait venir qu’un peu plus tard. Quant à moi, j’avais à m’occuper d’affaires sérieuses. Tout d’abord il fallait de nouveau courir après la clientèle que j’avais congédiée un peu trop vite ; puis il fallait rembourser Kardaun : un créancier de cette espèce était trop gênant pour le garder une heure de plus qu’il n’était possible. Enfin il fallait tout préparer pour le mariage. La tante Bertha voulait qu’on le célébrât à Obersee et, pour mille raisons, l’arrangement était fort de mon goût.
Donc je me démenais de mon mieux parmi toutes ces affaires, quand la moins prévue des catastrophes éclata comme un coup de foudre. Élisabeth me signifia un beau matin son intention de prendre l’habit des religieuses qui l’avaient élevée. Elle me priait de permettre qu’elle se rendît sur l’heure au couvent. « Si vous m’aimez, pas un mot à Rupert ! » demandait sa dernière ligne.
Je partis au plus vite pour Obersee, laissant tout en plan, et, comme on peut croire, me creusant la tête afin d’imaginer la cause de cette belle vocation. Il va sans dire que je soupçonnais Kardaun. Entre parenthèses, il avait disparu avec Mina, ce qui m’avait fort réjouie, et Rupert non moins. Nul doute qu’il n’eût organisé, avant de partir, quelque manigance en train de produire son résultat. Le plus irréprochable des hussards est toujours sujet à caution. Flatmark avait-il sur la conscience une peccadille pardonnable pour tout le monde, impardonnable aux yeux d’une amoureuse de dix-sept ans, exaltée, mystique, dont l’âme pure comme la neige ne pouvait comprendre les plus légères taches ? Kardaun avait-il pu commettre l’indignité d’une dénonciation ? Il savait tant de choses, ce diable d’homme !…
Tout à coup je me sentis frémir à l’idée qui me traversait l’esprit. Ce misérable avait sans doute mon secret. L’histoire du marquis de Noircombe, cette histoire que je m’efforçais de croire déjà si vieille ! — était connue de Kardaun. Il avait osé, dans sa rage impitoyable, s’en servir pour briser le cœur d’une innocente. Élisabeth, mise au courant, ne se trouvait plus digne de Rupert !…
J’étais si convaincue d’avoir deviné juste que je ne cherchai pas plus longtemps la cause du sinistre. Dieu merci ! j’allais pouvoir dire à ma fille :
« Rupert sait tout. Il n’a pas hésité une seconde ! Sois fière d’être aimée ainsi ! »
Tout cela était fort bien, ou plutôt c’était fort mal, car j’accusais le pauvre Mathieu d’une infamie, sans en avoir aucune preuve. Je demande ici pardon à ce brave homme d’un jugement aussi téméraire. Cependant, comme on verra, il n’était pas sans reproches. Que l’amour paternel soit son excuse ! En vérité, il le poussa trop loin.
Je tombai à l’improviste au château d’Obersee. Non seulement la chanoinesse ne m’attendait pas, mais encore elle ignorait la soudaine vocation d’Élisabeth.
— C’est donc pour cela qu’elle passe son temps à l’église depuis avant-hier, me dit-elle. Ah ! ma nièce, voilà ce qu’on gagne à mettre les filles au couvent ! Tel un repas mal digéré, tout ce mysticisme dont l’enfant a été nourrie lui remonte au cœur. Mais cela passera ; c’est une lubie. Et puis elle adore son Rupert !
Ma future nonne, que j’allai trouver en quittant la sage Bertha, m’accueillit avec une sorte de tendresse exaltée mais latente, que je ne lui avais jamais vue. On devinait en elle un détachement voulu des choses d’ici-bas. Je me gardai bien de prendre au sérieux sa détermination dont je me moquai, tout au contraire, sans ménagement.
— J’aime à croire, lui demandai-je, que tu t’es mise d’accord avec ton fiancé.
— Il ne sait rien encore, me répondit-elle, avec un regard en haut, à la Sainte-Thérèse. Je compte sur vous, ma chère maman, pour lui faire entendre que je m’étais trompée, qu’il doit renoncer à moi.
— C’est-à-dire pour lui déclarer que tu ne l’aimes pas, que tu as menti en prétendant l’aimer ?
— Je n’ai pas menti : je l’aime ! C’est à Dieu seul que je pouvais le sacrifier.
— Tu n’en as pas le droit ! Tu t’es promise !
A cette affirmation, Élisabeth répondit en citant je ne sais plus combien de saintes qui, après s’être fiancées, voire même mariées, avaient changé d’avis au moment le plus délicat, et s’étaient consacrées au Seigneur.
De plus en plus j’inclinais à voir, dans cette affaire, la détresse d’une malheureuse instruite de l’histoire honteuse de son père. Je lui fis cette question, pour l’amener à se découvrir :
— Tu as probablement des raisons pour supposer que Rupert ne ferait pas d’opposition ?
— Hélas ! fit-elle, je suis certaine du contraire. Il sera très malheureux au premier abord. Mais Dieu prendra soin de le consoler.
Comme on voit ma fille avait réponse à tout. Il ne semblait pas, d’ailleurs, qu’elle sût rien du secret dérobé jusqu’à ce jour à sa connaissance. Pendant une heure je la retournai de tous les côtés ; mais je n’obtins aucun éclaircissement. Avec une douce obstination elle répétait :
— Laissez-moi partir, maman. Laissez-moi partir, tout de suite !…
— Je ne t’ai parlé que de Rupert, lui dis-je enfin. Et moi ?… Tu ne sens donc aucune tendresse pour ta mère ?
Elle fondit en larmes.
— Oh ! maman !… maman !… je vous aime plus que tout au monde, plus que Rupert !… Un jour, vous saurez que je vous aime plus que Rupert !…
Tout cela devenait assez mystérieux, il faut en convenir. Je commençais à y perdre mon latin, et surtout je commençais à croire que j’allais perdre ma fille. Obtenir un sage conseil de la tante, il ne fallait pas y songer. Avertir Rupert, c’était me mettre un autre fou sur les bras. Une inspiration me vint :
— Écoute-moi, dis-je à Élisabeth. Je vais me rendre seule au couvent ce soir même ; nous n’en sommes qu’à deux heures. Je verrai l’abbesse. Il est convenable que je la prévienne. Demain, je serai de retour ici.
L’abbesse en question était une femme de haute naissance, de valeur sérieuse, et qui avait connu le monde avant sa profession. Elle prêta une oreille attentive à mon long récit, puis elle me demanda :
— Vous avez confiance en moi ?
— La plus entière, lui répondis-je.
— Eh bien ! amenez-moi votre chère Élisabeth. Je suis un peu sa mère ; elle a vécu près de moi pendant bien des années. Ce que votre fille ne veut pas vous dire, il faudra bien qu’elle me le dise. Aucune postulante n’entre ici sans que je sache pourquoi elle y entre, et sans que j’approuve ce pourquoi. Il faudrait des causes bien graves pour que je consentisse à recevoir une fiancée dans mon ordre. Bon courage ! Vous serez tenue au courant de tout.
Le lendemain soir, Élisabeth couchait au couvent, et la probation commençait pour elle.
— J’avais si peur d’une grande résistance de votre part ! me dit-elle en m’embrassant. Le plus dur est fait, à cette heure.
— Pour toi, peut-être ; pas pour moi. Tu oublies que j’ai la mission de parler à Rupert. Que lui dirai-je ?
— Que nous nous retrouverons au Ciel !
— A moins qu’il ne s’égare en route, ne t’ayant pas pour le conduire.
— Il en aura une autre… peut-être !
— Lui dirai-je cela, de ta part ?
— Oh ! non ! fit la postulante, avec une vivacité qui eût inspiré quelques doutes sur sa vocation à la maîtresse des novices.
Nous nous quittâmes là-dessus. Malgré mon ferme espoir qu’Élisabeth de Noircombe et Rupert de Flatmark se retrouveraient avant le jugement dernier, j’avais le cœur étrangement lourd en laissant ce que j’aimais le mieux au monde derrière ces grilles.
Peu s’en fallut qu’un certain hussard ne m’arrachât les yeux quand je lui contai, le lendemain, ce que je venais de faire. Mais il comprit qu’il avait besoin de moi, et qu’en somme nous étions deux alliés combattant un mauvais génie inconnu, qu’il fallait démasquer. Rupert ne douta pas un instant que ce mauvais génie ne fût Kardaun. Heureusement le millionnaire avait pris le large, sans quoi nous en aurions vu de belles. Pauvre Mathieu ! S’il eût écouté le quart des menaces que j’entendis proférer contre lui, ses cheveux grisonnants auraient pris la couleur de la neige. Il ne fut pas trop malaisé d’obtenir un sursis pour le massacre du vieillard ; mais ce ne fut pas sans peine que j’empêchai le bouillant Rupert de monter à l’assaut du couvent.
— Je ne suis pas comme vous, criait-il. Votre abbesse ne m’inspire aucune confiance. Elle tient Élisabeth dans ses griffes : elle ne lâchera jamais sa proie ! Comment avez-vous pu lui livrer votre fille ? Vous n’en aviez pas le droit ; ma fiancée m’appartient !…
Pendant une heure, ce furent des reproches, des imprécations, des gémissements. Tantôt ce jeune désespéré voulait aller trouver le Roi, ce que je me blâmais presque de n’avoir pas fait déjà. Tantôt c’était un enlèvement qu’il méditait, avec l’aide de quelques camarades. Juste au moment où je combattais ce procédé romanesque, vestige d’une époque disparue, la péripétie plus moderne d’une dépêche télégraphique nous interrompit. J’essayai un mensonge — comme il faut mentir souvent dans la vie, si honnête qu’on soit ! — et je prétendis qu’une famille anglaise retenait des chambres dans ma pension.
— Est-ce bien sûr ? me dit le jeune tyran. J’ai vu vos yeux briller. D’ailleurs j’ai pu lire l’adresse : Baronne de Tiesendorf, et non pas Frau Tiesendorf. Il y a quelque chose ! Pourquoi me tromper ?
— Il n’y a rien du tout, répondis-je. Mais laissez-moi une heure ou deux. Vous reviendrez quand j’aurai fait poser des rideaux frais et donné des serviettes. Ce n’est pas la besogne d’un cornette de hussards.
— A d’autres ! Vous allez partir, et vous désirez vous débarrasser de moi !…
Certes, je le désirais de tout mon cœur. L’abbesse me mandait près d’elle. Si j’avais attendu vingt-quatre heures à l’hôtellerie du couvent, j’aurais économisé un voyage. Mais je ne songeais pas à me plaindre. Seulement j’aurais voulu ne pas avoir sur le dos cet amoureux difficile à manier.
— Je vous préviens, me dit-il, que je vous garde à vue. Je reste en sentinelle à votre porte. Si vous sortez, je vous suis.
« Dieu bon ! pensai-je. Quel changement dans plusieurs destinées, si le pauvre Otto eût été aussi tenace ! »
Une heure après nous roulions ensemble vers les montagnes où était situé le couvent. J’aurais voulu parler sans témoins à ma vénérable amie ; je dus y renoncer. Rupert me suivait comme un chien. L’abbesse, en le voyant, comprit tout ; je dois même dire qu’elle ne parut point fâchée de sa présence.
— Votre fille, m’apprit-elle en souriant, s’est confessée à moi dès notre première causerie. Je vais trahir sa confidence qui, d’ailleurs, ne sera pas de celles dont une mère peut souffrir. Écoutez cette histoire curieuse. Vous savez mieux que moi qu’il y a une cascade pittoresque dans le parc d’Obersee, et que les touristes, parfois, sont admis à la visiter ?
— Ce n’est pas de règle, madame l’abbesse. Mais le jardinier ne résiste pas toujours à un pourboire, et ma tante, qui est bonne, ferme les yeux.
— Elle aurait mieux fait de les ouvrir, la chère chanoinesse, au moins quand elle avait sous sa garde une étourdie de dix-sept ans.
— C’est bien mon avis, approuvai-je en regardant Rupert qui ne s’aperçut même pas de mon intention ; — il devenait inquiet pour son propre compte.
— Tout récemment, continua l’abbesse, votre fille, faisant sa promenade, vit une étrangère installée au pied de la chute, et absorbée dans son croquis. La dame avait bon air ; Élisabeth s’approcha, en vraie gamine, pour considérer le dessin. L’étrangère le lui montra de fort bonne grâce ; elle était Française, prétendait vous connaître et, de fait, elle était si bien renseignée qu’elle félicita votre fille sur son prochain mariage. Naturellement, l’intimité s’établit aussitôt. Un peu bavarde, la chère petite, pour une future religieuse !
— Bavarde comme une pie ! appuyai-je. Il m’eût été impossible de la garder avec moi, à cause de mes pensionnaires !
L’abbesse approuva d’un signe ; puis elle reprit :
— La dame aussi était bavarde. Mais qui lui a livré vos secrets ? Elle sait tout, même que votre voisin, qui a une fille, voulait en faire la comtesse de Flatmark ; même qu’il était sur le point de vous donner un prix énorme pour votre maison. Furieux de voir votre fille supplanter la sienne, il rompt le marché, vous condamnant ainsi au travail pour le temps qui vous reste à vivre, tandis que vous alliez avoir des rentes. Mais une bonne mère accepte la pauvreté, le travail, l’humiliation, lorsqu’il s’agit du bonheur de son enfant… Voilà, en résumé, ce que la charmante étrangère dit à votre fille. Qui peut être cette intrigante ? En avez-vous l’idée ?
— A n’en pas douter, répondis-je, nous avons affaire à mademoiselle Pélissard, travaillant au bonheur de Mina Kardaun, son élève.
— Il faut un peu l’excuser, en ce cas. Mais il faut surtout vous féliciter d’avoir une fille prête à se sacrifier pour sa mère. Et maintenant je vais donner l’ordre qu’Élisabeth soit amenée ici. Le reste vous regarde. La petite ignore que vous êtes venue. Moi je me retire, mon rôle achevé.
La vénérable religieuse disparut alors, pour être bientôt remplacée par ma chère Élisabeth qui poussa un cri et voulut s’enfuir en voyant Rupert. Sans doute elle craignait de n’être pas ferme jusqu’au bout. Je la retins par sa robe, et lui dis, sans élever la voix :
— Écoute, chérie. Tu resteras dans ce couvent si tu veux. Mais, quoi que tu fasses, que tu prennes le voile, que tu épouses Rupert de Flatmark ou un autre, que tu meures vieille fille, je te jure sur le crucifix de ce parloir que je n’accepterai pas un sou de Mathieu Kardaun. Ainsi Dieu me soit en aide ! Je n’ai plus rien à te dire maintenant.
Rupert, qui n’avait pas fait un geste, intervint à son tour.
— Moi j’ai à dire que si j’étais le dernier homme et Mina Kardaun la dernière femme, je ne l’épouserais pas. Quant à son père, c’est un homme mort si ma bien-aimée petite femme reste ici une heure de plus, foi de Flatmark !
Nous n’y restâmes, tous les trois, guère plus de vingt minutes : le temps de remercier l’abbesse.
Voilà pourquoi Kardaun s’est éteint de sa mort naturelle, dix ou douze ans plus tard, dans un des plus beaux cottages de Newport, en Amérique où il est retourné après avoir enterré sa pauvre femme chez nous. Mina est princesse italienne. J’ignore ce qu’est devenue sa gouvernante, qui crayonnait si bien les cascades, tout en causant avec les jeunes filles trop promptes à lier conversation.
Rupert a pendu son épée au mur, le lendemain de la mort de mon cher vieux Roi. Il vit avec sa femme à Obersee, juste assez riche pour doter tant bien que mal ses deux filles. L’héritage de la tante Bertha valait peu de chose. Mais voilà bientôt vingt ans que ce couple est heureux. Est-ce bien de mes entrailles qu’est sortie cette chose rare, invraisemblable, inconnue de moi — hélas ! — une femme heureuse ?
Et Frau Tiesendorf loue toujours ses chambres, afin qu’après elle, Obersee reprenne un peu sa splendeur d’autrefois. Mais que de peine, que de dépenses pour lutter avec les nouveaux hôtels ! Il a fallu en passer par la lumière électrique et le téléphone. A présent c’est pour un ascenseur qu’on me tourmente. Mais je tiens bon dans mon refus.
Pour monter là où elle espère se reposer bientôt, Frau Tiesendorf n’aura pas besoin d’ascenseur.