Voyage du marchand arabe Sulaymân en Inde et en Chine rédigé en 851: Suivi de remarques par Abû Zayd Hasan (vers 916), traduit de l'arabe avec introduction, glossaire et index par Gabriel Ferrand
LA PERLE
L'Origine de la formation de la perle est une œuvre d'Allah—que Son nom soit béni!—Il a dit Lui-même, Lui le Tout-Puissant et le Grand [dans le Ḳorân, surate XXXVI, verset 36]: «Gloire à celui qui a créé tous [les êtres] par paires, aussi bien ceux qui germent dans la terre que ceux qui ont une âme et ceux que [les hommes] ne connaissent pas.» La perle commence par être de même dimension qu'une graine d'anjudân (thapsia). Elle en a la couleur, la forme, la petitesse, la légèreté, la finesse et la délicatesse. Elle volette péniblement à la surface de l'eau et tombe sur les bords des navires de plongeurs [qui stationnent sur les bancs d'huîtres perlières]. Puis, elle atteint son plein développement avec le temps, grossit et se durcit. Lorsqu'elle est devenue lourde, elle s'attache au fond de la mer où elle se nourrit de ce que Allah seul sait. Elle n'est alors (p. 142) qu'un morceau de viande rouge qui ressemble à la base de la langue et n'a ni os, ni nerf, ni veine. On diffère d'opinion sur la façon dont se forme la perle. Les uns disent que lorsqu'il pleut, le coquillage [bivalve perlier] vient à la surface de la mer et tient la bouche ouverte jusqu'à ce qu'il ait reçu des gouttes de pluie; ces gouttes se transforment en graines. D'autres prétendent que [la perle] naît du coquillage lui-même: c'est l'opinion la plus exacte parce qu'on trouve parfois dans le coquillage, la perle qui se développe comme une plante, adhérant au coquillage. On extrait cette perle adhérente du coquillage et c'est cette sorte de perle que les marchands de la mer appellent «perle d'arrachement». Mais Allah est le plus savant!
Parmi les faits extraordinaires dont nous avons entendu parler, en ce qui concerne les moyens de devenir riche, est le suivant: Un Arabe nomade vint autrefois à Baṣra, apportant avec lui une perle qui valait une grosse somme d'argent. Il alla avec la perle chez un parfumeur dont il était l'ami, la lui montra (p. 143) et lui demanda, car il l'ignorait, quelle pourrait en être la valeur. Le parfumeur lui apprit que [cette graine] était une perle. «Mais combien vaut-elle?» demanda l'Arabe. «100 dirham», répondit le parfumeur. L'Arabe trouva que c'était un prix élevé et il demanda encore: «Quelqu'un me l'achèterait-il au prix que tu viens de dire?» Le parfumeur lui versa [immédiatement] la somme de 100 dirham avec laquelle l'Arabe acheta des provisions pour sa famille. Quant au parfumeur, il prit la perle et la porta à Baghdâd où il la vendit pour une grosse somme d'argent qui lui permit d'étendre son commerce.
Le parfumeur rapporta qu'il avait demandé à l'Arabe nomade comment celui-ci s'était procuré cette perle. L'Arabe répondit: «Je passais près de Aṣ-Ṣamân qui est [un village] du pays de Baḥrayn (sur la côte occidentale du golfe Persique), situé à une petite distance de la mer. Je vis, sur le sable, un renard mort dont quelque chose tenait la bouche fermée. Je descendis [de cheval ou de chameau] et je constatai que la chose en question était une sorte de couvercle dont la partie intérieure était blanche et brillante. Je trouvai (p. 144) dans ce couvercle cet objet rond que je pris.» Le parfumeur apprit ainsi que, initialement, le coquillage était venu sur la côte pour aspirer de l'air, ainsi que c'est l'habitude des coquillages. Un renard passa par là. Lorsqu'il vit le morceau de chair qui est à l'intérieur du coquillage, lequel avait la bouche ouverte, il bondit précipitamment sur le coquillage, introduisit sa tête entre les deux valves ouvertes et saisit le morceau de chair. [Aussitôt], le coquillage ferma ses valves sur le museau du renard. Or, lorsque ce coquillage a fermé ses valves sur quelque chose et qu'il sent une main qui le touche, il est impossible de trouver un procédé pour ouvrir ses valves; il faut le fendre de bout en bout avec un instrument en fer pour en extraire la perle, car le coquillage garde aussi jalousement la perle que la mère son enfant. Lorsque le renard se vit pris [par le museau sur lequel s'étaient refermées les deux valves], il se mit à courir, frappant la coquille sur le sol, à droite et à gauche; mais le coquillage ne lâchait pas prise. [Au bout d'un certain temps], renard et coquillage moururent. Voilà comment l'Arabe nomade s'empara du coquillage et prit [la perle] qu'il contenait. Allah le conduisit chez le parfumeur et ce lui fut un moyen de se procurer (p. 145) sa subsistance.