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Voyage du marchand arabe Sulaymân en Inde et en Chine rédigé en 851: Suivi de remarques par Abû Zayd Hasan (vers 916), traduit de l'arabe avec introduction, glossaire et index par Gabriel Ferrand

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INFORMATIONS
SUR L'INDE, LA CHINE
ET LEURS ROIS

Les gens de l'Inde et de la Chine sont d'avis unanime sur ce fait que les [grands] rois du monde sont au nombre de quatre. Celui qu'ils citent comme le premier des quatre est le roi des Arabes, [c'est-à-dire le Khalife de Baghdâd]. Indiens et Chinois sont d'accord à cet égard, sans contredit, que le roi des Arabes est le plus grand des rois, le plus riche et le plus magnifique; que c'est le roi de la grande religion (l'Islâm), au-dessus de laquelle il n'est rien. Le roi de la Chine se place lui-même au second rang, après le roi des Arabes. Viennent ensuite le roi de Rûm (Byzance) et le Ballahrâ, le roi de ceux qui ont les oreilles percées [pour y suspendre des boucles]. Le Ballahrâ est le souverain de l'Inde qui est de plus haute noblesse, ce que reconnaissent les Indiens eux-mêmes (p. 27). Chaque roi de l'Inde est indépendant, mais tous reconnaissent la haute noblesse du Ballahrâ. Lorsque le Ballahrâ envoie des ambassadeurs aux autres rois, ceux-ci prient au nom de ces ambassadeurs, pour faire honneur à celui qu'ils représentent. Le Ballahrâ fait des dons généreux comme le font les Arabes. Il a des chevaux et des éléphants en grand nombre et beaucoup d'argent. Sa monnaie est le dirham (pièce d'argent) appelé ṭâṭirî; le poids de chacun de ces dirham est égal à celui d'un dirham et demi de la monnaie du roi.

La façon de dater du Ballahrâ part d'une année du règne du souverain qui l'a précédé (sic), tandis que les Arabes datent de l'hégire du Prophète—sur Lui soit le salut!—; au contraire de ceux-ci, les Indiens datent de leurs rois, et leurs rois règnent longtemps: parfois un roi règne pendant cinquante ans. Les sujets du Ballahrâ prétendent que si leurs rois règnent et vivent pendant longtemps, c'est à cause de l'affection qu'ils ont pour les Arabes. Il n'y a pas, en effet, de roi qui ait une plus grande affection pour les Arabes (p. 28) que le Ballahrâ; il en est de même de ses sujets.

Ballahrâ est le titre de tous les rois de ce pays, comme celui de Kisrâ [chez les Persans, de César chez les Romains]; ce n'est pas un nom propre. Le territoire du royaume du Ballahrâ commence à la côte de la mer [occidentale de l'Inde], où se trouve un pays appelé le Konkan qui en est limitrophe [et s'étend] sur la partie du continent [asiatique] se prolongeant jusqu'en Chine. Autour du royaume du Ballahrâ se trouvent de nombreux rois avec lesquels il est en état de guerre, mais il est toujours vainqueur. Parmi ces rois [ennemis], il en est un qui est appelé le roi de Gujra; il commande à une armée importante; aucun autre roi de l'Inde n'a une cavalerie comparable à la sienne. Le roi Gujra est l'ennemi des Arabes, mais il reconnaît cependant que le roi des Arabes est le plus grand des rois. Aucun roi de l'Inde ne hait l'Islâm plus que lui. Il [règne] sur une langue de terre. Il possède de grandes richesses, des chameaux et des bestiaux en grand nombre. [Dans son pays], les achats se font au moyen de lingots d'argent; on dit qu'il s'y trouve des mines de ce métal. Il n'y a pas (p. 29) dans l'Inde un pays où on est mieux protégé contre les voleurs.

A côté du roi de Gujra est le roi de Ṭâḳan, dont le royaume est de peu d'étendue. Les femmes de ce pays sont blanches; ce sont les plus belles des femmes de l'Inde. Ce roi est pacifique, parce que son armée est peu importante. Il a pour les Arabes autant d'affection que le Ballahrâ.

Dans le voisinage immédiat des royaumes précédents [du Ballahrâ, des rois de Gujra et de Ṭâḳan], est un roi appelé [roi de] Rahmâ (le Pégou), qui est en guerre avec le roi de Gujra. Ce n'est pas un roi de noble origine. Il est en état de guerre avec le Ballahrâ comme avec le roi de Gujra. Ce roi de Rahmâ a une armée plus forte que celles du Ballahrâ, du roi de Gujra et du roi de Ṭâḳan. On dit que lorsqu'il part en guerre, il emmène avec lui près de cinquante mille éléphants. Il n'entre en campagne que pendant l'hiver (saison des pluies), parce que les éléphants ne peuvent pas se priver de boire; il est donc impossible de les utiliser en campagne en dehors de l'hiver. On dit que, dans l'armée du roi de Rahmâ, les dégraisseurs de drap sont au nombre d'environ (p. 30) 10.000 à 15.000. On fabrique, dans ce pays, des vêtements comme on n'en fabrique nulle part ailleurs: un de ces vêtements peut passer à travers l'anneau d'une bague, tant [l'étoffe] est extraordinairement fine. Cette étoffe est en coton et nous en avons vu un échantillon.

Dans ce pays, les cauris sont recherchés. Ils tiennent lieu de monnaie locale; c'est ce qui constitue la richesse. Les produits du pays sont l'or, l'argent, l'aloès et l'étoffe appelée [en sanskrit] čamara [en crin de la queue du yak tibétain] et avec laquelle on fait des chasse-mouches. Dans ce pays se trouve le bušân tacheté qui n'est autre que le rhinocéros. [Cette espèce de rhinocéros] n'a qu'une seule corne sur le front, et à l'intérieur de cette corne est dessinée l'image d'une créature qui ressemble à l'image d'un homme. La corne est toute noire, mais l'image intérieure est blanche. Le rhinocéros est plus petit que l'éléphant, il est de couleur noirâtre; il ressemble (p. 31) au buffle; il est fort; il n'y a même pas d'animal qui soit aussi fort que lui. Le rhinocéros n'a pas d'articulation au genou ni au pied de devant; la patte est molle (sans ossature) du sabot à l'aisselle. Il fait fuir l'éléphant; il rumine comme le bœuf et le chameau. Sa chair n'est pas tabou pour les musulmans; nous en avons mangé. Il est très commun dans ce pays où il vit dans les fourrés. On le trouve également dans les autres parties de l'Inde, mais au Rahmâ sa corne est plus belle; on y trouve parfois l'image d'un homme, d'un paon, d'un poisson et d'autres images. [Avec des plaques de cornes taillées dans ce but], les Chinois font des [ornements] de ceintures, et, en Chine, le prix d'une de ces ceintures s'élève jusqu'à deux et trois mille dînâr ou même davantage. Le prix varie suivant le degré de beauté de l'image naturelle dessinée [sur les ornements en corne de la ceinture]. Toutes ces cornes de rhinocéros s'achètent avec des cauris au Rahmâ (Pégou), où ils tiennent lieu de monnaie locale.

(P. 32.) Après le Rahmâ, vient un autre pays situé dans l'intérieur des terres et dont aucune partie n'est baignée par la mer, appelé le royaume de Lakšmîpura (la ville de la déesse Lakšmî, en Assam). Ses habitants sont blancs, ont les oreilles percées et sont célèbres pour leur beauté. Une partie d'entre eux sont nomades; les autres vivent dans la montagne.

Après le pays de Lakšmîpura, vient une mer qui baigne un royaume appelé Ḳîranj. Il est gouverné par un roi pauvre [mais] fanfaron. [Sur les côtes de ce pays, la mer] dépose beaucoup d'ambre. Le roi possède des défenses d'éléphants. Il y a, dans ce pays, du poivre qu'on consomme frais, parce qu'il y est récolté en petite quantité.

Après ce pays de Ḳîranj, viennent de nombreux royaumes dont Allah seul—qu'il soit béni et exalté!—connaît le nombre. Parmi ces royaumes, on compte celui de Mûja. Le peuple qui l'habite est blanc et s'habille comme les Chinois. On y trouve beaucoup de musc. Dans ce pays, il y a des montagnes blanches (couvertes de neige?) qui sont les plus hautes de la terre. Les Mûja font la guerre aux nombreux rois qui sont autour d'eux. Le musc qu'on récolte dans leur pays est excellent, parfait.

Au delà du royaume de Mûja, se trouvent les rois (sic) de Mâbad dont les villes (p. 33) sont nombreuses. Ce pays s'étend jusqu'à celui de Mûja, mais sa population est plus importante et les habitants de Mâbad ressemblent davantage aux Chinois que ceux de Mûja. Comme en Chine, les gouverneurs des provinces sont des eunuques. Le pays de Mâbad est limitrophe de la Chine. Ses rois vivent en paix avec le roi de la Chine, mais ils ne lui sont pas soumis. Chaque année, les rois de Mâbad envoient des ambassadeurs avec des présents au roi de la Chine, et celui-ci fait également des présents à ceux-là. Le pays de Mâbad est immense. Lorsque les ambassadeurs de Mâbad arrivent en Chine, ils sont gardés avec soin; les Chinois craignent qu'ils ne s'emparent de leur pays, à cause du grand nombre des membres de l'ambassade. Entre le pays de Mâbad et la Chine, il n'y a que des montagnes et des accidents de terrain.

On dit qu'il y a, en Chine, plus de deux cents villes principales qui ont chacune (p. 34) [pour gouverneur] un roi [feudataire] et un eunuque. De ces villes principales dépendent d'autres villes. Au nombre de celles-là est Ḫânfû, où viennent mouiller les navires et dont dépendent vingt villes. On n'appelle ville que les centres urbains possédant le jâdam. C'est une sorte de trompette dans laquelle on souffle. L'instrument est long et de la grosseur des deux mains réunies [autour du corps de l'instrument]; il est enduit de la même matière dont sont recouvertes les porcelaines de Chine. Il a 3 ou 4 coudées de long. Son embouchure est mince, de façon à ce qu'un homme puisse la mettre dans sa bouche. Le son du jâdam porte jusqu'à environ un mille. Chaque ville a quatre portes; à chacune de ces portes, il y a cinq jâdam dont on sonne à certains moments de la nuit et du jour. Dans chaque ville, il y a également dix tambours dont on bat en même temps que sonne le jâdam. On en use ainsi en guise d'hommage rendu au souverain, et les habitants apprennent en même temps qu'il est tel moment (p. 35) de la nuit et du jour. Ils ont, en outre, des points de repère (gnomons) et [des instruments] à poids pour compter les heures.

En Chine, les transactions commerciales se règlent au moyen de fulûs (pièces de cuivre). Le Trésor royal chinois est identique à celui des [autres] rois, mais il n'est pas d'autre roi que celui de la Chine ayant un Trésor avec une encaisse en fulûs. Ces pièces de cuivre constituent la monnaie du pays. Les Chinois ont de l'or, de l'argent, des perles fines, des étoffes de soie à ramages et de la soie brute, et tout cela en grande quantité; mais [l'or et l'argent] sont considérés comme des marchandises et les fulûs [ou monnaies de cuivre ont seuls cours comme] monnaie du pays.

On importe en Chine de l'ivoire, de l'encens, des lingots de cuivre, des carapaces de tortues de mer et ce bušân que nous avons décrit et qui n'est pas autre que le rhinocéros avec la corne duquel les Chinois font [des ornements] de ceintures.

Les Chinois possèdent un grand nombre de bêtes de somme; ils n'ont pas de chevaux arabes, mais seulement des chevaux d'une autre race. Ils ont des ânes et des chameaux en grand nombre; leurs chameaux ont deux bosses.

Il y a, en Chine, une argile de qualité supérieure avec laquelle on fabrique (p. 36) des coupes (ou bols) qui sont aussi peu épaisses que des bouteilles de verre; on voit par transparence le liquide qu'elles contiennent. Les coupes en question sont fabriquées avec cette argile.

Quand les marins arrivent en Chine par mer, les Chinois [préposés à cet effet] s'emparent de leurs marchandises et les enferment dans des entrepôts. Ils en garantissent la bonne conservation contre tout accident pendant six mois, jusqu'à ce que soit arrivé le dernier navire [venant avec la même mousson]. Les Chinois perçoivent alors un droit d'entrée de 30% [en nature] sur toute marchandise importée et remettent le reste au marchand qui en est propriétaire. Ce dont le roi de Chine a besoin, il l'achète au prix le plus élevé et en paye le montant sur l'heure; il ne fait jamais de tort au marchand. Au nombre des marchandises d'importation achetées en priorité par le souverain est le camphre, qui est payé 50 fakkûj le mann; le fakkûj vaut mille fulûs (pièces de cuivre). Le camphre qui n'est pas acheté par le souverain est vendu, [au contraire], à tout autre acheteur la moitié du prix précédent.

Quand un Chinois meurt, on ne l'enterre que l'une des années qui suivent le décès, au jour anniversaire de sa mort. Les gens placent le corps (p. 37) dans un cercueil en bois et laissent le cercueil dans leur demeure. On met sur le cadavre de la chaux pour qu'elle en absorbe tout ce qui est liquide et qu'il se conserve. [Les corps] des rois sont placés dans de l'aloès de Socotora et du camphre. Les Chinois pleurent les morts pendant trois ans; celui qui ne pleure pas [un parent mort] est puni de la bastonnade, la même punition étant infligée aux femmes et aux hommes, et on leur dit: «La mort de ton parent ne t'afflige donc pas?» Les corps sont enterrés dans une fosse, comme le font les Arabes. On ne prive pas le mort de nourriture; les Chinois prétendent qu'il continue à boire et à manger, aussi déposent-ils de la nourriture à côté de lui pendant la nuit. Le lendemain matin, on ne trouve plus rien, et ils disent que le mort a mangé. On ne cesse pas de pleurer le mort et de lui donner de la nourriture tant que le corps reste dans leur demeure. Les Chinois se ruinent [pour accomplir les cérémonies rituelles en l'honneur] de leurs morts; ils y consacrent tout leur argent liquide, [le prix de la vente] de toutes leurs propriétés jusqu'à s'appauvrir pour eux. Autrefois (p. 38), les Chinois enterraient avec le roi ses meubles, ses vêtements et ses ceintures; et les ceintures ont une très grande valeur en Chine; mais cette coutume est maintenant abandonnée, parce qu'un cadavre fut déterré et qu'on prit tout ce qui avait été inhumé avec lui.

Tout Chinois, pauvre ou riche, petit ou grand, apprend à tracer des caractères et à lire.

Le titre des gouverneurs chinois varie suivant leur grade et l'importance des villes [qu'ils administrent]. Le gouverneur d'une petite ville est appelé [en chinois] ṭûsang: le sens de ṭûsang est «il a administré la ville». Quand il s'agit d'une ville telle que Ḫânfû, le gouverneur a le titre de dîfû. Les eunuques portent le titre de ṭûḳâm; les eunuques, en Chine, sont en partie originaires du pays. Le grand juge est appelé lakšî mâmkûn. Il y a encore d'autres titres de ce genre [mais nous ne les rapportons pas] de peur de les mal transcrire. Aucun Chinois ne peut être promu au grade de gouverneur s'il a moins (p. 39) de quarante ans. On dit qu'à cet âge, il a été instruit par l'expérience.

Lorsque les gouverneurs de grade subalterne remplissent les fonctions [de juges] dans la ville qu'ils administrent, ils sont assis sur un fauteuil dans une grande salle. Devant eux, se trouve un [autre] fauteuil. On présente au gouverneur-juge les documents où sont exposés par écrit les plaidoiries respectives des plaideurs. Derrière le gouverneur est un homme debout appelé [en chinois] lîḫû. Si le gouverneur commet une erreur dans le jugement qu'il rend et se trompe, le lîḫû [lui montre son erreur et] le remet dans la bonne voie. On ne tient aucun compte de ce que disent les plaideurs; les arguments qu'ils ont à faire valoir doivent être présentés par écrit. Avant qu'un plaignant se présente devant le gouverneur-juge, un homme qui se tient à la porte du tribunal lit sa requête; si elle est entachée d'irrégularité, il la rend au plaignant pour qu'il la corrige. Les requêtes ne peuvent être remises au gouverneur-juge que lorsqu'elles ont été rédigées par un scribe connaissant la loi. Le scribe inscrit sur (p. 40) la requête la mention suivante:

«Ceci a été rédigé par un Tel fils d'un Tel.» Si la requête est entachée d'irrégularité, le blâme en retombe sur le scribe et il est puni de la bastonnade. Le gouverneur-juge ne siège qu'après avoir mangé et bu afin qu'il ne commette pas d'erreur [comme pourrait le faire un homme en proie à la faim et à la soif]. Chaque gouverneur est payé par le Trésor de la ville qu'il administre.

Le souverain suprême de la Chine ne se montre que tous les dix mois. «Si, dit-il, le peuple me voyait [fréquemment], il ferait peu de cas de moi. L'autorité ne peut se maintenir que par le despotisme, car la foule ignore ce que c'est que l'équité. Il faut donc que nous employions envers elle le despotisme pour que nous soyons vénérés par elle.»

Les terres ne payent pas d'impôt foncier, mais les mâles acquittent un impôt de capitation proportionné à leur situation de fortune. Les Arabes et les autres étrangers acquittent un impôt spécial (p. 41) pour leurs marchandises; [comme contre-partie de cet impôt commercial, le fisc chinois] assume la garde desdites marchandises.

Lorsque les denrées [alimentaires] sont chères, le roi fait prendre des vivres dans les entrepôts de l'État et les fait vendre à un prix inférieur à celui qui est pratiqué au marché; par ce moyen la cherté de ces denrées ne peut pas se maintenir.

Les fonds que recueille le Trésor royal sont exclusivement fournis par l'impôt de capitation. Je crois que les sommes perçues chaque jour par le Trésor à Ḫânfû, s'élèvent à 50.000 dînâr, et, cependant, ce n'est pas la plus grande ville de la Chine. Parmi les choses que la Chine produit en abondance, le roi se réserve le monopole du sel et d'une [sorte d'] herbe séchée que les Chinois boivent [après l'avoir fait infuser] dans de l'eau chaude (le thé). On vend de cette herbe séchée dans toutes les villes, pour d'énormes sommes. On l'appelle sâḫ; [cette plante] a plus de feuilles que le trèfle; elle est un peu plus parfumée que celui-ci, mais elle a un goût amer. [Pour confectionner le thé], on fait [d'abord] bouillir de l'eau et on la verse [ensuite] sur cette herbe. Cette infusion fait office d'antidote contre toute indisposition.

Tous les fonds que recueille le Trésor royal sont fournis par l'impôt de capitation, [la vente] du sel et de cette (p. 42) herbe (le thé).

Il y a, dans chaque ville, une chose qu'on appelle darâ; c'est une cloche qui est placée au-dessus de la tête du gouverneur de la ville et qui est attachée à une ficelle. Cette ficelle se prolonge jusque sur le chemin de façon à ce que tout le monde [puisse la tirer] et que ce soit un moyen de communication entre le gouverneur et n'importe qui. Elle a environ une parasange de long. Pour peu qu'on tire la ficelle, la cloche se met en mouvement [et sonne]. Celui qui est victime d'une injustice tire cette ficelle et la cloche se met en mouvement [et sonne] au-dessus de la tête du gouverneur. Le plaignant est alors introduit auprès du gouverneur pour qu'il expose son cas lui-même et l'injustice dont il est victime. On procède ainsi dans toutes les régions de la Chine.

Celui qui désire voyager d'un endroit à un autre se fait remettre deux lettres: l'une par le gouverneur, l'autre par l'eunuque [de sa résidence]. Celle-là [est une sorte de passeport] servant pour la route [où sont consignés] les noms du porteur et de ceux qui l'accompagnent, son âge, l'âge de ceux qui l'accompagnent et le nom de la tribu dont il fait partie. Toute personne voyageant en Chine, qu'il s'agisse d'un (p. 43) Chinois, d'un Arabe, ou d'un étranger quelconque, doit être pourvue d'une pièce d'identité. Quant à la lettre délivrée par l'eunuque, elle fait mention de l'argent et des marchandises que le voyageur emporte avec lui, car, sur les routes, il y a des postes de soldats qui se font présenter les deux lettres remises au voyageur. Lorsque celui-ci arrive à l'un de ces postes, [le contrôleur des passeports] inscrit [sur les lettres le visa suivant]: «Est arrivé ici un Tel, fils d'un Tel, de telle nationalité, tel jour, tel mois, telle année, emportant avec lui telles choses et accompagné de telles personnes.» [Ces mesures ont été prises] pour que le voyageur ne subisse pas de perte d'argent ni de marchandises. Si le voyageur subit une perte quelconque ou meurt, on sait ainsi comment s'est produite la perte et on lui rend [ce qui a été perdu]; s'il est mort, on le rend à ses héritiers.

Les Chinois agissent avec équité dans les transactions commerciales et les affaires officielles. Lorsque quelqu'un prête de l'argent à une autre personne, celui-là écrit un billet à ce sujet; l'emprunteur (p. 44) en écrit un autre sur lequel il appose [en guise de signature] l'empreinte de deux de ses doigts réunis, le médius et l'index. Puis, les deux billets sont réunis, roulés ensemble, et on écrit [une formule] à l'endroit où l'un touche à l'autre; ensuite, on les sépare l'un de l'autre et on remet au prêteur le billet par lequel l'emprunteur reconnaît sa dette. Si, plus tard, le débiteur renie sa dette, on lui dit: «Présente le billet que t'a [remis le prêteur]». Si l'emprunteur prétend qu'il n'a pas de billet [du prêteur], nie, d'autre part, avoir souscrit un billet et y avoir apposé son empreinte [digitale], et que le billet du prêteur ait disparu, on dit alors à celui qui nie sa dette: «Déclare par écrit que tu n'as pas contracté cette dette; mais si plus tard, le prêteur apporte la preuve que tu as contracté cette dette que tu nies, tu recevras vingt coups de bâton sur le dos et tu seras condamné à payer une amende de vingt mille fakkûj en pièces de cuivre.» Comme un fakkûj vaut mille pièces de cuivre, la somme équivaut à environ deux mille dînâr (ou une quarantaine de mille francs). Vingt coups (p. 45) de bâton entraînent la mort. Aussi personne en Chine n'ose faire une telle déclaration de peur de perdre en même temps la vie et la fortune. Nous n'avons vu personne qui y ait consenti, quand il était requis de faire cette déclaration. Les Chinois sont, [en effet], équitables les uns à l'égard des autres; personne, en Chine, n'est traité injustement. [Dans un procès] les parties n'ont recours ni aux témoins, ni au serment [comme les musulmans].

Lorsque quelqu'un fait faillite, les créanciers le font mettre, à leurs frais, en prison chez le roi, et on lui fait reconnaître sa dette. Après être resté un mois en prison, le roi l'en fait sortir et il fait proclamer publiquement ceci: «Un Tel, fils d'un Tel, est en faillite [ayant dilapidé] l'argent d'un Tel fils d'un Tel.» [Si on apprend ainsi] que le failli avait déposé de l'argent chez quelqu'un, qu'il possède un immeuble ou un esclave, ou quoi que ce soit qui puisse servir de garantie pour sa dette, on le fait sortir [de prison] tous les mois et on lui applique la bastonnade sur les fesses parce qu'il est resté en prison, mangeant et buvant [aux frais de ses créanciers], bien qu'il eût de l'argent [pour les désintéresser]. Il reçoit (p. 46) la bastonnade, qu'on l'ait convaincu on non de posséder de l'argent; il reçoit la bastonnade dans l'un et l'autre cas; et on lui dit [en le châtiant]: «Tu n'as pas fait autre chose que de prendre l'argent des autres et tu l'as dilapidé.» On lui dit encore: «Rends à ces personnes l'argent [que tu leur as emprunté].» S'il est impossible au failli de payer ses dettes et si le roi a la certitude que le failli ne possède plus rien, on convoque les créanciers et on les désintéresse avec des fonds fournis par le Trésor du Baghbûr, c'est-à-dire du souverain suprême (l'empereur). Celui-ci est désigné par le titre [persan] de Baghbûr qui signifie [en persan] «Fils du ciel» [et qui est la traduction littérale du titre impérial chinois T'ien-tseu]; en arabe, nous disons Maghbûr. On fait ensuite la proclamation suivante: «Quiconque fera [désormais] des affaires avec cet homme, sera mis à mort.» Ainsi il n'arrivera plus que quelqu'un soit exposé à perdre son argent. Si on apprend que le débiteur a de l'argent en dépôt chez quelqu'un et que le détenteur du dépôt ne l'ait pas fait connaître, ce dernier sera tué à coups de bâton. Le débiteur n'encourt aucune peine de ce fait; mais on prend l'argent et on le partage entre les créanciers; en outre le débiteur ne peut plus faire de commerce avec personne.

Il y a, en Chine, des stèles de pierre (p. 47) de dix coudées de hauteur sur lesquelles on a gravé en creux des inscriptions. Celles-ci traitent des médicaments et des maladies; pour telle maladie [dit l'inscription, on emploie] tel remède. Lorsque le malade est pauvre [et ne peut pas acheter le remède qui lui est nécessaire], le prix lui en est remis par le Trésor royal [pour qu'il puisse se le procurer].

Il n'y a pas, en Chine, d'impôt sur les biens-fonds. On paye seulement un impôt de capitation qui varie suivant l'importance des biens meubles et immeubles de l'imposé.

Lorsqu'un enfant mâle naît, on inscrit son nom auprès du souverain [sur un registre officiel]. Quand l'enfant est parvenu à l'âge de dix-huit ans, il est astreint à payer l'impôt de capitation; il en sera exempt quand il sera parvenu à l'âge de quatre-vingts ans et il touchera [une pension] du Trésor royal. Les Chinois disent à cet égard: «Nous lui avons fait payer l'impôt quand il était jeune, [il n'est que juste que] nous lui versions une pension maintenant qu'il est vieux.»

Il y a, dans chaque ville, une école et un maître qui donne des leçons aux pauvres et à leurs enfants qui sont nourris aux frais de l'État. Les femmes chinoises ont la chevelure découverte (p. 48), les hommes la tête couverte.

Il y a, en Chine, dans la montagne, un village appelé Tâyû dont les habitants sont de petite taille. Tous les Chinois de petite taille [passent pour] en être originaires. [Dans l'ensemble], les gens de Chine sont bien faits, de haute taille, franchement blancs avec une teinte rouge. Ils ont les cheveux les plus noirs du monde. Les Chinoises laissent pendre leurs cheveux.

Dans l'Inde, lorsque quelqu'un intente contre une autre personne une action qui a pour sanction obligatoire la peine capitale, on dit au plaignant: «Veux-tu soumettre celui que tu accuses à l'épreuve du feu?» S'il répond: «oui», on fait chauffer un morceau de fer jusqu'à ce qu'il soit passé au rouge vif. On dit ensuite à l'inculpé: «Ouvre ta main»; on met sur sa main sept feuilles d'un arbre du pays, puis on met le morceau de fer [rouge] sur les feuilles. L'inculpé se met à marcher, allant et revenant sur ses pas [pendant un certain temps]; puis, il jette le morceau de fer rouge. On apporte ensuite une bourse (p. 49) de cuir, on y introduit la main de l'inculpé et la bourse est scellée du sceau royal. Trois jours après, on apporte du riz non décortiqué et on dit à l'homme qui vient de subir l'épreuve: «Frotte [entre tes mains ce riz pour en détacher la balle].» Si sa main ne présente aucune trace [de brûlure], l'affaire est jugée; il n'y est pas donné suite et la condamnation à mort n'est pas prononcée contre lui. L'accusateur est alors condamné à payer une amende d'un mann d'or dont le roi touche le montant. Parfois, on fait bouillir de l'eau dans une marmite en fer ou en cuivre jusqu'à ce que [elle développe une telle chaleur] que personne ne puisse en approcher. On jette dans la marmite un anneau en fer et on dit [à l'accusé]: «Mets ta main [dans l'eau bouillante].» [Il faut que l'accusé] retire l'anneau [sans être brûlé pour être déclaré innocent]. «J'ai vu quelqu'un [ajoute Sulaymân], qui mit sa main [dans l'eau bouillante] et l'en retira intacte [sans aucune brûlure]; et l'accusateur est condamné, [comme dans l'épreuve du feu quand le résultat est identique], à payer une amende d'un mann d'or.»

Lorsque le roi de Sirandîb (Ceylan) meurt, on place le cadavre sur un char, près du sol; le cadavre est attaché à la partie postérieure du char, [les jambes en l'air], le dos contre le char [faisant face à l'arrière], de façon à ce que ses cheveux traînent dans la poussière (p. 50) du sol. Une femme ayant un balai à la main, jette de la poussière sur la tête du cadavre royal et dit aux gens réunis à cette occasion: «Eh, vous! Ceci était hier votre roi; il vous gouvernait et son ordre était absolu. Il en est venu à l'état de renoncement des biens de ce monde où vous le voyez. L'ange de la mort a pris son âme. Ne vous laissez donc plus séduire désormais par [les jouissances de] la vie»; et elle continue à parler dans le même sens pendant trois jours (sic). On prépare ensuite [un bûcher dans lequel on met] du sandal, du camphre et du safran; on brûle le corps et ses cendres sont jetées au vent. Tous les habitants de l'Inde brûlent leurs morts.

Sirandîb (Ceylan) est la plus méridionale des îles de l'Inde dont elle fait partie. Parfois, lorsqu'on brûle le corps du roi, ses femmes se jettent dans le feu et se brûlent avec lui; mais elles peuvent ne pas le faire.

Il y a, dans l'Inde, des gens qui se consacrent à la vie errante dans les bois et les montagnes; ils fréquentent rarement les hommes (p. 51). Ils se nourrissent d'herbes et de fruits sauvages de temps en temps. Ces solitaires se mettent un anneau de fer à la verge pour empêcher toutes relations sexuelles avec les femmes. Certains d'entre eux vivent nus; d'autres se tiennent debout, faisant face au soleil, également nus, mais [recouverts] de quelques peaux de panthères. J'en ai vu un dans l'état que je viens de dire [en un certain endroit]; puis, je continuai ma route. Seize ans après, [je repassai par le même endroit] et je revis cet ascète dans le même état. Je fus étonné que son œil n'ait pas été détruit par la chaleur du soleil.

Dans chaque royaume, la famille royale ne forme qu'une seule maison qui détient toujours le pouvoir royal; c'est elle qui désigne le prince héritier. Les scribes et les médecins forment également des castes et personne ne peut exercer ces professions, s'il ne fait pas partie de leur caste.

Les rois de l'Inde n'obéissent point à un roi suprême, car ils sont seuls maîtres dans leur pays. [Cependant,] le Ballahrâ [porte le titre] de Roi des rois (p. 52) de l'Inde. Quant à la Chine, on n'y désigne pas le prince héritier.

Les Chinois sont débauchés, mais les Indiens réprouvent la débauche et ne s'y livrent pas. Ceux-ci ne boivent pas de vin et n'usent pas de vinaigre de vin; cette dernière abstention n'a pas pour origine une prescription religieuse: c'est qu'ils n'aiment pas le vinaigre de vin. Ils disent que tout roi qui boit du vin n'est pas un véritable roi. Les Indiens sont entourés par des rois qui leur font la guerre. Ils disent encore: «Comment un roi qui est ivre peut-il diriger l'administration de son royaume?»

Parfois, les Indiens se font la guerre dans un but de conquêtes, mais c'est peu fréquent. Je n'ai pas vu de royaume en soumettre un autre, en dehors d'un peuple habitant le territoire qui fait suite au Pays du poivre (le Malabar). Quand un roi fait la conquête d'un autre royaume, il fait administrer sa conquête par un membre de la famille royale du pays vaincu, qui reste sous la haute main du vainqueur. Les habitants du pays vaincu ne seraient pas satisfaits du nouvel état de choses s'il en était autrement.

(P. 53.) Parfois, en Chine, un gouverneur se soustrait à l'autorité du roi suprême. Il est alors égorgé et mangé. Tous ceux qui sont tués par le sabre, les Chinois en mangent la chair.

En Inde et en Chine, quand on veut se marier, [les familles intéressées] s'adressent mutuellement des compliments, puis se font réciproquement des présents. On célèbre ensuite le mariage au son des cymbales et des tambours. Les présents échangés à cette occasion consistent en sommes d'argent qui sont proportionnées à la fortune des donateurs. Si un homme et une femme sont convaincus d'adultère, l'un et l'autre sont mis à mort, [telle est la loi] dans l'Inde entière; mais si l'homme a violé la femme, il est seul mis à mort. Si la femme a agi de son plein gré, elle est mise à mort avec son amant.

En Chine et en Inde, petits larcins et vols importants sont également punis de mort. En Inde (p. 54), quand un voleur a dérobé une pièce de cuivre ou davantage, on prend un long bâton dont l'une des extrémités est taillée en pointe; puis, on fait asseoir le voleur sur la pointe de façon qu'elle lui entre dans l'anus et lui sorte par le gosier.

Les Chinois se livrent à la sodomie avec de jeunes garçons qui en font métier, pour tenir lieu des courtisanes des temples d'idoles [de l'Inde qui se livrent à la prostitution].

Les murs des maisons chinoises sont en bois; les Indiens construisent [leurs maisons] avec des pierres, du plâtre, des briques cuites au feu et de l'argile. Parfois, en Chine, on bâtit également ainsi.

[Chez les musulmans, une femme légitime ou une esclave enceintes ne peuvent se marier à un autre homme que le père de l'enfant conçu, qu'à l'expiration de leur grossesse. Elles sont en état de firaš]. En Chine et en Inde les femmes en état de firaš n'existent pas. Chinois et Indiens peuvent épouser n'importe quelle femme [même celle qui est enceinte d'un autre homme].

Les Indiens se nourrissent de riz; les Chinois, de froment et de riz. Les Indiens ne mangent pas de froment. Ni les Indiens ni les Chinois ne sont circoncis.

Les Chinois adorent les idoles; ils les prient [comme les musulmans prient Allah]; ils leur adressent des prières (p. 55). Ils possèdent des livres de religion.

Les Indiens laissent leur barbe devenir longue. J'en ai, parfois, vu qui avaient une barbe de trois coudées de long. Ils ne se taillent pas les moustaches [comme les musulmans]. La plupart des Chinois n'ont pas de barbe et pour la plupart d'entre eux, ils sont naturellement ainsi. En Inde, quand un homme meurt, on lui rase les cheveux et la barbe.

En Inde, lorsqu'un homme est emprisonné ou mis en surveillance, on lui supprime toute nourriture et boisson pendant sept jours. Les Indiens peuvent se mettre en surveillance les uns les autres.

Chez les Chinois, il y a des juges [spéciaux] qui jugent [certaines affaires] entre Chinois. [Cette juridiction spéciale fonctionne] à côté de celles des gouverneurs [-juges]. Il en est de même chez les Indiens.

Dans la Chine entière, on trouve la panthère et le loup. Quant au lion, il n'y en a ni en Chine ni dans l'Inde.

Les voleurs de grand chemin sont mis à mort.

Les Chinois et les Indiens prétendent que les idoles des temples leur parlent; mais ce sont les desservants des temples qui leur parlent [et leur font croire que ce sont les idoles qui ont parlé].

En Chine et en Inde, on tue (p. 56) les animaux qu'on veut manger, mais on ne les égorge pas [pour en faire couler le sang, comme font les musulmans]; on les frappe sur la tête jusqu'à ce qu'ils en meurent. En Inde et en Chine, on ne fait pas d'ablution après une souillure grave [telle que celle qui résulte des rapports sexuels, chez les musulmans]. Les Chinois ne se lavent pas après être allés à la selle; [ils se contentent de s'essuyer] avec du papier. Les Indiens se purifient chaque jour par des ablutions avant le repas du matin; puis, ils mangent.

Les Indiens n'ont aucun rapport sexuel avec les femmes pendant la période des menstrues; ils les font même sortir de leurs maisons pour éviter d'être souillés par elles. Les Chinois, au contraire, ont des rapports avec leurs femmes pendant la période menstruelle et ils ne les font pas sortir de leurs maisons.

Les Indiens se nettoient les dents [avec le cure-dents]. Personne, en Inde, ne mangerait sans s'être nettoyé les dents et s'être purifié par des ablutions. Les Chinois n'en usent pas ainsi.

L'Inde est plus étendue que la Chine: sa superficie est double de celle de la Chine. Il y a un plus grand nombre de rois qu'en Chine, mais celle-ci est plus peuplée.

Ni la Chine ni l'Inde n'ont le palmier; (p. 57) mais elles ont d'autres arbres et on y récolte des fruits qui n'existent pas chez nous. Dans l'Inde, il n'y a pas de raisin; il y en a un peu en Chine. L'Inde et la Chine produisent d'autres fruits en abondance. On trouve, dans l'Inde, des grenades en grande quantité.

Les Chinois n'ont pas de science religieuse. Les pratiques de leur culte (le buddhisme) sont originaires de l'Inde; ils croient que ce sont les Indiens qui leur ont apporté les idoles [buddhiques] et que ces derniers ont été leurs éducateurs religieux. En Chine et en Inde, on croit à la métempsycose. Chinois et Indiens tirent d'un même principe religieux [initial] des conséquences différentes.

On pratique, dans l'Inde, la médecine et la philosophie. Les Chinois pratiquent également la médecine; leur principal traitement est la cautérisation.

Les Chinois pratiquent l'astronomie, mais les Indiens pratiquent plus encore cette science.

On ne connaît pas de Chinois ou d'Indien musulman, ni parlant arabe.

En Inde, il y a peu de chevaux; il y en a davantage en Chine. En Chine, il n'y a pas d'éléphants; on ne les laisse pas (p. 58) pénétrer dans le pays parce que ce sont des animaux de mauvais augure.

Les armées du roi de l'Inde sont nombreuses, mais elles ne reçoivent rien pour leur entretien [ni vivres, ni solde]. Le roi ne les convoque qu'en cas de guerre sainte; les troupes entrent alors en campagne et font elles-mêmes les frais de leur entretien, le roi ne leur fournit rien à cet effet. En Chine, les troupes reçoivent une solde identique à la solde des troupes arabes.

La Chine est un pays plus brillant et plus beau [que l'Inde]. Dans la plus grande partie de l'Inde, il n'y a pas de villes, [le pays est désert]; en Chine, au contraire, il y a, en chaque endroit, une grande ville fortifiée. En Chine, le climat est plus sain et les maladies y sont moins nombreuses [qu'en Inde]. L'air y est si pur qu'on n'y voit pas d'aveugles ni de borgnes, ni de gens difformes. Les infirmes de cette sorte sont, au contraire, nombreux dans l'Inde.

En Chine et en Inde, il y a partout de grands fleuves, beaucoup plus grands que nos fleuves. Il pleut abondamment partout, dans ces deux pays.

Il y a, dans l'Inde (p. 59), beaucoup de déserts; en Chine, tout le pays est habité et cultivé. Les Chinois sont mieux faits que les Indiens. Les vêtements et les bêtes de somme des Chinois se rapprochent davantage de ceux des Arabes [que ceux des Indiens]. En costume et dans les cortèges officiels, les Chinois ressemblent aux Arabes; ils revêtent le vêtement appelé en arabe ḳabâ et la ceinture. Les Indiens se vêtissent de deux pagnes: hommes et femmes se parent de bracelets d'or et de pierres précieuses.

Au delà de la Chine, se trouve le pays des Toguz-Oguz qui sont des Turks, et le ḫâḳân du Tibet. Ce sont ces pays qui constituent la frontière de la Chine du côté des Turks [dans le Nord-Ouest]. Du côté de la mer, [la Chine est limitrophe] des îles de Sîlâ (la presqu'île de Corée). Les habitants [de la Corée] sont blancs; ils échangent des présents avec le souverain de la Chine (c'est-à-dire qu'ils vivent en paix avec lui). Ils croient que s'ils n'échangeaient pas de présents avec lui, il ne pleuvrait plus dans leur pays. Aucun Arabe n'est allé dans ce pays pour pouvoir nous fournir des informations sur ce peuple. [On sait seulement] qu'on y trouve des faucons blancs (p. 60).

[Ce qui suit a été ajouté au bas de la page du manuscrit, mais ces lignes sont d'une autre écriture que le texte.]

Fin du Livre I. Muḥammad, le pauvre, a lu attentivement ce livre, en l'année 1011 de l'hégire [= 1602 de notre ère].

Qu'Allah embellisse sa fin et ce qui vient après elle. Amen!

O Allah, pardonne leurs fautes à l'écrivain de ce livre, à ses père et mère et aux musulmans!

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