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Bismarck et la France

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APPENDICE III
Jugement de Bismarck sur la mission de M. de Gontaut-Biron.

« Si, en France, après le traité de Francfort, un parti catholique, royaliste ou républicain, fût resté au pouvoir, il eût été difficile d’empêcher la guerre de recommencer. Car il eût alors été à craindre que les deux puissances que nous avions combattues, l’Autriche et la France, se rapprochassent l’une de l’autre sur le terrain commun du catholicisme pour nous attaquer. Et le fait qu’en Allemagne, comme en Italie, il ne manquait pas d’éléments chez qui le sentiment confessionnel l’emportait sur le sentiment national, aurait encore renforcé et encouragé cette alliance catholique. Aurions-nous pu, en face de cette alliance, trouver à notre tour des alliés ? Cela n’est pas sûr. En tout cas, il eût dépendu de la volonté de la France, en accédant à l’entente austro-française, d’en faire une coalition formidable, comme pendant la guerre de Sept Ans, ou bien de nous tenir à sa discrétion sous la menace diplomatique d’une pareille éventualité.

« Avec la restauration d’une monarchie catholique en France, la tentation de prendre une revanche en commun avec l’Autriche serait devenue beaucoup plus forte. C’est pourquoi, estimant que tout ce qui était pour cette restauration était en même temps ennemi de l’intérêt allemand et de la paix, j’entrai en hostilités avec les représentants de cette idée. De là vinrent les difficultés auxquelles j’eus à faire face avec l’ancien ambassadeur de France Gontaut-Biron et notre ancien ambassadeur à Paris, le comte Harry Arnim. Le premier, qui était légitimiste et catholique, agissait dans le sens de son parti. Quant à l’autre, il spéculait sur les sympathies légitimistes de l’empereur pour discréditer ma politique et devenir mon successeur. Gontaut, habile et aimable diplomate de vieille famille, trouva des points de contact avec l’impératrice Augusta, d’une part dans la préférence que montrait cette princesse pour les éléments catholiques et pour le centre, avec qui le gouvernement était alors en lutte, d’autre part dans sa qualité de Français, qui était pour l’impératrice un titre de recommandation égal à la qualité d’Anglais. Les domestiques de Sa Majesté parlaient français. Son lecteur français, Gérard, entrait dans l’intimité de la famille impériale et voyait sa correspondance. Tout ce qui était étranger, à l’exception des Russes, avait pour l’impératrice le même attrait que pour tant de petits bourgeois allemands… Gontaut-Biron, qui en outre était de grande famille, n’eut donc pas de difficultés à prendre à la cour une influence qui par plus d’un canal parvenait jusqu’à la personne de l’empereur.

« Que l’impératrice, dans la personne de Gérard, ait pris pour lecteur un agent secret du gouvernement français, c’est une énormité qui ne s’explique que par la confiance qu’avait acquise Gontaut à l’aide, à la fois, de son habileté et de l’appui d’une fraction de l’entourage catholique de Sa Majesté. Pour la politique française comme pour la situation de l’ambassadeur de France à Berlin, c’était évidemment un énorme avantage que de voir un homme comme Gérard dans la maison impériale…

« L’activité de Gontaut au service de la France ne se bornait pas à la sphère de Berlin. Il se rendit en 1875 à Pétersbourg pour préparer avec le prince Gortschakoff le coup de théâtre qui, à la veille de la visite du tsar Alexandre à Berlin, devait faire croire à l’univers que le tsar seul avait protégé la France désarmée contre une agression allemande… » (Pensées et Souvenirs du prince de Bismarck, II, XXVI, pp. 168 et s. — Ce chapitre est intitulé : Intrigues.)

Le cauchemar des coalitions[39].

[39] Sous-titre en français dans les Pensées et Souvenirs de Bismarck.

« Le comte Schouvaloff avait tout à fait raison quand il me disait que l’idée des coalitions me donnait de mauvais rêves. Nous avions fait des guerres heureuses à deux grandes puissances européennes. Il s’agissait d’enlever au moins à l’un de ces deux puissants adversaires la tentation de prendre une revanche grâce à l’alliance de l’autre. Ce ne pouvait être la France, de l’avis de quiconque connaissait l’histoire et le caractère national français. Du moment qu’un traité de Reichstadt pouvait être conclu sans notre consentement et à notre insu, la vieille coalition de Kaunitz : France, Autriche, Russie, n’était pas non plus impossible, dès que les éléments qui lui étaient nécessaires et qui existaient à l’état latent en Autriche arriveraient au pouvoir dans ce pays. L’antique rivalité, l’antique aspiration à l’hégémonie allemande, fussent alors redevenues un facteur de la politique autrichienne qui pouvait trouver des points d’appui soit en France, comme il en avait été déjà question au temps de Beust et de la rencontre de Salzbourg, soit dans un rapprochement avec la Russie, tel qu’il était indiqué dans l’arrangement secret de Reichstadt. » (Ibidem, au chapitre XXIX, intitulé la Triplice, p. 233.)

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