Décadence et grandeur
Cependant Catherine était installée dans sa chambre, où M. Planchet avait été chargé de disposer une petite table pour faire manger l’institutrice. La cuisinière lui montra où étaient les serviettes et l’argenterie. Cette cuisinière, heureusement pour M. Planchet, était une femme taciturne qui, à la suite de déceptions conjugales ou autres, avait pris le parti de vivre seule avec sa pensée. Elle aida le nouveau valet de chambre à préparer le panier de l’institutrice, avec le linge de table, les couverts et plusieurs assiettes doubles, abritant l’une des œufs, l’autre une tranche de jambon et de la salade de haricots rouges, l’autre un morceau de gruyère et un fruit, le tout accompagné d’une bouteille de vin blanc et d’un verre. Estelle (la cuisinière) voulut bien ajouter qu’avec l’autre institutrice une bouteille devait faire deux repas. Elle dédaigna de dire aussi que la personne renvoyée compensait ce rationnement par de sournoises visites au cellier.
Planchet, chargé de victuailles, monta l’escalier avec beaucoup de précautions. On pense bien que Catherine l’aida à disposer sa table, si toutefois on peut appeler aider le fait d’accomplir la besogne tout entière, pendant que la personne à qui on donne un coup de main est tranquillement assise sur un fauteuil et vous regarde travailler avec une extase sympathique.
Il fallut que le serveur acceptât un œuf et un petit morceau de jambon, bien qu’il protestât et qu’il affirmât que son tour allait venir à l’office.
Le repas des domestiques rassemblait ce jour-là cinq convives : la cuisinière déjà nommée, une courte fille de cuisine, boulotte et la plus tachée de rousseurs de tout le département. Adèle, la femme de chambre, était une brune sans personnalité. Le cinquième convive, c’était un jardinier terreux à qui on ne pouvait reprocher, étant donné son métier rude, d’avoir les ongles noirs, mais que l’on était prêt à dispenser de la vaine entreprise d’essayer d’en améliorer l’aspect avec la pointe de son couteau.
La conversation ne fut pas animée. M. Planchet mangeait, ce qui l’aidait à garder une prudente réserve. La cuisinière fit simplement allusion au dîner du soir : on attendait une dizaine d’invités. « Pour un jour où il y avait un nouveau domestique, ce n’était vraiment pas trouvé. » Ce fut aussi l’avis tout intérieur de M. Planchet.
L’après-midi, en l’absence des maîtres, fut assez paisible, M. Planchet, sur une échelle, nettoya les carreaux de la salle à manger, guidé discrètement dans son travail par la nouvelle maîtresse de français.
Vers cinq heures, la voiture ramena les patrons et la petite fille. Comme elle n’avait pas suffisamment pris d’exercice, on envoya Olga faire un tour dans la verte campagne, accompagnée de Catherine, qui lui donna, chemin faisant, une très bonne leçon de botanique pratique, en lui apprenant le nom usuel d’un certain nombre de végétaux.
Planchet s’était retiré dans sa chambre mansardée. Il s’étendit sur son lit : c’était sa posture habituelle de méditation. Il était rare que cette méditation n’apportât pas quelque remède passager aux ennuis de l’heure présente en envoyant le méditant dans l’indulgent pays des songes…
A six heures, il fut réveillé par la femme de chambre, qui lui remit le costume de gala sous lequel il devait servir à table et qui n’était autre que le frac de mariage, glorieux trente-cinq ans auparavant, du maître de la maison.