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En ménage

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IV

La salle était oblongue, vêtue de papier couleur bois, ornée d'un poêle de faïence, blanc, craquelé, à bouches de cuivre; d'un buffet d'acajou, de six chaises cannées, d'une table à rallonges et à roulettes.

Il y avait sur le plancher une carpette de feutre et, devant chaque siège, une rondelle de sparterie verte. Le long des murs lambrissés jusqu'à mi-corps, une glace sans destination dans les autres pièces s'appuyait sur des pattes de fer, isolée de tout meuble. Un almanach, enluminé de chromos, donné par un magasin, et un porte-allumettes, avec une bande de papier d'émeri, égrené et râclé de bleu par places, flanquaient de chaque côté le cadre dont les dessous rouges perçaient sous la dorure. Vis-à-vis de cette glace pendaient un baromètre à siphon, un plan de Paris daté de 1860 et lavé à teintes plates. Une gravure à la manière noire représentant le passage des Alpes, avec un Bonaparte paradant comme un écuyer de cirque sur un cheval cabré, et deux assiettes retenues par des agrafes au mur, le portrait de madame Vigée le Brun et l'Atala de Girodet, en camaïeu lilas et bistre, complétaient la décoration de cette chambre.

Ainsi que dans la plupart des salles à manger bourgeoises, les damas pisseux et flétris, autrefois employés comme rideaux dans le salon, servaient maintenant que ce lieu d'apparat avait été rajeuni et remis à neuf, à embellir la salle de passage, celle où l'on mange. Cette chambre ne possédant qu'une seule croisée, l'étoffe qui habillait jadis la deuxième fenêtre du salon, avait été accrochée, en guise de tenture, au-dessus de la porte reliant ces deux pièces.

Sur les rayons du buffet, une théière en métal anglais, un service de Minton, une cave à liqueur en bois des îles, deux vases de Gien ornés de cornes d'abondance et surmontés d'un paquet de roseaux secs, restaient, là, à demeure; sur le marbre du poêle une tasse pleine d'eau, une lampe en porcelaine, couleur de morve, coiffée en haut de son verre, d'un fez minuscule à gland bleu, s'adossaient contre le tuyau cerclé de bracelets de cuivre, couronné à son sommet d'une sorte de diadème en faïence blanche.

Pour réaliser des économies, la famille Désableau allumait le poêle une heure avant le dîner et passait toute la soirée dans la même pièce.

La bonne avait balayé les miettes du repas, lancé un coup de torchon sur la toile cirée de la table, lorsque madame Désableau apporta son panier à ouvrage. Elle en tira une boîte à aiguilles formée par un haricot d'ivoire, un tronçon de bougie de cire pour son fil, des ciseaux, un dé, le ruban jaune d'un mètre. Elle prit enfin, sur une chaise, un patron de robe taillé dans un vieux journal.

Elle l'étala sur la table, chercha dans une ancienne boîte à pastilles des épingles éparses avec des boutons, rogna le papier, en rattacha les morceaux et, pensive, après avoir combiné de savantes stratégies de coupes, elle entama résolument l'étoffe.

Son mari disposait ses cartes pour faire une patience. Une petite fille tripotait des couleurs sans poison, liées sur une plaque, coloriait laborieusement une image d'un sou, suçait son pinceau, le tournait entre ses lèvres pour l'appointer, le piquait ensuite dans le trou percé par l'usure au milieu des pains.

Une jeune femme au teint mat, aux cheveux châtains, aux quenottes éclatantes avec une surdent drôle, regardait, d'un air ennuyé, M. Désableau, son oncle, disposer ses cartes. A un moment, elle se leva, s'approcha du poêle, ouvrit le petit guichet de la porte, se chauffa les pieds, parut s'absorber dans la lecture d'un journal.

Une suspension de cuivre rabattait les lueurs de la lampe sur la table, laissait dans l'ombre le visage de la jeune femme, éclairait en plein les doigts cousant ou maniant les cartes, une bobine de fil blanc, une étoile de carton enroulée de fil noir. La figure de la petite penchée sur son image entra dans le cercle de lumière qui coupait au milieu des manches les bras de madame Désableau maintenant un peu reculée et appuyée à la renverse sur le dossier de sa chaise.

—Et ce café, dit le mari, il n'arrive donc pas?

—Eugénie, à quoi pensez-vous donc, cria la femme, vous voyez bien que Monsieur attend son café, ma fille!

La bonne apporta un sucrier, une tasse, une cuiller, versa le café d'une petite bouillotte. Madame Désableau se trempa un canard, permit à l'enfant d'y mordre, fit fondre béatement le restant du morceau de sucre dans sa bouche.

Depuis huit mois qu'il avait été promu sous-chef dans une mairie, M. Désableau avait enfin assouvi le désir qui le possédait depuis des années, prendre du café, tous les jours, après ses repas. Jusqu'alors sa femme s'y était opposée, par économie.

—Ce n'est pas tant le café qui est cher, disait-elle, c'est le sucre qu'on y met.

Contraints à mener la vie fétide et bornée des pauvres bourses, les Désableau avaient dû, pour joindre les deux bouts, se priver, tous les jours de la semaine, à l'exception du dimanche, de ce misérable luxe de la demi-tasse que les concierges et les ouvriers eux-mêmes ne se refusent pas.

Pendant vingt années, M. Désableau avait couvert des fiches de bâtarde et de ronde, classé dans des cartons d'inutiles paperasses, tenu à jour un volumineux registre culotté de peau verte. Il avait, au bout de ce laps de temps, acquis les manies nécessaires pour commander aux autres; l'on attendait sans doute qu'il eût contracté les infirmités des gens trop souvent assis pour l'élever en grade encore et le décorer.

Solennel à propos de tout, il était d'allure affairée et grave, portait des cols empesés très droits, des cravates noires enroulées par deux fois autour du cou, montant haut derrière la nuque, attachées sous le menton par un nœud très court. Il aimait à pérorer, les mains dans les poches, les jambes écartées, comme un avocat. Au repos, il ouvrait sous un binocle aux verres cerclés de buffle noir, des yeux ébahis qui démentaient le geste habituellement pensif de ses doigts fourrageant dans des favoris couleur de grès.

Sa femme était replète, montrait des blancheurs de viande échaudée et de grands yeux vides. Elle avait un vaste menton tombant sur un plus petit, des pincées de poils gris, rebelles aux épilatoires, le long des lèvres.

Elle suait sang et eau, le jour, pour assurer la vie de son intérieur; le soir, elle se boulait sur sa chaise, descendait sa gorge et remontait son ventre, disait, toutes les dix minutes, à sa fille: Justine, tiens-toi donc mieux que cela! se tournait du côté de sa nièce, lui demandait un sommaire des faits notés par le Petit Journal, écoutait son mari qui prenait feu dès qu'on parlait des Chambres.

Les opinions de M. Désableau étaient simples; il croyait à l'honnêteté des hommes politiques, à la valeur des hommes de guerre, à l'indépendance des magistrats, aux complots des jésuites et aux crimes des démagogues.

Ayant par hasard lu les élogieuses platitudes débitées par les doctrinaires sur l'Amérique, il exultait les mœurs de cet odieux pays, souhaitait que le nôtre lui ressemblât, prônait les idées utilitaires, les bienfaits de l'instruction, le progrès, les courtes libertés des républiques.

Il aggravait encore ces exorbitantes niaiseries par le ton sentencieux dont il les prononçait; sa femme restait coite, béait, extasiée, dès qu'il ouvrait la bouche.

De caractère, elle était molle et âpre, tout à la fois; âpre au gain, molle au plaisir; elle eût rogné dix centimes sur le manger de chaque jour, dépensé ses économies afin de donner un bal.

Une fille était née tardivement de son union avec M. Désableau, la petite occupée pour l'instant à gâter une image d'un sou. Ils avaient toujours convoité un fils, ils eussent voulu fonder une génération d'employés, imiter ces familles dont tous les rejetons se succèdent interminablement sur la même chaise, vivent et meurent dans une misère crasse, sans même avoir tenté de gagner le large.

C'est, disait M. Désableau, un état peu lucratif mais honorable et puis, c'est aussi une place sûre et, sans hésitation, il ajoutait: nous représentons, en notre qualité de fonctionnaire, la noblesse de la bourgeoisie.

Leurs vœux demeurèrent inexaucés.—Ils n'enfantèrent aucun garçon. En revanche, ils eurent à parfaire l'éducation d'une nouvelle fille. Berthe Vigeois, leur nièce, perdit son père subitement et vint habiter chez eux. Elle ne leur imposa d'ailleurs aucune charge, elle aida même à la marche hésitante du ménage avec les soixante mille francs qu'elle apportait. On disloqua, à son profit, un cabinet de toilette attenant à la chambre à coucher, on y rangea tant bien que mal les meubles réservés sur la vente de la succession. La quiétude de cette famille, troublée par ces apprêts, reprit peu à peu; on allongea la soupe, on acheta plus souvent de la vraie viande, on put enfin convier à des sauteries quelques personnes.

Berthe avait, à cette époque, près de vingt ans; sa mère était morte alors qu'elle en avait douze. Elle grandit auprès d'un fauteuil où son père, agité et malingre, sortait de ses couvertures de voyage à neuf heures du soir. Alors on sonnait la bonne pour préparer les lits, pour chauffer celui de Monsieur et Berthe écrasait les braises à coup de pelle dans la bassinoire, mettait le garde-feu, tendait le front à son père, allumait son bougeoir et, reculant, malgré le froid, le moment de se coucher, elle retenait la bonne venue dans sa chambre pour ouvrir les draps, l'écoutait raconter toutes les misères de sa maison, tous les ragots de son quartier.

Ancien commerçant en rouenneries, Henry Vigeois, son père, était un homme qui avait réussi, malgré sa loyauté en affaires, à amasser une petite fortune.

D'esprit étriqué et bonasse, il avait pivoté, toute sa vie durant, au moindre souffle de son épouse, une maîtresse femme! Maintenant qu'elle était morte, il niait la servitude qu'il avait endurée, criait comme une pie dès que sa fille et sa bonne n'obéissaient pas à ses moindres ordres. Il était de relations difficiles au premier abord, mais Berthe le maniait avec une aisance sans égale; elle le retournait comme un vieux gant, s'arrêtait quand il fronçait les yeux, attendait qu'il fût mieux disposé, débusquait soudain et enlevait d'un coup ses volontés. Parfois cependant, lorsqu'il était aigri par des rhumatismes, ses attaques échouaient, mais elle reprenait patiemment les questions sur lesquelles il avait refusé de l'entendre, les lui présentait sous une autre face, l'amenait à répondre oui, l'écoutait répéter une fois de plus qu'il ne revenait jamais sur sa parole.

Ces luttes quotidiennes la mûrirent promptement. Elle fut apte de bonne heure au mariage. Couchée trop tôt, elle réfléchissait longtemps avant de s'endormir et préparait ainsi de terribles tracas au mari qui la voudrait prendre. Elle aurait pu être moins rouée, n'ayant jamais été dans un pensionnat ou dans un couvent, mais l'ennui des mornes soirs, en vis-à-vis avec son père, avait furieusement aiguisé ses appétits de jouissance et de luxe. Dans le mariage, elle voyait la revanche de sa vie monotone et plate, elle voyait un avenir de courses enragées à travers les théâtres et les bals, tout un horizon de dîners et de visites.

Elle se consolait du présent, en évoquant la perspective de ces futures joies, rêvait, absorbée, sur sa chaise, lisait à la quatrième page du journal le programme des représentations, pensait à Fra-Diavolo qu'elle avait admiré jadis, se sentait de vagues désirs pour le ténor qui emplissait si fièrement ses culottes blanches et poussait des sons roucoulants, dans des poses plastiques.

Elle avait eu, comme presque toutes les femmes, un idéal de cabot pommadé, puis, peu à peu, elle s'était rendu compte que ces séduisants personnages n'étaient au demeurant que des bouffons vulgaires, des machines malpropres qui crachaient des notes.

Son idéal devint alors plus nébuleux et plus confus. A peine s'incarnait-il dans les aimables forbans décrits par Fénimore Cooper, dans les héros fabriqués par George Sand ou par Dumas père. Elle contentait ses élans et ses fièvres en les déversant sur son piano qui retentit pendant des mois de rêveries larmoyantes et de marches turques.

Puis elle eut une heure de bon sens, elle reconnut l'inanité de ses songeries; alors elle pensa, au solide, au bien-être d'une situation riche. Elle soupira moins souvent, et comprit que cette vie morte qu'elle menait avait bien ses avantages. A défaut d'amusements et de fêtes, elle jouissait du moins d'une certaine liberté; son père la laissait sortir avec sa bonne et elle courait les magasins, souriait volontiers aux compliments des calicots, aspirait après des intrigues, par désœuvrement. Sa grande préoccupation était d'être élégamment mise et elle ratissait sur l'argent du ménage pour se payer des bottines plus raffinées et des bas plus chers. Elle s'était même acheté une boîte à poudre de riz et, comme son père n'eût pas supporté qu'elle s'enfarinât les joues, elle se nuait le visage de blanc, le soir, devant sa glace, goûtait de la sorte à des coquetteries intimes et défendues, glissait doucement pour en satisfaire de plus coûteuses, à de banales carottes, encouragée par la bonne qui s'adjugeait pour prix de ses complaisances les robes un peu défraîchies de Mademoiselle, la permission d'être libre plus souvent, le droit de pratiquer sans vergogne d'amples maraudes. Quelquefois M. Vigeois hasardait une observation, prétendait que du temps de sa défunte femme, le harnais féminin coûtait moins cher. Berthe répondait tranquillement que le prix de l'existence avait triplé depuis cette époque.

—Tu dépensais moins en nourriture, reprenait-elle, et pourtant notre table n'a pas changé.

Son père en convenait et, quelques jours plus tard, elle l'investissait prudemment, pas à pas, lui persuadait de nouvelles nécessités de toilettes et il finissait par céder, flatté au fond que sa fille fût jolie et vêtue à la dernière mode.

Elle était d'ailleurs comme la plupart des jeunes filles qui ont perdu leur mère de bonne heure, très mal élevée. Elle voyait dans son père un banquier dont la caisse devait fournir à tous ses besoins et à tous ses caprices. Et là, l'éternel féminin se retrouvait; toute la femme était là, honnête ou non, qui juge naturel de soutirer à l'homme de qui elle dépend, qu'il soit son père ou son entreteneur, autant de monnaie qu'elle en peut prendre. Le combat sans cesse renouvelé entre la volonté bien assise de l'homme et les simagrées têtues de la femme, s'était fatalement engagé; et, comme de juste, l'homme et le père étaient d'avance vaincus par la femme et par la fille.

L'opulence des brodequins et le gala des robes enhardirent du reste les ambitions de Berthe. Dans le but de pêcher un mari, elle décida son père à la confier à des parents qui la menèrent dans le monde.

Elle y obtint des succès. Des partis avantageux, presque inespérés se présentèrent.—Aucun ne la contenta. Celui-ci avait l'air d'un garçon tapissier, les cheveux comme des baguettes de tambour; celui-là avait le tour des yeux à vif, l'allure empruntée et gauche. Elle voulait un homme qui payât de mine, lui procurât des plaisirs, lui garantît une vie luxueuse et douce. Pendant deux années, elle repoussa tous ces prétendants qu'elle jugeait sur la forme de leur nez et sur la coupe de leur habit. Si pratique qu'elle fût, la légèreté de sa cervelle de femme lui faisait commettre toutes ces bévues.

Son idéal avait attrapé déjà bien des renfoncements et bien des accrocs, lorsque son père s'affaissa, frappé d'un coup de sang, sur le tapis; son existence changeait du jour au lendemain. Elle s'ennuya mortellement chez les Désableau. La liberté dont elle jouissait avec sa bonne cessait; sa tante l'accompagnait où qu'elle allât. Ses longues flânes dans les magasins étaient devenues impossibles; les ficelles qui réussissaient facilement avec son père, n'avaient aucune chance d'être acceptées par une femme économe comme était sa tante. Elle dut s'accommoder de la modique pension que son oncle et tuteur lui accorda pour ses frais de toilette.

Cette sujétion lui pesait et elle n'était compensée par aucun avantage. Avec son père, elle sortait peu, parce qu'il était presque paralysé; avec son oncle, elle ne sortit guère plus et elle dut subir les regrets plaintifs de ces petits bourgeois, enragés malgré tout de leur situation médiocre, s'efforçant quand même de représenter, mangeant de la carne et buvant du râpé, pour donner une soirée et se mieux vêtir. Habituée à un certain confortable, elle vécut dans une gêne mesquine et plate.

Elle fut prise de pitié devant ce vin que l'on achetait au litre chez un épicier et que l'on transvasait dans des carafes pour la table; elle eut le dégoût de cette viande de bas étage, prétentieusement parée, de ces poissons défraîchis et couchés néanmoins sur une serviette; elle eut un sourire de mépris quand, profitant d'une gratification, les Désableau firent poser un timbre à leur porte d'entrée. Le coup impérieux du timbre leur paraissait aristocratique, propre à les rehausser dans l'estime des gens qui le faisaient vibrer. Seulement, comme la cuisine et la salle à manger étaient séparées du vestibule par un long couloir, ils avaient, ne pouvant entendre l'appel du timbre, conservé leur ancienne sonnette qui derlinait comme jadis plus près d'eux, et les avertissait qu'une visite attendait sur le palier.

Ce fut sur ces entrefaites, après ces soirs, où regardant la famille attablée et occupée à de fastidieux délassements, Berthe regrettait de ne pas s'être mariée, qu'André fut présenté dans la maison. Il ne lui plut, ni ne lui déplut. Il lui sembla distingué. Les Désableau ne furent point partisans de ce mariage. La profession d'homme de lettres épouvanta le mari. Il y voyait des cascades, des noces furieuses, une vie débraillée, cousue à la diable, craquant sur toutes les coutures; la femme, elle aussi, considérait André avec inquiétude et n'augurait rien de bon d'un homme qui avait dû manger avec des actrices. Berthe fit simplement observer à son oncle, que tous les renseignements étaient favorables et que bien qu'il fût artiste, ce jeune homme possédait des rentes. Elle déclara péremptoirement d'ailleurs qu'André lui convenait.

Le mariage fut célébré. Elle demeura interdite. Tous ses rêves de jeune fille se détachèrent, un à un; toutes les joies révélées par des amies, à voix basse, dans le coin des fenêtres, toutes les attentes de paradis brusquement ouvert sous des courtines, ratèrent. Froide de sens, elle ne vit dans les transports autorisés par l'Église qu'une convention répugnante, une saleté pénible.

Puis son mari lui parut vieux de caractère. Après l'affection bougonne de son père, la prud'homie gourmée de son oncle, elle eût désiré des laissez-aller, des enfantillages dont elle profiterait dans le tête-à-tête. André avait adopté le ton paternel et bienveillant. Il se tenait surtout sur la défensive et cherchait sous des dehors affectueux à sonder sa femme. Ne pas la choquer en face, ne pas agiter devant ses yeux des lambeaux de rouge, la tenir sans qu'elle sentît trop la laisse, envelopper de délicatesses fondantes la dureté d'un refus, tel était son système. Aussi lorsqu'elle voulut par une guerre sourde, lui imposer, comme jadis à son père, toutes ses volontés, il se rendit promptement compte de cette force d'inertie remuante, de cette ruse que rien ne lassait. Il se rebiffa d'abord, s'avoua à la longue et une fois de plus, avec la mélancolique expérience des gens qui ont beaucoup pratiqué les filles, qu'il n'était pas de force, céda pour avoir la paix; seulement, tout en disant oui, il démontait par un mot devant Berthe, le mécanisme dont elle se servait. Un jour même qu'il était de bonne humeur, il lui dit, au moment où elle commençait ses manigances: C'est cela que tu vises, dans huit jours tu démasqueras tes batteries; va, fais-le tout de suite.

Elle devint rouge, bouda, mortifiée d'avoir pour adversaire un homme qui s'arrêtait devant ses pièges et riait, en les montrant du doigt, avant d'y tomber.

Somme toute, ils demeurèrent, les premiers temps, dans une intimité attentive et inquiète. L'un et l'autre s'épiaient, devinant sous toutes ces escarmouches, sous tous ces combats d'avant-garde, une infinissable et opiniâtre lutte. Désarmé comme tous les malheureux qui ont longtemps vécu seuls, par le moindre simulacre d'affection et de petits soins, André se disait parfois que sa femme était volontaire et têtue, mais qu'au fond c'était une brave et honnête fille qui l'aimait vraiment. Puis il y eut une trêve de plusieurs mois; il s'imagina que Berthe avait renoncé à ses projets, qu'elle était lasse de ces tiraillements; il ne comprit pas que, par une évolution nouvelle, elle l'avait, coup sur coup, battu sur toute la ligne. Elle usait en effet maintenant d'un stratagème irrésistible. Elle avait l'habileté de paraître envier une chose à laquelle elle ne tenait point et qu'elle savait être parfaitement désagréable à son mari, et elle y renonçait de son plein gré, pour lui faire plaisir. Il ne restait plus à André qu'à céder sur les points qui lui semblaient moins graves. Encore qu'il fût défiant, il s'empêtrait dans cette embûche et il justifiait, une fois de plus, cette irrécusable vérité que si stupide et si bouchée qu'elle puisse être, une femme roulera toujours l'homme le plus intelligent et le plus fin.

La maladie de leur mariage n'était pas malgré tout arrivée à la période aiguë. La guerre n'éclata, à ciel ouvert, qu'un certain soir. André eut la malencontreuse idée d'inviter à dîner son plus ancien et son meilleur ami, Cyprien Tibaille qui vint sans enthousiasme et lâcha des gants pour la circonstance.

La réception avait été plus que froide. A table, le silence insolent de Berthe, sa hâte à faire desservir les plats, le ton aigre de son… «personne ne veut plus de gigot?» accompagné d'un coup de timbre pour appeler la bonne, avaient mis André à la torture.

Il s'ingéniait à trouver des mots drôles, à égayer le repas, lançait des clins d'yeux à sa femme qui pétrissait suivant son habitude, une boulette de mie de pain entre ses doigts et se dispensait même de répondre aux politesses de son convive.

Tous les lieux communs avaient suivi leur cours. La conversation s'était épuisée sur un plat de Delft, pendu au mur. Ce repas, avalé au grand galop comme dans un buffet de chemin de fer, semblait malgré tout interminable. Quand il s'acheva pourtant, Cyprien, de plus en plus froissé par l'inattention persistante de Berthe, parvint à reprendre le dessus; il se versa le vin qu'elle ne lui offrait pas, et les coudes sur la table, il se tourna du côté d'André, et tous deux balayant d'un commun accord l'amas des banalités qu'ils entassaient depuis la soupe, causèrent comme au bon temps. Ils se rappelaient de joyeuses anecdotes, riaient franchement, sans plus s'occuper de la femme. Berthe jugea qu'il était temps d'intervenir. Elle dit d'un ton moitié rêche, moitié plaisant: voyons, monsieur, vous n'allez pas, je pense, rappeler à mon mari les aventures de sa vie de garçon?

Elle coupa court à leur causerie. Ils gardèrent le silence pendant quelques minutes. André se dominait, résolu à ne pas aggraver encore par des disputes le glacial embarras que jetait sa femme. Il voulut réagir, tenta de lancer une fusée; l'atmosphère était trop saturée d'ennui, elle ne prit pas. Cyprien voulut, de son côté, secouer la lassitude qui l'accablait, il fit flèche de tout bois, parla, sans intérêt, des réchauds en ruolz placés sur la table. André saisit l'occasion, entama une inutile discussion sur la valeur de l'alfénide et du maillechort; ses paroles, tombaient sans écho dans un silence morne. Alors il essaya d'être jovial:

—Pristi! mon vieux, dit-il, ne les emporte pas, hein? et, s'adressant à sa femme, il ajouta cette plaisanterie commode: Berthe, tu feras bien de surveiller Cyprien quand il partira.

Elle répondit avec un beau calme:

—Pourquoi? tu sais à quoi t'en tenir, Monsieur est ton ami, puisque c'est toi qui l'amène.

Après cette grossièreté, la conversation cessa complètement. Le dessert fut vite expédié.—Cyprien tendit la main vers une assiette de brugnons, Berthe feignit de ne pas voir son mouvement, sonna pour faire enlever les plats et apporter le café. Tous les deux espéraient qu'elle allait les laisser seuls. Elle ne bougea pas, déclara seulement, lorsque son mari apprêta une cigarette, que la fumée de tabac ne la gênait point et elle s'accouda, les yeux au plafond, paraissant ignorer qu'André cherchait des allumettes, que le peintre se démanchait le bras à vouloir atteindre une bouteille de rhum.

—Tiens, il faut que je te fasse goûter du kirsch, dit André.—Berthe, donne-nous donc une bouteille; elle doit être là, dans le bas du buffet, sur la deuxième planche.

Elle se leva de mauvaise grâce.

—Je n'en vois pas, dit-elle.

—Mon Dieu! fit André impatienté, je te dis, là, tiens, derrière le cognac.

Elle atteignit enfin un litre blanc. Ils le débouchèrent, c'était de l'eau-de-vie de marc.

Cette fois, elle se releva avec une mine si appesantie et si quinteuse que Cyprien dut s'écrier:

—Madame, je vous en supplie, ne vous donnez pas cette peine.

Exaspéré, André s'était vivement désassis, et il avait pris, là où il le désignait, un flacon de kirsch. Ils en burent un petit verre, puis Cyprien s'excusa de ne pouvoir rester plus longtemps. Berthe garda son attitude impassible, n'eut même pas la politesse de le retenir et il quitta la place, harassé et le ventre vide.

Une fois la porte fermée, la scène éclata, terrible; André secoua sa femme d'une rude façon; elle adopta le parti des syncopes et des larmes. Il finit par demeurer penaud, craignit d'être allé un peu loin, ramassa sa femme, l'embrassa, lui adressa presque des excuses.

A partir de cette soirée-là, la lutte s'accentua.

Berthe ne pardonna jamais à son mari de l'avoir traitée comme une enfant qui est malheureusement trop grande pour qu'on la puisse encore fouetter; elle avait cependant touché ce but si ardemment poursuivi par les jeunes mariées: flanquer à la porte de chez elles, les amis de l'homme qu'elles ont épousé; elle eût pu, par conséquent, se montrer plus indulgente; mais la hauteur inusitée qu'André avait mise dans ses reproches, la révoltait, puis, il avait eu de même que tous les gens faibles, la bêtise de laisser voir qu'une fois la semonce donnée, il la regrettait. Du coup, elle comprit que sa fermeté était ébranlable, que cette lucidité d'observation si périlleuse d'abord, commençait à se brouiller; elle ne l'avait jusqu'ici ni aimé, ni haï, elle en arrivait maintenant à le détester.

Plus elle y pensait, plus elle était à présent convaincue qu'elle avait commis une sottise en l'épousant. Après avoir manqué des mariages avantageux, elle aurait dû attendre encore. Parmi les gens empressés autour d'elle dans les rares salons où son oncle acceptait de la mener, elle aurait pu découvrir un prétendant plus mondain, plus riche. De retour chez elle, après les sueurs mal séchées des valses, elle songeait aux danseurs qui l'avaient étreinte, s'imaginait qu'elle aurait été plus heureuse avec l'un d'entre eux. Dans tous les cas, ces gens-là avaient des positions honorables, pouvaient, en travaillant, augmenter leur avoir, rendre l'existence de leur femme plus large. André s'occupait de littérature, une position méprisée par toutes les familles qu'elle connaissait, une position qui consistait à tourner ses pouces et à écrire la valeur de deux lettres par jour. Du reste, il ne pouvait avoir du talent, puisque le peu de livres qu'il avait écrits ne se vendaient point.

Grâce à lui, sa vie restait humble et basse, grâce à lui, elle était la plus malheureuse des femmes, et, elle s'apitoyait avec des rages sourdes sur son sort, regardait pendant de longues soirées, son mari travailler des phrases. Elle haussait les épaules à la vue de ses hésitations, de sa manière furieuse de mâcher son porte-plume, de ses ratures de lignes entières, de ses surcharges encore biffées, de ses renvois barrés de lignes d'encre; elle finissait par s'impatienter de son silence obstiné, de ses grognements de dépit, et elle l'interrompait par des observations de ce genre: prends donc garde, tu vas tacher avec ta plume le tapis de la table.

Il lui semblait que si elle avait appris un métier, elle l'aurait exécuté sans des tâtonnements pareils. Elle ne croyait pas qu'il fût plus difficile de mettre des mots en place que de remplir de points de laine le canevas d'une tapisserie. Elle était irritée contre son mari qui, les soirs où elle eût désiré sortir, objectait qu'il était en veine de travail, s'attelait rageusement à un chapitre, s'arrêtait, incertain, rêvassait pendant des heures, se frottait radieusement les mains. Un jour, elle lui dit:

—Pour le peu de besogne que tu as abattu, ce soir, tu aurais tout aussi bien fait de me mener dans le monde.

Elle avait les bourdonnements et les harcèlements insupportables d'une mouche et son mari ne pouvait ni l'écarter, ni se plaindre, car jamais elle n'était dans son tort. Elle lui demandait d'un ton dégagé, si son livre marchait, le dévisageait d'un air de doute, s'il disait oui, d'un air éploré, s'il disait non. Elle lâchait d'atterrantes réflexions sur les volumes qu'elle lisait, répétait les soirs où André se démenait sur son papier: c'est amusant ce roman que je viens d'achever; c'est écrit avec une facilité! et elle ajoutait quelques minutes après: faut-il remonter la lampe? Si tu dois veiller tard, j'y remettrai de l'huile.

André mâchait ses colères, répondait parfois comme un homme qui s'impatiente. Elle prenait alors une voix suppliante:

—Voyons, ne me parles pas ainsi, ce n'est pourtant pas de ma faute si tu ne peux pas!

D'autres fois, elle se lançait dans des éloges pompeux sur les œuvres des maîtres qu'adorait André.

—Il est bien juste qu'ils gagnent de l'argent, disait-elle, ils ont tant de talent!

Elle parvenait à rendre désagréable pour son mari les louanges qu'elle décernait aux artistes qu'il aimait le mieux!

Elle était arrivée à raffiner l'âcreté de ses morsures; de même que la plupart des femmes, elle considérait, du reste, son mari comme une bête de somme et s'indignait que, malgré les coups d'aiguillons, il ne travaillât pas d'arrache-pied afin de lui permettre à elle d'augmenter encore le nombre de ses fantaisies. Si autrefois elle prenait son père pour un banquier, elle trouvait juste au moins qu'il ne lui allouât qu'une somme en rapport avec ses moyens; maintenant elle eût trouvé naturel que son mari se saignât aux quatre membres, qu'il trimât ainsi qu'un mercenaire, à seule fin de lui fournir le pouvoir de dépenser plus.

Son père en était quitte à bon compte, et il avait pour récompense de ses largesses la gratitude câline de la femme, André pas. Elle eût regardé d'ailleurs les plus durs sacrifices qu'il se serait imposés comme lui étant dus; il n'eût même pas été dédommagé de sa peine par un peu de reconnaissance.

Il ne méritait, pensait-elle, ni encouragement, ni pitié. Il était imbécile et maladroit! Quand on songe qu'il n'avait pas seulement eu l'adresse de profiter de cet avantage de tous les écrivains: obtenir des billets de théâtre et de concert. En l'épousant, elle s'était promis ces joies qui lui avaient été si longtemps interdites, être assise dans un fauteuil de balcon et ne pas payer!—Il prenait des places à ses frais comme un simple bourgeois, lorsqu'elle le tourmentait pour voir une pièce.

Elle finit par ne plus vouloir aller au théâtre dans ces conditions. Le bonheur qu'elle y goûtait était gâté par la pensée qu'elle aurait pu le ressentir, sans bourse délier.

Il vint un moment pourtant où elle se lassa de rester ainsi sur le qui-vive; alors, elle tomba dans une inertie désolée, mena une existence engourdie, sans imprévu et sans espoir. Elle resta longtemps au lit, s'éternisa dans un fauteuil. Ses bonnes s'enhardirent, la pillèrent sans modération. André hasarda quelques reproches qu'elle reçut avec l'air d'une victime qui s'attend à tout. Alors il se tut, tâcha de s'enfoncer dans le travail, regarda galoper devant lui la déroute de son ménage; puis, alarmé un jour, par l'attitude endolorie de sa femme, il se résolut à l'égayer; il endura même le supplice qu'il avait presque toujours évité jusqu'alors et il s'y accoutuma même sans trop d'ennui, il traîna Berthe dans les salons. Ce fut peine perdue, elle le considérait comme un rabat-joie, s'ennuyait, malgré tout, quand il était là.

Dans cette vie désheurée, les cancans de ses bonnes devinrent ainsi qu'autrefois lorsqu'elle était jeune fille, une attirante distraction, mais elle n'éprouvait réellement de plaisir que dans la compagnie de quelques camarades, jeunes mariées comme elle. Alors, dans la journée, en l'absence des hommes, elles s'installaient près de la cheminée et les papotages sautaient, les petits secrets de l'alcôve s'ébattaient dans les sourires, les confidences commencées s'achevaient dans le va-et-vient des éventails. Chacune se plaignait de son mari, mais leurs yeux à toutes étincelaient lorsqu'insensiblement la conversation s'arrêtait aux intimités haletantes des nuits. Il y avait des temps d'arrêt, des petits silences coupés par des chuchotements derrière les doigts, des invites à parler plus haut, des exclamations pudibondes et envieuses, des éclats frissonnants de rire. Berthe demeurait silencieuse, se demandant de quelle chair elle était pétrie, comment ses nerfs pouvaient rester détendus, comment ses élans n'aboutissaient pas.

—C'est la faute de monsieur ton mari, lui disait l'une.—Ah Dieu! ma chère, reprenait une autre, moi, j'en mourrais, à ta place; toutes s'efforçaient de lui arracher des détails précis sur les inhabiles tendresses qu'elle devait subir. Berthe se défendait, ne lâchait que des indications confuses sur lesquelles elles se lançaient, bride avalée, sabrant le mari, le représentant comme un être indélicat et comme un sot.

Berthe arrivait à se convaincre que si elle avait épousé un autre homme, il n'en eût certainement pas été ainsi; les quelques doutes qu'elle pouvait conserver encore s'évanouirent subitement. Un danseur qui l'invitait à valser dans les bals, lui serrait ardemment les mains et elle éprouvait une sensation délicieuse, un frémissement par tout le corps, une sorte de vertige qui la jetait, lacée étroitement sur lui, pâmée, tressaillante, entre ses bras.

L'homme qui la remuait de la sorte était un grand gommeux, avec des cheveux rares au sommet, poicrés par de la bandoline sur les tempes, couchés sur le front en éventail. Il était mis à la dernière mode, portait des cols évasés comme des soupières, de doubles chaînes de montre, des plastrons bombant, des culottes étroites du fond et larges des pieds. Il débitait d'une voix indolente les balivernes monstrueuses des salons. Il se hasardait peu à peu, était soutenu dans ses projets par toutes les amies de Berthe.

Elles exécraient son mari qui, les redoutant, avait défendu à sa femme de les fréquenter; elles l'exécraient, parcequ'il ne frayait pas avec leurs maris à elles, des commerçants occupés de leurs négoces ou des plaisirs du baccarat et des courses. Elles poussaient à la chute de leur amie, pour s'enorgueillir d'elles-mêmes qui ne succombaient point; elles poussaient à sa chute par une lâcheté de gamines qui, n'ayant point le courage de faire le mal, persuadent à la plus bête d'entre elles qu'elle devrait le commettre, quitte à la repousser ou à la dénoncer après.

Berthe se révoltait, jugeait indigne de tromper son mari, même quand on ne l'aime pas. Elle se débattait, alors que seule, elle laissait s'égarer ses pensées, arrivait à se ressasser les arguments convenus, les raisons préparées et servies par des générations entières de femmes, les excuses de toutes les bassesses et de toutes les fautes.

Le jeune homme devenait de plus en plus pressant et mendiait des rendez-vous avec instance. Elle était assiégée de tous les côtés; il la bloquait, lui bouleversait le sang avec ses yeux, et ses amies lui parlaient sans cesse de ce gommeux, vantaient ses rares qualités, ses grâces. Elle lui donna deux, trois rendez-vous, n'y alla point, le reçut un jour chez elle, en l'absence d'André, fut perdue dans un coin, à la cantonade; elle resta comme écrasée. La terre promise qu'elle avait entrevue lui échappait encore. Les voluptés tremblantes de l'adultère ne la soulevèrent point. Devant l'amant comme devant le mari, l'émoi des sens avorta, la bourrasque tant attendue ne vint pas. Elle pensa devenir folle, s'acharna quand même à la poursuite de ces ardeurs qui ne pouvaient éclore; elle se réfugia dans cette liaison, se forçant à penser à son amoureux, dans ses heures de vide, se contraignant malgré elle à vouloir l'aimer.

Alors, elle ne se plaignit plus de son mari qui s'applaudissait de la voir enfin conciliante et douce, mais elle reprocha à sa famille, au hasard, au ciel, la matière dure dont elle était bâtie, l'engourdissement de passion qui la possédait, la trivialité du réel succédant à ses rêves, quand elle se croyait sur le point de les atteindre.

Tout à ses livres sur lesquels il bûchait péniblement sans se satisfaire, confiant en l'honnêteté de sa femme, André ne s'était douté de rien. Il avait fallu sa rentrée hâtive, un soir, pour que l'infamie de son ménage s'étalât devant ses yeux, en plein.

Lorsque son mari apparut brusquement cette nuit-là et surprit auprès d'elle un homme en chemise, Berthe reçut un terrible choc; elle se tenait encore debout, qu'elle ne savait déjà plus où elle était. Elle s'abattit sur le plancher, tandis que les deux hommes descendaient ensemble. Elle reprit longtemps après connaissance, fut sans force pour se lever, comprit seulement, d'instinct, dans la torpeur qui l'écrasait, que tout s'était écroulé autour d'elle, qu'elle gisait, ensevelie à jamais sous des décombres.

Le matin, elle se hissa, hébétée, le long du lit; le rappel de son malheur la frappa; elle sanglota, désespérée, ne sachant plus que devenir. Une seule pensée surnageait dans cette mer d'angoisses, celle de ne pas se montrer à son mari.

Elle eût préféré qu'il la tuât plutôt que de supporter la honte de sa vue, l'amertume de ses reproches. Elle n'eut qu'un but, fuir, et, précipitamment comme prise de délire, elle s'habilla, se sauva de cette maison ainsi que d'une ruine qui menace.

Elle marchait dans la rue, se répétant qu'après un pareil désastre elle ne pouvait plus implorer que son complice. Elle s'arrêta tout à coup, se souvenant qu'il habitait dans la maison de sa famille, qu'il ne pouvait recevoir de femmes, puis, elle poursuivit sa course, se disant que dans une telle débâcle, les convenances importaient peu!

Il était encore couché lorsqu'elle frappa à sa porte. Elle haletait, étouffée par l'ascension des cinq étages; il demeura stupéfié devant elle, puis il débarrassa un fauteuil des hardes qui le couvraient.

—Qu'est-ce qu'il y a, dit-il, d'une voix tremblante? Alors elle perdit le peu de sang-froid qui lui restait. Elle se pendit à son cou et balbutia des mots entrecoupés de larmes: je n'ai plus que toi, sauve-moi dis, tu m'aimes bien n'est-ce pas?

La contenance du jeune homme devenait de plus en plus soucieuse. Il bredouilla: «tu sais bien que je t'aime,» et, tout en boutonnant le col de sa chemise de nuit, il lui versa quelques bribes d'affections, puis il lui débita péniblement les histoires prévues: Elle n'y songeait pas; elle se mettait hors la loi, risquait d'être ramenée de force chez son mari, traînée devant les tribunaux. C'était la honte pour elle et pour sa famille, c'était son aventure racontée dans tous les journaux avec son nom et celui de son père. Lui-même ne se relèverait pas d'un tel scandale, ses parents le chasseraient. Ah! il fallait bien réfléchir avant de faire un semblable coup de tête! et puis, quelle vie serait la leur! il ne pouvait quitter les siens, il n'avait aucune fortune personnelle, c'était la misère noire qu'ils se préparaient. Oh! il ne pouvait y avoir de doute, son père serait inflexible et lui rognerait les vivres. Il entrerait seulement, là, maintenant, verrait une femme chez son fils, qu'il ne les laisserait certainement pas sortir vivants de la chambre.

Il lui tenait la main, lui exposait piteusement sa situation, répétait plusieurs fois de suite les mêmes arguments, épiait sur sa face l'impression qu'ils produisaient, insistait de préférence sur la honte des familles, sur les poursuites de la justice.

Toute blanche, elle l'écoutait, ne soufflait mot.

—Tu comprends, reprenait-il, la mine pleurarde, mourant de peur qu'elle ne restât chez lui, craignant qu'elle ne comprît enfin qu'il n'avait eu qu'un but, en la séduisant, se garder de l'amour sur la planche, sans frais; tu comprends, tout ce que je te dis là, c'est dans ton intérêt, peu m'importe à moi que ma vie soit brisée, je t'aime assez pour cela! Mais en fin de compte tout n'est pas désespéré. Ton mari aurait pu prendre la chose plus mal; il te pardonnerait peut-être si tu voulais bien. Voyons, il n'a pas l'air d'un méchant homme, tu en serais peut-être quitte pour quelques reproches. Quant à moi, je me sacrifierai, je ne te verrai plus, je m'efforcerai de t'oublier si cela peut te rendre la vie heureuse! Ah! je souffre de te parler ainsi, de plaider contre mon propre cœur, mais je le dois, après le mal que je t'ai fait involontairement, car l'amour ne raisonne pas, je veux t'empêcher d'achever ton malheur par une esclandre. Mon Dieu! Mon Dieu! que tout cela est triste, pauvre chérie, va, oh! nous ne sommes pas heureux! le ciel est témoin que si cela dépendait de moi, mais je ne sais pas, que puis-je faire, dis, quoi?

Il avait l'air si lamentable et si penaud qu'elle en eut presque pitié.

On toqua discrètement à la porte, puis une voix de femme s'entendit: Monsieur Alexis, on vous attend pour déjeuner.

Berthe demeura stupide. Elle regarda cet homme qui mettait son paletot et se donnait un coup de brosse avant de descendre.

Alors, elle songea que tandis que tout s'était effondré autour d'elle, tandis que son existence était à jamais perdue, lui, son amant, allait tranquillement au milieu de sa famille, déjeuner comme de coutume. L'immense infortune qui l'accablait n'avait même pas rejailli sur lui. Il était pourtant aussi coupable qu'elle! cette dérision du sort l'indigna. Pour ce bellâtre, elle avait trompé un mari qui valait certes mieux; pour ce lâche qui ne cherchait qu'à se débarrasser d'elle, elle était tombée dans une telle boue que jamais plus elle ne s'en laverait!

Elle s'essuya avec la main les yeux, rajusta son chapeau qui s'était défait et, sans y penser, instinctivement, elle nouait les brides de ses mains tremblantes, arrangeait ses cheveux derrière ses oreilles.

Il eut l'œil allumé de joie.

—Tu t'en vas, dit-il faiblement, et il lui apporta son parapluie qu'elle ne cherchait point. Elle ne lui tendit même pas la main. Il crut nécessaire de murmurer:

—Je te reverrai? où ça?

Elle le toisa, ouvrit la porte, sortit sans même se retourner.

—Bon voyage, dit le jeune homme; eh zut à la fin! Je ne peux pourtant pas m'empêtrer d'une femme!

Berthe marchait dans la rue, à grands pas. La honte d'avoir été éconduite ainsi dominait toutes ses pensées. Son mépris pour cet homme dépassait le possible. Ah! elle en avait assez! elle retournait chez son mari, il ferait d'elle ce que bon lui semblerait! Elle rentra, vit qu'André avait emporté sa malle, comprit qu'il ne reviendrait plus. Elle s'affaissa, exténuée, dans un fauteuil; son angoisse même sombra. Elle n'avait plus le sentiment de ses maux. Dans le bourdonnement qui lui emplissait la tête, il lui semblait seulement distinguer au loin un glas furieux sonnant d'horribles catastrophes, d'irréparables deuils! Une sorte de lueur traversa soudain le brouillard de ses idées; l'ordure lui parut monter plus haut sur elle; elle se dressa, prise d'épouvante, puis elle retomba sur son siège, les dents sèches, le regard naufragé, l'air fou.

Inquiète ne ne pas l'avoir vue, la veille, à sa soirée et craignant, malgré les assurances de son mari, qu'elle ne fût sérieusement malade, madame Désableau arriva, sur ces entrefaites, et la secoua, terrifiée, par cette raideur cassée, par ces sursauts et par ces râles; elle la supplia de lui répondre, lui demanda où était André, courut au travers des pièces à la recherche d'une fiole d'eau de mélisse, comprit au désordre de l'appartement, à la porte d'entrée laissée ouverte, qu'une rafale de malheur s'était ruée sur cette maison et l'avait culbutée de fond en comble; elle revint près de sa nièce, la serra dans ses bras, saisit dans les phrases décousues qu'elle lui arrachait qu'André s'était enfui; alors, elle l'enroula dans une couverture et l'emporta en un fiacre chez elle.

Là, Berthe s'apaisa et consentit à tout avouer. Désableau bouleversé, s'écria «malheureuse!» puis, sa fureur fit volte-face et s'abattit sur André. C'était un misérable, qui devait fréquenter les gourgandines, il n'avait, après tout, que ce qu'il méritait. Mais comme à la moindre allusion à son mariage, Berthe avait des ébranlements nerveux, des crises qui la jetaient, trépidante, contre les meubles, force fut à son oncle de se taire; il se promit seulement, le jour où elle serait rétablie, d'épancher sa bile.

Peu à peu l'atmosphère pacifiante de la famille la calma. Elle s'abandonnait, se pelotonnant sur une chaise, s'y attiédissant, des heures entières; insensiblement, elle s'aveulissait, ne désirait plus qu'une chose, qu'on ne la tirât point de sa langueur, qu'on lui permît comme à un animal qui souffre, de lécher sa plaie, là, dans le coin où elle s'était mise.

Quelques jours s'étaient écoulés ainsi. Anonchalie et comme réduite, elle avait des douceurs de convalescente, des sagesses de petite fille; elle acceptait avec bonheur maintenant la monotonie des soirées de famille, l'invariable bercement des conversations qui s'échangeaient, autour d'elle, pour ne rien dire.

Le soir, où assis dans la salle à manger autour de la table sous la suspension, ils étaient tous assemblés, la mère tailladant de l'étoffe, la fille peinturlurant une image, le père sirotant sa tasse de café et combinant des patiences, Berthe rêvassant, les pieds au feu, sur un fait divers, madame Désableau qui achevait de faufiler la bâtisse du corsage, appela sa fille.

—Viens ici, Justine, que je t'essaie ta robe et elle lui enfila une casaque, piquée sur une doublure grise, sans manches, cousue à grands traits.

—Voyons, tiens-toi droite, continua-t-elle.

Elle leva le bras de l'enfant et, sans se hâter, avec précision, elle pinçait l'étoffe trop large sous les aisselles. Puis, en la prenant par les deux épaules, elle fit pivoter sa fille comme un toton, lui donnant avec son dé de petits coups sur les doigts pour la faire rester en place. Le col l'inquiétait; elle ramenait les deux pans de la doublure, les assujettissait par une épingle, plissait avec le plat de la main l'étoffe qui tombait droite, la forçant de suivre les contours de la poitrine jusqu'à l'évasement des hanches et, très affairée, elle modifiait encore, à vue de nez, son plan, méditait sur les endroits dévolus pour les boutonnières.

—Voilà qui est terminé, dit-elle, en ôtant avec précaution son moule et elle l'étala de nouveau sur la table, enleva les épingles qu'elle y avait fichées comme points de repère et se mit à opérer silencieusement ses retouches.

Neuf heures sonnèrent.

—Justine, reprit à son tour monsieur Désableau, il est l'heure d'aller te coucher, mon enfant.

La petite rechignait, mais ses parents furent inflexibles. Madame Désableau alluma un bougeoir, prit la palette de couleurs, le verre d'eau sale et les emporta dans sa chambre. Pour gagner du temps, Justine embrassait longuement son père et Berthe, leur posait des questions, lambinait à la recherche d'un ruban égaré sous la table. Sa mère l'empoigna et, la poussant devant elle malgré ses trépignements, elle referma la porte.

Alors Désableau releva un peu la tête, fixa son pince-nez et, faisant claquer entre ses doigts le paquet de cartes, il se tourna vers sa nièce et lui dit:

—Maintenant que Justine est couchée, causons. J'ai reçu une lettre de Me Saparois qui m'invitait à me présenter à son étude. Je vais te résumer la conversation que nous avons eue ensemble.

Ton mari qui, dans l'espèce, a, paraît-il, tous les droits, serait heureux d'éviter le scandale des tribunaux et des affiches; aussi ne formera-t-il pas une demande en séparation de corps; il propose simplement un arrangement à l'amiable. Vous vivriez, chacun de votre côté, il ne te servirait aucune pension alimentaire, mais il te restituerait en entier ta dot.

Telles sont les propositions que m'a soumises, en son nom, Me Saparois.

Je lui ai dit, moi, à ce notaire ce qu'il en était et ce que je pensais de la conduite de ton mari. Il me semble invraisemblable, ai-je ajouté, après mûres réflexions, que M. André Jayant soit à même de rendre intacte la dot dont nous avons bien voulu le gratifier. Je n'ai pas celé à Me Saparois que je n'avais jamais été d'avis de donner suite à l'union projetée entre ton mari et toi, j'ai en même temps appelé son attention sur les idées scandaleuses qu'André avait soutenues dans ses livres, et j'ai été forcément amené à cette conclusion qu'il devait avoir dissipé en orgies l'argent qu'une famille honorable avait consenti à lui livrer.

M. Désableau souffla et fit une pose. Il répétait une leçon qu'il piochait depuis trois jours entiers à son bureau. Il continua sur un ton plus emphatique encore:

—Tout en convenant avec moi que cette littérature était odieuse et après avoir déploré, lui aussi, comme tout honnête homme du reste, les excès de ces malheureux qui ne craignent pas d'insulter, dans leurs écrits, tout ce qui est respectable, Me Saparois n'a cependant pas admis la justesse de mes conclusions. Il a prétendu que, parce qu'André se complaisait artistiquement à se vautrer dans d'inqualifiables fanges, il ne s'en suivait pas nécessairement qu'il eût dévoré ta dot.

—Après cela, reprit Désableau qui semblait réfléchir, peut-être le notaire a-t-il raison. Il se pourrait que ton mari n'eût pas croqué le magot, cet homme-là n'avait sans doute pas la hardiesse du vice!—C'est un fait cela, il y a des gredins qui atteignent par l'intensité de leurs forfaits à une sorte de grandeur. Certes, je suis heureux, au point de vue de tes intérêts pécuniaires, que ton époux ne figure pas au nombre de ceux-là; mais, avouons-le, ma fille, André possède vraiment un vice si banal qu'il vous répugne!

Berthe défendit énergiquement son mari:

—On n'accuse pas les gens de cette façon, dit-elle; non, mon mari n'est ni un gredin, ni un malhonnête homme et puis, enfin, tu le sais bien pourtant, dans cette malheureuse rupture, c'est moi qui ai eu tous les torts!

—Ce n'est pas! s'écria Désableau. En admettant même que tu les aies eus, tu ne les as pas, en fait. Une femme devient ce que son époux veut qu'elle devienne.—Tiens, regarde, la mienne, ta tante; ah! je puis déclarer que jamais, au grand jamais, il ne s'est élevé entre nous la moindre divergence d'idées, le moindre nuage! mais aussi, elle a contribué, sous mon impulsion, à la bonne intelligence, au bien-être d'un intérieur qui est justement estimé par tous. Non, je le maintiens, si au lieu de t'allier à un bohême et à un drôle, tu t'étais alliée à un honnête homme, tu serais, comme ma femme, heureuse!

Berthe s'emporta. Elle secoua d'un coup l'apathie qui l'accablait depuis sa chute.

—Je ne permettrai pas qu'on parle ainsi de mon mari, devant moi, dit-elle.

Désableau, jeté hors des gonds, suffoqua. Son binocle bondit.

—En voilà assez, balbutia-t-il, j'ai accepté les propositions du notaire, mais j'ai le droit de donner mon opinion sur André et je la donne!

Madame Désableau vint heureusement mettre le holà. Elle ordonna à Berthe de rentrer dans sa chambre.

—Nous recauserons de tout cela, à tête reposée, fit-elle, et elle ajouta: c'est ridicule, vous criez si fort que la petite peut tout entendre, dans l'autre pièce.

Alors son mari se tut.

—Tu as raison, ma bonne, murmura-t-il, nous devons épargner à l'enfance de notre fille, ces humiliantes et dangereuses révélations.—Ah! c'est égal, je le lui avais bien dit, moi, à ta nièce, qu'elle contractait un sot mariage, qu'elle épousait un individu qui avait l'œil faux comme trente-six jetons. Elle n'a pas voulu m'écouter,—elle est bien avancée à présent;—enfin, tiens, n'en parlons plus, ces histoires-là me bouleversent!

Il tira sa montre, s'assura qu'il lui restait, avant l'heure du coucher, le temps matériel d'accomplir deux ou trois patiences, il se rassit, battit les cartes, les tendit à sa femme pour qu'elle lui portât bonheur en les coupant et il disposa, pensivement, ses paquets à d'égales distances.

Inquiétée par les rougeurs qui marbraient la face de son mari, madame Désableau prépara en silence, un verre d'eau sucrée à la fleur d'orange et elle le mit devant lui, dans une assiette, sur la table.

Désableau sourit doucement.

—Tu es bien la meilleure des épouses, dit-il.

Et ils s'attendrirent tous les deux, pensant que dans ce déluge de misères et de vilenies, ils étaient, dans leur petit ménage, à l'abri comme sur l'arche. Le malheur de leur nièce les ragaillardit sans qu'ils en eussent conscience. La placidité dont ils jouissaient depuis tant d'années et que la force de l'habitude leur faisait paraître toute naturelle, leur sembla soudain une grâce spéciale. Presque guillerets, ils passèrent pour se livrer au sommeil, ce symbole de la mort, comme l'appelait M. Désableau, dans leur chambre à coucher et, là, après avoir remonté sa montre, le mari se débarrassa de son habit et de son gilet et montra un dos qu'écartelaient d'une croix de Saint-André deux bretelles roses.

Puis il enleva son pantalon et ses chaussettes, s'insinua entre les draps et, là, regardant sa femme qui avait ôté son faux chignon et se liait les cheveux sur le haut de la tête, en paquet d'échalottes, il lui dit, désignant du doigt la couchette de sa fille endormie, transplantée, depuis le retour de Berthe, dans leur propre chambre:

—Espérons que notre Justine épousera un jour un employé, un homme estimable et non un saltimbanque et un artiste, comme notre pauvre nièce.

Madame Désableau avait la bouche remplie par les épingles qu'elle retirait de sa tignasse. Elle se borna à lever les yeux au ciel comme pour implorer elle aussi, cette faveur, se hissa à son tour sur le lit et tourna le bouton de la lampe, mais la mèche carbonisée se brisa sur le rebord du bec, fignolant par saccades, crachant des postillons d'huile contre le verre, lançant d'acres puanteurs. Madame Désableau se rua hors des draps, emporta la lampe dans l'autre pièce, la souffla, revint précipitamment se blottir, toute grelottante, contre son mari.

Alors, tout se régularisa. Les jérémiades à propos des mèches éventées, les apostrophes menaçantes pour l'art, prirent fin. Les deux bosses qui se déplaçaient sous les couvertures s'immobilisèrent, les oreillers replièrent leurs cornes. L'on n'entendit plus que le tic-tac régulier de la pendule, l'imperceptible galop d'une montre; puis, léger comme une brise, le doux «put, put,» d'un ronflottement monta, soutint quelque temps, dans le silence de la pièce, sa note tremblée, s'affaiblit peu à peu, expira en un insaisissable soupir sur les lèvres du couple.

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