Essais sur la necessité et les moyens de plaire
Des moyens de faire naître dans les enfans le désir de plaire, & les qualitez de l’ame, par lesquelles on plaît davantage.
Poser le fondement des vertus dans l’ame des enfans, & leur présenter en même temps ces vertus par ce qu’elles ont de sociable, voilà quel doit être le premier objet de leur éducation ; soit qu’on cherche à former leur caractére, soit qu’on cultive leur esprit, si l’estime des hommes est un succès louable, qu’il faut leur faire envisager, le bonheur attaché à leur plaire, doit former le second point de vûe. C’est donc dans le sein même des qualités de leur ame, des lumiéres de leur esprit, & des avantages de leur condition, qu’il faut puiser tous les moyens qu’ils ont d’être heureux, en s’occupant du bonheur des autres.
Pour leur inspirer le sentiment qui réunit ces deux intérêts, il s’offre deux voies différentes, & qui sont également nécessaires à suivre : c’est de les louer sur certains avantages, & de ne jamais les entretenir de quelques autres.
On peut louer dans un enfant les qualités que sa volonté & son émulation concourent à lui donner, comme les vertus de l’ame, & les connoissances qui étendent l’esprit ; c’est une maniére de l’engager à les porter à leur perfection, en les tournant au profit de la Société ; mais il faut bien se garder de le flatter sur les distinctions, sur les prérogatives, qu’il a reçûes gratuitement de sa naissance. Si vous l’entretenez de la noblesse, ou de l’illustration de ses ayeux[15] ; si vous faites valoir à ses yeux, la supériorité que lui donnent des dignitez, qui en imposeront aux autres hommes ; si vous lui vantez des richesses considérables qui l’attendent, vous le porterez à penser qu’il a, tel qu’il est, des secours assurés pour se voir considéré, distingué, respecté ; & bien-tôt, rempli de confiance, il croira n’avoir plus rien à désirer, pour paroître avantageusement dans le monde. L’expérience, il est vrai, le détrompera un jour sur le succès qu’il s’étoit promis ; il éprouvera qu’on ne réussit effectivement que par un caractére qui fasse excuser nos défauts, & rendre justice à nos bonnes qualités. S’il est capable de retour sur lui-même, il changera de principes, il se fera une étude de plaire ; mais quelle différence d’y être porté par une habitude contractée dès sa jeunesse, ou par des réflexions tardives & intéressées ! Il lui prendra des momens de paresse, ou de distraction, dans la nouvelle route qu’il aura résolu de suivre ; il manquera à son extérieur & à ses discours, une certaine grace persuasive, que le sentiment donne à tout ce qu’il accompagne, & qui ne peut être entiérement remplacée par l’esprit ; il sera long-temps, du moins, à effacer les premiéres impressions qu’aura données contre lui, le caractére dont il cherche à se dépouiller : mais supposé que la raison ne puisse le déterminer à changer de caractére, aveuglé par sa vanité, il fixera son ambition à faire valoir les avantages qu’il posséde ; si c’est la haute naissance, croyant en conserver la dignité, il n’en fera paroître que l’orgueil : si c’est la richesse, il en étalera tout le faste, afin de s’enveloper, (pour m’exprimer ainsi) dans ses ressources, mais il ne pourra se faire entiérement illusion. Forcé de reconnoître, dans mille occasions, qu’être aimé, est un bien nécessaire, & que ce bien lui est refusé, il affectera vainement de le mépriser ; il ne jouïra pas même de la foible satisfaction de tromper personne à cet égard ; on sait que le dédain marqué avec lequel on regarde les autres hommes, n’est ordinairement qu’un dépit secret de ne pouvoir leur plaire ; à quel reméde insensé il aura recours, pour se dédommager de n’être ni désiré, ni accueilli ; il finira par se rendre haïssable[16].
[16] J’ajouterai encore une autre précaution qu’on pourroit prendre, pour engager les jeunes gens à chercher dans leur caractére & dans leur esprit, les moyens d’être considérés ; c’est de combattre en eux le goût démesuré de la parure. La magnificence, dans tout autre genre, peut avoir un caractére de grandeur, & nous faire aimer, parce qu’elle procure quelque satisfaction aux autres hommes ; mais celle-ci n’a de prix, que pour celui qui s’en décore, personne n’en jouït avec lui ; il me semble qu’il en est de la parure, à l’égard des gens du monde (je n’en excepte pas les femmes) comme de l’imagination dans les ouvrages d’esprit ; qu’il y en ait une certaine mesure, c’est une grace qui les fait valoir ; qu’elle se trouve répandue avec profusion, c’est une sorte de délire.
Ne point entretenir les enfans des avantages attachés à leur naissance, n’est tout au plus que la moitié de l’ouvrage ; il est encore essentiel de les exciter à profiter de leur rang & de leur fortune, pour plaire & pour se faire aimer ; & ce que je propose, n’implique point contradiction : on peut leur faire envisager ces mêmes distinctions par des côtés où leur orgueil ne trouve point de prise, & qui frapent leur raison ; mais dans l’éducation ordinaire, on prend la route opposée. Veut-on inspirer aux enfans nés dans le rang supérieur, ou dans un état distingué, les qualités qu’ils doivent apporter dans la Société ? on se sert, sans en apercevoir la conséquence, de termes qui réveillent en eux des idées de vanité sur leur condition, comme si on craignoit qu’ils ne sentissent pas assez un jour, ce qu’ils ont de plus que les autres hommes ; on dira, par exemple, aux uns, qu’il faut être affables à ceux qui leur font la cour, qu’ils doivent avoir de la bonté pour les gens qui leur sont attachés ; & le mot de cour excepté, on tient à peu près le même langage aux autres. Il faudroit bien plûtôt, évitant, avec un soin extrême, toutes ces expressions, dont la vanité des enfans, plus sensible déja qu’on ne le croit, ne saisit que trop bien l’énergie ; il faudroit, dis-je, n’employer que des termes propres à les rendre modestes[17] ; leur recommander, à titre de devoirs, l’estime & la vénération, pour les hommes d’une vertu distinguée, afin qu’ils ne se croyent pas supérieurs à tout. Les égards, les déférences, pour ceux qui les recherchent, afin qu’ils ne pensent pas qu’un regard jetté au hazard, ou un sourire d’habitude, soit un accueil assez obligeant ; leur faire sentir qu’ils doivent de la reconnoissance des soins qu’on prend pour remplir leur loisir, de peur qu’ils ne s’imaginent que tout doit être occupé de leurs plaisirs ; les entretenir du respect qu’ils doivent à ceux qui les élevent, de l’amitié qu’exige d’eux l’attachement des gens d’un certain ordre, qui sont à leur service. On doit s’attacher sans cesse à ne leur faire envisager la grandeur, que par ce qu’elle a de facile, de doux, de caressant, que par les bienfaits qu’elle peut procurer ou répandre ; ne leur peindre la fortune, que sous les traits de la libéralité[18] ; n’appeller enfin devant eux, tous les avantages qu’ils possédent, que du nom des vertus qui en peuvent naître.
[17] L’éducation du Collége est la plus salutaire, pour garantir les enfans du piége de l’orgueil. Voyez à ce sujet, ce que dit M. l’Abbé de S. Pierre.
[18] La libéralité est un des devoirs d’une grande naissance. M. la Marquise de Lambert, Avis d’une mere à son fils.
Certaines qualités de la personne & du caractére, telles que les agrémens de la figure, le naturel dans les actions, & dans le langage, l’enjouement & la vivacité, sont encore de ces dons qu’il ne faut point vanter en présence des enfans qui en sont doués ; ce seroit les altérer, que de les leur faire remarquer en eux ; le naturel est une espéce d’innocence, qui perd entiérement de ce qu’elle est, dès qu’on lui apprend à se connoître.
Pour donner lieu aux vertus de naître dans les enfans, pour pouvoir employer avec succès les avantages de leur condition, à leur inspirer le désir de plaire, il y a des défauts contre lesquels il faut les armer, sans attendre qu’ils y soient sujets ; parce qu’il est bien différent, par rapport à l’avenir, d’affoiblir des impressions déja faites, & qui peuvent aisément se réveiller, ou de les empêcher de se former ; & c’est par des exemples étrangers, comme l’yvresse de l’esclave qu’on exposoit aux regards des jeunes Lacédémoniens ; c’est par le soin de leur dépeindre avec force, & avec vérité, (car il ne faut jamais les tromper) la difformité de ces mêmes défauts, qu’on parvient à leur en inspirer la haine. Peut-on prendre trop de soins pour les garantir de l’attention maligne à relever les fautes d’autrui, de l’empressement à faire valoir ce qu’ils se croyent de bonnes qualités, de l’opposition opiniâtre à la volonté d’autrui, dans les choses, qui par elles-mêmes n’ont rien qui doive répugner ; inclinations si ordinaires à l’enfance, & que je regarde comme la source d’une infinité de moyens de déplaire par la suite dans la Société ?
L’attention qu’on remarque dans les enfans à relever les fautes des autres, est vraisemblablement le germe de plusieurs inclinations dangereuses, qui varient dans leurs effets, selon la différence des caractéres[19] ; je conçois que dans les ames vertueuses, ce germe produit la sévérité impitoyable avec laquelle elles portent leur jugement sur la conduite des autres : je lui attribuerois aussi la liberté de s’expliquer, hautement, sur ce qu’on trouve à reprendre dans les autres hommes ; en supposant, que c’est par horreur pour la fausseté, qu’on ne garde aucun ménagement, qu’on se montre avec franchise tel qu’on est. Je le croirois, sur-tout, la cause de ce genre d’esprit caustique, que l’on colore du nom d’aversion pour le vice, & qui n’est en effet que la haine du genre humain.
[19] On démêle presque dès le berceau, les passions qui se dévelopent dans la suite. M. Rollin, Traité des Etudes, Tom. 3.
Ce défaut n’est, dans la premiére enfance, qu’une malignité peu raisonnée, à laquelle on se contente d’opposer quelques remontrances légéres ; il seroit à désirer qu’on le combattît par des punitions, & qu’elles fussent accompagnées de discours propres à fraper l’imagination des enfans ; les peines qu’on leur fait éprouver, ne devant être employées que comme une idée accessoire, plus capable de fixer dans leur mémoire les principes salutaires qu’on cherche à y graver ; & ce n’est que quand on y est absolument forcé, & qu’après qu’on a essayé tous les secrets de l’insinuation, qu’il faut avoir recours à ces sortes de punitions ; Si une honnête pudeur & la crainte de déplaire sont les seuls moyens de retenir un enfant dans le devoir[20], c’est sur-tout à l’égard des qualités heureuses, qu’on cherche à leur faire acquérir, que la voie de douceur est convenable : quelle différence dans les effets que produit la crainte d’être puni, ou celle de déplaire[21] ? Je suppose que la premiére ait vaincu l’opiniâtreté & la négligence, elle n’aura substitué à leur place, que la docilité timide, & l’exactitude forcée : cette derniére y aura fait naître la complaisance & le zéle ; l’une n’efface que des défauts, l’autre établit des vertus.
[20] M. Locke, Traité de l’éducation, sec. LXI.
[21] Il y a je ne sai quoi de servile en la rigueur & contrainte, & je tiens que ce qui ne peut se faire par raison & prudence, ne se fait jamais par la force. Montagne, Essais, l. 2, ch. VIII.
A l’égard de ce premier essor de la vanité des enfans, qui les porte à se vanter de ce qu’ils font de louable, panchant que la mauvaise éducation non-seulement tolére, mais excite quelquefois en eux ; il me paroît être la source de cette préoccupation de son propre mérite, qui se marque dans la suite, par le peu d’attention qu’on fait à celui des autres, de l’habitude de parler de soi, & de plusieurs autres foibles de cette espéce.
Pour empêcher le progrès de cet orgueil naissant, en approuvant les enfans de ce qu’ils ont fait de bien, il seroit utile d’y ajouter une récompense quand ils ne s’en seroient point vantés : & lorsqu’ayant l’esprit plus formé, leur vanité s’annonce avec un peu plus de finesse, il faut, ce me semble, pour le combattre, plus de patience & d’art, que d’autorité, & de sécheresse. S’il arrive qu’un enfant trouble la conversation, pour conter, ou pour parler de soi ; qu’il vienne étaler ses talens, quand rien ne lui donne lieu d’en faire usage, ou qu’il améne, grossiérement, une occasion de les prodiguer ; au lieu, de l’interrompre, d’abord, avec dureté, action qu’il regarderoit peut-être comme un trait d’humeur[22], ne vaudroit-il pas mieux le traiter exactement, comme il seroit traité, s’il étoit alors dans le monde[23] ? commencer par l’écouter ? lui marquer successivement le sentiment d’ennui ou d’impatience qu’il cause, afin de l’amener à s’en apercevoir & à se taire ? Il est vrai-semblable, qu’à moins qu’il ne manque entiérement de sensibilité, il se corrigera d’une confiance qui lui promettoit des succès, & dont il ne retirera jamais que des dégoûts & de la honte.
[22] Il est bien important d’agir toujours avec un enfant, de maniére qu’il aperçoive le motif raisonnable qui vous fait le quereller, ou le punir, ou l’applaudir.
[23] L’éducation, à bien des égards, doit avoir pour objet de produire par avance en nous, l’effet de l’expérience.
Cette méthode pourroit avoir lieu dans toutes les occasions où il s’agiroit de fixer leur attention, ou de combattre leurs caprices ; ce seroit avancer le progrès de leur raison, que de leur parler toujours comme s’ils étoient raisonnables.
Reprendre les enfans, avec dureté, quand ils parlent ou agissent inconsidérément, les fraper de cette crainte qui abaisse le courage, c’est les jetter, souvent, dans une autre extrémité ; c’est les rendre timides. Eh ! quelle éducation que celle qui, combattant le panchant, sans éclairer la raison, ne sauve un défaut que par un autre ; supposé qu’on fût forcé de choisir, entre ces deux-ci, peut-être le premier devroit-il paroître préférable ? La présomption diminue, il est vrai, le prix de nos bonnes qualités, mais la timidité les empêche de paroître ; si par la premiére, on révolte les esprits, parce qu’on cherche trop à les occuper de soi, quelquefois aussi, on leur en impose : par l’autre, comme on ne les occupe pas assez, on en est ignoré, on est compté pour rien.
Ordinairement la timidité rend sauvage, & il y a bien de l’inconvénient à l’être : l’habitude de vivre ensemble est un des principaux liens qui concilient les hommes ; parce qu’elle adoucit insensiblement l’effet que produisent sur eux les défauts d’autrui ; que donnant lieu aux services mutuels, elle fait naître la confiance, & le besoin de se chercher. Or les gens qui se livrent rarement à la Societé, sont privés de tous ces moyens d’y réussir ; ils y sont étrangers, ils n’entendent qu’imparfaitement le langage de ceux qu’ils abordent ; car dans la bonne compagnie même il y régne un peu de ce qu’on apelle cotterie. Il y a de certaines plaisanteries convenues ; une finesse arbitraire qu’on attribue à de certaines expressions, que celui qui n’est pas instruit des circonstances qui les ont accréditées, trouve froides ou obscures : sujet à prendre pour une vérité ce qui n’est qu’une ironie, il restera sérieux où les autres seront livrés à la joie. S’il en étoit quitte pour n’être point remarqué, si on s’en tenoit avec lui à l’indifférence, quoique ce partage flatte peu l’amour propre, il y gagneroit encore ; car, comme en général, on trouve plus de plaisir à condamner les gens qu’à les plaindre, plutôt que d’attribuer le caractére farouche à la timidité, on le soupçonne, volontiers, de naître d’un mépris secret pour les autres.
Afin de sentir davantage les inconvéniens de la timidité, considérons-la, particuliérement, dans les personnes d’esprit qui en connoissent tout l’abus, & qui dans chaque occasion ont besoin de nouveaux efforts pour la vaincre ; elle y produit un contraste dont on est avec justice étonné.
Il y a des gens toujours embarrassés, quand ils arrivent dans un lieu, où il y a beaucoup de monde ; ils abordent avec un air entrepris, on voit qu’ils ne sont point à leur aise, & cette gêne paroît mal fondée ; on cherche à leur faire sentir qu’on connoît tout ce qu’ils valent, on les rassure avec bonté, & voici l’effet que cette bonté (souvent un peu trop marquée) leur cause. A quoi croiroit-on que leur esprit s’appliquoit, tandis qu’on faisoit des efforts pour ne point l’intimider ? Il employoit le temps de son trouble à examiner le tribunal qui l’a d’abord allarmé, il s’est aperçu que raisonnablement il n’avoit pas tant de sujet de le craindre, & pour se dédommager de s’en être d’abord laissé imposer, il passe de nuance en nuance, de l’inquiétude au calme, & du calme à la critique ; il a démêlé l’affectation, la mieux déguisée, d’avoir de l’esprit, la modestie feinte qui dérobe le plus habilement ce qu’elle a d’emprunté, il pénétre enfin dans les replis de la vanité ; & bien-tôt cet Aréopage qui avoit besoin, il n’y a qu’un instant, de tempérer sa dignité, s’aperçoit qu’il est devenu l’amusement de celui qu’il craignoit de faire trembler, il se trouve que c’est le Juge qui finit par être condamné.
J’examinerai, dans un autre endroit, l’effet de la timidité sur les petits esprits : je reviens à l’opposition opiniâtre à la volonté d’autrui, qui accompagne ordinairement les premiéres années de l’enfance ; & qui se métamorphosant dans la suite, devient la cause de l’humeur impérieuse, de l’esprit de contradiction, & des autres défauts qui forment l’attachement à notre propre volonté, & à notre opinion. Comme cette opposition se montre souvent dans les enfans lorsqu’ils n’entendent encore qu’une partie de leur langue naturelle, & que les châtimens pourroient l’irriter, il me paroît bien difficile de la combattre avec succès. Une étude constante sur la maniére de rompre cette malheureuse disposition, peut seule en offrir les moyens ; & il est certain que les fausses frayeurs qu’on leur inspire[24], ne font qu’ajouter un mal de plus, & ne guérissent point la cause de celui qu’on traite ; leur mauvaise humeur est captivée & non pas détruite : mais puisqu’au moyen des peintures fantastiques par lesquelles on frape leur imagination, on éprouve qu’on peut les distraire de leur opiniâtreté, pourquoi ne pas employer des images qui causent cette diversion, sans imprimer, dans leur entendement, des sujets chimériques de frayeur ? C’est aux personnes qui les élevent à imaginer, à multiplier ces moyens de diversion, pour rompre leur mauvaise humeur, dont l’habitude seule est à craindre : je suis persuadé que, dans bien des personnes, plusieurs dispositions vicieuses se sont évanouïes, parce que l’habitude ne les a point entretenues[25].
[24] On leur peint un grand homme noir, un dragon qui doit les dévorer…
[25] Je trouve, dit Montagne, que nos plus grands vices prennent leur pli dès notre plus tendre enfance ; ces semences se germent & s’élevent après gaillardement, & profitent à force, entre les mains de la coûtume, Essais, l. II, ch. XXII.
Quant au panchant à la contradiction, je pense qu’à mesure que les enfans ont plus d’esprit, l’éducation peut domter en eux ce défaut, plus aisément qu’elle ne feroit l’humeur caustique. Comme la contradiction n’amuse, ni n’exerce l’esprit de celui qu’elle domine, l’esprit à son tour ne s’occupe point à entretenir un travers, qui ne lui est d’aucun avantage ; il peut, au contraire, par l’éducation, travailler efficacement à le détruire ; au lieu que cette sagacité à discerner, & à peindre ce qu’on trouve à reprendre dans autrui, est un exercice de l’esprit dont il jouït, dont il s’applaudit sans doute, séduit par l’idée de supériorité sur les autres qu’il y attache ; & c’est un grand ouvrage pour la raison de nous arracher aux défauts du caractére, quand ils font briller notre imagination.