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Essais sur la necessité et les moyens de plaire

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AVERTISSEMENT.

Si l’on juge des hommes par le motif commun qui les fait agir, on peut dire qu’ils ont tous le désir de plaire, parce que tous veulent être applaudis, recherchés, accueillis ; que tous, enfin, veulent réussir dans l’esprit des autres. A décider d’eux par leur conduite, il semble que le plus grand nombre ait précisément la vûe opposée. Quelle différence, en effet, d’un homme, qui, concentré dans son amour propre, réduit, pour ainsi dire, la Société au commerce que ses passions ont entre elles ; qui ne conçoit que ses goûts, qui ne sent que ses besoins, pour qui tous les objets extérieurs semblent transformés en autant de miroirs, où il n’aperçoit que lui-même ! Quel contraste, dis-je, de cet homme, (qu’on ne rencontre que trop souvent) à celui, qui, persuadé que les vertus sociables sont la source du véritable bonheur, se regarde comme membre d’une République, que des égards mutuels entretiennent, et que l’amour propre, mal entendu, cherche à détruire ; qui, toujours attentif à ce qui flatte ou mortifie, à ce qui éleve ou dégrade ses Concitoyens, ne cherche, dans ces différens points de vûe, que ce qui le méne à se concilier leur amitié & leur estime ! Peut-on trop fuir celui qui ne veut qu’un bonheur auquel il n’associe personne ? Peut-on trop rechercher celui qui n’est satisfait de soi-même, qui n’est heureux, que par les avantages qu’il verse dans la Société ?

Cette opposition entre la conduite de quelques hommes, & le motif commun qui les anime, vient, si je ne me trompe, de la maniére dont ils aperçoivent ce que c’est que plaire, ainsi que les moyens d’y parvenir. Eclairés sur les erreurs où tombent, à cet égard, ceux qui les environnent, ils se croyent garantis de l’illusion, par cela même qu’ils sont ingénieux à la démêler dans les autres ; ils ne portent point leurs regards sur leur propre conduite ; & si quelques-uns, moins aveuglés, s’examinent, & découvrent qu’il leur manque les qualités qui plaisent communément, ou s’ils se trouvent quelque ressemblance, par le maintien, le langage, l’humeur, avec ce qu’ils viennent de critiquer dans autrui ; ils n’aperçoivent plus les motifs de le condamner : On a ouï dire, qu’il sied bien d’être singulier, extraordinaire ; que ce qui déplaît dans l’un, devient quelquefois une grace dans un autre ; que l’esprit fait tout valoir ; qu’il y a des gens qui font aimer, en eux, jusques à leurs travers. On se voit alors avec tous ces avantages ; on ne s’avoue des défauts, que pour les sauver par ces exemples ; & souvent, en s’éludant ainsi soi-même, on ne recueille pour tout fruit de la recherche qu’on vient de faire, que l’erreur grossiére de s’en estimer davantage.

Ma principale vûe, dans la premiére Partie de cet Ouvrage, a été de démêler ces illusions, & particuliérement celles qui séduisent les gens d’esprit. J’expose, en premier lieu, la nécessité de plaire : cette nécessité reconnue, méne à chercher les moyens de profiter des avantages qu’elle nous présente ; & ces moyens, j’explique comment ils nous égarent, ou comment ils nous font réussir.

Dans la seconde Partie, en appliquant à l’éducation les principes que j’ai établis dans la premiére, je propose quelques idées, qui paroîtront peut-être hazardées, sur la maniére de cultiver les premiéres années de l’enfance ; mais je déclare, par avance, que je suis entiérement déterminé à me soumettre à cet égard, comme sur le reste de l’Ouvrage, au jugement que tant de personnes plus éclairées que moi, auront le droit d’en porter.

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