Essais sur la necessité et les moyens de plaire
LES VOYAGEUSES.
CONTE.
Une Fée avoit trois niéces ; l’aînée étoit belle, la seconde jolie, & la troisiéme laide. La belle étoit si contente, si glorieuse de l’être, qu’elle n’étoit, qu’elle ne vouloit être que cela ; elle n’imaginoit point d’autre avantage dans le monde. Si elle marchoit, sa contenance sembloit vous dire : Voyez de quelle air la beauté se proméne ; devenoit-elle rêveuse, la voyoit-on s’endormir, s’éveiller, c’étoit en attitude de belle personne. Quand vous l’entreteniez des choses qui la regardoient le moins, elle vous répondoit comme si vous lui eussiez donné des louanges. On lui auroit raconté la mort du grand Pan, ou l’entreprise des argonautes, qu’elle auroit crû que c’étoit une allégorie sur ses charmes. La jolie, vive naturellement, fort piquante, & supérieurement coquette, vouloit que tout fût occupé d’elle, jusqu’aux femmes ; car il faloit, pour être heureuse, se voir l’unique objet de leur jalousie, de leurs plaintes, de leur aigreur ; comme celui de l’empressement, des soins, des inquiétudes, des préférences de tous les hommes. On ne cessoit presque pas de parler, afin que les autres femmes n’eussent pas le temps de montrer de l’esprit ; & quand on ne se sentoit pas ce fond d’enjouement, qui donne si bien l’air de la premiére jeunesse, on y suppléoit, en prenant l’air de l’étourderie. Il faloit voir encore comme on affectoit de paroître sensible aux amusemens, afin de laisser imaginer que si on se permettoit des passions, on les auroit extrêmement vives : elle tiroit même parti de sa mauvaise humeur ; (car elle en avoit) elle en montroit aussi sans en avoir, & alors, elle devenoit moqueuse ; ainsi c’étoit être, toujours, le personnage qui attiroit l’attention de toute l’assemblée ; enfin, pour achever le portrait, sensible uniquement par vanité, indifférente dans le cœur, elle n’exigeoit de l’amitié, ni n’en vouloit rendre, aussi n’en avoit-elle jamais inspiré.
La laide l’étoit effectivement, mais d’une laideur qui ne ressembloit point à toutes celles qu’on rencontroit alors assez communément dans le monde ; quand on regardoit ses traits en détail, il n’y en avoit pas un seul qui ne déplût ; à les voir ensemble, c’étoit de moment en moment une physionomie nouvelle, toujours singuliére, toujours agréable ; on jugeoit que cette variété venoit de beaucoup d’imagination, & que cette imagination devoit être charmante. Elle l’étoit aussi. La gaieté, la douceur, la finesse ; & sur tout cela, ce naturel qui ne prétend à rien, & qui fait tout valoir ; voilà, à la fois, son esprit, & son visage ; car, comme je l’ai dit, l’un étoit toujours l’ame de l’autre. Ajoûtez, qu’elle avoit les plus belles dents du monde, & que le reste de sa figure étoit fort bien. Voilà toute la personne. J’oubliois ce qui peut servir le mieux à faire connoître son caractére ; elle savoit qu’elle étoit laide, & ne se doutoit pas qu’elle eût de quoi le faire oublier.
Leur tante, qui n’avoit employé son art qu’à se perfectionner la raison, qu’elle regardoit comme le premier de tous les dons, auroit bien voulu pouvoir en faire part à ses niéces ; elle quittoit souvent le pays des Fées, pour venir vivre avec elles. Il est temps que vous choisissiez un état, leur dit-elle un jour ; si vous étiez mes filles, vous seriez Fées comme moi ; mais à mes niéces, je ne puis donner de ma Féerie, que quelques secours pour leur faire un grand établissement. Voyons, d’abord, quelle figure vous voulez avoir ; car il dépend de moi de changer la vôtre. L’aînée répondit à cette proposition avec un air de dédain ; Ne perdez point à cela l’excellence de votre art, ma tante, rien ne presse. Je me consulterai, dit la seconde, avec un sourire lorgneur, qui marquoit une satisfaction de soi-même la plus orgueilleuse, & la mieux enracinée. Pour moi, dit la troisiéme, je ne pourrois que gagner à un changement ; tenez ma tante, que je prenne la figure sous laquelle je vous inspirerai le plus d’amitié pour moi. Et la Fée de l’embrasser. Mademoiselle, n’imagine donc point de modéle sur lequel ma tante pût la former, ajoûta l’aînée, comme par bonté pour cette pauvre cadette. Vous pouvez vous flatter, ma tante, (continua la seconde, qui avoit pris de l’humeur de ce que la laide avoit été embrassée) que son changement (quel qu’il soit) fera beaucoup d’honneur à votre art. Il me vient une autre idée, dit la Fée, si nous allions voyager dans quelques Royaumes étrangers, vous sauriez ce qu’on penseroit du mérite que vous avez actuellement ; vous connoîtriez aussi les différentes conditions où l’on peut vivre heureux, & vous vous décideriez ensuite. Le projet fut unanimement approuvé ; la Fée trouva convenable que dans le voyage, elles passassent pour niéces de Fées ; c’étoit le moyen d’être par-tout fort bien reçûes. Il faudra aussi, ajoutérent les deux aînées, afin que tout soit dans la bonne foi, que nous gardions notre nom ordinaire, c’est-à-dire, la belle, la jolie, & la laide ; vous savez qu’on nous appelle ainsi depuis le berceau. La Fée y consentit ; & pour n’être point accablée de toutes les demandes ridicules qu’on viendroit lui faire, si elle s’annonçoit comme Fée, elle voulut ne paroître que la Gouvernante de ses niéces.
On part, & pendant le voyage, dès qu’on étoit dans une grande Ville, les deux aînées ne manquoient pas de répéter, cent fois à propos de rien : Mais que fait la laide ? Ecoutez, ma tante, ce que dit la laide. On prétend même, qu’elles portoient dans une petite cage de satin, dont les barreaux étoient de pelluche, une petite Perruche, à voix aigre, & perçante, qui répétoit cent fois dans une heure : La laide, la laide, la laide ; & c’étoient elles qui l’avoient instruite. Il est certain, du moins, que depuis qu’on avoit donné à leur sœur, étant encore au berceau, le triste nom de laide, elles seules le lui avoient fidélement conservé ; tous ceux qui l’environnoient, en avoient chacun imaginé un autre. L’un l’appelloit Zimzime, ce qui en langage de Fée, veut dire, mieux que belle. L’autre, Claride, c’est-à-dire, qui ne l’aimeroit ? & ainsi de quantité d’autres noms. Si elle n’en avoit eu qu’un déterminé, elle y auroit perdu, quelque beau qu’il eût été ; il est vrai qu’on ne prononçoit ceux-ci que tout bas devant ses sœurs, de peur de les mettre en colére, & qu’elle-même ne vouloit pas les entendre ; mais l’appeller, comme par méprise, d’un de ces noms, c’étoit lui dire une chose obligeante, & on profitoit de toutes les occasions de se méprendre ; car comme on craignoit, parce qu’elle étoit extrêmement modeste, qu’elle ne se crût du genre de laideur que ses sœurs lui reprochoient si volontiers, on s’appliquoit à lui persuader le contraire, & cela, parce qu’elle cherchoit à être aimée.
Leur premier séjour sur la Cour d’Assyrie, qui étoit brillante, nombreuse, où les hommes étoient à la fois sensés & aimables, où les femmes étoient charmantes, & vivoient ensemble, sans se haïr ; parce qu’elles n’avoient que le cœur sensible, & que leur amour propre ne se blessoit jamais mal à-propos. Ce n’étoit pas qu’il n’y eût aussi des femmes vaines, aigres, méprisantes ; des hommes confians, frivoles, indiscrets ; mais c’étoit le petit nombre, & cela fait une Nation bien raisonnable. La belle y fut d’abord admirée, la jolie y fut suivie, la laide (j’aime mieux dire la troisiéme) resta d’abord assez ignorée, parce qu’on s’occupoit des deux autres.
Bien-tôt, l’aînée fut trouvée trop froide, trop vaine dans la Société, & regardant, trop en pitié, tout ce qui n’étoit pas la beauté, c’est-à-dire toute autre que la sienne. Bien-tôt, la voilà négligée, abandonnée, &, à quelques vieux Seigneurs près, qui n’avoient conservé de leur jeune âge, qu’une parfaite & ennuyeuse admiration pour les belles, elle ne se trouva plus d’adorateurs ; & comme elle avoit méprisé toutes les femmes, celles qui s’en étoient formalisées, parce qu’elles n’avoient pas assez d’esprit pour en rire, s’en trouvérent encore plus qu’il n’en faloit, pour lui donner des ridicules. La seconde, qui avoit d’abord attiré ce petit nombre d’hommes, dont j’ai parlé, fut enfin avertie, par la Fée, qu’ils avoient l’air trop libre avec elle, qu’ils faisoient de mauvaises histoires sur son compte, que de certaines femmes prenoient grand soin d’accréditer ; & que les gens sensés, à qui elle ne s’étoit point souciée de plaire, se contentoient de ne point écouter, sans chercher à les détruire ; & qu’enfin, elle n’avoit nulle considération. Cela la toucha assez ; mais ce qui fit bien plus d’effet, c’est qu’elle se vit bien-tôt négligée par les hommes les plus estimés, & les plus aimables : la voir, la suivre, la trouver trop coquette, & l’oublier, ne fut pour eux que l’ouvrage de peu de jours.
Notre troisiéme avoit, enfin, été remarquée. On avoit commencé par s’apercevoir qu’elle avoit beaucoup d’esprit. On se demanda, bien-tôt, on examina si, effectivement, elle étoit laide ; & la fin de ce doute, fut de la trouver extrémement aimable. Eh ! comment ne pas convenir de son esprit ? Elle en trouvoit si volontiers aux autres, & se plaisoit à démêler, dans toutes les femmes, ce qui étoit à leur avantage, comme une autre auroit cherché à les voir en ridicule ; ainsi on lui donnoit sa confiance, on vouloit son amitié, on aimoit à la faire valoir. Mais il falut partir, les deux sœurs s’ennuyoient de cette Cour ; elles vouloient absolument aller dans quelque autre qui fût tout-à-fait différente. La Fée les transporta dans un pays fort éloigné. Elles arrivérent au milieu d’une grande Ville, où l’on ne voyoit que des Palais, & dont les habitans, d’une stature noble & élevée, étoient habillés de gazes, brodées de petits coquillages qui représentoient, au naturel, des fleurs, des arbustes, des oiseaux ; & ce qui étoit plus singulier encore, ces mêmes habitans avoient le teint couleur d’avanturine, avec des yeux d’un bleu de saphir, & très-brillans ; des lévres extrémement grosses, de la même couleur que les yeux, & des dents de nacre, les plus jolies du monde. Cette bizarrerie ne choqua point les deux aînées ; elles pensérent qu’il seroit flatteur d’être admirées par des yeux couleur de saphir, & de tourner la cervelle à ces hommes extraordinaires. Pour la cadette, elle étoit fort étonnée, & tâchoit de s’accoutumer à ces figures surprenantes, afin de n’être point haïe des gens avec qui elle alloit vivre. Ses sœurs furent bien trompées dans leurs espérances : comme la beauté est une affaire d’opinion, on ne les regarda, jamais, qu’avec une surprise qui ne supposoit aucun plaisir à les voir, elles n’eurent point d’autres succès ; &, pour comble de dégoût, elles apprirent, qu’on ne les appelloit que du nom qu’elles donnoient, avec tant de plaisir, à leur cadette. Mais voici bien pis encore, étant toutes trois à une fête, où les filles du Roi formoient une danse plus singuliére que difficile, & que les deux aînées ne regardérent qu’avec dédain, (car elles ne pouvoient pas souffrir de voir briller les autres) la troisiéme se mit au rang des danseuses, qu’elle avoit beaucoup applaudies ; & comme elle avoit acquis bien des talens, croyant en avoir besoin, elle saisit si bien le caractére de leur danse, on lui sût si bon gré de se prêter, avec tant de grace, à des amusemens étrangers pour elle, qu’elle fut applaudie à l’excès. Le Roi, les Dames, les Courtisans, ne cessoient de dire : Quel dommage, qu’elle n’ait pas un teint d’avanturine, & de belles grosses lévres bleues ! Ses deux sœurs entendirent, sans doute, mot pour mot, toutes les louanges qu’on lui donna (car le dépit dans les femmes est si pénétrant) ; enfin elles pensérent en mourir de jalousie ; & le bal fini, ce fut une persécution pour partir, à laquelle il falut que la tante cédât ; à peine eut-elle le temps de prendre congé du Roi, de la Reine, & des Princesses, à qui elle donna, cependant, un secret pour se bouffir, considérablement, les lévres, aux jours de cérémonie. L’importance de ce présent, la fit reconnoître pour Fée, & elle se vit investir par un concours prodigieux de peuples ; mais elle étoit déja dans son char, & elle disparut, au grand contentement des deux aînées, qui maudissoient un pays où l’on n’applaudissoit que leur cadette.
Je ne sai pas comment j’ai oublié, jusqu’ici, d’expliquer pourquoi ces deux aînées étoient en si bonne intelligence. Il n’est pas facile de le deviner ; cela va cependant paroître assez simple. La jolie disoit, à tout moment, à l’aînée, qu’elle étoit prodigieusement belle ; la belle disoit à celle-ci, qu’elle étoit excessivement jolie ; & chacune, parce qu’elle pensoit ne prononcer qu’un mot qui n’exprimoit rien, & se moquer de sa sœur, à proportion du plaisir qu’elle lui causoit, par cette louange chimérique.
Mais comment se pardonnoient-elles leurs conquêtes, puisque l’une & l’autre vouloit, sans doute, être seule aimable ? Cette objection est plus embarrassante ; mais voici comment cette concurrence s’arrangeoit dans leur tête. La belle croyoit que sa sœur n’avoit de soupirans, que ceux qui, ne se sentant qu’un mérite commun, n’osoient se flatter d’être écoutés d’une belle personne ; & la seconde disoit ; Ils seront bien-tôt excédés de la triste beauté de ma sœur, ils me reviendront ; ainsi, c’étoit le peu de bonne opinion que mutuellement l’une avoit de l’autre, qui entretenoit leur union. On ne sauroit croire combien un mépris réciproque est souvent parmi quelques femmes, une raison de convenance, & même le nœud d’une sorte d’amitié.
A l’égard de leur haine commune pour la troisiéme, voici quelle en fut l’origine. Leur cadette, ayant une ame douce, & s’appliquant à vaincre par de la déférence & par de l’amitié, la répugnance que lui marquoient ses sœurs, profitoit de toutes les occasions de faire leur éloge, avec justice ; mais étant raisonnable & sincére, elle ne pouvoit se déterminer à louer l’orgueil de l’une & la coquetterie de l’autre ; & ne les pas applaudir, à cet égard, c’étoit se montrer leur ennemie. Ajoutez que lorsque les deux aînées s’y attendoient le moins, elles virent cette sœur, condamnée dans leur esprit à ne jamais plaire, réussir souvent mieux qu’elles. On ne supporte point cela ; car, qu’on ait prévû le succès que peut obtenir une autre femme, comme on a rassemblé, par avance, toutes les maniéres de l’envisager, qui en diminueront le prix ; on peut en être témoin, sans se décontenancer ; on le méprise, peut-être, au point qu’on le pardonne. Mais quand il surprend, qu’on est réduit à le voir tel qu’il est, il n’y a courage d’esprit qui y tienne.
Les voilà donc dans le char. Où vous ménerai-je ? leur dit la Fée. Vous savez, sans doute, à quoi vous en tenir, sur votre figure ? Voyageons à présent, afin de vous faire connoître le prix des différens états de la vie ; je vais, pour commencer, vous faire toutes trois Reines. Alors, elle remua une chaîne de diamans, qui gouvernoit quatre Phénix, qu’elle avoit attelés à son char ; ils hâtérent leur vol, & arrivérent dans un pays charmant. On entra dans une Ville superbe ; tous les Grands de l’Empire s’y trouvérent rassemblés, & les trois niéces, placées sur un même trône, furent toutes trois reconnues Souveraines.
L’aînée, on ne l’auroit pas cru, trouva le moyen d’augmenter de fierté & de bonne opinion de son mérite. Le lendemain de son couronnement, elle emprunta la baguette de sa tante, pour un coup d’état, disoit-elle, & l’on ne devineroit pas quel usage elle en vouloit faire. Il y avoit proche de sa Capitale, une vaste plaine ; elle s’y promena, d’un soleil à l’autre, & pour donner à ses Sujets le plaisir de l’admirer, elle les transporta, tout à coup, dans cette plaine ; & cet enlevement pensa les faire mourir tous de frayeur. L’un, occupé dans son cabinet, se sentoit emporté par sa fenêtre, sans savoir à quoi attribuer cette merveille. L’autre, au moment de prononcer le serment qui l’alloit unir à sa maîtresse, quittoit, malgré lui, sa main, & s’échapoit avec rapidité du Temple, au grand étonnement de l’épouse & de l’assemblée. Celui-ci, dont la santé étoit languissante, transporté dans son fauteuil, se trouvoit dans les nues. On voyoit voler les batallions tout armés, & les personnages les plus graves traverser les airs, en habits de cérémonie. Enfin, cet événement causa un trouble, un désordre général, dans toute la Nation, & chaque jour de son Régne, amena quelque-autre folie, dont sa beauté étoit la cause.
On s’attend bien à voir la seconde, ne contraignant pas mieux son caractére ; aussi parut-il dans toute sa perfection. Il n’y eut bien-tôt plus à sa Cour que des petits soins pour occupation, des fleurettes pour langage, & des lorgneries pour politesses. La Fée se trouva forcée d’apprendre à l’aînée l’effet de sa ridicule présomption ; à la seconde, le peu d’estime & de respect qu’on avoit pour elle ; & les avis sages, quand ils viennent d’une Fée, ont cela de particulier, ils persuadent. Je ne veux pas dire, cependant, que les deux niéces crûrent avoir tort, elles sentirent, seulement, la honte de leur situation, qu’elles trouvérent injuste ; & elles conclurent que le trône n’avoit pas tant de charmes qu’elles l’avoient pensé.
La troisiéme Reine parut effectivement l’être. Si le Trône met les défauts dans un plus grand jour, il donne aussi plus d’occasions aux vertus de paroître. Zimzime, car la Fée avoit décidé qu’on ne l’appelleroit plus la laide, mieux que belle, dis-je, eut donc lieu d’être contente de sa nouvelle condition ; elle avoit des mœurs, & de la dignité, elle fut respectée. Elle ne songeoit qu’aux moyens de faire le bien, & d’être aimée, on l’adora. Sa Cour devenoit, tous les jours, plus nombreuse, & cela acheva de désespérer ses sœurs.
Une nuit, tourmentées d’un dépit qui ne leur avoit pas permis de fermer l’œil, elles allérent trouver la Fée, & la pressérent de partir dans le même moment, aimant mieux toute autre condition que celle de régner. La Fée, qui avoit ses vûes, répondit froidement, il est encore bien matin, mais j’y consens ; elle alla éveiller Zimzime, l’habilla d’un seul coup de baguette, sans que rien manquât à son ajustement, répandit dans la Ville quelques trésors, & l’on remonta encore dans le char.
Hé bien, mes chéres Niéces, (cela s’adressoit aux deux aînées) vous vous êtes ennuyées du Trône ? Le rang qui en approche vous exposeroit, à peu près, aux mêmes inconveniens ; & dans les états, successivement inférieurs, vous trouveriez de pareils sujets de mécontentement. Passons, croyez-moi, à une extrémité dont vous n’avez qu’une idée très-imparfaite. Allons habiter quelque hameau. Je connois un endroit de l’Asie, où, sous un ciel doux, des peuples simples & sociables, vivent dans de belles campagnes ; nulle ambition, peu de besoins, & un panchant inaltérable pour des plaisirs qui n’entraînent point de dégoûts : Voilà leur condition.
J’aime beaucoup ce hameau, dit l’aînée ; Je serois comblée de voir cette campagne, s’écria la seconde. A l’instant, elles se trouvérent, toutes trois, mises comme de simples Villageoises, c’est-à-dire, avec une coëffure & des habits, qui, pour toute magnificence, avoient une simplicité agréable, l’air frais, & d’une extrême propreté. L’aînée conçut, que, sous des dehors si peu brillans, on ne pouvoit être remarquée, à moins qu’on ne fût la beauté même. La seconde, ne douta pas que la singularité de cet ajustement, ne dût servir à la rendre plus piquante. Pour Zimzime, elle fut bien aise de pouvoir connoître un peuple ingénu, & dont les passions douces, disposoient, sans doute, leur ame à l’amitié. Elles aperçurent, alors, cette campagne, qu’elles désiroient. Elles arrivérent dans une prairie, au milieu d’une fête purement champêtre ; le lieu, les habitans, tout rappelloit l’idée de l’âge d’or. La Belle, se voyant entourée d’une troupe considérable, leva, avec un air de bonté présomptueuse, un voile qu’elle portoit en voyage. Ces gens simples, la regardérent, long-temps, avec des yeux plus étonnés que satisfaits. Ils la trouvoient belle, mais ce n’étoit point comme cela qu’ils désiroient qu’on le fût ; elle ne parla à personne, dédaignant particuliérement les jeunes Villageoises qui s’approchoient d’elle ; personne, aussi, ne lui parla ; & comme elle ne recueillit aucune louange, la fête ne tarda guéres à l’ennuyer. Pour la jolie, qui avoit bien résolu de le paroître, tout autant qu’elle le pourroit, elle y fit de son mieux, mais ses agaceries furent perdues. Ces gens simples la virent, avec les mêmes yeux, qu’ils avoient regardé l’étalage de beauté de sa sœur ; ses mines leur parurent des grimaces ; & les petits propos qu’elle leur adressa, des moqueries ; elle se mit, enfin, à danser avec eux, imitant, à ce qu’elle croyoit, leurs façons naïves ; mais elle y ajoûtoit une légéreté forcée & des inflexions de corps affectées qu’ils ne prirent jamais pour des agrémens. Tout ce qui sortoit d’une certaine simplicité, n’alloit point jusqu’à leur esprit ; ils la regardoient, fixement, & n’y trouvoient point de plaisir ; c’étoit-là tout ce qui se passoit en eux ; elle s’en aperçut, & dit à la Fée, que cette espéce-là étoit bien maussade, bien insuportable.
Et Zimzime ? Zimzime, qui avoit abordé plusieurs de ces jeunes Villageoises, avoit trouvé jolies celles qui l’étoient ; elle se mêla dans leurs jeux, & y réussit à merveilles. Si on lui donnoit le prix, elle vouloit qu’il fût partagé à toutes celles qui l’avoient disputé avec elle ; ses caresses la faisoient aimer, même de celles qu’elle effaçoit ; & ce succès dura tout le temps qu’elle resta dans cette Campagne. Les jeunes habitans, qui disposoient encore de leur cœur, passoient les jours à s’occuper d’elle ; l’un d’eux, particuliérement, qui de son côté se faisoit distinguer de tous les autres, & que la Fée embarrassoit, quand elle lui disoit le mot de travestissement ; celui-là, Zimzime l’écoutoit avec plaisir ; elle trouvoit la vie pastorale très-agréable, tandis que ses sœurs ne cessoient de répéter : Je l’ai en horreur, elle m’est odieuse. Enfin il fallut encore les emmener.
Ce fut dans leur demeure ordinaire que la Fée les transporta. C’est une sotte chose que les Voyages, dit l’aînée : on y périt d’ennui, ajouta la seconde : Dites plûtôt, répondit la Fée, que nous n’aimons que les lieux où nous plaisons, & que les gens qui paroissent charmés de nous voir. Vous l’éprouvez. Ne songer qu’à ce qui nous flatte, sans s’occuper jamais de ce qui flatte les autres, est un moyen sûr de s’ennuyer bien-tôt, par-tout, & de tout le monde. Je n’aime point à donner des leçons dures, j’ai espéré de vous corriger de vos défauts, en vous faisant essuyer les inconveniens qu’ils entraînent ; je vois que le mal est sans reméde. Voici, dit-elle à l’aînée, l’état qui vous convient. A ces mots, elle la laissa au milieu d’un Palais, qui venoit de s’élever, dont toutes les murailles lui représentoient son image. Elle avoit le plaisir de s’y voir sans cesse, mais elle s’y vit vieillir de bonne heure ; elle eut des rides, & ne pût s’empêcher de les apercevoir. Ce fut là sa punition, & l’origine des glaces. On ne croiroit pas qu’elles auroient été inventées pour corriger l’amour propre.
La Fée mena la seconde dans un autre Palais : Vous vivrez ici, lui dit-elle, vous y verrez, sans cesse, une foule d’hommes, de toutes les Nations, que vous pourrez attirer, mépriser, accueillir, gronder, apaiser ; mais ils s’évanouïront, comme des ombres, dès que vous trouverez quelque satisfaction à les voir, ou à les entendre. C’est, à peu près, ce que vous auriez éprouvé dans le monde ; la plûpart des succès qui naissent de la coquetterie, ne sont guéres plus réels, & je vous épargne les ridicules, & les dégoûts véritables qui y sont attachés ; car ces ombres que vous verrez s’évanouïr, & renaître, ne prendront point un air de dissimulation, en se défendant d’avoir sû vous plaire, & elles ne mettent point en chanson leurs prétendues conquêtes.
La Fée demanda, ensuite, à Zimzime, quel rang, & quelle figure elle désiroit avoir. Vivre avec vous, répondit Zimzime, me paroît le sort le plus désirable ; mais puisque ce bonheur est réservé aux Fées, laissez-moi d’abord, ma laideur ; elle m’épargne la jalousie des autres femmes, & me rappelle la nécessité, où je suis, de songer à me rendre supportable, du moins par le caractére. A l’égard du rang, dont je voudrois jouïr, je l’ignore. J’avoue que j’aimerois à partager celui de ce jeune Pasteur que j’ai vû dans cette heureuse campagne, où vous m’avez conduite ; je l’ai soupçonné de cacher ce qu’il étoit ; mais ne fût-il qu’un simple habitant de ce même hameau, il me semble que je passerois, avec lui, une vie heureuse. A peine elle achevoit, qu’un Prince charmant parut au milieu de sa Cour ; Zimzime reconnut celui dont elle venoit de parler, qui se trouva fils d’un grand Roi ; ils s’aimoient, ils s’épousérent, ils s’aiment encore.
FIN.