Essais sur la necessité et les moyens de plaire
LES DONS
DES FÉES,
OU
LE POUVOIR
DE L’ÉDUCATION.
CONTE.
Entre les différens Souverains, qui, dans les temps reculés, partagérent l’Arabie, la Princesse Zoraïde fut célébre par l’amitié qu’elle avoit contractée avec deux Fées ; elle étoit bien digne de plaire à ces Intelligences, qui n’exerçoient alors leur supériorité sur les mortels, que dans la vûe de les rendre heureux. Peu de temps après la perte de son époux, qui lui fut extrêmement sensible, cette Princesse devint mere de deux fils, & sentant approcher la fin de sa vie, que tout l’art des Fées ne pouvoit reculer, elle leur parla ainsi.
Je laisse deux enfans au berceau, tous deux destinés par nos loix à régner en même temps : vous connoissez mieux que nous, ce que les vertus, ou les défauts des Souverains, répandent de biens ou de maux sur leurs Sujets. Vous m’avez trop aimée, pour me refuser, dans mes derniers instans, la douceur de me flatter que mes enfans feront le bonheur des Etats que je leur laisse ; vous allez les douer l’un & l’autre, des qualités qui rendent les hommes dignes de la suprême autorité.
L’une des Fées, qui s’appelloit Zulmane, s’approcha du berceau, & touchant de sa baguette l’aîné des deux Princes ; Enfant, né pour régner, dit-elle, une puissante Fée te doue ; elle te donne l’esprit, la valeur, & la probité. A ces mots, elle embrassa la Reine, & vola dans l’Empire des Fées, graver sur la Table d’émeraude, où sont inscrits les dons qu’elles font aux Souverains, ceux dont Alcimédor, (c’est ainsi qu’on nommoit ce Prince) venoit d’être favorisé.
Alsime, c’est la seconde Fée, resta dans le silence, portant alternativement ses regards sur les deux Princes. Quoi ! dit Zoraïde, mon second fils n’obtiendra-t-il rien de votre puissance ? Tandis que son frere brillera de toutes les qualités qui font les vrais Monarques, celui-ci ne montrera-t-il que des vertus communes ? Est-ce dans ce moment (le seul qui me reste peut-être) que je dois cesser d’être chére à la plus secourable des Fées, à la généreuse Alsime ?
Que vous êtes dans l’erreur, répondit la Fée ! mon silence ne présageoit rien de funeste pour le Prince Asaïd votre second fils ; je cherchois à démêler, dans l’avenir, quelle sera la destinée de son frere ; il semble que Zulmane l’ait doué de tout ce qui doit rendre un Prince accompli, tous ses dons auront leur effet ; mais seront-ils suffisans ? Puisse-t-elle ne s’être point abusée sur le succès qu’elle en espére ! J’employerai bien mieux ma science en faveur d’Asaïd. Dans ce moment où il ne fait que de naître, ce seroit peut-être en vain que je le douerois des plus heureuses qualités ; les impressions qu’il recevra, dans la suite, des objets dont il sera environné, mille obstacles différens, pourroient altérer l’effet de mes dons, si je l’abandonnois à lui-même. Elle prit alors le Prince entre ses bras : O précieux enfant de la mortelle que j’ai le plus chérie, dit-elle, je verserai, sans cesse, dans ton ame ces Philtres imperceptibles qui dévelopent les vertus, & qui étouffent les semences des vices : Je ne te perdrai pas un instant de vûe, jusqu’au temps où tu seras digne de régner.
A cette promesse, si intéressante, Zoraïde sentit un transport de joie, qui, en terminant sa vie, en rendit les derniers instans délicieux. La Fée, qu’elle tenoit embrassée, vit son ame, qui, s’élevant sur ses aîles immortelles, retournoit au centre de la lumiére, d’où elle étoit descendue.
Alsime prit les rênes du Gouvernement pendant l’enfance des deux Princes, & respectant l’ouvrage de Zulmane, elle ne s’occupa, à l’égard de l’aîné, que du soin de veiller à la conservation de sa vie, & réserva, pour le second, tous les secrets de son art, qui servoient à embellir les ames.
Les deux Souverains avancérent insensiblement en âge ; Alcimédor marqua de bonne heure le mépris des dangers, ou plutôt il parut s’y exposer sans les connoître ; il montra toujours plus d’esprit qu’on n’en devoit naturellement attendre des différens âges, où il passoit successivement ; mais on démêloit qu’en lui, l’esprit n’étoit que comme un talent par lequel il étoit dominé, & non une lumiére dont il fît usage au gré de sa raison. On reconnut, enfin, qu’il ne lui manquoit aucun des dons que Zulmane lui avoit faits ; mais qu’il s’en faloit bien que ces dons ne remplissent l’idée qu’on en avoit conçue : cependant personne n’osoit lui donner des conseils, par respect pour la Fée qui l’avoit doué.
A l’égard d’Asaïd, son esprit ne s’étoit dévelopé que par une gradation ordinaire ; mais dans ses différens progrès (graces aux premiéres impressions qu’il avoit reçûes de la Fée, & qui, par ses soins, se perfectionnoient tous les jours) il prenoit un caractére aimable. Ce n’étoit point ce que la supériorité a d’éblouissant, qui éclatoit en lui, on y découvroit ce qui la caractérise bien davantage, une raison éclairée, égale, & assaisonnée d’agrément. La Fée lui avoit fait deux présens d’un prix inestimable ; l’un étoit une glace, dont voici la merveilleuse propriété : il ne faloit que s’y considérer fixement, après s’être fait une habitude de la regarder, on s’y voyoit, en même temps, tel qu’on étoit, & tel qu’on croyoit être. L’autre, étoit une sorte de microscope, qui faisoit distinguer dans les objets les plus attirans, ce qu’ils avoient de trompeur, & de chimérique. Il semble qu’à faire un usage habituel de ce secret, comme presque tous les plaisirs sont mêlés d’illusions, on dût tomber bien-tôt dans une indifférence insipide ; mais le microscope ne grossissoit que les illusions dangereuses, pour la Société ; celles qui ne pouvoient nuire qu’à nous-mêmes, il laissoit à notre raison le soin de les apercevoir. Ces dons précieux sont restés sur la terre, mais on a presque entiérement renversé la maniére d’en faire usage.
Les deux Princes, ayant atteint dix-huit ans, la Fée déclara que de cet instant ils restoient chargés, l’un & l’autre, du poids redoutable du Gouvernement. Il ne m’est plus permis, dit-elle à Asaïd, de rester auprès de vous ; mais je descendrai souvent de la Région lumineuse d’où les Fées considérent, d’un coup d’œil, tous les événemens de la terre ; je viendrai jouir, avec le Prince que j’ai formé, & que j’aime, de la félicité qu’il maintiendra dans cet Empire. A ces mots, elle s’éleva dans les airs, portée sur un nuage d’azur, & disparut.
La puissance souveraine se trouva donc partagée, également, entre Alcimédor & Azaïd. Ils avoient une tendre amitié l’un pour l’autre ; tous deux désiroient régner avec équité ; tous deux agissoient dans cette même vûe ; mais leur caractére n’avoit aucune ressemblance ; & il arrive souvent, qu’avec des principes communs, & même des lumiéres égales, la différence du caractére des hommes, en met une bien grande dans leur conduite. Alcimédor, inébranlable dans ses projets, dès qu’ils lui paroissoient équitables, n’examinoit jamais assez les inconveniens qui en pourroient naître. Son ambition se tournoit-elle vers la gloire, son courage ne lui laissoit envisager que celle des Conquérans ; sa probité ne lui auroit pas permis de faire usage, pour y parvenir, de moyens injustes ; mais tout ce qui pouvoit être un sujet de guerre légitime, lui paroissoit une nécessité de l’entreprendre. Par-tout où la force pouvoit être employée, sans injustice, il la préféroit à des voyes douces, qui, avec plus de temps, auroient amené les mêmes succès. Son frere, accoutumé par degrés, dès l’enfance, à ne considérer, dans les prérogatives du Trône, que les vertus qu’elles donnent lieu au Souverain d’exercer, ne se permettoit aucune idée de gloire, qui ne fût compatible avec le bonheur de ses Sujets. Il pensoit que la véritable puissance doit s’imposer elle-même des bornes ; il regardoit, comme autant de triomphes, ces effets favorables que la prudence & le temps épargnent à l’autorité ; la Cour, le Peuple, bénissoient sa conduite, autant qu’ils voyoient celle de son frere avec trouble & inquiétude.
Il étoit difficile que des Souverains, si différens par le caractére, vécussent long-temps dans l’union parfaite, qui étoit nécessaire pour le bien du Gouvernement. En effet, il nâquit bien-tôt, entr’eux, un sujet de division. Alcimédor ayant découvert qu’ils avoient d’anciens droits sur un Royaume voisin, possédé alors par le Prince Mutalib, proposa d’armer pour le faire valoir. Asaïd se refusa à ce projet : Mon frere, dit-il, l’ambition la plus glorieuse pour nous, n’est pas de devenir plus puissans ; nous le sommes assez, étant supérieurs aux autres Princes d’Arabie. Que nous serviroient de nouvelles Provinces, & de nouvelles richesses ? Elles ne nous donneroient pas de nouvelles vertus. Pourquoi exposer des Sujets, qui nous aiment, pour en soumettre d’autres, qui ne nous regarderoient que comme des Tyrans ? Rien n’ose troubler notre tranquillité ; nous sommes respectés ; faut-il, sans sujet, nous montrer redoutables ? Asaïd parla en vain, & voyant que son frere persistoit dans ses desseins, il lui proposa de séparer leur Etat en deux Souverainetez différentes ; ce partage accepté, à peine fut-il entiérement terminé, qu’Alcimédor entreprit la guerre ; elle fut malheureuse. Vaincu, au lieu d’être Conquérant, il eut recours à Asaïd ; il demanda des troupes, pour venger sa défaite ; mais Asaïd préféra de lui procurer un secours plus salutaire. Il fit alliance avec le Prince qu’Alcimédor avoit attaqué ; & devenant, pour l’avenir, un garant contre les attentats de son frere, la paix fut conclue. Le sceau de cette paix étoit un double mariage ; Mutalib, ayant deux filles, il fut arrêté que l’aînée épouseroit Alcimédor, & qu’Asaïd seroit uni à la seconde. Bien-tôt les fêtes de l’hymen succédérent aux troubles de la guerre, & la présence d’Alsime acheva de donner, à cette cérémonie, tout l’éclat qui pouvoit l’embellir.
Les deux Princesses, qui ne se ressembloient, ni par la figure, ni par l’esprit, étoient ornées de bien des qualités rares. Celle qu’épousa Alcimédor, avoit en partage tous ces traits réguliers, dont l’assemblage forme ce qu’on est convenu d’appeler la beauté ; mais quand on avoit dit qu’elle étoit extrêmement belle, il ne restoit plus rien à ajouter à l’éloge de sa figure. Ce qui fut remarqué bien davantage, c’est qu’elle se trouva avoir, exactement, le même esprit, & le même caractére qu’on découvroit dans Alcimédor ; & cette conformité fit penser aux deux Cours, que ces Epoux passeroient, ensemble, une vie extrêmement heureuse. L’événement fut tout-à-fait contraire : Tous deux, ne voulant qu’être sévérement justes & équitables, étoient sans complaisance, dès qu’ils croyoient leur opinion ou leurs desseins raisonnables : Tous deux, avec beaucoup d’esprit, trouvoient, dans leur entretien, des sujets de dégoût, d’éloignement, & d’inimitié : Chacun, par amour de la sincérité, ne ménageoit point la vanité de l’autre, même à l’égard des objets indifférens, quand il voyoit un juste motif de la mortifier ; &, par cette conduite, ils furent bien-tôt réduits au simple commerce de convenance, & de représentation.
La destinée d’Asaïd devint bien différente, & ce fut son ouvrage. La Princesse, à qui l’hymen l’unissoit, & dont il fut toujours aimé éperduement, avoit tout ce qui peut remplir le cœur, & exercer la raison d’un époux ; sa figure ne donnoit point l’idée de ce qu’on regarde communément comme la beauté ; mais les femmes mêmes avouoient, en la voyant, que pour être sûre de plaire, il faloit être faite comme elle. D’ailleurs, par les graces de l’esprit & du caractére, charmante pour les personnes qui lui étoient indifférentes, elle devenoit, à l’égard de ce qu’elle aimoit, du commerce le plus épineux & le plus difficile : Née sincére & avec un cœur extrémement sensible, le sérieux, ou la joie, les égards, les devoirs, la raison même, prenoient en elle toute l’impétuosité des passions : Pénétrante sur ce qui se passoit dans une ame qui lui étoit chére, si elle ne découvroit pas dans la complaisance qu’on lui marquoit, le peu que lui coûtoit celle qu’elle faisoit si naturellement paroître ; si elle ne trouvoit pas dans l’amitié, dans la confiance, cette délicatesse, cette étendue sans réserve, qui caractérisoit la sienne ; elle passoit aux reproches, à la douleur, au désespoir ; sa société, enfin, étoit alternativement délicieuse & insupportable.
Asaïd charmé des vertus, de l’esprit, & de la tendresse qu’il trouvoit en elle, faisoit grace aux imperfections du caractére : Loin d’y opposer jamais, ni d’impatience, ni d’aigreur, c’étoit cette condescendance, cette douceur, qui naît d’une véritable amitié, que soutient la raison, & qui n’a rien de la foiblesse. Persuadé qu’on ne peut trop prendre sur soi, pour faire cesser les torts & les chagrins de ce qu’on aime, il cédoit, il ramenoit bien-tôt le calme ; & insensiblement, ayant vaincu l’impétuosité de l’humeur, il ne resta que la tendresse ; eh quelle tendresse ! Elle n’avoit plus de sentimens, qui ne servissent à le rendre heureux. Leur Cour ne respiroit que le plaisir, la décence & le zéle : Tout ce qui les environnoit, sentoit un empressement à leur plaire, qui ne tenoit ni de l’intérêt ni de la servitude. Bonheur inestimable, & presque toujours ignoré des Souverains ! Ils pouvoient quelquefois oublier qu’ils avoient des Courtisans, & ne se croire entourés que d’amis aimables & sincéres. Les talens, les arts, chéris & protegés par eux, avoient, pour principale ambition, la gloire de concourir aux douceurs de la vie de deux maîtres si respectables ; tandis qu’à la Cour d’Alcimédor, le désir de plaire, n’étoit qu’une crainte de la disgrace, & que, jusques aux amusemens & aux plaisirs, tout étoit mis au rang des devoirs austéres : Ainsi les dons de Zulmane, n’avoient produit, à Alcimédor, d’autre fortune, que de se voir Souverain, sans avoir l’amour de ses Sujets, & Epoux malheureux, sans aucun motif considérable de se plaindre de la Princesse.
On auroit crû, qu’avec une conduite si différente, ces deux Princes n’auroient dû jamais éprouver une commune destinée ; mais, tout à coup, il sortit du fond de la Tartarie, un Peuple de Guerriers, qui parvinrent jusqu’en Arabie. En vain les autres Souverains joignirent leurs forces à celles d’Alcimédor & d’Asaïd. Ces hommes inconnus, étoient braves, disciplinés, & si formidables en nombre, qu’ils accablérent tout ce qui s’opposa à leur passage. Leur Roi, nommé Aterganor, ajoûtoit encore à leur force & à leur valeur, par la haute opinion qu’ils avoient de l’élévation de son ame. Ce Conquérant s’étant emparé de la Ville Capitale des Etats d’Asaïd, (car ce Prince, qui avoit été vaincu le dernier de tous, s’y étoit retiré avec son frere) Aterganor assembla les hommes les plus considérables des deux Nations, & leur parla ainsi. Je n’ai pas prétendu vous conquérir, pour vous mettre dans l’esclavage. Je sai quelles sont vos vertus ; elles ont accrû l’ambition que j’avois de régner dans l’Arabie. Des hommes, tels que vous, ne doivent obéir qu’au plus grand Roi de la terre, au Monarque de la Tartarie. Peuples, que j’ai soumis, je ne viens point emporter vos richesses, ni forcer vos volontés : Conservez vos usages, vos mœurs, & choisissez, vous-mêmes, le nouveau Maître, qui, sous mon autorité, sera chargé du soin de vous rendre heureux. J’établis, de ce moment, l’entiére égalité de condition. Que, pendant douze soleils, il n’y ait plus entre vous, d’autres distinctions, d’autres égards, que ceux qui seront volontaires : Employez ces jours, d’une liberté si pure, à vous élire un Souverain ; fût-il tiré du sang le plus obscur, sur la foi de votre choix, il me paroîtra digne de régner. Le Vainqueur dit ensuite aux deux Princes, qu’il les laissoit libres dans leur Palais, & il alla camper au milieu de cette redoutable Armée qui environnoit la Ville.
L’égalité de condition ordonnée, fit naître une révolution subite ; tous ceux pour qui la servitude, les devoirs, le respect, avoient été un fardeau, ne songérent plus à le supporter. Entre les personnes accoutumées à être prévenues, à faire autant de loix de leurs volontés, plusieurs conserverent, à peine, de l’autorité dans leur famille. Les Gardes, les Officiers d’Alcimédor, désertérent tous de son Palais, & un Palais déserté est plus triste qu’une cabane habitée ; ses Courtisans l’abandonnérent, ne s’occupant plus que de la part qu’ils devoient avoir à l’élection d’un nouveau maître. Alcimédor & la Princesse son Epouse, accoutumés à la hauteur & la confiance qu’une longue prospérité fait naître, ne connoissoient point l’élévation d’ame, qui fait ennoblir l’adversité ; ils restérent seuls, & humiliés. Aterganor voulut jouïr du spectacle de ces changemens ; il aimoit à voir l’abbattement ou la dignité avec laquelle on soutenoit les grands revers. Il remarqua, dans les différens états, avec plaisir, des hommes dont toute la considération avoit disparu avec leur crédit ou leurs titres ; qui, d’un rang distingué, & qui les élevoit, réduits à leur propre mérite, tomboient confondus & méprisés, dans la foule. Mais quel fut l’excès de son étonnement, lorsqu’arrivant au Palais d’Asaïd, il chercha inutilement les marques de la révolution qu’il s’attendoit d’y reconnoître ? Il voit les Gardes dans leur devoir, & les Courtisans, d’autant plus occupés à marquer leur fidélité à leur Maître, que cet hommage étoit un gage de leur vertu. Il trouva le Prince & la Princesse dans une assiette d’ame également éloignée de la fermeté fastueuse, & de la tristesse humiliante : Ils ne s’entretenoient que du désir de voir couronner un Souverain, qui rendît heureux des Sujets dont ils éprouvoient, d’une maniére si admirable, le respect & l’amour. Aterganor crut être abusé par un songe. O fortuné Asaïd ! s’écria-t-il, & vous, respectable Princesse, que votre gloire est supérieure à la mienne ! Vous m’apprenez que je n’ai point encore régné. Je n’envisageois que la domination qui naît de la force, qui ne s’entretient que par la crainte, & qui ne cherche qu’à s’étendre. Vous me faites connoître que la véritable autorité sur les hommes, a sa source dans leur cœur. Alors les Députés des deux Nations se présentérent pour proposer le Roi qu’ils avoient choisi. Tous proclamérent Asaïd ; on ne voyoit par-tout que des larmes de zéle, d’amour & de joie ; on n’entendoit que le nom d’Asaïd. Aterganor, à ce spectacle, descendit du trône ; il déposa son sceptre entre les mains d’Asaïd, & plaçant sa propre couronne sur la tête de la Princesse : Regnez, leur dit-il, puisque tous les cœurs vous appellent, non pour reconnoître un Roi supérieur à vous. Oserois-je assujettir ceux dont j’admire l’exemple, & dont les vertus m’instruisent ? Je rens la Souveraineté à tous les Princes que j’avois vaincus, je n’exercerai ici qu’un seul droit de l’Empire : Qu’Alcimédor cesse d’être Souverain. Je réunis, pour vous seul, les Etats que vous aviez partagés avec lui. Comme Aterganor achevoit ces mots, on entendit un coup de tonnerre, Zulmane parut sur un char ; & pour dérober, aux yeux des mortels, le Prince à qui ses dons avoient été si peu profitables, elle enleva Alcimédor, ainsi que sa Princesse, & se perdit dans l’immensité des airs. Alsime s’offrit, alors, sur un trône brillant des plus vives couleurs de la lumiére ; elle confirma la loi, si juste, qu’Aterganor venoit de faire, & qui assuroit le bonheur des Peuples que lui avoit recommandés Zoraïde. Elle reconnut, avec transport, dans la nouvelle gloire, dont Asaïd étoit environné, les fruits heureux de son éducation ; & c’est depuis cette époque du régne d’Asaïd, que cette Partie de l’Arabie a été nommée l’Arabie heureuse.