Fer et feu au Soudan, vol. 2 of 2
CHAPITRE XIX.
Ma fuite.
Mes guides Zeki Bilal et Hamed ibn Houssein.—Un incident.—Les chameaux refusent d’avancer.—Caché dans les montagnes du Ghilf.—Arrivée de nouveaux chameaux.—Descente vers le Nil.—Nous traversons le fleuve.—Difficultés avec les nouveaux guides.—Hamed Garhosh.—Hors de danger.—Enfin à Assouan!—Arrivée au Caire.
C’était le 20 février 1895. Le soleil était couché depuis trois heures environ. Le calife s’était retiré dans ses appartements. Une heure se passa sans que je fusse dérangé; mon maître devait dormir.
Je me levai; je pris la farroua et la ferda sur mes épaules et m’acheminai, en traversant le lieu de prières, par les rues conduisant au nord d’Omm Derman. J’entendis soudain toussoter légèrement: c’était un signal de Mohammed. Je restai immobile. Il amena un âne bâté; je l’enfourchai..... et, en route!
La nuit était sombre. Le vent du nord obligeait les gens à se renfermer dans leurs huttes et dans leurs maisons. Nous ne rencontrâmes personne jusqu’à la sortie de la ville; là, un homme parut avec un chameau.
«C’est un de tes guides, me dit Mohammed; il se nomme Zeki Bilal, il te conduira rapidement dans la steppe où se trouvent cachés des coursiers sellés. Pars vite! Bon voyage! Que Dieu te protège!»
Zeki Bilal sauta en selle, je m’assis à califourchon. Après une heure de trot, nous rejoignîmes les chameaux cachés derrière de petits arbres. Le second guide nous attendait. Tout étant prêt, je montai l’animal qui m’était désigné.
Je me rappelai alors avoir remis à Mohammed les pilules d’éther.
«Zeki, lui dis-je, Mohammed t’a-t-il donné le médicament?»
«Non; quel médicament?»
«Ce sont des pilules d’éther; elles chassent le sommeil et fortifient l’homme qui voyage.»
Il se prit à rire.
«Dormir? répliqua-t-il, sois tranquille, les soucis et l’angoisse ne laissent pas dormir et Dieu, dans sa bonté, nous rendra vaillants.»
Il avait raison.
Nous nous dirigeâmes vers le nord. Les touffes de hautes herbes dures et les bouquets de mimosas, ainsi que les épaisses ténèbres empêchaient les chameaux d’avancer rapidement.
Au lever du soleil, nous entrâmes dans une vallée large d’une lieue environ, nommée Wadi Bichara; pendant la saison des pluies, les Djaliin qui habitent les bords du Nil y cultivent le doura. Je pus enfin examiner mes guides: Zeki Bilal était encore jeune; Hamed ibn Houssein était dans la force de l’âge.
«De quelle tribu êtes-vous? leur demandai-je.»
«Nous sommes des Kababish, des monts du Ghilf, maître, et Dieu veuille que tu sois content de nous!»
«Quelle avance avons-nous sur nos ennemis? Quand pourra-t-on s’apercevoir de ton absence?» me demanda le plus âgé.
«On me cherchera après la prière du matin, répondis-je, jusqu’à ce qu’on soit persuadé de ma fuite et jusqu’à ce qu’on ait trouvé des gens et des chameaux pour les lancer à ma poursuite, il s’écoulera quelque temps; nous pouvons compter sur une avance de douze à quatorze heures.»
«Ce n’est pas beaucoup, reprit Hamed, mais si les animaux sont bons, nous parcourrons quand même une forte distance.»
«Ne connais-tu pas ces bêtes depuis longtemps? Ne sont-elles pas éprouvées?»
«Non; ce sont deux mâles de la race des Anafi et une femelle Bicharia, que tes amis ont achetés pour que tu puisses te sauver; espérons que tout ira pour le mieux!»
Nous prîmes une allure plus rapide. La steppe était unie, ça et là parsemée d’arbres et entrecoupée de petites collines pierreuses. Jusqu’à midi, aucun incident. Tout à coup, l’un des guides s’écria: «Halte! Faites rapidement agenouiller les chameaux! Vite, vite!»
Nous obéïmes.
«Qu’y a-t-il? demandai-je.»
«Je vois, au loin, des chameaux et des chevaux...., je crains qu’on ne nous ait aperçus.»
J’armai mon remington pour être prêt à toute éventualité!
«Si l’on nous a vus, dis-je, il vaut mieux que nous continuions tranquillement notre route. Nos bêtes ainsi couchées sur le sable brûlant éveilleront la défiance et la curiosité. Dans quelle direction marchent ces gens?»
«Tu as raison, répondit Hamed ibn Houssein; ils se dirigent vers le nord-ouest.»
Nous nous remîmes en marche, en inclinant vers le nord-est.
Nous espérions n’avoir point été aperçus quand, à notre grand dépit, nous vîmes arriver vers nous et au galop un des personnages dont la troupe, qui allait à pied, était éloignée de nous d’environ deux mille pas.
J’appelai Hamed.
«Tandis que je continuerai à avancer lentement avec Zeki, lui dis-je, arrête cet homme, trouve un expédient quelconque, mais, en tout cas, empêche qu’il ne me voie de près. Tu as sur toi de l’argent.»
«Bien, va, mais lentement.»
J’avançai tranquillement avec Zeki et abaissai la ferda sur mon visage, afin qu’on ne reconnut pas la couleur blanche de ma peau.
«Hamed salue l’homme, et fait agenouiller le chameau, me dit Zeki qui se retournait. Allons au petit pas.»
Vingt minutes après, l’inconnu sauta en selle et Hamed nous rejoignit.
«Remerciez Dieu qui nous a sauvés! s’écria-t-il; cet homme, une de mes connaissances, est Mouhal le sheikh des Haouara; il se rend à Dongola avec des chameaux pour porter des dattes à Omm Derman. Il m’a demandé où j’allais en compagnie de l’Egyptien blanc; il a des yeux de faucon!»
«Et que lui as-tu répondu?»
«Je l’ai prié, en sa qualité d’ami, de garder notre secret; j’ai ajouté à ma prière vingt écus Marie-Thérèse. Nous autres Arabes, tous nous aimons l’argent. Il m’a juré de se taire si, par hasard, il rencontrait nos persécuteurs. Ses gens sont trop éloignés pour distinguer un blanc d’un noir. Allons, avançons; nous avons perdu du temps?»
Le soleil était sur son déclin quand nous franchîmes la colline de Hobeguie. Une heure après, nous accordions quelque repos à nos bêtes épuisées, campant dans la steppe à une journée de marche à l’ouest du Nil.
Il y avait vingt-et-une heures que nous ne nous étions pas arrêtés; de tout le jour, nous n’avions pris aucune nourriture; nous avions bu de l’eau une fois seulement. Aussi, malgré la fatigue, fîmes-nous honneur aux dattes et au pain qui constituaient notre souper.
«Donnons à manger aux chameaux et hâtons-nous de partir; tu n’es pas fatigué? ajouta le guide.»
«Non, répondis-je; nous avons coutume de dire en Europe: le temps, c’est de l’argent. Mais ici, le temps, c’est la vie. Faites vite!»
Les chameaux, à notre grand effroi, ne touchèrent pas à la nourriture. Hamed s’empressa de faire du feu; puis il prit une branche allumée, y jeta de la résine d’arbre et, tournant autour des bêtes, murmura des paroles incompréhensibles.
«Que fais-tu donc?» lui demandai-je, étonné.
«Je crains que les foukera (religieux mahométans) du calife n’aient ensorcelé nos chameaux; suivant notre habitude, j’emploie le remède usité!»
«Je crains bien plus qu’ils ne soient de mauvaise race ou malades; laissons-les se reposer encore; peut-être se remettront-ils?»
Une demi-heure s’écoula. Les animaux ne voulurent pas manger; il était impossible de rester là plus longtemps; nous les sellâmes et repartîmes. Les bêtes fatiguées refusèrent d’aller au trot, elles marchèrent seulement au pas accéléré.
Le soleil se leva lorsque nous n’étions encore que sur la hauteur nord-ouest de Metemmeh.
Les forces de nos coursiers diminuant de plus en plus nous rendaient très soucieux.
Ils n’allaient qu’au pas et il était clair qu’ils n’atteindraient pas, à un jour de marche, l’endroit situé au nord de Berber, où se trouvait à la lisière du désert, un relais pour changer nos bêtes et où nous attendaient d’autres montures.
L’après-midi, nous laissâmes nos chameaux absolument épuisés, se reposer à l’ombre d’un arbre. Nous résolûmes de nous rendre dans les monts du Ghilf situés à une forte journée au nord-ouest. Là, dans ces montagnes inhabitées, je me cacherais jusqu’à ce que mes guides eussent réussi à se procurer d’autres montures.
A la nuit, nous quittâmes cet endroit; les chameaux étant suffisamment reposés, prirent une allure assez rapide pour nous permettre d’atteindre le lendemain matin le pied des monts. Cette contrée est absolument inhabitée. Nous mîmes pied à terre et, chassant devant nous les chameaux, nous entrions, après trois heures d’une marche pénible et difficile dans une vallée entourée de rochers escarpés.
Mes guides, étant tous deux de la tribu des Kababish, la montagne du Ghilf est leur pays natal et ils en connaissaient tous les chemins et tous les sentiers. Nous cachâmes entre de gros blocs les mahlusas (selles de chameaux).
«Nous sommes arrivés dans notre patrie, elle protège ses fils; ne crains rien! me dit Hamed Houssein. Aussi longtemps que nous serons en vie, tu n’as rien à redouter. Reste ici caché; à quelque distance tu trouveras une fente de rocher d’où jaillit de l’eau. C’est là que j’abreuverai les chameaux. Zeki nous en rapportera du reste une ghirba (outre) pleine; je cacherai aussi les animaux dans un autre endroit afin que le vol des vautours tournant aux environs ne trahisse pas notre séjour. Attends-moi ici, nous verrons ce qu’il nous reste à faire.»
Les guides s’éloignèrent; j’étais seul et quelque peu inquiet. J’avais espéré atteindre directement la frontière égyptienne et échapper par la rapidité à mes persécuteurs; pourquoi ces empêchements imprévus.....?
Deux heures plus tard Zeki revenait apportant l’outre pleine d’eau.
«Goûte l’eau de ma patrie, s’écria-t-il; vois donc comme elle est fraîche et pure! Aie confiance! Si Dieu le veut, il mènera à bonne fin notre entreprise.»
Je bus abondamment; elle était vraiment excellente.
«Je suis plein de confiance, lui dis-je, pourtant ce retard me met de mauvaise humeur.»
«Malêche koullou seheï bi iradet illahi (cela ne fait rien, c’est Dieu qui dispose). Ce retard a peut-être aussi son bon côté; attendons Houssein.»
Il était plus de midi quand ce dernier arriva. Nous prîmes notre frugal repas composé de dattes et de pain et pendant lequel il fut entendu que Zeki se rendrait auprès de mes amis, gagnés à ma fuite, et dont les demeures se trouvaient à deux petites journées de voyage, afin d’en ramener de bons animaux.
«Je monterai la chamelle, dit Zeki, elle est vigoureuse et point encore rendue; je voyagerai toute la nuit et toute la journée de demain dimanche. Assurément, si Dieu le permet, je serai lundi chez nos amis. Comptez au plus deux jours pour se procurer les animaux; jeudi ou vendredi, à moins qu’un malheur ne m’arrive, je serai ici avec les chameaux.»
«Reculons plutôt la date, lui dis-je, nous t’attendrons jusqu’à samedi; si tu arrives avant, tant mieux! mais songe bien que notre sort est entre tes mains; sois prudent, surtout en ramenant les bêtes afin de n’éveiller aucun soupçon.»
«Comptez sur ma bonne volonté et sur notre chance! que Dieu vous ait en sa sainte garde; à bientôt! au revoir!»
Il me tendit la main.
Il prit quelques dattes qu’il serra dans son mouchoir et plaça la selle sur son épaule. Hamed lui décrivit la place exacte où se trouvait la chamelle. Zeki nous recommanda d’être prudents et, quelques minutes plus tard il avait disparu.
Nous fîmes place nette pour préparer notre coucher.
«J’ai une proposition à te faire, me dit Hamed après quelques instants. Mon parent Ibrahim Mousa est sheikh de ce district, sa demeure est sise au pied de la montagne à quatre lieues d’ici. Personne ne nous a vus, j’ai tout lieu de le croire; pourtant j’estime qu’il est préférable de l’avertir de notre arrivée, afin qu’il soit prêt à toute éventualité. Sans te nommer, je lui peindrai notre situation, il est mon cousin, donc il est forcé de nous donner asile; dans le cas où notre retraite serait découverte, ce qui est presque impossible à supposer, il nous avertirait à temps. Si tu es de cet avis, je pars cette nuit afin de le trouver sans être vu de personne; demain, de bonne heure je serai de nouveau auprès de toi.»
«Ton plan est bon; prends de l’argent, mais ne lui dis pas mon nom.»
Le soleil se couchait quand Hamed me quitta, me laissant ainsi seul avec mes pensées. Elles se reportaient vers mes domestiques, vers mes compagnons; tant d’années passées ensemble m’avaient habitué à eux malgré la différence des races et malgré leur caractère plutôt mauvais; mais elles s’envolaient, surtout vers les miens, mes frères et sœurs, mes amis, mes compatriotes. Pourvu, mon Dieu, que mon entreprise réussit! Epuisé, je finis par m’endormir sur ma couche dure; mais, avant l’aube, j’étais éveillé. Mon guide ne tarda pas à arriver.
«Tout va bien, s’écria-t-il, le sheikh, mon cousin, te salue quoique tu lui sois inconnu; il souhaite que Dieu te protège. Aie de la patience; actuellement, il n’y a rien d’autre à faire.»
Il se laissa choir entre deux blocs de rochers; on le distinguait à peine à cause de la couleur brune de sa peau; j’étais assis un peu plus bas, à l’ombre d’un arbre rabougri qui essayait de pousser entre les pierres et tandis que Hamed interrogeait l’horizon, nous nous entretînmes de la situation présente et passée du pays.
Soudain, un peu après midi j’entendis le pas d’un homme; il devait marcher derrière nous; m’étant retourné, je vis, non sans crainte, à quelque cent cinquante pas, un individu qui grimpait la montagne; ses reins étaient ceints d’une ferda qu’il essayait en cet instant, de ramener sur sa tête. Venant de derrière, il avait dû nous apercevoir.
«C’est un indigène, me dit Hamed; je crois bon d’aller lui parler, qu’en penses-tu?»
«Certainement et fais vite; si tu le juges nécessaire, donne-lui quelque argent.»
A pas rapides, mon camarade s’élança à la rencontre de l’homme qui, ayant atteint le dos de la montagne, venait de disparaître à mes regards. Peu après, je les vis tous deux s’approcher de moi.
«Nous avons de la chance, s’écria Hamed; c’est un de mes nombreux cousins; nos mères sont cousines germaines.»
L’homme s’approcha et me tendit la main.
«Que la paix divine soit avec toi, tu es ici en sûreté! me dit-il.»
Nous nous assîmes. Je lui donnai quelques dattes.
«Goûte, lui dis-je, à nos provisions de route; comment t’appelles-tu?»
«Ali woled Fheid, me répondit-il. A la vérité, j’avais de mauvaises intentions à votre égard. Changeant de pâturage, j’arrivai, il y a quelques jours, au pied de cette montagne que tu vois, située là-bas, au midi. En me rendant à la fente du rocher pour constater si l’eau y est abondante, quoiqu’il y ait des puits dans la plaine, je remarquai les traces de vos chameaux; je les suivis. De loin, j’aperçus la couleur blanche de tes pieds qui sortaient de ta cachette; j’en conclus qu’un étranger se trouvait en cet endroit et j’allais m’en retourner pour revenir de nuit avec quelques camarades et te faciliter ton voyage en t’allégeant de tes effets, ajouta-t-il en riant.
Je remercie Dieu d’avoir rencontré mon cousin, les ténèbres m’auraient peut-être empêché de le reconnaître.»
«Ali woled Fheid, reprit mon guide qui l’avait écouté en silence, permets que je te conte une petite histoire:
Il y a quelques années—j’étais encore bien jeune—au temps de la domination turque,—mon père était sheikh de ces montagnes alors très habitées. Une nuit, un homme qui fuyait vint lui demander asile; les soldats du Gouvernement le poursuivaient avec fureur, on l’accusait d’être un bandit et d’avoir tué des marchands. Ses femmes tombèrent entre les mains de ses persécuteurs. Longtemps après, mon père qui l’avait tenu caché, se rendit à Berber, le siège du Gouvernement. Par des dons en argent, il arriva à faire gracier l’individu, car il n’y avait, en somme aucune preuve contre lui. Il répondit pour lui en se portant caution et fit libérer ses femmes.»
«Cet homme, interrompit Ali, se nommait Fheid, c’était mon père. Je n’étais point encore né à cette époque, mais ma défunte mère,—que Dieu ait son âme—m’a conté cette histoire. O frère, ce que ton père a fait pour le mien, le fils le fera pour le fils; je vous suis dévoué; suivez-moi, je vous montrerai, à proximité, une meilleure cachette.»
Nous le suivîmes; deux mille pas plus loin dans la direction du sud nous atteignîmes une sorte de caverne formée par des rochers; deux personnes y pouvaient tenir aisément.
«Apportez-ici, ce soir, votre bagage. Quoiqu’il n’y ait rien à craindre, ces monts étant inhabités, vous pourrez, cette nuit, choisir une autre couche à proximité. On ne peut pas savoir; quelqu’un vous observe peut-être, sans que vous le sachiez, pour revenir plus tard, ainsi que j’en avais l’intention moi-même.
Mais j’ai beaucoup tardé et ma route est longue; je vous quitte; demain après le coucher du soleil, je reviendrai et m’annoncerai en sifflant doucement. Portez-vous bien,—au revoir.»
Suivant le conseil d’Ali, nous cherchâmes un autre endroit pour passer la nuit; le lendemain, nous reprîmes possession de notre grotte. Tout le jour, Hamed monta la garde. La faim seulement le décida à revenir vers moi. On acheva le pain, il ne nous restait plus que des dattes.
Vers le soir, nous entendîmes un léger sifflement: c’était Ali. Fidèle à sa promesse, il venait au rendez-vous, nous apportant dans une petite ghirba (peau tannée de jeunes gazelles que les Arabes utilisent fréquemment pour transporter du lait) un peu de lait et, dans sa ferda, du pain (galette de doura).
«J’ai fait croire à ma femme que j’avais à recevoir des marchands, nous dit-il après nous avoir salués; elle est si bavarde qu’il m’était impossible de lui dire la vérité.»
«C’est une particularité dont beaucoup de maris se plaignent aussi dans mon pays, observai-je en riant; (bien disposé, du reste, à la vue de l’excellent repas que nous allions faire).»
«J’ai pris des renseignements aux puits, continua Ali, soyez sans inquiétude. Mangez et buvez tranquillement; je crois à votre entière réussite.»
Nous fîmes honneur aux mets; puis, je le priai de se retirer afin que son absence n’inquiétât pas sa famille et n’éveillât pas de soupçons. J’ordonnai, à voix basse, à Hamed de lui remettre quelques écus comme gage de notre amitié.
«Ne reviens pas, lui dis-je, en prenant congé de lui; tes allées et venues paraîtraient suspectes à tes gens, ou pourraient laisser des traces qui trahiraient notre séjour.
Porte-toi bien; je te remercie de ton amitié et de ta fidélité.»
Hamed Houssein fit quelques pas avec son cousin.
«Ali voulait refuser ton argent, me dit-il à son retour; j’ai dû l’obliger à le prendre, ce n’est que dans la crainte de t’offenser, qu’il l’a accepté.»
Nous prîmes nos quartiers de nuit, et sans incident aucun, nous goûtâmes le repos jusqu’au matin. Je me retirai alors dans ma grotte, tandis qu’Hamed reprenait son poste de factionnaire.
Lentement les heures s’écoulèrent; que de pensées m’assiégèrent et combien ma patience fut-elle soumise à une dure épreuve! Et pourtant, il n’y avait rien à faire.
Notre provision d’eau diminuant, Hamed Houssein prit la ghirba pour se rendre à la source, voulant voir les deux chameaux.
«Mon absence durera quatre heures environ. Reste tranquillement dans ta grotte. Si, le cas échéant, quelqu’un venait,—que Dieu nous en garde!—ce serait en tout cas un indigène, un Kababish, car jamais un étranger n’est parvenu jusqu’ici; retiens-le et dis-lui que Hamed woled sheikh Houssein ne saurait tarder à paraître. Mais évite toute querelle et surtout garde-toi de répandre le sang.»
«Je suivrai ton conseil; j’espère toutefois que tu me retrouveras seul.»
Et, en effet, en moins de temps que je ne croyais, mon guide était de retour et sa ghirba était remplie d’eau.
«Les chameaux, me dit-il joyeusement, sont où je les ai cachés; ils se sont un peu remontés, autant que j’ai pu en juger.... donne-moi quelques dattes, je meurs de faim.... je vais regagner mon poste d’observation.»
Le reste du jour s’écoula plus lentement encore, mais sans incident. A la nuit tombante, nous regagnâmes notre couche et, après avoir babillé à voix basse, nous demandâmes à la Providence de ne point soumettre notre patience à une trop dure épreuve.
Jeudi, vers midi, soudain Hamed quitta précipitamment son poste et je le vis s’avancer à pas très rapides.
«Qu’est-ce? lui dis-je.»
«Je vois un homme qui se dirige, au pas de course, vers notre ancienne cachette. Ce doit être un messager. Reste ici jusqu’à mon retour.»
J’attendis..... les minutes me paraissaient des siècles; prudemment j’observai, fouillant du regard le terrain; à une grande distance, je vis deux hommes qui s’approchaient de la grotte; je reconnus Hamed et avec lui Zeki Bilal.
Je sortis, il m’aperçut et accourut à moi.
«Je te salue, maître; accepte un heureux message, me dit-il, en me serrant la main. Je viens d’arriver avec deux chameaux que j’ai cachés de l’autre côté; je vais les chercher.»
Et, sans ajouter autre chose, il redescendit en courant.
Une heure après, il amenait les deux bêtes.
«Comme tu as fait rapidement, lui criai-je tout joyeux, voyons, raconte.....»
«Je vous ai quittés, commença-t-il, samedi soir et ai voyagé jour et nuit; ma chamelle avançait à souhait de telle sorte que lundi matin j’étais auprès de nos amis; aussitôt ils firent chercher les chameaux que tu vois ici; mardi, on me les remit et, à l’instant même, je repartis. J’ai marché lentement afin de ne point les fatiguer. Aussi nous pouvons nous mettre en route sur le champ.
«Ah! j’oubliais de te dire que tes amis se sont rendus avec moi à la station convenue à la lisière du désert afin que tout soit prêt; je leur ai donné rendez-vous pour vendredi ou samedi, au plus tard, après le coucher du soleil.»
«As-tu apporté du pain? Nous n’avons que des dattes pour toute nourriture.»
«Grand Dieu! dans ma précipitation, j’ai oublié d’en prendre.»
«N’importe! repris-je, même sans dattes nous terminerons la route.»
«Zeki, dit alors Hamed, selle l’autre chameau; va avec notre ami et notre frère jusqu’à la source et abreuve les bêtes! Tu m’attendras ensuite jusqu’à ce que je vienne avec mon chameau qui doit s’être suffisamment reposé. Quant à toi, ajouta-t-il en se tournant vers moi, reste caché dans le voisinage; on ne peut pas savoir, il y a beaucoup de gens qui ont soif dans le monde.»
Nous suivîmes son conseil.
Deux heures avant le coucher du soleil, mes compagnons revinrent avec les trois chameaux et les outres remplies. Nous nous mîmes en route.
A la tombée de la nuit, après avoir suivi la direction de l’est-nord-est, nous entrions dans la plaine.
Sans nous arrêter, nous avançâmes toute la nuit; le matin, d’après le calcul d’Hamed, nous devions avoir fait la moitié du chemin.
«Cette journée sera la plus périlleuse de notre voyage, me dit-il; nous approchons du fleuve et aurons à traverser les pâturages des riverains; que Dieu nous permette d’atteindre notre relais sans être aperçus!»
Le paysage est uniforme; des steppes parsemés d’une herbe rare; çà et là, quelques touffes de mimosas; un sol sablonneux; par place des pierres.
Nous ne mîmes pas même pied à terre pour manger. Le soleil était au zénith. Au loin, nous aperçûmes un troupeau de moutons et leur berger; nous modifiâmes quelque peu notre direction, tandis que Zeki allait aux informations qui furent nulles. Nous pûmes constater, à maintes reprises, des traces de chameaux, d’ânes, de moutons..... mais, en somme, rien de suspect.
Le terrain était absolument plat.
Slatin Pacha s’enfuyant d’Omm Durman.
«Vois-tu, me demanda Hamed, cette bande large, grisâtre qui partage la contrée du nord au sud-ouest. C’est la grande route des caravanes conduisant de Berber à Wadi Gamer et à Dar Sheikhieh. Si nous la franchissons sans être vus, nous n’aurons plus rien à craindre, car entre cette voie et le fleuve le terrain est caillouteux, sans végétation, sans un sentier et, par conséquent inhabité. Mais, écoutez mes conseils! Laissez aller vos chameaux lentement, à une distance de 500 pas l’un de l’autre; arrivés à la route, nous la suivrons pendant quelques minutes du côté de Berber, puis nous la quitterons pour nous diriger vers l’est. Voyez-vous cette colline pierreuse à environ cinq ou six kilomètres? C’est là que nous nous réunirons. De cette manière seulement, nous pourrons détourner, le cas échéant, ceux qui voudraient nous poursuivre.»
Nous ne rencontrâmes personne, quoique la route soit très fréquentée et peu après, nous gravissions la colline.
«Avançons maintenant et ne ménagez pas les chameaux afin qu’ils nous rendent un dernier service, ajouta-t-il en riant, tout va bien jusqu’ici.»
Depuis mon départ d’Omm Derman je ne l’avais pas vu rire une seule fois; je savais que, de ce côté du fleuve, nous n’avions plus rien à craindre. Alors, en avant! Impitoyablement, nous excitions et frappions nos bêtes; on atteignit enfin la Kerraba, après avoir laissé à main droite quelques monts.
La Kerraba est un plateau sablonneux, couvert de pierres noires de la grosseur du poing ou de la tête, serrées étroitement les unes contre les autres et les unes sur les autres; parfois, l’on rencontre quelques gros blocs isolés. Les animaux épuisés, pouvaient à peine avancer sur ce cailloutis, un véritable casse-cou.
Vers le soir, nous aperçûmes dans le lointain, mais très loin encore, le Nil qui serpentait à travers le pays; l’obscurité nous prit au moment où nous descendions le plateau; nous ne tardâmes pas à arriver dans une vallée entourée de collines pierreuses.
On fit halte et les selles furent enlevées. Le fleuve n’était éloigné que d’environ deux heures.
«Notre mission touche à sa fin, dirent à la fois Hamed et Zeki, qui s’assirent et prirent quelques dattes. Demeure ici avec les chameaux; nous irons à l’endroit où doivent se trouver tes amis avec lesquels tu poursuivras ta route.»
Seul, plein d’espérance en l’avenir, mon esprit, mes pensées se reportaient vers les miens, je les voyais, je revoyais ma patrie.....
Il pouvait être minuit, personne encore. Que signifiait donc ce retard? si l’on n’arrivait pas, je ne pouvais traverser le fleuve cette nuit même.....
Deux heures avant la pointe du jour, j’entendis enfin des pas: c’était Hamed.
«Quelles nouvelles m’apportes-tu? lui demandai-je, tout anxieux.»
«Aucune,» me répondit-il; il s’assit, rendu de fatigue.
«Impossible de trouver tes amis à l’endroit convenu, reprit-il; je suis revenu, car tu ne peux rester ici, étant trop exposé au danger d’être vu, dans cette contrée habitée. Zeki est là-bas, qui cherche tes gens. Prends la ghirba sur ton dos, ainsi que les dattes, je ne saurais porter quoi que ce soit, tant je suis épuisé. Viens! Gravissons la Kerraba, tu t’y cacheras entre les pierres.»
Une heure après, nous atteignîmes le plateau.
«Demeure ici, me dit Hamed, forme un cercle avec les pierres; c’est ainsi que font les chameliers pour se protéger contre le froid, pendant la morte saison; puis, cache-toi à l’intérieur. Mais, tu sais cela; tu es un Arabe comme nous! Ce soir, je viendrai te chercher. Pour l’instant, je retourne auprès des chameaux; étant connu, je n’ai rien à craindre.
«Si l’on m’interroge, je dirai que je viens de Dar Sheikhieh et que je cherche des gens établis dans la contrée. Heureusement, j’ai ici aussi des parents.»
Il partit, me laissant seul, abandonné.
J’eus bien vite fait de construire un cercle en pierres de la hauteur d’un demi-mètre, dont le centre était assez spacieux pour m’y cacher avec la ghirba et mon fusil.
Dès que les premières lueurs du jour parurent, je rentrai dans ma cachette. Le sol était tendre, sablonneux.
Je garnis de sable mon rempart, de telle sorte qu’on ne pouvait m’apercevoir et, fatigué, je m’y étendis.
A quoi songer si ce n’est aux miens, aux années de captivité, à la colère du calife en apprenant ma fuite, aux incidents, aux difficultés qui pouvaient encore surgir et qui m’apparaissaient même comme infranchissables....
Et pourtant, je n’ai jamais désespéré; en pouvait-il être autrement? Dans quelque situation difficile que je me sois trouvé, je n’ai jamais perdu courage ni confiance en ma bonne étoile! Et la peur trouve aujourd’hui place en mon cœur! Peut-être, est-ce parce que je suis enseveli comme dans un tombeau? Mourir aujourd’hui ou demain, n’est-ce point là le sort de tous les hommes?
Mais mourir seul, délaissé, en pays étranger! O Dieu, toi qui trônes au-dessus des nuages, aie pitié de moi, aie pitié d’un pauvre malheureux, laisse-moi revoir ceux qui me sont chers, mes amis et ma patrie.....!
Le calme revint en moi! Eh quoi! c’était un léger retard, mais mon affaire marchait à souhait! Cette nuit, je traverserai le Nil, demain je franchirai le désert, deux ou trois jours me sépareront de tout danger et, léger comme l’oiseau, je me hâterai d’aller vers ceux que je désire tant revoir.
Je me pris à rire, rempli des plus douces espérances.
Les rayons du soleil, un soleil brûlant, tombaient perpendiculairement sur ma tête; je tâchais de me protéger de mon mieux en utilisant ma ferda, lorsque j’entendis un léger sifflement. C’était Hamed qui, l’air joyeux, arrivait à moi.
«Nous avons rencontré tes amis, me dit-il.»
Quelle joie en entendant ces paroles!
«Tu n’as rien à craindre ici, continua Hamed. Zeki trouva tes gens avant l’aube et ils convinrent aussitôt de ce qu’il y avait à faire.
«Ils sont prêts; ce soir, ils viendront te chercher. Mais, soyez prudents: ta fuite est connue dans le pays. Viens avec moi maintenant..... non, reste plutôt ici, c’est mieux; tu attendras l’obscurité. Je te quitte; viendras-tu seul ou dois-je revenir te chercher?»
«Il est inutile que tu te fatigues davantage; je connais l’endroit et vous y trouverai ce soir.»
Le soleil allait disparaître quand, la ghirba et le fusil sur l’épaule, je quittai ma cachette dans laquelle j’avais passé quelques heures tourmentées que je n’oublierai pas et avec la perspective d’avoir à surmonter encore quelques difficultés.
Arrivé auprès de mes amis, je trouvai deux hommes que je ne connaissais pas. Ils me saluèrent: «Nous sommes, dirent-ils, envoyés par ton ami Ahmed ibn Abdallah, de la tribu des Djihemab; nous te conduirons vers le fleuve; Ahmed lui-même le traversera avec toi.
Sur la rive opposée, des chameaux sont prêts; ils te mèneront à travers le désert. Prends congé de tes guides, leur mission est remplie!»
Je serrai bien cordialement la main de mes deux vieux amis et les remerciai en termes émus de leur sacrifice.
«Portez-vous bien, au revoir dans des temps meilleurs et surtout plus calmes!»
Nous sellâmes deux chameaux, le troisième fut laissé à mes anciens guides. Un des nouveaux guides prit place à califourchon derrière moi et nous partîmes.
«Comment t’appelles-tu?» lui demandai-je.
«On me nomme Mohammed, maître, et mon camarade Ishaak.»
«Est-ce vous qui m’accompagnerez dans le désert?»
«Non; d’autres auront cette tâche. Mais laisse aller ton chameau à pas lents et quoiqu’il fasse sombre, enveloppe ton visage, c’est plus prudent. Il y a trois jours que de Berber, l’ordre est venu de surveiller étroitement toutes les routes; tu n’as cependant rien à craindre dans notre pays.»
Après deux heures de marche dans la direction de l’est-nord-est, nous fûmes à proximité du Nil. Nous entendions grincer la roue qui sert aux irrigations, les cris et les éclats de rire des esclaves travaillant avec leurs femmes.
Aussitôt arrivés, Mohammed sauta à terre.
«Faites agenouiller les chameaux lentement, tranquillement afin que leur cri n’attire pas l’attention.»
Sans bruit, les animaux obéirent.
«Demeure ici, jusqu’à ce que nous revenions avec Ahmed ibn Abdallah!»
Déjà, mes nouveaux guides avaient disparu dans l’obscurité profonde.
Une heure s’était à peine écoulée quand je vis venir quatre hommes. Le plus grand d’entre eux s’approcha de moi et m’embrassa, me pressant sur sa poitrine: «Dieu soit loué! dit-il, je te souhaite la bienvenue dans le pays de mes pères; je suis ton frère Ahmed ibn Abdallah de la tribu des Djihemab! Crois-moi, tu es sauvé!
«Mohammed, Ishaak, ordonna-t-il, ôtez les selles sans bruit!
«Vous avancerez avec vos chameaux le long du fleuve; à une distance assez grande, vous gonflerez les outres (elles servent en cas de besoin de flotteurs), vous les attacherez au cou des chameaux et traverserez le fleuve en différents endroits. Demain, attendez mes ordres près des pierres qu’on nomme “les rochers du taureau combattant!”
«Quant à toi, ajouta-t-il, suis-moi!»
L’individu resté en arrière et lui-même se chargèrent des selles; quelques minutes après, nous atteignîmes la rive du Nil Saint; dans une caverne, nous trouvâmes un canot, à peine assez grand pour nous contenir. Il nous fallut plus d’une heure pour traverser le fleuve. Nous sautâmes sur le rivage; l’homme qui nous accompagnait dirigea le petit bateau vers un des rapides du Nil, puis le fit couler à pic. Il regagna à la nage la rive. Le canot avait déjà disparu et avec lui les derniers vestiges de notre traversée.
Après une demi-heure de marche, Ahmed Abdallah me pria de l’attendre quelques instants; à son retour il m’apporta du lait et du pain.
«Mange et bois, me dit-il; sois certain de la réussite de ton entreprise; oui, j’ose le jurer par Dieu et par son Prophète, tu es sauvé. Mon plan comportait que tu partisses encore cette nuit même, mais il est trop tard; il est préférable que tu attendes jusqu’à demain soir. C’est demain aussi que tes chameaux doivent être abreuvés. Nous sommes cependant ici trop à proximité d’habitations, c’est pourquoi le fils de mon frère, Ibrahim Ali, te conduira à un endroit un peu éloigné d’ici et assez difficile à atteindre. Là, tu m’attendras! Je vais te procurer un coursier, à moins que tu ne te sentes assez fort pour aller à pied?»
«Je supporterai la marche, répliquai-je; où est Ali?»
«Ici! il te servira du reste de guide dans le désert.»
La nuit était des plus sombres. Ibrahim Ali, une ghirba vide à la main, prit d’abord la route suivie par les caravanes qui se rendent à Abou Hammed en longeant le fleuve; puis, après avoir fait environ six kilomètres, il alla remplir à moitié son outre et nous nous dirigeâmes dans l’intérieur du pays. La marche était rendue difficile et lente par les grosses pierres dont la colline était couverte; j’étais exténué, chancelant comme un homme ivre. Enfin, nous fîmes halte auprès d’un ravin.
«Nous sommes à la place désignée par mon oncle, me dit Ibrahim qui, jusqu’ici, n’avait soufflé mot. Sois tranquille et sans crainte! Ce soir, j’amènerai les chameaux et nous partirons. Voici du pain et de l’eau. Je vais achever mes préparatifs; porte-toi bien.»
J’étais ainsi de nouveau seul; de nouveau exposé pendant le jour au soleil brûlant. Il est vrai que je me sentais plus léger, plus disposé à tout supporter, j’allais atteindre enfin mon but!
Les étoiles brillaient déjà au firmament quand j’entendis très distinctement le bruit des sabots d’animaux qui marchaient rapidement sur le sol pierreux.
Je me levai et distinguai Ahmed Abdallah; il était accompagné de deux hommes montés sur des ânes. Il vint à moi et me pressa sur sa poitrine.
«Dieu soit loué pour ta délivrance!» me dit-il.
Il me présenta les deux personnages venus avec lui.
«Ce sont mes frères; ils t’apportent tous leurs vœux.»
Je leur tendis la main; puis, me tournant vers Ahmed:
«Je ne te comprends guère! Tu manifestes ta joie.....»
«Certainement, interrompit-il, car, sans que tu le saches, tu viens d’échapper à un grand danger. Écoute: Il y a trois jours, l’émir de Berber, Zeki ibn Othman, reçut la nouvelle que les soldats égyptiens se trouvant à Mourad, ayant reçu des renforts considérables, avaient l’intention d’attaquer Abou Hammed, station mahdiste. Zeki ibn Othman envoya des secours à Abou Hammed et, cet après-midi même, 60 chevaux et 300 hommes à pied sont passés devant nos demeures. Tu connais cette horde sauvage qui se nomme les Ansars. Nous venions de tuer un mouton et préparions tes provisions de voyage lorsque, soudain nous fûmes surpris par eux. Ce qui était destiné pour toi fut avalé en un instant; après quoi, ils se dispersèrent à la recherche du butin. Pense, combien notre inquiétude était grande à ton égard; car, enfin, l’un de ces bandits pouvait parvenir jusqu’à l’endroit où tu étais caché. Ils se sont retirés; que la malédiction de Dieu les accompagne! Remercie le Seigneur qui te protège!»
Ma reconnaissance fut grande, en effet, envers Celui qui m’avait sauvé de tant de dangers.
Ainsi que je l’appris plus tard, le commandant en chef de l’armée égyptienne, le général Kitchener Pacha, était arrivé à Wadi Halfa pour diriger les manœuvres annuelles. Le lieutenant-colonel Machell bey, s’étant, à cet effet, rendu de cette ville à Korosko, en passant par Mourad, avec le douzième bataillon soudanais et 200 chameliers, le bruit se répandit qu’on fortifiait Mourad et qu’Abou Hammed allait être attaquée.
«Les chameaux n’arriveront que plus tard, continua Ahmed, je les ai expédiés dans l’intérieur du pays, en apprenant l’arrivée des derviches, de crainte qu’ils ne fussent utilisés par ceux-ci pour le transport des munitions.
«Si tu veux attendre à demain, nous irons te chercher de nouvelles provisions.»
«Non, mon désir est de partir en tout cas aujourd’hui; le manque de provisions ne saurait m’en empêcher; pourvu que les chameaux ne tardent pas trop.»
Ils n’arrivèrent qu’après minuit.
Ahmed Abdallah me présenta mes deux guides:
«Ibrahim Ali, mon neveu que tu connais déjà et Yacoub Hasan, également un de mes proches parents. Ils te conduiront auprès du sheikh Hamed Fadaï, le chef suprême des Arabes Amrab, soumis au Gouvernement égyptien. Par son entremise, tu arriveras en sécurité à Assouan.»
Les outres étant remplies, nous prîmes congé d’Ahmed.
«Je te prie, excuse le manque de provisions; mais ce n’est point ma faute, reprit Ahmed. Vous avez de la farine et des dattes, assurément ce n’est pas une nourriture bien fortifiante, mais elle suffira quand même pour apaiser la faim.»
Pendant trois heures et demie nous suivîmes la direction de l’est-nord-est et, à l’aube, nous atteignîmes la lisière orientale de Wadi el Homar (la vallée de l’âne). Elle a reçu ce nom à cause des ânes sauvages qu’on y rencontre fréquemment; la végétation y est très rare. Plus loin, la contrée prend le vrai caractère du désert: du sable, à de grandes distances quelques élévations sans le plus petit arbrisseau, sans le moindre brin d’herbe.
Deux jours s’écoulèrent ainsi, presque sans repos; nous arrivâmes le mercredi matin au pied des monts de Nurauei, autrefois habités par les Arabes Bicharia. La vallée s’étend entre de hautes montagnes tombant à pic dans la direction du nord-est et est bordée de mimosas verts. Sur un des côtés latéraux de celle-ci se trouve le puits qui porte le même nom que les montagnes.
Ibrahim Ali mit pied à terre; s’étant porté vers un point élevé, il nous fit part que le puits était entièrement libre; nous nous y rendîmes et, à la hâte, les bêtes furent abreuvées et nos outres remplies.
Le puits a un périmètre d’environ 25 mètres sur six de profondeur; vers le milieu, il est taillé en forme d’entonnoir. Sur cette surface inclinée, des pierres faisant saillie servent de marches; on les utilise pour parvenir jusqu’à l’eau qui se trouve dans le cercle intérieur.
Les puits sont toujours un lieu de rendez-vous et sont fréquemment occupés; aussi nous n’y séjournâmes point. Après avoir franchi les monts de Nurauei, nous entrâmes dans la plaine; après cette dernière course de trois heures, un repos était bien mérité.
Quelle différence entre mes guides! Les premiers étaient courageux, décidés, prêts à sacrifier leur vie pour moi ou avec moi; ceux qui me servaient actuellement étaient tout le contraire, accomplissant de mauvaise humeur la tâche que leur avait imposée Ahmed Abdallah, se plaignant sans cesse de l’entreprise périlleuse, dont le bénéfice sans doute allait à d’autres, voulant dormir et manger. Grâce à leur négligence, ils avaient perdu en route mes sandales et mon briquet. Dans la suite, ce fut surtout mes sandales dont je regrettais amèrement la perte.
Le lendemain jeudi, nous atteignîmes, vers onze heures, le puits de Douem; bien que les tribus qui s’y arrêtent soient hostiles aux Mahdistes, je jugeai prudent de me tenir caché.
Ibrahim Ali et Yacoub Hasan avaient reçu l’ordre de me conduire chez le sheikh Hamed Fadaï; ce n’était pourtant point leur intention.
En effet, l’après-midi, ils vinrent me représenter quels dangers planaient sur eux s’ils restaient éloignés des leurs durant plusieurs jours. De la part du calife et de ses sujets, sérieuse enquête serait faite pour savoir qui m’avait aidé à fuir; en outre leur tribu étant connue pour ses sentiments amicaux envers le Gouvernement égyptien, non seulement eux seuls avaient à craindre, mais aussi mon ami Abdallah. Bref, ils me prièrent d’accepter leur proposition, en me laissant présenter à une de leurs connaissances qui demeurait à proximité et qui me conduirait plus loin.
Je compris qu’ils me nuiraient plus qu’ils ne me rendraient service et leur ordonnai de terminer l’affaire au plus tôt. Avant le coucher du soleil, ils me présentèrent mon nouveau guide, Hamed Garhosh, un Arabe Amrab qui paraissait avoir plus de cinquante ans.
Celui me salua et, sans autre préambule me dit: «Chacun cherche son avantage. Tes guides que je connais fort bien désirent que je te conduise à Assouan; j’y suis disposé; mais, quel sera mon bénéfice?»
«Le jour de mon arrivée, lui répondis-je, tu recevras 120 écus Marie-Thérèse et en outre un cadeau dont l’importance variera selon la façon dont tu auras rempli ta mission.»
«Accepté, reprit-il en me tendant la main. Dieu et son Prophète peuvent témoigner que j’ai confiance en toi. Je connais votre race, un blanc ne ment jamais! A travers des montagnes qui n’ont jamais été foulées par le pas de l’homme, n’ayant que les oiseaux comme témoins de notre course, je te conduirai vers les tiens. Sois prêt; à la tombée de la nuit, nous partirons.»
Je gardai le plus vigoureux des trois chameaux et pris deux outres pleines d’eau ainsi que la plus grande partie des dattes et quelques galettes de doura.
A peine le soleil fut-il couché que Hamed Garhosh parut. Son fils s’étant rendu dans le district de Roubatat, avec le seul chameau qu’il possédait, pour chercher du blé, Garhosh était ainsi obligé d’aller à pied. Le chemin étant surtout montueux et le chameau ne pouvant trotter, je m’inquiétai assez peu de ce fait, pourvu que mon guide eût bonne volonté et bon jarret. En peu de mots, je pris congé d’Ibrahim et de Yacoub; enchantés mutuellement de nous séparer les uns des autres.
Il fallut deux jours de marche à travers des monts dénudés et des collines pierreuses séparées par quelques petits espaces sablonneux pour atteindre, le dimanche matin, un vieux puits, nommé Shof Aïn. Quoique persuadé qu’il n’était pas fréquenté, je préférai attendre mon guide à environ une lieue de là.
Notre nourriture se composait de dattes et de pain, si j’ose l’appeler ainsi, que nous avions cuit nous-mêmes; car, quoique Garhosh se vantât d’être passé maître dans son art, nos boulangers auraient hésité à reconnaître pour du pain cette pâte brune, dure et sans goût.
Pour le préparer, mon guide entassa quelques pierres de la grosseur d’un œuf de pigeon et plaça sur ce foyer primitif du bois sec. Ensuite, il pétrit de la farine de doura avec de l’eau dans un plat des plus primitifs également. Au moyen d’une pierre à feu et avec de l’amadou, il alluma son tas de bois. Celui-ci, une fois consumé fut retiré et sur les pierres devenues brûlantes, Hamed répandit sa bouillie qu’il couvrit avec la braise. Quelques minutes après, il me présentait ce qu’il venait de fabriquer, un produit dur comme une planche qu’il débarrassa de la cendre et des pierres au moyen d’un petit bâton.... N’importe, nous le mangeâmes de bon appétit, presque avec plaisir, ce qui confirme une fois de plus que la faim est le meilleur cuisinier.
Nous jugeâmes notre repos suffisant et, quelques heures après avoir quitté le puits, nous abordâmes la première montagne de l’Etbai.
Cette chaîne de montagnes située entre la Mer Rouge et le Nil est habitée dans sa partie méridionale par les Arabes Bicharia et les Arabes Amrab; au nord, par la tribu des Ababda. Entre ces monts élevés, noirs, parfois coupés à pic, sans végétation, courent de larges vallées où croissent en abondance des arbres et dans lesquelles ces tribus font paître leurs troupeaux de chameaux.
Les chemins sont presque impraticables; néanmoins, sans repos, nous avançâmes, tant j’avais hâte de terminer au plus tôt ce voyage et de revoir ma famille.
Nous n’avions plus rien à craindre, nous trouvant sur le territoire égyptien et hors de la puissance des Mahdistes; mon guide pourtant désirait que nous passions inaperçus. Il craignait d’être reconnu par des gens en rapports commerciaux avec le Soudan. Il demeurait, en effet, à la frontière des Mahdistes; et ses affaires l’appelant fréquemment à Berber, ses fonctions présentes de guide pouvaient avoir des suites fâcheuses pour lui.
On pouvait lui appliquer ces mots: «l’esprit est prompt, mais la chair est faible.»
A son âge, il souffrait de la nourriture, de notre marche forcée et du froid parfois très sensible; je lui donnai ma gioubbe, ne gardant, sur mon corps nu, que la ferda et l’hisam.
Pour l’aider encore, je lui cédai pendant les quatre derniers jours mon chameau et, comme mes guides avaient perdu mes sandales, je le suivis, pieds nus sur le sol pierreux. Physiquement, je l’avoue, ce fut le moment le plus dur de ma fuite.
Oui, même notre unique chameau voulut nous laisser en panne. S’étant blessé au pied de devant et s’étant, en outre, heurté violemment à une pierre pointue, le pauvre animal pouvait à peine marcher. Je me vis forcé de sacrifier ma ceinture de laine; j’en fis une sorte de chausson que je mis au chameau; chaque jour il fallait renouveler le bandage. Ce procédé est utilisé par les tribus du nord du Darfour qui emploient non de la laine mais du cuir; j’étais heureux, en cet instant, de connaître ce fait.
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Enfin! le samedi 16 mars, comme nous descendions des hauteurs, j’aperçus, au lever du soleil, le Nil et, là-bas, sur ses bords..... Assouan!
Comment décrire les sentiments de joie qui s’emparèrent alors de moi!
Mes souffrances avaient pris fin! J’étais sauvé de ces mains fanatiques, barbares; mes yeux voyaient pour la première fois, et depuis de si longues années, une ville habitée par des hommes civilisés, dans un royaume administré par son possesseur légalement et justement!
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Les officiers anglais et égyptiens au service de S. A. le Khédive apprirent au dernier moment mon arrivée inattendue; ils me reçurent avec joie dans le bâtiment du commandant où l’on s’ingénia à me faire oublier toutes mes peines.
Le major général Hunter Pacha, commandant le corps de la frontière, justement arrivé de Wadi Halfa, ses officiers supérieurs: Jackson bey, Sidney bey, Machell bey, le major Watson et d’autres dont j’oublie momentanément les noms me fournirent de la façon la plus gracieuse, des habillements, du linge, etc..... Avant même de m’habiller, je dus consentir à me laisser esquisser par mon ami Watson, ce à quoi, du reste, je consentis avec plaisir. Je priai Boutros bey Cerhis, aujourd’hui vice-consul anglais à Assouan, de remettre à mon guide, Hamed Garhosh, les 120 écus Marie-Thérèse; je lui donnai quelque argent, des habits et des armes et le major général Hunter Pacha, en signe de joie, lui fit présent de dix livres. Devenu ainsi si rapidement un homme aisé, il prit congé de moi tout ému.
Des télégrammes de félicitations ne tardèrent pas à me parvenir; le premier fut celui du colonel Lewis, tant en son nom personnel qu’au nom de la garnison de Wadi Halfa; puis, celui du très honoré chef de notre agence diplomatique, le baron Heidler von Egeregg dont le dévouement fut sans borne à mon égard; puis, du major Wingate bey, cet ami si désintéressé. Le baron Victor Herring et son fils, en voyage ici, furent les premiers compatriotes qui me saluèrent.
Par un hasard des plus heureux, le paquebot des messageries levait l’ancre l’après-midi même. Je l’utilisai naturellement. Quand je montais à bord, l’hymne national autrichien retentit, faisant couler mes larmes, tandis que tous les officiers qui m’accompagnaient ainsi que de nombreux touristes de toutes les nations poussaient des cris de joie.
J’étais ému, saisi, honteux! Quoique m’étant efforcé de conserver dans tous les cas mon honneur, ce que chaque officier aurait fait du reste, je n’avais rien accompli qui pût mériter tant d’honneurs, ma captivité ayant été plus riche en souffrances qu’en services.
Machell bey, le commandant du 12ème bataillon soudanais, dont les manœuvres de Wadi Halfa à Mourad avaient été cause que les Mahdistes avaient dévoré mes provisions et que j’eus tant à souffrir de la faim dans le désert m’accompagna. Je pris ma revanche! Il dut satisfaire à tous mes désirs touchant le boire et le manger, peine dont il s’acquitta du reste avec une amitié remarquable et une ponctualité militaire.
Nous arrivâmes à Louxor le dimanche soir; je fus de nouveau reçu admirablement par tous les voyageurs européens. C’est là que je reçus, par l’entremise du baron Heidler, le premier salut télégraphique de mes chers frères et sœurs, de Vienne.
Famille—Patrie! Comme ces mots sonnaient harmonieusement à mes oreilles!
A cinq heures, le lundi après-midi, nous atteignîmes Ghirgheh, la station terminus du sud des chemins de fer égyptiens; l’express nous transporta au Caire où nous arrivâmes le mardi 19 mars, à 6 heures 10 minutes du matin.
Malgré cette heure matinale, le baron Heidler von Egeregg et ses fonctionnaires, le consul, docteur Carl Ritter von Goracuchi avec son personnel avaient tenu à venir me saluer sur le quai de la gare. Plus loin se trouvait aussi mon cher ami Wingate bey, que je ne saurais assez remercier, ni en paroles, ni en actions, de tout ce qu’il fit pour moi; puis, le Père Rossignoli, le correspondant du “Times” et d’autres. Un photographe, à l’affût, prit aussitôt un instantané!
On me conduisit au palais de l’agence diplomatique austro-hongroise; les appartements qui m’y étaient réservés étaient décorés aux emblèmes et aux couleurs de ma chère patrie, ornés des plus belles fleurs. A l’entrée étaient écrits ces mots: Bienvenue sur le sol natal.
Pendant des mois, je goûtai là l’hospitalité la plus large, la plus cordiale du baron Heidler qui avait tant fait pour ma délivrance. Ses soins infatigables à mon égard qui dépassaient de beaucoup les limites de sa mission me tinrent lieu de patrie et de famille.
Le jour de mon arrivée, je reçus encore de nombreux télégrammes m’apportant les salutations et les félicitations de ma famille, de mes amis, de mes camarades d’études, de mes compagnons d’armes et autres.
Au Caire même, je trouvai S. A. R. le Duc de Wurtemberg et le général de cavalerie, le prince Louis Esterhazy qui, autrefois, commandait la campagne de Bosnie à laquelle j’avais pris part comme jeune lieutenant de réserve; après s’être intéressés à mon sort, ils eurent la bonté de m’exprimer de la façon la plus cordiale la joie qu’ils éprouvaient de me voir libre.
S. A. le Khédive me reçut avec une grâce touchante; me promut au grade de colonel et me décerna le titre de Pacha.
Quelques jours après mon arrivée, j’étais sur le balcon du palais du consulat et admirais les fleurs aux corolles veloutées et leurs feuilles chatoyant au soleil comme de riches étoffes, premier sourire de la végétation à la nature qui renaissait..... soudain, ces mots revinrent à ma mémoire: Falz-Fein, Ascania-Nova, gouvernement de Tauride, Russie méridionale. Je ne fis qu’un saut dans ma chambre et avisai l’ancien possesseur de la grue comment elle avait été vue et tuée à la fin de 1892. Que de réminiscences, que de vieux souvenirs en traçant ces lignes et combien j’étais heureux de pouvoir satisfaire le vœu de M. Falz-Fein. Les remerciements qui ne tardèrent pas à me parvenir me prouvèrent, du reste, que mon intérêt pour ce petit épisode était justifié.
Le Père Joseph Ohrwalder, missionnaire à Souakim lors de mon arrivée, vint au Caire pour me saluer. Il me fournit ainsi l’occasion de le remercier, lui, mon compagnon de souffrances pendant tant d’années, au moins par des paroles, pour son désintéressement, pour l’activité qu’il déploya touchant ma fuite.
Je fus, à la vérité, tellement assailli de toutes parts par des personnes qui s’intéressaient à moi ou qui m’interrogeaient par pure forme ou par curiosité, on me rendit tant d’honneurs dans les cercles et dans les sociétés que, franchement, je trouvai à peine le temps de respirer. Le contraste entre ma vie passée et ma vie actuelle était si grand que parfois il me semblait avoir fait un long rêve.
Enfin, je retrouvai le repos et surtout l’indépendance que j’avais presque totalement perdue, me préparant ainsi à un travail sérieux.
Je ne puis toutefois songer à mes années de captivité sans remercier du plus profond de mon cœur le Tout-Puissant de sa protection constante, de sa grâce immense et le bénir de m’avoir permis de revoir libre les miens et ma patrie.