Mon cher ami, j'ose vous offrir ce livre qui ne
paraîtra que futile à beaucoup, mais où votre sûr
instinct de poète discernera sous le papillonage de mes
poupées, quelques-uns de ces grondements du cœur
humain dont le bruit prolongé nous a arrêtés quelquefois,
vous en souvenez-vous?—tous deux soudain
muets, et la gorge un peu gênée,—lorsque vous veniez
de me lire une admirable page du Semeur de
Cendres, ou simplement lorsque nous avions parlé,
encore une fois, de l'éternel et cher sujet, celui où
l'idée divine se mêle à l'amour, à la terre, à l'air du
soir.
R. B.
LA LEÇON D'AMOUR DANS UN PARC
I
CE CHAPITRE EST ÉCRIT EN GUISE DE PRÉFACE POUR
AVERTIR LE LECTEUR QUE L'ON COMMENCE UN CONTE
LIBRE.
Je sais que votre désir secret, en ouvrant
un livre, est de trouver un ami qui vous parle
et qui vous donne l'illusion de ne parler qu'à
vous. Et moi, quand j'écris, je voudrais composer
mes récits comme une lettre, où l'on rapporte
ce que l'on veut, au gré de son humeur,
en ayant présente à l'esprit l'image de celui qui
demain brisera l'enveloppe à son réveil. Aussi
je vais m'offrir le plaisir, entre de graves
romans qui sont difficiles, de raconter—une
fois—ce qu'il me plaira, comme on improvise
de jolis contes aux enfants.
Quel bonheur! D'abord, je choisirai mon
sujet. Vous croyez qu'il en est toujours ainsi?
Détrompez-vous. On choisit le sujet d'un
conte parce que c'est la fantaisie, aux trésors
infinis, qui nous l'offre; mais la vérité, principal
aliment du roman moderne, est une matière
austère et rebutante qui nous impose sa tyrannie;
il faut en avoir énormément absorbé,
l'avoir goûtée, assimilée, l'avoir faite plus chair
que notre chair pour oser en toucher mot, sous
peine de ne vous servir que de misérables notes
de carnet acidulées ou rances, aussi éloignées de
former œuvre vive que le sont les petits bocaux
renfermant les diverses céréales de France, de
vous évoquer l'idée du manteau de prairies et
de moissons qui couvre notre beau pays.—Par
exemple, je vous avertis, puisque j'adopte
le sujet de mon goût, que je me risque à vous
raconter une aventure délicate. Oh! comme il
est périlleux de raconter une aventure délicate,
à une époque où la licence dans les ouvrages
romanesques est sans bornes. Les abus
des cyniques, dans la liberté d'écrire, tueront,—si
ce n'est déjà fait—ce qu'il y avait de charmant
à écrire librement, en notre langue,
pourvu que l'on fût honnête homme. Plus
sûrement qu'un régime oppressif, les excès
nous raviront la liberté même; pis peut-être
que la liberté même: le goût de parler
d'amour.
En second lieu, je choisis mes personnages!
Vous me voyez joyeux comme un
écolier qu'on a laissé faire main basse dans
un bazar. Ah! mon lecteur, foin des créatures
viles, des êtres écœurants, des louches tripoteurs,
des veules voyous dont vivote la librairie
moderne! Il s'agit d'oublier ces misères.
Point davantage de personnages impeccables:
race odieuse comme l'absolu, comme l'idée
pure, comme toutes les conceptions des pédants,
qui ne participent pas de la gracieuse
imperfection des choses créées. Pour moi, je
me plais dans la compagnie de gens qui sont
capables de commettre d'insignes faiblesses,
et qui les commettent, mais avec bonne grâce,
d'une allure aisée et naturelle, telle, en un
mot, que l'on sent que le bon Dieu les a mis
au monde pour cela, et qu'il les regarde faire,
du coin de l'œil, sans trop froncer le sourcil.
Maintenant je vous prie de croire que je ne
vais pas placer mon monde dans des endroits
où l'odorat et la vue courent risque d'être
offensés, ni dans ces maisons pauvres et grises
où nous puisons nos documents quand il s'agit
de fixer l'histoire des mœurs, ni dans ces
hôtels somptueux de Paris qu'il est indispensable
de faire habiter par des gens tarés, pour
peu que l'on tienne à prouver, dès la première
page, que l'on est un écrivain sérieux.
Enfin, je dirigerai les péripéties à ma guise,
ce qui ne bouleversera probablement pas beaucoup
l'ordre logique des actions humaines,
car tout ce qui contrarie le rythme immuable
de cette marche me choque; mais je ne ferai
pas exprès de m'y conformer, et je me réjouis
de m'imaginer que je suis le maître des événements.