La roue
I
La clameur de la rue entrait par les fenêtres. Onde après onde, comme des spasmes de torture ou de volupté. Des flots humains grondaient dehors, la fièvre y roulait en tumulte, les transparents et les enseignes lumineuses flamboyaient. Le même soir offrait aux passions engourdies la certitude d’une guerre et le meurtre d’un héros.
La famille Chambrun se mettait à table. Le père et la mère se faisaient face. Comme depuis vingt-cinq ans. La pendule était maintenant de marbre rouge et de bronze massif, mais elle avait le même son aux mêmes heures. L’argent pesait plus lourd que le ruolz d’antan sur la table, mais la même viande y fumait. Que le geste de l’homme fût devenu plus péremptoire et son visage plus cordial, que les paupières de la femme jouassent sur ses yeux comme des rideaux plus épais, ils ne lisaient pas l’un dans l’autre plus couramment. Rien n’éclaire, que la passion de manifester sa nature. Rien, même le miracle d’avoir fait un être vivant. En face d’une place vide, il y avait une jeune fille. Ses cheveux fauves étaient tordus avec des rubans bleus. Animée de longs yeux vivants, de dents, de lèvres ardentes, une admirable grâce souple courait du corps entier en lignes ondoyantes vers l’éclatante joie du teint.
Précisément, Élisabeth parlait. Elle vivait tout haut, dressant son buste à chaque affirmation nouvelle, brûlant d’un enthousiasme que son père ne semblait pas partager. Commissionnaire en marchandises, il craignait l’arrêt des affaires. Patriote avant tout, il savait bien qu’on dicterait la paix à Berlin dans les trois mois, mais que d’argent à dépenser ! Et les impôts ! Et la Révolution ! Et la concurrence étrangère ! Mme Chambrun parlait peu. Elle ne parlait jamais beaucoup. Trois cuirasses couvraient son cœur : le satin des robes montantes, la graisse de la cinquantaine, les principes définitifs. Avait-elle aimé ? C’est possible. Avait-elle souffert ? C’est possible. On n’en avait jamais rien su, Chambrun pas plus que les autres. Le confesseur était discret.
Élisabeth parlait. Les gros bouquets épars insinuaient l’odeur des roses dans l’odeur de ses cheveux. Sur le frémissement des vitres qu’ébranlait le bruit de la rue, sa voix émouvante éveillait des vibrations plus hautes. Les verres de la table et du lustre striaient de flammes son regard. Comment savoir où commence notre empire sur les choses, l’empire des choses sur nous ? Aux autres la table pesante, le service cossu, les chaises de chêne sculpté, l’épais tapis de couleur sombre, les rideaux de velours grenat dont pas un seul pli ne bouge, les toiles primées sur le mur. A elle le souffle des fleurs, les lumières dansantes, les tintements clairs du cristal, tout ce qui rôde de vivant dans les ombres et les murmures. Elle disait sa foi dans le destin de la France. Ne suffisait-il pas qu’une jeune fille qui était belle et dont la voix avait le son, la fraîcheur, la limpidité de l’eau pure eût cette foi, pour que la France eût ce destin ?
— J’y perdrai de l’argent.
— Qu’importe, papa, nous vaincrons.
— Sans doute, sans doute, et vite. Mais d’ici là, il faut maintenir le crédit… C’est un peu compliqué pour ta petite tête… Plus tard, tu comprendras…
— Qu’importe, papa, le droit est avec nous, le reste suivra.
— Mais ta dot ?
— Je m’en moque.
— On dit ça…
— Et ton frère, Élisabeth, songe qu’il est soldat, qu’il partira des premiers !… Et Mme Chambrun, partagée entre l’orgueil et la crainte, les interrogeait du regard.
Élisabeth, brusquement muette, fixait un point sur la nappe. M. Chambrun, toujours cordial, proclamait sa certitude de voir son fils rentrer avant la fin de l’hiver « avec l’épaulette et la croix »… Élisabeth secouait ses cheveux : « Papa a raison. Et puis j’ai mon brevet d’infirmière. Si Georges est blessé, je m’installe à son chevet. D’ailleurs, papa a raison. Il reviendra glorieux, et indemne. » « Dieu veuille nous accorder cela, concluait Mme Chambrun. Je prierai tant. Et lui-même est si pieux. Si Dieu le rappelle à lui, Georges est de ceux qui n’ont rien à craindre de la mort. » Élisabeth, une vague de sang tout à coup montée au visage, mordait sa lèvre supérieure, baissait le nez, avec une colère sourde, un peu d’envie, quelque humiliation. M. Chambrun, de plus en plus cordial, riait : « Ne nous attendrissons pas, voulez-vous ? Buvons à la France. »
Un jeune soldat entrait justement dans la pièce, et, au moment où M. Chambrun levait son verre, s’approchait à pas de loup d’Élisabeth et lui mettait les deux mains sur les yeux. Elle allait pleurer, elle rit, tourna vivement la tête, tendit le front, tendit les bras. Il était assez grand, mais un peu fluet et pâle, imberbe, blond, de teint mat uniformément, le visage pur, les yeux fiers, un air de jeunesse extrême. Pourtant, à cet instant, fébrile, racontant sa journée en s’asseyant à table, le régiment assemblé dans la cour de la caserne, la présentation du drapeau, l’allocution du colonel, la Marseillaise, l’enthousiasme général, les cris de la foule massée derrière les grilles, l’ovation, les fleurs jetées, le délire muet des soldats. « C’était beau, c’était beau. Ils ne peuvent éprouver ce que nous éprouvons. Ils ne tiendront pas devant nous. Nous marcherons comme un seul homme. Dieu est avec nous. Vous verrez… » Il pleurait presque. Élisabeth, très pâle, ne retenait plus ses larmes. Mme Chambrun le regardait avec orgueil, le seul orgueil qu’elle voulût se permettre, ne pouvant faire autrement. M. Chambrun avait la gorge aussi serrée qu’au théâtre et tambourinait la Sambre et Meuse sur la table pour cacher son émotion. La clameur de la rue entrait par les fenêtres.
Onde après onde, comme des spasmes de torture ou de volupté. Un peuple titubant comme une bacchante enivrée, comme elle secouant autour de ses tempes les pampres et les cheveux roux. Nul n’entendait, au fond de l’ombre, le rire sinistre du Dieu. Il n’est de grand poète que celui qui ne cesse pas un moment, même dans l’amour, de fixer la mort. Pour qu’un peuple tout entier se hausse au suprême lyrisme, il faut qu’il soit face à la mort. Si Dieu rit, à ces heures-là, c’est qu’il ne se sent pas vivre en dehors de ces heures-là.
Le dessert. Un autre homme entra, jeune aussi. Il avait de longs cheveux bruns, une face osseuse et inquiète, des yeux gris enfoncés sous des arcades creuses, des lèvres aux coins abaissés. Il était si pâle, si défait, qu’Élisabeth et Georges se levèrent, lui prenant les mains. Il parla tout de suite à voix basse…
— Ils l’ont tué. Tout à l’heure. Près de moi. Un coup de revolver derrière la tête. Il s’est affaissé… J’étais de ceux qui l’ont porté. Il y avait un officier en uniforme, nu-tête, qui tenait un coin de la couverture. Il était tout blanc… Ils l’ont tué pour sauver la patrie… Ils ont tué la patrie…!
Il s’asseyait, au bout de sa tension nerveuse, et pleurait à gros sanglots. Georges lui serrait une main. Élisabeth écartait ses cheveux pour lui essuyer les tempes. Mme Chambrun préparait un grog. Chambrun, planté près de lui, répétait : « Qui ? Mais qui ? Qui a-t-on tué ? le Président ?… »
La voix plus basse encore, le jeune homme murmurait : « Jaurès, Jaurès… » M. Chambrun respira.
Élisabeth, d’un mouvement ardent, appuyait sur son cœur une des mains du jeune homme, et, penchée sur lui, l’embrassait longuement sur les yeux. Mme Chambrun sursautait :
— Que fais-tu, ma fille… Tu n’y penses pas… Tu n’es que sa fiancée. Adolphe, ce n’est pas moi qui l’ai élevée ainsi, je te le jure.
Le grog, posé à faux sur le bord de la table, se répandait sur le tapis. Chambrun, les deux mains levées, répétait :
— En voilà une histoire ! En voilà une histoire ! » et, pirouettant sur ses talons, arpentait la pièce. « En voilà une histoire ! C’était à prévoir, d’ailleurs. On n’excite pas impunément les passions populaires. Sans doute, il parlait bien. Mais que de mal il nous a fait ! C’était à prévoir, et ma foi, j’ai beau faire, je ne partage pas votre indignation, jeune homme. Je connais vos idées. Vous savez combien, malgré votre fortune, j’ai hésité à donner ma fille à un révolutionnaire. Je me suis dit que l’âge et les responsabilités de la famille vous assagiraient. Et puis, je suis là… Mais vous allez tout de même un peu loin. Après tout, ce n’est qu’un bavard de moins… et un bavard dangereux…
Pierre Lethievent ne pleurait plus. Il avait doucement écarté la jeune fille. Il regardait Chambrun du fond des profondes orbites, chaque mot traversait son cœur. C’était le père d’Élisabeth, ce gros homme vulgaire qui piétinait son jardin… Sa voix, toujours basse, trembla :
— Révolutionnaire ? Je ne sais pas si je le suis… Mais je l’aimais. Comment peut-on ne pas aimer une force ? Comment faites-vous ?
— Des mots, des mots. Il nous conduisait aux abîmes. Et bien que je réprouve l’assassinat politique, j’estime que c’est un danger de moins que nous aurons à surmonter pendant la guerre…
Pierre haussait sa voix, où la fureur montait : « C’est notre première défaite. Lui seul, peut-être, eût remonté la pente… Maintenant, nous sommes perdus. »
— Ah ! permettez ! Vous ne diriez pas ça si vous aviez entendu Georges tout-à-l’heure… Vous allez voir ce que vous allez voir. Ils seront balayés !
— Ils seront à Paris dans un mois. Vous ne les connaissez pas. Vous ne connaissez pas l’Allemagne…
— Mais si, et mieux que vous. J’y fais des affaires. J’y suis allé dix fois… C’est très riche, c’est très puissant, mais c’est du bluff, de la façade. Ça tombera d’un seul coup devant une charge à la baïonnette.
— Je connais ça. A Berlin ! à Berlin ! C’est même mieux. La première fois, au moins, ils n’étaient pas aussi riches et pas plus nombreux que nous.
— Mais les Anglais sont là !
— Qui n’ont pas d’armée.
— Mais nous avons les Russes ! Les Cosaques seront à Berlin avant nous.
— Avec les manches à balais qui leur servent de fusils et les tuyaux de poêle qui leur servent de canons. D’ailleurs, qu’importe… Nous méritons la défaite. L’Allemagne naît, et nous mourons…
Élisabeth, depuis un moment, s’était un peu écartée. Elle écoutait, les yeux tout grands, les deux mains le long du corps.
— Pierre, Pierre ! C’est vous qui dites ça. Prenez garde, le chagrin vous égare, si la passion politique aveugle papa. Vous voulez la paix, vous me l’avez dit cent fois. Et vous faites le jeu de ceux qui veulent la guerre !
— Nous aussi nous l’avons voulue, ou fait comme si nous la voulions, mais sans y croire, sans la préparer. Nos remparts étaient de carton. Mieux vaut s’effacer devant la trombe. Après tout, c’est le meilleur moyen d’éviter la honte de la guerre. Jetons nos armes. Nous aurons la paix malgré eux…
— A condition de cirer leurs bottes. Jamais !
Elle était debout devant lui, une douleur violente aux lèvres.
— Jamais, vous dis-je. C’est une morale de domestique, et c’est vous, vous, c’est vous Pierre, qui nous la servez ?
Ses épaules ondulaient, ses cheveux tordaient des flammes, ses narines battaient, ses dents éclataient dans le sang. Il fut ébloui, s’élança vers elle, voulut prendre une de ses mains, qu’elle retira furieuse, puis, d’un mouvement, lui rendit…
— Élisabeth, voyez votre frère, et tant et tant d’enfants… Ce sera une boucherie… Tant d’enfants, tant d’enfants ! L’homme croit encore à Moloch. Songez-y Élisabeth ! Lise !
— Mais ce sont eux qui perpétuent ce culte horrible. Ce sont eux qui ont relevé les autels de la guerre. Mon frère, c’est Thésée qui part pour aller forcer le Minotaure ! Regardez-le !
Elle le montrait d’un bras fier, tout droit, tout blanc, le front levé.
— Élisabeth, écoutez-moi. Ils sont la force, la seule force organisée du monde, la seule capable d’organiser le monde. Et la force organisée est la seule digne de vivre.
— Nous verrons bientôt si notre force n’est pas digne de faire plier la leur. Vous me faites pitié. Vous parlez comme un enfant battu, comme un malade.
Elle avait retiré sa main.
— Mais vous ne les connaissez pas. Nous ne pouvons rien, rien. Ils n’avaient pas besoin de nous faire la guerre. Ils nous tenaient déjà avant. Même dans l’hypothèse invraisemblable où ils seraient battus, ils nous ressaisiraient après. Même vainqueurs, nous perdons tout !
— Qu’importe, Pierre ! Nous sommes le seul peuple au monde qui se moque d’être payé.
— Des poires, quoi !
Elle se dressa :
— Oui, des poires ! Mais pour cela, depuis mille ans, notre esprit règne, même quand on prétend qu’il nous a quittés, même s’il nous a quittés !
— Idéal bourgeois, morale bourgeoise. L’ordre futur est avec eux.
— C’est possible, et je n’en sais rien, ni vous… Mais je sais que nous vaincrons, parce que je ne veux pas que la terre soit une caserne, même si l’eau chaude y circule, même si tout le monde y porte du linge blanc, même s’il y a des salles de lecture, même si les cabinets y sont bien tenus, même si le système des verrous y est pratiqué…
Épuisés de souffrance aiguë, ils se regardaient. Brusquement, il la haïssait. Elle le haïssait. Un abîme s’ouvrait entre eux, qu’un seul mot eût comblé, ils le sentaient encore. Mais une fierté sauvage leur interdisait de le dire. Mme Chambrun s’était enfuie. Georges semblait ne pas comprendre, promenant de l’un à l’autre ses grands yeux. M. Chambrun profitait du premier silence pour placer son mot :
— L’organisation ? Affaire d’autorité. Si nous étions bien gouvernés…
Pierre se tournait vers lui, les crocs dehors :
— Oui, je sais. Il pleuvrait au printemps, il gèlerait en hiver, et un mois avant la moisson, nous aurions une chaleur sèche !
— Dites donc, jeune homme, vous vous fichez de moi. Vous avez tort. Nous ne sommes pas encore passés par la Mairie ! Vous feriez mieux de vous engager, puisque vous n’avez pas été assez costaud pour faire un soldat !
— Papa, c’est indigne.
Il vit sa fille devant lui. Cela arrêta net son accès d’idéalisme. Il pensa soudain à la fortune de Pierre, et non moins vite il se calma…
— Allons, allons ! je plaisante. Donnez-moi la main. Il faut être unis devant l’ennemi, que diable ! L’Union sacrée…
Il s’avançait, son gros rire et son gros ventre devant lui. Mais l’insulté, les mains aux poches, reculait vers la porte, prêt à rompre, dans sa fureur intransigeante d’ascète intellectuel.
Au moment de la franchir, il trouva Georges devant lui. L’enfant lui entourait les deux épaules des deux bras :
— Ne t’en va pas. Je te défends de t’en aller. Nous t’aimons. Je sais que tu souffres. Mais songe à la grandeur du drame. Tout doit s’effacer… Tout, surtout les sentiments particuliers. Qu’est-ce que le meurtre d’un homme politique devant ce qui va se passer ?
— Mon petit Georges, tu ne dirais pas ça si les ouvriers, qui l’aimaient comme moi, refusaient de marcher.
M. Chambrun remontait d’un bond dans les sphères idéalistes :
— On les fusillerait, c’est simple.
— Rassurez-vous, vous n’aurez pas à faire ce beau travail. Je les connais, presque tous en sont encore aux idées d’Élisabeth. Ils marcheront. Pas moi. Vous l’avez dit, je ne suis pas assez costaud. Et ma peau, malgré sa qualité médiocre, m’est chère. Ce stupide massacre ne l’aura pas. L’odeur du sang m’écœure. Je fuis l’abattoir.
Il sortit violemment, suivi par Georges. Une minute, on entendit le bruit de leurs voix, puis plus rien. Élisabeth allait au-devant de son frère :
— Où est-il ! Qu’en as-tu fait ? Non, il n’est pas parti ? Ce n’est pas vrai ?
Elle se jeta sur le palier juste à temps pour entendre le retentissement dans l’escalier du battant de la porte cochère qui se refermait en bas. Elle rentra, s’assit, les yeux dans le vide… Mme Chambrun était là, ramenée par le silence.
— Voilà le résultat de l’École sans Dieu. Ni religion, ni patrie, ni morale. Que t’avais-je dit, ma fille ? Mais on ne croit plus à l’expérience des parents. C’est toi qui l’as voulu. C’est lui qui part.
— Tais-toi, Thérèse ! Il reviendra. Tout ça c’est des enfantillages. Ce mariage doit se faire. Je suis là.
Élisabeth, sans un mot, se levait, regagnait sa chambre, vaguement éclairée par la lueur du dehors. Il était entré là, deux ou trois fois. Ils y avaient été seuls, quelques minutes. A cet endroit précis, il lui avait baisé la bouche pour la première fois. Une flamme la traversa, suivie d’un grand vide, au centre duquel elle ne sentait que son cœur, comme serré par une main. Elle ouvrit la fenêtre, se pencha. Un grand flot noir en mouvement sous une buée rousse, des enseignes lumineuses, rouges, bleues, vertes. La Passion des hommes continuait, indifférente à sa foi, à sa colère, à sa souffrance, à son malheur. Il était là, quelque part, perdu, noyé, mort pour elle. Il ne reviendrait pas. Pourquoi l’avait-elle blessé ? Oh ! le reprendre ! lui demander pardon, lui dire que leur amour était plus vivant que ces choses ! Quelles choses ? Ah ! oui, la guerre, la patrie, le droit… Misères ! Comment avait-elle pu… Pourtant, il ne pouvait méconnaître, lui, lui, où était le droit ! Il ne pouvait pas ne pas revenir !… Il ne l’aimait donc pas, qu’il lui préférât ses idées ?…
Elle se déshabilla, très lentement, suspendant toute sa vie chaque fois qu’elle entendait, en bas, battre la porte de la rue. Elle se coucha, s’étendit, les mains croisées derrière la tête, les yeux sur le rectangle pâle que découpait la fenêtre au plafond. Elle recommença à penser avec soin, hypothèse après hypothèse, puis recommença dans le même ordre, avec la même douleur horrible au même endroit, le même espoir violent au même endroit. Elle se leva pour fermer les vitres, voulant entendre son cœur battre, mieux sentir son mal en l’isolant, scruter les bruits de l’escalier. Elle aspirait au bonheur d’être sûre qu’il souffrait comme elle, de la même plaie qu’elle, cette meurtrissure fixe dans le silence de tout. Le bruit de la rue baissa peu à peu, puis presque brusquement cessa, avec les lumières. Elle était seule, dans le noir, avec les quarts d’heure qui tombaient de l’horloge la plus voisine. Les idées tournaient en débâcle autour de l’angoisse immobile qui encerclait sa vie et lui défendait le sommeil.