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Le voyageur étonné

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JUILLET

Détachement. — Une phrase lue ce matin m’induit à réflexions[1]. La voici : « Le chrétien qui, dans sa vie intime, au lieu de viser à la perfection, s’accommode d’une honnête médiocrité et compte que celle-ci lui vaudra une petite place en Paradis, pourrait faire un assez mauvais calcul. Chaque jour qui passe, les obstacles accumulés par la faiblesse humaine, les constantes occasions de péché se chargent suffisamment de restreindre notre idéal. Si nous mettons au point de départ un idéal déjà restreint, si nous n’avons pour but que la médiocrité, nous risquons de tomber au-dessous du médiocre. »

[1] Je l’extrais, d’un bel article de M. Robert Havard, intitulé Tout ou rien et publié dans son journal bi-mensuel : Rome.

Combien exact ! Mais ceux que ne saurait satisfaire la routine d’une dévotion paresseuse échappent au péril. Tôt ou tard, pour les âmes éprises de vie intérieure, il arrive un moment où la présence de Dieu prend, en elles, toute son ampleur. Elles sentent que le Maître veut désormais les avoir à Lui sans partage. Simultanément, elles acquièrent une intuition si lucide de sa parfaite Beauté qu’elles se voient toutes difformes par comparaison. Alors, elles n’ont plus qu’une idée : se conformer à ce divin modèle. Leur but, c’est l’union avec Lui. Elles comprennent que pour y parvenir, il leur faut se dépouiller d’abord de tout attachement charnel aux choses périssables de ce bas-monde. Et elles subissent, avec une docilité joyeuse, l’opération qui, parmi de grandes souffrances et à travers une ombre indicible, les rendra propres à se fondre dans le Soleil absolu qui les attire.

La nuit d’épreuve se divise en trois phases : celle où les sens se purifient par l’ascétisme ; celle où l’esprit, renonçant aux fausses clartés de l’entendement humain, ne s’oriente plus que d’après cette étoile polaire qu’on nomme la Foi ; celle où, privée d’attraits sensibles, la Foi le dirige, par l’Espérance toute nue, vers la Charité totale.

Nuit ardente et glacée à la fois, nuit toute solitaire et à la fois tout près de Jésus crucifié, nuit de délivrance par la réclusion, nuit terriblement douloureuse et pourtant pleine de joies célestes ! Si tu en sors vainqueur de toi-même, ta récompense sera d’expérimenter vraiment ce que c’est que la possession de Dieu sur la terre. Dès lors, tu ne te résigneras à stationner encore un peu de temps parmi les hommes que pour Le faire aimer comme tu l’aimes ; ayant enfin saisi, en sa signification intégrale, cette parole du rédempteur : La Vérité vous rendra libres, âme maintenant sans entraves, tu chanteras avec saint Jean de la Croix :

Pendant une nuit obscure,
Embrasée d’un amour plein d’anxiété,
— Oh ! l’heureuse fortune ! —
Je sortis, sans être aperçue
Alors que ma demeure était toute purifiée…
A la faveur de cette heureuse nuit,
Personne ne me voyait
Et moi, je ne regardais rien ;
Je n’avais ni guide ni lumière,
Excepté celle qui brille dans mon cœur.
Cette lumière me guidait,
Plus sûrement que celle de midi,
Au terme où m’attendait
Celui qui me connaît parfaitement…
Le visage incliné sur le Bien-Aimé,
Je restai là et j’oubliai tout
Pour le contempler au milieu des lys…
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