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Les Mémoires d'un Parapluie

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XI
DANS LES COMBLES

Sous le toit de la maison de Mme Mancel existaient de vastes greniers, fort bien aménagés, qui servaient de réserve et de débarras aux autres étages de la maison; là s’entassaient les coffres de voyage, les vieux meubles, mille objets encombrants, non pas en désordre, mais classés méthodiquement.

«JE VOUS SERVIRAI DE MON MIEUX, MONSIEUR.»

La femme de chambre me déposa dans un coin, puis se retira.

Comme il régnait dans cet endroit une demi-obscurité, je ne distinguai rien tout d’abord; mais quel ne fut pas mon étonnement quand, du sein de cette pénombre, une petite voix ténue, cette faible voix des choses que les hommes ne peuvent percevoir, m’interpella soudain:

«Bonjour, cher parapluie vert! Sois le bienvenu dans ce paisible séjour!

—Qui êtes-vous?

—Devine, devine! je te le donne en cent, je te le donne en mille», disait l’organe inconnu avec un ton à la fois joyeux et moqueur.

Je ne devinais pas du tout, mais je m’habituais peu à peu à l’obscurité et commençais à discerner les objets qui se trouvaient autour de moi; c’est ainsi que j’aperçus, appuyée contre un vieux bahut, la silhouette élégante d’une ombrelle.

«Ciel! serait-ce possible? Mais oui, c’est bien elle que je retrouve encore une fois, ma chère ombrelle bleue!

—Eh bien, tu me reconnais maintenant! Moi, je t’ai reconnu tout de suite, quoique tu aies un peu vieilli, pour dire vrai; je ne suis plus jeune, non plus, hélas! Tout le monde me trouve démodée, ce qui, vois-tu, est la vieillesse anticipée des choses, au siècle où nous sommes.

«JE FUS PLACÉ AU GRENIER.»

—Mais comment es-tu venue dans cette maison? Quand je t’entrevis à la fête de famille que M. Fabre donnait à ses ouvriers, tu me dis, je m’en souviens, que Mlle Rossignol t’avait échangée contre un éventail appartenant une de ses amies.

—Cette amie, à son tour, m’a donnée à la femme de chambre de Mme Mancel qui lui avait rendu un petit service; mais, comme c’est une fille très coquette j’ai bientôt cessé de lui paraître assez élégante, et elle m’a reléguée dans son grenier; je m’y plais beaucoup, mais surtout maintenant que j’ai eu le bonheur de te retrouver, je vais vivre heureuse auprès de toi; jamais les affections d’enfance ne paraissent plus douces et plus précieuses qu’au déclin de la vie.

—Oui, lui dis-je, abondant dans son sentiment; l’amitié vraie console de tout, même de l’ingratitude des hommes, dont nous avons eu tous deux tant à souffrir, n’est-ce pas?»

Comme l’ombrelle bleue, j’aspirais au repos, et, las des épreuves de ma carrière, je ne demandais plus la pluie et les orages, de même que mon amie renonçait volontiers au soleil.

Ce fut elle qui me suggéra la pensée d’écrire mes mémoires et de fixer ainsi pour la postérité les aventures dont je lui faisais le récit. Ma tâche est terminée, du moins je l’espère.

Pourvu qu’on n’ait jamais l’idée de me faire recouvrir!

FIN


5712-93.—Corbeil., Imprimerie Éd. Crété.

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