Lettres à un indifférent
LETTRE IV
LA CONFESSION
Sully-Prudhomme fut un poète qui souffrit beaucoup d’avoir perdu la foi.
Mais aussi pourquoi ne put-il se résoudre à faire ce qu’il fallait pour la reconquérir ? Il est écrit que le royaume du Ciel souffre violence. Ce n’est pas en se confinant, comme ce fut son cas, dans une inertie larmoyante qu’on force l’entrée de ce paradis intérieur où Dieu nous rend amour pour amour si nous apprenons à l’y obliger. De notre part, la faim de le posséder se prouve par la volonté, non par des gémissements sentimentaux. De la sienne, sa tendresse se prouve par la volonté de nous assister de sa grâce. Car, comme l’a dit saint Thomas d’Aquin, « l’amour est dans la volonté ».
Méconnaissant ce principe expérimental, imbu d’un déisme flasque, gâté de sciences décevantes, Sully-Prudhomme se figurait qu’il parviendrait à concevoir Dieu et à le servir hors des prescriptions de l’Église. L’orgueil de l’esprit — qui est la pire des concupiscences — l’écartait des sacrements.
Son excès de confiance en soi-même allait à ce point qu’il nous rapporte qu’ayant commis une faute grave et étant lacéré par le remords, il gagna la campagne, fit un trou en terre et y chuchota l’aveu de son péché. Cette singulière opération ne soulagea nullement sa conscience car il s’écrie :
Il existe des gens qui trouvent tout à fait admirable cette pseudo-confession à l’oreille du Grand-Pan. Tout catholique y voit la misère d’une âme que le respect humain et une profonde estime de son jugement propre empêchèrent de s’humilier en s’agenouillant devant un prêtre qui, même médiocre, aurait eu grâce d’état pour la purifier et l’éclairer.
Ajoutez que cette pitoyable vergogne, qui procédait aussi de ses habitudes d’analyses dans le vague, s’aggravait de l’illusion que Dieu se donne à qui le cherche par des méthodes plus ou moins empiriques et que sa présence en nous, on peut en obtenir la notion par les A + B d’une quelconque algèbre.
En somme, il aurait voulu qu’on lui démontrât la Sainte Trinité par l’égalité des angles d’un triangle rectangle et qu’on lui fournît une photographie instantanée de l’Annonciation.
Enfin, il ne possédait même pas l’excuse de l’ignorance : ayant eu une enfance et une puberté pieuses, il connaissait sa religion et il savait ce qu’elle exige.
L’infatuation de son intelligence, jointe à la vanité particulière aux écrivains, obscurcirent en lui les clartés qui nous viennent du sentiment lorsque nous l’appliquons à la solution du problème de vivre en chrétien. Il prétendait n’avoir recours qu’à la raison. — Or la raison a du bon pour acquérir la notion abstraite de Dieu, pour le contrôle des envolées de l’imagination et des mouvements de la sensibilité. Mais elle ne suffit pas à nous conduire en Dieu parce que, suivant la phrase célèbre de Pascal : « Le cœur a des raisons que la raison ne connaît pas[3]. »
[3] Maxime si souvent détournée de son vrai sens par de soi-disant psychologues qui l’appliquent niaisement aux plus piètres des amours humaines.
N’ayant pas compris cette vérité essentielle, Sully-Prudhomme erra dans la nuit et fut très malheureux. Il eut beau se pétrir un idéalisme blafard, il eut beau en distiller des poèmes didactiques et mous : le Bonheur, la Justice, il ne réussit qu’à se tourmenter davantage et à infliger un ennui visqueux aux infortunés qui tentèrent de les lire. En effet, ses rêveries se formulaient en des strophes traînardes qui font penser à une procession de limaces dans un potager planté de salades peu avantageuses. Encore ces mollusques sont-ils d’une belle couleur orangée, tandis que les alexandrins de Sully-Prudhomme ressemblent à ces longues limaces, habillées de gris terne et de noir, qu’on rencontre, après la pluie, dans certains taillis de la forêt de Fontainebleau.
Nulle paix dans l’âme du poète ne résulta de ces rapsodies. Son inquiétude, la sensation de vide, qui le faisaient tant souffrir, s’accrurent. Pourtant Dieu lui procura un moyen de se rénover. La maladie vint, paralysa ses membres inférieurs et le cloua, sans rémission, sur une chaise longue. Cette épreuve aurait pu lui être décisive. Mais comme il s’entêtait à remplacer le catéchisme par un traité de géométrie, il n’apprit point à sanctifier ses souffrances.
Une autre occasion lui fut fournie de s’instruire. Un jour, quelques-uns de ses collègues académiciens lui rendirent visite. Parmi eux, le bon Coppée. Celui-ci ne s’était jamais astreint à poursuivre cette quadrature du cercle : l’existence de Dieu démontrée par la science exclusivement. Malade, il s’était humblement soumis à la Providence. Il avait pleuré ses fautes, demandé l’absolution à qui de droit, sans se disséquer l’âme à perte de vue. En récompense, il avait reçu la grâce d’aimer la souffrance rédemptrice et celle d’obéir, très simplement, à l’Église. Il en acquit cette exquise charité qui le rendait si auxiliateur aux repentis qui venaient lui confier leurs peines. J’en parle d’expérience…
La conversation s’engagea entre le malade et ses visiteurs. Après quelques propos sur ses chances de guérison, — espoir à peu près nul et il le savait, — Sully leur confia qu’il tâchait, sans trop y réussir, de s’enclore en une sorte d’ataraxie boudhique et il conclut en leur récitant un de ses tercets d’autrefois :
— Mais, ajouta-t-il, cet expédient ne me console pas toujours… Ah ! j’aimerais mieux croire !
— Croire, s’écria un philosophe imbibé de déterminisme, cela se pouvait avant le règne de la science. Mais ce stade de l’évolution est aujourd’hui dépassé. Que certains le regrettent, c’est leur droit ; quant à remonter le courant, pour tout esprit cultivé, c’est impossible.
Alors Coppée, très doucement : — Moi, je crois.
— Vous croyez, s’exclama Sully-Prudhomme, en tendant les mains vers lui, vraiment, vous croyez ?… Ah ! que vous avez de la chance !…
— Vous allez à la messe ? demanda un autre avec un sourire mi-indulgent, mi-méprisant.
— Je vais à la messe, répondit Coppée.
Il y eut un silence bref ; puis ce fut comme une débâcle d’irréligion. Chacun expliqua ses motifs d’écarter le catholicisme de son existence. L’un dénonçait l’absurdité des dogmes ; l’autre, à leur encontre, vantait les splendeurs du paganisme antique ; un troisième préconisait la morale d’Épicure. Chez tous se révélait, pour un observateur, une sorte de haine sournoise contre l’Église. Ce n’était pas exprimé crûment mais cela serpentait sous toutes les paroles échangées.
Quand ils eurent fini, Coppée, qui avait écouté sans interrompre, dit avec calme : — Tout cela, c’est parce qu’on ne veut pas se confesser.
Ils le regardèrent, pleins d’une stupeur irritée. On peut admettre que Coppée avait touché juste car ils se hâtèrent de détourner la conversation, tandis que Sully-Prudhomme reposait sa tête sur l’oreiller en exhalant un grand soupir d’angoisse…
J’ignore comment Sully-Prudhomme a fini. Mais je veux espérer qu’il reçut les sacrements et que la Miséricorde infinie lui inspira la contrition. En ce cas, en Purgatoire, il a, sans doute, terriblement besoin de prières. Car si Dieu se montre indulgent pour les simples et les ignorants, il est fort exigeant pour ceux qu’il gratifia du don d’influencer autrui par l’exercice de leur intelligence. Et cela est on ne peut plus équitable, puisque, s’ils ont usé de leurs talents pour pervertir ou tourner au doute leurs contemporains, ils furent le père qui donne un caillou à l’enfant qui lui demandait du pain, qui donne un scorpion à l’enfant qui lui demandait un œuf. Notre-Seigneur nous avertit, au saint Évangile, qu’il y a là une malice des plus virulentes[4]…
[4] Depuis que ces lignes furent écrites, j’ai appris que Sully-Prudhomme s’était confessé et avait reçu le Saint Viatique très peu avant de mourir. Laus Deo !
Quant aux bienfaits de la confession, un mystique ignoré me disait : — A l’époque où Dieu me fit la grâce de l’aimer pour de bon, j’ai compris que la communion de chaque jour impliquait la confession fréquente. Depuis, il ne se passe guère dix jours sans que j’apporte mes immondices à ce boueux des âmes : le prêtre, pour qu’il les assemble et les vide au cloaque. Plusieurs estiment que j’outrepasse le précepte et me considèrent comme un scrupuleux. C’est qu’ils ne me connaissent pas. Si je faisais devant eux mon examen de conscience, si je pouvais leur étaler mon être intime, ils constateraient quelles nuées couleur de fumier et de suie tentent, à toute heure, d’y éclipser le rayonnement de ce soleil interne : Jésus-Christ. Je n’ai aucun mérite à les dissiper par l’aveu de mes négligences, de mes manquements à la Loi divine et de mes offenses qui sont innombrables, puisque, avant d’avoir reçu, de bonne volonté, l’absolution, mon cœur est comprimé dans les mâchoires d’un étau, et que j’étouffe tant que les vapeurs malsaines voilent l’astre d’amour en moi.
Mais après le pardon, quand je me relève avec le ferme propos de me réformer, je goûte, en son amplitude, la parole de Notre-Seigneur : « Je vous donne la paix, je laisse en vous ma paix. »
Il me semble alors que, détestant mes fautes, je détache Jésus du gibet d’ignominie où je l’avais cloué, pour l’ensevelir dans le suaire de mon amour. Je baise, je trempe de mes larmes ses pieds sanglants ; je suis heureux de me déchirer les doigts en enlevant de son front la couronne d’épines. Je bois de la lumière à la plaie de son Cœur adorable. Et ce breuvage salubre me rend plus fort pour écarter l’enfer et ses fangeux traquenards…
Ensuite, l’atmosphère où évoluent mes sentiments et mes idées s’imprègne d’une clarté nouvelle. Les images merveilleuses qui s’y déploient symbolisent les vertus que je dois cultiver. Les unes, ce sont des anges aux ailes d’arc-en-ciel ; ils s’appellent Foi, Espérance, Charité. D’autres, ce sont des colombes poignardées dont la gorge candide se pare d’une petite croix vermeille ; elles s’appellent : Contrition, Humilité, Joie de souffrir comme Jésus, pour Jésus.
Parfois aussi, c’est le paysage, alentour, qui se transfigure parce que, comme l’a dit saint Jean de la Croix : « L’âme dont les sens sont purifiés et soumis à l’Esprit tire de toutes choses sensibles, même de leurs premières impressions, les délices d’une savoureuse présence de Dieu et d’une très suave contemplation. »
Je te décrirai un retour chez moi par une fin de journée, après une bonne confession… J’habitais un village à la lisière de grands bois où régnaient souverainement la solitude et le silence. Pour regagner mon logis, j’avais à traverser une futaie rocheuse où les vieux chênes trapus alternaient avec les pins élancés comme des flèches de cathédrales et avec ces peuplades frissonnantes que forment mes frères les bouleaux. La nuit commençante noyait de sombre azur les taillis et gagnait peu à peu les clairières où le sentier traçait une mince ligne blanche, de moins en moins distincte. La lune, à moitié de sa plénitude, montait lentement dans le ciel très pur et argentait, par places, les frondaisons immobiles. Qu’il était tiède, qu’il était calme, qu’il était recueilli ce beau soir d’été où toute la nature semblait en prière !…
J’avance sans me presser. J’écoute la forêt énorme respirer dans l’ombre avec douceur. Je me réjouis de sentir les lianes de mes sœurs les clématites sauvages qui retombent des branches basses pour me caresser la tête. Tout, jusqu’au parfum des résines, jusqu’au frôlement des fougères flexibles contre mes genoux me devient amical. Pardonné, je reçois cet enseignement que les effluves du Paraclet sanctifient la face de la terre et ne dédaignent même pas de pénétrer l’innocence du monde végétal.
Tandis qu’un hymne au Consolateur chantait en moi, je m’y absorbai si fort que je m’écartai du chemin sans m’en apercevoir. Je m’égarai parmi les fûts brillants de lune des bouleaux. Foulant la mousse, je descendis la pente d’une combe ; au fond, des blocs de grès rugueux s’amoncelaient pour former une sorte de caverne assez spacieuse. A cette heure, la cavité aurait dû être des plus obscures. Mais point : à mesure que j’approchais, je vis qu’il en sortait une clarté d’or fluide qui me parut tout à fait insolite. Je crus d’abord que c’était un jeu de lune aux interstices des pierres… Je dus rejeter l’explication, car l’astre ne pouvait émettre cette mystérieuse splendeur dont je n’avais jamais vu l’analogue. Et puis mon cœur brûlait comme il m’arrive chaque fois que le sentiment habituel de la présence divine se transforme en une ineffable sensation…
J’avançai encore en formulant, bouche close, des actes d’amour. Plus je les multipliais, plus la lumière croissait en éclat. Quand je fus à l’entrée de la grotte, je vis — de quel regard, je ne sais — l’Enfant-Jésus dans sa crèche. J’eus, en même temps, la notion que la sainte Vierge et saint Joseph se tenaient en oraison auprès de Lui. Mais je ne fis que les pressentir sans les distinguer…
L’Enfant me sourit. Et comme je tombais à genoux en m’écriant : — Mon Seigneur et mon Dieu ! il leva la main et traça sur moi le signe de la croix. Il me parut ensuite qu’il me disait ces mots : « Lapillus n’a pas craint les amertumes de la myrrhe ; il m’apporte l’encens ; je lui donnerai l’or[5]. »
[5] Lecteur, si tu es fâcheusement muni d’écus, ne vas pas te méprendre : le symbolisme mystique entend par la myrrhe, la souffrance, par l’encens, l’oraison, par l’or, l’amour de Dieu.
Je ne saurais décrire le flot d’amour qui me submergea l’âme : je vivais en Jésus, Jésus vivait moi… Ah ! les mots font défaut pour exprimer cette union totale avec le Bien-Aimé !…
Je dus rester longtemps fondu en mon Dieu, car lorsque je repris conscience des choses extérieures, la lune déclinait vers l’horizon occidental…
Ami, ne crois-tu pas que la confession fréquente qui procure de telles joies est une pratique qui vaut d’être observée ?
Note.
Il y a des gens qui non seulement ne se confessent pas souvent, mais qui, lorsqu’ils se résignent à prendre cette mesure d’hygiène, le font dans des sentiments assez… bizarres.
Un jeudi de semaine sainte, je sortais d’une église. Deux dames, issues d’un confessionnal et appartenant, je pense, à la bourgeoisie aisée, marchaient devant moi. Le portail franchi, elles se mirent à dialoguer d’une voix si perçante qu’il me fut impossible de ne pas entendre leurs propos.
L’une disait : — Tout de même, l’abbé X… est bien méticuleux. On dirait qu’il prend plaisir à vous troubler. Croiriez-vous qu’il m’a parlé de l’enfer !…
L’autre repartit : — Oh ! moi, vous savez, ce qu’il raconte, j’en prends et j’en laisse… Et puis, le diable, n’est-ce pas, c’était bon au Moyen Age !… (Sic).
Cet aphorisme, émis d’un ton de certitude des plus péremptoires, me cloua sur place. Mais il faut se méfier des écrivains : tout de suite, je ne pus m’empêcher d’extraire de ma poche mon carnet de notes et d’y inscrire, d’un crayon diligent, ce que je venais d’entendre. Tout d’abord, j’eus un mouvement de gaîté. Puis, réfléchissant, il me parut qu’une telle aberration ouvrait un jour un peu terrible sur l’état d’âme de celle qui s’y enlisait.
— Est-ce hérésie délibérée, me demandai-je, ou bien est-ce simplement ignorance ? Et, dans ce dernier cas, à qui la faute ?…
Il n’y a pas lieu de résoudre ici le problème. Seulement, je dois dire que cette phrase — textuellement cueillie au vol — m’induisit en déductions pénibles. Par un rapprochement d’idées très normal, je pensai aux âmes — assez nombreuses, m’ont dit plusieurs prêtres — qui font des confessions incomplètes. Ces aveugles ne se représentent sans doute pas le danger qu’ils courent. On devrait leur prescrire la méditation d’un certain livre qui les éclairerait, d’une manière complète, sur leur cas. C’est l’ouvrage du Père Zelle (S. J.). Il s’intitule : la Confession d’après les grands Maîtres[6].
[6] Un volume chez Beauchesne, 5e édition.
Je le découvris dans la bibliothèque d’un curé de village. Comme il gisait en un coin délaissé, sur la tablette la plus élevée, et qu’une notable couche de poussière veloutait sa reliure, je jugeai que l’ecclésiastique ne le consultait guère. Je lui demandai ce qu’il en pensait.
— Bah ! me dit-il, c’est un tissu d’exagérations fabriqué par un jésuite janséniste. Je ne m’en sers pas…
— Un jésuite janséniste, m’écriai-je, ce doit être un étrange phénomène !… Pour me renseigner plus à fond, je lus le livre.
Eh bien ! je ne sais si, par défaut de perspicacité, je me suis imbu de jansénisme, mais le volume me fut on ne peut plus salutaire. Les conseils et les avertissements qu’il donne m’ont édifié autant qu’instruit. Et j’ai saisi quel risque formidable encouraient ceux qui usent, d’un cœur réticent, du sacrement de pénitence.
Quand on songe que, gardant peut-être quelque péché ignoble sur la conscience, ils osent ensuite recevoir la sainte Eucharistie, on ne peut que les classer parmi les disciples de ce moine défroqué qui, sous la Révolution, consacrait des hosties et les jetait aussitôt dans l’auge de ses cochons.
Au surplus, l’auteur ne se borne pas à signaler la plaie purulente. Il apporte, à l’appui de ses dires les témoignages de plusieurs saints touchant les conséquences de ce sacrilège. En voici deux.
D’abord saint Benoît Labre. « Le saint mendiant était venu à Fabriano. Il fut prié de visiter une pieuse famille dont il partagea le modeste repas. A table, comme on vint à parler de la confession, Benoît raconta qu’une nuit, il avait vu, en un songe mystique, trois processions de pénitents. La première, se composant de personnages habillés de blanc, était peu nombreuse ; ceux qui formaient la seconde portaient des habits rouges et leurs files étaient assez longues ; la troisième semblait innombrable et la multitude qui s’y pressait portait des habits lugubres et noirs.
« Je demandai, ajouta le Saint, la signification de cette diversité de couleurs et de nombre. Il me fut répondu que la procession en habits blancs se composait de ceux qui, ayant la conscience purifiée de tout péché, montaient au ciel aussitôt après leur mort. La deuxième était formée des âmes qui se rendaient en purgatoire pour achever de satisfaire à la justice divine. La troisième comprenait les malheureux pécheurs qui courent vers l’abîme… Oh ! toutes ces âmes que j’ai vues précipitées aux gouffres éternels par le mépris de la confession ou par des confessions incomplètes et sacrilèges ! Elles tombent dans l’enfer aussi pressées que les flocons de neige pendant l’hiver !… »
Maintenant sainte Térèse. « Dans l’ouvrage du P. Segneri, dont le titre est : l’Instruction du Pénitent, — écrit le P. Zelle, — on trouve ces remarquables paroles :
« Il est certain que sainte Térèse avait coutume de dire que l’enfer se remplissait continuellement par les confessions sacrilèges. Écrivant un jour à un prédicateur, elle lui donnait cet avis : — Mon Père, prêchez contre les confessions mal faites, parce que le démon n’a pas de piège avec lequel il prenne tant d’âmes que celui-là…
« Ici je ne veux pas dissimuler que cette affirmation de la Sainte, toujours si raisonnable et mesurée, me causa d’abord quelque étonnement. Mais ensuite, la longue expérience que j’ai acquise dans les missions, où l’on traite avec toutes sortes de personnes, m’a fait connaître avec évidence que la Sainte n’avait rien exagéré. Beaucoup de pécheurs se rassurent parce qu’ils se sont confessés souvent et ils ne considèrent pas que, peut-être, ils ne se sont jamais bien confessés. Sous ce prétexte trompeur ils marchent à leur perte… »
Grâce à Dieu les bons prêtres zélés pour obtenir de leurs pénitents des aveux intégraux ne manquent pas. Mais c’est parfois le troupeau des soi-disant fidèles qui regimbe.
Un ami me racontait : « — Je suivais un Carême prêché par un Capucin dans l’une des plus grandes paroisses de Paris. Ce religieux, peu enclin aux homélies sirupeuses, consacra ses trois premiers sermons à l’enfer. Et je vous prie de croire qu’il nous fit comprendre que nous avions beaucoup à nous réformer pour y échapper. Après le troisième sermon, j’allai à la sacristie saluer le curé, prêtre excellent qui voulait bien m’honorer de son amitié. Je ne pus m’empêcher de lui dire que le prédicateur m’avait fait grand bien en m’avertissant du risque effroyable que je courrais par des confessions incomplètes.
« Le curé m’écouta en souriant d’un air mélancolique.
« — Eh bien, me répondit-il, tout le monde ne partage pas votre sentiment. Je viens de recevoir une délégation de dames qui, se disant les fondées de pouvoir d’un certain nombre d’auditrices, me firent entendre que le bon Père les offensait en leur parlant de l’enfer avec tant d’insistance.
« Elles ont ajouté que s’il continuait, elles déserteraient l’église… »
Il ne fit pas de commentaires. Mais il leva les bras au ciel en murmurant : « — Quelle pitié ! »
Ces dames, si sûres de leur sainteté, devaient appartenir à l’école du Pharisien dont il est parlé dans l’Évangile selon saint Luc, au chapitre XVIII : « Le pharisien, se tenant debout, priait ainsi : — Mon Dieu, je vous rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes qui sont voleurs, injustes et adultères. Je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que je possède… »
Cet homme était fort content de lui-même. Mais voici que Notre-Seigneur déclare : « Je vous dis qu’il ne s’en alla pas chez lui justifié… »