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Observations sur l'orthographe ou ortografie française, suivies d'une histoire de la réforme orthographique depuis le XVe siècle jusqu'a nos jours

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OBSERVATIONS
SUR
L’ORTHOGRAPHE
OU ORTOGRAFIE
FRANÇAISE.


Remédier aux imperfections encore si nombreuses de notre orthographe, imperfections qui démentent la logique et la netteté de l’esprit français, serait chose bien désirable à un double point de vue: le bon et rapide enseignement de la jeunesse, la propagation de notre langue et de ses chefs-d’œuvre. Mais cette tâche est bien plus difficile que ne le supposent ceux qui, frappés des abus, ne se sont pas rendu compte de la nature des obstacles, ainsi que des efforts divers tentés depuis trois siècles pour la solution d’un problème aussi compliqué.

C’est à l’Académie française, à cause même de sa légitime influence sur la langue et de l’autorité de son Dictionnaire, devenu depuis longtemps le Code du langage, qu’il convient d’examiner, en vue de la nouvelle édition qu’elle prépare, les modifications à introduire dans l’orthographe, pour satisfaire, dans une juste mesure et conformément à ses propres précédents, aux vœux le plus généralement manifestés.

Fidèle à son institution et à sa devise, l’Académie, tout en tenant compte des nécessités du présent, jette au loin ses regards sur l’avenir pour conduire, de degré en degré, la langue française à sa perfection.

Grâce aux améliorations successivement introduites par l’Académie dans les six éditions de son Dictionnaire, améliorations attestées par la comparaison de celle de 1835 avec la première de 1694, ce qui reste à faire dans notre orthographe est peu considérable, et pourrait même être admis en une seule fois, si l’Académie se montrait aussi hardie qu’elle l’a été dans sa troisième édition.

Jusqu’au commencement de ce siècle, son Dictionnaire, moins répandu, n’avait pas acquis l’autorité dont il jouit universellement; de sorte qu’il restait à chacun quelque liberté pour modifier l’orthographe, soit dans le manuscrit, soit dans l’impression[1]. C’est ainsi qu’avaient pu et que pouvaient encore se faire jour les préférences en matière d’écriture de ceux qu’on nommait alors «les honnêtes gens» et dont la manière était désignée sous ce nom: l’Usage.

[1] Ainsi mon père et mon oncle, dès 1798, s’écartant de l’orthographe traditionnelle, avaient remplacé, dans leurs éditions, l’o par l’a, et imprimé français et non françois, je reconnais et non je reconnois, modification importante qui fut admise par l’Académie dans la dernière édition de son Dictionnaire de 1835.

Maintenant toute rectification, quelque faible qu’elle soit, serait imprudente et même impossible. M. Sainte-Beuve est, je crois, le seul qui exige de ses imprimeurs de rétablir l’accent grave aux mots terminés en ége.

Mais il résulte de l’inadvertance des compositeurs et même des correcteurs une série incessante d’hésitations d’où proviennent des fautes et des corrections très-coûteuses qui rendraient presque impossibles des impressions où chacun voudrait qu’on suivît les caprices de son orthographe. Le Dictionnaire de l’Académie est donc la seule loi.

Mais l’Usage, que l’Académie invoquait jusqu’en 1835 comme sa règle, n’a plus aujourd’hui de raison d’être; le Dictionnaire est là qui s’oppose à tout changement: chaque écrivain, chaque imprimerie, s’est soumis à la loi: elle y est gravée; les journaux, par leur immense publicité, l’ont propagée partout; personne n’oserait la braver. Ainsi tout progrès deviendrait impossible, si l’Académie, forte de l’autorité qu’elle a justement acquise, ne venait elle-même au-devant du vœu public en faisant un nouveau pas dans son système de réforme, afin de rendre notre langue plus facile à apprendre, à lire et à prononcer, surtout pour les étrangers.

Que d’efforts et de fatigues quelques réformes pourraient encore épargner aux mères et aux professeurs! que de larmes à l’enfance! que de découragement aux populations rurales! Tout ce qui peut économiser la peine et le temps perdus à écrire des lettres inutiles, à consulter sa mémoire, souvent en défaut, profiterait à chacun. Car, avouons-le, personne d’entre nous ne saurait s’exempter d’avoir recours au Dictionnaire pour s’assurer s’il faut soit l’y soit l’i dans tel ou tel mot; soit un ou deux l, ou n ou p dans tel autre; soit un ph ou un th; un accent grave ou un accent circonflexe, un tréma ou un accent aigu, un trait d’union ou même la marque du pluriel, l’s ou le x, dans certains mots.

Il serait trop long d’énumérer ici les tentatives plus ou moins sensées, plus ou moins téméraires, proposées depuis le commencement du seizième siècle pour la simplification de l’orthographe: les unes, trop absolues dans leur ensemble, dénaturaient le caractère et les traditions de notre idiome; d’autres déroutaient et offensaient la vue en altérant la simplicité de notre alphabet; d’autres, enfin, n’avaient peut-être que le tort d’être prématurées et de contrarier des habitudes contractées dès l’enfance, et d’autant plus tenaces qu’elles avaient coûté plus de peine à acquérir. (Voy. l’Appendice D.) L’Académie seule, quelquefois avec une grande hardiesse, a pu introduire et sanctionner de sages modifications; toutes ont été accueillies avec reconnaissance en France et dans les pays étrangers. C’est donc à sa sagesse de juger dans quelles limites on devra céder au vœu manifesté par tant de bons esprits durant plus de trois siècles. Les concessions qu’elle croira devoir faire ne seront même que la conséquence de l’opinion émise par elle en 1718 dans la préface de la deuxième édition de son Dictionnaire: «Comme il ne faut point se presser de rejeter l’ancienne orthographe, on ne doit pas non plus, dit-elle, faire de trop grands efforts pour la retenir.»

Ces modifications seraient d’autant plus utiles et opportunes qu’elles hâteraient le développement et la propagation de l’instruction primaire dans nos campagnes, et l’enseignement de la langue française aux Arabes, moyen le plus sûr de nous les assimiler[2]. Ce bienfait s’étendrait même à tout l’Orient, où on se livre à de sérieux efforts pour indiquer par des signes la prononciation des mots de notre langue à ces populations aussi nombreuses que diverses[3]. Faciliter l’écriture et la lecture de la langue nationale, c’est contribuer à la répandre et à la maintenir.

[2] M. le général Daumas a mis en pratique, et avec succès, le système de simplification d’orthographe dont on est redevable à M. Féline.

[3] En ce moment, M. Pauthier me montre plusieurs Dictionnaires polyglottes imprimés à Yeddo. Dans celui qui est intitulé San-gio-ben-ran, les Trois Langues synoptiques, Yeddo, 1854, les mots japonais sont traduits en français, en anglais et en hollandais, et la prononciation y est figurée par des signes. Je vois donc au mot ortographier la notation du son phi figurée par le même signe qui est appliqué à pi dans le mot opiner qui précède. Ainsi donc les Japonais, au lieu de prononcer ortographier, prononceront ortograpier, ou bien ils devront prononcer ofiner au lieu d’opiner.

Avant même que François Ier, par son édit de Villers-Cotterets, du 10 août 1539, eût rendu officielle la langue française, en bannissant le latin de tout acte public, beaucoup de grammairiens et de savants imprimeurs s’étaient occupés de régulariser notre orthographe. Le désordre dans l’écriture du français était alors à son comble: chacun, loin de la rapprocher de sa simplicité antérieure, croyait faire montre de savoir en la compliquant par la multiplicité des consonnes.

Ronsard, après s’être plaint dans la préface de sa première édition de la Franciade, en 1572, de l’impossibilité de se reconnaître dans la «corruption de l’orthographe», écrivait dans sa seconde édition:

«Quant à nostre escriture, elle est fort vicieuse et corrompuë, et me semble qu’elle a grand besoin de reformation: et de remettre en son premier honneur le K et le Z, et faire charactères nouueaux pour la double N, à la mode des Espagnols, ñ, pour escrire monseigneur, et une L double pour escrire orgueilleux[4]

[4] «Tu éviteras toute ORTHOGRAPHIE superflue et ne mettras aucunes lettres en tels mots, si tu ne les prononces en lisant.» (Abrégé de l’Art poétique, par Ronsard, édit. de 1561.)

Plus tard, en tête de son Abrégé de l’Art poétique, il développe plus énergiquement encore son opinion sur la réforme de l’orthographe française. Et le grand Corneille, trente ans avant le Dictionnaire de l’Académie, proposait et appliquait lui-même une écriture plus conforme à la prononciation, devancé même en cela par l’un de ses prédécesseurs à l’Académie, d’Ablancourt, et surpassé en hardiesse par son collègue Dangeau. (Voir les Appendices B et C.)

Cependant, dès l’année 1660, trente-quatre ans avant l’apparition du Dictionnaire de l’Académie, la Grammaire de Port-Royal avait posé les bases de l’accord de l’écriture et de la prononciation; elle voulait:

  • 1o Que toute figure marquât quelque son, c’est-à-dire qu’on n’écrivît rien qu’on ne prononçât;
  • 2o Que tout son fût marqué par une figure, c’est-à-dire qu’on ne prononçât rien qui ne fût écrit;
  • 3o Que chaque figure ne marquât qu’un son, ou simple ou double;
  • 4o Qu’un même son ne fût point marqué par des figures différentes.

Pourquoi donc, après de telles prémisses, tant de contradictions qu’on ne saurait justifier et auxquelles l’esprit logique de l’enfance ne se soumet qu’en faisant abandon de cette rectitude de raisonnement qui nous étonne si souvent et nous force d’avouer qu’en fait de langue la raison n’est pas du côté de l’âge mûr?

Pour quiconque veut approfondir l’étude de la langue française, rien de plus intéressant que d’en suivre les progrès dans les modifications apportées par l’Académie dans les éditions successives de son Dictionnaire. Dans chacune d’elles, en effet, sont enregistrés les changements résultant soit de la suppression de mots surannés, soit de l’introduction de ceux qu’elle jugeait admissibles, soit de modifications apportées dans l’acception des mots et des locutions. Mais pour ne parler ici que de l’orthographe, c’est dans ses variations successives qu’on peut apprécier cette tendance à la simplification dans la forme des mots qui répond au besoin toujours croissant de mieux conformer l’écriture à la rapidité de la pensée. Par ce qui est fait on jugera mieux de ce qui reste à faire.

PREMIÈRE ÉDITION DU DICTIONNAIRE.

A l’époque où l’Académie résolut de rédiger son Dictionnaire, deux courants opposés portaient le trouble dans les imprimeries: les unes, sous l’influence des Estienne, modelaient leur orthographe sur la langue latine, les autres sur celle de nos vieux poëtes et chroniqueurs. Antérieurement à l’apparition, en 1540, du Dictionnaire de Robert Estienne, on remarque dans nos plus anciens lexiques une orthographe plus simple. Ainsi, dans les glossaires imprimés de 1506 à 1524[5] je vois les mots lait, laitue, extrait, fait, point, hatif, soudain, etc., écrits comme ils le sont aujourd’hui, tandis qu’Estienne les écrit laict, laictue, extraict, faict, poinct, hastif, soubdain, etc. Son système se propagea dans les Dictionnaires. Cependant, en 1630, se produit un retour vers les principes de «notre ancienne et nayve écriture»: Philibert Monet publie dans son Invantaire des deus langues françoise et latine[6] le dictionnaire de la réforme orthographique, auquel cinquante ans plus tard, Richelet, avec plus de faveur, donne une forme plus complète et plus régulière[7]. Tel était l’état des choses, lorsque, après soixante ans de discussion, d’hésitation et d’examen, l’Académie fit paraître son grand travail.

[5] Catholicon abbreviatum. Iean Lambert, 1506.—Vocabularium Nebrissense. 1524.—Vocabularium latinum, gallicum et theutonicum. Strasbourg, Mathis Humpffuff, 1515. On trouve dans ce petit ouvrage les mots ainsi écrits: emorroïdes, idropisie, sansue, otruche, masson, aguille, aguillon, etc.

[6] P. Monet, de la compagnie de Jésus. Invantaire des deus langues françoise et latine, assorti des plus utiles curiositez de l’un et l’autre Idiome. Lyon, 1635, in-fol. de 6 ff. et 990 pages à 2 colonnes en petit caractère.

[7] Richelet, Dictionnaire françois, etc. Genève, Hermann Widerhold, 1680, 2 tom. petit in-4o. Dans l’Avertissement, Richelet dit que c’est à l’imitation de monsieur d’Ablancourt et de quelques autres auteurs célèbres, qu’on a changé presque toujours l’y grec en i simple; qu’on a supprimé la plupart des lettres doubles et inutiles qui ne défigurent pas les mots lorsqu’elles en sont retranchées, comme dans afaire, ataquer, ateindre, dificile, et non pas affaire, attaquer, atteindre, difficile, etc. Et en effet, dès le début, on trouve dans son Dictionnaire: abesse, abaïe, abatial, abatre, abé, acabler, acablement.

L’apparition du PREMIER Dictionnaire de l’Académie, publié en 1694, fut donc un événement, et on ne saurait être trop reconnaissant du service qu’il rendit alors. Frappée du désordre de l’écriture et des impressions[8], l’Académie, pour y remédier, préféra rapprocher l’orthographe française de la forme du latin littéraire, et cela, malgré l’opposition du vieil esprit français, dont, cent ans plus tôt, Ronsard et d’autres membres de sa pléiade s’étaient montrés les représentants. Elle crut, en s’appuyant sur une langue désormais fixée, donner plus de stabilité à notre orthographe; d’ailleurs on était alors sous l’influence encore toute-puissante de la latinité.

[8] Un seul exemple suffira pour donner une idée des bizarreries et des anomalies de l’orthographe des manuscrits et des impressions: dans une des meilleures éditions du Gargantua de Rabelais (Lyon, François Juste, 1542, in-16), je lis dans le prologue le mot huile écrit en huit lignes de trois manières différentes.

Cependant ce ne fut pas sans luttes et sans opposition au sein même de l’Académie que prévalut l’écriture dite étymologique. M. Sainte-Beuve, dans son article sur Vaugelas, nous en offre une vive image:

«Chapelain, nous dit-il, parmi les oracles d’alors, est le plus remarquable exemple de cet abus du grécisme et du latinisme en français; il avait pour contre-poids, à l’Académie, Conrart qui ne savait que le français, mais qui le savait dans toute sa pureté parisienne. Chapelain aurait voulu, par respect pour l’étymologie, qu’on gardât la vieille orthographe de charactère, cholère, avec ch, et qu’on laissât l’écriture hérissée de ces lettres capables de dérouter à tout moment et d’égarer en ce qui est de la prononciation courante. Il trouvait mauvais qu’on simplifiât l’orthographe de ces mots dérivés du grec, par égard pour les ignorants et les idiots, car c’est ainsi qu’il appelait poliment, et d’après le grec, ceux qui ne savaient que leur langue. Vaugelas faisait le plus grand cas, au contraire, de ces idiots, c’est-à-dire de ceux qui étaient nourris de nos idiotismes, des courtisans polis et des femmelettes de son siècle, comme les appelait Courier; il imitait en cela Cicéron qui, dans ses doutes sur la langue, consultait sa femme et sa fille, de préférence à Hortensius et aux autres savants. Moins on a étudié, et plus on va droit dans ces choses de l’usage: on se laisse aller, sans se roidir, au fil du courant.

«Pour moi, disait Vaugelas, je révère la vénérable antiquité et les sentiments des doctes; mais, d’autre part, je ne puis que je ne me rende à cette raison invincible, qui veut que chaque langue soit maîtresse chez soi, surtout dans un empire florissant et une monarchie prédominante et auguste comme est celle de la France[9]

[9] Nouveaux Lundis, t. VI, p. 372.

Et en effet, si l’on examine l’écriture des mots qui figurent dans cette première édition, en la comparant à celle des Cahiers de Remarques sur l’orthographe françoise pour estre examinez par chacun de Messieurs de l’Académie[10], on voit que la compagnie, en les écrivant plus simplement, montrait déjà plus de réserve et de discernement dans l’emploi des formes étymologiques que ne l’avait fait le secrétaire perpétuel Regnier des Marais dans les Cahiers préparatoires dont il fut l’un des principaux rédacteurs.

[10] Tels que appast, charactere, chameleon, espleuré, écrit ensuite par l’Académie espleuré et esploré, puis éploré, estester (étêter), despourveüe, desgaisner, despescher, desvoyement, phanatique, pyrate, allité, desboesté, que l’Académie écrivit d’abord déboisté, puis déboîté dans la troisième édition.

L’influence de Regnier des Marais «qui avoit employé à cet édifice (la grammaire ordonnée par la compagnie) cinquante ans de reflexions sur nôtre langue, la connoissance des langues voisines et trente quatre ans d’assiduité dans les assemblées de l’Académie, où il avoit presque toûjours tenu la plume»[11], devait naturellement prédominer dans la rédaction du Dictionnaire. Une volonté aussi persévérante, le service réel qu’il rendait en se chargeant de la rédaction difficile de la grammaire dont la société lui avait confié le soin, finirent par l’emporter sur les opinions contraires et les scrupules de ses illustres confrères, parmi lesquels nous voyons Dangeau et d’Ablancourt protester par leurs écrits en adoptant un système entièrement opposé. D’autres membres de l’Académie, tels que Corneille, Bossuet, montrent aussi par leur écriture conservée dans leurs manuscrits qu’ils auraient préféré une orthographe plus simple et plus rapprochée de la forme française. (Voir l’Appendice E.)

[11] Le P. Buffier, dans les Mémoires de Trévoux, t. XXI, p. 1642.

Le courant de la latinité prédomina donc, et l’Académie, pour élever son grand monument littéraire, crut même devoir se conformer à l’exemple donné par les érudits, en adoptant, pour le classement des mots du Dictionnaire, l’ordre savant mais peu pratique dont Robert et Henri Estienne offraient le modèle dans leurs Trésors de la langue latine et de la langue grecque. Les mots rangés, non selon l’ordre alphabétique, mais par familles, furent groupés autour de la racine[12].

[12] A cette édition en deux volumes datée de 1694 se trouvent joints deux autres volumes, même format et même caractère, portant la même date 1694, sous ce titre:

Le Dictionnaire des arts et des sciences, par M. D. C. de l’Académie françoise; tome troisième et tome quatrième, chez la veuve Coignard et Baptiste Coignard.

Le privilége, daté du 7 septembre 1694, est concédé au sieur D. C. de l’Académie française (et rétrocédé par lui à la veuve Coignard et à son fils J.-Baptiste Coignard). On lit au bas: le Dictionnaire a été achevé d’imprimer le 11 septembre 1694. Quant à l’orthographe, c’est la même que celle du Dictionnaire de l’Académie françoise. Elle est encore plus étymologique. Ainsi on y lit phrénésie, phthisie.

La rédaction principale est attribuée à Thomas Corneille. Mais pourquoi le titre porte-t-il par M. D. C. de l’Académie françoise? Je ne vois aucun de ses membres à qui cette indication puisse convenir parmi les noms de ceux qui figurent dans la liste des académiciens placés au commencement du Dictionnaire de l’Académie de 1694. On y lit: «Thomas Corneille receu en 1635 à la place de Pierre Corneille son frère, qui avoit succédé à François Maynard.» D’où peut donc provenir ce D. placé avant l’initiale C. et qui figure aussi au privilége?

DEUXIÈME ÉDITION.

Mais bientôt l’Académie, reconnaissant que l’utilité pratique était préférable, renonça, dans sa SECONDE édition, en 1718, à ce classement pour revenir à l’ordre alphabétique, moins rationnel sans doute, mais plus pratique. C’est ce qu’elle annonçait ainsi dans sa préface:

«La forme en fut si différente, que l’Académie donna plutôt un Dictionnaire nouveau qu’une nouvelle édition de l’ancien. L’ordre étymologique, qui dans la spéculation avoit paru le plus convenable, s’étant trouvé très-incommode, dut être remplacé par l’ordre alphabétique, en sorte qu’il n’y eût plus aucun mot que, dans cette seconde édition, on ne pût trouver d’abord et sans peine.»

L’Académie, sans se borner à ce grand changement, matériel, il est vrai, mais si utile, donna à cette seconde édition un caractère tout particulier en l’enrichissant d’un grand nombre de termes d’art et de sciences dont l’usage avait pénétré dans la société. Elle s’appliqua aussi à rectifier et éclaircir les définitions et compléter les acceptions et significations diverses des mots. Le simple mot bon, par exemple, reçut soixante-quatorze significations toutes différentes.

«On ne doit donc pas s’estonner, dit la préface, que ce travail, qui a changé toute la forme du Dictionnaire, ait occupé durant tant d’années les séances de l’Académie, et quant à l’orthographe, l’Académie, dans cette nouvelle édition, comme dans la précédente, a suivi en beaucoup de mots l’ancienne maniere d’escrire, mais sans prendre aucun parti dans la dispute qui dure depuis si longtemps sur cette matière.»

Elle autorisa même, en quelque sorte, la liberté du choix entre l’ancienne et la nouvelle.

Si elle ne supprima pas l’s dans la foule de mots où cette lettre ne se prononce pas, du moins elle prit soin d’indiquer le cas où le son s’en est conservé. Cette différence se trouve donc indiquée dans hospice, hospitalité, où s se prononce, et hoste, hostel, où l’s ne se prononce pas, et également dans christianisme et chrestienté. Elle modifia l’écriture de quelques mots, tels que éploré, au lieu de esploré et espleuré; elle écrivit noircissure et non noircisseure, et sirop, au lieu de syrop, etc., et, en écrivant encore yvroye, elle nota que quelques-uns prononçaient yvraye. Mais déjà bien des tentatives avaient été faites ailleurs, même par des académiciens, en vue d’une réforme, et leur influence ne devait pas tarder à se faire sentir dans le Dictionnaire même.

TROISIÈME ÉDITION.

C’est dans sa TROISIÈME édition, en 1740, que l’Académie, cédant aux vœux manifestés dès le XVIe siècle par tant de philologues, de savants, d’académiciens même, et répétés par des voix autorisées, supprima des milliers de lettres devenues parasites, sans craindre d’effacer ainsi leur origine étymologique: les s, les d disparurent dans la plupart des mots dérivés du latin. Elle n’écrivit plus accroistre, advocat, albastre, apostre, aspre, tousjours, non plus que bast, bastard, bestise, chrestien, chasteau, connoistre, giste, isle[13]. Les y non étymologiques furent remplacés par des i; elle n’écrivit plus cecy, celuy-cy, toy, moy, gay, gayeté, joye, derniers vestiges de l’écriture et des impressions des XVe et XVIe siècles, mais ceci, celui-ci, toi, moi, gai, gaieté, joie, etc. L’y et l’s du radical grec et latin furent même supprimés; ainsi abysme (ἄβυσσος, abyssus) fut écrit abyme, et plus tard abîme; eschole, escholier, écrits dans la première édition escole, escolier, devinrent dans celle-ci école, écolier, yvroye devient ivroye, ensuite ivroie, puis ivraie; de même que subject devint successivement subjet, puis dans sa forme définitive sujet, et Françoys, François, puis Français.

[13] Il nous reste encore, échappés à la réforme de 1740, les mots baptême, Baptiste, dompter, condamner. Bossuet écrit toujours condanner, domter.

Elle supprima aussi le c d’origine latine dans bienfaicteur et bienfaictrice, et le ç dans sçavoir, sçavant, l’e dans le mot insceu[14], impreveu, indeu, salisseure, souilleure, alleure, beuveur, creu, deu, et grand nombre d’autres; vuide, nopce, nud, furent abrégés; le c et l’e disparurent dans picqueure (piqûre); enfin l’Académie remplaça un grand nombre de th et de ph par t et par f, et, contrairement à la première et à la seconde édition, elle retrancha le t final au pluriel des substantifs se terminant par t au singulier; elle écrivit donc les parens, les élémens, les enfans, etc., au lieu de les parents, les éléments, les enfants, etc. On ne voit pas pourquoi elle écrivit flatterie par deux t contrairement aux deux premières éditions et à la manière d’écrire de Bossuet et de Fénelon et même aux Cahiers pour l’Académie.

[14] Voici les variations d’orthographe de ce mot: 1re édition, insçeu, 2e édit., insceu, 3e édit., insçu, 4e édit., insçu, 6e édit., insu.

L’abbé d’Olivet, à qui l’Académie confia ce travail, l’exécuta conformément à ce qu’elle avait déclaré dans la préface: «qu’on travailleroit à ôter toutes les superfluités qui pourroient être retranchées sans conséquence», et il remarque «qu’en cela, le public étoit allé plus vite et plus loin qu’elle.»

J’ai fait le relevé comparatif de ces suppressions de lettres: sur les 18,000 mots[15] que contenait la première édition du Dictionnaire de l’Académie, près de 5,000 furent modifiés par ces changements.

[15] La table de l’édition de 1694 contient 20,000 mots; mais 2,000 mots se composent de participes ou de locutions adverbiales.

Malgré l’importance de ces réformes, on regrette que l’Académie n’ait pas fait encore plus, puisqu’elle constate qu’en cela le public était allé plus loin et plus vite qu’elle[16]; mais d’Olivet, qui reconnaît «n’avoir pu établir partout l’uniformité qu’il aurait désirée,» fut sans doute retenu par la crainte de contrarier trop subitement les habitudes. Il suffisait pour cette fois d’ouvrir la voie dans laquelle l’Académie continue d’âge en âge à perfectionner l’orthographe.

[16] Histoire de l’Académie françoise, par d’Olivet. C’est dans la Correspondance inédite, adressée au président Bouhier (Lettre du 1er janvier 1736), qu’on trouve ces curieux détails:

«A propos de l’Académie, il y a six mois que l’on délibère sur l’orthographe; car la volonté de la compagnie est de renoncer, dans la nouvelle édition de son Dictionnaire, à l’orthographe suivie dans les éditions précédentes, la première et la deuxième; mais le moyen de parvenir à quelque espèce d’uniformité? Nos délibérations, depuis six mois, n’ont servi qu’à faire voir qu’il étoit impossible que rien de systématique partît d’une compagnie. Enfin, comme il est temps de se mettre à imprimer, l’Académie se détermina hier à me nommer seul plénipotenciaire à cet égard. Je n’aime point cette besogne, mais il faut bien s’y résoudre, car, sans cela, nous aurions vu arriver, non pas les calendes de janvier 1736, mais celles de 1836, avant que la compagnie eût pu se trouver d’accord.»

Dans sa lettre du 8 avril 1736 il écrit: «Coignard a, depuis six semaines, la lettre A, mais ce qui fait qu’il n’a pas encore commencé à imprimer, c’est qu’il n’avoit pas pris la précaution de faire fondre des É accentués, et il en faudra beaucoup, parce qu’en beaucoup de mots nous avons supprimé les S de l’ancienne orthographe, comme dans despescher, que nous allons écrire dépêcher, tête, mâle, etc.»

QUATRIÈME ÉDITION.

Cette édition, qui parut en 1762, se distingue particulièrement par l’addition d’un grand nombre de termes élémentaires consacrés aux sciences et aux arts; par la séparation de l’I voyelle de la consonne J et celle de la voyelle U de la consonne V, d’après l’exemple qu’en avait donné la Hollande; par la simplification de l’orthographe d’un grand nombre de mots au moyen de la suppression de lettres inutiles, et par diverses rectifications.

L’Académie expose ainsi ce qu’elle a fait:

«Les sciences et les arts ayant été cultivés et plus répandus depuis un siècle qu’ils ne l’étoient auparavant, il est ordinaire d’écrire en françois sur ces matières. En conséquence, plusieurs termes qui leur sont propres, et qui n’étoient autrefois connus que d’un petit nombre de personnes, ont passé dans la langue commune. Auroit-il été raisonnable de refuser place dans notre Dictionnaire à des mots qui sont aujourd’hui d’un usage presque général? Nous avons donc cru devoir admettre dans cette édition les termes élémentaires des sciences, des arts, et même ceux des métiers, qu’un homme de lettres est dans le cas de trouver dans des ouvrages où l’on ne traite pas expressément des matières auxquelles ces termes appartiennent.

..... «L’Académie a fait dans cette édition un changement assez considérable, que les gens de lettres demandent depuis long-temps. On a séparé la voyelle I de la consonne J, la voyelle U de la consonne V, en donnant à ces consonnes leur véritable appellation; de manière que ces quatre lettres, qui ne formoient que deux classes dans les éditions précédentes, en forment quatre dans celle-ci; et que le nombre des lettres de l’alphabet, qui étoit de vingt-trois, est aujourd’hui de vingt-cinq. Si le même ordre n’a pas été suivi dans l’orthographe particulière de chaque mot, c’est qu’une régularité plus scrupuleuse auroit pu embarrasser quelques lecteurs, qui, ne trouvant pas les mots où l’habitude les auroit fait chercher, auroient supposé des omissions. On est obligé de faire avec ménagement les réformes les plus raisonnables.

..... «Nous avons supprimé dans plusieurs mots les lettres doubles qui ne se prononcent point. Nous avons ôté les lettres, b, d, h, s, qui étoient inutiles. Dans les mots où la lettre s marquoit l’allongement de la syllabe, nous l’avons remplacée par un accent circonflexe. Nous avons encore mis, comme dans l’édition précédente, un i simple à la place de l’y partout où il ne tient pas la place d’un double i, ou ne sert pas à conserver la trace de l’étymologie. Ainsi nous écrivons foi, loi, roi, etc., avec un i simple; royaume, moyen, voyez, etc., avec un y, qui tient la place du double i; physique, synode, etc., avec un y qui ne sert qu’à marquer l’étymologie. Si l’on ne trouve pas une entière uniformité dans ces retranchemens, si nous avons laissé dans quelques mots la lettre superflue que nous avons ôtée dans d’autres, c’est que l’usage le plus commun ne nous permettoit pas de la supprimer.»

L’Académie crut cependant devoir abandonner dans quelques mots usuels l’y étymologique qu’elle remplaça par l’i, et, comme elle l’avait fait dès sa première édition pour cristal, cristalliser, cristallin, etc., elle supprima l’y à chimie, chimique, chimiste, alchimie, alchimiste, qui, dans la précédente, étaient écrits chymie, chymique, chymiste, alchymie, alchymiste; l’y dans absinthe et yvroie fut avec toute raison remplacé par l’i. L’Académie supprima aussi, dans un grand nombre de mots, les th, les ph, les ch, et adopta détrôner, scolarité, scolastique, scolie, scrofule et scrofuleux, pascal[17], patriarcal, patriarcat, flegme, flegmatique, que la troisième édition écrivait encore déthrôner, scholarité, scholastique, scholie, paschal, partriarchal, patriarchat, phlegme, phlegmatique.

[17] On a donc lieu de s’étonner de voir l’h conservé dans anachorète, catéchumène (bien qu’à toutes les éditions antérieures de l’Académie prévienne, de même qu’elle le faisait pour paschal et patriarchal, que l’h ne se prononce pas).

Ces mots flegme, flegmatique, écrits sans ph, furent donc ajoutés dans cette quatrième édition à ceux de fantôme, frénétique, etc., ainsi écrits dans la troisième édition, après avoir d’abord figuré avec ph, dans la première édition. L’Académie supprima quelques lettres doubles, comme dans les mots agrafe, agrafer, argile, éclore, poupe, etc., au lieu d’agraffe, agraffer, argille, éclorre, pouppe; et, parmi quelques autres changements, je remarque qu’au lieu de coeffe, coeffer, coeffeur, elle écrit coiffe, coiffer, coiffeur; genou, au lieu de genouil; anicroche, au lieu de hanicroche; rez de chaussée, au lieu de raiz de chaussée; spatule, au lieu de espatule, qu’elle aurait même dû écrire spathule, puisque ce mot vient de σπάθη; mais alors on tenait moins compte de l’étymologie.

Profitant un peu tard des réflexions de Messieurs de Port-Royal (Arnauld et Lancelot), qui, dans leur Grammaire, avaient condamné avec raison la vicieuse épellation:

, , , é, effe, , ache, ji, elle, emme, enne, erre, esse, , ixe, zedde,

l’Académie, après avoir suivi dans cette quatrième édition cet ancien mode d’épellation pour les premières lettres, se ravisant ensuite, l’indique ainsi:

fe, ge, he, je, le, me, ne, re, se, ve, xe, ze.

Cette méthode, qui n’est mise en pratique que depuis peu de temps, rend l’épellation un peu moins difficile; et, en effet, bien que nous ayons, et avec tant de peine! appris à lire, prononcerions-nous sans hésiter les mots qu’on nous a fait ainsi épeler:

erre   e   pé   u   té   a   té   i   o   enne réputation
a   i   elle   elle   e   u   erre   esse ailleurs
dé   a   u   pé   ache   i   enne dauphin
qu   u   i   cé   o   enne   qu   u   e quiconque
pé   ache   a   esse   e phase

Dans cette quatrième édition, la suppression du t final au pluriel des mots (substantifs ou adjectifs) terminés en ant et ent fut maintenue, et l’Académie continua à écrire, contrairement aux deux premières éditions: les enfans, les passans, les élémens, les parens.

C’est aussi dans cette édition que l’Académie indiqua, d’une manière bien plus complète qu’elle ne l’avait fait dans la précédente, l’orthographe des temps des verbes dont elle donna le modèle de conjugaison; ainsi au mot voir on lit: je VOI ou je VOIS, il voit, nous voyons, vous voyez, ils voyent; je voyois, etc. Il est regrettable que l’indication de cette double forme de la première personne du présent de l’indicatif ne se trouve pas reproduite dans le Dictionnaire aux autres mots, tenir, venir, vaincre, connaître, etc., ce qui aurait laissé aux poëtes la liberté d’employer l’une ou l’autre forme, comme l’a fait si souvent Corneille pour je tien, je vien, je voi, je vinc, je cognoi[18]. Cette orthographe, conforme à la conjugaison latine, video, -es, -et, permet de distinguer la première personne de la deuxième du présent de l’indicatif, je vien, tu viens, il vient, et cela d’accord avec le vieux français et les anciennes grammaires françaises, celles des Estienne entre autres, où l’s n’existe pas à la première personne du singulier du présent de l’indicatif de nos verbes.

[18] On en trouve des exemples dans La Fontaine, Racine, Molière et même dans Voltaire:

La mort a respecté ces jours que je te doi,
Pour me donner le temps de m’acquitter vers toi.
(Alzire, II, 2.)

Je trouve aussi quelquefois dans sa correspondance pui-je.

CINQUIÈME ÉDITION.

Publiée en dehors du concours de l’Académie, l’édition citée quelquefois comme la cinquième n’a point été cependant reconnue officiellement. Et, en effet, bien que le titre porte: Dictionnaire de l’Académie françoise, revu, corrigé et augmenté par l’Académie elle-même, cette CINQUIÈME édition ne fut point donnée par l’Académie; elle ne parut qu’en vertu d’une LOI datée du premier jour complémentaire de l’an III de la République françoise (1795), portant que: l’Exemplaire du Dictionnaire de l’Académie françoise, chargé de notes marginales, sera publié par les libraires Smith, Maradan et compagnie.

Et l’article III porte: «Lesdits libraires prendront avec les Gens-de-Lettres de leur choix les arrangements nécessaires pour que le travail soit continué et achevé sans délai[19]

[19] Garat, dans la préface dont il fut le rédacteur, dit: «Il y avoit trois Académies à Paris: l’une consacrée aux Sciences; l’autre aux recherches sur l’Antiquité; la troisième à la Langue Françoise et au Goût. Toutes les trois ont été accusées d’aristocratie, et détruites comme des institutions royales nécessairement dévouées à la puissance de leurs fondateurs.»

Dans quelle proportion les notes marginales, œuvre de l’Académie, figuraient-elles dans cette révision, on l’ignore; l’exemplaire original n’a pas été conservé, mais la majeure partie des additions sont dues à Selis et à l’abbé de Vauxelles, auxquels fut adjoint un correcteur habile, Gence.

Cette édition parut en 1795: elle fut donc revue et imprimée en trois ans.

On aurait pu croire qu’à cette époque, où l’Académie par son absence laissait toute liberté aux améliorations orthographiques, les concessionnaires en auraient largement profité en vue de faciliter l’éducation publique; mais, par ces changements trop apparents, le prestige attaché au nom de Dictionnaire de l’Académie eût été amoindri; et comme cette entreprise faite sans son aveu avait en vue plutôt un but commercial que littéraire, les éditeurs, pour mieux lui conserver son caractère, crurent devoir ne rien innover, et rejetèrent à la fin en appendice «les mots ajoutés à la langue par la Révolution et la République». Je ne vois donc, quant à l’orthographe, que quelques mots, tels qu’analise, analiser, analitique, où l’y ait été remplacé par l’i, et dès lors l’imprimerie adopta cette orthographe; mais du moment où l’y fut rétabli par l’Académie dans sa sixième édition, il reparut dans toutes les impressions, de même qu’il disparaîtra, si l’Académie croit devoir lui substituer l’i dans l’édition qu’elle prépare.

SIXIÈME ÉDITION.

Dans sa SIXIÈME édition, publiée en 1835, l’Académie, se déjugeant elle-même, ne sanctionna plus la suppression du t final au pluriel des mots dont le singulier se terminait en ant et en ent, et, après une discussion approfondie, elle crut devoir rétablir au pluriel le t à tous les mots d’où elle l’avait fait disparaître dans les deux précédentes éditions. En écrivant dès lors amants, éléments, parents, passants, et non amans, élémens, parens, passans, toute confusion avec l’écriture des mots dont le singulier est en an, comme artisans, charlatans, paysans, passans, etc., cessait, et l’orthographe des féminins pluriels paysannes et amantes ne pouvait offrir d’équivoque. Tronquer ainsi au pluriel la finale du singulier, c’était contrevenir à la règle grammaticale qui forme le pluriel par l’addition de l’s.

Malgré le besoin de simplifier l’écriture, ce retour à un ancien principe, qui nécessitait cependant une addition considérable de lettres, fut accepté, bien qu’il contrariât les habitudes déjà prises: il était logique. Toutefois je dois dire que quelques auteurs et imprimeurs maintiennent encore la suppression du t; tant on a de peine à ajouter des lettres, tant la tendance à les supprimer est caractéristique.

C’est dans cette sixième édition qu’une innovation importante fut enfin admise par l’Académie: la substitution de l’a à l’o dans tous les mots où l’o se prononçait a. L’Académie suivit en cela l’exemple donné par Voltaire[20]. Cette modification, qui s’étendit sur un grand nombre de mots, fut accueillie du public avec reconnaissance, malgré l’opposition opiniâtre de Chateaubriand, de Nodier et de quelques académiciens. Maintenant que cette orthographe a prévalu, oserait-on écrire ou même regretter j’aimois, il étoit, qu’il paroisse?

[20] Corneille faisait rimer cognoistre, connoître, reconnoistre, reconnoître, avec naître, renaître, traître, et paroistre avec estre. Vingt-six ans avant l’apparition du Dictionnaire de l’Académie, on lit dans la première édition de l’Andromaque de Racine, acte III, sc. I, ces vers:

M’en croirez-vous? lassé de ses trompeurs attraits,
Au lieu de l’enlever, Seigneur, ie la fuirais,

où l’o est remplacé par l’a dans fuirais, innovation à laquelle Racine crut devoir renoncer, puisque, sept ans plus tard (en 1675), il corrigeait ainsi ce vers, pour se conformer à l’usage:

Au lieu de l’enlever, fuyez-la pour jamais.

Les améliorations dans cette édition ne se bornèrent pas à ces deux grands changements dans l’orthographe; l’uniformité de la prononciation depuis un siècle permit de régulariser en grande partie l’emploi des accents et de supprimer beaucoup de lettres effacées dans la prononciation; l’écriture des dérivés devint plus conforme à celle de leurs simples[21]; enfin l’Académie, en réunissant, par l’introduction des tirets ou traits d’union, les mots ou locutions adverbiales, tenta de remédier à l’inconvénient de laisser séparés des mots qui, lorsqu’ils sont isolés, offrent un sens tout autre que celui qu’ils acquièrent par leur union.

[21] Psaume au lieu de pseaume, incongrûment au lieu d’incongruement, dégrafer au lieu de dégraffer, et souvent et par une fâcheuse rectification, charriage, charrier et charrette, qui, dans les précédentes éditions, s’écrivaient chariage et charier, comme chariot, etc.

Mais, durant les soixante-treize années d’intervalle entre la quatrième et la sixième édition, que de changements opérés en France! Un nouvel ordre de choses était né, et, pour refléter les passions de la tribune et de la presse, le langage avait vu son domaine s’accroître de locutions inconnues aux grands auteurs du XVIIe siècle, à Rousseau, à Voltaire lui-même. En législation, en économie sociale, en administration, tout était transformé, et, dans l’ordre matériel, de grands progrès s’étaient accomplis. Chaque mot concernant la jurisprudence, la politique, les sciences et les arts, exigeait une révision scrupuleuse ou un examen attentif. L’Académie ne devait donc admettre qu’avec prudence et après de longues discussions des néologismes qui pouvaient n’être qu’éphémères. Sous la direction successive des secrétaires perpétuels, MM. Raynouard, Auger, Andrieux, Arnault, Villemain, fut accompli ce grand travail, qui ne dura pas moins de quinze années.

On ne s’en étonnera pas, si l’on songe aux difficultés que présentait la définition de certains mots, tels que Liberté, Droit, Constitution, qui chacun ont occupé quelquefois toute une séance de l’Académie entière, devant laquelle chaque mot, rédigé d’abord par une commission nommée dans son sein, était discuté ensuite, entre MM. de Pastoret, Dupin, Royer-Collard, de Ségur, Daru, etc., pour tout ce qui concerne la jurisprudence ou la législation, l’administration ou la diplomatie;

Andrieux, Villemain, de Féletz, Campenon, Lacretelle, Étienne, Arnault, etc., pour tout ce qui tient à la grammaire et à la délicatesse de la langue;

Cuvier, Raynouard, de Tracy, Cousin, Droz, etc., pour toutes les matières de science, d’érudition et de philosophie.

Indépendamment des ressources que lui offrait la variété des connaissances de tant d’hommes supérieurs, l’Académie eut souvent recours aux membres les plus distingués des autres Académies, tels que Biot, Fourier, Thenard, Arago, pour la révision d’articles qui sortaient de ses attributions spéciales.

Mais ce mouvement général des esprits eut une influence très-marquée et, on peut le dire, regrettable sur l’orthographe et l’intégrité même du français. Dans les sciences d’observation, physique, chimie, botanique, zoologie, nosologie, tout était renouvelé; leur classification et leur nombreuse nomenclature exigeaient un accroissement et une création de termes nouveaux, pour lesquels la littérature grecque offrait, dans son vaste domaine scientifique, une mine inépuisable. Ce fut donc à la langue grecque, dont la flexibilité et la richesse se prêtaient si bien à la composition des mots destinés à exprimer ces nouveaux besoins, que l’on dut naturellement recourir pour forger et souder cette multitude de termes spéciaux. Par ce moyen, une définition qui eût exigé en français une longue périphrase trouvait concentrée en un seul mot; mais, comme ces composés n’étaient intelligibles qu’à ceux qui savaient le grec, ils défrancisaient notre langue.

Sous l’impression de cet envahissement archéologique, l’Académie, dans sa sixième édition, eut un moment d’hésitation, et tenta même, pour trois ou quatre mots d’origine grecque, déjà surchargé de consonnes, d’y ajouter encore une h: rythme devint rhythme, aphte devint aphthe, phtisie devint phthisie, et diphtongue (que Corneille et l’Académie elle-même écrivaient toujours ainsi) devint diphthongue; synecdoque, ainsi écrit dans la quatrième édition, devint synecdoche. Cet essai malheureux, qui partait d’un principe contraire au génie de notre langue, fut généralement réprouvé, et ne servit qu’à mieux démontrer la tendance de l’écriture française, du moins pour les mots usuels, à se rapprocher des formes de notre ancienne langue, antipathique à l’appareil scientifique des ph et des th.

Une distinction devrait donc s’établir entre les termes d’un ordre purement scientifique, qui, par leur nature même, conviennent à des ouvrages spéciaux[22], et les mots qui, quoique savants, sont indispensables à la langue usuelle dont ils font partie. Tout en éloignant l’idée de rien changer à la nomenclature purement scientifique (excepté le ph qui serait si bien remplacé par notre f), et en reconnaissant l’utilité des composés grecs où se complaisent les adeptes, on désirerait que, du moment où un mot a servi comme une monnaie nationale à la circulation journalière, il n’apparût au Dictionnaire de l’Académie que revêtu de notre costume: l’Usage, en lui donnant le droit de cité, l’a rendu français.

[22] Tel est le Dictionnaire de Nysten, continué par MM. Littré et Robin. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les mots qui le composent pour reconnaître qu’ils n’ont rien de français.

Après avoir successivement supprimé dans un si grand nombre de mots les lettres étymologiques et introduit d’importantes modifications dans les signes orthographiques, l’Académie jugera peut-être le moment venu d’imiter (et sa tâche serait bien moindre) l’exemple que ses prédécesseurs lui ont donné, surtout dans leur troisième édition. La liste des mots où pourraient s’opérer ces modifications n’est point aussi considérable qu’on serait tenté de le croire.

L’usage si fréquent que j’ai dû faire, et que j’ai vu faire sous mes yeux, dans ma longue carrière typographique, du Dictionnaire de l’Académie, m’a permis d’apprécier quels sont les points qui peuvent offrir le plus de difficultés. J’ai cru de mon devoir de les signaler.

L’Académie rendrait donc un grand service, aussi bien au public lettré qu’à la multitude et aux étrangers, en continuant en 1868 l’œuvre si hardiment commencée par elle en 1740 et qu’elle a poursuivie en 1762 et en 1835. Il suffirait, d’après le même système et dans les proportions que l’Académie jugera convenables:

  • 1o De régulariser l’orthographe étymologique de la lettre χ, ch; et de substituer aux θ, th, et φ, ph, nos lettres françaises dans les mots les plus usuels; d’ôter l’h à quelques mots où il est resté pour figurer l’esprit rude (῾);
  • 2o De supprimer, conformément à ses précédents, quelques lettres doubles qui ne se prononcent pas;
  • 3o De simplifier l’orthographe des noms composés, en les réunissant le plus possible en un seul mot;
  • 4o De régulariser la désinence orthographique des mots terminés en ant et ent;
  • 5o De distinguer, par une légère modification (la cédille placée sous le t), des mots terminés en tie et tion, qui se prononcent tantôt avec le son du t et tantôt avec le son de l’s;
  • 6o De remplacer, dans certains mots, l’y par l’i;
  • 7o De donner une application spéciale aux deux formes ɡ et g au cas où le j, dont le son est celui du g doux, ne serait pas préférable;
  • 8o De substituer l’s à l’x, comme marque du pluriel à certains mots, comme elle l’a fait pour lois, au lieu de loix (lex, la loi, leges, les lois).

Parmi ces principales modifications généralement réclamées, l’Académie adoptera celles qu’elle jugera le plus importantes et le plus opportunes. Quant à celles qu’elle croira devoir ajourner, il suffirait, ainsi qu’elle l’a fait quelquefois dans la sixième édition, et conformément à l’avis de ses Cahiers de 1694[23], d’ouvrir la voie à leur adoption future au moyen de la formule: Quelques-uns écrivent...; ou en se servant de cette autre locution: On pourrait écrire... Par cette simple indication, chacun ne se croirait pas irrévocablement enchaîné, et pourrait tenter quelques modifications dans l’écriture et dans l’impression des livres.

[23] Voyez l’Appendice A.

Voici ce qui est dit en tête même des Cahiers de remarques sur l’orthographe françoise pour estre examinez par chacun de Messieurs de l’Académie:

«La premiere observation que la Compagnie a creu devoir faire, est que, dans la langue françoise, comme dans la pluspart des autres, l’orthographe n’est pas tellement fixe et determinée qu’il n’y ait plusieurs mots qui se peuvent escrire de deux differentes manieres, qui sont toutes deux esgalement bonnes, et quelquefois aussi il y en a une des deux qui n’est pas si usitée que l’autre, mais qui ne doit pas estre condamnée[24].»

[24] Soit donc que l’Académie écrive orthographe et même ortografie, ortographe ou ortografe, elle pourrait ajouter: [On a écrit aussi ortographie.] Dans le Dictionnaire de Nicod (Paris, 1614, in-4o), on ne trouve point orthographe, mais ortographie, conformément à Du Bellay, qu’il cite pour autorité.

Les changements, lorsqu’ils s’introduisent successivement dans l’orthographe, ne sauraient causer un grave préjudice aux éditions récentes. Ces modifications passent inaperçues d’une partie du public et se perdent dans la masse. On peut d’ailleurs en juger par la comparaison de l’orthographe des textes originaux de nos écrivains dits classiques avec celle de leurs éditions récentes: modifiée du vivant même de l’auteur et plus tard par les progrès successifs de l’écriture académique, elle diffère sensiblement de l’impression primitive. Aucun trouble cependant n’en est résulté dans les habitudes, et nous lisons sans difficulté nos grands écrivains du dix-septième siècle dans leurs éditions originales. Leur antiquité leur prête même un charme de plus.

Toute innovation, sans doute, surprend et paraît même chocante au premier abord; mais, une fois introduite, elle devient aussitôt familière. C’est une véritable conquête qui, dès lors et d’un consentement unanime, fait partie du domaine public.

Et, en effet, qui voudrait aujourd’hui écrire, conformément au Dictionnaire de 1694: adveu, advoué, abysmer, aisné, autheur, bienfacteur, connoistre[25], chresme, desgoustant, escrousté, feslé, horsmis, yvroye, phantosme, phlegme, etc.; ou bien encore: costeau, deschaisnement, déthroner, entesté, eschole, espy, gayeté, giste, mechanique, monachal, noircisseure, ostage, ptisanne, saoul, thresorier, stomachal[26], je sçay, vuide, vuider, etc.?

[25]

congnoistre, Manuscrits de l’Hospital et autres.
cognoistre, Dict. de Robert Estienne, 1540.
connoistre, 1re édit. du Dict. 1694.
connoistre, 2e édit. du Dict. 1718.
connoître, 3e édit. du Dict. 1740.
connoître, 4e édit. du Dict. 1762.
connaître, 6e édit. du Dict. 1835.

On propose d’écrire, dans la nouvelle édition, conformément à la prononciation, conaître avec un seul n, et l’on devrait même écrire conètre, ce qui distinguerait, d’accord avec l’étymologie, naître, venant de nasci (nascerunt ou nascêre) de conètre qui vient de noscere. Ainsi, sur dix lettres, trois, auraient successivement disparu sans le moindre inconvénient. Dans un manuscrit inédit du chancelier Michel de l’Hospital, que je possède, je lis même ce mot, écrit partout avec un n de plus, congnoissance. C’est ainsi que d’eschole on a fait définitivement école, en supprimant deux lettres en ce mot seul qui en avait sept. Il en est de même de espy, desgoustant, estesté, qui sont devenus épi, dégoûtant, étêté, etc. On pourrait même quelquefois, en se rapprochant de l’origine latine, simplifier l’orthographe de certains mots. Ainsi, pourquoi écrire, vaincre, vainqueur, les mots vincere, victor, irrégulièrement transportés du latin? Puisque nous écrivons victorieux et invincible, écrivons vincre et vinqueur, ne fût-ce que pour conserver l’uniformité d’orthographe dans ce vers:

Ton bras est invaincu, mais non pas invincible.

[26] L’Académie écrivait, dans sa première édition, stomachal; dans la seconde, stomacal; dans la troisième, stomachal; dans la quatrième et la sixième, stomacal, qui est sa forme définitive.

Avec la deuxième édition, celle de 1718: abbatre, abestir, adjouster, advis, advoué, asne, bestise, beveue, creu, dépost, desdain, estain, estincelle, espatule, estuy, inthroniser, leveure, obmettre, pluye, pourveu, quarrure, relieure, vraysemblance, etc.?

Avec la troisième édition, celle de 1740: chymie, alchymie, chymiste, etc., frére, mére, naviger, quanquam (pour cancan), patriarchal, paschal, pseaume, quadre, quadrer, des qualitez, des airs affectez, etc.?

Avec la quatrième édition: foible, foiblesse, enfans, parens, qu’il paroisse, écrit comme la paroisse, pseaume, reconnoissance, je voulois, ils étoient (écrit auparavant estoient, puis enfin étaient)?

Dès à présent on s’étonne d’écrire avec la sixième: cuiller, roideur, roide, aphthe, phthisie, rhythme, diphthongue. Quatre consonnes de suite! l’orthographe du quinzième siècle n’en admettait que deux et écrivait diptongue, spère (sphère ou plutôt sfère), σφαίρα.

Si l’orthographe étymologique a l’avantage, bien faible à mon avis, de mettre sur la trace des racines, et d’aider parfois à deviner la signification du mot quand on possède à fond les langues anciennes, ce système qui, pour être rationnel, ne saurait admettre ni transaction ni demi-parti, sans mettre souvent en échec le savoir philologique, n’est plus, depuis 1740, un système, c’est le désordre. D’ailleurs l’étymologie n’est souvent qu’un guide peu sûr pour découvrir le sens actuel des vocables dont la signification s’est modifiée dans le cours des âges, au point de devenir méconnaissable, ainsi que M. Villemain l’a si bien démontré dans la préface du Dictionnaire de 1835.

Il ajoute même, et avec plus de force encore, cette réflexion: «La science étymologique n’est pas nécessaire pour la parfaite intelligence d’une langue arrivée à son état de perfection. L’analogie et l’étymologie peuvent bien fournir matière à quelques observations curieuses et plus souvent encore à des disputes inutiles, mais elles ne déterminent pas toujours la véritable signification d’un mot, parce qu’il ne dépend que de l’usage. Rien, en effet, n’est plus commun que de voir des mots qui passent tout entiers d’une langue dans une autre, sans rien conserver de leur première signification.»

En effet, quel avantage peut offrir à l’esprit, même pour qui sait le grec, la présence du ph ou th dans les mots de la langue usuelle, surtout quand, effacés dans certains mots, on les voit reparaître dans d’autres dérivés également du grec? La mémoire, quelque présente qu’elle soit, vient-elle jamais assez tôt aider l’intelligence pour lui indiquer le sens en français du mot primitivement grec? Prenons pour exemples les mots strophe et apostrophe: l’un et l’autre viennent de τρέπω, στρέφω], qui signifie tourner; mais, pour trouver quel rapport relie ce mot avec strophe, il faut se représenter le mouvement demi-circulaire de choristes chantant ensemble des pièces lyriques, auxquels d’autres choristes exécutant un mouvement contraire répondent par un autre chant, ce que strofe représente aussi bien que strophe. Quant à apostropher, qui dérive aussi du verbe τρέπω ou στρέφω, il faut savoir que, par cette figure de rhétorique, on doit voir le geste et l’animation de l’orateur se tournant vers la partie adverse pour l’apostropher.

Et quant à la figure de grammaire, l’apostrophe, qui dérive aussi du même verbe, je suis assez embarrassé de l’expliquer. A en juger par l’aspect qu’offre la forme demi-circulaire de ce signe (’), dont l’emploi indique l’élision, j’aimerais à y voir l’influence du verbe τρέπω, tourner, mais les savants ne sont pas d’accord à ce sujet.

Obtient-on plus de lumières quand on sait que thèse (Voltaire écrivait tèse) vient de τίθημι, placer? Par quel effort de mémoire se rappeler les détours qui rattachent ce verbe avec la thèse que soutient un candidat!

Ces curiosités offrent quelque intérêt au très-petit nombre de ceux qui se livrent à ce genre d’études, mais ces mots, qu’ils soient écrits avec ou sans th et ph, seront tout aussi bien présents à leur esprit que l’est notre vieux mot frairie, quoique écrit avec notre f et qui rappelle tout aussi bien phratria des Latins, et φράτρια des Grecs, que si on l’écrivait phrairie. Que rhétorique vienne de ρέω, couler comme de l’eau, et flegme de φλέγμα, qui signifie inflammation et pituite, c’est par des déductions bien éloignées que l’on peut s’y reconnaître. Je ne vois point quel avantage il y aurait à écrire phrénésie au lieu de frénésie, puisque l’esprit n’est en rien soulagé lorsqu’en lisant ce mot il doit se rappeler que φρήν, d’où il dérive, signifie esprit, jugement, ce qui est précisément le contraire de frénésie, frénétique[27].

[27] Φρενιτιάω, qui dérive également de φρήν, a, il est vrai, le sens que nous donnons à frénésie; mais, pour recourir même à cette origine, il faudrait écrire ce mot frénisie ou frénite, frénitique, et non frénésie, frénétique; en grec Φρενῗτις, φρενιτικός.

Ces minutieuses distinctions, du domaine de la philologie, et sujettes à des discussions interminables, maintenant surtout que les origines sanscrites sont invoquées en étymologie, doivent-elles prendre place dans l’enseignement de l’orthographe? est-ce, d’ailleurs, dans un Dictionnaire de la langue usuelle qu’elles doivent s’offrir?

La conclusion logique de tout ceci, c’est qu’il n’y a pas lieu de tenir rigoureusement compte de ce genre d’étymologie dans l’écriture, et qu’on ne doit la conserver qu’aux mots spécialement consacrés à la science et de récente formation.

Un helléniste, d’ailleurs, reconnaîtra tout aussi bien dans une orthographe française simplifiée les vestiges grecs ou latins que le fait dans sa langue un Italien ou un Espagnol. Qu’on écrive phénomène ou fénomène, fantôme ou phantôme, orthographe ou ortographe ou plutôt ortografe (et mieux encore ortografie), diphthongue ou diftongue, métempsychose ou métempsycose, ce sont toujours des mots grecs pour celui qui sait le grec: mais il s’étonnera de voir certains mots ainsi accoutrés, tandis que d’autres de même provenance ne le sont pas. Cette manière d’écrire, agréable à certains humanistes, satisfait-elle toujours un goût délicat? Molière eût-il vu avec plaisir son Misantrope et sa Psiché écrits autrement qu’il ne l’a fait dans toutes ses éditions[28]? Quant aux personnes, en si grand nombre, qui ne savent pas le grec, l’orthographe étymologique ne peut leur être d’aucun secours. Doit-on faire apprendre le grec dans les écoles primaires? Il faudrait même alors que cette étude, aussi bien que celle du latin précédât l’enseignement du français. D’ailleurs, ces mots que nous écrivons tantôt par th et ph et tantôt par t ou f, bien que tous dérivés du grec, avaient primitivement un son dès longtemps perdu et que n’a jamais connu la basse latinité d’où procède notre langue. Ainsi fameux, dérivé de φήμη, en éolien φάμα, transformé par les Latins en fama, d’où famosus, n’a pas été écrit par eux avec ph, parce que, disent les grammairiens, les mots écrits par ph se prononçaient avec une différence marquée, pour distinguer le f et le ph. Quintilien nous apprend que les Latins, en prononçant fordeum (pour hordeum) et fœdus, faisaient entendre un son doucement aspiré, mais qu’au contraire les Grecs donnaient à leur Φ une aspiration très-forte, au point que Cicéron se moquait d’un témoin qui, ayant à prononcer le nom de Fundanius, ne pouvait en proférer la première lettre[29]. Puisque nous savons qu’il a plu aux Latins d’écrire certains mots dérivés du grec les uns par ph, les autres par f (bien qu’en grec la lettre φ soit toujours la seule et la même pour tous) afin de les prononcer à leur guise, prononçons alors différemment les mots où l’on voudrait encore conserver le ph. Distinguons donc la prononciation phénomène, φαινόμενον, traduit par les Latins phænomenon, de celle de frairie, φρατρία, revêtu d’un f par les Latins (fratria), et tâchons de retrouver ce je ne sais quel pulsus palati, linguæ et labrorum dont parle Quintilien. Mais déjà nous prononçons le son f de deux manières, faible avec l’f simple dans afin et facile, forte avec la double f dans affliger et affreux. Pour être conséquents, nous devrions prononcer philosophie avec un troisième son encore plus rude. L’Académie qui, dans le cours de ses éditions, a déjà remplacé par notre f français le ph des Latins dans un si grand nombre de mots, ne devrait plus tolérer de tels contrastes.

[28] La première édition du Misantrope est de 1667; celle de Psiché, de 1671. Dans les diverses éditions des œuvres jusqu’à celle de 1739, 8 vol. in-12, donnée soixante-six ans après la mort de l’auteur, je vois ces deux comédies exactement imprimées sous ce titre, et le Théâtre-Français avait si bien conservé l’ancienne tradition que l’un de nos plus célèbres académiciens se rappelle avoir vu dans sa jeunesse, sur les affiches du Théâtre-Français, le nom du Misantrope écrit sans h. On n’a plus, malheureusement, aucun manuscrit de la main de Molière, mais on peut être assuré qu’il écrivait selon l’orthographe française.

[29] «Quin fordeum fœdusque pro aspiratione vel simili littera utentes: nam contra Græci aspirare solent, ut pro Fundanio Cicero testem, qui primam ejus litteram dicere non posset, irridet.» Instit. orat., I, 4, 14. Terentianus Maurus dit que la lettre f en latin avait un son doux et faible: «Cujus (literæ f) a græca (litera φ) recedit lenis atque hebes sonus,» p. 2401, éd. Putsch.

Priscien, p. 542, dit que dans beaucoup de mots le φ a été remplacé par le f: fama, fuga, fur (φώρ), fero, etc., et que dans d’autres on garde ph: «Hoc tamen scire debemus quod non tam fixis labris pronuntianda f, quomodo ph, atque hoc solum interest inter f et ph.» Ailleurs, p. 548, il ajoute: «Est aliqua in pronuntiatione literæ f differentia (d’avec le φ), ut ostendit ipsius palati pulsus et linguæ et labrorum.»

Pourquoi les Grecs écrivaient-ils certains mots par θ et d’autres par τ? Parce que la prononciation du θ différait sensiblement de celle du τ, et cette prononciation du θ, th, qui se conserve encore chez les Grecs, se retrouve et avec le même son dans la langue anglaise. Un Anglais prononcera donc autrement que nous authentique, épithète, mythologie, théâtre. Mais puisqu’en français le th et le t n’ont qu’un seul et même son parfaitement identique, nous devons, ainsi qu’on l’a fait pour trésor, trône, etc., écrire par un seul et même signe tous les mots qui, par un long usage, sont devenus français. En suivant cette voie, on rendra notre orthographe logique et conséquente.

La bizarrerie de notre écriture est le premier objet qui frappe les yeux aussi bien des nationaux que des étrangers; elle contredit l’esprit net, clair et logique du français que l’Académie maintient dans sa pureté par l’exactitude de ses définitions et la précision de ses exemples. L’illustre compagnie doit donc apporter le même soin à l’orthographe, qui est l’empreinte visible de notre langue transmise par tant de chefs-d’œuvre jusque dans des contrées dont nous ignorons même le nom.

Puisque pour les mots que nous empruntons aux langues vivantes, nous cherchons à franciser leur orthographe plutôt que de conserver leur figure originaire, pourquoi ne pas agir de même à l’égard des langues mortes? On s’est accordé à écrire, à la satisfaction de tous, vagon et non waggon, valse et non walse, chèque et non check, cipaye et non cipahi, contredanse et non country dance, gigue et non gig, loustic et non lustig, arpége et non arpeggio, roupie et non rupee, stuc et non stucco. De riding coat on a fait redingote, de beefstake, bifteck, qu’il serait mieux d’écrire biftec, de roast beef, rosbif; de packet boat, paquebot; de toast, tost et toster; de sauer kraut, choucroute, etc. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les mots où les th, les ph figurent aussi désagréablement dans notre système orthographique que les w et les k des Saxons et des Germains, tandis que nos mots dérivés du grec reprendraient si bien leur figure française avec des f et des t?

L’Académie, d’ailleurs, par un moyen simple et adopté aujourd’hui dans tous les dictionnaires, peut maintenir la tradition étymologique, bien plus efficacement que par la conservation accidentelle de quelques lettres qui troublent la simplicité de notre orthographe: il suffirait dans la prochaine édition de placer en regard du mot français le mot grec d’où il dérive immédiatement. Si, dans la première édition de son Dictionnaire et même dans les suivantes, l’Académie fit acte de haute sagesse en n’y faisant pas figurer les étymologies grecques et latines, attendu que la science, alors incertaine, faisait souvent fausse route, aujourd’hui les bases des étymologies sont trop assurées pour que l’addition des mots racines puisse être un sujet de controverse, étant surtout limitée aux seuls mots qui dans le Dictionnaire avaient des th et des ph.

Renchérir sur le premier Dictionnaire de l’Académie et réintégrer dans la langue française l’orthographe étymologique grecque et latine dans des milliers de mots d’où l’usage et l’Académie l’ont bannie est une impossibilité, tandis que la modification qui atteindrait les th et ph des mots de la langue usuelle qui les conservent encore ne porterait pas sur plus de deux cents mots[30].

[30] Les mots de la langue usuelle ayant un th sont au nombre d’environ soixante-dix: ceux, un peu plus nombreux, ayant un ph sont du nombre d’une centaine. Les autres, pour la plupart, sont des termes de médecine, de chirurgie ou des arts, qui s’écrivent rarement, et sont consacrés à des professions spéciales; les personnes qui les exercent en connaissent l’origine et la signification, ce qui pourrait exempter ces mots d’être revêtus d’une forme bizarre que les Grecs, amis du simple et du beau, ne reconnaîtraient pas. Les mots ichthyographie, triphthongue, apophthegme, contiennent chacun deux ou trois consonnes déplaisantes qu’ils n’ont pas en grec: ἰχθυογραφία, τρίφθογγος, ἀπόφθεγμα, etc. Toutefois, comme ces mots ne sont pas de la langue usuelle, on pourrait leur conserver leur appareil scientifique.

Je lis dans un des écrits les plus sages sur la réforme de l’orthographe le passage suivant[31]:

«Si l’on veut conserver l’étimologie, il faut remètre des consones sans valeur dans plus de dis mile mots d’où on les a banies depuis long-temps. Quelque sistême qu’on veuille adopter, il faut tâcher d’être conséquent. L’usage actuel et le sistême des étimologies sont trop souvent en contradiction pour qu’on puisse alier ensemble les principes de l’un et de l’autre. Ainsi, puisque la prononciation nous a fait abandonner l’étimologie dans une partie de nos mots, la même raison nous invite à l’abandonner dans les létres étimologiques ne se prononçant point.»

[31] De l’Orthographe, ou des moyens simples et raisonnés de diminuer les imperfections de notre orthographe, de la rendre beaucoup plus aisée, pour servir de supplément aux différentes éditions de la grammaire française de M. de Wailly (membre de l’Académie française). Paris, Barbou, 1771, in-8.

Parmi les notes que mon père avait écrites en 1820, lorsque, avec MM. Raynouard, Andrieux et quelque autres de ses amis, on discutait les principes que l’Académie croirait devoir adopter pour l’orthographe, je transcris celle-ci:

«Je crois qu’on doit chercher à mettre le plus de simplicité possible dans l’orthographe. Je sais qu’on a de la peine à abandonner la méthode qu’on a longtemps suivie et, comme le dit Horace:

....... quæ
Imberbi didicere, senes perdenda fateri;

mais l’expérience me démontre que la simplicité dans l’orthographe est nécessaire. Je suis déjà avancé en âge. Après avoir fait une étude constante de la langue française, au moment de quitter la carrière typographique, je suis las de feuilleter sans cesse des dictionnaires qui se contredisent entre eux et se contredisent eux-mêmes. J’oserai le dire, bien qu’en hésitant encore: je voudrais qu’on écrivît le mot philosophe non-seulement avec un f à la dernière syllabe, comme le proposait de Wailly, mais je mettrais ce f même à la première syllabe, comme font les Italiens et les Espagnols. Mais, dira-t-on, l’Académie française sera accusée d’ignorance. Ce ne sont point les érudits, au moins, qui l’en accuseront. Ils savent bien que ce f est le DIGAMMA ÉOLIQUE dont faisaient usage non-seulement les Éoliens et les anciens Grecs, mais les inscriptions latines et les bons écrivains latins comme Catulle, Térence, etc.[32]

«On a crié beaucoup la première fois qu’on a écrit le mot phantôme avec un digamma éolique ou f. Alors les dictionnaires modernes ont commencé à insérer ce mot fantôme à la lettre F, mais en renvoyant au mot phantôme par un ph pour la définition et les exemples; ensuite on a écrit le mot fantôme avec la définition et les exemples à la lettre F, et on a seulement inscrit le mot phantôme avec le ph en renvoyant au mot fantôme par un f; et maintenant on ne trouve plus le mot phantôme par ph dans le Dictionnaire de l’Académie.»

[32] Seulement cette lettre paraît avoir été chez les anciens le signe d’une aspiration, tandis que chez nous elle est douce et euphonique, et convient ainsi parfaitement à l’emploi qu’on lui destine.

Voltaire dans sa correspondance écrivait philosofe ou filosofe, philosofie ou filosophie, et dans son Dictionnaire philosophique faisait ranger à la lettre F l’article Philosophie; on lit en tête de cet article:

«Écrivez filosofie ou philosophie comme il vous plaira[33]

[33] C’est à la lettre F que Voltaire avait fait placer l’article Philosophe, sous ce titre: Filosofe ou PHILOSOPHE.

Les améliorations introduites dans la dernière édition du Dictionnaire de l’Académie n’eurent plus un seul contradicteur, du moment qu’elles y furent admises. Il en sera de même de toutes celles que l’Académie croira devoir approuver. Sans rien violenter, elles auront l’avantage d’épargner du temps et de la fatigue d’esprit, de rapprocher du beau et du simple les formes de notre langue, d’en rendre l’étude plus facile, enfin de se conformer aux tendances marquées par l’Académie elle-même dans les éditions successives de son Dictionnaire, tendances qui sont celles de l’esprit humain et qui datent de loin, puisque, nous dit M. Villemain, «Auguste, homme de goût, écrivain précis, et de plus empereur, ce qui donne toujours une certaine influence, jugeait que l’orthographe devait être l’image fidèle de la prononciation: Orthographiam, id est formulam rationemque scribendi, a grammaticis institutam, non adeo custodiit; ac videtur eorum potius sequi opinionem, qui perinde scribendum, ac loquamur, existiment[34]

[34] Suétone, Vie d’Auguste, LXXXVIII. Ce mot Augustus est un exemple frappant de la tendance irrésistible à l’abréviation des mots par la prononciation, puis par l’écriture: Auguste, aoust, août, est prononcé oût, et Baïf, dans son système phonétique, recourt à la ligature grecque ȣ[‡], pour figurer notre son ou.

[‡] Ligature d'un omicron ο et d'un upsilon υ. On la retrouve à la p. 200.


I
ORTHOGRAPHE ÉTYMOLOGIQUE

DE LA LETTRE χ.

Mots de la langue française où la lettre χ est figurée par C, K ou QU, et par CH.

Par c, k ou qu, l’h ayant disparu: Par ch, quoique prononcé k:
╭────────────────╮
Par ch prononcé à la manière française:
  • acariâtre
  • caméléon
  • caractère
  • Caron
  • carte
  • cartulaire
  • colère
  • colérique
  • colique
  • corde
  • cristal
  • cristalliser
  • cristallisation
  • école
  • estomac
  • estomaquer
  • exarque
  • hérésiarque
  • kilo
  • kilogramme
  • kilomètre
  • mécanique
  • mélancolie
  • mélancolique
  • métempsycose
  • monacal
  • monarque
  • monocorde
  • pancarte
  • pascal
  • patriarcal
  • patriarcat
  • Plutarque
  • scolastique
  • scoliaste
  • sépulcre
  • sépulcral
  • stomacal
  • achromatique*
  • anachorète *
  • anachronisme *
  • antechrist
  • archaïsme *
  • archange *
  • archéologie
  • archéologue
  • archétype **
  • archiépiscopal **
  • archonte *
  • autochthone *
  • bacchanale *
  • brachial *
  • catachrèse *
  • catéchumène *
  • chalcographie *
  • Chaldée
  • chaos *
  • Charybde
  • chélidoine **
  • Chersonèse
  • chirographaire **
  • chirographe **
  • chirologie **
  • chiromancie **
  • chlamyde *
  • chlore *
  • chlorure *
  • chœur
  • choléra-morbus *
  • chorée *
  • chorége *
  • choriambe *
  • choriste *
  • chorographe *
  • chorus *
  • chrême
  • chrestomathie *
  • chrétien
  • Christ
  • chromatique *
  • chrôme *
  • chronique *
  • chronologie *
  • chronomètre *
  • chrysalide *
  • chrysanthème
  • chrysocale *[35]
  • cochléaria *
  • conchyliologie **
  • drachme *
  • ecchymose
  • écho *
  • eucharistie *
  • exarchat *
  • hypochondre *
  • ichneumon *
  • ichthyologie *
  • [lichen] **
  • lithochromie *
  • malachite
  • mnémotechnie *
  • ochlocratie *
  • orchestre
  • philotechnie *
  • polytechnie *
  • psychologie *
  • pyrotechnie *
  • saccharin *
  • strychnine *
  • synchronisme *
  • synecdoche *
  • technique *
  • Achéron
  • Achille
  • alchimiste
  • anarchie
  • archée
  • archidiacre
  • archiduc
  • archimandrite
  • archipel
  • architecte
  • archives
  • archiviste
  • archivolte
  • bachique
  • béchique
  • bronchite
  • cacochyme
  • catéchisme
  • charité
  • charme
  • charte
  • chimère
  • chimie
  • chimiste
  • chirurgie
  • chirurgien
  • chyle
  • chyme
  • exarchie
  • machiner
  • monarchie
  • pachyderme
  • Psyché
  • rachitisme
  • schène
  • schisme
  • schiste
  • trochée

[35] Mot dont la formation est absurde; il eût fallu chrysoïde, χρύσου είδος, ayant l’apparence de l’or. Chrysocale qui veut dire bel or, est donc un mensonge; le vrai mot était similor, mais il indiquait trop bien la chose.

Ainsi, dans tous ces mots dérivés du grec, et qui pour la plupart sont de formation récente, on voit figurer à la première colonne: 1o ceux qui, écrits d’abord par ch, tels que charactère, charte, chorde, mélancholie, méchanique, etc., au nombre de 38, ont successivement perdu l’h et s’écrivent caractère, carte, corde, mélancolie, mécanique, etc., avec le c dur ou ses représentants alphabétiques.

2o Dans les colonnes du milieu sont rangés 72 mots écrits avec ch, dont le Dictionnaire indique, du moins pour la plupart, que ce ch doit être prononcé k.

3o Dans la quatrième colonne, qui contient 36 mots, ce même signe binaire ch se prononce pour tous à la française, CHE: alchimie, architecte, archidiacre, charité, etc.

J’ai donc marqué, à la seconde et troisième colonne, avec un * les mots qui devraient être écrits par un c, afin de les faire rentrer dans la première série; ils sont au nombre de 51, et j’ai marqué de deux ** ceux qui pourraient rentrer dans la troisième série en conservant le ch et qui dès lors se prononceraient à la française: ils sont au nombre de neuf.

En effet, à côté des mots qui, à la première colonne, ont perdu successivement le ch pour être écrits par le simple c dur: caractère, carte, colique, colère, mécanique, mélancolie, patriarcal, scolastique, sépulcre, et exarque, monarque, etc., on peut ranger sans inconvénient acromatique, anacronisme, arcaïsme, catécumène, clore, clorure, crôme, cronologie[36], psycologie, comme Victor Cousin voulut qu’on imprimât ce mot dans ses ouvrages, et non psychologie. Pourquoi écrire exarcat et asiarchat, lorsqu’on écrit exarque et patriarcat?

[36] Chronologie est souvent écrit et même imprimé sans h: cronologie, Voltaire écrit catécumène.

Et l’on peut ranger, sans le moindre inconvénient, à la troisième colonne, archétype, archiépiscopal, chélidoine, chirographaire, chirographe, chirologie, chiromancie, lichen, puisqu’on écrit et prononce alchimiste, archidiacre, archiduc, charité, catéchisme, chirurgie, chirurgien.

Il ne resterait de difficulté que pour neuf mots, antechrist, archéologue, archéologie, chœur, chrême, chrétien, ecchymose, malachite, orchestre, auxquels on peut conserver le ch en indiquant au Dictionnaire qu’il se prononce k.

Il est fâcheux que la prononciation du c étant celle de l’s devant e et i, ne permette pas d’écrire arcéologue, arcéologie, eccymose, malacite, orcestre. Mais pourquoi ne pas prononcer ARCHÉologie comme monARCHIE, ou bien écrire et prononcer ARQUÉologue, comme on écrit et prononce monARQUE, et ne pas s’en tenir à synecdoque que l’Académie elle-même autorise? On pourrait aussi employer le k, d’un si grand usage chez nos anciens poëtes et si regretté par Ronsard. Théodore de Bèze l’indiquait, pour écrire rekeil, rekeillir, etc., au lieu de recueil, recueillir, et nous l’avons admis dans l’usage ordinaire pour kilo, kilogramme, kilomètre, kyste, ankylose, enkysté, kyrielle, mots également dérivés du grec où le χ et le κ sont représentés par k.

Le tableau des mots dérivés du grec où figure le χ montre combien, excepté neuf mots, la régularisation devient facile.

Quant aux noms propres, presque tous dérivés du grec, ils s’écrivent en général avec ch et se prononcent k. Quelques-uns cependant se sont modifiés et ont perdu l’h, tels que Caron, Plutarque, Andromaque, Télémaque. On devrait donc écrire Calkas on Calcas et non Calchas. Mais, comme les noms propres ne figurent pas au Dictionnaire de l’Académie, il est inutile de s’en occuper ici.

Pour des mots scientifiques, tels que cholédoque, cholédologie, il importe fort peu, à qui sait le grec, qu’ils soient écrits d’une manière ou d’une autre. La science du grec ne saurait d’ailleurs être toujours un guide infaillible. Ainsi, de ce qu’on sait le grec, on croira devoir écrire scholie et scholiaste; cependant l’Académie écrit scolie et scoliaste, tandis que, par amour du grec, on aurait dû distinguer le «commentaire, σχολιόν», de la «chanson de table, σκόλιον», et pour se conformer à l’étymologie, écrire avec un h le commentaire, scholie, et sans h la chanson de table, scolie.

D’autres mots signifient même, pour qui sait le grec, précisément le contraire de ce qu’ils veulent exprimer; tels sont oxygène, hydrogène: c’était oxygone, hydrogone qu’il fallait. On ne s’est trompé que du fils au père: au lieu de l’engendreur l’engendré.

Si le doute est permis, même à des hellénistes, quel ne doit pas être l’embarras des artisans, et du nombre immense de ceux qui ne savent ni le grec ni latin? En 1694, quand l’Académie composa son Dictionnaire, savoir lire et écrire était un privilége réservé à une classe restreinte de la société. Aujourd’hui c’est le droit et le devoir de tous[37].

[37] M. B. Jullien, dans son Traité des Principales étymologies de la langue française, après avoir cité un grand nombre de mots qui ne sont que des barbarismes prétentieux, insignifiants, et inintelligibles pour les Grecs, s’exprime ainsi: «C’est payer un peu cher la manie de puiser dans les langues savantes que d’en tirer des barbarismes pour aboutir à des contre-sens.» (P. 59-68.)

DE L’ESPRIT RUDE ET DE LA LETTRE H.

L’Académie semble vouloir renoncer à figurer dans l’orthographe l’esprit rude du ῥ grec, qui indique une aspiration étrangère à l’harmonie de notre langue, et qui ne se fait pas sentir. En effet, l’h, qui était censée représenter cet esprit rude, a disparu de rapsode, rapsodie, rabdologie, rabdomancie, rétine, erpétologie, cataracte (qui serait selon l’étymologie, catarrhacte); pourquoi donc maintenir ce signe h dans les mots arrhes, myrrhe, rhagade, rhapontic, rhinocéros, rhomboïde, rhubarbe, rhume, rhumatisme, rhythme, squirrhe? L’Académie écrit eurythmie qu’elle aurait dû écrire eurhythmie (avec les cinq consonnes), puisqu’elle écrit rhythme. Elle a supprimé la marque de l’esprit rude dans olographe, mais l’a conservée dans holocauste[38].

[38] On écrit rose et rosier, contrairement à l’orthographe grecque, mais conformément à celle des Latins, qui cependant écrivent Rhodos, l’île de Rhodes. C’est donc à tort que de ῥόδον, la rose, nous avons formé rhododendron, l’arbre-rose et rhodium, vu la couleur rose de ce métal; cette anomalie ferait croire cet arbuste et ce métal originaires de Rhodes.

Cette h, depuis longtemps abandonnée dans la seconde partie de hémorragie, hémorroïdes, et dans squirre, mais qui reparaît dans catarrhe, diarrhée, gonorrhée, formés comme hémorroïdes sur le radical ῥέω, devrait disparaître aussi de réteur, rétorique, comme aussi de rume et rumatisme, qu’on écrivait autrefois reume et reumatisme et plus anciennement rume, ainsi qu’on le voit figurer (gallice) en 1420, dans le Dictionnaire de Le Ver. Tous ces mots, malgré leurs significations diverses, découlent également de ῥέω[39].

[39] Dans les Cahiers de l’Académie pour l’édition de 1694, on fait observer que les monts Riphées s’écrivent sans h (Riphées au lieu de Rhiphées).

L’Académie de Madrid, dans son désir de simplifier encore plus l’orthographe[*] a décidé, en 1859, que tous les mots commençant par h se prononceraient sans aspiration, excepté un seul cas. Elle a cependant respecté l’emploi de cette lettre, en partie à cause de l’origine des mots et en partie pour éviter la confusion qui résulterait de la similitude des sons de mots se prononçant de même, soit ayant l’h, soit ne l’ayant pas. Nous ne saurions faire de même, puisque la versification se trouverait altérée si certaines lettres perdaient leur aspiration. Il est regrettable, toutefois, que, contrairement à l’étymologie, on écrive hache, huile (on écrit olive et olivâtre), huis, huit, huître, qui proviennent de oscia, oleum, oliva, ostium, octo, ostreum. On a eu raison de supprimer récemment l’h dans hermite, puisque l’origine est eremita.

[*] Prontuario de ortografía de la lengua castellana despuesto de real órden para el uso de las escuelas públicas, por la real Academia española. Madrid, imprenta nacional, 1866.

Dans ce même Dictionnaire de Le Ver le mot halitus est traduit en français par aleine.

Corneille écrit sans h le mot orizon, où l’h est muette, et même le mot halte, bien que l’Académie y indique l’h comme aspirée.

Rien n’étonne: on fait alte, et toute la surprise
N’obtient de ces grands cœurs qu’un moment de remise.
(Poésies diverses, 313 et 274.)

J’ai donc eu raison de dire que ces contradictions requièrent une solution, et que pour se prononcer en matière d’orthographe il ne suffit pas d’être érudit, car bien souvent les savants mêmes, par cela même qu’ils sont savants, hésitent et sont forcés de recourir au Dictionnaire pour se guider à travers ces bizarres anomalies.

DES LETTRES Θ ET Φ
REPRÉSENTÉES EN LATIN PAR th ET ph.

Déjà Ronsard, mort en 1585, s’exprimait ainsi, dans la préface de son Abrégé de l’art poétique:

«Quant aux autres diphtongues (les lettres doubles ch, ph, th), je les ay laissées en leur vieille corruption, avecques insupportable entassement de lettres, signe de nostre ignorance et peu de jugement en ce qui est si manifeste et certain.» (Voy. l’Appendice B.)

Il est regrettable que l’Académie, dans la première édition de son Dictionnaire, en 1694, et plus tard, lorsque, en 1740, elle supprima en grande partie les traces de l’orthographe latine, n’ait pas complétement réalisé le vœu de Ronsard, et que par l’emploi des th et des ph elle ait introduit ou laissé subsister dans notre écriture «le faste pédantesque» qu’elle condamnait dans le poëte.

Malgré tout le respect que je dois aux Estienne, c’est surtout à eux qu’est due l’introduction des ph, ch, th dans notre écriture, où la grande et juste autorité de leur savoir les a maintenus et longtemps perpétués. Cependant, sur certains points, Robert Estienne, dans son Dictionnaire français de 1540, s’est montré moins zélé partisan de l’étymologie que ses imitateurs: il écrit caractere, escole, il autorise tesme, yver sans l’h; et sans ph les mots orfelin, flegme, fantastique, frenetique, faisan.

Avant l’apparition du Dictionnaire de Robert Estienne, l’emploi de ces doubles lettres se rencontrait fort rarement dans les manuscrits, puisque parmi les quatre à cinq cents mots dont je donne la liste, et où figurent des th, des ph et des ch, à peine une vingtaine de mots étaient ainsi écrits dans la langue française en l’an 1440. C’est ce que constate le grand Dictionnaire rédigé dans la première moitié du quinzième siècle par le prieur des Chartreux, Firmin Le Ver. Ce vaste répertoire, qui contient plus de trente-cinq mille mots, peut être comparé, en quelque sorte, au Dictionnaire de l’Académie, puisqu’il nous offre l’inventaire complet de notre langue de 1420 à 1440 (voir Appendice C). Mais, pour ne parler ici que de l’orthographe, on y voit combien l’écriture était alors celle qu’on aurait dû respecter, puisqu’on y est revenu après s’en être écarté. On y lit, ainsi écrits: antecrist, caractere, cirographe, colere, saint crême, melencolie, sepulcre;—apoticaire, autentique, auteur, autorizier, pantere, diptongue;—blasfeme, filosophe, fisique, frenesie, frenetique, orfelin, spere;—cripte, cristal, himne, idropisie, iver, ivernal, martir, mistere, tiran. Enfin, par l’écriture des mots diptongue et spere, on voit combien est antipathique à notre langue l’emploi de trois consonnes. Ce qui n’est pas moins remarquable c’est que dans ce vaste répertoire un grand nombre de mots latins sont déjà en quelque sorte francisés dans leur orthographe, et ont perdu les signes de la latinité classique. Ainsi on lit à leur ordre alphabétique:

Antitesis et non antithesis
Antrax et non anthrax
Antropofagi et non anthropophagi, etc.

Enfin, quant au mot même qui fait le sujet de cet écrit, voici ce qu’on y lit: «Ortographia, bon ortografiemens; Ortographus, bon ortografieur; Ortographo, bien ortografier, bien espeler.»

Du Bellay et Ronsard ont écrit ortographie, le Dictionnaire de Nicot l’écrit de même, et je le vois ainsi figuré dans quelques grammaires modernes. En effet, la forme donnée au mot orthographe fait dire à ce mot tout autre chose que le sens qui lui est affecté. Géographie, uranographie, orographie, télégraphie, lithographie, typographie, orthodoxie, sont des mots formés régulièrement du grec; calligraphie, c’est l’art de la belle écriture, et calligraphe, l’homme qui écrit bien; orthodoxie est la conformité à l’opinion régulière, et orthodoxe, celui dont la foi est régulière; orthograPHIE signifie donc l’art d’écrire correctement, et orthographe désigne celui qui possède ou exerce cet art. Il est fâcheux que ce mot orthographe soit à la fois un barbarisme et une difformité, d’autant que l’Académie, dès 1694, écrit orthographier, au lieu d’ortographer, comme l’écrivait Corneille, en cela plus logique que nous[40].

[40] Dans sa Grammaire comparée, p. 24, M. Egger regrette que l’on n’écrive pas, comme au XVIe siècle, ortographie, et il emploie ce mot ainsi écrit dans son Histoire sur les théories grammaticales dans l’antiquité. Je le vois aussi écrit de même dans plusieurs livres de grammaire où l’on s’indigne contre ce barbarisme.

Si l’anarchie orthographique qui régnait dans l’écriture et dans les imprimeries, lorsque l’Académie publia la première édition de son Dictionnaire, fut le motif qui l’engagea à se rapprocher du latin, maintenant que l’usage, invoqué par l’Académie comme sa loi suprême, lui a fait réduire à chaque édition l’emploi des th et des ph dans les mots le plus ordinairement employés, elle jugera peut-être opportun de mettre un terme au désordre, en donnant à des mots depuis longtemps devenus français par l’usage, la physionomie qui leur convient.

Quant aux mots forgés par les médecins, les naturalistes et les chimistes, avec leur parure obligée de ch, de ph, et de th, ils sont heureusement d’un emploi rare. J’ai donc cru devoir séparer en deux listes les mots qui figurent au Dictionnaire de l’Académie: ceux de la langue usuelle, et ceux de la langue technique et par conséquent peu usités.

Il résulte de ces listes que les mots de la langue usuelle ayant le th et figurant au Dictionnaire sont au nombre de 77.

Ceux d’un usage exceptionnel, admis néanmoins par l’Académie et où figure le th, sont au nombre de 68.

Mots d’un usage ordinaire ayant conservé le TH.

  • absinthe
  • améthyste
  • anathème
  • anthologie
  • antipathie
  • antithèse
  • apathie
  • apothéose
  • apothicaire
  • arithmétique
  • asthme
  • athée
  • athéisme
  • athénée
  • athlète
  • athlétique
  • authentique
  • bibliothèque
  • cantharide
  • cathédrale
  • catholique
  • corinthien
  • cothurne
  • dithyrambe
  • enthousiasme
  • épithète
  • esthétique
  • éther
  • homœopathie
  • hypothèque
  • hypothèse
  • isthme
  • jacinthe
  • labyrinthe
  • léthargie
  • logarithme
  • luth
  • luthier
  • mathématique
  • menthe
  • méthode
  • misanthrope
  • mythe
  • mythologie
  • orthodoxe
  • orthopédie
  • panthéisme
  • panthéon
  • panthère
  • parenthèse
  • pathétique
  • pathologie
  • pathos
  • plinthe
  • polythéisme
  • posthume
  • pythagoricien
  • pythie
  • rhythme
  • sympathie
  • synthèse
  • théâtral
  • théâtre
  • thème[41]
  • Thémis
  • théocratie
  • théologie
  • théorème
  • théorie
  • thermal
  • thermes
  • thermomètre
  • thésauriser
  • thèse[42]
  • thuriféraire
  • thym
  • thyrse

[41] On écrit abstème, d’après une étymologie bien incertaine. Comment se rappeler cette distinction? Le Dictionnaire écrit Ostrogot: pourquoi écrire gothique?

[42] Robert Estienne, lui-même, écrit ce mot sans h.

Mots avec TH d’un usage exceptionnel.

  • acanthe
  • aérolithe
  • allopathie
  • anacoluthe
  • anesthésie
  • anthère
  • anthracite
  • anthrax
  • anthropologie
  • athlothète
  • autochthone
  • bismuth
  • carthame
  • cathédrant
  • cathérétique
  • cathéter
  • chrysanthème
  • cithare
  • enthymème
  • épithalame
  • épithème
  • éréthisme
  • esthétique
  • éthique
  • eurythmie
  • exanthème
  • lagophthalmie
  • léthifère
  • litharge
  • lithiasie
  • lithocolle
  • lithologie
  • lithontriptique[43]
  • lithotomie
  • lithotritie
  • luthéranisme
  • lycanthropie
  • monolithe
  • ornithologie
  • orthodromie
  • orthogonal
  • orthopédie
  • orthopnée
  • oryctographie
  • ostéolithe
  • panathénées
  • pentathle
  • pléthore
  • plinthe
  • pyrèthre
  • pythique
  • stéthoscope
  • térébinthe
  • théatin
  • théisme
  • théodicée
  • théogonie
  • théologal
  • thérapeutes
  • thérapeutique
  • thériacal
  • thériaque
  • thermidor
  • théurgie
  • thoracique
  • thorax
  • thuia
  • tithymale

[43] Cette forme, qui déroge à celle des autres composés de λίθος, lithotritie, lithotomie, lithologie, et à toute la série des mots composés du grec, ne saurait être admise, à moins de vouloir, en français, écrire grec et latin. Si l’on transformait ainsi dans notre langue les désinences des génitifs grecs, il faudrait écrire odontônalgie et non odontalgie, typougraphie, physéologie ou plus exactement physéoslogie, etc. Quant à la forme assez barbare de la désinence triptique dans ce mot lithontriptique, elle dérive ici de τρίβω, je frotte, d’où τρίπτης; mais pour quiconque sait le grec, l’explication donnée au Dictionnaire: médicaments lithontriptiques, signifiera des médicaments qui frottent la pierre (dans la vessie). Litholytiques (de λύω) eût mieux exprimé ce qu’on voulait indiquer: des médicaments dissolvant la pierre.

L’Académie, ayant fait disparaître l’h des mots thrésor, thrésorier, thrésorerie, thrône, déthrôner, autheur, authoriser, inthronisation, inthroniser, croira peut-être le moment venu de supprimer, en tout ou en partie, l’h dans les soixante-dix-sept mots de la langue usuelle qui figurent en tête de la liste précédente, et cela conformément à l’exemple donné par ses prédécesseurs.

DU Φ qui devrait toujours être représenté par F.

L’Académie, après avoir écrit, dans sa première édition, par ph les mots phlegme, phlegmatique, phantosme, phantastique, phiole, scrophuleux, les a écrits plus tard par un f: flegme, flegmatique, flegmon (on devrait écrire flegmasie et non phlegmasie), fantôme, fantastique, frénésie, frénétique, fiole, scrofuleux, etc., de même qu’elle figure par f les mots d’origine grecque, faisan, fantaisie, fanatique, fantasmagorie, faséole, fenestre, greffier, siffler et soufre du latin sulphur. Il n’est personne assurément qui voudrait voir rétabli le ph dans ces mots. Notre f est une lettre de naturalisation, à laquelle a droit tout mot devenu français. Les ph devraient même être bannis de cette foule de mots scientifiques qui hérissent notre écriture de consonnes inutiles et la défigurent[44].

[44] Voici d’autres mots grecs, que les Latins ont écrits par un f et non un ph: fagus, φηγός; fallo, σφάλλω; fax, de φάω; fero, de φέρω; ferus, de φήρ ou θήρ; fuo, fio, φύω; fiscus, de φίσκος; fistula, de φυσᾶν; folium, de φύλλον; forma, μορφή; frons, φροντίς ou ὀφρύς; fuga, φυγή; fulgeo, φλέγω; fucus, φύκος; fungus, σφόγγος; funus, φόνος; fur, φώρ; feretrum, φέρετρον; fortax, φόρταξ; frigo, φρύγω ou φρύττω.

Mots avec PH d’un usage ordinaire.

  • alphabet
  • amphibie
  • amphibologique
  • amphore
  • aphorisme
  • apocryphe
  • apostrophe
  • asphalte
  • asphyxie
  • atmosphère
  • atmosphérique
  • autographe
  • bibliographe
  • bibliophile
  • biographe
  • blasphème
  • cacophonie
  • calligraphe
  • camphre
  • catastrophe
  • cénotaphe
  • colophane
  • coryphée
  • cosmographie
  • dauphin[45]
  • diaphane
  • éléphant
  • emphase
  • emphatique
  • éphémère
  • épigraphe
  • épiphanie
  • épitaphe
  • euphonie
  • géographie
  • hémisphère
  • hiéroglyphe
  • historiographe
  • hydrophobe
  • hydrophobie
  • limitrophe
  • logogriphe
  • lymphatique
  • métamorphose
  • métaphore
  • métaphysique
  • monographie
  • mythologie
  • néophyte
  • nymphe
  • œsophage
  • orphelin
  • orphique
  • pamphlet
  • paragraphe
  • paraphrase
  • périphrase
  • phaéton
  • phalange
  • phare
  • pharisien
  • pharmacie
  • pharmacien
  • pharynx
  • phase
  • phénix
  • phénomène
  • philippique
  • philologie
  • philologue
  • philtre
  • phoque
  • phrase
  • phthisie
  • phthisique
  • physicien
  • physiologie
  • physionomie
  • physique
  • polygraphe
  • porphyre
  • prophète
  • saphir
  • sarcophage
  • sémaphore
  • séraphin
  • siphon
  • sophisme
  • sophiste
  • sphère
  • sphinx
  • sténographe
  • strophe
  • sylphe[46]
  • symphonie
  • syphilis
  • télégraphe
  • télégraphie
  • triomphe
  • typographie
  • typhus
  • zéphyre
  • zoophyte

[45] Dans les cahiers de l’Académie, on proposait d’écrire Daufin, Daufiné.

[46] Pourquoi écrire par ph sylphide et syphilis, et même séraphin? Sans doute ce dernier mot vient de l’hébreu; mais, de même qu’on a supprimé le dernier h au mot alphabeth, on pourrait aussi remplacer le ph par f.

Ces mots où le ph figure sont au nombre de cent quatre-vingts à deux cents. Le parti le plus logique serait sans doute d’imiter les Italiens et de substituer partout le f au ph qui, en français, n’a pas et ne peut pas avoir d’autre son que l’f qui reproduit si bien le φ. Si pourtant l’Académie hésitait à compléter la réforme dont ses prédécesseurs lui ont tracé la voie, au moins pourrait-elle l’étendre à certains mots d’un usage ordinaire: alfabet, ainsi écrit par Volney et autres, apostrofe, atmosfère, atmosférique, blasfème, catastrofe, éléfant, enfase, épitafe, géografie (et ses similaires), hémisfère, métamorfose, néofyte, paragrafe (on écrit agrafe), fénomène, filosofie, frase, profète, sofiste, télégrafe, zoofyte, etc., etc. Blasfème, orfelin, sont même ainsi écrits par Robert Estienne.

C’est surtout dans les mots où le th et le ph sont réunis et dans ceux où l’on trouve deux ph ou th: aphthe, apophthegme, diphthongue, ichthyophage, ophthalmie, ichthyolithe, que la réforme serait urgente. On ne saurait imaginer rien de plus barbare en français que ces groupes de quatre consonnes. L’Académie, qui dans ses précédentes éditions écrivait aphte, phtisie, diphtongue, ortographe, serait unanimement approuvée si, n’osant faire plus, elle revenait du moins à cette orthographe plus simple. Phtisie vaut mieux que phthisie; ophtalmie que ophthalmie; aphte que aphthe; mais on devrait faire encore plus.

Voici la liste des autres mots dérivés du grec par le latin, ou formés directement du grec, auxquels est appliqué le ph au lieu de f:

Mots avec PH d’un usage exceptionnel.

  • acéphale
  • amorphe
  • amphictyon
  • amphigouri
  • amphitryon
  • antiphonaire
  • antiphrase
  • antistrophe
  • aphélie
  • aphérèse
  • aphonie
  • aphrodisiaque
  • apophyse
  • asphodèle
  • atrophie
  • autocéphale
  • callographe
  • caryophyllée
  • chirographaire
  • chorégraphie
  • chorographie
  • cosmographie
  • diaphragme
  • électrophore
  • encéphale
  • éphores
  • épistolographie
  • euphémisme
  • hagiographe
  • hermaphrodite
  • hiérophante
  • hydrocéphale
  • hydrographie
  • iconographie
  • lexicographie
  • méphitique
  • monophylle
  • morphine
  • myographe
  • naphte
  • néographe
  • nosographie
  • olographe
  • ophicléide
  • oryctographie
  • pantographe
  • paranymphe
  • paraphernal
  • paraphimosis
  • phagédénique
  • phalène
  • phaleuce
  • phallus
  • phanérogame
  • pharmacopée
  • phébus
  • phénicoptère
  • philharmonie
  • philhellène
  • philomathique
  • philotechnique
  • phimosis
  • phlébotomie
  • phlegmon
  • phlogistique
  • rphlogose
  • phlyctène
  • phœnicure[47]
  • pholade
  • phonique
  • phosphate
  • phraséologie
  • phrénique
  • phylactère
  • phylarque
  • physiognomonie
  • physiographe
  • phytologie
  • planisphère
  • polyadelphie
  • porphyrogénète
  • prophylactique
  • sphacèle
  • sphénoïdal
  • sphénoïde
  • sphériste
  • sphéristère
  • sphéristique
  • sphéroïde
  • sphéromètre
  • sphincter
  • staphylôme
  • sycophante
  • symphyse
  • synalèphe
  • tachygraphie
  • topographe
  • uranographie
  • zoographie
  • zoophyte

[47] Qu’on devrait écrire phénicure, comme phénix.

Mots avec TH et PH réunis.

  • amphithéâtre
  • anthropophage
  • aphthe
  • apophthegme
  • diphthongue[48]
  • ichthyophage
  • ichthyographie
  • lagophthalmie
  • lithographe
  • lithophyte
  • orthographe
  • philanthrope
  • phyllithe
  • phytolithe
  • phthisie
  • triphthongue

[48] L’Académie dans sa première édition écrivait diphtongue; Corneille, dans sa grande édition, l’écrivait de même, ainsi qu’ortographe.

Mots avec deux PH ou deux TH.

  • philosophie
  • photographie
  • phosphate
  • phosphore
  • ichthyolithe
  • théophilanthrope

II
DOUBLES LETTRES.

L’usage général, qui, dans la prononciation, tend de plus en plus à atténuer la forte accentuation de certaines syllabes, a fait, en grande partie, disparaître pour l’oreille la double consonne, qui devait retracer à la vue l’étymologie dans les mots calqués sur le latin. Déjà l’Académie, conformément au désir manifesté par Corneille, par les Précieuses et par un grand nombre de bons esprits, a successivement supprimé dans un très-grand nombre de mots l’une des deux consonnes, dont l’emploi d’ailleurs n’avait rien de régulier. Car si, comme dans le latin, la double consonne avait souvent pour but de faire élever la voix sur la syllabe qu’elle termine[49], molle, folle, chatte, sotte, etc., quelquefois, par un effet différent, elle la rendait brève dans flamme, manne, femme; tandis que d’autres fois c’était la consonne simple qui rendait brève la syllabe qui la précédait, matin, dame, etc.

[49] Voir, à l’Appendice D, l’analyse de la Grammaire de Regnier des Marais.

Cette irrégularité manifeste et l’exemple donné par l’Académie offrent donc une grande latitude à l’égard de ce qui reste encore de ces doubles lettres inutiles, qui doivent disparaître partout où leur présence n’indique pas le but auquel elles sont destinées: l’élévation du ton sur la syllabe qu’elles terminent; mais elles doivent être conservées partout où leur présence peut encore se faire sentir à l’oreille, même contrairement à l’orthographe latine, comme dans pomme, homme, personne, et aussi dans lettre, bien que le latin pomum, homo, persona, litera, exigerait, conformément à l’étymologie, qu’on écrivît pome, home, persone[50]. On devra donc dans la série des mots se terminant en lle ou mme ou nne, etc., maintenir la double consonne qui précède l’e muet final, et qui, ainsi que es au pluriel et ent à la troisième personne du pluriel des verbes, constituent la rime féminine. D’après ce principe, il faudrait écrire il s’abonne et un aboné, ils s’abonnent et ils s’aboneront; il couronne et il courona, ils couronnent et ils couroneront, il pardonne et il pardona, comme on écrit il jette et il jetait. C’est ainsi que l’Académie écrit battre et bataille, batailler; combattre et abatage, ficelle et ficeler, et cela conformément au précepte donné par Régnier des Marais: «Il est de regle, dit-il, p. 108, et de l’usage fondé par la regle, d’escrire chapelle et chandelle par deux ll et chapelain, chandelier par une l seule parceque dans les deux premiers mots chapelle et chandelle l’e qui précède l’l est un e ouvert, et que dans les deux autres, chapelier, chandelier, il est muet.» Et ailleurs, p. 102, il fait la même observation pour d’autres mots terminés en e muet, femme et féminin; donne et donateur; homme et homicide.

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