Observations sur l'orthographe ou ortografie française, suivies d'une histoire de la réforme orthographique depuis le XVe siècle jusqu'a nos jours
Les deux premiers ouvrages de quelque importance sur notre orthographe sont sortis de la cour des rois d’Angleterre, qui déjà, trois siècles et demi auparavant, avaient été les mécènes des auteurs des premiers poëmes de la Table ronde rédigés en français.
L’auteur de cette grammaire, qui s’est nommé dans un acrostiche, rédigea son ouvrage vers 1527, et il l’a dédié à la princesse Marie, fille de Henri VIII, alors âgée de douze ans et devenue plus tard Marie la Sanglante. Il emploie quelques accents pour faciliter la prononciation, et il les marque sous les voyelles et non au-dessus. Voici un spécimen de son orthographe, tiré d’une pièce de vers adressée à sa royale élève pour s’excuser de ne pouvoir continuer ses leçons à cause de la goutte qui le tourmente:
On voit que l’orthographe de du Guez, venu trop tôt pour s’inspirer de l’exubérance de lettres qui, à partir de la Renaissance jusqu’à la fin du XVIIe siècle, s’est montrée dans l’écriture, est demeurée presque aussi sobre que l’est devenue aujourd’hui la nôtre.
Fr. Génin croit que le livre de du Guez n’a été publié qu’après l’ouvrage de Palsgrave qui suit.
Jehan Palsgrave. Lesclarcissement de la langue francoyse, compose par maistre Iehan Palsgrave Angloys, natyf de Londres et gradue de Paris. Neque luna per noctem. Anno uerbi incarnati M.D.xxx (avec privilége de 1531). (A la fin:) The imprintyng fynysshed by Iohann Haukyns the XVIII daye of Iuly. The yere of our lorde God. Mccccc and XXX. In-fol. goth.
Ce second ouvrage, bien plus important, est dédié à Henri VIII. Dans sa préface l’auteur dit s’être conformé pour le plan de son livre à celui de la Grammaire grecque de Théodore de Gaza. Par les exemples qu’il donne et par l’accent tonique qu’il place sur les voyelles, on voit que sa prononciation différait notablement de la nôtre et qu’elle était parfois beaucoup moins douce. Voici comment il marque pour un lecteur anglais la prononciation des vers qui commencent le Roman de la Rose:
Il place l’accent tonique de la façon la plus correcte. Il formule ainsi son précepte: «Règle unique. Les mots dans la langue française ont leur accent sur la dernière syllabe (masculine).» Ex.: honorablemént, paróy, cordelíer, ils áyment, ils aymérent, vous parlástez (parlâtes), cest ung terríble cás. Les enclitiques n’ont jamais l’accent. Il écrit sans division et ainsi accentués: souventesfóys, aulcunefóys, plusieursfóys, dixfóys, troysfóys, quattrefóys, entredeúx, paradventúre, à lencóntre, jusquadíx, jusquaumourír.
On voit par ces exemples combien l’ouvrage de Palsgrave est précieux pour nous faire connaître les véritables traditions de la prononciation du français, mieux conservées au commencement du seizième siècle qu’après le mouvement littéraire de la Renaissance.
Fr. Génin a donné, dans les Documents inédits pour servir à l’histoire de France, une bonne réimpression des ouvrages de Palsgrave et de du Guez.
Jacques Sylvius (Dubois). In linguam gallicam Isagωge. Parisiis, ex officina Roberti Stephani, 1531, in-4 de VIII ff. et 159 pp.
Voir l'Errata (Note de transcription).
Dans ce traité, Jacques Sylvius, un des hommes les plus érudits de son temps, a présenté, pour la première fois, des artifices très-ingénieux mais peu pratiques, pour bien faire comprendre aux latinistes, c’est-à-dire à tous les étrangers instruits, auxquels il se propose d’apprendre le français, le mécanisme de la prononciation. Avec un certain nombre d’accents ^, ̄ , ̑ , ´, `, il détermine la valeur phonique des voyelles digrammes, mal dénommées sous le nom de diphthongues, ai, ei, oi, au, eu, ou. Il écrit ĉeu-al[‡] de caballus, čeûr, meũrt, limac͌on. Nous avons vu Geofroy Tory, aussi habile artiste que savant typographe, remplacer ce dernier signe par l’emploi de la cédille, qui, placée sous le c, ne défigure en rien l’aspect de nos impressions.
| [‡] | ĉ représente ici le signe | |
| č représente le signe | ||
| ũ représente le signe | ||
| c͌ représente le signe |
Sylvius distingue le j consonne de l’i voyelle, et le v de l’u, ce qui n’est pas un faible mérite, puisque cette confusion a duré près de deux siècles après lui, et n’a cessé qu’après avoir été adoptée par les Hollandais[127].
[127] Voyez la Préface de Corneille, dans la grande édition qu’il a donnée de ses œuvres en 1664, et reproduite ci-dessus, p. 125.
Dubois fut un des précurseurs de la philologie moderne. Son chapitre de l’étymologie contient une foule d’excellentes observations sur les mutations des lettres latines en lettres françaises et sur la dérivation de nos vocables. On comprend que, par suite de ces recherches, son orthographe soit plus étymologique que celle d’une grande partie des auteurs de son époque. L’usage judicieux qu’il a fait du patois picard donne à sa méthode un grand intérêt historique.
Étienne Dolet. La maniere de bien traduire d’une langue en aultre, de la ponctuation françoyse, des accens d’ycelle, s. l. n. d. (1540), in-8 de 20 ff. (Souvent réimprimé.)
Les imprimeurs ont été de tout temps émus plus que d’autres des vices de l’écriture française et désireux d’y apporter remède. Étienne Dolet, imprimeur de Lyon, helléniste et latiniste consommé, préparait depuis plusieurs années, sous le titre de l’Orateur, un traité complet de la langue, de l’orthographe et de la poésie françaises. Sa fin déplorable l’empêcha de le mettre au jour. Dans plusieurs de ses éditions, et notamment dans l’opuscule que je cite, il put du moins compléter en partie les perfectionnements apportés quelque temps auparavant par Geofroy Tory.
Nous devons à Dolet d’avoir inauguré l’usage de l’accent grave sur à préposition, là adverbe. L’apocope ^ qu’il propose, particulièrement en poésie, dans les mots mani^ment pour maniement, lai^rra, pai^rra, vrai^ment, hardi^ment, est le premier germe de notre accent circonflexe, dont l’emploi, tardif en grammaire, pourrait être étendu avec tant d’avantages.
Il a enseigné l’usage du tréma: païs, poëte, sans en faire précisément la même application que de nos jours.
Il ne veut pas, devançant ainsi une réforme qui ne s’est généralisée que deux siècles plus tard, qu’on écrive des dignitez, des voluptez, mais bien dignités, voluptés, réservant la lettre z pour la terminaison de la seconde personne du pluriel des verbes. Il rétablit le t au pluriel des mots terminés en ant, et complète cette judicieuse réforme en écrivant touts (omnes).
Bien qu’étymologiste en matière d’orthographe, comme les Estienne, il admet comme eux d’indispensables simplifications. Son orthographe est malheureusement un peu irrégulière, comme celle de tous les écrivains qui ont précédé l’Académie française. Tandis qu’il écrit aureilles, quelcque, maling, soubdain, rhithme (pour rime), il corrige ainsi: cinqiesme, alaine (halitus), haren, j’exepte, r’imprimer, r’ouvrir, et quelquefois home.
Un de ses principaux titres à l’estime des grammairiens sera peut-être de s’être prononcé, d’après l’exemple des Grecs et des Latins, contre l’emploi de l’accent qu’il appelle enclitique, et que nous représentons aujourd’hui par le trait d’union. (Voir plus haut, p. 58, la Notice sur ce sujet.)
Robert Estienne. Dictionaire francois latin, autrement dict les mots francois, auec les manieres dvser diceulx, tournez en latin, corrigé et augmenté. Paris, de l’imprimerie de Robert Estienne, 1549, pet. in-fol. de 676 pp. (La première édition est de 1539.)—Traicté de la grammaire francoise. L’Oliuier de Rob. Estienne (1557), pet. in-8 de 110 pp.; ibid., 1569, in-8 de 128 pp.
Les services que ce savant imprimeur a rendus à la langue sont immenses. J’ai montré plus haut, p. 108, l’importance du premier dictionnaire complet français-latin qu’il a publié. Ses presses multiplièrent à l’infini ces traités de grammaire, ces lexiques qui fixaient et vulgarisaient les principes de la langue. Pendant ses veilles laborieuses, il rédigeait, sous toutes les formes, des livres élémentaires que ses ouvriers imprimaient aussitôt. Pour en rendre l’utilité plus générale, il publiait en latin et en français des grammaires et de petits écrits, dont il donnait des éditions séparées. Écrivant sous l’influence latine, et voulant vulgariser l’étude du français dans une population naguère demi-latine, on conçoit qu’il employa de préférence l’orthographe la plus généralement répandue parmi les savants. Toutefois la sienne est meilleure et plus logique que celle de la plupart des écrivains de son temps.
En voici un spécimen, tiré de l’avis au lecteur placé en tête de la première édition de sa Grammaire:
«Pourtant que plusieurs desirans auoir ample cognoissance de nostre langue francoise, se sont plains a nous de ce qu’ils ne pouoyent aiseement saider de la Grammaire francoise de maistre Lois Maigret (a cause des grans changements qu’ils y voyoyent, fort contraires a ce qu’ils en auoyent ia apprins, principalement quant a la droicte escripture), ne de l’introduction a la langue francoise composee par M. Iaques Syluius medecin (pourtant que souuent il a meslé des mots de Picardie dont il estoit), nous ayans diligemment leu les deus susdicts autheurs (qui pour certain ont traicté doctement pour la plus part, ce qu’ils auoyent entrepris), auons faict ung recueil, principalement de ce que nous auons veu accorder a ce que nous auions le temps passé apprins des plus scauans en nostre langue, etc.....»
On doit regretter qu’il n’ait pas, non plus que son fils, pris de Sylvius la distinction du v d’avec l’u, du j d’avec l’i; de Dolet l’accent sur a préposition; de Tory l’apostrophe dans tous les cas et la cédille. Ces derniers perfectionnements ne se rencontrent que dans la seconde édition de sa Grammaire. En fait d’écriture et d’orthographe, il n’y a pas de minimes économies de temps à négliger: l’utilité pratique qui résulte de la moindre amélioration profite aux générations qui se succèdent, et ces changements épargnent des peines inutiles à des millions de personnes.
Étymologiste comme Dolet, il a fait peu de chose pour la simplification, et n’a guère innové en fait d’orthographe. Il écrit roole, aage, aiseement. Il propose un instant de distinguer le son du g doux par un autre caractère, et d’employer le I majuscule à cette fonction. C’est ainsi qu’il écrit paIe (pagina), simIe (simia), vendemIe (vendemia), que nous écrivons aujourd’hui page, singe, vendange. Le signe i figurait alors indistinctement le son j ou le son i. En remplaçant par un I capital le g (ayant le son de j), R. Estienne assignait à cet I le son du j; et il est probable que si cette lettre j eût alors été connue, son adoption eût prévalu sur celle du g doux, ce qui nous aurait évité l’obligation d’ajouter un e parasite à la suite du g, lorsque nous voulons lui donner le son du j, comme dans vendangeons; mais ensuite, abandonnant cet emploi insolite de l’I, il écrivit dans son Dictionnaire page, singe, vendenge et vendengeons. Cette grande lettre pour remplacer le g, placée d’une manière si bizarre au milieu des mots, avait, en effet, un aspect déplaisant qui dut lui en faire abandonner l’emploi.
Robert Estienne se montre par moments quelque peu esclave de la routine: «Nos anciens ont escript,» dit-il dans sa Grammaire (page 6-7), «vng auec g en la fin, de peur qu’en escriuant vn, ne semblast estre le nombre VII; toutesfois cela ne plaist a plusieurs. Nous scauons que g en ce lieu ne sert de rien, sinon pour ceste cause: si ailleurs ils l’admettent ou il y a moins de cause, qu’ils l’admettent aussi en ce petit et court mot: s’il ne leur plaist, ie ne veulx estre contentieux, qu’ils escriuent vn et moy vng. Ils ont qui les suyuent, et ie m’arreste aux ancien scauans qui en scauoyent plus que nous[128].»
[128] Dans l’édition de 1569, Robert Estienne, tout en conservant ce passage, écrit un sans g final.
On voit par cette citation que Robert, laudator temporis acti, et chez qui l’usage de la langue grecque et latine se confondait avec celui du français, n’éprouvait pas plus que la plupart de ses contemporains le besoin de l’uniformité orthographique.
Louis Meigret. Traité touchant le commun usage de l’escriture francoise; auquel est debattu des faultes et abus en la vraye et ancienne puissance des letres. Auecq priuilege de la court (de 1542). Paris, Jeanne de Marnef, 1545, in-8 de 64 ff. non chiff.—Le Trette de la Grammaire françoeze. Paris, Wechel, 1550, in-4 de 144 ff.—Guillaume des Autels. Traité touchant l’ancien ortographe françois et écriture de la langue françoise, contre l’ortographe des Meygretistes, par Glaumalis de Vezelet. Lyon, 1548, in-8 et 1549, in-16.—Defenses de Louis Meigret, touchant son livre de l’ortographe françoise, contre les censures et calomnies de Glaumalis de Vezelet (Guillaume des Autels) et ses adherans. Paris, Wechel, 1550, in-4 de 18 ff.; Lyon, 1550, in-8.—Replique de Guillaume des Autelz aux furieuses defenses de Louis Meigret. Lyon, Iean de Tournes et Guill. Gazeau, 1551, pet. in-8 de 127 pp. (La Replique finit à la p. 74.)—Réponse à la dézesperée replique de Glaumalis de Vezelet, transformé en Gyllaome des Aotels. Paris, 1551, in-4 de 95 pp.
Meigret est un de ces esprits rigides qui n’admettent pas de compromis entre la configuration étymologique et la configuration de la prolation, comme on disait de son temps. Contrairement à l’école toute-puissante des érudits de la Renaissance, il annonce qu’il a travaillé pour le commun peuple.
«Ie ne voy point, dit-il, de moyen suffisant ny raisonnable excuse pour conseruer la façon que nous auons d’escrire en la langue françoyse... Notre écriture, pour la confusion et commun abus des letres, ne quadre point entierement à la prononciation.
«Les voix, ajoute-t-il, sont les elemens de la prononciation, et les letres les marques ou notes des elemens..... Puisque les letres ne sont qu’images de voix, l’escriture deura estre d’autant de letres que la prononciation requiert de voix; si elle se trouve autre, elle est faulse, abusiue et damnable.»
Meigret a proposé d’excellentes simplifications que l’usage a sanctionées pour quelques-unes, comme l’emploi de ç qu’il emprunte, dit-il, aux Espagnols[129], la suppression du g dans les mots où il n’est pas prononcé, tels que cognoistre, ung, besoing, etc., où il n’était qu’un signe orthographique usité au siècle précédent pour indiquer la nasalité. Il biffe le d de advenir, advisé. Il veut qu’on écrive dit, fait, et non dict, faict; bete, fete et non beste, feste.
D’autres modifications qu’il a proposées n’ont pas prévalu, ce qui est regrettable pour quelques-unes, telles que dixion ou diccion, au lieu de diction; manifestacion, annonciacion, etc.; le n à jambage pour gn mouillé.
Il ne se fait pas illusion sur les chances de succès de sa réforme:
«La plus part de nous, François, usent de cette superfluité de letres plus POUR PARER LEUR ESCRITURE que pour opinion qu’ilz ayent qu’elles y soient necesseres... sans avoir égard si la lecture, pour laquelle elle est principallement inuentée, en sera facile et aisée. I’ose bien d’auantage asseurer que c’est bien l’vne des principales causes pour laquelle ie n’espère pas iamès, ou pour le moins il sera bien dificile, que la superfluité de letres soit quelquefois corrigée, quoy qu’il s’ensuyue espargne de papier, de plume et de temps, et finablement facilité et aisance de lecture à toutes nations.»
Meigret eut l’honneur de faire école. Pendant plusieurs années on parla beaucoup des meigreitistes et l’on rompit des lances, dont le fer n’était pas toujours émoulu, contre eux ou en leur honneur[130]. Ronsard, du Bellay et Baïf se déclarèrent partisans du système. Mais ce mouvement dut bientôt s’assoupir.
[130] Voir Replique de Guillaume des Autelz.
Tout novateur en fait d’orthographe échouera s’il porte un trouble trop grand dans les habitudes, et s’il veut atteindre sur-le-champ un but dont on ne peut approcher qu’avec l’aide du temps. En effet, Meigret fut forcé plus tard d’abandonner son propre système dans sa traduction du livre des Proportions du corps humain, d’Albert Dürer, et il ne fut repris complétement par personne.
Quel qu’ait été le sort de ces systèmes, aujourd’hui tombés dans l’oubli ou dépassés, ils ne méritent ni la dérision ni le blâme. Les luttes ardentes qu’ils ont provoquées ont servi à l’élucidation et à l’affermissement des principes qui ont porté si haut l’éclat de notre littérature. Plusieurs modifications de détail longtemps dédaignées ont été d’ailleurs reprises dans des temps plus favorables.
Joachim du Bellay. La Defense et illustration de la langue françoise, par I. D. B. A. Paris, A. L’Angelier, 1549 et 1557 pet. in-8; ibid, F. Morel, 1561, in-4, et autres. (Réimprimée aussi sous le titre d’Apologie pour la langue françoise.)
Dans ce célèbre plaidoyer, où du Bellay revendique pour notre langue la supériorité que lui assurerait surtout son «recours à ses origines nationales», tout ce qu’il dit pour faciliter l’étude du français s’applique naturellement à l’orthographe, et dans son Avis au lecteur il s’exprime ainsi:
«Quant à l’orthographe, j’ai plus suivy le commun et antique usage que la raison, d’autant que cette nouvelle (mais légitime à mon jugement) façon d’escrire est si mal reçüe en beaucoup de lieux, que la nouveauté d’icelle eust pu rendre l’œuvre, non gueres de soy recommandable, mal plaisant, voire contemptible aux lecteurs.»
Et ailleurs il dit:
«J’entends bien que sur ce qui reste à faire, les professeurs des langues ne seront pas de mon opinion, encore moins les vénérables Druydes, qui, pour l’ambitieux désir qu’ilz ont d’estre entre nous ce qu’estoit le philosophe Anacharsis entre les Scythes, ne craignent rien tant que le secret de leurs mystères, qu’il faut apprendre d’eux, soit descouvert au vulgaire.» Dans un autre endroit, en parlant «de la similitude de son et de la dissemblance d’orthographe des ei et oi (écrits maintenant ai) et des mots maistre et preste, de Athenes et fonteines (maintenant écrit fontaines), cognoistre et naistre», il dit «qu’il doit suffire aux poëtes que les deux dernières syllabes soient uniformes; ce qui arriveroit en la plus grande part, tant en voix qu’en escripture, si l’orthographe françoise n’eût point esté dépravée par les praticiens. Et pour ce que Meigret, non moins amplement que doctement, a traité ceste partie, lecteur, je te renvoye à son livre.»
Ainsi on voit que s’il osait le faire, il suivrait Meigret dans son système, qui a le défaut d’être trop hardi, et, cette opinion, il la confirme de nouveau dans sa postface avec une naïveté toute gauloise:
«I’approuve et loue grandement les raisons de ceux qui ont voulu reformer l’orthographie. Mais voyant que telle nouueauté desplaist aux doctes comme aux indoctes, i’aime beaucoup mieux louer leur inuention que de la suyure, pource que ie ne fay pas imprimer mes œuures en intention qu’ilz seruent de cornetz aux apothiquaires ou qu’on les employe à quelque autre plus vil mestier.»
Jacques Pelletier, du Mans. Dialoguę[131] dȩ l’Ortografę e Prononciation Franço̱esę, departì an deus liuręs. A Poitiers, par Ian e Enguilbert dę Marnef, a l’anseignę du Pelican, 1550 (privil. de 1547), pet. in-8 de VIII ff. et 216 pp.[132]; Lyon, Iean de Tournes, 1555, pet. in-8 de IV et 136 ff.—L’Art poëtiquę, departì an deus liuręs. Lyon, Iean de Tournes, 1555, in-8, de 118 pp.
[131] L’e muet, que nous figurons ici avec une cédille, est représenté dans ce volume par un e barré.
[132] Les 37 premières pages sont consacrées à une Apologie à Louis Meigret Lionnoes, datée de Poitiers le 5 janvier 1549. Pelletier, sans partager en tout l’opinion de Meigret, se montre très-favorable à sa réforme. Cet opuscule lui a valu la Reponse de L. Meigret à l’apologie de Iacques Pelletier. Paris, Wechel, 1550, in-4 de 10 ff.
Le petit volume de Pelletier est intéressant et instructif. La forme d’entretiens, qu’il a adoptée, où chacun de ses interlocuteurs, Jean Martin, Denys Sauvage, Théodore de Bèze, le seigneur Dauron, combat ou défend, avec clarté et une parfaite bonne foi, la réforme orthographique de l’auteur, nous permet de juger quelles étaient, à l’époque de la Renaissance, les idées des hommes instruits sur l’écriture française et ses principes; et, bien que les systèmes plus ou moins absolus de Sylvius, de Meigret, de Pelletier, de Baïf, n’aient point été adoptés, on se félicite de voir tout le chemin que depuis le seizième siècle l’écriture a fait pour se rapprocher de la prononciation.
On écrivait par exemple, comme nous le voyons dans l’ouvrage de Pelletier, soubcontrerolleur, que nous écrivons aujourd’hui sous-contrôleur, et que nous pourrions écrire soucontrôleur, comme nous écrivons soutenement, soucoupe, etc. On prononçait sou, mou, cou, pou, et l’on écrivait sol, mol, col, pol. Bien qu’on prononçât dîne ti, ira ti, on écrivait dîne il, ira il. Nous avons fait depuis ce temps un commencement de retour à la forme primitive du présent de l’indicatif en écrivant dîne-t-il, ira-t-il.
Pelletier supprimait les lettres étymologiques de provenance grecque et écrivait teologie, teze, filosofie, cretien, etc.
L’écriture figurative de la parole proposée par Pelletier ayant, comme celle des autres réformateurs de son époque, l’inconvénient de donner un aspect étrange et désagréable à l’impression, ne fut accueillie ni par les gens de cour ni par les imprimeurs.
Joachimi Perionii benedictini cormœriaceni Dialogorum de linguæ gallicæ origine, eiusque cum græca cognatione, libri quatuor. Parisiis, apud Sebastianum Niuellium, 1555, in-8, de XXXVI et 149 ff.
Périon a écrit en latin un ouvrage dont le plan a beaucoup d’analogie avec la Conformité du language françois avec le grec de Henri Estienne. La recherche des étymologies et d’une parenté chimérique avec le grec l’a beaucoup plus occupé que le perfectionnement de l’écriture de son temps, surchargée, comme on sait, d’une si grande quantité de lettres superflues. Étranger, aussi bien que ses contemporains, à l’exception de Sylvius, à toute critique philologique, il admet, au milieu de judicieuses découvertes, des explications qui feraient sourire à bon droit les linguistes de nos jours.
Ainsi il est plus latiniste et helléniste en orthographe française qu’aucun de ses émules. Il écrit achapter (acheter), acouter (ἀκούειν), præteur (prætor), pœne (peine, de pœna), sœur (soror), pour distinguer ce mot de seur (sûr, securus), aglanthier (églantier, de ἄκανθα), basme (baume, de balsamum), contendents, coulteau (cultellus), droëct (jus), hostruche (autruche, de ὁ στρουθός). Il recommande même onnyon (oignon, de κρομμυών), egraphigner (égratigner), grephyer (greffier), thuer (occire, de θύειν ), etc.
La direction exclusivement hellénique de son travail, qui l’entraîne à ne tenir aucun compte de la provenance germanique ou celtique, ou même de la basse latinité, l’amène à écrire buthyner (de βουθυνεῖν), au lieu de butiner, de l’ancien allemand büte, büten; mokker, de μωκκάσθαι, tandis qu’on a découvert en gallois le radical celtique moc, d’où moquerie; gambe et gambon (jambe, jambon) de καμπή, au lieu du celtique (en écossais, gamban, en irlandais, gambun); Ianthil homme, dont l’étymologie gentilis était pourtant si claire; enfin non cheillant (de νωχελής), au lieu de l’ancien verbe chaloir, qui nous a laissé cette locution: Il ne m’en chaut.
Périon nous offre un curieux exemple des inconvénients de la méthode étymologique poursuivie inconsidérément et à outrance en matière d’orthographe.
Il propose de supprimer l’s dans hoste, et voudrait que la lettre a remplaçât la lettre e partout où e se prononce a, attendu, dit-il, qu’il n’y a que les sapientes qui sachent qu’il faut écrire science ce qui se prononce sciance. Il voit avec peine les savants écrire escrivents, oïents et proueoents (scribentes, audientes, providentes), tandis que certains participes sont écrits par a.
Il admet les accents sur les voyelles, mais il en fait un emploi différent de celui auquel l’usage s’est fixé. Il se sert de l’accent circonflexe, avec d’autres savants du seizième siècle que je cite, devançant ainsi les grammairiens de près d’un siècle et demi. Il écrit aîse, boúrgois (civis) et bourgoîse, françoîse (française), croîstre et cognoîstre.
Jehan Garnier. Institutio gallicæ linguæ ad usum juventutis germanicæ, ad illustrissimos juniores principes landtgravios Hæssiæ conscripta. Authore Ioan. Garnerio. Marpurgi Hæssorum, ap. Io. Crispinum, 1558, pet. in-8.
M. Ch.-L. Livet a donné une analyse très-étendue de ce livre dans son ouvrage intitulé: La Grammaire française et les Grammairiens au XVIe siècle[133]. Garnier, dans ce traité très-utile pour l’histoire des variations de l’orthographe, se plaint amèrement des lettres étymologiques inutiles et du contraste de l’écriture avec la prononciation, ce qui répugne aux étrangers et à tout lecteur: «Quod tædiosum valde molestumque fuit lectoribus; atque linguam ipsam odiosam et difficilem omnibus peregrinis reddidit. Siquidem merito omnes conquerentur, et ab ejus lectione abhorrent quod aliter scribamus, aliter vero pronuntiemus.»
[133] Paris, Auguste Durand, 1859, in-8.
Jean Pillot. Gallicæ linguæ institutio, latino sermone conscripta, per Ioannem Pilotum, barrensem. Parisiis, apud A. Wechelum, seu Steph. Groulleau, 1561 (privil. de 1557), pet. in-8, de 268 pp. et 2 ff. (Souvent réimprimé.)
L’ouvrage de Pillot, analysé avec soin par M. Livet, p. 270 de son livre cité page 190, n’est utile que pour la constatation de l’écriture et de l’orthographe à la fin du XVIe siècle. L’abus des lettres majuscules était devenu tel que Pillot, voulant régler leur emploi, l’étend au point qu’il aurait mieux fait d’énumérer les mots qui devraient n’en pas prendre.
Abel Mathieu, natif de Chartres. Devis de la langue françoyse, à Jehanne d’Albret, royne de Navarre, duchesse de Vendosme, etc. Paris, imprimerie de Richard Breton, 1559-60, 2 part. en 1 vol. pet. in-8 de 44 et 39 ff. (en caractères de civilité).—Devis de la langue francoise....., par A. M., Sieur des Moystardières. Paris, veufue Richard Breton (et Jean de Bordeaux), 1572, pet. in-8, de IV ff. prél. et 64 ff. (Le Devis de la langue finit au f. 35 verso.)
L’auteur n’est point un grammairien, mais un gentilhomme devisant de la langue pour le plaisir des dames. Sans être réformateur, il est indépendant. «Notre langue est à nous, dit-il; les Grecs et les Latins n’ont rien à y voir.»
Il n’approuve l’emploi du s long, du h et de l’y que parce que «ces lettres, par leur forme, servent d’ornement et d’ampliation à l’escripture et lui donnent de la grace suivant la similitude dont il a usé de l’œil à la peinture[134].»
[134] Et en effet, si l’on jette les yeux sur les spécimens de calligraphie du XVIe siècle et même sur les chefs-d’œuvre d’écriture de Jarry au XVIIe, on voit que les artistes se complaisaient dans la belle forme qu’ils donnaient aux lettres longues, et particulièrement à l’y.
Pierre Ramus (la Ramée). Gramerę. Paris, André Wechel, 1562, pet. in-8, de 126 pp. et 1 f. d’errata. (1re édit. anonyme.)—Grammaire de P. de la Ramee, lecteur du roy, etc. Paris, A. Wechel, 1572, pet, in-8, de 9 ff. prél. et 211 pp.; ib., Denys du Val, 1587, pet. in-8, de 223 pp.
La Ramée, plus connu sous le nom de Ramus, lecteur du roi en l’Université de Paris, savant latiniste, helléniste et hébraïsant, auteur d’ouvrages fort appréciés de son temps sur la dialectique, les mathématiques, la langue latine et la langue grecque, est peut-être le plus érudit des auteurs de réformes de l’écriture française. Son système a pour but de représenter avec une fidélité absolue la prononciation par l’écriture, et l’on peut dire qu’il y réussit presque aussi bien peut-être que ses représentants de nos jours, M. Marle et M. Féline. Grâce à son petit livre, nous sommes en mesure de prononcer le français comme un orateur au temps de Henri III. Ce n’est pas un faible service rendu à la philologie, et nous serions heureux qu’il y eût eu un Ramus dans Athènes au temps de Périclès, et dans Rome sous Auguste.
A l’exception de l’e muet, qu’il représente par un e à boucle inférieure et que je représenterai par ε; de l et ll mouillé, qu’il écrit par l à boucle et que je figurerai par λ; du ch, qu’il figure par c avec boucle et que je remplace par ξ; de gn, par η, et de nt, qu’il écrit par n à boucle dans les mots en ant final, Ramus n’introduit dans son écriture aucun caractère nouveau, ni étranger au français. Il met ainsi un signe simple à la place des signes binaires ou digrammes, et il donne à toutes ses lettres une prononciation constante et unique. Le c se prononce comme le cappa, le g comme le gamma des Grecs. Le s, si embarrassant pour les étrangers, n’a qu’une seule valeur, celle du sigma. Toute lettre nulle dans la prononciation disparaît de son écriture, et il se passe même d’accents, simplification qui n’est pas à dédaigner pour l’écriture cursive. Il résulte de cette méthode une grande économie dans l’écriture et l’impression, comme on va en juger:
«Apres avoer rεconu (ami lecteur) sε cε j’avoe publie dε la Gramerε tan’ grecε cε latinε, j’e prin’ plezir a considerer selε dε ma patriε: dε lacelε (comε jε puis estimer par le’ livrε’ publies environ dεpui’ trent’ ans ensa) lε premier auteur a ete Jacε’ du Boes (Sylvius), exelen’ profeseur dε medεsinε, ci entr’ autre’ ξozεs a taξe a reformer notr’ ecriturε e la ferε cadrer a la parolε. Etienε Dolet a fet celcε trete, comε de’ poins et apostrofε: mes lε batiment dε set’ euvrε plu’ haut e plu’ maηificε, e dε plu’ riξε e divers’ etofε, e’ proprε a Loui’ Megret: Toutεfoes il n’a pas persuade a un ξacun sε c’il pretendoet touξan’ l’ortografε: Jacε Pelεtier a dεbatu sε point en deu’ dialogεs subtilεment e doctεment: Giλaumε des Autes (Autels) l’a fort combatu pour defendrε e meintεnir l’ansien’ ecriturε. Le’ plu’ nouveaus ont evite setε controversε, e on’ fet celcε formε dε doctrinε ξacun a sa fantaziε, Jan Pilot en latin, com’ avoe’ fet Jacε’ du Boes au paravant, Robert Etienε en fransoes, le’celz tous jε louε et prizε ξacun pour son meritε, en sε c’ilz sε sont eforse dε nou’ doner sε pourcoe nous maηifion’ la langε grecε e latinε, s’et a dirε la loe dε bien parler.»
On jugera, par cette citation, des avantages et des vices du système de Ramus. Toute méthode phonétique doit être absolue comme son principe, pour remplir complétement son objet: la certitude de la prononciation, la facilité et la rapidité de l’écriture. Celle de Ramus ne l’est pas. Il eût fallu se décider, dans cette voie, à écrire prεmie, batiman, subtilεman, et non premier, batiment, subtilεment, comme le fait l’auteur; mintεnir, et non meintεnir. Autrement on laissé subsister, en même temps que le doute dans la lecture, toute la subtilité des distinctions d’origine et d’étymologie. L’écriture, d’un autre côté, comme l’ont si bien remarqué les sténographes, ne peut être facile et prompte qu’à condition de supprimer les levées de la main nécessitées par toutes ces apostrophes prodiguées par Ramus, plus longues à former que les lettres muettes dont elles tiennent la place. A ce point de vue, tout trait nouveau ajouté à une lettre entraîne un retard équivalant au bénéfice de la suppression d’une lettre ou d’un accent. Les réformateurs phonographes, y compris Ramus (excepté Domergue et Marle), ont reculé devant cette nécessité, inhérente à leur méthode, qui forcerait d’abandonner la marque du pluriel quand elle ne se fait pas sentir à l’oreille, et le public, avec son bon sens pratique, a dédaigné des systèmes entachés d’inconséquence, qui mutilaient la grammaire sans grand profit comme économie de temps et comme simplicité.
Pierre Ramus a le mérite d’avoir, deux siècles avant nos grammairiens et nos dictionnaires, distingué le v de l’u, le j de l’i, et ces deux consonnes ont porté longtemps le nom de consonnes ramistes, en souvenir de leur célèbre patron.
Dans l’édition de 1572, l’auteur, pour remédier sans doute à la difficulté que les gens du monde avaient éprouvée à lire son écriture, a placé dans une colonne en regard son texte orthographié selon la manière ordinaire.
Étienne Pasquier[135], dans une de ses «Lettres à M. Ramus, professeur du Roy en la philosophie et les mathématiques», combat avec raison l’excès dans lequel ce savant, renchérissant sur Meigret et Peletier, était tombé, en bouleversant notre orthographe, et, par suite de cet excès même, Pasquier se prononce encore plus fermement pour le maintien des anciens usages. Tel est l’effet ordinaire de toute exagération en matière de réformes.
[135] Les Œuvres d’Estienne Pasquier, 2 vol. in-fol., Amsterdam, 1723, t. II, p. 55.
On lira avec intérêt cette longue Lettre, où, après avoir réfuté le système de Ramus, il traite particulièrement des diphthongues. Malheureusement, nous ne possédons plus le texte original de Pasquier; mais dans l’impression, qui est de près de cent soixante-quinze ans postérieure à l’époque où il écrivait, on paraît s’être attaché en grande partie à suivre celle de l’ancienne édition. On en pourra juger par ce que je transcris ici de cette lettre, où d’ailleurs Pasquier consent que, «s’il se trouve dans notre orthographe quelques choses aigres, on y puisse apporter quelque douceur et attrempance».
«Or sus, je vous veux denoncer une forte guerre, et ne m’y veux pas presenter que bien empoint. Car je sçay combien il y a de braves capitaines qui sont de vostre party. Le premier qui de nostre temps prit ceste querelle en main contre la commune, fut Louys Meigret, et aprés luy Jacques Peletier, grand poëte, arithmeticien, et bon medecin, que je puis presque dire avoir esté le premier qui mit nos poëtes françois hors de page. A la suitte desquels vint Jean Antoine de Baïf, amy commun de nous deux, lequel apporta encores des regles et propositions plus estroites. Et finalement vous[136], pour clorre le pas, avez fraischement mis en lumière une grammaire françoise, en laquelle avez encores adjousté une infinité de choses du vostre, plus estranges que les trois autres. Je dy nommément plus estranges; car plus vous fourvoyez de nostre ancienne ortographe (sic) et moins je vous puis lire. Autant m’en est-il advenu voulant donner quelques heures à la lecture de vos partisans. Je sçay que vostre proposition est trés-précieuse, de prime rencontre; car si l’escriture est la vraye image du parler, à quoy nous pouvons nous plus estudier que de representer par icelle en son naïf, ce pourquoy elle est inventée? Belles paroles vrayement. Mais je vous dy que quelque diligence que vous y apportiez, il vous est impossible à tous de parvenir au dessus de vostre intention. Je le cognois par vos escrits: car combien que vous décochiez toutes vos fleches à un mesme blanc, toutes fois nul de vous n’y a sçeu attaindre (sic): ayant chacun son orthographe particuliere, au lieu de celle qui est commune à la France. Comme de faict nous le voyons par l’Apologie que Peletier a escrit encontre Meigret, où il le reprend de plusieurs traits de son orthographe. Et vous mesmes ne vous rapportez presque en rien par la vostre à celle, ny de Meigret, ny de Peletier, ny de Baïf. Qui me faict dire que pensant y apporter quelque ordre, vous y apportez le desordre: parce que chacun se donnant la mesme liberté que vous, se forgera une orthographe particuliere. Ceux qui mettent la main à la plume prennent leur origine de divers païs de la France, et est mal-aisé qu’en nostre prononciation il ne demeure tousjours en nous je ne sçay quoy du ramage de nostre païs. Je le voy par effect en vous, auquel, quelque longue demeure qu’ayez faite dans la ville de Paris, je recognois de jour à autre plusieurs traits de vostre picard, tout ainsi que Pollion recognoissoit en Tite-Live je ne sçay quoy de son padouan. J’adjouste que soudain que chacun en son particulier se faict accroire estre quelque chose entre nous, aussi nous veut-il servir de mots non meilleurs, ains qu’il nous debite, par une faulse persuasion, pour tels. Le courtisan aux mots douillets nous couchera de ces paroles, reyne, allét, tenét, venét, menét: comme nous vismes un des Essars, qui, pour s’estre acquis quelque reputation par les huit premiers livres du roman d’Amadis de Gaule, en ses dernieres traductions de Josephe et de Dom Flores de Gaule, nous servit de ces mots, amonester, contenner, sutil, calonnier, aministration. Ni vous ni moy (je m’asseure) ne prononcerons, et moins encores escrirons ces mots de reyne, allét, tenét, venét, et menét, ains demeurerons en nos anciens qui sont forts, royne, alloit, venoit, tenoit, menoit. Et quant à mon particulier, des à present, je proteste d’estre resolu et ferme en mon ancienne prononciation, d’admonnester, contemner, subtil, calomnier, administrer. En quoy mon orthographe sera autre que celle de des Essars, puis que ma prononciation ne se conforme pas à la sienne. Peletier, en son dernier livre de l’Orthographe et prononciation françoise, commande d’oster la lettre G des paroles esquelles elle ne se prononce, comme en ces dictions, signifier, regner, digne; quant à moy je ne les prononçay jamais qu’avecques le G. En cas semblable Meigret, en sa Grammaire françoise, escrit, pouvre et sarions; d’autant que vray-semblablement sa prononciation estoit telle, et je croy que celuy qui a la langue françoise naïfve en main, prononcera, et par consequent escrira pauvre et sçaurions. A tant puis que nos prononciations sont diverses, chacun de nous sera partial en son escriture. La volubilité de la langue est telle, qu’elle s’estudie d’addoucir, ou pour mieux dire, racourcir ce que la plume se donne loy de coucher tout au long par escrit. Et de fait, n’estimez pas que les Romains en ayent usé autrement que nous: car quand je ly dans Suetone qu’Auguste fust du nombre de ceux qui pensoient qu’il falloit escrire comme on prononçoit, je recueille que l’escriture ne symbolizoit (sic) en tout au parler, ains qu’Auguste, par une opinion particuliere, telle que la vostre, estoit d’un advis contraire à la commune, toutesfois si ne le peut-il gaigner: d’autant que du temps mesmes de Neron, Quintilian nous enseigne que l’on escrivoit autrement qu’on ne prononçoit.....»
[136] Il paraîtrait par ce passage que Pasquier n’avait pas connaissance de la première édition de la Gramère de la Ramée, publiée en 1562 chez Wechel, sans nom d’auteur: autrement il n’eût pas été assez injuste pour donner la priorité à la tentative faite par Jean-Antoine de Baïf dans les Etrennes de poezie françoise, dont le privilége est de 1571 et l’édition datée de 1574. L’antériorité de Ramus, appuyée sur le rapprochement des dates, ne saurait être un moment douteuse. D’ailleurs, dans l’énumération que ce savant fait, dans l’édition de 1562, de tous ses prédécesseurs dans la carrière de la réforme, énumération que j’ai transcrite plus haut (p. 192), il n’est nullement question de Baïf. Toutefois, dans sa seconde édition, datée de 1572, Ramus ajoute, après l’énoncé des écrivains indifférents ou même hostiles à ses idées, ce passage:
«Naguère I. A. de Baif a doctement et vertueusement entreprins le poinct de la droicte escripture, et la fort esbranlé par ses viues et pregnantes persuasions.»
Comme il ne peut être ici question de l’édition des Etrennes datée de 1574, c’est-à-dire mise au jour deux ans après la deuxième édition de la Gramère de la Ramée, il est à croire que le poëte Baïf aura publié quelque chose sur ce sujet dans l’intervalle compris entre 1562 et 1572, ou bien qu’il existe une édition des Étrennes publiée l’année même du privilége (1571) et complétement inconnue aux bibliographes.
La lettre de Pasquier se termine ainsi: «..... A quel propos donc tout cela? Non certes pour autre raison, sinon pour vous monstrer qu’il ne faut pas estimer que nos ancestres ayent temerairement orthographié, de la façon qu’ils ont faict, ny par consequent qu’il falle (sic) aisément rien remuer de l’ancienneté, laquelle nous devons estimer l’un des plus beaux simulachres qui se puisse presenter devant nous, et qu’avant que de rien attenter au prejudice d’icelle, il nous faut presenter la corde au col, comme en la republique des Locriens: et à peu dire que tout ainsi qu’anciennement en la ville de Marseille ils executoyent leur haute justice avec un vieux glaive enroüillié, aymans mieux user de celuy-là que d’en rechercher un autre qui fust franchement esmoulu, aussi que nous devons demeurer en nostre vieille plume. Je ne dy pas que s’il se trouve quelques choses aigres, l’on n’y puisse apporter quelque douceur et attrempance, mais de bouleverser en tout et par tout sens dessus dessous nostre orthographe, c’est, à mon jugement, gaster tout. Les longues et anciennes coustumes se doivent petit à petit desnoüer, et suis de l’opinion de ceux qui estiment qu’il vaut mieux conserver une loy en laquelle on est de longue main habitué et nourry, ores qu’il y ait quelque defaut, que, sous un pretexte de vouloir pourchasser un plus grand bien, en introduire une nouvelle, pour les inconveniens qui en adviennent auparavant qu’elle ait pris son ply entre les hommes. Chose que je vous prie prendre de bonne part, comme de celuy, lequel, combien qu’il ne condescende à vostre opinion, si vous respecte-t-il et honore pour le bon vouloir qu’il voit que vous portez aux bonnes lettres. A Dieu.»
Henri Estienne. Traicté de la conformité du language françois auec le grec (sans lieu ni date, mais Genève, 1565), pet. in-8 de 16 ff. prél. et 159 pp.; Paris, Rob. Estienne, 1569, pet. in-8 de 18 ff. prél. et de 171 pp.; nouvelle édit., accomp. de notes, et précéd. d’une étude sur cet auteur, par L. Feugère. Paris, Delalain, 1853, in-8 de CCXXXVI et 223 pp.—Deux dialogues du nouveau langage francois italianizé, et autrement desguizé, principalement entre les courtisans de ce temps (Genève, 1578), pet. in-8 de 16 ff. prél. et 623 pp.; Anvers, Guill. Niergue, 1579 et 1583, in-16.—Proiet du liure intitulé de la Precellence du langage françois. Paris, Mamert Patisson, 1579, pet. in-8 de 16 ff. et 295 pp.; nouvelle édit. accomp. d’une étude sur cet auteur et de notes, par L. Feugère. Paris, Delalain, 1850, in-8 de XLIV et 400 pp.—Hypomneses de gallica lingua peregrinis eam discentibus necessariæ; quædam vero ipsis Gallis multum profuturæ. (Genevæ), 1582, pet. in-8 de 6 ff. prél., 215 et 11 pp.
Quoique Henri Estienne, fils de Robert, par la disposition hellénique de son esprit[137] et sous l’influence de ses études, ait en général rapproché l’orthographe française de l’orthographe grecque, il reconnaît la nécessité de simplifier notre écriture. Dans son Traité de la conformité du language françois avec le grec, p. 159, il termine ainsi l’avis au lecteur:
[137] Son père lui fit apprendre le grec avant le latin.
«I’ay aussi vn mot à dire touchant l’orthographe de ce liure: c’est que ie ne l’approuue pas du tout comme elle est: ains que ma deliberation estoit de faire tailler quelques poinçons expres pour les lettres superflues quant à la prononciation, et toutesfois characteristiques. Mais ayant eu le temps trop court pour ce faire, i’ay remis telle entreprise iusques à l’autre liure françois promis ci-dessus: lequel surpassera ma promesse... s’il plaist à Dieu me prester la vie encores quelques mois.»
La multiplicité des travaux de Henri lui aura fait ajourner ce projet, car toute trace de ce passage a disparu dans les réimpressions de ce livre. Je le regrette, car je ne doute pas qu’il ne s’agisse ici de modifier le ch, ph, th, st helléniques, qu’il eût ramenés à des formes simples comme χ, φ, θ, ς.
Ce docte imprimeur a compris, mieux qu’on ne l’a fait de son temps, le mode de formation des mots que le français emprunte aux langues anciennes. Il a bien vu que blâmer et blasphémer sont un même mot βλασφημεῖν, l’un sous sa forme française, l’autre sous la forme grecque.
Bien qu’il ait fixé l’origine des mots suivants, il admet par renvoi seulement l’orthographe rigoureusement étymologique ainsi indiquée par lui dans la troisième colonne:
| caresser | de χαρίζεσθαι | charesser |
| cédule | σχέδη | schédule |
| cerfeuil | χαιρέφυλλον | cherfueil |
| chicorée | κιχώριον | cichorée |
| esquinancie | συνάγκη | squinancie |
| dyssenterie | δυσεντερία | dysentérie[138] |
| migraine | haêmikrania | hémicranie |
| orthographe | ὀρθογραφία | orthographie |
| fiole | φιάλη | phiole |
| seringue | σύριγξ | syringue |
| rime | ῥύθμος{ | rhythme qu’il écrit rythme |
| autruche[139] | ὁ στρουθός | ostruche |
| sciatique[140] | ἰσχιάς | ischiatique |
[138] C’est ainsi que ce mot devrait être écrit.
[139] Il écrit avec raison ostruche, ὁ στρουθός. Il écrit troter, raptasser, qu’il fait venir de ῥάπτειν; utilisant le z, il écrit gargarizer, ozeille, pezer, pindarizer, riz; il écrit mistère sans y, et sifler, que l’étymologie erronée qu’il invoque, σιφλοῦν aurait dû lui faire écrire avec ph.
[140] Il blâme dans cette orthographe la suppression, à contre-sens, de l’i.
Dans les mots dérivés du latin, il propose la suppression de certaines lettres muettes, abusivement employées de son temps sous couleur d’étymologie. Telles sont l dans chevaulx, animaulx, aulcun, maulx. «Notre au, dit-il, tient lieu du al primitif. Mais il faut conserver cet l dans coulpe (culpa), poulpe (aujourd’hui pulpe, de pulpa).» Comme Ronsard et autres, il écrit aureilles.
On voit par ces exemples quel esprit de sage critique et de fine observation philologique avait su déployer déjà le savant helléniste typographe qui nous a laissé, dans ses Dialogues du nouveau langage françois italianizé, un document si curieux pour l’histoire du français et un si brillant témoignage d’une érudition spirituelle et de bon aloi.
Jean-Antoine de Baïf. Etrénes de poézie fransoęze an vęrs mezurés. Paris, Denys du Val, 1574, pet. in-4, de 16 ff. non chiff. et 20 ff. chiff.
L’insuccès de ses devanciers ne rebuta pas ce poëte. Dans son système de l’orthographe il est plus novateur que Ramus, auquel il n’emprunte que ses lettres avec cédille (c, l, n). Il distingue trois e: bref (muet), long (ouvert), qu’il figure par un e avec cédille[141], et commun (fermé) représenté par un e avec une apostrophe. Partant du principe que chaque son devrait être représenté par un signe particulier, il substitue aux diphthongues ou triphthongues œu ou eu, ou et au et eau, de nouveaux caractères inventés par lui. Le premier est un e dont le trait se prolonge de manière à former un v; le second ressemble au ȣ grec[142]; le troisième n’est que la lettre a modifiée de la même façon que l’e dans le cas précédent. Le c dur est remplacé par le k, et les consonnes h muet, q et x sont proscrites comme inutiles. Il est supérieur à Ramus en ce qu’il remplace partout em, en, par an. Il supprime comme lui les lettres doubles qui ne se prononcent pas; mais, pour les syllabes finales, il est moins phonographe que Ramus, et, sans faire, comme lui, disparaître la marque du pluriel, il se borne à remplacer l’e muet final par une apostrophe, lorsque le mot suivant commence par une voyelle. Ce qu’il y a de curieux dans son système, c’est qu’il écrit d’un seul mot les adverbes composés de plusieurs membres, mais exprimant une seule idée, comme ojȣrdui (aujourd’hui), tȣdemème (tout de même), tȣtalantȣr (tout à l’entour), sansèsse (sans cesse).
[141] Notre diphthongue ai est considérée par lui comme e long.
[142] Dans les idées phonographiques c’est une heureuse innovation. La voyelle que nous faisons figurer par le double signe ou, et qui n’est qu’un son simple, est représentée dans toutes les langues de l’Europe, excepté le grec, par un seul signe.
Il écrit duk d’Alanson, egzakte ekriture, élémans, anploiér, komansant.
A la fin de sa préface, il promet au lecteur un Avęrtisemant tant sur la prononsiasion fransoęze[143] ke sur l’art métrik, qui n’a point paru.
[143] A son époque l’oi se prononçait comme oè.
Honorat Rambaud, maistre d’eschole à Marseille. La declaration des abus que l’on commet en escriuant, et le moyen de les euiter et representer nayuement les paroles: ce que iamais homme n’a faict. Lyon, Iean de Tournes, 1578, pet. in-8, de 351 pp.
L’auteur de cet ouvrage, en créant, au grand étonnement de l’œil et sans grand profit pour la lecture, un alphabet de sa façon, où toutes les lettres sont changées, s’est efforcé de donner une image d’une fidélité absolue de la prononciation. Voici comment il expose lui-même ses principes (p. 6):
«Vous sçauez bien, lecteurs, que l’escriture est le double et coppie de la parolle, et que le double doit estre du tout semblable à l’original. Tellement que tout ce qui se treuue en l’original se doit trouuer en la coppie, et rien plus: autrement la coppie est fausse. Par quoy faut conclurre que l’escriture doit estre totalement semblable à la parolle, et qu’en l’escriture se doit trouuer tout ce que la bouche a prononcé, et rien plus: autrement est fausse, et trompe les lecteurs et auditeurs, comme disent fort bien Quintilien, Nebrisse, et plusieurs autres, lesquels se faschent, et non sans cause, de ce que ne representons pas les parolles comme les prononçons, et semble que le facions par despit et tout expres, pour mettre en peine tous hommes, femmes et enfans, presens et aduenir. Les susnommés nous ont laissé par escrit plusieurs remonstrances qu’ils en ont faict, par lesquelles leur sommes obligés, et mesmes à Nebrisse, lequel nous donne esperance, disant, Quod ratio persuaserit, aliquando fiet. C’est à dire que: Ce que raison approuuera, en quelque saison se fera. Et pource que raison, dame et princesse des hommes, approuue et nous commande de representer les parolles tresnayuement et tout ainsi que la bouche les prononce, luy voulant obeïr, comme humble et tresobeïssant seruiteur, me suis efforcé, selon mon petit pouuoir, d’accomplir son commandement, comme verrez presentement, pourueu qu’il vous plaise lire et bien entendre mon dire.»
Il ajoute, p. 26: «Escrire est faire un chemin, par et moyennant lequel voulons conduire et guider nous mesmes, et les autres aussi. Et puis qu’il est necessaire que tous hommes, femmes et enfans, presents et advenir, y passent, il est tresnecessaire qu’il soit bien aisé. Et l’on a faict tout au rebours: tellement que peu de gents y peuuent passer: et quasi tous ceux qui y passent le font par contrainte et à force de coups. Et ie n’en parle pas par ouïr dire: car il y ia trentehuict ans que je contrains les enfans à passer par ledit chemin; durant lesquels ayant eu loisir de contempler les tourmens qu’ils endurent, et endureront, si l’on ne repare ledit chemin.....»
Dans l’extrait du privilége donné le 18 mai 1577 par le roi Henri III, on lit: «Notre cher et bien amé Honoré Rambaud... ayant, pour la commodité d’un chacun qui voudra apprendre de luy et pour la sienne aussi, composé un alphabet de quelques charactères qui pourront seruir grandement à soulager les personnes, mesmes les petits enfans, de lire et escrire. L’inuention duquel Alphabet il luy a esté ja permis de faire imprimer et mettre en lumiere, tant à Tholouze qu’à Lyon...»
Ce qui dut contribuer surtout au peu de succès de l’écriture phonétique de Rambaud, c’est que dans son ouvrage elle représente, du moins je suis fondé à le croire, la prononciation française au seizième siècle dans le midi de la France.
Charles Nodier, oubliant qu’un art très-important, la sténographie, est fondé sur le perfectionnement de l’écriture phonétique, et qu’il a quelques chances de pénétrer dans l’éducation de la jeunesse, s’exprimait ainsi en 1840, à propos du livre de Honorat Rambaud:
«Le maître d’école de Marseille n’étoit pas un de ces révolutionnaires circonspects qui marchent à pas mesurés dans la réforme et qui soumettent le désordre et la destruction à une apparence de loi. Radical en néographie, il débute modestement par la suppression de l’alphabet, et lui en substitue un nouveau, composé tout d’une pièce pour cet usage. Cette manière de procéder prouve du moins que Rambaud avoit la conscience de son entreprise, et qu’il savoit apprécier à leur juste valeur les ridicules tentatives de ses prédécesseurs et de ses émules. Aussi n’hésiterai-je pas à le regarder comme l’homme de génie de la bande, et le seul qui offre dans son fatras quelques vues ingénieuses et fortes. La question de savoir si l’alphabet usuel est bon ou mauvais n’étoit pas difficile à résoudre; le fait est qu’il est détestable dans la figure des signes, dans leurs attributions et dans leur ordre, et qu’il en est de même de tous les alphabets anciens et modernes. Mais la difficulté n’est pas là. La difficulté n’est pas même de créer un alphabet meilleur que le nôtre, et besoin n’étoit pour cela des doctes labeurs d’un maître d’école. Le moindre de ses écoliers y auroit suffi de reste. Ce qu’il y a d’embarrassant, ce n’est pas de faire, tant bien que mal, une espèce d’alphabet rationnel et philosophique, propre à faciliter l’enseignement de la lecture et à rendre peu sensibles et même tout à fait nulles les équivoques et les ambiguïtés de l’orthographe. C’est d’appliquer cet alphabet à une langue écrite, sans altérer, sans détruire peut-être son esprit et son caractère. C’est surtout de le faire accepter par le peuple auquel on le destine, comme la forme d’un chapeau ou la coupe d’un habit. Voilà ce qui n’arriva jamais, et ce qui jamais n’arrivera. La religion en sait, je crois, la raison. Si la philosophie en sait une autre, qu’elle la dise.» (Description raisonnée d’une jolie collection de livres, p. 83.)
Nodier, un peu injuste dans ses dédains irréfléchis, a oublié de dire que le digne maître d’école est le premier qui ait proposé et développé la nouvelle épellation: be, ce, de, fe, ge, le, me, etc.
Laurent Joubert, médecin ordinaire du Roi de France et du Roi de Navarre, premier docteur, régent, chancelier et juge de l’Université en médecine de Montpellier. Dialogue sur la cacographie fransaise, avec des annotacions sur l’ortographie de M. Joubert (par Christophe de Beauchatel) (à la suite de son Traité du ris. Paris, Nicolas Chesneau, 1579, pet. in-8 de 15 ff. prél., 407 pp. et 8 pp.)
On sait que le docte chancelier de l’Université de Montpellier, médecin ordinaire du roi Henri III, a pratiqué une orthographe réformée dans la plupart de ses ouvrages, dont plusieurs renfermaient des doctrines très-remarquables pour son temps. Homme d’esprit et de grand savoir, vir acuti ingenii, comme le qualifie Haller, il a combattu et détruit plus d’un préjugé scientifique, consacré par les siècles. La routine qu’il appelle cacographique présentait plus de résistance et a surmonté ses efforts.
A la suite de son Traité du ris, p. 376, Laurent Joubert a inséré un Dialogue sur la cacographie fransaize expliquant la cause de sa corruption. Les deux antre-parleurs (sic) sont Fransais et Wolffgang. Voici un spécimen de leurs propos qui donnera une idée de l’orthographe du savant docteur:
«Fransais..... Il y a ha defaut à ne pouvoir, ou ne savoir represanter par ecrit ce qu’on prononce; il y a ha du dommage bien grand, pour ceus qui veulet apprandre ce langage: d’autant qu’il leur faut à chaque mot une observacion, de savoir dissimuler quelques lettres an prononsant, lèquelles on ne veut toutesfois permettre ætre omises de l’ecrivain.
«Wolffgang. J’an ay eté an fort grand’peine, l’espace de sis ans, durant lequel tams j’ay merveilleusemant travalhé à comprandre la droite prolacion de ce langage, pour ansegner par apres les miens avec plus grande facilité. Car il y a ha plusieurs Alemans qui vienet an France expressemant pour apprandre sa langue: lèquels voyans l’ecriture si repugnante au parler, s’an degoutet, & perdet courage d’y proufiter, sinon par trop long tams. Car ils voyet qu’il faut oblier l’ecriture pour la bien prononcer, & la prolacion pour ecrire à la mode des Fransais. A cause dequoy certains princes d’Alemagne m’ont donné charge d’essayer à comprandre exactemant ce langage, pour le savoir par apres communiquer aus leurs, & an parlant, & an ecrivant, ainsi qu’il le faut prononcer. Et pource j’ay meprisé tous livres ecris an fransais, & me suis contraint d’apprandre le langage, an conversant familieremant avec ceus qui parlet mieus, observant træ-sogneusemant la vraye prolacion. De laquelle m’etant bien assuré, j’ay commancé d’exprimer par ecrit le naïf parler du fransais: de sorte que (à mon avis) le plus nouveau & etrangier, qui sache lire an latin, ou an autre langage de ceus qui uset de semblables lettres, il le prononcera dans peu de jours, aussi bien que moy. Ainsi j’espere de contanter ceus de ma nacion, qui attandet ce bien de moy: & par mæme moyen feray satisfaccion à la Fransaise, laquelle se peut plaindre que l’Alemande a causé la corrupcion de son ecriture.»
A la page 390 de ce volume, Christophe de Beauchatel, neveu et disciple de Joubert, a résumé ainsi «l’orthographie» de son maître:
«Premieremant il tient cette maxime qu’il faut ecrire tout ainsi que l’on parle et prononce, comme il èt trè-bien remontré an l’Apologie de son orthographie par Isaac, son fils ainé.
«..... M. Ioubert difere de ses predecesseurs, an ce principalemant qu’il ne change pas de lettres, qu’il ne tranche les siennes, ne les charge d’acsans, ne les marque de crocs, autremant que fait le commun: dont sa lettre èt fort courante et ne retarde point le lecteur.»
Claudii Sancto a Vinculo de Pronuntiatione linguæ gallicæ libri II, ad illustrissimam simulque doctissimam Elizabetham,Anglorum Reginam. Londini, excud. Th. Vautrollerius, 1580, in-8, de 199 pp.
L’auteur de cette grammaire, Claude de Saint-Lien (a Vinculo), professeur de latin et de français à Londres, raconte qu’ayant été admis auprès d’Élisabeth, à Lewsham (cum tu nuper Lewshamiæ rusticareris), il l’entendit dans la conversation qu’il eut avec elle parler très-bien français. Il croit donc devoir lui dédier son Traité de l’orthographe, et prie la reine d’excuser sa hardiesse, en lui rappelant des souvenirs tirés de l’histoire ancienne.
Parmi les difficultés de l’orthographe, il cite surtout celle qui résulte de l’emploi du s au milieu des mots, difficulté que l’Académie fit cesser cent soixante ans après dans la troisième édition en supprimant les s parasites. Voici comment il s’exprime à ce sujet: «Quam crucem hæc litera fixerit auditorum animis, noverunt qui nostræ linguæ operam dederint.» Tels sont, comme exemple: désastre et folastre, etc.
Il signale surtout le grand nombre de lettres inutiles qui surchargent les mots et qui ne se prononcent pas. Aussi, pour faciliter la lecture et la prononciation, il place sous toute lettre inutile un point qui signale cette superfluité. Il écrit donc ainsi:
[‡] ç̇: Dans l'original le point est placé sous le ç.
Quant à remplacer par un a l’e dans entendent, et écrire antandent, il s’y oppose, attendu que le son de l’e suivi de l’n est (ou du moins était) intermédiaire entre a et e.
Il admet le ç et distingue les j des i et les v des u, et voudrait qu’on écrivît diccion et imposicion, et non diction et imposition.
Il désirerait que le k remplaçât le qu qu’il voudrait «voir exilé à jamais». Ses dialogues, placés sur six colonnes, sont curieux et pour l’orthographe et aussi pour les locutions qui sont encore usitées en Normandie. En voici un exemple:
Latine.—D. Ut vales hoc mane?—R. Non ita quidem ut vellem.
Antiqua orthographia.—D. Comment vous portez-vous à ce matin?—R. Non pas si bien comme je voudrois.
Neotericorum.—D. Comman’ vou’ porte’ vous à ce matin?—R. Non pa’ si bien comme je voudroé.
Authoris.—D. Comment vous portez-vous à ce matin?—R. Non pas si bien comme je vouldroye.
Modus loquendi.—D. Comman vou porté vouz à ce matin?—R. Non pas si bien comme je voudroé.
* Claude Mermet. La Pratique de l’orthographe françoise, avec la manière de tenir livre de raison... composé par Cl. Mermet, escrivain de S. Rambert en Savoie. Lyon, Basile Bouquet, 1583, in-16, de 315 pp.
Je n’ai pu prendre connaissance du contenu de cet ouvrage, qui paraît d’une assez grande rareté.
Montaigne, au verso du frontispice d’un exemplaire (appartenant à la bibliothèque de Bordeaux) de la cinquième édition de ses Essais, in-4, Paris, l’Angelier, 1588, a écrit quelques instructions pour l’impression d’une nouvelle édition.
Ces instructions ont été reproduites dans l’édition des Essais donnée par Naigeon (Paris, 1802, 4 vol. in-8). J’en extrais un passage relatif à l’orthographe:
«Montre, montrer, etc., escrives les sans s a la differance de monstre, monstrueus.
«Cet home, cette fame, escrives le sans s a la differance de c’est, c’estoit.
«Ainsi, mettes le sans n quand une consonante suit et aueq n si c’est une uoyelle; ainsi marcha, ainsin alla[144].
«Campaigne, Espaigne, Gascouigne, etc.; mettez un i devant le g comme a Montaigne[145].
«Mettez regles, regler, non pas reigles, reigler.»
[144] C’est ainsi que les Grecs font emploi du ν euphonique ἐστὶ, ἐστὶν.
[145] Cette prononciation devait être celle de la Gascogne.
Dans la suite de cet avis à l’imprimeur, Montaigne donne des instructions pour la ponctuation, pour l’emploi des lettres majuscules, qu’il réserve seulement aux noms propres; pour les dates, à mettre en toutes lettres et sans chiffres, et pour l’espacement des mots, etc.
Montaigne écrit ainsi les mots: come, differant (adj.), comancemans (au pluriel), lexamplere, lorthografe, imprimur, aus (aux), stile, deus (deux), paranthese, aueq. Dans beaucoup de mots il a devancé son époque, où l’on écrivait escript.
Par la manière dont il orthographie ces mots: come, home et fame, differant (adjectif), comancemans, paranthese, on voit qu’il voulait qu’on imprimât son livre d’une manière plus conforme à la prononciation;
Qu’il remplaçait dans les pluriels l’x par le s: aus, deus;
Qu’il simplifiait l’orthographe dans examplere, stile, ortographe;
Enfin que pour les mots monstre, monstrer, cest, pronom démonstratif, reigle, la correction qu’il indiquait a été adoptée par l’Académie.
Le manuscrit original déposé à la bibliothèque de Bordeaux, qu’un de mes amis vient d’y consulter, est écrit dans le même système: la suppression des doubles lettres inutiles, et l’emploi de l’a substitué à l’e, pour conformer l’écriture à la prononciation. (Voir App. E.)
De Palliot, secrétaire ordinaire de la chambre du Roy. Le vray Orthographe françois, contenant les reigles et preceptes infaillibles pour se rendre certain, correct et parfaict à bien parler françois. Paris, Nicolas Rousset, 1608 (priv. du 24 avril 1600), in-4 oblong de 35 ff. chiff. et 1 f. pour le privil.
Palliot, qui prend le titre de secrétaire ordinaire de la chambre du roi, est un ennemi acharné de toute innovation orthographique. Son argumentation reproduit, sauf la modération de la forme et l’élégance du style, celle de Pasquier dans sa lettre à Ramus (voir p. 194). Abandonnant ce que son émule appelle «la vraye nayveté de nostre langue», il tombe dans l’affectation et le langage pédantesque, dangereux écueil sur lequel était en péril de sombrer le génie de la Renaissance dans l’excès de son zèle de restauration archaïque, si Rabelais n’eût montré le ridicule de la verbocination latiale en la plaçant, d’une façon si comique, au VIe livre de son Pantagruel, dans la bouche de l’écolier limousin. On jugera la manière de raisonner de Palliot et son orthographe par la citation suivante:
«J’inféreray de là que, quelque confusion qu’il y ayt aux dictions proférées, la distinction s’en recognoist à l’orthographe bien reglé, dont le jugement et r’apport s’en fera (affin que ce ne soit point une regula Lesbia, qui se conforme à la diversité de ses applications) sur la déduction de ses motz les uns des autres, par leurs conjugaisons et déclinaisons: ou sur la dérivation du grec et du latin, d’où nous tenons la plus-part de nos termes; voire que nous en tenons des lettres mesmes qui servent de toute notoire distinction en l’escriture, qui est néantmoins toute confuse en sa prolation. Ainsi le z que nous tenons des Grecz parmy nos lettres faict différer noz de nos: l’vn qui sera françois avec ce z, l’aultre qui sera latin avec son s. Ainsi que l’y adverbe de lieu en nostre langue vas-y fera la différence de l’i simple qui sera en latin impératif d’ire: i tu. Ainsi tenans et noz lettres mesmes et noz accentz et noz distinctions et punctuations, comme la plus-part de nos dictions, de ces langues certaines et reglées, la vraye pierre de touche, qui servira à faire recognoistre nostre orthographe plus reglé, sera à ces dérivations, et nous arrester en cela à ce qui en a esté suyvy jusques icy par toute l’antiquité, sans vaciller à l’inconstance et incertitude des nouvelles préscriptions de ces innovateurs, d’un tas de caractêres nouveaux, de nouvelles escrivacheries et telles autres broüilleries modernes, qu’ilz veulent mesmement fonder sur un pilotis si mal asseûré que seroit le commun langage, qui peut estre perverty et corrompu d’ailleurs, soit par l’asnerie des vns, soit par l’insolence des aultres, s’il n’est retenu en bride et en son entier par ceste antienneté d’escriture, sans laquelle nostre langage seroit mesmement desja autant dépravé que noz mœurs.
«..... Ainsi, l’vn de ces desordres provenant de l’aultre, je me serois indifféremment laissé porter de la compassion que j’avois de celuy de nostre orthographe, à la passion de veoir regner ces excês parmi nous, qui m’auroit faict ainsi transporter à les attacquer tout d’vne mesme escarmouche, jusques à charger aussi bien sur le mal-faire et mal-vivre comme sur le mal-dire et mal-escrire. Leur insolence m’ayant poussé à m’en stomacquer si insolemment que de n’avoir pas à moindre contre-cœur l’vn que l’aultre, dont les excez ne cesseront pas plus tost, que je cesseray incontinênt d’estre plus si excessif en telles criticques censures. Esquelles je suppli’ray que l’on ayt plustost esgard à ces recherches et galanteries des motz où je me suis donné libre carrière jusques au bout que non pas aux recharges et contre-battries des maulx, etc.....»
On voit par cette citation, qui eût été inintelligible si je n’avais pris le soin de la ponctuer à la manière actuelle, que l’orthographe de Palliot est aussi lourde et hérissée que son raisonnement et qu’ils sont l’un et l’autre entachés d’une affection aveugle pour les usages surannés.
DIX-SEPTIÈME SIÈCLE.
Robert Poisson. Alfabet nouveau de la vrée et pure ortografe fransoize et modèle sus iselui en forme de Dixionére. Dedié au roi de Franse et de Navarre Henri IIII, par Robert Poisson équier (Auvile) de Valonnes, en Normandie. Prezenté au roi par l’auteur, se 25 jour d’Aut l’an de Grase 1609. A Paris chez Jérémie Perier, livrère és petis degrez du Palæs, 1609, avec privileje du Roi, pet. in-8.
Parmi les pièces de vers en tête de cet ancien traité d’orthographe, où sont indiquées la plupart des modifications adoptées par l’auteur, on lit ce quatrain:
Plusieurs des changements qu’il indique ont été adoptés plus
tard: telle est la suppression des s, des d, des p, etc. L’introduction
qu’il propose du t surmonté d’un accent ^ pour indiquer la
suppression de l’s, comme dans , dut être sans objet, puisque
cet s est maintenant supprimé. Le seul signe nouveau qu’il
introduit est un ch peu gracieux (nous le représentons par cꜧ[‡]),
pour distinguer la prononciation du ch dans cher, qu’il écrit
cꜧer, de écho, cꜧose de chœur.
[‡]ꜧ représente un h avec un crochet:
Au-dessous de chaque lettre de l’alphabet, il indique dans un quatrain sa valeur et l’emploi qu’il en fait, justifié, à la suite de chacun d’eux, par une longue liste d’exemples. Voici quelques-uns de ces quatrains:
[146] Dans ces trois mots, en latin labra, librarius et obviare, l’auteur prononçait donc le b comme v (comme le β en grec). Nous ne prononçons plus livraire, mais libraire, quoique nous écrivions et que nous prononcions livre; nous ne prononçons plus ovier, mais obvier.
[‡]t^ représente un t avec un accent circonflexe dessus.
Selon lui, l’n et le p ne doivent pas être doublés dans certains mots, comme dans aviéne, miéne, tiéne; et dans apointer, apelant, aparant; selon lui aussi on doit écrire rétorique, réteur.
Pierre le Gaygnard. L’Apprenmolire françois, pour apprendre les ieunes enfans et les estrangers a lire en peu de temps les mots des escritures françoizes, avec la vraye ortographe françoize. Paris, Jean Berjon, 1609, in-8.
L’auteur réforme à sa manière l’orthographe sans introduire de nouveaux signes. Son ouvrage, écrit de la façon la plus confuse et d’un style boursouflé et pédantesque, se refuse à toute analyse.
Étienne Simon, docteur-médecin. La vraye et ancienne orthographe françoise restauree. Tellement que desormais l’on aprandra parfetement à lire et à escrire et encor auec tant de facilité et breueté que ce sera en moins de mois que l’on ne faisoit d’années. Paris, Jean Gesselin, 1609, in-4 de 14 ff., 680 pp. et 7 ff. de table.
Simon est un réformateur hardi; mais, voulant éviter de créer de nouveaux signes ou d’employer les accents déjà connus de son temps, il s’est jeté, pour figurer la prononciation, dans une voie plus mauvaise qu’aucun de ses devanciers; il redouble les voyelles et les consonnes de la façon la plus fastidieuse, sans parvenir à distinguer la valeur phonique des syllabes.
Voici un exemple tiré des poésies de du Bartas:
Malgré les vices évidents d’un tel système, il faut reconnaître une bonne inspiration dans la simplification du double signe qu en q, et dans la permutation du signe binaire ge en j.
* Claude Expilly, président au parlement de Grenoble. L’Ortographe françoise selon la prononciation de notre langue. Lyon, 1618, in-fol.
Malgré toute l’obligeance qu’ont mise dans leurs recherches MM. les conservateurs de notre Bibliothèque impériale, de celle de Sainte-Geneviève, de la Mazarine, de l’Arsenal, de l’Institut de France et autres grandes bibliothèques de Paris, il m’a été impossible de me procurer cet ouvrage. J’ai eu recours alors à M. Monfalcon, conservateur de la bibliothèque de Lyon, espérant que le livre imprimé en cette ville s’y trouvait; les recherches ne se sont pas bornées à la bibliothèque de Lyon, et se sont étendues à deux autres grandes bibliothèques, mais inutilement. Ce livre in-folio d’un savant distingué, et que M. Brunet déclarait être devenu rare, serait-il devenu introuvable?
Jean Godard. L’H françoise. Lyon, 1618, in-12 (et aussi à la fin de sa Nouvelle Muse, Lyon, Cl. Morillon, 1618, pet. in-8).—La Langue françoise de Iean Godard Parisien: ci-devant lieutenant General au Bailliage de Ribemont. Lyon, Nicolas Jvllieron, 1620, in-8.
Jean Godard, à la fois érudit et d’un esprit enjoué, dédie à du Vair, garde des sceaux de France, un traité de la langue française plus particulièrement consacré à l’orthographe et qui contient des détails instructifs. Sans qu’on puisse le déclarer novateur, puisque alors une grande liberté orthographique était admise, on jugera de celle qu’il adopte dans son livre et de l’esprit dans lequel il est écrit. Je me bornerai à reproduire le chap. VI, consacré à l’A, p. 61, et le ch. IX, p. 91, consacré à l’F françoise. Mais, comme entrée en matière, voici ce qu’il dit au chapitre de l’S:
«Ce ne m’êt pas vn petit contentemãt que Pollio ait bien daigné faire en la langue latine deuant moi, ce que ie fais en la langue françoise aprés luy, ecriuant des traitez sur nos lettres, comme il fit sur les lettres latines. Mais ancore, mon contantemant redouble quand ie viens à considerer que Messala, grand au barreau, grand à la guerre, homme de langue et de main, avocat et capitaine, se contanta bien de laisser par ecrit[147] vn liure de l’S latine sans toucher aux autres lettres. Car il samble par là que c’êt vne jantille et genereuse[148] entreprise, de traiter la plus grande part de nos lettres, puisque vn si grand personnage a creu qu’vne seule lettre peut seruir de carriere à un bel esprit, pour y faire sa course, et pour amporter la bague que les Muses donnent à leur cavalier, qui court le mieux dans leurs lices. Mais cette ioye êt suyuie de la tristesse que j’ay de ce que nous n’auons pas ces deux ouurages de ces deux grãs Romains. Ie n’aurois point de peur de m’egarer, ie ne crandrois ni vãt ni vague, si ie les voyois marcher deuant moi ou tenir derriere moi le timon desus la poupe. N’estoit que nos Muses francoises cherissent leurs bonnes seurs, ie les accuserois volontiers de neglijance, et d’auoir permis au Tans par leur mausoin d’anlever de leur cabinet deux ioyaux si precieux et deux pieces si belles. Il ne nous reste de leur nom que la seule souuenance, et du desir de les voir que le regret de leur perte.»
[147] Dans beaucoup de mots, Godard a devancé son époque, où l’on conservait cette forme: escript.
[148] Puisqu’il écrit jantille, jans, neglijance, il aurait dû remplacer partout le g doux par j.
L’A françois.
«Nous auons assez demeuré deuant le logis; il êt bien tans que nous antrions dans la maison, où nôtre langue françoise nous attand de pié ferme. Voici l’vn de ses jans qu’elle anuoye au deuant de nous. C’êt son A qui nous ouure la porte, et qui vient pour nous receuoir. Car c’êt luy qui a la charge d’accueillir les amis et les etrangers qui veulent venir visiter sa maitresse. Saluons-le: mais plutôt ecoutons comme il nous salue luy même d’vne voix claire, argentine, eclatante. C’êt le capitaine de tous les caracteres de la langue Françoise, et certes meritoiremãt. D’autant qu’il tient cette charge plus par merite que par faueur, passant en grace de beauté et en vigueur de force naturelle tous les autres caracteres, qui sont assez honnorez de suyure son etandard. Car autant que les voyelles passent les consonnes, l’A passe autant les voyelles: à cause que sa pronontiation êt plus mâle, plus franche, plus haute, et plus aigue, que celle de toutes les autres voyelles. Il veut son passage libre et que la bouche luy fasse place à leures ouuertes, quand il luy plait de sortir. Il êt fort, il êt valeureux, il êt bruyant. C’êt luy qui fait nos chamades, nos chariuaris, nos tintamarres. Comme prince et capitaine il a de la majesté sur les siens, et de l’espouuante sur les autres. Anciennement, à cause de cela, quand il faisoit sa demeurance en Grèce, il etoit fort cheri et fort honnoré des Lacedemoniens, les plus guerriers de tous les Grecz. Car il batoit leurs annemis par l’oreille de la seule pronontiation de leur nom, qu’il armoit et randoit epouuantable, par la pointe de son seul son. C’êtoit sur cet estoc que brilloit l’émeri des Antalcidas, des Brasidas, des Isadas. Mais ce sont plutôt effetz de valeur que d’affection de carnage. Car au reste il êt plein d’vne grande courtoisie et d’vne grande bonté. On ne doute point que ce ne fût luy qui sauuoit les criminelz à Rome plus souuant que les vestales. Aussi ces pauures criminelz cherissoient et benissoient autant cette lettre-là, qu’ilz redoutoient et detestoient le C, lettre de condamnation, de malheur et de malle heure. La langue françoise, reconnoissant son merite ancore mieux que la gréque et la latine, l’amploye en beaucoup de charges. Car outre ce qu’elle l’a fait la première de ses lettres, elle l’a fait ancore article, verbe, et preposition. Premieremant, di-ie, il êt article, voire article si general, qu’il a lieu au singulier et au pluriel, et autant au genre feminin qu’au masculin. Car nous disons, il êt à Pierre, il êt à Perrette. J’en ai parlé à quelques-vns; j’en ai parlé à quelques-vnes. Mais il ne sert pas seulemant en cette façon-là d’article à nôtre langue, pour ses noms, pronoms et participes; il sert ancore d’article à l’infinitif de nos verbes, et prand lors le lieu et la signification de l’article de: comme en ces examples, ie commence à lire, ie commance à comprandre, c’êt à dire, ie commance de lire, ie commance de comprandre. Ainsi nous disons, Nicolas tâche à paruenir, c’êt à dire, de paruenir. Il êt preposition et tient en nôtre langue la place de la preposition latine ad, en plusieurs façons de parler comme aux suyuantes: Le roi a enuoyé des ambassadeurs à l’ampereur. Rex misit legatos ad imperatorem. Ad quem finem, à quelle fin. Je retourne à mon propos, ad propositum redeo. Aucune fois il tient le lieu de la preposition latine in, comme ici: Manet in nostris ædibus, il demeure à nôtre maison. Je ne veux pas nier qu’on ne puisse pas bien dire aussi: il demeure en nostre maison. Mais neammoins la premiere façon parler me samble plus nayue et plus douce, comme il se pourra peut-être montrer en vn autre androit. Mais outre cela il se prand aussi quelquefois pour cette dictiõ françoise pour. Car quand nous disons, à dire vrai, à prandre l’affaire de bon biais, c’êt à dire, pour dire vrai, pour prandre l’affaire de bon biais. Nous le mettons ancore bien souuant au lieu de la preposition auec, comme quand nous disons: c’êt un fruit qu’il faut cueillir à la main, on le court à toute force, c’êt à dire, cueillir auec la main, on le court auec toute force. Sa derniere signification, c’êt qu’il êt verbe comme j’ai dit. Car il signifie cette troisiéme personne habet, comme en cet example: Pierre a le liure que vous cherchez. Mais au reste il suit la premiere personne au singulier, et la troisième personne au pluriel du preterit indefini de nos verbes, que nous pouuons appeller aoriste, à la façon des Grecz, empruntant ce terme-là d’eux. Je parle des verbes qui font leur infinitif en er; car il faut dire, j’aimé, tu aimas, il aima, nous aimâmes, vous aimâtes, ilz aimerent, et non pas, j’aima, ilz aimarêt. Neammoins qui voudra pourra bien aussi, ce me samble, ecrire, j’aimai. Quant à ces autres voix, nous aimissions, vous aimissiez, qui sont du même verbe, c’êt ainsi qu’il faut dire, à mon auis, plutôt que, aimassions, aimassiés[149], qui au hasard pourroient être tolerables. Toutefois ne les condannãt pas, ie ne veux pas aussi les absoudre.»
[149] Cette observation ne manque pas de justesse. Quoi de plus fâcheux que l’existence de ces imparfaits du subjonctif en assions, assiez, que nos grammairiens nous enjoignent d’employer, et dont personne n’ose se servir, ni dans le discours, ni dans les livres, afin de ne pas blesser les oreilles délicates.
L’F françoise.
«Voici la pauure déualisée, qui se plaind, et qui a iuste cause de se plaindre du tort qu’on luy fait, de lui ôter ce qui luy appartient. Mais ce qui la fâche ancore dauantage, c’êt que ce tort là, qu’on luy fait, viẽt d’un autre tort precedant, qu’elle souffre auec impatiance, pource que il touche à sa reputation. Et tout ce mal luy viẽt, à cause qu’on lui impute la faute d’autruy, ayãt êté condamnee sans être ouye. Mais le bon droit de sa cause luy conseille d’être appellante de la sentance que l’vsage a randue contre elle et de releuer son appel au siege de la Raison, où sans doute les griefs que luy fait l’vsage luy doiuent être reparez. C’êt un tort manifeste qu’on luy fait de la priuer de ses droitz, et de luy ôter ce qui luy appartient, sous couleur qu’on luy veut faire accroire qu’elle n’êt pas capable d’en iouyr, la chassant de chez elle, et mettant des etrangers en sa maison. Car à toute heure l’vsage la chasse de sa place, et met un P et vne H en son lieu, par toutes les dictions gréques, desquelles nous nous seruons. C’êt un abus en nôtre langue, qui proviẽt de l’example et de l’imitation des Latins, qui en ce voyage-là nous seruent de mauuais guides, et nous détournent du grand chemin. Quelque artifice que la langue latine puisse auoir iamais eu par l’industrie de ses orateurs et bien disans, si êt-ce pourtant que la nôtre en cet androit la passe beaucoup par sa douceur naturelle. Car les Romains n’ont iamais eu, comme nous auons, aucune lettre qui ait peu exprimer seule la nayueté et la douceur du Φ des Grecz. Cette difficulté là les a long tans tenus en peine de chercher le moyen d’y paruenir. Mais ilz n’en sont iamais venus à bout. Car ce seroit bien se tromper, de croire que l’F latine ait le son du Φ. Si cela eût été, les Romains n’eussent pas manqué d’amployer et de mettre en besogne leur F, laquelle êt de son naturel si rude et si âpre, qu’il n’y a point de lettre qui le puisse être dauantage. Quintilian s’en plaind bien fort[150]: d’autant que ce n’êt pas vne voix, mais plutôt vn sifflemant qu’on pousse et met dehors à trauers les dantz, que les Romains tenoient serrées en faisant ce soufflemant ou ce sifflemant, comme des serpans ou des oyes. Voilà pourquoi, a mon auis, Ciceron dit que c’êt vne lettre fort deplaisante. Cette F romaine, dont le son êt si desagreable et si sifflant, êtant toute éloignée de la douce voix du Φ, et n’ayant rien de commun ni de samblable auec luy, n’a iamais osé se presanter pour le represanter. Les anciens Latins voyant cela, et qu’il n’y auoit aucune correspondance de l’vne à l’autre, ne peurent trouuer aucune lettre chez eux, plus approchante du Φ que leur P: occasion qu’ilz l’amployerent au commancemant au lieu du Φ, et disoient, tropæum, triompus. Mais il êt vrai que c’etoit cette lettre latine qui approchoit le plus du Φ: neanmoins elle en êtoit toûiours si loing qu’elle ne pouuoit pas l’approcher. Cela fut cause que, l’oreille s’offansant d’une telle pronontiation, qui n’auoit aucune iuste proportion ni conuenance auec la gréque, les Romains furent contraintz d’ajoûter une H à leur P, pour represanter par ce moyen, le mieux qu’ilz pouuoient, la force et la pronontiation du Φ; ce que Ciceron fut luy-même forcé de faire, comme les autres, se laissant amporter à l’vsage, qui êtoit appuyé sur la douceur de la pronontiation et sur le iugemant de l’oreille. Nôtre vulgaire suyuãt cette façon romaine s’êt fouruoyé, prenant vn long détour, au lieu du grand chemin plus court et plus assuré. Car puisque nôtre F êt toute douce, qu’elle a le son du Φ des Grecz, et rien de l’âpreté de l’F latine, nous deuons nous en seruir aux mots grecz, et non pas du P et de l’H, à l’example des Romains, duquel nous n’auons que faire. On ne doit iamais mandier d’autruy ce qu’on a dans la maison. C’êt manque de iugemant ou pure moquerie aux sains de chercher guerison et aux riches d’amprunter. Quant à moi, c’êt bien mon auis que l’F françoise soit reintegree dans tous les lieux et dans toutes les places gréques desquelles le P et l’H l’ont chassee par voye de fait, sous la faueur de l’vsage, qui, pour ce faire, leur a preté main forte. Ce sera chose plus gratieuse que nôtre ortografe soit françoise; il nous sera plus commode d’écrire vne lettre que deux; et sera plus raisonnable de randre à nôtre P ce qui luy appartient. Voila pourquoy nous la deuons remettre et rétablir en ses droitz, puisque la bienseance le requiert, la commodité le persuade et la raison l’ordonne. Ie croi qu’ainsi le prononceroit l’equité, même par la bouche des peuples les plus etrangers. Car qui a l’eil capable de iuger du blanc et du noir, il a l’esprit capable de prandre connoissance et de iuger du tort qu’on fait à nôtre F, tant il êt manifeste et palpable. A plus forte raison doit-elle obtenir sa reintegrande, par le iugemant de la France, puisque la raison y êt, et puisque la France êt si obligee à cette F-ci, qu’antre toutes les lettres qui luy ont donné un nom si glorieux, c’êt sa principale marraine. Sa douce nayueté, qu’elle prete à l’F latine, lorsque nous prononçons le latin, en adoucit beaucoup ce langage-là, qui n’a pas de luy-même vne pronontiation si douce, pour le regard de cette lettre-ci, ni en tout et par tout vne voix si douce que le nôtre, pour le regard du general. C’êt bien vne mauuaise fortune à nôtre F, qu’elle adoucit celle des Latins, et cepandant son malheur vient de l’F latine: tandis qu’on pratique en la nôtre iniustemant, ce qui êt raisonnable en l’autre, et tandis que la nôtre luy tandant du bien auec la main droite, l’autre luy rand du mal avec la main gauche. Mais au moins la pauurette a cette consolation en son infortune, que l’F latine, qui êt cause qu’à tous coûs elle êt mise hors de sa maison, êt elle-même à toute heure bannie de son pays. Car son apreté la rand si odieuse à ceux de sa langue même, aussi bien qu’aux autres peuples, qu’ilz la chassent et bannissent à tout propos. Car les Romains les premiers, annuyez de sa dureté farouche, l’ont chassée de plusieurs motz, comme de ceux-ci fordeum et fœdus; car au bout d’un tans ilz aimerent mieux dire, hordæum et hœdus. Autant en ont fait les Espagnols et les Gascons, qui presque en toutes les dictions qu’ilz tiennent des Latins ont chassé l’F dehors, et mis l’H en son lieu, comme fait aussi quelquefois la langue françoise, même en ce mot hors, qui vient de foris; étant iugé par la voix commune de tous les peuples, que l’aspiration êt beaucoup plus douce que l’F latine. Mais ayant fait elle seule toute la faute, elle fait pourtant souffrir à la nôtre grand’part de sa punition.»
[150] Quintilien, après avoir regretté l’absence en latin des lettres grecques φ et υ, s’exprime ainsi: «Quæ si nostris literis (f et u) scribantur, surdum quiddam et barbarum efficient, et velut in locum earum succedent tristes et horridæ quibus Græcia caret. Nam et illa quæ est sexta nostratium (f) pœne non humana voce, vel omnino non voce potius, inter discrimina dentium efflanda est; quæ etiam cum vocalem proxima accipit, quassa quodammodo, utique quoties aliquam consonantem frangit, ut in hoc ipso frangit, multo fit horridior.» (Inst. orat., XII, 10, 28, 29.)
Charles Sorel, auteur de la Bibliothèque françoise, semble s’être prononcé pour la réforme dans le passage suivant du livre V de l’Histoire comique de Francion, Paris, 1622, in-8.
La scène se passe chez un libraire de la rue Saint-Jacques, où se réunissent quelques poëtes du temps pour lire leurs vers et discuter sur les principes de la langue poétique.
«Ils vinrent à dire beaucoup de mots anciens, qui leur sembloient fort bons et très-utiles en notre langue, et dont ils n’osoient pourtant se servir, parce que l’un d’entre eux, qui étoit leur coryphée (Malherbe), en avoit défendu l’usage. Tout de même en disoient-ils beaucoup de choses louables, nous renvoyant encore ce maître ignare dont ils prenoient aussi les œuvres à garant, lorsqu’ils vouloient autoriser quelqu’une de leurs fantaisies. Enfin il y en eut un plus hardi que tous, qui conclut qu’il falloit mettre en règne, tous ensemble, des mots anciens que l’on renouvelleroit, ou d’autres que l’on inventeroit, selon que l’on connoîtroit qu’ils seroient nécessaires; et puis, qu’il falloit aussi retrancher de notre orthographe les lettres superflues, et en mettre en quelques lieux de certaines mieux convenantes que celles dont on se servoit; car, disoit-il, sur ce point, il est certain que l’on a parlé avant que de sçavoir écrire, et que, par conséquent, l’on a formé son écriture sur sa parole, et cherché des lettres qui, liées ensemble, eussent le son des mots. Il m’est donc avis que nous devrions faire ainsi, et n’en point mettre d’inutiles; car à quel sujet le faisons-nous? Me direz-vous que c’est à cause que la plupart de nos mots viennent du latin? Je vous répondrai que c’est là une occasion de ne le suivre pas: il faut montrer la richesse de notre langue et qu’elle n’a rien d’étranger. Si l’on vous faisoit des gants qui eussent six doigts, vous ne les porteriez qu’avec peine et cela vous sembleroit ridicule. Il faudroit que la nature vous fît à la main un doigt nouveau ou que l’ouvrier ôtât le fourreau inutile; regardez si l’on ne feroit pas ce qui est le plus aisé. Aussi, parce qu’il n’est pas si facile de prononcer de telle sorte les mots que toutes leurs lettres servent, que d’ôter ces mêmes lettres inutiles, il est expédient de les retrancher. En pas une langue vous ne voyez de semblable licence, et, quand il y en auroit, les mauvais exemples ne doivent pas être suivis plus que la raison. Considérez que la langue latine même, dont, à la vérité, la plupart de la nôtre a tiré son origine, n’a pas une lettre qui ne lui serve.»
De l’Orthographe françoise, à la fin de l’ouvrage intitulé: Le Grand Dictionnaire des rimes françoises selon l’ordre alphabetique (dissertation attribuée à Pierre de la Noue, Angevin). Geneve, Matthieu Berjon, 1623, pet. in-8.
L’auteur est un néographe modéré. «Ie sçay, dit-il, qu’il semblera à beaucoup trop audacieuse entreprise de blasmer ce que la plus part trouuent bon.» Il n’a pas l’intention de condamner purement et simplement notre orthographe, mais de «l’étaler à la vue» en en notant les défauts, de façon que chacun en soit juge. Il ne doute pas que, si l’on se décidait à une réforme aussitôt qu’on aurait reconnu le besoin que nôtre écriture en a, en peu de temps nous écririons «plus proprement et plus brièvement». Ce serait au grand bénéfice de nos voisins, qui, apprenant notre langue artificiellement, la parleraient comme nous la parlons et non comme nous l’écrivons. En effet, bien que notre commerce leur fasse corriger beaucoup de mots, il leur en reste tant de vicieux qu’il semble souvent qu’ils parlent un autre langage, bien qu’ils aient appris ce que nous leur enseignons. Il ne faudrait pas dire qu’un tel inconvénient résulte d’une mauvaise prononciation locale, «car l’escriture est une image de la parole, comme la peinture des corps visibles. Or est-il que celuy qui a bonne veuë voyant un asne peint en un tableau seroit bien asne luy mesme s’il le prenoit pour un cheual: aussi ceux qui donnent aux lettres la mesme vertu que nous leur attribuons en nostre alphabeth (chose qui tient semblable rang pour l’intelligence de ce qui est escrit, que fait la veuë pour les pourtraits), s’ils lisoyent un mot pour l’autre, ils seroyent à bon droit reprehensibles: mais si nous mesmes leur escrivons ou par maniere de dire leur peignons un asne pour leur faire accroire apres que c’est un cheual, ie ne sçay comment nous pouuons excuser nostre tort.»
Antoine Oudin, secrétaire interprète du roi. Grammaire françoise, rapportée au langage du temps. Paris, 1633, in-12; nouvelle édition, revue et augmentée. Douay, veuve Marc Wion, 1648, in-12, de 4 ff. prélimin. et 288 pag.
Oudin, qui suit l’orthographe de Robert Estienne dans ses dictionnaires, est un adversaire déclaré de la réforme phonographique. Voici l’avis à ce sujet qu’il a placé à la fin de sa Grammaire:
«Ie m’estonne de quelques modernes qui, sans aucune consideration, se sont meslez de reformer, mais plustost de renuerser nostre orthographe; et, bien que leurs escrits, dignes d’admiration, tesmoignent vn grand iugement, ce defaut, qui en rabbat une bonne partie, nous descouure de la presomption ou de la broüillerie.
«Ie ne m’attache pas à vn seul: Il y en a trop qui pechent maintenant en cela. Mais je rougis pour des pedants, qui, sortis des frontieres où le parler n’a point de raison establie, nous donnent à connoistre qu’ils sont plus habiles en latin qu’en leur propre langue.
«Qui sera-ce d’entre-eux qui, bannissant les lettres radicales, vray fondement de l’origine de nos dictions, nous tirera des confusions où nous iette leur impertinente façon d’escrire qu’ils accommodent à la prononciation? Comment discernera-on an (annus) d’auec en (in), preposition; amande (amigdala) et amende (mulcta); accord (contractus) et accort (prudens); ambler, aller à l’amble (tollutim incedere), et embler (furari); autel (altare) et hostel (domicilium); aulx, pluriel d’ail (allium), et os (ossa).—Balet (genus choreæ) et balay (scopæ).—Chaisne (catena) et chesne (quercus); cents (centum) et sens (sensus); clerc (clericus) et clair (clarus); chœur (chorus) et cœur (cor); comte (comes), compte (computatio) et conte (narratio); ceps (compedes), seps (vites).
«..... Fraiz (sumptus), frais (recens); lacer (ligare), lasser (fatigare); lys (lilium) el licts (lecti); MEURS (maturi) et mœurs (mores); nœud (nodus) et NEUF (nouus ou nouem); or (aurum) et ORD (sordidus); quoy (quid) et coy (quietus); rets (retia), rais (radius), rez (rasus).
«Seur (securus), sœur (soror) et sur (super); SIX (sex) et sis (iacens); souris (mus) et sousris (subrisus). Teint (color vultus) et thim (thymus). Vœu (votum), VEU du verbe voir (visus).
«Et vne infinité d’autres, qui, s’escriuans d’vne mesme sorte, nous embroüilleroient estrangement.
«Il est bien vray que les habiles qui sont ennemis des nouueautez et de telles ignorances, escriuent indifféremment plusieurs paroles françoises, comme connoistre et cognoistre, proufit et profit, souscrire et soubscrire, debuoir et deuoir. Encore voudrois ie qu’on obseruast en ces derniers vne différence, car deuoir sans b se rapporte à officium et l’autre à debere; distiller et distiler, porreaux et pourreaux, etc.
«D’auantage on retrenche maintenant beaucoup de lettres qu’on escriuoit autresfois sans aucune raison, comme le b de prestre, le g d’un, et plusieurs autres que la memoire ne me peut fournir à cette heure. Ne vous arrestez donc pas aux nouuelles escritures: car ie vous asseure que les plus renommez du temps n’ont point d’autre opinion que celle que ie vous mets ici.»
Il est à croire, dans l’ordre d’idées, saines sous plusieurs rapports, où se place le docte interprète du roi pour l’italien et l’espagnol, que l’orthographe devait être tout aussi difficile à apprendre par sa méthode et dans ses grammaires qu’elle l’est de nos jours dans les nôtres.
* Le P. Antoine Dobert, Dauphinois, religieux minime. Récréations littérales et mystérieuses, où sont curieusement estalez les principes et l’importance de la nouvelle orthographe, avec un acheminement à la connoissance de la poësie et des anagrammes. Lyon, de Masso, 1650, in-8.
Je n’ai pas pu voir cet ouvrage. L’abbé Goujet déclare qu’il ne connaît rien de plus ridicule et de plus burlesque.
Du Tertre. Méthode universelle pour apprandre facilemant les langues, pour parler puremant et escrire nettemant en françois, recueillie par le S. Du Tertre. Paris, Iean Iost, 1651 et 1652, in-12.
Ouvrage sans valeur, sans intérêt, et qui dénote, de la part de son auteur, une complète ignorance des données de son sujet.
Le P. Laur. Chiflet. Essay d’une parfaite grammaire de la langue françoise: où le lecteur trouvera en bel ordre tout ce qui est de plus necessaire, de plus curieux et de plus elegant en la pureté, en l’orthographe et en la prononciation de cette langue (première édition). Anvers, 1659, in-12; Paris, Maugé, 1668, in-12; sixième édition, Cologne, chez Pierre le Grand, 1680, in-12 de 4 ff. prél., 295 pp. plus 3 ff. de table; réimprimée sous le titre de Nouvelle et parfaite Grammaire, etc. Paris, 1680, et Jean Pohier, 1687, in-12 de 8 ff. prél. et 295 pp.; ibid., 1722, in-12.
L’ouvrage du savant jésuite a dû jouir d’une grande célébrité, si l’on doit en juger par les nombreuses éditions qu’on en a faites depuis 1659 jusqu’en 1722. C’est pourquoi il n’est pas étonnant de retrouver en partie l’application des principes de ce grammairien, en fait d’orthographe, dans la première édition du dictionnaire de l’Académie. Cette conformité d’opinions ne se rencontre cependant que dans les questions où Chifflet ne fait qu’enregistrer les règles consacrées par l’usage.
Chifflet cependant est loin dans ses principes d’être conservateur absolu. Ennemi de l’innovation en matière de prononciation, il professe, d’un autre côté, que c’est cette dernière qui doit régler l’écriture, sans qu’on doive trop se soucier des questions purement étymologiques.
Il est à regretter que l’Académie, dans son premier travail lexicographique, n’ait pas suivi de plus près les propositions de Chifflet; les changements apportés dans les éditions suivantes du dictionnaire en ont montré la justesse.
Je vais exposer rapidement celles de ses règles qui n’ont pas été admises dans la première édition du dictionnaire de l’Académie et celles où ce grammairien peut être considéré comme novateur, même aujourd’hui.
«En écrivant, dit-il (p. 257), certains mots françois, qui naissent des langues étrangères, l’hébraïque, la grecque et la latine, et où le cha, cho, chu se prononcent comme ka, ko, ku, il est meilleur de n’y point mettre d’h, comme: arcange, escole, colere, Baccus, ecô, caractère, pascal, cicorée, estomac. Excepté chœur, que l’on est contraint d’écrire avec un h pour le distinguer de cœur.»
«Aux noms terminez en ect, le c ne se prononce pas, comme effect, respect, etc. Lisez, et, pour mieux faire, écrivez aussi effet, respet, suspet, etc. Ecrivez aussi saint, instint, distint, défaut (p. 239).»
«N’écrivez pas subjection, ny sujettion, mais sujetion, comme il se prononce. Et généralement où le c ne se prononce pas devant le t, les sçavans, pour la plûpart, ne l’écrivent plus (p. 258).»
«On écrit mieux soûmettre, que soubmettre ou sousmettre[151]. L’on dit et l’on écrit maintenant omettre et omission, et non pas obmettre[152], ny obmission[153]. Cette mauvaise prononciation de quelques-uns estoit venuë de l’ignorance de ceux qui n’entendoient pas l’étymologie latine de ce mot, qui vient du verbe omitto, où la première syllabe est briève et non pas obmitto qui ne fut jamais latin. Mais les sçavans ayant tenu bon, cet obmettre a perdu son crédit (p. 256).»
«Voicy les mots où le d ne se prononce pas et les plus sçavans ne l’y écrivent plus: ajourner, ajournement, ajouter, ajuster,
amodier, avancer, avantage, avenir, aventurier, avertir, avis, avouër, aveu, avocat, etc. Il faut dire et écrire amiral et non pas admiral (p. 239).»
Pour les mots terminés en ent il est contraire à leur changement en ant, «car il y a, dit-il, grande différence entre les ant ou ent briefs et les longs, comme entre parent et par an ou parant de parer, entre contant son argent et content de son argent. Et l’on voit pour cela que quelques grammairiens, même des plus nouveaux, qui ont voulu reformer l’orthographe, n’ont pas bien rencontré, en conseillant d’écrire tous ces ent par un a, par exemple puremant et nettemant, comme ils l’ont pratiqué eux-mêmes dans le titre de leurs grammaires. Que n’ont-ils considéré que cela causeroit mille fausses prononciations, puisque tous les ant, écrits par a, sont longs, sans aucune exception? En un mot, leur zèle est bon, mais certes il est peu judicieux, et il seroit à désirer que quelqu’un de ces messieurs de l’Académie en prononçast un bel arrest, qui auroit, sans doute, une grande authorité sur tous les gens d’esprit (p. 211).»
Je n’ai pas besoin d’insister sur l’inanité d’une objection qui, fondée sur la quantité latine, n’est point applicable au français.
«C’est maintenant, dit-il encore plus loin (p. 274), une bonne coûtume de plusieurs sçavans de ne point écrire l’s en beaucoup de mots où elle ne se prononce pas. On n’écrit plus deuxiesme, escrire, mais deuxieme[154], écrire: mais, à dire vray, tout cela n’estant qu’un trop petit remede à la bizarrie (sic) qu’il y a en nostre orthographe. Au sujet de l’s, s’il la faut prononcer ou non, je ne vois autre moyen d’en faire une parfaite distinction, que d’écrire une double s, au lieu d’une simple, quand elle se doit prononcer devant les consones (sic). Par exemple: déscrire une seule s, puisqu’elle est muette, desscription avec deux s pour signifier que l’s y doit estre prononcée. Ce seroit un remede infaillible, mais je n’oserois commencer le premier un si grand changement en nostre orthographe.»
[154] Plus loin cependant il abandonne même cette dernière orthographe, et se prononce pour le remplacement de l’x par le z. «Les mieux entendus n’écrivent plus deuxiéme, sixiéme, dixiéme, mais comme il se prononce (sic) deuziéme, siziéme, diziéme.» Il est à regretter qu’on n’ait pas adopté cette orthographe qui aurait fait disparaître la bizarrerie dans l’écriture de ces quelques adjectifs ordinaux, comme deuxième, troisième, douzième, dont la prononciation est identique malgré leur triple forme.
La proposition du bon père ne devait pas être acceptée. On ne revient jamais, heureusement, sur une amélioration accomplie.
Il dit qu’il est beaucoup de mots où le ti devrait plutôt s’écrire ci, comme il se prononce. «Ce sont les mots qui naissent de ceux qui se terminent en ce. Par exemple: de vice, vicieux, par un c plûtost que par un t.» L’Académie a partagé à cet égard l’opinion du savant grammairien, sauf pour les mots essentiel, pestilentiel, substantiel, qui attendent encore la réforme.
Enfin, en ce qui concerne les doubles lettres, il paraît favorable au retranchement de la consonne muette pour rendre l’écriture conforme à la prononciation, car il écrit flame, consone, etc. Cependant à cet égard il ne suit aucune règle fixe et les exemples qu’on pourrait citer ne sont que des exceptions.
Grammaire générale et raisonnée contenant les fondemens de l’art de parler, expliqués d’une maniere claire et naturelle (par MM. de Port-Royal). Paris, Pierre Petit, 1660, in-12; Bruxelles, Fricx, 1676, pet. in-12.
Il serait à désirer, selon les savants auteurs:
- «1o Que toute figure marquast quelque son, c’est à dire qu’on n’écriuist rien qui ne se prononçast;
- «2o Que tout son fust marqué par vne figure: c’est à dire qu’on ne prononçast rien qui ne fust ecrit;
- «3o Que chaque figure ne marquast qu’vn son, ou simple ou double. Car ce n’est pas contre la perfection de l’écriture qu’il y ait des lettres doubles, puisqu’elles la facilitent en l’abrégeant;
- «4o Qu’vn mesme son ne fust pas marqué par de différentes figures.»
Voir plus loin l’analyse de l’édition de 1756, annotée par Duclos.
Antoine Bodeau de Somaize. Le grand Dictionnaire des Prétieuses, historique, poétique, géographique, cosmographique, chronologique et armoirique, où l’on verra leur antiquité, costume, devise, etc. Paris, Jean Ribou, 1661, 2 vol. petit in-8.
M. Francis Wey, dans son ouvrage intitulé Remarques sur la langue française, a épuisé toutes les formules de l’indignation contre les «mutilations» que la «coterie» des Précieuses a fait éprouver à l’orthographe traditionnelle. Je ne saurais, sans de nombreuses et très-importantes restrictions, me ranger à son sentiment; le temps, d’ailleurs, a donné raison aux Précieuses sur bien des points. Voici ce qu’il dit à ce sujet (page 38 et suiv.):
«Ce n’est pas ici le lieu de débattre la valeur littéraire de cette coterie célèbre des Précieuses; nous devons nous borner à constater leur influence énorme sur l’orthographe, à raconter ce qu’elles firent, et comment les choses se sont passées. L’aventure est narrée par Somaize[155]. Les conséquences de l’incident qu’il rapporte ont été si extraordinaires, l’incident lui-même est si peu connu, que nous le reproduirons en entier.
[155] M. Wey n’indique pas de quel ouvrage il tire la citation suivante, mais on la trouve au mot Ortographe du célèbre dictionnaire satirique devenu aujourd’hui si rare et si recherché des bibliophiles. Il a été réédité par M. Ch.-L. Livet dans la Bibliothèque elzévirienne de M. P. Jannet.
«L’on ne sçauroit parler de l’ortographe des pretieuses sans rapporter son origine, et dire de quelle maniere elles l’inventerent, qui ce fut et qui les poussa à le faire. C’estoit au commencement que les pretieuses, par le droit que la nouveauté a sur les Grecs[156], faisoient l’entretien de tous ceux d’Athenes[157], que l’on ne parloit que de la beauté de leur langage, que chacun en disoit son sentiment et qu’il faloit necessairement en dire du bien ou en dire du mal, ou ne point parler du tout, puisque l’on ne s’entretenoit plus d’autre chose dans toutes les compagnies, L’éclat qu’elles faisoient en tous lieux les encourageoit toutes aux plus hardies entreprises, et celles dont je vais parler, voyant que chacune d’elles inventoient de jour en jour des mots nouveaux et des phrases extraordinaires, voulurent aussi faire quelque chose digne de les mettre en estime parmy leurs semblables, et enfin, s’estant trouvées ensemble avec Claristene[158], elles se mirent à dire qu’il faloit faire une nouvelle ortographe, afin que les femmes peussent écrire aussi asseurement et aussi corectement que les hommes. Roxalie[159], qui fut celle qui trouva cette invention, avoit à peine achevé de la proposer que Silenie[160] s’écria que la chose estoit faisable. Didamie[161] adjoûta que cela estoit mesme facile, et que, pour peu que Claristene leur voulut aider, elles en viendroient bien-tost à bout. Il estoit trop civil pour ne pas repondre à leur priere en galand homme; ainsi la question ne fut plus que de voir comment on se prendroit à l’execution d’une si belle entreprise. Roxalie dit qu’il faloit faire en sorte que l’on pût écrire de mesme que l’on parloit, et, pour executer ce dessein, Didamie prit un livre, Claristene prit une plume, et Roxalie et Silenie se preparerent à decider ce qu’il faloit adjouster ou diminuer dans les mots pour en rendre l’usage plus facile et l’ortographe plus commode. Toutes ces choses faites, voicy à peu près ce qui fut decidé entre ces quatre personnes: que l’on diminueroit tous les mots et que l’on en osteroit toutes les lettres superflues. Je vous donne icy une partie de ceux qu’elles corrigerent, et, vous mettant celuy qui se dit et s’écrit communement dessus celuy qu’elles ont corrigé, il vous sera aisé d’en voir la difference et de connoistre leur ortographe:
[156] Les Français.
[157] De Paris.
[158] M. Le Clerc.
[159] Mme Le Roy.
[160] Mlle Saint-Maurice.
[161] Mlle de la Durandière.
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[162] Je marque d’un astérisque les mots dont l’usage et l’Académie ont complétement ratifié la correction. Certaines simplifications, comme entousiame, catéchîme, frédeur, constatent une prononciation exceptionnelle alors, et restreinte peut-être au cercle des Prétieuses. Elle n’a pas prévalu.
Il ressort du curieux document de Somaize que la prononciation tendait, vers la seconde moitié du dix-septième siècle, à s’amollir par suite de l’influence de la cour et des cercles de la haute société. L’Académie, dans sa sixième édition seulement, a commencé à inscrire raideur, conformément à la prononciation des Prétieuses, qui prévaut aujourd’hui pour ce mot et non pas pour frédeur.
Ainsi qu’on le voit, une grande partie des réformes opérées par les Précieuses ont été sanctionnées par l’Académie, et un plus grand nombre encore l’eussent été, si l’on avait dès cette époque su faire un emploi judicieux de l’accent grave et de l’accent circonflexe. A ce titre, malgré l’affectation d’un langage prétentieux et quintessencié, la coterie présidée par Voiture et Sarasin a rendu de véritables services à la langue française.
Simon Moinet, principal correcteur pour le français dans l’imprimerie des Elseviers, voulant faciliter aux étrangers la lecture des livres en cette langue, eut en 1663 l’idée d’imprimer à ses frais un petit poëme: La Rome ridicule du sieur de Saint-Amant, travêstië à la nouvêle ortografe, pure invanţiön de Simon Moinêt, Parisiïn. A Amstredan, aus dêpans ê de l’inprimerië de Simon Moinêt, 1663, in-12, de 40 pag.
Les lignes qui commencent sa dédicace à Guillaume III peuvent donner une idée de sa méthode phonétique:
Ce que pêrsone n’a ancore su, ni ouï, ni vu,
L’ORTOGRAFE FRANÇOISE,
ou la siänce de lire é d’êcrire françois.
«Monsêgneur, si ce qui se dit êt vêritable, qu’à gran sêgneur, peu de paroles, il sera aussi vrai de dire à gran sêgneur peu d’êcriture, puisque l’êcriture reprêsante la parole, é toutes deus sont l’image de la panséë. Mais je ne croi pas que pêrsone, depuis que l’on parle françois, l’ait faite si courte que moi, qui l’abrêge an sorte que je le fai touchér à l’eull é au doit.»
Simon Moinet propose le ll mouillé des Espagnols dans les mots mail, bail, le t à cédille pour le t adouci et sifflant: suprémaƫie. Malheureusement son écriture est hérissée d’accents, comme c’est le cas de tous ceux qui veulent déterminer exactement le son des voyelles sans introduire de nouveaux caractères alphabétiques.
* Jacques d’Argent, gramairien. Traité de l’ortographe françoise dans sa perfection, dédié à M. Colbert fils, seigneur de Seignelai. Paris, 1666, in-12.
Il ne m’a pas été possible de me procurer cet ouvrage.
De Bleigny, maître écriuain iuré de Paris. L’Ortografe francoise ou l’unique metode contenant les regles qu’il est necessaire de sauoir pour écrire correctement. Paris, Gilles André, 1667, in-12, de 6 ff. et 155 pp.
Bleigny n’arbore le drapeau de la réforme orthographique que dans son titre. Son petit livre est une grammaire pour les enfants, sans aucune velléité de critique ni d’amélioration de la mauvaise écriture de son temps.
* Jacques de Gevry, seigneur de Launay. Les Principes du déchifrement de la langue françoise, ou l’art de déchifrer toutes sortes de lettres en cette langue, en quelques figures et caracteres qu’on les puisse composer. Dedié à monseigneur messire Pierre de Cambout de Coeslin, evesque d’Orléans. Paris, Denis Pellé, 1667, in-8.
Je ne suis pas certain que cet ouvrage ait directement trait à la réforme.
Louis de l’Esclache. Les véritables Règles de l’ortografe francéze, ou l’Art d’aprandre en peu de tams à écrire côrectemant. Paris, l’auteur, 1668, in-12.
Le travail de l’Esclache a fait beaucoup de bruit au moment de sa publication. J’en connais trois ou quatre réfutations sorties des presses parisiennes en l’espace de peu d’années. De son temps on ne s’aperçut pas qu’il s’était inspiré en grande partie des réformes proposées un siècle auparavant par Meigret, Pelletier et Ramus. Bien qu’il n’ait introduit aucune lettre ni aucun signe nouveau dans l’écriture, il a prêté le flanc à la critique par la profusion d’accents dont il a surchargé ses lignes. Voici un échantillon de ses idées et de son orthographe:
«Les opinions des hommes sont trés-diferantes, touchant l’ortôgrafe francéze. Les uns pansent qu’éle doit étre conforme à la parole; et les autres âsûrent qu’éle doit marquer l’origine des mos que nous emploïons pour exprimer nos pansées. Ceus qui ne savent pas la langue latine et qui ont de l’esprit dizent que nous devons écrire comme nous parlons; mais quelques savans soûtiénent que céte metôde, nous faizant perdre l’origine des paroles, nous ampécherét d’an conétre la propre significacion.
«Il samble que les premiers, qui n’ont pas âsés de force pour bien établir leur opinion, n’aient pas âsés d’autorité pour nous oblijer à la suivre. Comme les autres ne peuvent soûfrir que l’on face injure à la langue latine, ni à la grèque, ils s’atachent à leurs santimans avec beaucoup d’opiniâtreté. Je ne veus pas condamner ces deus langues, puîqu’éles ont leur beauté, aûsi bien que leur üzaje, mais je puis dire (sans m’élogner de la vérité) que ceus qui ont un atachemant particulier pour éles ne sont pas ordinairemant les plus éclairés dans la langue francéze. Ils sont semblables à ceus qui parlent continuélement de ce qui regarde les autres sans panser à leurs propres âfaires et il ârive souvant que dans le chois des chozes qui sont utiles pour le bien public, le jujement de ceus qui ont beaucoup de lumière sans étude doit étre préféré à l’opinion de ceus qui ont une bibliotéque antière dans leur tête.»
Louis de l’Esclache écrit: peis, sajese, ajant, dilijant, relijion, vanjance, nonse, prononse, consevoir, acses, acsant, filozofie, fizique, axion, dixion, choze, uzaje, nacion, cieus, dieus, deus, dis (dix), moien, voiant, calité, etc.
(Sieur de Mauconduit.) Traité de l’orthographe; dans lequel on établit, par une methode claire et facile, fondée sur l’usage et sur la raison, les regles certaines d’écrire correctement. Et où l’on examine par occasion les regles qu’a données M. de Lesclache (par le sieur de Mauconduit). Paris, Jacques Talon, 1669, in-12, de 4 ff. et 232 pp.
Ce petit traité, remarquable par son exécution typographique, ne s’occupe pas de la régularisation de l’écriture française. L’auteur s’élève même avec beaucoup de force contre le système d’écriture semi-phonétique proposé par de l’Esclache. Il nous sert simplement à constater l’état de la question au moment où l’Académie française allait s’en emparer.
Lartigaut. Les progrês de la véritable ortografe, ou l’ortografe francêze fondée sur ses principes, confirmée par démonstracions. Ouvrage particuliër et nécésêr à toute sorte de persones qui veulent LIRE, PRONONCER ou ÉCRIRE parfêtemant par rêgles. Paris, Laurent Ravenau et Jean d’Ouri, 1669, in-12.—Principes infaillibles et regles assurées de la juste prononciation de la langue françoise. Paris, 1670, in-12.
Le premier ouvrage de Lartigaut offre un grand intérêt. Contemporain de Corneille, de la Fontaine, de Molière, de Racine, il possède à fond la langue élégante et correcte de son temps, et nous indique aussi exactement que possible la prononciation de la cour de Louis XIV. L’accentuation forte qui y est figurée me confirme dans l’idée que je m’étais formée de la prononciation du Théâtre-Français au temps de Corneille et de Racine, et dont Larive avait conservé la tradition[163].
[163] Je l’ai souvent entendu réciter des vers chez mon père, et je l’ai vu au Théâtre-Français jouer le rôle de Philoctète dans l’Œdipe de Voltaire avec une accentuation bien plus chantée, si l’on peut s’exprimer ainsi, qu’elle ne l’a été après lui, surtout par Talma qui a changé, sous le rapport de la déclamation, la manière de scander les vers.
Voici une page de l’avis important placé en tête du livre. Je souligne les différences de la lecture avec celle de nos jours:
«Cête matière et pluz délicate[164] qu’èle ne parêt: il faut être antièrement détaché, et avoir un dezir sincer de recevoir ce qui peut persuader an quéque part qu’il se treuve. Car pour peu que l’on se plêze à contredire, on se rant incapable d’en juger; dautant qu’il y a pluzieurs chozes qui ne dépendent que de la délicatêse de l’orêlle, où l’opiniatreté et le dezir de s’opozer à tout peuvent treuver de coi flater un esprit de contradixion. Ne lire un livre que danz le dêsein d’y treuver à redire, ce n’et paz être tout à fêt sage; et c’et fêre le critic à contretams: il faut être du moinz indiférant, et ne rien condaner sanz avoir sur le cham des rêzons contrêres à ce que l’on reprant. Je condane moi-même les fautes que je puis avoir lêsé couler (ou l’inprimeur) contre les principes qu’il faut suivre: et je puis dire san vanité que je suis le seul qui n’établis rien qui leur sét[165] opozé, et qui ne me contredis paz; qui et asurément le pluz grant point que l’on puise et que l’on doive garder, mês que persone n’a pu ancor observer sur ce sujêt: et voici come une persone qui ne cherche sinplemant que l’utilité danz toute choze peut rêzoner.
[164] Dans ces mots délicate, èle, antièrement, etc., l’auteur emploie l’e moyen avec accent droit. Mon père et mon oncle en avaient reconnu l’utilité dans beaucoup de mots, tels que collége, séve, entièrement, etc., et plusieurs livres ont été imprimés ainsi; mais on dut en abandonner l’usage, par suite de la confusion et de l’embarras qui en résultaient dans la composition et la distribution typographique. Les lettres se brouillaient dans les cases, surtout les petits caractères. On dut donc, à regret, renoncer à un système si simple, lequel, sans apporter aucun trouble à la vue, guidait la prononciation.
[165] J’ai entendu, dans ma jeunesse, M. de Tracy prononcer il crait (il croit, credit), et endreit.
«Je conês que l’ortografe vulguêre et ambarasante pour la lecture, contrêre à la véritable prononciacion qu’èle doit exprimer et prèque inposible à savoir sanz la conêsance du grec et du latin; ancor y-an a-t-il trez peu qui la sachent parfêtemant avec tout cela. Je ne doute paz que si l’on pouvêt treuver le moyen de randre l’écriture conforme à la parole avec une tèle modéracion qu’on pùt suivre des principes asurés et des rêgles constantes, sanz tomber dans aucune absurdité, et sanz rien changer inutilemant, il faudrêt sanz doute le prandre pour pluzieurs rêzons: 1o afin de savoir l’ortografe avec plus de facilité, et avec plus de certitude; 2o afin de ne paz être obligé d’aprandre le grec et le latin pour seulemant ortografier; 3o parce que c’et une choze indubitable que tout le monde an lira mieuz, et que l’on ne poura prononcer mal; 4o pour randre la Langue francêze pluz universèle par la facilité que tous les étrangers treuveront dans la lecture de nos livres, et plus recomandable par la douceur prèque divine de son élocance, qui se comuniquera par tout.»
Convenons-en, on ne saurait, dans la thèse de l’auteur, plus simplement ni mieux dire. La prononciation, telle qu’il est parvenu à nous la figurer en n’introduisant qu’un seul signe nouveau (l’e médiocre, qu’il figure, comme je l’ai dit, par l’accent droit), est presque la nôtre, et nous donne occasion de constater sa fixité depuis le grand siècle. Il supprime la lettre k, comme étrangère au français, le ç cédille comme inutile en présence de l’s ramenée à une seule valeur, celle qu’elle a dans salon, silence.
Il fait en passant quelques remarques sur l’orthographe des mots où figure le χ grec. Achaïe, saint Roch, Zacharie, chronique, archange. Il propose de les écrire Acaïe, saint Roc, Zacarie, cronique, arcange.
A propos de la lettre q (ou plutôt des deux lettres qu, puisqu’on représente par ce signe binaire le son du c dur ou du k), il s’exprime ainsi: «Ecrivez par la même rêzon: quécun aussi bien qu’aucun. Pourêt-on bien doner rézon pourcoi l’on doit ècrire aucun, chacun par un c et quelquun par un qu? Je voudrês avoir cette obligation à QUELQUUN.»
Pour lui, l’œ, déjà supprimé dans œconomie, est une lettre parasite: il écrit eil (prononcé aujourd’hui euil), euvre, beuf, seur, et en effet, dans le français, le son et le signe eu représentent régulièrement l’o des mots latins, exemple: dolor, douleur, flos, fleur; la vicieuse prononciation du c rend quelquefois l’emploi de l’œ nécessaire, comme dans cœur, qui ne peut être écrit ceur, à moins, comme dans cueillir, de faire précéder eu d’un u.
Il critique l’emploi de l’x dans les mots deuxième, sixain, dixième. Il y met le z, d’accord en cela avec la prononciation.
Il chasse du dictionnaire cette «diftongue» ao, qui n’est pas «francêze», et au lieu de paon, Laon, faon, taon, il écrit pan, Lan, fan[166], tan.
[166] Ronsard l’écrit ainsi:
(Édit. de 1623, t. I, col. 2.)
Dans le glossaire ms. de la Bibl. imp. no 7684, taon est écrit taan; peut-être devrait-on écrire tân et fân, de sorte qu’il n’y aurait d’exception que pour le mot Laon qu’on écrirait Lâon.
On jugera, par ces quelques citations, que l’auteur est un observateur délicat et en même temps un bon esprit, défenseur intrépide des prérogatives du français, qu’il voudrait voir vivre par lui-même sans qu’on dût l’affubler d’une enveloppe grecque et latine.
Gilles Ménage. Observations sur la langue françoise. Paris, 1673, in-12; Cologne, P. Du Marteau, 1673, pet. in-12. Seconde édition. Paris, Claude Barbin, 1675-1676, 2 vol. in-12; 1re part. de 16 ff. prél., 609 pp. plus 21 ff. pour la table, les errata et le privilége; 2e part. de 18 ff. prél., 502 pp. plus 11 ff. pour la table, etc.
Le célèbre érudit a rendu des services incontestables à la langue française. Une pièce de vers, intitulée la Requête des Dictionnaires, écrit satirique dirigé contre les académiciens à propos du choix des mots du dictionnaire, le fit échouer dans sa candidature au fauteuil d’académicien, malgré le conseil de Hubert de Montmor qui insistait pour qu’on l’adoptât, «comme on force un homme qui a déshonoré une fille à l’épouser.»
L’orthographe que Ménage adopte dans ses Observations a eu des partisans et des imitateurs, en tout ou en partie. D’un côté, elle se rapproche autant que possible de la prononciation, sans chercher à être phonétique; d’un autre, elle tend à la simplification de quelques règles de grammaire, comme la formation du féminin et du pluriel, et, pour y parvenir, il remplace presque toujours l’x final par l’s. Exemples: religieus, ceus, aus, je veus, injurieus. Il remplace aussi le z dans les mots assés, nés (nez).
Il supprime un grand nombre de doubles lettres et de lettres étymologiques, et il écrit: ataquer, pouroient, courous, aquise, cors (corps), il faloit, la goute, etc.
Le son nasal an, em, en est le plus souvent représenté par an. Par exemple: il a commancé, long-tans, de tans en tans.
Il remplace l’y par l’i dans les mots stile, païs; il écrit je fesois, chemin fesant, etc.
En ce qui concerne l’h, il se guide dans son emploi par l’étymologie et il conseille d’écrire Antoine, Maturin, ermite, intimé, postume, amarante, ebreu, mots dont les primitifs n’ont pas d’h. Il paraît favorable à la suppression de cette lettre aux mots: huis, huile et huitre, où elle ne fut mise, suivant l’opinion de Théodore de Bèze[167], que pour empêcher qu’on ne lût vis, vile et vitre, à l’époque où le v et l’u étaient représentés par le même signe.
[167] Aspiratio quiescit in his dictionibus: huis, ostium, cum derivatis; huile, oleum, cum derivatis; huit, octo; huistre, ostrea, quoniam alioqui legi sic possent hæ dictiones quasi v esset digamma, non vocalis, nempe pro huis, vis: sic etiam pro huile, vile, etc. (De francicæ linguæ recta pronunciatione tractatus.)
Mais ce qu’il y a de plus curieux dans son système, c’est la suppression fort rationnelle de la lettre e dans le participe eu et dans les temps qui en dérivent, et l’agglutination des expressions prépositives ou adverbiales, exprimant des idées simples.
Il écrit donc: il a u, ç’ust esté, si je l’usse su, la vénération que j’ai ue; et acause, alaverité, apeine, apeuprês, aprêsdemain, aucontraire, aulieu, aureste, avanthier, demesme, desorte, malapropos, toutafait.
François Charpentier, de l’Académie française. De l’Excellence de la langue françoise. Paris, Vve Bilaine, 1683, 2 t. en 1 vol. in-12 de 9 ff. et 1110 pp.
Ce docte académicien, qui partage en matière d’orthographe les idées de Regnier des Marais, appliquées plus tard dans la première édition du Dictionnaire de l’Académie, est, comme Henri Estienne, un défenseur de la précellence du langage français, non plus sur l’italien, mais sur le latin lui-même.
Il établit dans le cours de son livre que notre langue n’est nullement inférieure au latin sous le rapport de l’euphonie et de l’harmonie imitative, qu’elle a produit non moins de chefs-d’œuvre, et qu’elle est parvenue de son temps à une perfection égale à celle du langage des Romains au siècle d’Auguste.
Il cite un certain nombre de vocables français plus doux, plus brefs que leurs correspondants en latin. S’il eût poussé plus loin ses investigations, il fût sans doute arrivé à reconnaître la supériorité, sous le rapport de la rapidité et même de l’euphonie, des mots du latin vulgaire transformés par le peuple avant la Renaissance, sur ceux forgés depuis par les savants sur le type primitif. Voici quelques points de comparaison:
| Primitif latin. | Mots du vieux français. | Mots de latin francisé. |
| quadragesima | caresme, carême | quadragésime |
| claudicare | clocher, clochement | claudication |
| capillus | cheveu, chevelu | capillarité |
| carcer | chartre | incarcération |
| coctus | cuit, cuisson | coction |
| dulcis | doux, adoucir | édulcoré |
| fructus | fruit, fruitaison | fructification |
| fluctus | flot, flottaison | fluctuation |
| hirundo | aronde | hirondelle |
| macer | maigre, maigreur | émaciation |
| maturus | mûr, mûrir | maturation |
| scandalum | esclandre | scandale |
| separare | sevrer, sevrage | séparation |
| species | espèce et épice | spécification |
| siccitas | sécheresse | siccité |
| strictus | étroit | strict |
| cubare | couver | incubation |
| redemptio | rançon | rédemption |
| sacramentum | serment | sacrement |
| acceptare | acheter | accepter |
| captivus | chétif | captif |
| fragilis | frêle | fragile |
| nativus | naïf | natif |
| rhythmus | rime | rhythme |
| sarcophagus | cercueil | sarcophage |
| porticus | porche | portique |
| organum | orgue | organe |
| mobilis | meuble | mobile |
| alumine | alun | alumine |
| debitum | dette | débit |
| examen | essaim | examen |
Si donc le français a son individualité, s’il est riche de sa beauté propre, si ses vocables surpassent souvent pour la simplicité, la rapidité, l’euphonie, leurs correspondants latins, pourquoi s’attacher, comme on le voulait au temps de Charpentier, et comme il n’en reste que trop de vestiges, à défigurer notre orthographe, dont on fait un pastiche de celle du latin et du grec, en y introduisant tant de consonnes doubles inutiles et même incompatibles avec le génie simple de notre ancienne langue[168]?
[168] Voir sur la comparaison des mots du vieux français avec ceux forgés depuis le XVIe siècle: Étude sur le rôle de l’accent latin dans la langue française, par M. Gaston Paris. Paris, Franck, 1862, in-8.—Notions élémentaires de grammaire comparée, par E. Egger. Paris, Durand, 1865, in-12.—Grammaire historique de la langue française, par M. Auguste Brachet. Paris, Hetzel, 1867, in-12.—Et plus haut (p. 167) l’article de M. Sainte-Beuve.
J.-B. Bossuet, membre de l’Académie française. Voir plus haut, aux Opinions des académiciens, p. 130.
Je dois faire figurer Bossuet parmi les novateurs, puisque son esprit logique voulait la régularisation et non le désordre. On a vu son opinion au sujet d’un parti à prendre pour les mots dont la désinence est écrite sans motif tantôt en ant et tantôt en ent bien qu’ils dérivent également de participes latins en ens. (Voir p. 130.)
Les exemples extraits des manuscrits de ses sermons attestent sa propension à conformer l’orthographe à la prononciation sans se soucier de l’étymologie. Pour donner une meilleure idée de son orthographe, je donne à l’Appendice E quelques passages de ses sermons tirés de ses manuscrits déposés à la Bibliothèque impériale.
(Jean Hindret.) L’Art de bien prononcer et de bien parler la langue françoise, dédié à Monseigneur le duc de Bourgogne, par le sieur J. H. Paris, Ve Cl. Thiboust, 1686, in-12; ibid., 1696, 2 vol. in-12.
Quoique ce petit traité de grammaire ne contienne aucune innovation orthographique (mot qu’il écrit ortographique), et qu’il ait pour but uniquement d’enseigner la prononciation reçue, il manifeste le désir du perfectionnement.
L’auteur s’y plaint de notre écriture, qu’il déclare défectueuse. «Ce n’est pas sans raison, dit-il, que les étrangers nous reprochent tous les jours le peu de soin que nous avons de bien prononcer notre langue, comme une chose qui l’empêche d’être aujourd’hui la plus parfaite de toutes celles de l’Europe.»