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Observations sur l'orthographe ou ortografie française, suivies d'une histoire de la réforme orthographique depuis le XVe siècle jusqu'a nos jours

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«On apprend, ajoute-t-il, avec beaucoup de soin aux enfants les principes des langues mortes ou étrangères, et, pour ce qui regarde leur langue naturelle, on l’abandonne au hazard de l’usage.»

* Jerome-Ambroise Langen-Mantel. L’Ortographe de la langue françoise. In-12.

L’abbé Goujet considère comme inutile ce livre rare, que je n’ai pu rencontrer.

* De Soule. Traité de l’ortographe françoise, ou l’Ortographe en sa pureté. Paris, 1692, in-12.

Goujet porte à peu près le même jugement sur ce traité que sur le précédent.

* René Milleran (de Saumur), professeur des langues françoise, allemande et angloise. Nouvelle Grammaire françoise. Marseille, 1692, in-12.—Les deux gramaires fransaizes, l’ordinaire d’aprezant et la plus nouvelle qu’on puise faire sans alterer ni changer les mots, par le moyen d’une nouvelle ortografe si juste et si facile qu’on peut aprandre la bõté et la pureté de la prononciation en moins de tans qu’il ne fôt pour lire cet ouvrage, par la diférance des karacteres qui sont osi bien dans le cors des regles que dans leurs exanples, ce qui est d’otant plus particulier qu’elles sont tres faciles et incontestables, la prononciation etant la partie la plus esancielle de toutes les langues. Marseille, Brebion, 1694, 2 parties en un vol. in-12.

Je n’ai pu me procurer ni même voir ce volume, que je ne trouve indiqué que dans le Catalogue de Ch. Nodier de 1844. Ce spirituel académicien reproche à l’auteur d’avoir proposé la réforme de l’oi, préconisée un siècle plus tard par Voltaire. La manière dont Nodier a figuré le titre et que je reproduis ne donne qu’une idée trop imparfaite de la méthode de Milleran. Les lettres romaines sont celles qui ne se prononcent pas. Par cet exemple, on peut se figurer toutes celles qui peuvent ainsi être indiquées.

(Rodilard.) Doutes sur l’ortographe franceze. Paris, 1693, in-12; et s. l. n. d. (vers 1750), in-12, de 192 pp.

L’auteur, qui se cache sous l’anagramme de Trilodrad, peut être classé parmi les novateurs, bien que la plupart des réformes qu’il demande aient été accomplies dans les éditions successives du Dictionnaire de l’Académie. On en jugera par ce début:

Aus Maitres Imprimeurs.

«Messieurs, il y a longtèms que je suis dans plusieurs doutes sur l’ortographe desquels je souhaiterois pouvoir être éclairci... J’ai cru qu’il étoit plus à propos de m’adresser aus maitres imprimeurs... Car je puis dire qu’autant qu’il y a d’imprimeries en France, ou peu s’èn faut, autant il y a de diférèntes ortographes.

«Ce sens seul est peu favorable au savoir des maitres imprimeurs qui (dit-il) ne savent pas l’ortographe et moins encore la ponctuation! et s’ils raisonent de l’imprimerie et de l’ortographe, ce n’est que comme les aveugles font des couleurs.

«C’est une chose honteuse à nous de voir que les étrangers nous aprenent à écrire nôtre langue naturele: car on ne peut pas disconvenir que les Holandez (ou du moins des Francez qui se sont retirés en Holand) ne nous ayent apris a metre les v ronds et les j longs, puisque pour marque de cela on les apèle dans l’imprimerie des v et j à la Holandeze: ce sont èncore eux qui nous ont ènseigné à retrancher les letres superflûes de nôtre langue: enfin ils nous ènseignent ce que nous leur devrions ènseigner et à toute la terre, puisqu’on n’aprend l’ortographe que par le moyen des impressions et à quoi tout le monde se raporte, et non pas aus manuscrits; cela étant, pourquoi n’a-t-on pas soin de bien ortographer, et de ne rien faire paroître au public qui ne soit dans sa perfection? Il faut que ce soit, non seulement les etrangers, mais tout le monde, jusques à un chétif ecrivain, qui à grand peine sait-il lire, nous ènseigne l’ortographe..... Il est vrai que j’ai été longtèms à me pouvoir persuader qu’il fut permis de retrancher aucune letre dans le francez lorsqu’elle venoit du latin, que les s; mais pour les doubles bb, les doubles cc, les doubles dd, doubles ff, doubles mm, doubles nn, doubles pp et autres letres qui sont dans le latin, je ne pouvois me resoudre; mais aprez y avoir fait reflexion et consideré qu’on estranchoit partout les s inutiles à la prononciation, aussi bien que d’autres letres, quoiqu’elles vinssent du latin, j’ai cru qu’on pouvoit aussi ôter les letres doubles, et toutes celles qui sont parèllement superflûes et inutiles à la prononciation aussi bien qu’on fait le s

Louis de Courcillon, abbé de Dangeau. Lètre sur l’ortografe à Monsieur de Pontchartrain, conseiller au Parlement (1694), in-12 (sans nom d’auteur, avec privilége du Roi de 1693).—Essais de granmaire (1694-1722), comprenant les discours suivants: Prèmier discours qui traite des voyèles.—Discours II, qui traite des consones.Discours III. Suplèmant aus deus prèmiers discours.Discours IV. Lètre sur l’ortografe écrite en 1694 (réimpression avec changements de la lettre qui précède).—Discours V. Suplèmant a la lètre prècèdante.Discours VI. Sur l’ortografe fransoise.Discours VII. Sur la comparaison de la langue fransoise avec les autres langues. (Les discours VIII à XIV n’ont trait qu’à la grammaire.) Ces opuscules ont été imprimés en partie et avec une orthographe moderne dans Opuscules sur la langue françoise par divers académiciens (publiés par l’abbé d’Olivet). Paris, Bernard Brunet, 1754, et réédités plus fidèlement en 1849 par M. B. Jullien aux frais de la Société des méthodes d’enseignement.

Saint-Simon, dans ses Mémoires, dit en parlant de l’abbé de Dangeau: «Les bagatelles de l’orthographe et de ce qu’on entend par la matière des rudiments et du Despautère furent l’occupation et le travail sérieux de toute sa vie.» Saint-Simon parle de ces bagatelles en homme qui ne s’y entendait guère: autrement il eût compris que c’est du studieux abbé que datent les progrès sérieux dans l’étude des sons de notre langue, dont il a donné le premier une classification satisfaisante.

Les modifications introduites par Dangeau ont pour but de peindre exactement la prononciation, en supprimant toutes les lettres qui ne s’entendent pas ou ne sont pas nécessaires; de changer toutes celles qui n’ont pas dans le lieu où elles se trouvent leur son naturel, n’exceptant de cette règle que les consonnes finales et les lettres caractéristiques des nombres, des genres, des personnes.

Il supprime l’h à théorie, et écrit filosofe, attendu, dit-il qu’il a «cru devoir laisser aux lettres françoises le son qu’elles ont naturellement, pensant que si les Latins ont écrit certains mots dérivés du grec, c’est qu’elles gardoient une aspiration differente et qu’ils prononsoient les premieres silabes de philosophia et de character autrement que celles de figura et de caput. Aparemment, s’ils les avoient prononcées de la même manière, ils les auroient exprimées aussi par les mêmes letres, etc... Pourquoi ne pas imiter les Italiens et les Espagnols, qui n’ont pas cru être obligés a garder l’ortografe latine dans les mots venus du grec? Si on en avoit toujours usé de cette sorte, Madame de.... n’auroit pas été si scandalisée contre Eliogabale. «O que ces empereurs Romains ètoient cruels! s’écria-t-elle un jour en bonne compagnie, ils faisoient prendre des paysans et leur faisoient aracher la langue pour s’en nourrir.» Elle venoit de voir un livre qui disoit que cet empereur mangeoit des pâtés de langues de phaisans, et s’imaginant qu’un p se prononçoit toujours p elle avoit lu des langues de paysans au lieu de langues de faisans

Voici l’extrait d’un passage dans lequel le savant abbé expose et pratique en partie son système. On remarquera l’emploi de l’accent grave dans une foule de cas où on ne l’admettrait pas aujourd’hui, ce qui semblerait indiquer sinon de sensibles différences dans la prononciation, du moins un emploi peu judicieux des signes d’accentuation:

«Remèdes aus dèfauts de la vieille ortografe. On poûroit avoir un alfabet fait exprès, et qui donât a chaque son simple un caractère simple; et l’on en poûroit venir a bout sans avoir besoin de recourir a des caractères absolumant nouveaus. Peut-être même que le public n’auroit pas beaucoup de peine a recevoir ces changemans: on a bien introduit dans le siècle passé l’j consone difèrant de l’i voyelle, et l’v consone difèrant de l’u voyèle.

«Mais en atandant qu’on puisse introduire cet alfabet rèformé, il faut tâcher a coriger les dèfauts les plus sansibles. C’est ce que j’ai tâché a faire jusqu’ici. On poûroit aler ancore plus loin que je n’ai èté, sans être obligé a introduire des caractères absolumant nouveaus.

«On demande un alfabet qui fournisse un caractère particulier pour chacun des trente-trois sons simples ausquels on peut rèduire tous ceus que nous avons dans notre langue; et qui s’éloigne le moins qu’il se poûra des caractères dont nous nous servons aujourd’hui.

«Pour satisfaire a cète demande, j’ai dressé le mèmoire suivant, ou j’ai marqué de quèle manière on pouvoit exprimer les trente-trois sons de notre langue, sans se servir de caractères absolumant nouveaus.

«J’ai mis au comancemant de chaque ligne les sons simples qu’il s’agit de signifier; j’ai ajouté pour èxample a chacun de ces sons simples un mot fransois ou se trouve le son simple; et a la fin de la ligne j’ai mis le caractère dont on peut se servir pour l’exprimer.

«L’ordre dans lequel j’ai mis ces sons simples est conforme au système que j’ai tâché à ètablir dans mes Essais de Granmaire, et dans la suite que j’y ai ajoutée: a come dans paroître, a; o come dans colère, o; u come dans batu, u; ou come dans poulet, ou; si l’on vouloit, on prandroit de l’alfabet grec le caractère ȣ.

«Les imprimeurs poûront avoir des caractères ou ces deus lètres seront acolées; et pour l’ècriture on ne doit craindre aucune èquivoque, parce que ces deus lètres ne se prononcent sèparèmant que dans quelques noms propres venus du grec ou du latin, come Piritoüs; et l’on se prescrira une règle gènèrale, de mètre toujours deus points sur cèle des deux voyèles qui comance une nouvèle silabe.

«Eu come dans feu, dans bonheur, eu; si l’on vouloit, on prandroit des Grecs le caractère ευ. Les imprimeurs poûront avoir des caractères ou ces deux lètres seront acolées; et pour l’ècriture, quand il se trouvera des mots ou e et u garderont chacun leur son, on mètra deus points sur l’u, de cète manière, rèüssir, rèünir.

«J’ai remarqué dans mes autres discours que cète voyèle (eu) a quelquefois un son ouvert, comme dans bonheur, dans peur; alors on poûra se servir de l’accent grave sur l’e, en cète sorte bonhèur.

«E fèminin, come dans porte, e; è ouvert come dans après, è; é fermé come dans bonté, é; ces trois e sont distingués l’un de l’autre en ce que le e féminin n’a point d’accent, è ouvert a un accent grave, et é fermé a un accent aigu.

«I come dans lire, i.

«Pour les voyèles nazales, ou esclavones, on les distinguera des voyèles simples dont èles aprochent le plus, ou par une petite ligne au dessus come on en voit en quelques anciens livres, ou par une petite ligne qui les tranchera a la manière de l’alfabet polonois, de la manière suivante: an come dans le mot danser, ã; en come dans bien, ̃e; in come dans ingrat, ̃i: on come dans bonté, õ; un come dans comun, ̃u.

«Pour prononcer chacun des sons des simples consones, il n’y a qu’a joindre la prononciation d’un e féminin a la consone ou aus consones que j’ai marquées en lètres capitales. Ainsi le nom du prèmier son consone qui est marqué ici se trouvera come la dernière silabe de tombe, et celui du second son se prononcera come la seconde silabe de trompe, et ainsi du reste: be come dans tomber, b; pe come dans tromper, p; ve come dans venir, v; fe come dans finir, f; me come dans mourir, m; de come dans dire, d; te come dans tirer, t; gue ou g dur come dans galant, g; ke come dans capable, k; ne come dans nier, n; ze come dans zèle, z; se come dans salut, s; je come dans jalous, j.

«Che come dans chariot, c; le c ne s’amployant plus, selon ce projet-ci, ni pour faire le son ke, comme il fait a prèsant devant un a, un o, un u dans cavalier, dans colère, dans curieus; ni pour faire le son se, come il fait aujourd’hui devant un e, ou devant un i, dans cèrèmonie, dans cièl, ne servira plus que pour le son du che que nous lui donons ici. Le son de ke et le son de se ont dans la table prècèdante chacun son caractère propre, et le caractère c ne servira plus qu’a marquer la lètre siflante que nous exprimons prèsantemant par ch, come dans chariot, cherté.

«Le come dans lire, l; re come dans rire, r; lle ou l mouillée come dans vaillant, dans fille; gne ou n mouillée come dans vigne, dans soigneus; je marque ces deus consones mouillées par de petites lignes qui les traversent.

«Si l’on ne veut pas se servir de ces deus lètres qui sont traversées par de petites lignes, on poûra se servir pour l’l mouillée de deus ll acolées; et quand on ècrira des mots ou l’on prononce deus l, come Pallas, on aura soin de sèparer les deus l et de ne les pas acoler.

«Pour exprimer le son de l’n mouillée, on poûra se servir de l’ñ avec un trait dessus, comme s’en servent les Espagnols qui la noment n con tilde: que s’il se trouvoit quelques mots ou l’on prononsât sèparèment le g et l’n, come on les prononce en latin, on se serviroit du g et de l’n.

«He aspiration come dans hazard, h.

«On aura soin de n’amployer jamais aucun caractère pour un son difèrant de celui auquel nous le destinons ici.

«Il reste deus choses a marquer pour randre l’ècriture plus conforme a la prononciation:

«1o La longueur des voyèles. Come je ne crois pas qu’il soit nècessaire de marquer quand la voyèle est brève, on marquera seulement cèles qui sont longues, par les chevrons () ausquels on est acoutumé.

«Il y a un inconvéniant auquel il est aisé de remèdier. Cet inconvéniant est que le chevron qu’on met sur l’e long, come dans èvêque, prêtre, marque en même tams qu’il est ouvert. Mais nous avons des e fermés qui sont longs come dans ils alérent, ils marchérent. Si pour marquer cète longueur, on se servoit d’un chevron, il seroit a craindre qu’on ne donât a ces e le son de è ouvert. Il est aisé de remèdier a cet inconveniant. Ces é fermé (sic) dont la prononciation est longue ne se trouvent que dans quelques troisièmes persones du pluriel des verbes, come ils alérent, ils trouvérent, et dans quelques adverbes en mant, come comunémant, aveuglémant, et l’on poûra dans ces ocasions marquer la longueur de l’é fermé par des accents aigus un peu plus longs que les accents aigus ordinaires.

«2o La seconde chose que l’ècriture doit marquer pour faciliter la lecture consiste en ceci: il y a des lètres qu’on ècrit et qui ne se prononcent jamais, come le b dans plomb: il y en a d’autres qui varient selon les ocasions: dans quelques ocasions èles se prononcent, dans d’autres èles ne se prononcent point. Par èxample le t final; car il y a des ocasions ou il se prononce, et d’autres ou il ne se prononce pas, come je l’expliquerai en parlant des consones finales.

«On poûroit règler que les lètres qui ne se prononcent jamais come le b de plomb ne s’ècrivissent jamais; et pour cèles qui varient, on poûroit règler qu’on mètroit un point sous la lètre qui ne se prononce pas, par èxample: Je lui ai parlé come iḷ faut.

«Moyènant ces prècautions, on ècrira en notre langue de manière que ceus qui liront ne poûront jamais se tromper. Ceus qui savent lire prèsantemant trouveront peu de changemant dans nos caractères; et ceus qui ne savent pas lire poûront en moins d’un mois aprandre la valeur de tous nos caractères et lire sans faire de fautes.

«A l’ègard des livres qui sont dèja imprimés, quand on saura l’ècriture nouvèle et règuliêre que je propose, on aprandra bientôt a lire ce qui est imprimé selon l’ècriture irrègulière et dèraisonable dont on se sert prèsantemant.

«Quelques gens qui ont vu mon projet tel que je viens de l’expliquer l’ont trouvé fort raisonable, et conviènent qu’il seroit utile; et la dificulté qu’il y a a le faire recevoir par tout le monde, leur fait dire que le succès est plus a souhaiter qu’a espèrer. Mais il faut que les gens charitables et bien intantionés pour les intérêts du public prènent courage. Il faut du tams, je l’avouë, pour faire rèüssir ce projet dans toute sa perfection: mais ne peut-on pas au moins l’acheminer tout doucemant en atandant quelque secours inespèré?

«Il ne faut pas croire que le public soit ènemi de tous les changemans. N’a-t-on pas reçu come d’un consantemant unanime dans la plus grande partie de l’Europe, lesJ consones et les V consones? N’y a-t-il pas un grand nombre de gens èclairés qui ont retranché les S qui ne se prononcent pas, et qui ont admis les accents (^) pour marquer la longueur des silabes?

«L’Acadèmie èle-même, si atachée aus anciens usages, n’a t èle pas amployé ces chevrons en quelques ocasions? N’a t èle pas admis les accens sur les e qui ne sont pas fèminins? Les plus atachés à la conservation des lètres caractèristiques ne les ont ils pas retranchées de plusieurs mots? Pandant ce siècle et pandant la fin du siècle prècèdant, combien a t on imprimé de livres ou l’on suit en partie notre ortografe rèformée?

«Il faut que ceus qui conviènent qu’une antière rèformation, selon mon projet, seroit utile, la suivent dans les choses les plus faciles. On parviendra peu a peu a la faire recevoir par le grand nombre, et alors nous aurons pour nous l’usage qu’on nous objecte si souvant. Si nous avons raison, espèrons tout du bon esprit de gens qui ne sont pas prévenus; faisons de notre côté ce que nous poûrons, et laissons faire au tams; il fera le reste.»

On voit par ce qui précède que Dangeau est un néographe très-prononcé et qu’il a tracé la voie à Wailly, Beauzée, etc. J’aurai occasion de discuter son système à propos de ces derniers.

* Alphabet ingénieux pour le françois. Bourdeaux, 1694, in-12.

Je n’ai pu encore prendre connaissance de cet opuscule, cité par Goujet.

* André Renaud, prêtre, docteur en théologie. Traité de l’Ortographe et de la prononciation françoise. (A la suite de sa Maniere de parler la langue françoise selon ses différens styles. Lyon, 1694, in-12.)

Je n’ai pu savoir si cet ouvrage intéresse l’histoire de la réforme.

César-Pierre Richelet. Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise, etc. Genève, Jean Herman Wiederhold, 1680, 2 vol. in-4. (Réimprimé plusieurs fois.)—La connoissance des genres françois tirée de l’usage et des meilleurs auteurs de la langue. S. l. ni date (achevé d’imprimer le 10 mai 1695), in-12.

Richelet est un des réformateurs les plus prudents et les plus logiques. Il s’est beaucoup plus occupé d’étymologies que la plupart des auteurs contemporains. Il fut un des premiers à développer la réforme proposée par Le Clerc et les Précieuses. (Voir plus haut, p. 111, l’examen de son Dictionnaire.)

Projet d’un Esei de granmére francéze de laqele on ôte toutes lés letres inutiles, é où l’on ficse la prononsiasion de celes qi sont néceséres: par le moyen de qoi l’on aprendra le francéz pluz facilement, é an moins de tans qe par l’ortografe ordinére.Remarques sur ce projet, en forme de lettre.Réponse de l’Auteur du projet à cette lettre. (Le projet parut d’abord à Genève en 1704, et ensuite avec les deux pièces suivantes dans le Mercure de Trévoux, Novembre et Décembre 1708, p. 165.)

Ce titre seul suffit pour indiquer que le système de l’auteur se rapproche de celui des novateurs le plus avancés. Voici comment il entre en matière:

«Le publiq doit être bien rasazié dés Granmères q’on fét depuis qeqe tans, cepandant an voici ancore une dont on veut le surcharjer, mes on souëte de savoir avant cela son santimant sur celeci, dans laqel’ on prand une route bien diferante de celes que les autres fezeuz de granmères ont tenu. Si qeq’un montre qe le sisteme n’an soit pas bien lié, on promet par avanse de le corijer ou de le suprimer.

«El’ aura deuz parties, la premiere dés qeles ne tretera que de l’uzage q’on devrét fere des letres de nôtre alfabét, de qele maniere il faut se servir des trois acsans, é de qeqes autres marques qon observe dans la lecture é dans l’écriture, come sont les poins de separasion q’on apele aussi diéreze. Cete partie aura six diâloges. La derniere partie contiendra aussi six diâloges, dans les qels on egspliquera, a-peu-prés come dans les autres granmères, les neuf parties du discours. Je dis a-peu-prés, parcqu’il y aura qeqes chanjemans q’on croit necesères pour randre les regles de notre langue plus asurées.»

On voit que ce système se rapproche de celui préconisé plus tard par M. Marle; l’auteur termine par cette maxime:

Temporibus errata latent et tempore patent.
Le tans cache é decouvre tout.

Ce projet de réforme, qui, tout en ayant des inconvénients, n’en a pas moins quelques mérites, n’a eu aucun succès, bien qu’il ne manquât pas d’être favorisé, comme on peut s’en rendre compte par quelques passages tels que celui-ci, tiré des Remarques, etc.

«Il y auroit de la temerité, Monsieur, a vous assûrer que vôtre nouveau projet de grammère sera generalement approuvé. Il n’est pas aisé de faire revenir de leur entêtement certains gens, a qui une prevention chimerique fait rejeter tout ce qui a un air de nouveauté, le bon come le mauvais. Cependant pour ce qui regarde l’ortografe, on ne voit pas grand risque à vous prometre le sufrage de la plus belle moitié du monde françois; dautres oseront peut être en dire davantage, persuadés que les Dames, dont jentens ici parler, ont le discernement très-juste. Eles vous aplaudiront sans doute, èles qui conformement à vôtre dessein ecrivent come èles parlent, et èles parlent bien.

«Vous devez encore avoir les étrangers dans vôtre parti, car ils trouveront plus de facilité à lire et à écrire en nôtre langue. Pour les savants la nation n’en est pas si traitable: mais ils ne seront peut-être pas tous si infatués du pedantisme, qu’ils ne renoncent a ce fatras d’étymologies, de multiplicité inutile de letres, etc., qui jusquici n’a servi qu’à ambarasser et l’ecrivain et le lecteur, et ils voudront bien enfin reconoître que l’ecriture ne servant qu’à exprimer et peindre la parole, c’est une injustice de la vouloir plus parfaite que son original.»

L’auteur de cet article, dont l’orthographe est moins téméraire, nous dit avoir parlé sur ce même sujet dans le Journal de Trévoux de mai 1705.

Il regrette le double emploi du c et du q, et celui de l’s et du z; il écrit au singulier nagét, avec accent aigu, et nagêt, avec l’accent circonflexe pour le pluriel. «Quatre lettres retranchées tout d’un coup, oien (nageoient). Quel abatis! s’écrie-t-il, mais il est bien comode.» Et il observe que la prononciation de geoient au pluriel étant plus longue que celle du singulier geoit, se trouve convenablement indiquée par la différence seule des accents. Il termine ainsi:

«Si vous n’êtes pas plus heureux quant à votre ortografe que ceux qui ont tenté la chose avant vous, dumoins aurés-vous d’illustres compagnons de vôtre infortune. Mais seroit-il possible qu’on s’opiniatrât a vouloir faire passer des huit ou dix ans dans la poussière d’un college, pour aprendre a écrire ce que l’on sait bien prononcer, et que la raison parlât tant de fois a ceux qui font profession d’être ses eleves, sans s’en faire entendre?»

Viennent ensuite des additions à ces Remarques, p. 201, où, entre autres choses, on regrette l’emploi de l’h inutile dans certains mots.

«Il n’y a pas long-temps qu’on avoit une regle assez sûre des mots ou ele faisoit quelque fonction, mais a present on ne sait plus a quoi s’en tenir: come ele oblige a parler un peu du gosier et qu’on fait plus a présent la petite bouche que jamais, on voudroit l’exclure des endroits ou son empire est le mieux établi, et dernièrement j’entendis dire a un doucereux qui se pique de bel esprit: donés moi de l’achis, il est en aut, pour donés moi du hachis, il est en haut.

«On retranche tant que l’on peut et avec raison les lètres doubles, on ne laisse que les deux ss, aparenment jusqu’a ce qu’une seule entre deux voyelles retiene son usage naturel, et dans certains cas les deux mm, encore change-t-on le premier m en n; ainsi au lieu d’emmener on écrit enmener. Il semble qu’on devroit en faire autant de l’m qui se prononce come n: jambe, janbe, pompe, ponpe, etc., l’épargne n’est pas grande, mais au temps où nous somes les petits profits ne sont pas à négliger.»

Il se récrie aussi sur la prononciation de t come s en certains cas.

Ces observations sont suivies de la réponse de l’auteur du Projet de l’Esei.

DIX-HUITIÈME SIÈCLE

L’abbé Regnier des Marais, secrétaire perpétuel de l’Académie française. Traité de la Grammaire françoise. Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1706, in-4 et in-8 de 4 ff., 711 pp. et 11 ff. de table.—Remarques sur l’article CXXXVII des Mémoires de Trévoux, touchant le Traité de la grammaire françoise de M. l’abbé Regnier. Paris, J.-B. Coignard, 1706, in-4.

L’Académie, dans les travaux préparatoires de son Dictionnaire, qui ne parut qu’en 1694, avait adopté la méthode du travail en commun; mais elle crut devoir remettre le soin de rédiger une Grammaire conforme à ses principes à son secrétaire l’abbé Regnier des Marais. Il publia son ouvrage en deux volumes in-12 dès 1676, et en donna une édition infiniment supérieure dans l’in-4 de 1706. De 1694 jusqu’à la seconde édition du Dictionnaire, qui ne parut qu’en 1718, l’Académie eut quelque temps de repos. Elle recueillit alors les doutes sur la langue et se donna la tâche de les résoudre. Cette société préparait ainsi des matériaux pour la Grammaire qu’elle méditait et que du reste les statuts de sa fondation l’obligeaient de rédiger. «Mais elle ne tarda pas à reconnaître qu’un ouvrage de système et de méthode ne pouvait être conduit que par une personne seule; qu’au lieu de travailler en corps à une Grammaire, il fallait en donner le soin à un académicien qui, communiquant son travail à la compagnie, profitât si bien des avis qu’il en recevrait, que, par ce moyen, son ouvrage pût avoir dans le public l’autorité de tout le corps.» Regnier avait une parfaite connaissance de notre langue et de quelques autres; il s’était fait un nom par sa traduction de la Pratique de la perfection chretienne de Rodriguez. Son assiduité aux conférences du Dictionnaire, dont il était chargé de rédiger les résultats, l’avait mis mieux que tout autre en état d’en exposer les principes dans une grammaire.

L’ouvrage cependant ne fut pas publié sous le nom de l’Académie. Il encourut plusieurs critiques, entre autres celle d’un grammairien très-estimé, le P. Buffier. L’abbé Regnier, on le conçoit, se prononce contre l’écriture phonétique, qui exposerait à «cet attentat» d’écrire des crétiens comme des Crétois et Jésu-Cri qu’on prononce ainsi, tandis qu’on doit prononcer le Christ. Dans son livre, les explications sur les difficultés de la prononciation des lettres ont employé près d’une centaine de pages. En examinant avec l’attention qu’elle mérite l’œuvre de docte secrétaire perpétuel de 1706, œuvre d’autant plus importante qu’elle doit nous refléter les principes qui avaient prévalu dans le sein de l’Académie, on ne tarde pas à se convaincre que le but que l’auteur se proposait est manqué. Toutefois, on doit le reconnaître, le livre le plus utile à une nation éclairée comme la France, c’est-à-dire une grammaire, était alors impossible.

Pour ce qui concerne l’orthographe, Regnier constate, pour la réduplication des consonnes dans le corps des mots, des règles fondées la plupart sur la quantité (pp. 101 à 125 de l’édit. in-12).

«Le redoublement des lettres en plusieurs mots de la langue se fait uniquement des consonnes, et peut se rapporter à deux causes: l’une prise du latin, d’où ces mots là nous viennent; l’autre tirée du fonds mesme de nostre langue... Ce redoublement n’est point toujours pris du latin: il se fait quelquefois contre l’orthographe des mots latins d’où les mots françois dérivent. Il se fait principalement des lettres l, m, n, p et t, aprés a, e, o, mais il suffira de parler icy de celuy des lettres l, m, n, après e et o, pour donner quelque idée de la cause de ce redoublement dans les mots où la prononciation toute seule n’en avertit pas: car, pour ceux où elle le fait sentir, ce n’est pas de quoy il est icy question, non plus que de ceux où nostre langue n’a fait que suivre l’exemple de la langue latine.

«Il y a deux choses à considerer dans ce redoublement: le lieu où il se fait et l’effet qu’il produit. Le lieu où il se fait, c’est d’ordinaire immédiatement aprés la voyelle sur laquelle est le siége de l’accent. Mais comme nostre langue n’a proprement d’accent que sur la derniere syllabe, dans les mots dont la terminaison est masculine, et sur la penultiéme dans ceux dont la terminaison est feminine, et que les dernieres syllabes ne sont pas susceptibles du redoublement des consonnes, ce redoublement, à le regler par le siege de l’accent, n’appartient proprement qu’aux penultiémes syllabes des mots qui ont une terminaison feminine.

«Ainsi chapelle, chandelle, fidelle, folle, colle, molle, femme, homme, somme, bonne, donne, consonne et patronne, qui ont l’accent sur la penultiéme, s’escrivent par deux l, deux m et deux n. Que si cet accent passe de la penultiéme sur la derniere, alors en quelques mots derivez des précédents, comme dans chapelain, chandelier, fidélité, feminin, homicide, bonace, donateur, consonance, patronage, il ne se fait plus de redoublement de consonne et l’usage est en cela entierement fondé sur la raison et sur la regle. Mais en d’autres mots de mesme ou de pareille dérivation, comme fidellement, nouvellement, follement, donner, sonner, tonner, le redoublement, qui ne devroit se faire qu’aprés la voyelle du siege de l’accent, se fait devant[169]: et l’usage en cela, comme en beaucoup d’autres choses, s’est mis au-dessus des regles, qu’il observe pourtant d’ordinaire dans la conjugaison des verbes. Car on escrit ils prennent, ils tiennent, ils viennent, par deux n, parce que le siege de l’accent est sur l’e de la penultiéme syllabe; et on escrit par une n seule, nous prenons, nous tenons, nous venons, vous prenez, vous tenez, vous venez, parce que l’accent qui estoit sur la penultiéme est passé sur la derniere.

[169] Ce passage me semble tout à fait inintelligible.

«Quant à l’effet que ce redoublement de consonnes produit, il est different, suivant les voyelles aprés lesquelles il se fait: aprés l’e, comme dans chandelle, fidelle[170], fidellement, il donne à cet e la prononciation d’un e ouvert et il donne celle d’un e fermé à prennent, tiennent, viennent, etc.[171].

[170] On a mis depuis l’accent grave, au lieu de la consonne double, à beaucoup de ces mots en elle: il épèle, fidèle, il gèle. Mais on n’a pas simplifié la difficulté, car il nous en reste autant en elle: il appelle, belle, chandelle, etc.

[171] Il semble résulter de ce passage que le docte secrétaire perpétuel prononçait ils prénent, ils tiénent, ils viénent.

«A l’égard de l’o, cet effet est tout different; car, au contraire, le redoublement de la consonne aprés un o sert à le presser de telle sorte, que comme alors il a moins d’estenduë et de liberté que quand il n’est suivi que d’une consonne, il reçoit une prononciation plus breve et plus serrée. Ainsi au lieu que dans mole, role, dome, throne[172], où l’o n’est suivi que d’une seule consonne et se trouve, pour ainsi dire, plus au large; l’o est long et extrémement ouvert, il est bref dans molle, folle, homme, somme, bonne et donne, où les deux consonnes qui suivent le pressent et le resserrent. Mais tout ce qu’on vient de marquer icy est sujet à tant d’exceptions, que pour donner des regles plus seures, il faut necessairement passer aux exemples particuliers du redoublement de chaque consonne.

[172] On met aujourd’hui avec raison l’accent circonflexe sur ces mots, où il suffit à exprimer l’allongement de la syllabe. Pourquoi écrire, contrairement au latin, les mots homme, bonne, donne par une double consonne? L’absence de l’accent circonflexe suffirait pour indiquer que l’o est bref.

«La regle generale que l’Académie françoise a suivie dans l’orthographe de son Dictionnaire, est de garder les consonnes doubles dans les mots françois, lors qu’elles sont doubles dans les mots latins d’où ils viennent; et cette regle peut suffire pour la plus part des mots de la langue, à l’égard des personnes qui entendent le latin; mais comme on escrit icy pour tout le monde, il faut essayer de donner là-dessus ou des préceptes, ou des exemples, qui puissent estre entendus de tout le monde.»

Suivent 27 pages très-compactes de préceptes, d’exemples et d’exceptions pour le redoublement ou le non-redoublement de chacune des lettres de l’alphabet.

Malgré le désir qu’on éprouve de saisir quelques lueurs de principes au milieu de cet amalgame de règles contradictoires, il est impossible d’en rien conclure, sinon l’impuissance des grammairiens d’alors à débrouiller le chaos orthographique. Qu’est-ce, en effet, que de constater, d’un côté, que la prosodie française est complétement différente de la prosodie latine, et d’exiger, de l’autre, que l’on redouble la consonne en français là où les Latins l’ont doublée? Comment expliquer, en outre, cette bizarrerie dans le rôle de la consonne redoublée, de rendre la syllabe qui précède longue dans chandelle et brève dans molle? Bossuet, avec son esprit lucide et pratique, avait bien raison de demander que l’Académie s’expliquât en tête du Dictionnaire sur les règles de la prosodie française: toutes ces inconséquences eussent alors forcément disparu, comme l’ont fait la plupart d’entre elles, grâce à l’introduction des accents et à la suppression d’une partie des lettres doubles inutiles, opérées par l’Académie lors de la réforme de 1740. Mais en parcourant les listes données par Regnier, page 111 particulièrement, on voit qu’il nous reste encore un nombre assez grand de mots où la double consonne qui ne se prononce pas s’est maintenue dans le seul but de figurer cette copie servile du latin, répudiée par l’Académie elle-même, et à laquelle tout le monde paraît avoir renoncé[173].

[173] Nous avons encore collerette, mollesse, assommant, inaccommodable, consommation, pommade, bannière, carrosse, garrotter, etc., comme au temps de Regnier.

Après s’être convaincu de l’inanité des principes orthographiques de Regnier, on s’explique difficilement la sévérité qu’il montre contre les novateurs tant du siècle précédent que de son temps. La fin de non-recevoir qu’il oppose à toute réforme, si elle eût été prise au sérieux, nous condamnerait encore à l’écriture vicieuse de 1706.

«Que si, dit Regnier, dans la societé civile, il n’est pas permis aux particuliers de rien changer dans l’escriture[174] de leur nom, sans des lettres du prince, il doit encore moins leur estre permis d’alterer, de leur propre authorité, la pluspart des mots d’une langue et la pluspart des noms de baptesme et des noms des peuples, des provinces, des familles, des societez publiques et des choses de la Religion.

[174] Les lettres italiques indiquent les changements ultérieurement apportés par l’Académie à l’orthographe de Regnier.

«Cependant ceux qui en usent de la sorte n’ont pas seulement tort, en ce qu’ils s’attribuënt une jurisdiction qui ne leur appartient pas; ils ont tort encore d’ailleurs, en ce qu’ils abusent du principe sur lequel ils se fondent, que les lettres estant instituées pour representer les sons, l’escriture doit se conformer à la prononciation.

«Cette regle generale a ses exceptions, comme toutes les autres regles; et vouloir reformer tout ce qui en est excepté, c’est comme si un Grammairien, se fondant sur les principes generaux de la Grammaire, vouloit y reduire toutes les conjugaisons des verbes irreguliers d’une langue et toutes les façons de parler qu’un long et constant usage a délivrées de la servitude de la syntaxe.

«De toutes les langues dont on a connoissance, il n’y en a aucune dont toutes les lettres se prononcent tousjours d’une mesme sorte et où le son des voyelles et des consonnes ne varie souvent, selon les differents mots qu’elles forment, parce qu’il est impossible que les differentes combinaisons des lettres n’apportent de la difference dans le son propre de chaque caractere.

«..... Ce qu’on ne peut trop dire et trop repeter à ceux qui, sur des principes specieux, mais mal entendus, veulent de leur authorité privée reformer l’orthographe françoise, c’est que l’usage n’a pas moins de droit et de jurisdiction sur la prononciation des mots que sur les mots mesmes; et que comme la prononciation de plusieurs mots vient à varier de temps en temps, selon le caprice de l’usage, il faudroit aussi de temps en temps varier l’orthographe des mesmes mots, pour en representer la prononciation courante. Ainsi la reforme qu’on feroit aujourd’huy pour adjuster l’orthographe à la prononciation ne tarderoit gueres peut-estre à avoir besoin d’une autre reforme, de mesme que celle que Sylvius, Meigret, Pelletier et Ramus vouloient introduire.»

Ce dernier paragraphe est parfaitement juste, et les lettres italiques que j’ai placées aux endroits du texte de Regnier que l’Académie a dû corriger par la suite montrent que l’écriture suit la loi du progrès comme toutes les sciences et que, par suite, il est du droit et du devoir des enfants d’améliorer l’héritage de leurs pères.

«..... Où en seroit-on dans chaque langue, continue Regnier, s’il en falloit reformer les élements sur la difficulté que les enfants auroient à bien retenir la valeur et, comme parlent les Grammairiens, la puissance de chaque caractere et les differentes variations qu’un long usage y a introduites?..... C’est aux enfants à apprendre à lire comme leurs peres et leurs grands-peres ont appris.

«Quant aux estrangers, pourquoy veut-on que la langue françoise fasse à leur égard ce que nulle langue ne fait ni ne doit faire à l’égard de ceux à qui elle est estrangere?... Comme c’est à ceux qui sont estrangers dans un pays à se conformer aux loix et aux coustumes du pays, c’est aussi à ceux qui veulent apprendre une langue qui leur est estrangere à s’assujettir à ses regles et à ses irregularitez. Pourquoy donc changerions-nous en cela nos usages pour les estrangers, qui ne changent les leurs pour personne? et pourquoy ne feront-ils pas à l’égard de nostre langue ce qu’ils font à l’égard des autres et ce que nous essayons tous les jours de faire à l’égard de celles qui nous sont estrangeres?»

En proclamant, dans le domaine intellectuel, cette maxime du chacun pour soi, l’abbé Regnier ne pouvait pas pressentir les nécessités d’un nouvel état de la société européenne, où une certaine instruction est indispensable à tous ses membres, où les relations de peuple à peuple sont incessantes, où les langues modernes constituent une partie importante de l’éducation de la jeunesse et où le temps a besoin d’être économisé pour tant de choses à apprendre.

Nicolas de Frémont d’Ablancourt. Dialogue des lettres de l’Alphabet, où l’usage et la grammaire parlent, fait à l’imitation du dialogue de Lucien, intitulé, le Jugement des voyelles. (A la suite de la traduction françoise de Lucien, par Nicolas Perrot d’Ablancourt, tome III, édition de 1706, in-12, p. 424.)

L’abbé Goujet, dans sa Bibliothèque françoise, fait un grand éloge de ce dialogue.

Les interlocuteurs sont l’Usage et la Grammaire.

La Grammaire demande à l’Usage si elle doit produire ses lettres habillées à l’arabesque, ou à la grecque et l’italienne, ou à la gothique, ou bien simples et ramassées, et accommodées à la française.

L’Usage répond: «A quoy bon tant de mystères? Puisque nous sommes en France et qu’il s’agit d’un différend entre les lettres françoises, il faut qu’elles se présentent habillées à la mode du pays.»

Chaque Lettre prend successivement la parole pour se plaindre de son sort, et de l’empiétement des unes sur les autres; mais, tout en signalant le désordre qui règne entre elles, le neveu de Perrot d’Ablancourt se montre plus résigné que son oncle. Il fait ainsi parler l’F: «Come je suis la première en fidelité, je trouve fort étrange qu’on m’ôste les clefs et qu’on me veuille couper les nerfs; car après cela comment pourrois-je atteindre les cerfs à la course? Cela est bien éloigné de la promesse qu’on m’avoit faite de bannir le Ph, afin d’étendre les bornes de mon empire. Jusqu’ici il m’a toujours défendu l’abord des Prophetes et des Philosophes, et il ne veut pas même que j’aspire à Philis. Si j’avois esté aussi sévère, jamais le v ne se seroit mis en possession de toutes les veuves[175], tant recréatives que rebarbatives; cependant, comme j’ay veû qu’elles l’aimoient plus que moy, je lui ay cedé tout ce que j’y pouvois prétendre.»

[175] On écrivait vefve; c’est sous ce titre qu’est publiée la pièce de Rotrou. Mais l’f a disparu au singulier féminin, et l’u n’a pu être introduit que lors de la distinction du v et de l’u, autrement on eût écrit la ueuue. L’f a été conservé au singulier masculin.

Le P prend la parole: «Quand une longue possession ne seroit pas un juste titre, après nous avoir fait traverser tant de Terres et de Mers, débité tant d’Apophthegmes, et enrichy ce païs de tant de Phrases et de Paraphrases, il semble qu’il y auroit de l’inhumanité à nous separer de la compagnie de Philis et de Philomèle, puisque nous sommes de même contrée, et que nous avons jusqu’icy couru les mêmes avantures.

«L’Usage. J’ordonne que l’on conserve le Ph, le plus qu’on pourra; mais du reste, quand on veut s’établir en un païs, il en faut prendre l’habit et les mœurs.»

Le Père Claude Buffier, de la Compagnie de Jésus. Grammaire françoise sur un plan nouveau, avec un traité sur la prononciation des E, etc. Paris, 1709, in-12; ibid., 1723, in-8.

Buffier, un de ces jésuites à la raison hardie et profonde, dont l’ordre célèbre auquel il appartenait a fourni tant d’exemples, après avoir constaté qu’une orthographe réformée est suivie par la moitié au moins des auteurs, cite une centaine d’ouvrages importants où elle est observée. Lui-même embrasse la réforme non pas avec enthousiasme, mais avec la conviction calme qu’elle est «le parti le plus commode, et conséquemment le plus sage.» «On peut, ajoute-t-il, et l’on doit dire que certaines langues ont une ortographe beaucoup plus embarassée et plus dificile que d’autres langues. En éfet, si une langue avoit précisément autant de caractères divers dans l’écriture que de sons diférens dans la prononciation, en sorte que chaque caractère particulier désignât toujours le même son particulier, ce seroit l’orthographe la plus commode, et, ce semble, la plus naturèle qu’on puisse imaginer. Ainsi, plus une langue s’éloigne de cette pratique, plus son ortographe est incommode et bizare.» «Le françois, dit-il plus loin, a une ortographe des plus bizares et des plus malaisées... Une même figure de lètre désigne quelquefois cinq ou six sons divers, et un même son est désigné de sept ou huit manières différentes[176]... Il ne s’agit pas de mettre de l’étymologie dans un portrait, mais de le rendre le plus fidèle qu’il est possible.» Il s’oppose, du reste, aux réformateurs trop absolus, «attendu, dit-il, que si l’ortographe n’étoit pas conforme à l’usage, on ne connoîtroit rien aux figures ou caractéres de létres qui seroient nouveaux. C’est ce qui est arrivé à ceux qui ont voulu introduire une ortographe toute nouvèle; les autres n’y ont rien conçu, n’en ayant pas l’usage. Ainsi, quand même cette ortographe seroit au fond plus parfaite que l’ortographe établie, il seroit ridicule de s’en servir préférablement à la dernière, puisque c’est comme si l’on vouloit parler à un homme une langue qu’il n’entend pas, sous prétexte qu’elle est plus parfaite que celle qu’il entend.»

[176] Voir plus loin l’analyse de l’ouvrage de M. Raoux, à la date de 1865.

Il propose, pour apprendre à lire plus promptement et plus exactement, de prêter aux consonnes françaises d’autres noms que ceux qui leur sont donnés par l’usage et qui soient plus conformes aux sons qu’elles expriment dans leur liaison avec les voyelles. «Ainsi, au lieu de dire éfe, éme, ixe, etc., on feroit mieux de les appeler simplement fe, me, xe, dont l’e seroit muet,» etc.

Il analyse les diverses modifications que prend le son e. Il voudrait que l ou ll mouillé fût figuré par un signe particulier, le λ. Il remplace les signes binaires eu, ou, ch, gn, par ω, ö, χ, ñ.

L’y lui paraît une forme introduite par les copistes pour figurer ij ou le double i. L’y, dit-il, n’est presque plus d’usage en notre langue que dans les trois ou quatre occasions suivantes: yeux, yvoire, yvre[177].

[177] On écrit ivre, ivoire, et on a maintenu seulement l’y dans yeux.

Voici dans quelle mesure il se montre réformateur: il écrit ortographe, atacher, létre (de litera), suposé, indiférent, dificulté, netement, ofrir, oposé, voyéle, néte, comode, naturéle, prométre, sience, soufrir, nouvèle, anciéne, etimologie, afirme, consone, nazal, bizare; il écrit même silabe.

* Pierre Panel. Le Tableau de l’Ortographe françoise. Hambourg, 1710, in-8.

Je n’ai pas vu cet ouvrage, cité par Goujet comme ayant trait à la réforme.

De Grimarest. Éclaircissemens sur les principes de la langue françoise. Paris, 1712, in-12.

«Je tiens, nous dit-il, à l’égard de l’orthographe, entre les anciens et les modernes.» Aussi les modifications qu’il propose sont-elle modérées. Il répond ainsi à ceux qui voudraient conserver les s étymologiques: «Tous les mots où l’on peut supprimer l’s viennent-ils du latin? Et d’ailleurs, ou l’on sait le latin ou on ne le sait pas. S’ils le savent, sera-ce cette lettre supprimée qui les empêchera de reconnoître que répondre vient de respondere, hôte de hospes? Si le lecteur ignore la langue latine, que lui importe?....» Il se plaint avec toute raison de ceux qui, de son temps, mettaient des y partout.

Le désordre et l’incertitude de l’orthographe offraient jusqu’au commencement du dix-huitième siècle de graves inconvénients pour la détermination si importante des noms propres. Ainsi, malgré de patientes investigations, nous ignorons encore la véritable prononciation du nom de famille d’un des plus célèbres imprimeurs de Lyon, écrit tantôt Rouille, Rouillé, Roville. Grimarest cite un écrivain, Touville, inscrivant son nom sur trois écriteaux aux faces de sa maison, tous trois orthographiés différemment: Touuille, Toville, Tovville.

Le P. Gilles Vaudelin, augustin réformé. Nouvelle Maniere d’ecrire comme on parle en France. Paris, Jean Cot et Jean-Baptiste Lamesle, 1713, in-12.—Instruction chrétienne mise en ortografe naturelle, pour faciliter au peuple la lecture de la science du salut. Paris, 1715, in-12.

Le bon père augustin, frappé de l’utilité de rendre la langue française accessible aux classes qui n’ont pas de loisirs, a cru résoudre le problème en créant un alphabet phonétique, composé de 13 voyelles et de 16 consonnes. Un trait, nommé aujourd’hui diacritique, distingue les valeurs différentes d’une même lettre. Il a ainsi un système de représentation nouveau et plus logique pour les sons a, an, ai, é, in, i, e, o, on, eu, un, ou, u. Les consonnes c, g, h, j, n, l, r, z, s, d, t, v, f, p, b, m, n’ont subi aucune modification quant à la forme, sauf que h a changé de valeur et représente ch. S’il n’est pas arrivé à la classification organique des consonnes, qui est une des conquêtes de la philologie moderne, on voit qu’il y tend. Son écriture occupe notablement moins d’espace que la nôtre, et elle figure mieux les sons.

Mais son système a le même défaut que ceux de ses devanciers, c’est-à-dire d’être impraticable, particulièrement à ceux mêmes auxquels il le destine, les femmes, les enfants, les pauvres. Cette addition de traits diacritiques est trop compliquée pour eux et retarde l’essor de l’écriture des personnes instruites, écriture qui doit toujours pouvoir être cursive pour satisfaire aux besoins qui lui ont donné naissance.

* Nicolas Dupont, avocat au parlement, bailli du duché de Châtillon-sur-Loing. Examen critique du traité d’Ortographe de M. l’abbé Regnier Desmarais, Secrétaire perpétuel de l’Académie françoise, avec les principes fondamentaux de l’art d’ecrire. Paris, 1713, in-12.

«Il y a dans ce livre, dit l’abbé Goujet(t. I, p. 113), des remarques et des réflexions dont on peut profiter, et que M. l’abbé Regnier n’auroit peut-être pas dû négliger. On ne pourroit pas cependant conseiller d’adopter son systême: il ne differe en rien pour le fond de celui du pere Vaudelin. Je crois aussi qu’il eût été bien embarrassé de prouver ce qu’il avance, que les Grecs et les Latins avoient une ortographe réguliere, telle qu’il se l’imagine. Étoit-il à portée d’en juger, puisqu’actuellement nous ne savons nullement quelle étoit la véritable prononciation du grec et du latin dans le bel usage de ces deux langues?»

L’abbé G. (Girard, de l’Académie française en 1744). L’Ortografe française sàns équivoques et dàns sés principes naturels: ou l’art d’écrire notre langue selon lés loix de la raison et de l’usage, d’une manière aisée pour lés dames, comode pour lés étrangérs, instructive pour lés provinciaux et nécessaire pour exprimer et distinguer toutes lés diférances de la prononciacion. Paris, Pierre Giffart, 1716, in-12.

L’abbé Girard, comme nous l’avons vu plus haut, p. 139, est un réformateur modéré et un esprit raisonnable. Malheureusement il n’a pas vu que son système d’accentuation ajoute aux difficultés et aux lenteurs de l’écriture au lieu de les écarter.

«On pourrait bien se tromper, dit-il (p. 23), en croyant que ç’a toujours été par dés raisons d’étimologie qu’on a introduit dàns le français tant de lettres inutiles et équivoques. Non, il ne faut pas croire que nos pères aient été d’assez mauvais gout que de mettre à plaisir toutes cés lettres oiseuses et embarassantes dàns leur ortografe; ni qu’ils aient poussé la bizarrerie jusqu’à vouloir écrire leur propre langue tout diférammànt qu’ils ne la parloient, précisémànt pour conserver la mémoire dés emprunts qu’ils faisoient dans une autre langue pour enrichir la leur; ni qu’ils aient pansé comme quelques grammairiens, qui sont ravis de trouver et de conserver dàns le français toutes lés lettres qui sont dàns le latin, sàns se mettre en peine de l’incomodité qu’elles y causent, ni de la mauvaise grace dont elles y figurent. Nos pères n’ont assurémànt point pansé à tous cés petits raisonemans: ils se sont servis dés lettres pour le besoin, et si leur ortografe aproche plus du latin, c’est que leur manière de parler n’en étoit pàs si éloignée qu’en est la nôtre. Ainsi, je suis persuadé que ce n’a point été l’étimologie, mais la prononciacion de cés tams là qui a introduit toutes cés lettres, qui sont devenues inutiles, lorsqu’on s’est avisé de faire dés changemans dans la prononciacion, car une grande partie de nos mots se prononçoient autrefois comme ils s’écrivent aujourdui. Desorte que ce seroit toujours écrire comme on écrivoit que d’écrire comme on prononce.»

Après avoir ainsi donné un exemple de l’écriture du P. Girard, il me reste à en expliquer les détails. L’auteur reconnaît trois sortes d’a: l’a bref ou ordinaire, comme dans parure, amour, canon; l’a long, marqué de l’accent circonflexe, comme dans pâté, pâques, mâtin, et l’a adverbe, marqué par un accent grave, comme dans ces mots à Rome, , au delà, promptemànt. Il est regrettable que le docte jésuite n’ait pas admis la distinction des voyelles nasales de l’abbé Dangeau, qui lui eût fourni une simplification orthographique plus rationnelle que l’accent grave placé sur cet àn. Il écrit complimant, contant, agrémant, parant, acçant, tams, example, tample, réservant la forme ent pour la troisième personne du pluriel des verbes: ils chantent.

Il écrit Anglais, Hollandais, Français, au lieu de Anglois, Hollandois, François; connaitre, paraitre, au lieu de connoître, paroître. S’il conserve oi aux imparfaits, c’est par pur amour de la paix et parce que «ce seroit plûtot témérité que courage de vouloir l’en déloger.»

Il n’admet la simplification du double c que dans quelques mots, comme acorder, acoucher, mais il restitue à cette lettre sa place phonétique dans les mots où t se prononce c. Il écrit donc: caucion, créacion, prononciacion, Gracien, quocien, inicier, primacie. Mais, par esprit d’accommodement, il conserve le t dans ces mots: action, distinction, perfection, examption, exception, où il est précédé d’une c ou d’un p. Il bannit un c dans les mots sçavoir, sçavant, sciance, scène, contract, sainct.

Pour remédier à l’incertitude de prononciation du ch, il le conserve seulement dans les mots charité, cheminée, chose, etc., et le remplace par le k dans ceux où il est dur au lieu d’être aspiré. Il écrit donc kiromancie et arkiépiscopal.

Il serait trop long d’analyser ici le chapitre que l’auteur consacre à la lettre e et les articles de plusieurs autres lettres. Je noterai cependant son opinion sur la lettre f et le ph. Il conserve le ph dans les noms propres transcrits du grec: Phaéton, Philippe, Phocas, Céphale; il l’admet également au mot philosophe, où il croit qu’il sied à merveille, «par le respect que nous devons avoir pour les sages de la Grèce,» ainsi que dans les mots où il est précédé d’un m, comme triompher, nimphe, simphonie. Partout ailleurs l’f lui suffit: exempl.: fantaisie, fanatique, ortografe, profane.

Il regrette qu’on n’ait pas inventé encore une cédille pour distinguer le g doux dans agir, généreux, obligeant, geolier, gageure, du g dur, dans les mots languir, guéridon, Goliath, guide.

Quant à l’h, il ne lui reconnaît pas d’utilité dans les mots crétien, cronique, rétorique, rûme, auteur, téatre, téologie, aujourdui. Il la maintient au commencement des syllabes où elle est d’usage, comme dans homme, honête, hureux (sic)[178], dehors, souhait, haine, «avec cependant une petite marque de distinction dans lés occasions où elle est fortemànt aspirée. Cette marque sera un point placé dans le çantre de cette lettre.»

[178] Telle était la prononciation de la triphthongue eur dans quelques parties de la France, et particulièrement en Normandie. Voltaire se l’est permise dans ces vers:

Il voit les murs d’Anet bâtis aux bords de l’Eure,
Lui-même en ordonna la superbe structure.

Lorsque la voyelle i est suivie d’un l mouillé, il l’écrit avec un tréma, ex.: coquïlle, fïlle, sïllon, pérïl, babïl, gentïl, ce qui nous indique, par parenthèse, que ces trois derniers mots, surtout le dernier, se prononçaient en 1716 autrement qu’aujourd’hui.

Il supprime l’œ dans ces mots sœur, bœuf, vœux, qu’il écrit par un e simple: seur, beuf, veux.

Il enlève le p dans temps, baptême, ptisane, corps, niepce, qu’il orthographie tams, batême, tisane, corps, nièce; mais il le garde dans le nombre sept.

Il conserve à la lettre q son u, qu’il appelle servile, mais il distingue par un point supérieur[‡] cet u lorsqu’il se fait entendre, comme ou devant a: aqūatique, éqūateur, qūadrature et comme u devant e et i, dans qūesteur, Qūintilien, Qūinquagésime.

[‡] Point supérieur représenté ici comme dans l'original: ū.

Quand le r ne se prononce pas à la fin des mots, il marque d’un accent aigu l’e qui le précède: singuliér, milliér, particuliér.

La suppression de l’s dans les mots connoistre, maistre, naistre, gouster, lui fournit l’occasion d’une observation assez ingénieuse. Le digramme ou signe binaire ai (qu’il appelle diftongue), étant long de sa nature, il est inutile d’employer l’accent circonflexe, et l’on doit écrire simplement conaitre, maitre, naitre, gouter.

Il réclame une cédille sous le x dans les mots éxamen, éxil, éxample, où cette lettre se prononce comme gz.

Il exclut l’emploi de l’y dans les mots mistique, sistème, hipotèque, sintaxe, sinode, piramide, hipocrite, et même dans ceux-ci: Baïeux, Maïence.

Le petit traité de l’abbé Girard fournit matière à une foule d’autres remarques intéressantes.

Plan d’une ortographe suivie, pour les imprimeurs. (Dans les Mémoires de Trévoux, août 1719.)

«L’ortographe françoise étant fort incertaine, à cause de l’usage différent des auteurs, qui en ce point se contrarient les uns les autres et souvent se contrarient eux-mêmes, il est bon, pour tirer les imprimeurs d’embarras, de leur fournir, comme ils l’ont souvent demandé, des régles auxquelles ils puissent s’attacher, pour garder dans l’ortographe la commodité et l’uniformité convenable et dont ils puissent rendre raison, quand ils ne seront pas obligez par les auteurs d’en user autrement. Ces reflexions ne seront point d’un moindre usage pour les etrangers qui sont encore plus embarrassez sur ce point que nos imprimeurs.»

Ces réformes, très-sages, ont presque toutes été acceptées. Elles consistent:

  • 1o Dans la suppression de l’s dans des mots de ce genre: j’ai esté, qu’il fust, les forests, que l’auteur écrit été, fût, forêts.
  • 2o Dans l’emploi de l’accent circonflexe pour remplacer l’s supprimée dans ces mots: tâcher, fête, aprête.
  • 3o «Par la raison de l’usage le plus étendu et le plus commode, on supprimera encore toutes les consones doubles qui ne se prononcent point; ainsi on n’imprimera point infidellité, appeller, pardonnera, mais infidelité, apeler, pardonera, parce qu’on ne prononce qu’une l dans les deux premiers et qu’une n dans le dernier. Il faut cependant excepter les mots fort courts, et qui n’ont qu’une sillabe, par exemple, elle, donne, comme (l’e muet n’est pas ici consideré). Il faut excepter ces monosillabes, parce que l’usage n’a point encore accoutumé les yeux à voir écrire ele, done, come: or, il ne faut jamais choquer manifestement l’usage.»
  • 4o Il faut supprimer l’y partout, excepté en deux ou trois mots où l’usage l’exige; comme quand y fait seul un mot: je vous y trouve, etc.
  • 5o Il faut distinguer dans les syllabes finales les e aigus, dans assés (sic), placés, des è qui se prononcent ouverts: accès, progrès, etc.
  • 6o Il faut supprimer l’e dans rendeu, conceu, aperceu, qu’il faut écrire rendu, conçu, aperçu.
  • 7o Il ne faut employer le tréma que dans le cas où il y a véritablement diérèse.
  • 8o Il faut marquer d’un accent aigu tous les e qui ne sont pas muets, comme bonté, dégénéré, néteté (sic).

On voit que, dès l’année qui suivait la publication de la seconde édition du Dictionnaire de l’Académie, on introduisait dans les imprimeries l’usage qui a prévalu en grande partie vingt-un ans plus tard dans la troisième.

* Méthode du sieur Pierre Py-Poulain de Launay, ou l’Art d’apprendre à lire le François et le Latin, et l’Ortographe, par un nouveau systême si aisé qu’on y fait plus de progrès en trois mois qu’en trois ans par la maniere ordinaire. Paris, 1719, in-12.—Pierre Py-Poulain de Launay, fils du précédent. Le même ouvrage corrigé, perfectionné, et augmenté considerablement: avec des réflexions sur le systême du bureau Typographique, et un nouveau systême d’ortographe. Paris, 1741, in-12.

Je n’ai pu encore voir ce petit ouvrage. Goujet en parle ainsi:

«Ceux qui en ont profité sont loüables. Il est certain qu’en réformant quelques idées de cet auteur et en en perfectionnant quelques autres, son ouvrage ne pourroit être que très-utile aux commençans, pour la prononciation surtout et pour l’ortographe. Quand il présenta sa méthode en 1713 à M. l’abbé Bignon, ce savant, après l’avoir examinée, y trouva de fort grands avantages et applaudit au zéle et aux vûës de l’auteur..... L’abbé d’Orsanne, chanoine de l’église de Paris et directeur des petites écoles de cette ville, lui donna aussi son suffrage, et l’expérience a montré depuis que l’on pouvoit s’en servir avec beaucoup d’utilité.

«Je ne sçai, au reste, sur quoi le sieur Py-Poulain s’est fondé, lorsqu’il a dit que le célèbre Jean du Vergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, avoit eu sur ce sujet les mêmes idées que lui, et lorsqu’il fait entendre que ce ne sont proprement que les idées de cet abbé qu’il développe. Je ne connois aucun ouvrage de M. de Saint-Cyran sur la grammaire. Je sçai seulement qu’il avoit toujours eu d’excellentes vûës pour l’éducation de la jeunesse et qu’il les communiqua à ceux qui se chargerent de son tems de la conduite des écoles qui ont été connuës sous le nom d’écoles de Port-Royal.»

L. Pierre de Longue. Principes de l’ortographe françoise, ou réflexions utiles à toutes les personnes qui aiment à écrire correctement. Paris, 1725, in-12.

Dans ce traité, très-estimable, où sont discutés les principes de l’orthographe française, l’auteur donne l’exemple des améliorations qu’on y peut apporter. La manière dont son texte est écrit peut en faire juger dès le début.

«Les homes ne peuvent se contenter dans leurs recherches. Ils voudroient trouver la perfection dans tous les arts, la vérité dans toutes les siences, le souverain bien partout, dans les vertus, les vices même; cette agitation continuelle de l’ame ne prouve-t-elle pas l’immortalité?

«L’ortographe est donc l’art d’écrire correctement et conformément aux lois que l’usage établit. Suivant cette définition générale, cette sience s’étendroit plus loin qu’on ne le croit. Elle comprendroit la LOGIQUE, la RÉTORIQUE, toutes les connoissances qui contribuënt à nous faire bien parler, et conséquemment à nous faire bien écrire.»

Il écrit silabe, persone, tiran, rebeles, raisonement, stile, pouroient, Egiptien, hieroglifes, atentifs, amphase, voyèle, ocasion, atention[179], soufert, dificulté, batu, consone, bibliotèque, acoutumer, suputer, chifre, honète, etc.

[179] Bossuet, plus logique, écrivait atantion, atantat, atantif, atantivement.

Ch. Irénée Castel, abbé de Saint-Pierre, membre de l’Académie française. Discours pour perfectioner l’Ortografe. (Dans les Mémoires de Trévoux, février 1724, et dans le Journal des Savans, avril 1725.)—Projet pour perfectionner l’ortografe des langues d’Europe. Paris, Briasson, 1730, in-8 de 266 pp. et 1 f.

Dans son ardent amour de l’humanité, dans son zèle pour le rapprochement intellectuel des peuples de notre continent, le bon abbé de Saint-Pierre conçut, près d’un siècle avant Volney, le plan d’une écriture et d’une orthographe applicables à divers peuples de l’Europe. Il ne lui fut pas donné comme à son successeur de trouver le moyen d’approprier l’alphabet latin aux langues de l’Asie dites sémitiques. L’étude comparée des idiomes était à peine ébauchée au commencement du siècle passé. L’ouvrage d’Irénée Castel, faible dans la conception des moyens de représentation phonétique, n’en renferme pas moins des vues ingénieuses et des aperçus qui révèlent la sagacité de l’observateur. Il m’est impossible de figurer ici son orthographe, parce que, pour déshabituer l’œil de son lecteur des formes traditionnelles, il écrit alternativement les mots par les différentes lettres qui peuvent en figurer le son. Ce procédé, qu’il considère comme un acheminement à la réforme, est chez lui un système.

«Quel est le but de l’art de l’ortografe, se demande-t-il, de cet art si beau et si précieux, avec lequel nous pouvons faire entendre nos sons articulés, c’est-à-dire nos paroles, et par conséquent nos pensées à ceux qui vivent ou qui vivront et à qui nous ne pouvons parler? Quelle est la fin de cet art avec le secours duquel nos yeux nous servent d’oreilles et notre main nous sert de langue, de voix, d’articulation, en un mot de prononciation? Quel est le but de cet art qu’un de nos poëtes nous peint si élégamment en deux vers:

C’est de Tyr[180] que nous vient cet art ingénieux
De peindre la parole et de parler aux yeux.

[180] La science moderne a démontré, contrairement au témoignage de la plupart des historiens de l’antiquité, et à l’aide de monuments irrécusables, que l’alphabet n’avait pas été inventé par les Phéniciens, et que ceux-ci l’avaient reçu de Babylone ou de Ninive. (Voir Noël des Vergers, l’Étrurie et les Étrusques, t. III, Appendice sur l’histoire de l’écriture.)

«Le but de cet art, c’est certainement d’exprimer exactement et sans laisser aucun doute, par un petit nombre de figures simples, faciles à former et à distinguer, tous les mots dont les hommes se servent en parlant.»

Partant de cette juste définition, l’auteur remarque avec beaucoup de raison qu’il y a un grand inconvénient à conserver dans les langues des lettres qui ne se prononcent pas: si l’enfant, par exemple, s’est accoutumé à prononcer abbé comme s’il n’y avait qu’un seul b, arrivé à l’étude du latin, il prononcera, en vertu de la logique naturelle de l’esprit, abas, au lieu de abbas, en italien abate au lieu de abbate; en même temps, en français, s’il s’est habitué à lire effet comme s’il y avait éfet, il lira effrayé, comme s’il y avait éfrayé.

Cette observation est très-judicieuse, et j’ai signalé plus haut, ainsi que l’a si bien fait M. Littré (voir p. 164), l’action de l’écriture sur la prononciation, qu’elle altère à la longue.

Dans son Discours pour perfectioner l’ortografe l’auteur envisage historiquement les vicissitudes de l’écriture française: «Si dans l’origine, dit-il, on a prononcé le mot sentir comme on prononce en latin sentire, on a dû écrire ce mot comme on le prononçoit, par e, mais nous devons aujourd’hui l’écrire comme nous le prononçons.»

Il croit que la langue était beaucoup moins riche trois ou quatre cents ans auparavant, mais que l’orthographe de cette époque était beaucoup meilleure que la nôtre, c’est-à-dire qu’elle ressemblait beaucoup plus à la manière de prononcer alors en usage.

Il recherche les causes des dissidences orthographiques: «Si dans notre ortographe les François avoient suivi peu à peu et exactement les changemens qui arrivoient peu à peu dans la prononciation de quelques mots, notre ortografe d’aujourd’hui seroit bien moins imparfaite; mais, sans y faire de réflexion, nous avons continué à écrire les mêmes mots de la même manière que nos aïeux, sans songer qu’ils les prononçoient d’une manière très différente de celle dont nous les prononçons.»

Il a connu, dit-il, des vieillards qui prononçaient je courois comme une couroye. La prononciation a changé, ne serait-il pas raisonnable de changer également l’écriture? Mais on ne peut le faire que par degrés. L’auteur développe cette dernière proposition avec beaucoup de force et de raison.

Il y a cinquante ou soixante ans, ajoute-t-il, on a commencé à changer quelque chose dans l’écriture de peur qu’elle ne ressemblât presque plus à la fin à celle d’aujourd’hui. Plusieurs ont même ôté depuis quelques lettres que l’on avait gardées uniquement pour faire connaître les origines: ils ont écrit sience, aprendre, filosofe, saint et non sainct; ils ont ainsi en diverses occasions retranché certaines lettres qui ne se prononçaient plus ou ne s’étaient jamais prononcées.

«Dès que l’on veut bien écouter la raison contre la mauvaise coûtume, on sent que ces premiers novateurs sur l’ortografe ont déjà rendu un grand service à notre langue d’écriture en tâchant de la faire insensiblement ressembler davantage à notre langue de prononciation.

«Rien ne se perfectione sans nouveauté, et il est de la nature des ouvrages humains de pouvoir toûjours se perfectionner.»

Il résume ainsi les cinq sources de la corruption présente et de la corruption future de l’orthographe et les cinq inconvénients auxquels il se propose de remédier:

«1o Négligence à suivre dans l’orthografe les changemens qui arrivent dans la prononciation;

«2o Négligence à inventer autant de figures qu’il y a de sons et d’articulations connues;

«3o Négligence à donner quelques marques aux lettres quand on les employait à quelque autre fonction qu’à leur fonction ordinaire;

«4o Négligence à marquer dans chaque mot les lettres qui ne s’y prononcent plus;

«5o Négligence à marquer les voyelles longues.»

Malheureusement, l’abbé de Saint-Pierre, n’ayant pas réfléchi aux nécessités de l’écriture courante et de la typographie, a eu recours pour fixer la valeur des lettres, et comme moyen transitoire, à un système de petits traits placés au-dessus ou au-dessous de la ligne et dont la complication devait rendre sa réforme impraticable.

Maurice Jacquier. Méthode très-facile pour apprendre l’ortographe à ceux ou celles qui n’ont pas étudié le latin, et utile aux personnes qui ont la connoissance des belles lettres. Paris, 1725, in-8. La quatrième et la cinquième édition de cet ouvrage parurent sous ce titre: La méthode pour étudier et pour enseigner l’ortographe et la langue françoise, mise à la portée de toutes sortes de personnes de l’un et de l’autre sexe. Paris, 1740, pet. in-8; La Haye et Francfort, Jean van Duren, 1742, pet. in-8 de 400 pp. (Elles diffèrent des précédentes par la méthode d’enseignement et ont été augmentées d’une table en forme de dictionnaire.) Une autre cinquième édition sensiblement modifiée parut sous ce titre: Méthode pour aprendre l’ortographe et la langue françoise par principes. Cinquième édition, la seule dont on puisse se servir utilement. Paris, 1751, in-8 de 2 ff. et 332 pp.

La méthode de l’auteur, établie sur le son, sur les principes et sur l’usage, échappe à toute analyse. Il se prononce fortement contre le maintien des lettres étymologiques dans les mots dérivés du grec. Ce n’est du reste qu’un livre d’enseignement de l’orthographe d’usage.

Cheneau, sieur Du Marsais. Des Tropes ou des diférens sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue. Troisième édition. Paris, Prault, 1775, in-12 de XXII-362 pp. et 4 ff. (La première édition est de 1730.)

Le célèbre auteur des Tropes s’exprime ainsi:

«La prononciation, c’est un usage; l’écriture, c’est un art. Tout art a sa fin et ses principes, et nous sommes en droit de représenter, à propos de l’écriture, qu’on ne suit pas les principes de l’art, qu’on n’en remplit pas la fin, et qu’on ne prend pas les moyens propres pour arriver à cette fin.

«Il est évident que notre alphabet est défectueux, en ce qu’il n’a pas autant de caractères que nous avons de sons dans notre prononciation. Ainsi, ce que nos pères firent autrefois, quand ils voulurent établir l’art d’écrire, nous sommes en droit de le faire aujourd’hui pour perfectionner ce même art, et nous pouvons inventer un alphabet qui rectifie tout ce que l’ancien a de défectueux.

«L’écriture n’a été inventée que pour indiquer la prononciation; elle ne doit que peindre la parole, qui est son original; elle ne doit pas en doubler les traits, ni lui en donner qu’elle n’a pas, ni s’obstiner à la peindre à présent telle qu’elle était il y a plusieurs siècles.»

D’Alembert énonce ainsi son opinion sur l’ouvrage de Du Marsais: «Tout mérite d’être lu dans le Traité des tropes, jusqu’à l’errata; il contient des réflexions sur notre orthographe, sur ses bizarreries, ses inconséquences et ses variations. On voit dans ces réflexions un écrivain judicieux, également éloigné de respecter superstitieusement l’usage et de le heurter en tout par une réforme impraticable.» (Éloge de Du Marsais, dans le t. VII de l’Encyclopédie.)

Voici cet errata dont parle d’Alembert[181]:

[181] Je crois que l’errata dont il est question ne se trouve que dans cette édition que je possède. On a eu grand tort de la supprimer dans les éditions postérieures.

«Je ne crois pas qu’il y ait de fautes typographiques dans cet ouvrage par l’atention des imprimeurs, ou, s’il y en a, elles ne sont pas bien considérables. Cependant, come il n’y a point encore en France de manière uniforme d’orthographier, je ne doute pas que chacun, selon ses préjugés, ne trouve ici un grand nombre de fautes.

«Mais, 1o mon cher lecteur, avez-vous jamais médité sur l’orthographe? Si vous n’avez point fait de réflexions sérieuses sur cette partie de la Grammaire, si vous n’avez qu’une orthographe de hazard et d’habitude, permettez-moi de vous prier de ne point vous arêter à la manière dont ce livre est orthographié, vous vous y acoutumerez insensiblement.

«2o Êtes-vous partisan de ce qu’on apèle anciène orthographe? Prenez donc la peine de mettre des lettres doubles qui ne se prononcent point, dans tous les mots que vous trouverez écrits sans ces doubles lettres. Ainsi, quoique selon vos principes il faille avoir égard à l’étymologie en écrivant, et que tous nos anciens auteurs, tels que Villehardouin, plus proches des sources que nous, écrivissent home de homo, persone de persona, honeur de honor, doner de donare, naturèle de naturalis, etc., cependant ajoutez un m à home et doublez les autres consones, malgré l’étymologie et la prononciation, et donez le nom de novateurs à ceux qui suivent l’anciène pratique.

«Ils vous diront peut-être que les lettres sont des signes, que tout signe doit signifier quelque chose, qu’ainsi une lettre double qui ne marque ni l’étymologie ni la prononciation d’un mot est un signe qui ne signifie rien, n’importe: ajoutez-les toujours, satisfaites vos yeux, je ne veux rien qui vous blesse, et pourvu que vous vous doniez la peine d’entrer dans le sens de mes paroles, vous pouvez faire tout ce qu’il vous plaira des signes qui servent à l’exprimer.

«Vous me direz peut-être que je me suis écarté de l’usage présent: mais je vous suplie d’observer:

«1. Que je n’ai aucune manière d’écrire qui me soit particulière et qui ne soit autorisée par l’exemple de plusieurs auteurs de réputation.

«2. Le P. Bufier prétend même que le grand nombre des auteurs suit aujourd’hui la nouvèle orthographe, c’est-à-dire qu’on ne suit plus exactement l’anciène. J’ai trouvé la nouvèle orthographe, dit-il (Grammaire françoise, p. 388), dans plus des deux tiers des livres qui s’impriment depuis dix ans. Le P. Bufier nome les auteurs de ces livres. Le P. Sanadon ajoute que depuis la suputation du P. Bufier le nombre des partisans de la nouvèle orthographe s’est beaucoup augmenté et s’augmente encore tous les jours [Poësies d’Horace, préface, p. XVII[182]]. Ainsi, mon cher lecteur, je conviens que je m’éloigne de votre usage; mais, selon le P. Bufier et le P. Sanadon, je me conforme à l’usage le plus suivi.

[182] Le P. Sanadon a suivi une orthographe simplifiée dans l’édition qu’il a donnée de sa traduction d’Horace, et j’ai le droit de le faire figurer parmi les réformateurs.

«3. Êtes-vous partisan de la nouvèle orthographe? vous trouverez ici à réformer.

«Le parti de l’anciène orthographe et celui de la nouvèle se subdivisent en bien des branches: de quelque côté que vous soyez, retranchez ou ajoutez toutes les lettres qu’il vous plaira, et ne me condânez qu’après que vous aurez vu mes raisons dans mon Traité de l’ortographe (sic).»

La Bibliotèque des enfans, ou les premiers elemens des letres, contenant le sistême du Bureau tipografique, etc., à l’usage de Mgr le Dauphin et des augustes enfans de France. Paris, Pierre Simon, 1733, 4 vol. in-4.

Dans cet important ouvrage, la pratique est unie à la théorie, puisqu’il est entièrement imprimé dans le système d’écriture très-simplifié mis au jour par le Bureau typographique. L’alphabet n’y est en rien altéré. On voit que le succès obtenu dans l’enseignement de la jeunesse fut remarquable, car il est consigné dans les actes déposés au greffe de la juridiction de M. le chantre de l’Église de Paris, où on lit:

«Nous, après avoir entendu l’auteur et vu les enfants travailler audit bureau, aïant examiné le tout avec exactitude, avons jugé ledit système très ingénieus, fort propre à avancer la jeunesse sans la dégouter et très capable d’oter les epines qui se trouvent, surtout en aprenant aux enfans les premiers elemens. C’est pourquoi nous estimons et croyons que monsieur le chantre peut permettre la pratique de ce sistème et l’exercice du Bureau tipographique dans les écoles de sa juridiction et exhorter les maistres à le pratiquer, etc.»

On peut juger de ce système d’orthographe dès le début du livre, que je crois rédigé par Dumas, fondateur du Bureau typographique:

«Bien des gens s’imaginent que de comancer deus ou trois ans plus tot ou plus tard, cela ne sauroit guere influer ni en bien ni en mal dans le reste de la vie, et qu’enfin l’education tardive peut mener également à la perfection. C’est là un préjugé que l’ignorance ét la coutume paroissent n’avoir déjà que trop autorizé; car le dégout de la plupart des écoliers ne vient peut être pas moins d’une education tardive que d’un défaut de disposition aus lètres. Je pense donc qu’il seroit utile que l’enfant pût lire presque aussitot qu’il sait parlér: cela lui doneroit plus de facilité dans tous ses exercices. La diference d’un enfant qui lit à trois ans ét de celui qui à peine lit à sèt doit être contée pour beaucoup dans la suite des études. Il y a tant de choses à aprendre qu’on ne sauroit comancer trop tôt.» L’auteur cite à ce propos l’exemple du Tasse: il apprenait la grammaire à trois ans, et avec un tel succès que son père l’envoya au collége des jésuites à quatre ans.

L’auteur donne des exemples de la multiplicité des manières dont l’enfant est contraint de figurer un même son:

Son AN.
an (annus) ean Jean
anc franc em empire
and quand emp exempte
ang rang emps temps
ham Ham empt exempt
han hanter en ennui
ans dans end il rend
ant tant ens sens
ants enfants ent dent
aen Caen han Rohan
aon Laon hen Henri
Son IN.
en rien in vin
ens biens inct instinct
ent il vient ingt vingt
ein sein ingts quatre-vingts
eing seing inq cinq
eint feint ins tu vins
aim faim int il prévint
ain vain ym lymphe
ainc il vainc yn lynx
aint saint eim Reims
ains bains ain craindre
im guimpe    

Ce précieux ouvrage contient le germe de nombreuses améliorations des méthodes d’enseignement de la langue.

Le Précepteur, c’est-à-dire huit traités, savoir une grammaire francèse, une ortografe francèse, etc., 1750, in-4 (pp. 1-132).

L’auteur de ce livre destiné à l’instruction de la jeunesse se prononce pour l’orthographe conforme à la prononciation, et il conseille de s’avancer progressivement dans cette voie par des réformes partielles.

«Autrefois, dit-il (p. 33), la prononciation des mots et l’ortografe étoient conformes; la prononciation a changé, elle est devenuë plus douce et plus polie: l’ortografe est presque demeurée dans le même état; il faut donc l’ajuster à la prononciation peu à peu autant qu’il sera possible.»

Et plus loin (p. 55):

«On perfectionne tous les jours les sciences et les ars: pourquoi s’obstine-t-on à ne vouloir pas perfectionner l’ortografe francèse, qui est si nécessaire, si utile et si en usage? Tout le monde reçoit avidement toutes les modes nouvelles de s’abiller, de se meubler, de bâtir, d’agir, quoique mauvaises et embarassantes: pourquoi refuse-t-on de recevoir une nouvelle manière d’écrire plus raisonable et plus avantageuse que la vielle?»

Dans les Règles particulières de l’ortografe francèse, il s’attache au système proposé par Richelet, qu’il appelle le chef des réformateurs de l’ortografe, qui consulte plutôt la prononciation que l’étimologie.

A ce propos, il dit:

«Quant une coutume est mauvaise, pernicieuse, il faut la quitter, quoique cela soit difficile, parce que cette coutume est un abus; c’est là une maxime reçue de tous les omes.»

Il supprime les lettres doubles qu’on ne prononce pas; p. ex.: acabler, épé, aler, arèt.

Les consonnes finales muettes; p. ex.: blan, canar.

Il omet l’e devant l’a; p. ex.: bau, Jan, et o devant eu; p. ex.: euf, euvre.

Il retranche l’r final de tous les noms terminés en er et ier, sauf les verbes et les mots dont l’r final se lie au mot suivant commençant par une voyelle; p. ex.: charbonié, premier ome.

Il supprime à tort le s devant le c; p. ex.: acendant; il abandonne aussi le h étymologique et le trait d’union.

De Wailly. Principes généraux et particuliers de la langue française, avèc les moyéns de simplifier notre orthographe, des remarques sur les lètres, la prononciation, la prosodie, la ponctùation, l’orthographe et un abrégé de la versification française. Paris, 1754, in-12; 7e édit., ibid., J. Barbou, 1773, in-12 de 600 pp. (Souvent réimprimé.)—De l’Orthographe. Paris, 1771, in-12.—L’Orthographe des dames, ou l’orthographe fondée sur la bonne prononciation, démontrée la seule raisonnable, par une société de dames (sans nom d’auteur). Paris, Mérigot le jeune, 1782, in-12 de VIII et 360 pp.

Dans le petit traité anonyme de l’Orthographe des dames, de Wailly embrasse de la manière la plus nette toutes les parties de la réforme. Voici l’analyse de quelques-unes des critiques qu’il adresse à l’écriture de son temps.

«II. Dans un grand nombre de mots, dit-il, on double les consonnes contre l’étymologie et la prononciation

Ex. Candela, chandelle; (scala, échelle; (tutela, tutelle; (particula, parcelle; (crudelis, cruelle; (mortalis, mortelle; (donare, donner, donneur, s’adonner; (nominare, nommer, surnommer, dénommer; (butyrum, beurre; (batuere, battre.

Au contraire, à cause de l’étymologie, on écrit: égale d’(æqualis, capitale de (capitalis, vile de (vilis, subtile de (subtilis, puérile de (puerilis, crédule de (credulus, érysipèle d’(erysipelas, parallèle de (parallelus.

«III. Dans les dérivés de ces mots, on se conforme à l’étymologie et à la prononciation.»

«IV. Le sentiment des grammairiens qui disent que si l’on redouble la consonne, c’est pour avertir que la voyelle précédente est brève, nous paroît faux, inutile, déraisonnable.»

«1o Cette opinion est fausse, puisque nous avons beaucoup de syllabes longues, quoique la voyelle soit suivie d’une double consonne: ex., flamme, manne, condamne, barre, terre, squirre (sic), bataille, raille, baillon (sic), basse, que je donnasse, que je promisse, que je lusse, il cesse, etc.

«2o Elle est inutile, puisque nous avons un très-grand nombre de syllabes brèves, quoique la voyelle ne soit pas suivie d’une consonne redoublée: arabe, syllabe, robe, préface, audace, façade, carafe, rigole, ridicule, capitaine, phénomene, Rome, pape, etc.

«3o Elle est déraisonnable. La réduplication des consonnes auroit dû plutôt servir à allonger les syllabes. C’est ainsi que la réduplication des voyelles étoit autrefois un signe de longueur. On écrivoit aage, beeler, roole; on employoit aussi l’s pour le même usage: asne, feste, épistre, apostre, fluste. On écrit avec l’accent long âge, bêler, rôle, âne, fête, épître, apôtre, flûte. Nous espérons, Messieurs (ajoutent les dames), qu’en faveur de la prononciation et de l’uniformité, vous supprimerez de même une des deux consonnes, puisque la règle qui prescrivoit la réduplication est fausse, inutile, déraisonnable.

«Dans le latin, toute voyelle suivie d’une consonne redoublée est longue: ainsi la syllabe fe, qui est brève dans fero, aufero, devient longue dans ferre, auferre, etc.»

Wailly demande que l’on emploie exclusivement l’accent circonflexe à marquer la longueur des syllabes. On écrirait donc la tête et il tète, la pâte et la pate, occasionel, il occasione, la prune, il débute, il plaît, il paît. Toute voyelle non accentuée du circonflexe serait réputée brève. Il faut lire tout cet excellent chapitre dans l’ouvrage même.

«V. Dans une grande quantité d’autres mots, l’étymologie, OU VRAIE OU PRÉTENDUE, fait employer les lettres en dépit de la prononciation

«VI. La prononciation, à son tour, fait supprimer, malgré l’étymologie, plusieurs lettres d’une autre foule de mots.

«Pour plaire à l’étymologie, on écrivoit autrefois: saoul, saouler, saoulard, abbaisser, abboyer, abbréger; conflict, contract, sainct, défunct; adjouster, advocat, aggrandir, aggréger; eschole, méchanique, patriarchal, paschal, cognoistre, prognostiquer, aultre, aulne, faulcon, poulmon, soulphre, mammelle, convent, asnon, chastiment, espier, estre, chrestien, apostre, etc. On écrivoit aussi aage, beeler, roole, campaigne, gaigner, reigle, vuide, vuider, etc. Aujourd’hui l’Académie et les meilleurs auteurs suivent pour ces mots et une infinité d’autres les lois de la prononciation; ils en ôtent les voyelles et les consonnes qui ne s’y prononcent plus... En un mot, il n’y a pas une lettre dans l’alphabet que l’on n’ait supprimée d’un très-grand nombre de mots, parce qu’on ne les y prononce plus.»

«VII. Dans les mêmes mots, l’étymologie fait conserver une lettre malgré la prononciation, et à son tour la prononciation en fait retrancher une ou plusieurs autres, malgré l’étymologie.»

L’auteur, après avoir établi sa proposition par de nombreuses preuves, demande qu’on écrive d’une manière uniforme: apeler, j’apèle, tu apèles, il apèle, nous apelons, vous apelez, ils apèlent; je jète, etc.; nous prenons, vous prenez, ils prènent; nous tenons, ils tiènent; étincèlemant, chancèlemant, renouvèlemant, démantèlemant, décèlemant, chancelier, chancèlerie, gabeleur, gabèle, etc.

«Pourquoi, après avoir écrit avec une seule r courir, coureur, coureuse, chariage, charier, chariot, etc., en met-on deux dans courrier, courriere, charretée, charrette, charroi, charron, etc.?

«VIII. Après avoir écrit un grand nombre de mots d’une maniere conforme à l’étymologie et à la prononciation, vous en écrivez une très-grande quantité d’autres analogues à ceux-ci d’une maniere contraire à l’étymologie, à la prononciation ou à l’analogie.»

L’auteur appuie cette assertion d’un grand nombre d’exemples et il demande que, selon la raison et l’uniformité, on écrive: èle est cruèle, la dentèle, la voyèle, come, home ou ome, courone, couroner, persone, actioner ou accioner, diccionêre, abandoner, personel, sérure, il poura, alouète, amulète, barète, sote, sotise, etc.

«IX. Sans que la prononciation l’exige, vous écrivez d’une maniere différente des mots dérivés les uns des autres.»

Suivent les exemples: d’un côté, abatage, abatis, abatant; de l’autre, abattement, abatteur, abattre, abattures, etc.

«X. Vous orthographiez d’autres mots de la même façon, quoique la prononciation exige qu’ils soient écrits différemment.»

Je citerai entre autres exemples: août, aoûté, femme et femmelette, innocent et innover, année et annuité, solennel, solennité.

«XIV. Votre orthographe actuelle n’a presque point de regle qui n’ait ses exceptions, exceptions qui ont elles-mêmes les leurs.

«Une regle de votre orthographe dit que pour former du masculin le féminin dans les adjectifs qui se terminent par une consonne, on ajoûte au féminin un e muet.»

Exception. Les adjectifs en el, ol, ul, eil, an, ien, on, at, et, ot, etc., doublent la consonne finale. Ex.: cruel, cruelle, mortel, mortelle (malgré le latin crudelis, mortalis), fol, folle (quoique l’Académie écrive folie, folichon, folâtre); nul, nulle; paysan, paysanne (malgré le latin paganus); parisien, parisienne (malgré parisinus); bon, bonne (malgré bonus et bonifier); net, nette (malgré nitidus); sujet, sujette (malgré subjectus et sujétion).

Exception de l’exception. Océan fait océane; mahométan, mahométane; espagnol, espagnole; délicat, délicate; nacarat, nacarate; complet, complète; discret, discrète; bigot, bigote; dévot, dévote; brut, brute, etc. Quel inconvénient y auroit-il, ajoutent les dames, d’écrire, sans doubler la consonne, cruèle, mortèle, fidèle, fole, mole, nule, péisane, anciène, parisiène, bone, barone, boufone, nète, nèteté, nètemant, nétoiier, nètoîmant, cadète, sujète, etc.[183]?

[183] Il eût été plus simple de remplacer par l’è la double consonne dans les mots cruelle, mortelle, comme on le fait dans fidèle, mais c’est pour ne pas choquer trop subitement les habitudes que je n’ai pas cru devoir proposer ce changement.

Autre règle. «Les adjectifs en aux, en eux, et en oux, changent au féminin x en se ou en sse ou en ce: faux, fausse; généreux, généreuse; jaloux, jalouse; roux, rousse; doux, douce. Ne seroit-il pas plus naturel, plus conforme à la prononciation et à l’analogie, de terminer ces adjectifs par un s: FAUS, fausse, faussemant, faussêre, fausser, fausseté; GÉNÉREUS, généreuse, etc.; JALOUS, jalouse, jalousie, jalouser; ROUS, rousse, roussâtre, rousseur, roussir; DOUS, dousse, dousseur, doussemant, adoussi, etc.? Ces derniers mots ainsi écrits suivroient l’analogie des autres.

«Par la même raison, la CROIS donneroit croiser, croisète, croisillon, croisade; la POIS, poisser, empoisser; la PAIS, paisible, etc., ou la PÊS, pêsible, etc.»

L’auteur étudie ensuite les substantifs terminés au singulier en au, eau, eu, œu, ieu et ou, et conclut à ce qu’on introduise partout au pluriel l’s au lieu de l’x. Ex.: les maus, les feus, les caillous, les chevaus sont égaus, aus travaus.

Il aborde ensuite l’anomalie dont M. Léger Noel faisait de nos jours le sujet de ses recherches: les substantifs ou adjectifs masculins en al, el, il, ol, ul, comparés aux autres également masculins en ale, ele, ile, ole, ule, ou alle, ille, olle, ulle. «Comment se tirer, disent à ce propos les dames qu’il met en cause, d’un pareil labyrinthe? Comment pouvoir se rappeler qu’ici il ne faut point d’e muet, que là il en faut un, que dans tel mot il faut deux l et que dans d’autres il n’en faut qu’une? Se trouve-t-il bien des François qui puissent dire véritablement: je connois les noms masculins terminés en al, ale, alle; el, ele, elle; il, ile, ille; ol, ole, olle; ul, ule, ulle

Suit un ample travail sur l’accentuation orthographique dans lequel Wailly émet des idées et préconise des procédés semblables à ceux de Beauzée. (Voir plus loin, p. 296).

Le docte académicien se prononce (p. 113) pour la simplification orthographique des mots tirés du grec. Il propose: anbroisie, anfigouri, ancolie, anquiloglosse, anquilose, antelmintique, antologie, arcaïsme.

Il cite comme exemples de la difficulté de la prononciation à la lecture par suite de la bizarrerie orthographique les phrases suivantes:

«La citrouille étoit bien aoûtée; on l’a donnée aux aoûterons à la fin du mois d’août; ils l’ont mangée dans une encoignure avec des oisons, des poissons et des oignons qu’ils ont pris dans un coin de l’oignoniere.

«Un anachorete vint avec un catéchumène chercher M. l’archevêque ou son archidiacre au palais archiépiscopal.»

«La biche a faonné auprès de la Saône; nous avons pris son faon qui avoit été mordu d’un taon, pendant que nous jouïons au pharaon.»

«Tranquille avec sa béquille, il entra dans la ville avec sa fille, qui perça une anguille avec son aiguille.»

Heureusement pour les lecteurs, de Wailly a pris la peine de figurer à l’aide de son orthographe la prononciation de tous ces mots, sans quoi plus d’un détracteur de sa réforme eût pu, je le crains, hésiter pour quelques-uns d’entre eux en les lisant à haute voix.

Dans la seconde partie de ce traité si précieux et si rare, de Wailly a placé, à l’imitation de Godard, un discours des lettres sur les difficultés et les imperfections de l’orthographe actuelle. Chacune de nos lettres y prend tour à tour la parole pour exposer, avec autant de clarté que de raison, les vices d’emploi auxquels on l’a assujettie. Les phonographes postérieurs, Domergue, Marle, Féline, M. Raoux, s’ils eussent connu cette mine si riche de matériaux, n’auraient eu qu’à copier. Wailly me semble même plus complet qu’aucun d’eux.

texte original
Fragment de la page 281 originale

Je m’aperçois au discours de la lettre G que Wailly a remarqué avant moi l’utilité que l’on pourrait tirer de l’emploi du g surmonté d’un point; seulement, il veut le faire servir au remplacement du j et du g doux, tandis que je propose seulement de s’en servir au lieu du ge ou g doux. Il écrit donc ġaloux, ġardin, gouġon, gaġure, ġôlier, ġustice[184]. Il distingue deux formes de l’s, l’s longue pour celle qui a le son ordinaire et l’s courte dans les mots où elle peut avoir le son du z.

[184] La nouvelle forme du g, g, accueillie maintenant par la typographie moderne, rend l’application plus facile qu’elle ne l’était du temps de de Vailly. Cette forme se rapproche en effet beaucoup plus du j que celle du g.

[‡] Nous utilisons ici le ġ pour représenter le g pointé italique de l'original.

La troisième et dernière partie est la mise en application de la réforme ainsi préconisée au nom du sexe féminin. Je crois devoir en reproduire ici l’exposition fac-simile:

«Pratique de l’Ortografe fondée ſur la bone prononciation.

«Juſqu’ici, Méſieurs, nous nous ſomes fet èder pour nous conformer à l’Ortografe actúele; mês, come nous avons, à ce qu’il nous ſanble, démontré de la maniere la plus ſanſible, qu’èle êt plène de bisâreries é de contradiccions; qu’èle chanġe continuèlemant ſans principes é ſans uniformité; que les Diccionnêres é les Auteurs ne ſont d’acord preſque ſur aucun point; qu’èle êt dépourvue de regles fixes; que, de votre propre aveu, il nous êt moralement impoſſible de la ſuivre; nous alons désormês ortografier ſuivant la réforme que nous desirons. Nous ſuivrons ſurtout les lois de la bone prononciacion, comme le ſeul guide rêsonable an cete matiere, ou, ce qui reviént au même, come le seul qui ſoit véritablemant à la portée de tout le monde. Inſi nous ſuprimerons les lètres qui ne se prononcent ġamês. Par-tout où nous antandrons le ſon de l’a, nous anploîrons un a. Par-tout où l’oreille nous indiquera le son de l’e, nous ferons usage de l’e, au lieu des æ, œ, ai, eai, ei, oi, eoi qu’on anploie ſouvant pour l’e.

Nous subſtitûrons l’i francês à l’y grec; le f au ph; le ci au ſi qui sone come çi; le ġ ponctué au j; les ġa, ġo, ġu aus gea, geo, geu. Nous anploîrons le qu avant l’e et l’i seulemant; avant les autres lètres nous ferons usaġe du c. (Voyez au diſcours de la lètre Q une excepcion pour les terminêsons des verbes an quer.) La longue ſ aura toujours le ſon siflant, antre deux voiıelles: paraſol, préſéance, reſantir, préſantir, etc. On anploîra l’s courte dans les mots où èle a ou peut avoir le ſon du z. Le z ne ſ’anploîra qu’au comancemant des mots, à la fin d’aſſez, chez, nez, rez de chauſée, é des segondes perſones dans les verbes, vous portez, lisez, estimez. Nous ne ponctûrons point l’i qui, précédé d’une voiıele, marque un mouıllé fort avec la lètre l, le travaıl, le conseıl, le senouıl; ou un mouıllé fèble, párén, camàıeu, péiıons, voiıons. Nous substitûrons l’s à l’x qui a le son de l’s, aus animaus; le chois étet douteus. Vous aurez, Mésieurs, la bonté de vous rapeler que dans touts ces chanġemants nous ne fesons guère que suivre vos traces, ou les exanples que vous nous avez donés, é garder par-tout une marche uniforme.

«Remarque. Come, dans l’usage actúel, le c a toujours le ſon de ce ou de l’s ſiflante, avant l’e ou l’i, on poûra continuer d’écrire Cicéron, ceci, etc., sans cédiller le c. On n’anploîra le ç cédillé avant e ou i, que dans les livres deſtinés pour aprandre à lire. On n’anploîra de même, si l’on veut, le ġ ponctué que dans les mots où, avant a, o, u, il doit avoir le son de j: on écrira gaġer, gaġa, gaġant, gaġons, gaġure, etc. Dans l’usage actuel, l’s courte a toujours le son siflant au commancemant du mot; insi on poûra, come à l’ordinêre, fêre usage indifféramant de l’s courte ou de l’ſ longue au comancement des mots. On voit par là que nos changemants dans quelques lètres de l’Alfabet, se réduisent presque à rien.

«Nous ſavons bién qu’on ſe révolte au ſeul mot d’innovacion; mês notre proġet, nous pouvons le dire, êt le fruit d’un long travail é d’une expériance réfléchie. Nous vous l’adrèſons, Méſieurs; éıez la bonté de l’examiner é d’an peser ſans préġuġé les avantaġes é les inconvéniants. Ne nous ġuġez qu’aprês un mûr examèn.

«S’il êt des chanġemants qui ne ſoient pas actuèlemant admiſſibles, vous ne les ferez pas encor; mês vous poûrez an trouver d’autres qu’il ſera fort util d’adopter.

«Nous eſpérons, par exanple, que l’utilité é votre zêle à faciliter l’aquisicion des conêsances, vous porteront à fêre, come nous, usage du ġ ponctúé, de l’ı ſans point; à diſtinguer l’s forte de l’s adoucie. C’êt insi qu’on a mis en usaġe le ç cédillé, le j é le v, au lieu de l’i é de l’u; l’i francês, au lieu de l’y grèc, dans lui, moi, loi, Roi, é une infinité d’autres mots. C’êt inſi qu’on anploie les lètres maġuſcules au comancement des frases, des noms propres, etc. C’êt inſi qu’on a invanté les acçants, le tréma, l’apoſtrofe, le tret d’union, les guillemets, les diférantes marques de ponctúacion, etc.

«Nous atandons bién, Méſieurs, que votre vue ſera d’abord un peu choquée de notre ortografe: nous vous demandons pour èle la même paciance que vous avez en lisant des livres ortografiés ſuivant l’anciène ortografe. A peine an avez-vous lu vint pages, que vos ieux ſ’i abituent. La même chose vous arivera par raport à la nôtre; dégnez an fêre l’éſè. Vous voudrez bién vous souvenir que notre but êt de faciliter an même tans l’ortagrafe é la prononciacion.

«Notre réforme vous parêtra, Méſieurs, fort étandue; vous an adopterez ce que vous ġuġerez à propos. Nous aurions pu nous contanter des remarques que nous avions fètes dans les deus premieres parties; mês des perſones dont nous reſpectons baucoup les lumieres nous ont représanté que ce ſeroit lêſer notre ouvrage inparfet, que de n’i pas aġouter la pratique. Vous avez, nous ont dit ces perſones, exposé d’une maniere três-sansible les défauts inonbrables de l’ortografe actúele; vous avez fet voir le peu d’acord, les inutilités, les contradiccions même qui regnent dans les diférantes parties de cet édifice: il faut actuèlemant faire voir comant, avèc les mêmes matériaus, on pouret le reconſtruire à moins de frês, é d’une manière auſſi comode que ſolide.»

Grammaire générale et raisonnée, contenant les fondemens de l’art de parler, expliqués d’une maniere claire et naturelle; les raisons de ce qui est commun à toutes les langues, et des principales différences qui s’y rencontrent; et plusieurs remarques nouvelles sur la langue françoise. Nouvelle édition.Réflexions sur les fondemens de l’art de parler pour servir d’éclaircissemens et de supplément à la Grammaire générale, recueillies par M. l’abbé Fromant. Paris, Prault fils, 1756, 2 vol. pet. in-8 de 6 ff., 224 pp. et 2 ff., et de XLVIII et 291 pp. (Réimprimée plusieurs fois depuis.)

Ce traité, connu sous le nom de Grammaire de Port-Royal, et dont il est déjà parlé page 226, est enrichi dans cette édition des excellentes remarques de Duclos, secrétaire perpétuel de l’Académie française[185].

[185] Duclos avait déjà donné une édition de cette grammaire en 1754, in-12.

Ce livre si remarquable, et dont le temps n’a pas encore altéré la valeur, contient dans son texte quelques idées de réforme justes bien qu’un peu timides. Après avoir constaté l’utilité, dans certains cas, d’une orthographe fondée sur l’étymologie, MM. de Port-Royal ajoutent: «Voilà ce qu’on peut apporter pour excuser la diversité qui se trouve entre la prononciation et l’écriture; mais cela n’empêche pas qu’il n’y en ait plusieurs qui se sont faites sans raison et par la seule corruption qui s’est glissée dans les langues. Car c’est un abus d’avoir donné, par exemple, au c la prononciation de l’s avant l’e et l’i; d’avoir prononcé autrement le g devant ces deux mêmes voyelles que devant les autres; d’avoir adouci l’s entre deux voyelles; d’avoir donné aussi au t le son de l’s avant l’i suivi d’une autre voyelle, comme gratia, actio, action.....

«Tout ce que l’on pourroit faire de plus raisonnable seroit de retrancher les lettres qui ne servent de rien ni à la prononciation, ni au sens, ni à l’analogie des langues, comme on a déjà commencé de faire; et conservant celles qui sont utiles, y mettre des petites marques qui fissent voir qu’elles ne se prononcent point, ou qui fissent connoître les diverses prononciations d’une même lettre. Un point au-dedans ou au-dessous de la lettre pourroit servir pour le premier usage, comme temps. Le c a déjà sa cédille, dont on pourroit se servir devant l’e et devant l’i, aussi bien que devant les autres voyelles. Le g dont la queue ne seroit pas toute formée pourroit marquer le son qu’il a devant l’e et devant l’i. Ce qui ne soit dit que pour exemple.»

Duclos, aussi bon grammairien que Du Marsais, et philosophe comme lui, mais encore plus hardi, a inauguré sa réforme orthographique dans ses remarques jointes en petit caractère à cette édition de la grammaire. Voici le passage où il explique lui-même ses idées:

«Je croi devoir a cète ocasion rendre conte au lecteur de la diférence qu’il a pu remarquer entre l’ortografe du texte et cèle des remarques. J’ai suivi l’usage dans le texte, parce que je n’ai pas le droit d’y rien changer; mais dans les remarques j’ai un peu anticipé la réforme vers laquèle l’usage même tend de jour en jour. Je me suis borné au retranchement des lètres doubles qui ne se prononcent point. J’ai substitué des f et des t simples aus ph et aus th: l’usage le fera sans doute un jour par-tout, comme il a déjà fait dans fantaisie, fantôme, frénésie, trône, trésor et dans quantité d’autres mots.

«Si je fais quelques autres légers changemens, c’est toujours pour raprocher les lètres de leur destination et de leur valeur.

«Je n’ai pas cru devoir toucher aux fausses combinaisons de voyèles, tèles que les ai, ei, oi, etc., pour ne pas trop éfaroucher les ieus. Je n’ai donc pas écrit conêtre au lieu de conoître, francès au lieu de françois, jamès au lieu de jamais, frèn au lieu de frein, pène au lieu de peine, ce qui seroit pourtant plus naturel. Je n’ai rien changé a la manière d’écrire les nasales, quelque déraisonable que notre ortografe soit sur cet article. En éfet, les nasales n’ayant point de caractères simples qui en soient les signes, on a u recours a la combinaison d’une voyèle avec m ou n; mais on auroit au moins du employer pour chaque nasale la voyèle avec laquèle èle a le plus de raport; se servir, par exemple, de l’an pour l’a nasal, de l’en pour l’e nasal. Cète nasale se trouve trois fois dans entendement, sans qu’il y en ait une seule écrite avec l’a et quoiqu’il fut plus simple d’écrire antandemant. L’e nasal est presque toujours écrit par i, ai, ei: fin, pain, frein, etc., au lieu d’y employer un e. Je ne manquerois pas de bonnes raisons pour autoriser les changemens que j’ai faits et que je ferois encore, mais le préjugé n’admet pas la raison.»

Il ajoute ailleurs: «On peut entreprendre de corriger l’usage de l’orthographe, du moins par degrés et non pas en le heurtant de front, quoique la raison en eut le droit; mais la raison même s’en interdit l’exercice trop éclatant, parce qu’en matière d’usage, ce n’est que par des ménagemens qu’on parvient au succès.»

Douchet, avocat au Parlement et ancien professeur royal en langue latine. Principes généraux et raisonnés de l’orthographe françoise, avec des remarques sur la prononciation. Paris, P.-F. Didot, 1762, in-8 de XVI et 176 pp.

Douchet est un écrivain de mérite. Après la mort de Du Marsais, il fut chargé, de concert avec Beauzée, de la continuation des articles de la partie grammaticale de l’Encyclopédie.

Ses remarques, nouvelles à l’époque où il les écrivait, sont pour la plupart acquises aujourd’hui à la grammaire. Tel est son chapitre sur les caractères prosodiques. J’en extrairai cependant un passage dans lequel il propose une solution à l’imperfection qu’offre notre orthographe dans le redoublement des consonnes.

«L’e muet n’indique, dit-il, qu’une certaine quantité de nos voyelles longues (ex. j’emploierai); l’accent circonflexe ne fait connoître que celles qui étoient autrefois suivies d’un s, ou que l’on redoubloit pour en marquer la longueur (tempête, au lieu de tempeste, rôle au lieu de roole); il en reste encore un grand nombre, ou qui sont sans marque distinctive (vase, bise, rose, ruse), ou qui sont suivies d’une consonne redoublée, qui est la marque des voyelles brèves, autre vice encore plus considérable, comme dans les mots tasse, manne, flamme, fosse, professe, etc. C’est une autre espèce d’imperfection dans notre orthographe. Il seroit aisé de parer à ces inconvénients: ce seroit, ou de marquer ces voyelles longues par un trait horizontal, ou d’étendre encore ici l’usage de l’accent circonflexe. Par ce moyen, toutes les équivoques seroient levées, toutes les voyelles longues seroient fixées et déterminées, et la quantité, cette partie si importante de la prosodie, seroit indiquée d’une manière simple, précise, et régulière: on pourroit même alors la trouver et l’apprendre par l’écriture.

«Un autre avantage qui en résulteroit encore, c’est que la réduplication des consonnes, ce système si vague, si forcé, si rempli d’exceptions, que l’on prétend que nos pères ont imaginé pour indiquer les voyelles brèves[186], deviendroit absolument inutile, parce que toutes les voyelles longues étant décidées, on n’auroit plus besoin d’un autre signe pour désigner les brèves: elles seroient suffisamment distinguées par la raison qu’elles n’auroient point la marque des longues. A l’égard des communes, c’est-à dire des voyelles qui sont longues ou brèves à volonté, ou elles n’auroient point de signe distinctif, ou on leur appliqueroit la marque usitée en grec et en latin. On pourroit ainsi supprimer la consonne que l’on n’a introduite que pour avertir que la voyelle précédente est brève. On ne la laisseroit subsister que dans les mots où elle est nécessaire, quand il faut la redoubler dans la prononciation, comme dans inné, erreur, illustre, immense, etc.»

[186] Voir plus haut l’analyse de la Grammaire de Regnier Des Marais, p. 251, et celle de l’Orthographe des dames, de de Wailly, p. 276.

Douchet propose, après Port-Royal et d’autres grammairiens, l’emploi du t cédille dans les substantifs portions, rations, etc., comme signe de distinction d’avec les verbes portions, rations.

Dans le chapitre III, des Caractères étymologiques, l’auteur s’occupe des variations du ph, du ch et de l’esprit rude (h) en français. «Ces variations sont une nouvelle source de difficultés pour notre orthographe. De ces doubles caractères, le ch est celui qui cause le plus d’embarras dans notre langue: non-seulement il varie dans l’écriture, il varie encore dans la prononciation. On le prononce à la françoise dans chérubin, chirurgien, Archimède, et il a la valeur du k dans orchestre, chiromancie, Archélaüs. De là ces incertitudes sur la prononciation de certains mots, tels que Chersonese, Acheron, où les uns prononcent le ch comme dans chérubin et les autres comme dans orchestre. On pourroit encore aisément obvier à ces difficultés. On laisseroit subsister le c dans tous les mots où l’usage l’a introduit à la place du ch, comme dans carte, corde, colere, etc., on supprimeroit le ch dans les autres mots où il s’articule comme le k, et on le remplacerait par cette figure. Ainsi l’on écriroit orkestre, Arkélaüs, kiromancie, kirographaire

(L’abbé Cherrier). Equivoques et bizareries de l’orthographe françoise, avec les moiiens d’y remédier. Paris, Gueffier fils, 1766, in-12 de 3 ff., XVIII et 155 pp.

L’auteur, après avoir exposé les raisons qui militent en faveur d’une réforme et les causes qui ont fait échouer les tentatives antérieures à la sienne, établit ainsi les changements qu’il croit devoir opérer:

«Plusieurs ont estimé qu’il falloit entendre ces marques proposées dans la Grammaire de P. R. de celles qui sont déjà usitées sur certaines lettres, ensorte qu’il ne s’agiroit que de les adapter à d’autres: et c’est le sentiment que j’ai cru devoir suivre. C’est-pourquoi je propose, par exemple, d’après un habile académicien (le P. Girard), de mettre une cédille, ou petite c renversé, sous le t ramoli, come on en a mis une avec succès sous le c pour le radoucir. J’ai emprunté des bons grammairiens toutes les idées qu’ils ont fournies dans ce gout. Je les ai etendues ou j’y ai ajouté les miènes, et quoique ces petites marques soient purement arbitraires dans leur origine, j’ai observé qu’une fois etablies, elles doivent ordinairement, et autant qu’il est possible, avoir un même effet partout où on les applique. Par exemple, l’accent grave sert à distinguer les è ouverts: aussi l’ai-je mis sur la voiièle composée ou fausse diphthongue ai quand elle se prononce en ouvrant fort la bouche. Au contraire, l’accent aigu sert à faire conoître les é fermés; aussi l’ai-je emploiié sur cette voiièle-composée ai, lorsqu’elle se prononce en fermant un peu la bouche. Le point accompagne toujours l’i et je l’ai placé sur les i et sous les l qui sonent presque come des i. J’ai eté plus embarassé pour l’x, parce qu’il n’est pas facile de rendre ses marques surajoutées analogues à toutes les différentes articulations de cette consone: c’est-pourquoi j’ai pris le parti de la borner à son ancien usage, savoir de ne l’emploiier que quand elle s’articule come cs ou gz, en y mettant néanmoins encore quelque différence.»

L’auteur met un point au-dessous de l’h aspiré: un ḥéros, un point au ch qu’il appelle gras: un arcḥiduc. L’s radoucie est marquée par une cédille: batişer. L’l mouillée par un point: fiḷḷe. Il supprime la consonne finale muette à baril, chenil, coutil, fusil, outil, persil, saoul, sourcil.

Ortografe des dames pour aprandre a ècrire et a lire corectemant en tres peu de tems. A Nancy, chez Hæner, 1766, in-12 de 72 pp.

L’auteur anonyme de cet opuscule, qu’il ne faut pas confondre avec l’intéressant travail de Wailly, publié en 1782 sous le même titre (voir plus haut, p. 276), ne me paraît pas avoir apporté de solutions nouvelles au difficile problème de l’écriture phonétique. Son orthographe se rapproche sur beaucoup de points de celle qu’a préconisée soixante ans plus tard M. Marle.

Manière d’étudier les langues. Paris, Saillant, 1768, in-12.

L’auteur de cet ouvrage est un esprit sage, et les méthodes qu’il indique se rapprochent de celles de Locke.

Quant à l’orthographe, il s’exprime ainsi:

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