Tableau historique et pittoresque de Paris depuis les Gaulois jusqu'à nos jours (Volume 4/8)
QUARTIER SAINT-PAUL
OU DE LA MORTELLERIE.
Ce quartier est borné à l'orient par les fossés de l'Arsenal inclusivement[270], depuis la rivière jusqu'à la porte Saint-Antoine; au septentrion, par la rue Saint-Antoine exclusivement; à l'occident, par la rue Geoffroy-l'Asnier inclusivement; et au midi, par les quais inclusivement, depuis le coin de la rue Geoffroy-l'Asnier jusqu'à l'extrémité de l'emplacement de l'ancien Mail.
On y comptoit, en 1789, vingt-quatre rues, sept culs-de-sac, une église paroissiale, une communauté d'hommes, une de filles, un arsenal, trois quais, etc.
PARIS SOUS CHARLES VIII ET LOUIS XII.
Sous les règnes de Charles VIII et de Louis XII, on ne voit pas qu'il se soit opéré de changements importants, ni passé aucun événement remarquable dans ce quartier, à moins qu'on ne veuille regarder comme tels l'union définitive des religieuses de Sainte-Claire à celles du Tiers-Ordre, qui occupoient le couvent des Béguines, connu dès cette époque sous le nom de l'Ave-Maria. Cette union, déjà projetée sous le règne de Louis XI, long-temps suspendue par des obstacles que nous ferons connoître, fut enfin consommée dans les premières années du règne de son successeur, par la dame de Beaujeu, fille aînée du feu roi, et protectrice de cette institution.
La ville entière de Paris est également stérile, sous ces deux règnes, en grands événements. Grâce à ce Louis XI, dont la mémoire étoit dès lors abhorrée, l'administration hautement décriée, dont on recherchoit les agents et les favoris comme des criminels dignes du dernier supplice[271], les rois de France ne se voyoient plus dans la triste nécessité de consumer leurs forces au milieu des discordes intestines, et de déchirer l'État pour parvenir à le sauver. L'ascendant de leur autorité étoit enfin assuré dans un grand royaume dont toutes les parties liées entre elles formoient un tout très-compact, dont la position au centre des États chrétiens étoit admirable, la population nombreuse, active et guerrière; qui trouvoit dans la fertilité de son sol des richesses inépuisables; et dès ce moment leur place fut marquée à la tête de la grande société européenne. Dans une situation si brillante et pendant long-temps si inespérée, qui les faisoit si grands parmi les princes temporels, on aperçoit maintenant mieux peut-être qu'on n'eût pu le faire avant la leçon terrible qui vient d'être donnée au monde, ce qu'une sage et religieuse politique auroit dû leur inspirer de faire: il est évident que, pour soutenir l'édifice social déjà menacé par les doctrines licencieuses qui venoient de s'y introduire, leur premier soin devoit être de resserrer les nœuds qui les unissoient à la puissance spirituelle; et renonçant à tous projets ambitieux, puisqu'ils étoient arrivés au point où toute noble ambition pouvoit être satisfaite, se déclarant hautement les protecteurs de l'Italie dont les papes défendoient depuis si long-temps les libertés contre la tyrannie des empereurs d'Allemagne, qui prétendoient à toute force être empereurs romains, de n'employer leur pouvoir et leur influence qu'à ramener autant que possible à l'unité politique cette belle contrée, centre de l'unité religieuse. Ainsi se fût en même temps rétablie d'elle-même l'influence du chef suprême de la religion; et cette influence toujours paternelle eût été plus douce au milieu de générations que cette religion sainte avoit par degrés rendues moins barbares, et de princes dont les mœurs étoient devenues moins violentes, parce qu'ils trouvoient aussi par degrés moins d'obstacles à leurs volontés. Ainsi, ce nous semble, fût parvenue la société chrétienne à sa plus haute perfection. Mais la providence a des desseins qui nous sont inconnus, et elle arrive au but qu'elle veut atteindre par des voies qui nous sont impénétrables. Ce fut le contraire qui arriva: les rois de France allèrent porter le trouble dans le sein de cette Italie dont ils auroient dû assurer la paix; un pontife indigne de la tiare, Alexandre VI, contribua lui-même et pour de vils et coupables intérêts, à y attirer un jeune roi sans expérience; et les successeurs de Charles VIII entrèrent après lui dans la route qu'il leur avoit ouverte. La politique de l'Europe entière devint dès lors toute extérieure. Elle fut plus subtile, plus mensongère, plus appliquée à tout ce qui étoit d'un intérêt purement humain, plus indifférente à ce qui touchoit les croyances religieuses et l'intérêt de la religion; souvent même elle regarda avec un dédain stupide et laissa se développer à peu près sans contrainte cette licence des esprits qui devoit bientôt éclater par la plus détestable des hérésies, hérésie qui en même temps sera la dernière, puisqu'elle renferme toutes les autres dans son sein; et cette politique descendit elle-même à un tel degré de corruption, qu'au lieu de réunir toutes ses forces pour l'éteindre, il lui arriva souvent de chercher à en faire son profit.
Nous ne sommes pas maintenant très-éloignés de cette époque à jamais mémorable, la plus fatale sans doute du monde civilisé, et qui sera pour Paris et pour le royaume entier une source féconde de malheurs nouveaux et de désordres qu'on n'y avoit point encore connus. Jusque là la capitale de la France fut tranquille. Le pouvoir royal y étoit désormais établi d'une manière inébranlable; et il n'existoit plus ni princes ni vassaux assez puissants pour oser y lutter à force ouverte contre le souverain, et appeler hautement et impunément les habitants de cette grande ville à la révolte. Mais ces grands vassaux abattus et humiliés conservoient profondément gravé dans leur mémoire le souvenir de ce qu'ils avoient été; et long-temps contenus par le prince habile dont la main ferme venoit de quitter les rênes de l'État, à peine eut-il fermé les yeux qu'ils espérèrent ressaisir sous un roi enfant le pouvoir et l'influence qu'ils avoient perdus. Nous allons voir que les efforts qu'ils firent pour réussir dans un tel dessein ne servirent qu'à faire éclater davantage leur foiblesse; mais nous verrons aussi le parlement prendre, au milieu de ces intrigues, et de jour en jour, plus de consistance, y développer peu à peu ses prétentions à devenir un pouvoir politique dans l'État, saisir habilement toutes les circonstances qui lui semblèrent favorables pour se créer des droits nouveaux et une existence plus indépendante, se préparant de la sorte et insensiblement à paroître à la tête des factions qui de nouveau vont désoler la France.
On eut, dès le commencement du règne de Charles VIII, une preuve éclatante de ce bon esprit qui animoit alors les Parisiens. Le gouvernement de la personne du roi encore en bas âge (1483.), et par conséquent l'administration de l'État, étoient entre les mains de la dame de Beaujeu, ainsi que l'avoit ordonné une des clauses du testament de Louis XI. Il arriva alors ce qui ne manque presque jamais d'arriver dans les minorités: ce pouvoir passager devint l'objet de l'envie de tous ceux qui crurent y avoir quelque droit. La reine-mère éleva d'abord des réclamations, qui cessèrent bientôt par sa mort arrivée trois mois après celle de son époux; et à l'instant même parurent sur les rangs le duc de Bourbon et le duc d'Orléans, que leur qualité de princes du sang sembloit autoriser à disputer ces honorables fonctions. Ils remplirent le conseil de leurs créatures, s'attachèrent surtout à décrier le nouveau gouvernement, et, confondant ensemble leurs intérêts, appelant impolitiquement à la nation de l'injustice qu'ils prétendoient leur être faite par les dernières dispositions du feu roi, ils se réunirent pour demander la convocation des états-généraux, comme le seul moyen de remédier aux abus et d'établir une forme de gouvernement à la fois solide et salutaire. Par une telle demande, il étoit visible pour tous les bons esprits que ces princes imprudents exposoient le salut de la monarchie, et que le plus grand danger qu'elle pût courir alors étoit de voir ses destinées remises aux délibérations d'une assemblée de ce genre, au commencement d'un règne dont la foiblesse frappoit déjà tous les yeux, et lorsque cette irritation qu'avoit produite la vigueur du règne précédent n'étoit point encore apaisée; mais, dès qu'ils eurent fait cette demande solennelle, elle excita un tel mouvement de joie au milieu de cette nation si ardente et toujours impatiente du joug; toutes les classes de la société en conçurent de telles espérances, qu'il eût été plus dangereux encore de la refuser. Telle fut l'origine de ces fameux états de Tours, où l'on put reconnoître quels progrès effrayants avoient déjà faits les nouveaux principes d'indépendance politique et religieuse dans tous les ordres de l'État, et même parmi ceux dont ils attaquoient le plus visiblement les intérêts[272]. Toutefois les suites n'en furent pas aussi fâcheuses pour la régente qu'elle avoit pu le craindre d'abord: les dispositions du testament de Louis XI y furent confirmées, et madame de Beaujeu conserva la conduite du jeune roi et l'administration du royaume.
Frustrés de leurs prétentions, les princes dissimulèrent pendant quelque temps leur dépit, mais n'en travaillèrent pas avec moins d'ardeur à supplanter celle qu'ils regardoient comme l'usurpatrice de leurs droits. La régente avoit cru les apaiser par des bienfaits: depuis la décision solennelle donnée par l'assemblée de Tours, elle les avoit comblés de faveurs; et le duc d'Orléans, qu'il lui importoit surtout de ménager, déjà nommé par elle gouverneur de Paris, étoit encore président d'un conseil auquel assistoient également tous les princes du sang, et que les états avoient institué pour aider madame de Beaujeu dans son administration. Ces fonctions importantes l'approchoient de la cour et lui donnoient une grande influence dans les affaires: il se servit de l'avantage de sa position pour s'insinuer dans la confiance du jeune roi, dont il partageoit les plaisirs, et à qui il parvint à inspirer tant de dégoût pour l'espèce d'esclavage dans lequel il étoit retenu, qu'il le détermina à se laisser enlever. Ce projet ayant été découvert, et la régente ayant habilement soustrait son pupille aux entreprises et aux séductions d'un si dangereux ennemi, le duc, que des liaisons dont nous ne tarderons pas à parler rendoient de jour en jour plus audacieux, voulut essayer si, à la faveur de son titre de gouverneur de Paris, il ne pourroit pas parvenir à se faire un parti dans cette capitale.
(1485.) Il employa pour parvenir à ce but tous ces moyens de popularité dont le charme est si puissant sur l'esprit du vulgaire. Il affectoit de se montrer souvent en public; dans sa maison où il attiroit beaucoup de monde, aux assemblées de l'hôtel-de-ville où il assistoit fréquemment, il ne cessoit de déclamer hautement contre la dureté du gouvernement, et témoignoit une grande compassion pour la misère du pauvre peuple, ainsi qu'un vif désir d'y apporter du soulagement. Lorsqu'il jugea que toutes ces manœuvres lui avoient suffisamment acquis la faveur de la multitude, il alla se présenter au parlement; accompagné du comte de Dunois[273], l'âme de tous ses conseils, et de son chancelier Denis Mercier. Celui-ci, prenant la parole au nom de son maître, commença à faire l'éloge de ce prince, «qui, dans les circonstances critiques où la trop grande jeunesse du roi venoit de placer la France, uniquement occupé du salut de l'État et du soulagement des peuples, avoit demandé, conjointement avec les ducs de Bretagne et de Bourbon, une convocation des états-généraux, dans laquelle il avoit été établi une forme de gouvernement salutaire, et arrêté une foule de réglements utiles, tant pour l'administration de la justice que pour la répartition des impôts, opérations dont les avantages eussent été considérables pour le peuple et pour le souverain, s'ils eussent été fidèlement suivis.» Il ajouta «que la dame de Beaujeu, les foulant aux pieds, détruisant toutes ces espérances qu'on avoit conçues d'un gouvernement équitable et modéré, tyrannisoit à la fois et le roi qu'elle tenoit dans une sorte de captivité, et le peuple dont elle prodiguoit la substance pour s'attacher des créatures et cimenter son autorité despotique; qu'il étoit à craindre que de telles violences ne jetassent la nation entière dans une sorte de désespoir; que, comme premier prince du sang, il étoit du devoir du duc d'Orléans de veiller à la fois sur le monarque et sur l'État; qu'il demandoit que Charles VIII, déjà assez avancé en âge pour pouvoir se conduire par lui-même, fût enfin tiré de cette indigne tutelle, et libre de choisir sa résidence et ses conseillers; que, bien résolu d'employer ses biens, de sacrifier même sa vie pour la délivrance de son souverain, il avoit cru devoir venir consulter à ce sujet le parlement, qui étoit la justice suprême du royaume; déclarant en outre, pour preuve de son entier désintéressement, qu'au cas que la dame de Beaujeu consentît à s'éloigner de dix lieues de la cour, il prenoit l'engagement de s'exiler lui-même à quarante, et de renoncer à toute communication avec le roi.» Ainsi, par un aveuglement qu'on a peine à concevoir, un prince qui étoit alors l'héritier présomptif de la couronne donnoit de son plein gré, à la cour de justice du roi, un titre et des attributions que d'elle-même elle n'eût jamais eu la hardiesse de prendre, et l'excitoit autant qu'il étoit en lui à sortir des bornes légitimes où la nature de ses fonctions devoit la tenir à jamais renfermée.
Toutefois le temps n'étoit pas encore venu où il fût possible au parlement d'accepter les hautes fonctions politiques que le duc d'Orléans prétendoit si gratuitement lui donner; il est même probable que les magistrats qui le composoient alors furent plus étonnés que satisfaits de cette démarche du premier prince du sang; et, dans une circonstance aussi délicate, La Vacquerie, qui en étoit encore premier président, sut parfaitement marquer la ligne de devoirs que devoit suivre sa compagnie, quel en étoit le véritable caractère, et pour quel but elle avoit été instituée. Il répondit donc, avec une rare présence d'esprit, que «le bien du royaume consistoit principalement dans la tranquillité publique; que cette tranquillité ne pouvoit s'établir que par l'union des principaux membres de l'État, et qu'il appartenoit surtout au premier prince du sang de chercher à la maintenir, en écartant avec soin toutes les semences de divisions qui pouvoient la troubler, semences que faisoient naître souvent les prétextes les plus frivoles, les rapports les plus mensongers.» «Quant à la cour du parlement, elle a été instituée, ajouta-t-il, par le roi pour administrer la justice; et n'ont point ceux de la cour l'administration de guerre, de finances, ni du fait et gouvernement du roi ni des grands princes; et sont messieurs de la cour de parlement gens clercs et lettrés pour vaquer et entendre au fait de la justice; et quand il plairoit au roi leur commander plus avant, la cour obéiroit: car elle a seulement l'œil et regard au roi, qui en est le chef et sous lequel elle est; et par ainsi venir faire ses remontrances à la cour, et faire autres exploits sans le bon plaisir et exprès commandement du roi, ne se doit pas faire.»
Cette réponse déconcerta le duc et ses partisans. Mercier, reprenant la parole, se borna alors à demander que le parlement employât sa médiation dans une affaire qui intéressoit de si près le bonheur du souverain et de la nation; que du moins il s'informât du roi lui-même s'il étoit content de sa situation, et s'il ne désiroit point en changer. Cette fois, le premier président ne lui répliqua que pour lui demander une copie de son discours, ajoutant que la cour en délibéreroit; et le résultat de ses délibérations fut d'envoyer au roi et à la régente une députation qui leur donna connoissance des démarches et des demandes du duc d'Orléans.
Repoussé par le parlement, ce prince crut qu'il lui seroit possible de tirer un meilleur parti de l'université. Ce corps, plus florissant alors que jamais, comptoit dans son sein plus de vingt-cinq mille étudiants, la plupart en état de porter les armes, et formoit au sein de la capitale une sorte de république indépendante, qui souvent en avoit troublé la tranquillité, et pouvoit devenir encore, entre les mains d'un chef de faction, un instrument aussi puissant que terrible. On vit donc paroître le duc d'Orléans au milieu d'une assemblée générale que l'université tenoit aux Bernardins; et là, changeant de langage suivant l'intérêt de ses nouveaux auditeurs, il se mit à déplorer, dans un long discours, l'inutilité des soins qu'il avoit pris pour le rétablissement de la pragmatique et la confirmation des priviléges des étudiants, faisant entendre qu'on ne pourroit rien faire ni rien espérer tant que le gouvernement seroit entre les mains de ceux qui obsédoient le jeune roi. Mais l'université, qui ne voyoit point ses intérêts compromis dans cette affaire, ni que sa cause fût liée en aucune manière à celle du prince, demeura inébranlable comme le parlement; et suivant exactement la marche que cette compagnie sembloit lui avoir tracée, elle se borna, par une sorte de déférence pour la qualité d'un si illustre solliciteur, à envoyer des députés au roi, les chargeant de lui rapporter simplement les paroles du duc d'Orléans, sans témoigner y prendre le moindre intérêt.
Quoique toutes les démarches de ce prince eussent été sans succès, madame de Beaujeu n'en avoit pas moins conçu les plus vives alarmes, bien persuadée qu'un caractère aussi entreprenant ne s'arrêteroit point à ces premiers obstacles, ne doutant pas même que, pour arriver à son but, il ne se portât aux dernières extrémités. Dans un danger aussi pressant, elle forma la résolution de tenter, par un coup hardi et décisif, de couper le mal dans sa racine, et de détruire ainsi dans un moment le parti qui se formoit contre elle. Des soldats déguisés, et qui lui étoient entièrement dévoués, furent envoyés avec ordre d'enlever le duc d'Orléans, qui, dans le lieu où il étoit et dans les circonstances où il se trouvoit, croyoit certainement n'avoir rien à redouter. Ils s'étoient approchés secrètement de Paris, et avoient déjà trouvé le moyen de s'introduire dans ses faubourgs, lorsqu'ils furent découverts par deux officiers de ce prince. Il étoit alors aux halles, jouant tranquillement à la paume, quand on vint l'avertir du péril qui le menaçoit. Ce péril étoit si pressant qu'il eut à peine le temps de monter sur une mule que ces deux fidèles serviteurs lui avoient amenée, et de sortir promptement de la ville[274]. Tandis qu'il s'en éloignoit, madame de Beaujeu, qui, malgré la rigueur de l'hiver, avoit trouvé le moyen de rassembler quelques troupes, et qui suivoit de près ses émissaires, y fit son entrée avec le roi qu'elle avoit amené, très-fâchée de n'avoir pas réussi dans une entreprise qui finissoit sans trouble et sans effort des débats d'où naquirent depuis bien des alarmes et bien des maux.
En effet, le duc d'Orléans avoit contracté des liaisons intimes avec le duc de Bretagne, François II, le seul des grands vassaux qui n'eût pas encore perdu sa souveraineté. Ce prince, le dernier mâle de sa race, et parvenu à un âge avancé, voyoit avec une extrême douleur l'héritage de ses deux filles déjà disputé par plusieurs rivaux, qui, même avant sa mort, faisoient valoir de prétendus droits à sa succession; et, dans les alarmes qui l'agitoient, il cherchoit à ces jeunes princesses des époux assez puissants pour leur servir un jour d'appui, et renouveler ainsi la race des ducs de Bretagne. Le duc d'Orléans, quoique marié à l'une des filles de Louis XI, s'étoit mis sur les rangs, attiré par Landais, favori du vieux duc, scélérat obscur[275], qui, par toutes les bassesses imaginables, et toutes les ressources d'un esprit supérieur, s'étoit élevé à la place de premier ministre, et gouvernoit à la fois son maître et l'État. Ses vues, en favorisant les prétentions du jeune prince françois, étoient de s'en faire un protecteur contre les seigneurs bretons qu'il avoit opprimés, et dont il avoit tout à redouter après la mort du duc. Les qualités personnelles de Louis avoient merveilleusement secondé son projet; et dans un voyage que ce prince fit en Bretagne, avant les intrigues dont nous venons de parler, il avoit fait sur le cœur de la princesse Anne, fille aînée du duc, une impression si vive qu'elle augmenta les alarmes des mécontents, qui voyoient dans ce mariage le triomphe de l'insolent favori et la continuation de la tyrannie avilissante sous laquelle ils gémissoient. Ils éclatèrent d'abord en murmures, qui finirent enfin par une révolte déclarée, et si violente, qu'ils s'adressèrent au roi de France, dont ils reconnurent les droits au duché de Bretagne[276], s'engageant à se soumettre à lui, après la mort de François II, comme à leur légitime souverain. Tant que le duc d'Orléans resta à la cour de leur prince, les rebelles ne purent que se maintenir; mais à peine fut-il revenu en France pour disputer le pouvoir à la régente, qu'ils se trouvèrent les plus forts, s'emparèrent de Landais et le firent punir du dernier supplice. Privé de cet appui, Louis n'en avoit pas moins conservé ses relations avec le vieux duc, dont les démarches de sa noblesse auprès de Charles VIII avoient encore redoublé les inquiétudes. Ces relations du jeune prince continuèrent plus vivement que jamais après sa sortie de Paris, quoiqu'il eût été forcé de se soumettre presque aussitôt, et qu'une nouvelle confédération qu'il forma encore peu de temps après avec les autres princes du sang, confédération connue dans l'histoire sous le nom de la guerre folle, n'eût également abouti qu'à une paix humiliante, qui ne fit qu'aigrir ses ressentiments et ceux des grands conjurés avec lui.
Le duc de Bretagne, qui l'avoit mal secondé dans cette dernière levée de boucliers, suivit son exemple, et fit aussi sa paix; mais dans le temps même qu'on la signoit avec lui, madame de Beaujeu, par une démarche qu'on peut regarder comme impolitique, prenoit secrètement des mesures qui tendoient à consolider les droits éventuels du roi au duché de Bretagne. Les haines et les ressentiments se rallumèrent aussitôt; et telle fut l'origine de cette guerre acharnée qui, pendant trois années, désola cette partie de la France et rappela en quelque sorte les maux qu'avoient causés les discordes féodales, dont elle étoit en effet la dernière scène et le dernier effort. La marche qu'on y suivit fut exactement la même. François II, plus effrayé que jamais, indigné surtout que, de son vivant même, on voulût enlever à ses filles leur légitime héritage, se ligua de nouveau avec tous les mécontents de France, et notamment avec le duc d'Orléans. (1486.) Maximilien, toujours attentif à profiter des troubles du royaume, s'empressa d'entrer dans cette ligue, et déclara brusquement la guerre à la France. La Bretagne devint alors l'objet de l'attention générale, et le centre de tous les mouvements de l'Europe, intéressée surtout à ce qu'elle ne passât pas sous la domination de la France. Cependant il étoit aisé de prévoir dès lors cet inévitable événement; et pour le prédire il suffisoit de considérer un seul instant la position de cette puissance et celle de ses ennemis. Henri VII, placé par une révolution subite sur le trône d'Angleterre, mal affermi encore sur ce trône si souvent ensanglanté, ne pouvoit rien hasarder sans compromettre sa propre sûreté; l'archiduc, toujours armé contre ses Flamands indociles, n'ayant d'ailleurs aucun point de contact avec la province contestée, étoit encore moins à redouter; l'Espagne ne pouvoit rien sans le concours de ces deux puissances; tandis que la France, unie désormais dans toutes ses parties, se fortifiant de jour en jour davantage par l'ascendant toujours croissant de la prérogative royale, touchoit aux frontières de cette petite souveraineté, encore affoiblie par mille prétentions rivales, par mille passions opposées. Aussi, quels que fussent les efforts des princes, les espérances de François II dans les promesses de l'archiduc, ses continuelles sollicitations auprès du roi d'Angleterre, dès que l'armée royale parut en Bretagne, tout plia devant elle. (1488.) La bataille de Saint-Aubin, gagnée par La Trémouille, et dans laquelle le duc d'Orléans fut fait prisonnier, détruisit d'abord le parti des princes; et lorsque la mort du duc de Bretagne eut enfin amené le moment de consommer cette réunion politique, depuis si long-temps méditée, quoique l'Angleterre employât alors une armée et éclatât en menaces; malgré la résistance de la princesse Anne, qui, dans la plus tendre jeunesse, développa un courage et un caractère au-dessus de son sexe; bien que, dans la répugnance invincible qu'elle éprouvoit pour le roi de France, elle eût contracté par procureur un mariage secret avec l'archiduc, Charles, qui ne vouloit pas que la Bretagne lui échappât, força les Anglois à se rembarquer, et la princesse à rompre son mariage; Maximilien, à qui l'on enlevoit son épouse, se vit encore dans la nécessité humiliante de reprendre sa fille Marguerite, fiancée dès la plus tendre enfance au jeune monarque, élevée à la cour de France, dans l'espérance d'y régner un jour, et qui lui fut honteusement renvoyée (1491.); et Anne de Bretagne devint, malgré elle, reine de ce beau royaume, par un traité dans lequel les droits des deux parties, confondus ensemble, furent mutuellement cédés au dernier survivant.
Leur entrée à Paris fut une des plus pompeuses que l'on eût vues depuis long-temps. «La jeune reine, dit un historien, fixoit tous les regards; la multitude admiroit l'éclat de sa parure, l'élégance de sa taille[277], la régularité de ses traits, l'éclat de ses yeux; les sages cherchoient à démêler dans cet ensemble quelques indices de ces brillantes qualités qui l'avoient élevée, dans un âge si tendre, au rang des plus grands hommes.»
Pendant tous les troubles qui avoient précédé une union si heureuse pour la France, Paris n'avoit cessé de jouir de la plus profonde tranquillité sous le gouvernement du comte de Montpensier, dauphin d'Auvergne, que le roi en avoit fait gouverneur à la place du duc d'Orléans; et même, au moment où la guerre avoit éclaté, ses habitants avoient eu l'occasion de donner un nouveau témoignage de leur fidélité, en rejetant avec mépris un manifeste que l'archiduc avoit osé leur adresser. Dans cette pièce, où il affectoit de partager l'opinion des princes et de décrier le gouvernement de la régente, Maximilien, comme beau-père futur du roi, et par conséquent comme intéressé à la prospérité du royaume, invitoit le parlement à s'unir avec lui pour demander une nouvelle convocation des états-généraux, où l'empereur consentiroit à intervenir en qualité de co-médiateur. Dans la réponse dédaigneuse que lui fit cette cour souveraine, elle l'invita de son côté à quitter un ton d'autorité qui ne lui convenoit nullement, et à ne point se mêler d'affaires qui ne pouvoient en aucune manière le regarder.
Toutefois cette soumission à l'autorité légitime n'étoit pas telle que cette ville n'entreprît avec succès de défendre ce qu'elle appeloit ses franchises, et ne trouvât dans les concessions que nos rois n'avoient cessé de lui faire des moyens suffisants pour éluder les demandes d'un monarque plus puissant cependant que tous ses prédécesseurs, lorsqu'elles lui sembloient attaquer ses priviléges et blesser ses intérêts. (1494.) Ce fut peu de temps après son mariage, et lorsqu'il jouissoit, au sein de ses États, dans la plénitude du pouvoir monarchique, d'une prospérité et d'une paix que rien ne sembloit pouvoir désormais troubler, que Charles, emporté par un vain désir de gloire, poussé par des conseils imprudents, attiré même par une confédération de quelques princes d'Italie qui espéroient en faire un instrument utile à leurs petites ambitions particulières, avoit résolu de faire revivre les droits que son père lui avoit laissés sur Naples; et cette conquête qu'il méditoit n'étoit, dans les rêves de son imagination, que le prélude d'une plus vaste entreprise qui devoit le conduire jusqu'aux portes de Constantinople. On sait quelle fut l'issue de cette expédition téméraire: le jeune monarque parcourut l'Italie en vainqueur, ou plutôt comme un grand souverain qui visite une de ses provinces. Le roi de Naples Ferdinand, frappé de terreur, mourut subitement; Alphonse, son fils, fut forcé de prendre la fuite, et le conquérant, porté en quelque sorte jusqu'à cette capitale, y fit son entrée, revêtu des ornements impériaux. Cependant ceux mêmes qui l'avoient appelé en Italie, le duc de Milan, le pape, les Vénitiens[278], épouvantés des progrès d'une puissance plus redoutable pour eux que l'ennemi contre lequel ils avoient imploré son secours, formèrent, pour l'en chasser, une ligue nouvelle avec toutes les puissances jalouses ou rivales de la France: Maximilien, alors empereur; l'archiduc Philippe son fils; Ferdinand, roi d'Aragon; Henri VII, roi d'Angleterre. Charles, qui étoit entré si facilement dans cette belle contrée, courut les plus grands dangers pour en sortir: une armée formidable, rassemblée par les alliés, l'attendoit dans la plaine de Fornoue, et la victoire la plus éclatante put seule lui ouvrir la route de ses états[279]. (1495.) Les troupes qu'il avoit laissées dans le royaume de Naples en furent chassées peu de temps après; et Alphonse, rappelé par ses sujets, secondé par Gonzalve de Cordoue, général de Ferdinand d'Aragon et surnommé le grand capitaine, remonta sur son trône presque aussitôt après en avoir été renversé.
(1496.) Ce fut dans les circonstances qui suivirent ces malheureux événements que la ville de Paris fit un acte de liberté qui lui attira la disgrâce du roi. Le projet de venger l'honneur des armes françoises et de rentrer en Italie étoit déjà formé; et, pour lui assurer un succès meilleur que celui de la première entreprise, on levoit déjà de tous côtés des impositions extraordinaires. Les Parisiens avoient été taxés à cent mille écus: cette imposition les fit d'abord murmurer. Toutefois, sans refuser absolument de la payer, les officiers municipaux demandèrent que du moins la répartition de cette somme fût faite sans aucune distinction sur tous les citoyens, et supplièrent le parlement d'envoyer des députés à leur assemblée pour s'entendre avec eux à ce sujet. La cour, tout aussi mal disposée que l'Hôtel-de-Ville, mais placée dans une position qui lui commandoit plus de mesure et de prudence dans ses démarches, répondit qu'elle n'enverroit personne, mais proposa seulement d'aider de ses conseils le corps municipal, s'il jugeoit à propos de la consulter. La ville, s'autorisant de cette réponse, n'offrit au roi que 50 mille liv., qui ne furent point acceptées; toutefois ce prince, qui répugnoit à employer la violence pour se faire obéir, poussa la condescendance jusqu'à envoyer au parlement un message porté par plusieurs seigneurs de sa cour, lesquels déclarèrent aux chambres assemblées que l'intention du roi étoit que, pour cette fois seulement et sans tirer à conséquence, les membres du parlement contribuassent avec les autres citoyens. La Vacquerie, premier président, après avoir pris les voix, fit réponse aux commissaires «que le royaume étoit épuisé par tant d'impositions qui se succédoient tous les ans; qu'on ne lisoit qu'avec douleur, dans les archives des cours souveraines, l'excès de misère où le peuple étoit réduit: Que dure chose étoit de présent rendre les bonnes villes franches, les grands personnages et cours souveraines du royaume, contribuables à si grands, merveilleux et insupportables emprunts: laquelle chose, en brief temps, pouvoit être cause de grandes désolations.» Faisant alors un pas de plus dans cette route que sa compagnie venoit de s'ouvrir, il pria les commissaires d'exposer au roi la pauvreté de ses sujets, et de lui annoncer, de la part du parlement, une députation et des remontrances. Charles VIII n'insista pas; mais il conçut de cette résistance un ressentiment si vif et si profond, qu'ayant fait, peu de temps après, un voyage à Saint-Denis pour en visiter les tombeaux avant son départ, il refusa d'entrer à Paris où l'on s'apprêtoit à le recevoir avec la plus grande magnificence, et reprit subitement la route d'Amboise. Il avoit même le projet de pousser plus loin la vengeance, surtout contre le parlement[280]; mais d'autres soins lui firent oublier son ressentiment.
(1497.) Les premières dispositions du nouveau projet sur l'Italie étoient d'envoyer d'abord le duc d'Orléans s'emparer de la ville de Gênes. «Mais ce prince, dit Hénault, qui voyoit la santé du roi chancelante, et que la mort du dauphin rendoit de nouveau l'héritier présomptif de la couronne, crut ne devoir pas s'éloigner, ni souffrir qu'il repassât les monts. Le roi lui-même n'en avoit pas grande envie: il étoit amoureux, à Tours, d'une des filles de la reine (c'étoit ainsi qu'on appeloit les filles de qualité qu'Anne de Bretagne commença la première à prendre auprès d'elle).» Deux années se passèrent donc en négociations infructueuses, en projets avortés presque aussitôt que conçus, lorsque ce prince, que l'âge commençoit à mûrir, et qui employoit alors à l'administration intérieure de son royaume un temps et des moyens qu'il avoit d'abord si imprudemment dissipés, mourut subitement à Amboise le 7 avril 1498, âgé de près de vingt-sept ans.
«Charles VIII, dit Commines, ne fut jamais que petit homme de corps, et peu entendu; mais il étoit si bon, qu'il n'est point possible de voir meilleure créature.»
L'histoire de Paris offre encore moins d'événements importants sous le règne paternel de Louis XII que sous celui de son prédécesseur. Par son divorce politique avec Jeanne, fille de Louis XI, ce prince succéda à toute la puissance de Charles VIII, dont il épousa ensuite la veuve Anne de Bretagne; et le grand fief qu'elle avoit apporté pour dot à la couronne de France n'en fut point séparé.
Les premières années de ce règne, signalées par une admirable clémence[281], par le soulagement des peuples, auxquels Louis remit une partie des impôts, surtout par ces ordonnances célèbres[282] qui ont rendu le nom de ce prince si cher à la nation, n'excitèrent cependant pas une satisfaction générale; et ce furent ces mêmes ordonnances, au moyen desquelles de nombreux abus étoient extirpés, et le plus bel ordre s'établissoit dans les parties les plus importantes de l'administration, qui firent naître les mécontentements d'un corps nombreux, déjà trop célèbre dans cette histoire par son orgueil et son esprit indépendant et factieux. On voit d'abord qu'il est question ici de l'université et de ses suppôts. (1469.) Toutes les classes supérieures de l'État, la noblesse, les magistrats, les gens de guerre, s'étoient soumis sans murmurer aux utiles réformes ordonnées par le roi. Dans la foule des réglements dont les réformes étoient composées, ce prince avoit cru devoir attaquer de vieux priviléges de l'université, utilement établis sans doute dans l'origine, mais devenus abusifs par l'extension qu'on leur avoit donnée, laquelle étoit de nature à scandaliser le peuple et à troubler l'ordre judiciaire[283]. Ces abus étoient si notoires et si généralement répandus, que les États tenus à Tours sous le règne précédent en avoient déjà demandé la suppression. L'université, qui auroit dû prévenir par un désistement généreux ou du moins politique une réforme qu'il étoit impossible que l'autorité tardât long-temps à faire, n'eut pas plutôt connoissance de l'édit qui détruisoit ces prérogatives, impossibles désormais à soutenir, qu'elle se crut attaquée jusque dans son existence, jeta les hauts cris, et conclut, comme dans les temps de sa plus grande influence, à fermer ses écoles et à interdire la prédication dans toutes les chaires de Paris, jusqu'à ce qu'elle eût obtenu une réparation entière de cette prétendue violation de ses droits. Jamais peut-être cette compagnie ne s'étoit montrée animée d'une plus grande fureur; et cet esprit de vertige fut porté à un tel point que les prédicateurs chargés de notifier au peuple cette étrange résolution se répandirent contre le gouvernement en invectives violentes, dans lesquelles la personne sacrée du roi ne fut pas même épargnée. Toutefois ces prédications séditieuses produisirent peu d'effet sur les Parisiens, et il n'y avoit pas lieu de craindre qu'ils prissent parti dans une querelle qui leur étoit tout-à-fait étrangère; mais Louis, qui dans d'autres temps avoit voulu faire de l'université un instrument de sédition, savoit mieux que personne ce qu'il y avoit à redouter de cette multitude d'étudiants qu'elle renfermoit dans son sein, multitude aveugle, indisciplinée, composée en grande partie d'étrangers ou de gens qui n'avoient rien à perdre, et dont le premier mouvement pouvoit causer des malheurs irréparables, et provoquer sur elle les plus terribles vengeances. Déjà Paris étoit inondé de libelles, dans lesquels les principaux ministres du roi, et surtout le chancelier Guy de Rochefort, étoient déchirés sans aucun ménagement; aux murmures avoient succédé les menaces, et le bruit se répandit même qu'animés par leurs maîtres les écoliers venoient de prendre les armes, et se portoient contre le parlement. Ce bruit étoit faux, mais il pouvoit se réaliser, et à moins qu'on ne comprimât ces commencements de révolte par une terreur salutaire, il étoit à craindre que la guerre civile ne s'allumât dans Paris. Louis en avoit les moyens, et il sut les mettre en usage. Tandis que le prévôt de Paris et le chevalier du guet disposoient, par son ordre, des corps-de-garde dans tous les quartiers, et surtout dans les places publiques, où ils dissipoient à l'instant les moindres rassemblements, ce prince, quittant Corbeil, où il faisoit alors sa résidence, s'avança vers sa capitale à la tête de ses gardes et de toute sa maison. Ce fut assez de cette fermeté et de ces effrayantes démonstrations pour abattre toute la fierté des mutins. Avant même qu'il fût entré dans la ville, l'université arrêta d'envoyer des députés, pour essayer de fléchir sa colère. Leur harangue fut humble et soumise, et le cardinal d'Amboise, répondant au nom du roi, leur fit entendre très-durement que c'étoit à sa seule clémence qu'ils devoient de ne pas éprouver le juste châtiment qu'ils avoient mérité. Louis ajouta lui-même au discours de son ministre quelques paroles sévères et même menaçantes[284]; et suivant de près ces députés, qu'il renvoya aussitôt, il entra dans Paris, traversa le quartier de l'Université, précédé des archers de sa garde et de deux cents gentilshommes de sa maison, armés de toutes pièces, la lance en arrêt; et, dans cet appareil formidable, se rendit au parlement, où il ordonna une seconde fois la publication de l'édit. Mais déjà tout étoit rentré dans l'ordre, les classes avoient été rouvertes, les maîtres recommençoient leurs leçons, et l'exil du chef le plus ardent de ce mouvement séditieux fut la seule vengeance que le roi crut devoir en tirer, encore ne tarda-t-il pas à le rappeler[285].
Ces soins vigilants, ce mélange de douceur et de fermeté, sembloient annoncer à la France une longue suite de prospérités; mais les préjugés du siècle ne permirent pas à un si bon roi de s'occuper uniquement d'un peuple qui lui étoit si cher. Louis XII succédoit aux droits de Charles VIII sur le royaume de Naples; il avoit sur le duché de Milan des droits particuliers qui lui sembloient encore plus incontestables; et l'honneur chevaleresque, qui étoit alors le principal mobile de toutes les actions, lui ordonnoit impérieusement d'employer tous les moyens que le ciel lui avoit donnés, pour tenter des conquêtes qu'il jugeoit si légitimes. Il y trouvoit d'ailleurs des facilités faites pour le séduire. Ces princes de l'Italie, que l'apparition de Charles VIII avoit si promptement réunis dans un intérêt commun, s'étoient divisés de nouveau dès que le danger avoit été passé, et cette partie de l'Europe étoit plus que jamais agitée par des discordes intestines. Les Vénitiens étoient brouillés avec le duc de Milan; l'impie Alexandre VI, dévoré d'ambition, souillé de tous les crimes, étoit prêt à en commettre de nouveaux, à tout faire pour accroître sa puissance temporelle. Louis XII fit avec les premiers une alliance que ces républicains acceptèrent uniquement pour la ruine de Ludovic, car ils étoient loin de souhaiter des voisins tels que les François; et le pape, qui désiroit ardemment obtenir un établissement en France pour son fils Borgia, accorda à ce prix sa neutralité. L'armée royale entra donc sans obstacle dans le duché de Milan, dont elle fit la conquête en vingt jours. Par l'effet immanquable d'un semblable succès, l'équilibre de l'Italie est rompu une seconde fois, la terreur rentre dans toutes les âmes, et bientôt elle est portée à son comble par l'exécution du traité honteux que Louis XII avoit consenti de faire avec le pape et Borgia, traité par lequel il s'engageoit à laisser ces deux hommes odieux dépouiller impunément une foule de maisons souveraines de l'Italie[286]. (1500.) Ludovic, à l'aide des troubles que produit cette haine générale qu'inspirent les François, rentre dans sa capitale, dont il est chassé de nouveau par les généraux du roi. Il court se renfermer dans Novare, son dernier asile; mais, assiégé aussitôt par Louis de La Trémouille, trahi par les Suisses qui composoient la plus belle partie de son armée, il est fait prisonnier; et Louis, à qui il ne sembloit pas que rien pût désormais enlever le Milanois, fait marcher une armée nouvelle à la conquête du royaume de Naples. L'Europe entière commence alors à s'agiter pour opposer des obstacles à une ambition qui en alarme tous les souverains; et Ferdinand d'Aragon, non moins ambitieux peut-être que Louis, mais plus adroit et plus politique, est l'âme de tous ces mouvements.
(1501.) Il n'entre point dans notre sujet de raconter cette longue affaire d'Italie; de développer ces mouvements compliqués de la politique et de la guerre, les succès et les revers de Louis XII, presque toujours vainqueur les armes à la main, succombant sans cesse dans des négociations où il est toujours trompé; de montrer le royaume de Naples conquis par les François et les Espagnols réunis, et après une suite infinie de combats, de victoires, de défaites, de traités, arraché enfin sans retour au roi de France par ce même Ferdinand, «le prince le plus infidèle de son temps, et qui se vantoit de l'avoir souvent trompé;» ce trop crédule Louis XII, qui s'étoit vu tour à tour l'allié ou l'auxiliaire de l'empereur, du pape, du roi d'Espagne; qui, dans la conquête de Naples, dans la fameuse ligue de Cambrai, n'avoit cessé d'être l'instrument de tous leurs projets ambitieux, et constamment l'objet de leurs craintes et de leurs jalousies, forcé de se défendre à son tour contre une ligue formidable composée de tous ces perfides alliés; faisant tête à la fois à tant d'ennemis en Italie, en Flandre, sur les frontières d'Espagne, avec un courage admirable et des succès divers; épuisé dans les derniers temps par la multitude autant que par l'étendue des opérations qu'il avoit à soutenir; et dans l'impuissance où il étoit de résister plus long-temps à des ennemis si supérieurs en force et non moins habiles que persévérants, réduit enfin à la nécessité humiliante de terminer la guerre en abandonnant tout ce qu'il avoit acquis en Italie (1513.), à l'exception du château de Milan et de quelques villes peu considérables de ce duché.
Dans ce cours d'événements rapides et variés, si les princes d'Italie, généralement ennemis de tous les étrangers qui prétendoient s'établir dans leur pays, parurent surtout animés contre les François; si, dans l'application qu'ils firent de cette politique astucieuse de leurs petits États aux rapports nouveaux où les circonstances les plaçoient avec les grandes puissances, la perfidie de leurs conseils fut plutôt dirigée contre la France que contre les autres monarchies, c'est qu'effectivement, dans le système d'équilibre qu'ils avoient imaginé, et qui devint depuis la base de toute la politique européenne, la situation de ce royaume leur sembloit alors plus alarmante pour leur indépendance que celle d'aucune autre puissance. En effet, depuis le règne de Louis XI, la France étoit le seul État de l'Europe dans lequel, à partir du dixième siècle, les institutions féodales eussent enfin cessé d'entraver la marche du pouvoir monarchique: elles existoient encore telles que les avoient faites ces temps malheureux, dans l'empire germanique, où, malgré les titres pompeux et les vains honneurs dont ils étoient entourés, les empereurs n'avoient effectivement qu'une ombre de pouvoir; et dans l'Espagne, quoique l'heureux mariage de Ferdinand et d'Isabelle eût réuni sous une seule autorité tous ces petits royaumes formés des diverses provinces successivement reconquises sur les Maures, il n'en est pas moins vrai que les priviléges excessifs de la noblesse, les droits des communes, plus étendus peut-être chez cette fière nation que partout ailleurs, y apportoient à chaque instant les plus grands obstacles à l'exercice de la prérogative royale. D'ailleurs l'Espagne étoit séparée de l'Italie par la mer et par des États intermédiaires. Le roi de France, au contraire, touchant aux frontières de cette belle contrée, pouvant plus facilement rassembler des hommes, lever des impôts, et diriger vers le but qu'il lui plaisoit de choisir toutes les forces de son grand empire, paroissoit, aux yeux de ces petits princes, toujours prêt à les écraser de sa masse formidable. Ce fut donc contre lui que se dirigèrent d'abord toutes les manœuvres de leur politique; et l'on peut trouver, dans ces différents rapports des principales monarchies de l'Europe entre elles et avec l'Italie, les raisons qui décidèrent les nombreux souverains qui la partageoient à s'allier plutôt à Ferdinand et à Maximilien qu'à Louis, quoiqu'au fond ils ne fussent pas plus disposés à favoriser l'établissement de ceux-ci dans leur pays, et que Jules II, reprenant le projet généreux qu'avoient constamment suivi tant d'illustres papes ses prédécesseurs, eût formé le projet d'en chasser tous les étrangers.
On ne peut disconvenir que, dans ces longues guerres qui jetèrent tant d'amertume sur sa vie, Louis XII n'ait commis de grandes fautes, et qu'il n'ait été un fort mauvais politique. Sans parler de la témérité de l'entreprise et du désavantage d'une conquête qu'il étoit impossible de conserver autrement qu'en dépeuplant la France pour y envoyer des colonies et y entretenir sans cesse une armée, on peut lui reprocher avec juste raison son alliance avec un aussi méchant homme qu'Alexandre VI, sa crédule confiance aux serments tant de fois violés du perfide Ferdinand, et surtout sa brouillerie imprudente avec les Suisses, qu'il étoit si facile de ramener, et qui, en se livrant à ses ennemis, furent la principale cause de ses revers. Mais ce qui le place au-dessus d'un grand nombre d'autres rois, qui se présentent dans l'histoire avec plus d'éclat et de bonheur, c'est que, pendant le cours de ces désastreuses expéditions, il rendit ses peuples plus heureux qu'ils n'auroient pu espérer de l'être sous d'autres princes, même au milieu de la paix la plus profonde. Sa vigilance sut faire observer dans la France entière les réglements paternels que sa sagesse avoit établis: la justice y fut mieux administrée; le commerce et l'agriculture y devinrent plus florissants qu'ils ne l'avoient jamais été. Tant qu'il régna, les impôts qu'il avoit diminués de moitié ne furent jamais augmentés: «Il ne courut oncques, dit Saint-Gelais, du règne de nul des autres si bon temps qu'il a fait durant le sien.» Enfin sa vie fut honorée des bénédictions, sa mort, des larmes de toute la France qui l'adoroit; le titre de Père du peuple, le plus glorieux qu'un monarque puisse jamais acquérir, le seul qu'il ambitionnât, lui fut donné, et la postérité, qui juge les rois, le lui a confirmé.
Louis XII, ainsi que ses deux prédécesseurs, ne fit point de Paris sa demeure habituelle. Il séjournoit le plus souvent à Blois, et faisoit de temps en temps des voyages dans sa capitale, où sa présence étoit presque toujours signalée par quelques nouveaux bienfaits. Depuis le mouvement séditieux de l'université, on peut dire que le calme dont jouit cette ville ne fut pas troublé un seul instant. Il en résulte que les petits événements qui s'y passèrent méritent à peine d'être racontés, ou du moins appartiennent à l'histoire particulière de ses monuments et des institutions diverses qu'elle renfermoit dans son sein. Parmi ces événements les plus remarquables sont la chute du pont Notre-Dame, dont nous avons déjà parlé[287], la réforme générale opérée dans divers couvents, réforme dont les détails assez curieux trouveront naturellement leur place dans l'histoire des ordres religieux qui y furent soumis; les entrées des deux reines Anne de Bretagne et Marie d'Angleterre, etc. Enfin, si l'on en excepte une de ces maladies contagieuses que rendirent si fréquentes des causes que nous avons signalées, maladie qui enleva en 1503 un grand nombre de ses habitants, on peut dire que, depuis bien des années, cette grande cité n'avoit été ni si tranquille ni si heureuse.
Cet excellent prince mourut à Paris, dans son palais des Tournelles, le 1er janvier 1515, âgé de 53 ans. (1515.) À sa mort, les crieurs des corps, en sonnant leurs clochettes, crioient le long des rues: «Le bon roi Louis, Père du peuple, est mort.»
ORIGINE
DU QUARTIER SAINT-PAUL.
Avant l'enceinte de Philippe-Auguste, tout le terrain qu'occupe ce quartier, situé alors hors des murs de la ville, étoit entièrement couvert de cultures et de terres labourables qui paroissent avoir été en grande partie dans la censive du monastère de Saint-Éloi. L'église Saint-Paul, qui depuis lui a donné son nom, n'étoit alors qu'une simple chapelle dépendante du même monastère, et située au milieu d'un bourg nommé bourg Saint-Éloi.
Les murs élevés par Philippe renfermèrent dans Paris l'extrémité occidentale du quartier Saint-Paul; mais l'église, suivant toutes les apparences, n'y fut point comprise, quoiqu'on trouve qu'elle ait été érigée en paroisse vers ce temps-là. Ce n'est que sous Charles V et Charles VI que les nouveaux remparts achevèrent de faire entrer dans cette capitale la partie de ce quartier qui étoit encore hors des murs; et ces remparts en formèrent les limites depuis le bord de la rivière jusqu'au château de la Bastille.
L'accroissement continuel de la population de Paris, résultat des priviléges dont jouissoient ses habitants, produisit dans le quartier Saint-Paul les mêmes effets que partout ailleurs. Il se couvrit rapidement de maisons; et à ces circonstances générales s'en joignit une particulière qui contribua plus efficacement encore à accroître le nombre de ses habitants: Charles V y fit bâtir une maison royale, que, pendant plusieurs siècles, ce prince et ses successeurs habitèrent de préférence à toute autre; c'en fut assez pour que cette partie de la ville devînt la plus animée, et celle où l'on s'empressât d'aller demeurer.
Ce quartier a éprouvé de grands changements, et perdu toute son ancienne splendeur.
LES RELIGIEUSES
DE L'AVE-MARIA.
Ce monastère avoit été originairement établi par saint Louis, pour y recevoir des filles ou veuves dévotes, connues sous le nom de Béguines[288], et son premier nom fut le Béguinage, et l'hôtel des Béguines. Geoffroi de Beaulieu, qui nous a donné une vie de saint Louis[289], ne dit point à quelle époque ce prince les fit venir à Paris; il se contente de remarquer qu'il leur acheta une maison, et pourvut suffisamment à leur subsistance. On présume toutefois, sans en avoir de preuves très-positives, qu'elles y furent établies vers l'an 1230. Ce qu'il y a de certain, c'est que ces filles y étoient déjà en 1264; car on trouve, dans le trésor des chartes, qu'au mois de novembre de cette année l'abbé et le couvent de Tiron leur amortirent quelques propriétés qu'elles venoient d'acquérir. Geoffroi de Beaulieu ajoute qu'il y avoit dans cette maison environ quatre cents de ces Béguines; et voici comment il s'exprime à ce sujet: Domum Parisiis honestarum mulierum quæ vocantur Beguinæ de suo acquisivit, et eisdem assignavit in quâ hônestè et religiosè conversantur circiter quadringenta. Le témoignage de cet auteur est d'autant plus digne de foi qu'il prêchoit dans cette communauté en 1273, trois ans après la mort de saint Louis[290].
Dans les deux siècles suivants, leur nombre diminua si considérablement qu'il ne restoit plus que trois personnes dans cette maison lorsque Louis XI jugea à propos de la donner aux religieuses de la Tierce-Ordre pénitente et observante de Monsieur saint François, et ordonna qu'à l'avenir ce monastère seroit appelé de l'Ave-Maria[291]. Quelques auteurs placent l'époque de ce nouvel établissement en 1461[292]. Sauval dit que ce fut en 1471, et cette dernière date est en effet conforme à un mémoire manuscrit de cette maison et à l'inscription qui se lisoit sur la porte du côté de la cour. Cependant les lettres-patentes de Louis XI ne sont que de l'an 1480, et l'on voit qu'elles furent enregistrées le 1er mars de la même année.
Ce changement éprouva d'abord quelques obstacles: l'université et les quatre ordres mendiants y formèrent, dès le principe, une opposition qu'ils renouvelèrent en 1482. Ils furent poussés à cette démarche, à la fois violente et inégale, par le vif désir qu'ils avoient d'établir à Paris les religieuses de Sainte-Claire, qu'ils protégeoient et qui désiroient elles-mêmes obtenir un établissement dans cette capitale. Elles furent en même temps appuyées par Anne de France, dame de Beaujeu, fille de Louis XI; et le monarque crut ne pas devoir refuser à ses instances en faveur de ces religieuses des lettres-patentes contraires à celles qu'il avoit accordées deux ans auparavant aux filles du Tiers-Ordre. Mais (et ceci est extrêmement remarquable sous un règne qu'on a tant accusé de tyrannie) le parlement n'y eut aucun égard. Par son arrêt du 2 septembre 1482 il maintint les religieuses du Tiers-Ordre de Saint-François dans la possession du couvent des Béguines, et débouta la dame de Beaujeu, l'université et autres de leurs oppositions. Par ce même arrêt il fut défendu aux religieuses de l'Ave-Maria d'ériger en ce lieu aucun couvent de Cordeliers de l'Observance[293], ni aucun autre édifice pour y loger des religieux.
Cependant les religieuses de Sainte-Claire obtinrent peu de temps après ce qu'elles désiroient; et ce succès fut d'autant plus flatteur qu'elles n'en furent redevables qu'à l'excès de leurs vertus. Les filles du Tiers-Ordre, pénétrées d'admiration pour les austérités que pratiquoient ces saintes recluses, leur offrirent volontairement, en 1484, de se soumettre à leur règle et de se réunir avec elles dans le même monastère: telle étoit la tradition de cette communauté. Mais on peut croire aussi qu'Anne de Beaujeu, qui avoit obtenu l'établissement des filles de Sainte-Claire, à l'Ave-Maria, et qui n'avoit pu l'effectuer, se voyant, après la mort de Louis XI, et pendant la minorité de Charles VIII, à la tête de l'administration, se servit du crédit et de l'autorité que les derniers ordres de son père lui avoient donnés, pour achever ce qu'elle n'avoit jusqu'alors qu'imparfaitement commencé. Dès ce moment les religieuses du Tiers-Ordre ne durent pas penser à apporter la moindre résistance aux volontés de cette princesse, et ce fut peut-être pour se faire un mérite de leur obéissance qu'elles demandèrent à s'unir aux religieuses de Sainte-Claire.
La tradition dont nous venons de parler ajoute que Charlotte de Savoie, veuve de Louis XI, écrivit, au sujet de cette réunion, à Innocent VIII, et que ce souverain pontife ayant permis par son bref du 3 des ides de janvier 1485, aux religieuses de l'Ave-Maria d'embrasser et de suivre la règle de Sainte-Claire, cette princesse fit venir de Metz quatre religieuses de cet ordre, qu'elle mit dans ce couvent. Les historiens de Paris[294], en adoptant cette tradition, semblent avoir manqué de critique, n'ayant pas pris garde qu'elle ne s'accorde pas avec la chronologie: car Innocent VIII ne fut élu pape que le 29 août 1484, et Charlotte de Savoie ne put ni lui demander un bref, ni faire venir des religieuses de Metz, et les introduire à l'Ave-Maria le 11 janvier de cette année, puisqu'elle ne survécut que trois mois à son époux, qui étoit mort le 30 août de l'année précédente, 1483. À cette preuve démonstrative on peut ajouter qu'il ne paroît guère vraisemblable que cette malheureuse reine, que la politique inquiète de Louis XI avoit constamment tenue éloignée de Paris, et qui, dans les derniers temps de sa vie, étoit reléguée dans le Dauphiné, s'y occupât des moyens de détruire son propre ouvrage en faisant substituer les filles de Sainte-Claire à celles du Tiers-Ordre qu'elle y avoit placées elle-même, et surtout qu'elle conçût un semblable dessein après l'arrêt de 1482. Il est étonnant, d'après cela, que des écrivains graves et judicieux tels que Félibien, Lobineau, et les auteurs du Gallia Christiana, aient répété un récit aussi dénué de vraisemblance. Ils auront sans doute été induits en erreur par des lettres de Charles VIII, dans lesquelles il est dit «que la reine sa mère, par autorité apostolique à elle commise, fonda, institua et établit, de son consentement et autorité, ledit lieu et hôtel de Béguinage en monastère et couvent des sœurs religieuses dudit ordre de Saint-Claire.» Ces lettres, qui sont très-postérieures et de l'année 1492, ne s'accordent pas, il est vrai, avec ce qui a été dit ci-dessus; mais en supposant même qu'elles soient exactes, elles ne peuvent détruire la force des raisons que nous avons données, raisons qui prouvent invinciblement que la reine Charlotte de Savoie ne put prendre part à cette réunion.
Les religieuses de Sainte-Claire de Metz étoient dirigées par des religieux de l'Observance de Saint-François de la province de France Parisienne réformée, et elles désirèrent rester sous leur conduite; mais comme l'arrêt de 1482 avoit défendu aux filles du Tiers-Ordre d'ériger ou faire ériger aucun couvent des Cordeliers de l'Observance; ni même d'autres religieux, la nouvelle communauté eut recours à Charles VIII, qui lui accorda cette grâce par des lettres-patentes de l'année 1485, et ajouta à cette faveur le don de deux tours de l'ancienne enceinte, et du mur de clôture qui joignoit leur couvent[295].
Les austérités que pratiquoient ces saintes filles paroissoient inconcevables, et surpasser en quelque sorte les forces de la nature: elles n'avoient aucuns revenus, ne vivoient que d'aumônes, ne faisoient jamais gras même dans leurs maladies, jeûnoient tous les jours excepté le dimanche, marchoient pieds nus, ne portoient point de linge, couchoient sur la dure, et alloient tous les jours au chœur à minuit, où elles restoient debout jusqu'à trois heures. Malgré la pratique d'une règle aussi rigoureuse, ce couvent fut toujours très-nombreux.
L'église n'offroit rien de remarquable dans sa construction.
CURIOSITÉS DU COUVENT DE L'AVE-MARIA.
Sur la porte d'entrée, située rue de Barres et restaurée en 1660, deux statues, l'une représentant saint Louis et l'autre sainte Claire, par Renaudin.
Dans l'attique, un bas-relief représentant l'Annonciation.
La décoration intérieure de cette même porte consistoit en trois statues: la première étoit une image de la Vierge tenant l'Enfant-Jésus entre ses bras; des deux côtés, mais plus bas, étoient celles de Louis XI et de Charlotte de Savoie. Le tout avoit été exécuté par un sculpteur nommé Masson.
SÉPULTURES.
Dans l'église avoient été inhumés:
Jeanne de Vivonne, épouse de Claude de Clermont, seigneur de Dampierre, morte en 1583. Sa statue, à genoux, étoit placée sur un tombeau de marbre blanc, au bas duquel on lisoit son épitaphe[296].
La célèbre Claude-Catherine de Clermont sa fille, épouse d'Albert de Gondi, duc de Retz, morte en 1603. Elle y étoit représentée, en marbre blanc, à genoux, sur une table de marbre noir que soutenoient quatre colonnes ioniques de la même matière; deux génies en bronze accompagnoient son épitaphe. Ce monument étoit de Barthélemi Prieur[297].
Charlotte de la Trimouille, princesse de Condé, morte en 1629. Son tombeau étoit également décoré de sa statue à genoux, et en marbre blanc[298].
Le cœur de don Antoine, roi de Portugal, chassé de son royaume, et mort à Paris en 1595, étoit placé dans la muraille, au côté gauche du maître-autel. Au-dessous on lisoit deux inscriptions latines, l'une en vers, l'autre en prose, composées par un cordelier portugais nommé Frey Diego Carlos, cousin germain de don Antoine.
Dans le chapitre des religieuses furent inhumés, par permission du pape, le fameux Mathieu Molé, premier président du parlement de Paris, puis garde-des-sceaux, et Renée de Nicolaï sa femme.
Sur l'un des piliers de la nef étoit l'épitaphe de Robert Tiercelin, lieutenant du grand-maître de l'artillerie, et l'un des bienfaiteurs de ce monastère, mort en 1616.
En face du chœur, et attenant à la grande grille, s'élevoit une tribune en pierre de liais, au-dessus de laquelle on lisoit, dans un cartouche, l'inscription suivante, écrite en lettres d'or:
«Le corps entier de saint Léonce, martyr, donné par madame de Guénégaud en 1709.[299]»
L'ÉGLISE PAROISSIALE DE SAINT-PAUL.
Cette église n'étoit, dans son origine, qu'une simple chapelle, sous le titre de saint Paul[300]. Saint Éloi la fit bâtir au milieu d'un emplacement destiné à servir de sépulture aux religieuses du monastère qu'il avoit fondé dans la Cité[301]. Ce petit édifice étoit alors hors des murs de la ville, dont il est devenu depuis une des principales paroisses; et c'est à cause de cette situation qu'il avoit reçu le nom de chapelle de Saint-Paul-des-Champs.
Une tradition, qui n'est appuyée sur aucun titre positif, nous apprend que les foulons et tondeurs de draps se prétendoient fondateurs de cette église; et on lit en tête de leurs statuts, imprimés en 1742, qu'ils firent bâtir l'église de Saint-Paul sous le règne de Clovis II, en 650. Il y avoit en effet sous le clocher, du côté de la rue, un vitrage où ils étoient représentés travaillant à leur métier; et ils avoient outre conservé l'usage de faire en particulier dans cette église, et avec une grande solennité, la fête de saint Paul, le lendemain du jour qu'elle avoit été célébrée par la paroisse. Toutefois il n'est pas difficile de voir le peu de fondement de cette prétention, si l'on se rappelle, 1o que le monastère de Saint-Aure fut fondé par saint Éloi en 633, et qu'il n'est guère vraisemblable qu'on ait attendu jusqu'en 650 pour accorder un cimetière à cette communauté, composée dès lors de trois cents religieuses; 2o que, dès l'année 640, saint Éloi ayant été nommé à l'évêché de Noyon, partit aussitôt pour se rendre à Rouen, et s'y préparer à recevoir les ordres sacrés. Quant au vitrage, qui, suivant les apparences, n'étoit que du dix-septième siècle, il avoit été fait sans doute en mémoire de quelque contribution assez considérable que les foulons, alors en très-grand nombre dans cette paroisse, avoient peut-être payée pour la construction de l'église antérieure, c'est-à-dire de celle qui fut bâtie au treizième siècle. Cette opinion devient très-probable si l'on considère que ces artisans avoient alors une place ou marché aux environs de la porte et de la place Baudoyer; et que le prieuré de Saint-Éloi y possédant une censive, ce lieu devoit être de la paroisse Saint-Paul.
Il ne nous reste aucun monument qui puisse nous instruire de l'état de cette église jusqu'au douzième siècle; il paroît cependant qu'elle étoit déjà assez considérable dès le neuvième, puisque, lors de l'établissement de la procession du 25 avril, introduite alors en France avec plusieurs rites romains, l'église de Paris la choisit pour la station de cette journée. Une charte de Galon, évêque de Paris, de l'an 1107, fait entendre que dès lors c'étoit une ancienne coutume que le chapitre de Paris allât à l'église de Saint-Paul le jour de la fête, et que pour cette raison l'abbaye de Saint-Éloi étoit tenue, ce jour-là, envers ce chapitre, à une redevance de huit moutons, deux muids de vin, mesure du cloître, trois setiers de froment, six deniers et une obole[302]. Ce titre ne prouve pas sans doute que dès lors Saint-Paul fût paroisse; mais il est vraisemblable qu'il le devint vers ce temps-là, ainsi que les autres chapelles dépendantes de l'abbaye de Saint-Éloi[303]: car dans une bulle d'Innocent II de 1136, où il est parlé de quatre autres églises de la Cité, celle-ci est qualifiée d'Ecclesia sancti Pauli extra civitatem; et vers le même temps, la qualification de presbyter, qui ne s'accordoit qu'aux prêtres cardinaux ou curés, fut donnée à l'ecclésiastique qui la desservoit.
On ne peut douter que la chapelle bâtie par saint Éloi n'ait été plusieurs fois ravagée par les Normands, et qu'elle n'ait entièrement cessé d'exister au dixième siècle, époque à laquelle on rebâtit la plupart des églises. Elle ne fut reconstruite que dans le cours du treizième; mais depuis la nouvelle enceinte de Philippe-Auguste, les environs de Saint-Paul ayant été couverts de maisons, et le nombre des habitants s'étant considérablement augmenté, tant par cette circonstance que par le voisinage de l'hôtel Saint-Paul, bâti depuis par Charles V, cette église fut de nouveau rebâtie, augmentée et décorée par les libéralités de ce prince et de ses successeurs. La dédicace en fut faite en 1431 par Jacques du Chatellier, évêque de Paris; et l'on y fit, en 1542 et 1547, des augmentations et des réparations qui se renouvelèrent encore en 1661.
La maçonnerie lourde et massive de cet édifice, ses voûtes basses et mal éclairées, annonçoient combien l'architecture avoit encore peu fait de progrès dans le temps où il fut élevé. Le bas de l'intérieur de la tour devoit être du treizième siècle, et les bases des trois portiques paroissoient avoir été construites vers le milieu du quatorzième. Le reste étoit du règne de Charles VII.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-PAUL.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, l'institution de l'Eucharistie, par Jean-Baptiste Corneille.
Dans la première chapelle à gauche, un Benedicite, par Lebrun.
Dans la quatrième, une Ascension, par Jouvenet.
Dans la chapelle du curé, un saint Jacques, dont l'auteur est inconnu.
Les jours de fêtes, la nef étoit ornée d'une tenture de tapisserie, en or, argent et soie, représentant l'histoire de saint Paul; c'étoit un présent qu'avoit fait à cette église Anne Phelypeaux de Villesavin, veuve de M. Bouthilier, comte de Chavigni, ministre d'état.
Le jour de la Fête-Dieu, on portoit, avec beaucoup de pompe, une arche faite sur les dessins de Mansard, et enrichie de pierreries.
Dans la chapelle de la communion et autour des charniers, on voyoit sur les vitraux de très-belles peintures, exécutées, d'après les cartons de Vignon, par les trois Pinaigrier, Levasseur, Monnier, Perrier, Desaugives et Porcher, tous contemporains, et les premiers artistes qu'il y eût alors en ce genre[304].
Auprès du maître-autel avoient été inhumés trois favoris de Henri III, Caylus, Maugiron et Saint-Mégrin, les deux premiers tués en duel le même jour, le troisième assassiné en sortant du Louvre. Le roi leur avoit fait élever des tombeaux en marbre noir, ornés de leurs statues extrêmement ressemblantes. Ces tombeaux furent détruits, en 1588, par la populace de Paris, lorsqu'on y eut appris la mort des Guises, assassinés à Blois par l'ordre de ce prince. Ils étoient tous les trois de la main de Germain Pilon[305].
Près la petite porte du chœur à gauche, on voyoit le mausolée de François d'Argouges, premier président du parlement de Bretagne, conseiller d'État, par Coizevox.
Sur un pilier près la chapelle de la communion étoit un monument érigé à la mémoire de Jules-Hardouin Mansard, par le même sculpteur. Il offroit le médaillon, en marbre blanc, de cet architecte célèbre, posé sur une demi-colonne de la même matière[306]. Pierre Biard, autre architecte, mort en 1609, étoit aussi enterré dans cette église.
À côté de l'autel de cette chapelle étoit le tombeau, en marbre, d'un duc de Noailles. Ce monument, composé de plusieurs figures, avoit été exécuté par Anselme Flamand.
Dans la chapelle de Saint-Louis on lisoit l'épitaphe de Nicolas Gilles, auteur des Annales et Chroniques de France, mort en 1503.
Dans l'église étoient inhumés: Jacques Bourdin, sieur de La Villette, secrétaire des finances sous Charles VIII et Louis XI, mort en 1524.
Robert Ceneau, évêque d'Avranches, docteur en théologie de la faculté de Paris, auteur de plusieurs ouvrages, mort en 1560. Son tombeau, placé dans le chœur, offroit, sur une table de marbre noir, une statue en cuivre de ce personnage, décorée des attributs de sa dignité.
Adrien Baillet et Pierre-Silvain Regis, écrivains connus, morts en 1706 et 1707.
Le fameux Rabelais, mort le 9 avril 1553, avoit été enterré dans le cimetière de cette paroisse, etc. etc.
CIRCONSCRIPTION.
Pour avoir une idée du contour de la paroisse Saint-Paul, on peut le commencer à la maison qui fait le coin de la rue des Nonaindières et du quai des Ormes, de là, suivre jusqu'aux Célestins, puis y comprendre ensuite l'Arsenal et l'emplacement de la Bastille, et après avoir passé par-devant la porte Saint-Antoine, y renfermer tout ce qui est au-dedans des remparts, jusqu'à la rue Saint-Gilles, qui donne dans celle de Saint-Louis.
Dans cet endroit la paroisse traversoit cette même rue Saint-Louis; elle prenoit ensuite le côté gauche des rues du Parc-Royal, des Trois-Pavillons, le côté oriental de la rue des Francs-Bourgeois, ensuite la rue Pavée, la rue du Roi de Sicile jusqu'à celle des Juifs: là elle n'avoit que le côté gauche et quelques maisons de la rue du Temple à gauche, et jusqu'à la rue Saint-Antoine qu'elle partageoit avec la paroisse Saint-Gervais. Le côté gauche de la rue de Joui lui appartenoit, ainsi qu'une grande partie du côté droit. Les rues de Fourci et des Nonaindières dépendoient d'elle en totalité. Elle comprenoit encore le carré de la rue de la Mazure, s'étendoit ensuite sur le quai des Ormes jusqu'à la rue du Paon-Blanc inclusivement, et enfin dans la rue de la Mortellerie.
Tel étoit le plus grand contour de cette paroisse qui renfermoit les rues de Fourci, Percée, du Figuier, des Prêtres, des Barres, des Jardins, de Sainte-Anastase, de Saint-Paul, l'ancienne et la neuve, des Lions, de Gérard-Boquet, des Trois-Pistolets, du Beau-Treillis, du Petit-Musc, du Foin, des Minimes, de la Cerisaie, de Lesdiguières, des Fournelles, du Pas-de-la-Mule, de Sainte-Catherine, de l'Égout-Sainte-Catherine, Païenne, des Barres, Cloche-Perce, et la grande rue Saint-Antoine.
Il y avoit aussi quelques cantons détachés: le plus étendu commençoit à la vieille rue du Temple, au coin de la rue de la Croix-Blanche; et s'étendoit à gauche de cette rue jusqu'au premier coin de la rue des Blancs-Manteaux, où il tournoit à gauche; il continuoit de ce côté jusqu'au coin de la rue du Puits, et dans une partie des rues Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, Bourg-Thiboud et de la Croix-Blanche. Cette paroisse avoit encore plusieurs autres écarts singuliers, d'où il résultoit que son territoire se trouvoit enclavé en plusieurs endroits dans celui de la paroisse Saint-Gervais.
Il n'y avoit point de reliques remarquables dans cette église, et l'on n'y comptoit que trois ou quatre chapellenies qui méritassent d'être citées[307].
LES CÉLESTINS.
Ces religieux furent institués vers le milieu du treizième siècle par saint Pierre dit de Morron[308], du nom d'une montagne où il s'étoit retiré près de Sulmone, dans l'Abbruze citérieure. Ce pieux cénobite s'établit ensuite sur le mont de Majelle, à quelque distance de cette ville; et c'est là que, rassemblant plusieurs de ses disciples, il forma une congrégation sous la règle de saint Benoît, laquelle fut approuvée par le concile général tenu à Lyon en 1274. Ayant été élu pape le 5 juillet 1294, le saint fondateur prit le nom de Célestin VI, nom qui fut depuis adopté par tous les religieux de son ordre.
Saint Louis, à son retour de la terre sainte, en 1254, avoit amené avec lui six religieux du Mont-Carmel, depuis connus sous le nom de Carmes, mais que l'on appeloit alors les Barrés, à cause de leurs manteaux blancs et noirs. Ces religieux, que le saint roi avoit d'abord logés dans une partie d'un vaste terrain nommé le Champ au plâtre, ayant été transférés en 1318 à la place Maubert, vendirent l'emplacement qu'ils venoient de quitter à Jacques Marcel, bourgeois de Paris. Ce nouveau propriétaire y fit bâtir deux chapelles, et les dota chacune de 20 liv. de rente amortie. On trouve dans le grand cartulaire que l'acte de fondation en fut approuvé le 1er juin 1319 par l'évêque de Paris.
Ce terrain et les deux chapelles passèrent à Garnier Marcel, fils du précédent, qui les donna aux Célestins[309], par contrat du 10 novembre 1352. On voit cette donation confirmée la même année par des lettres de Jean de Meulan, évêque de Paris, et de Guillaume de Melun, archevêque de Sens. Robert de Jussi, chanoine de Saint-Germain-l'Auxerrois et secrétaire du roi, qui avoit été novice chez les Célestins à Saint-Pierre de Châtres, près Compiègne, fut un de ceux qui contribuèrent le plus à leur établissement à Paris.
Quoique ces religieux ne fussent qu'au nombre de six, le revenu que Garnier Marcel leur avoit donné étoit si modique qu'ils avoient bien de la peine à subsister. À la sollicitation de leur ardent protecteur, Robert de Jussi, les secrétaires du roi établirent chez eux leur confrérie, et avec la permission du roi Jean, ils donnèrent chaque mois à ce couvent une bourse pareille à celle qu'ils recevoient pour leurs honoraires. Charles, dauphin et régent du royaume, confirma cette libéralité en 1358, et de plus permit aux Célestins d'acquérir 200 liv. parisis de rente, qu'il amortit par ses lettres données à Melun au mois de juin 1360. Toutes ces dispositions furent ratifiées par le roi Jean à son retour d'Angleterre, en 1361 et 1362; et ces religieux ont continué à jouir de la bourse jusqu'au moment de leur suppression.
Charles V avoit conçu une telle affection pour l'ordre des Célestins, qu'à son avénement à la couronne il s'en déclara non-seulement le protecteur, mais encore le fondateur. Au don de la bourse de la chancellerie et des deux cents livres de rente, il ajouta celui de dix mille livres, et de tous les bois nécessaires pour la construction de leur église. Il y fit bâtir les lieux réguliers, en augmenta l'emplacement d'une partie des jardins de l'hôtel Saint-Paul et d'un hôtel contigu à leurs murs, qu'il acheta à leur intention; enfin il mit le comble à tant de bienfaits en accordant à ces religieux un grand nombre d'exemptions et de priviléges, que son successeur Charles VI confirma et étendit ensuite sur tous les monastères de cet ordre.
Lorsque l'église, aux fondements de laquelle Charles V avoit voulu poser la première pierre, eut été achevée, ce prince la fit consacrer et dédier sous le titre de l'invocation de la Sainte-Vierge. Cette dédicace, faite le 15 septembre 1370, fut accompagnée d'une foule de dons précieux[310], dont les auteurs contemporains nous ont transmis tous les détails, et qui furent ensuite conservés avec soin dans le trésor de ce monastère.
Le duc d'Orléans, Louis, fils puîné du roi Charles V, hérita de la prédilection de son père pour ce couvent, et ne cessa de le combler de marques de sa bienveillance. Ce fut lui qui y fit bâtir la magnifique chapelle qui portoit son nom[311], et sous l'autel de laquelle il fut inhumé en habit de Célestin, ainsi que l'avoit ordonné une disposition de son testament, daté du 19 octobre 1403[312].
Cet ordre a donné à la France plusieurs sujets distingués: il étoit gouverné par un provincial qui, dans le royaume, avoit la même autorité sur tous les monastères de cet ordre que le général sur l'ordre entier. Cette prérogative avoit été accordée par une bulle de Clément VII; et il y eut à ce sujet en 1418, entre les Célestins de France et ceux d'Italie, un concordat qui fut ratifié par le souverain pontife en 1423. Quoique le monastère des Célestins de Paris ne fût pas le plus ancien du royaume, cependant, par des constitutions de l'an 1417, il fut arrêté qu'à l'avenir il seroit, non pas le chef-lieu de l'ordre, comme quelques auteurs semblent le faire entendre, mais le chef-lieu principal de la congrégation des Célestins en France: ce qui étoit fort différent. Ce monastère fut supprimé quelques années avant la révolution.
Le couvent passoit pour une des plus belles et des plus riches maisons religieuses qu'il y eût à Paris. L'église, d'une architecture gothique très-grossière, étoit peu digne des autres constructions, mais elle n'en étoit pas moins une des plus curieuses de cette capitale, et celle que les étrangers visitoient avec le plus d'empressement, à cause de la quantité prodigieuse de monuments qui y étoient en quelque sorte entassés. Après l'abbaye de Saint-Denis, c'étoit sans contredit l'église de France qui contenoit le plus d'illustres sépultures[313].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DES CÉLESTINS.
TABLEAUX.
Au-dessus de la principale porte du chœur, en dedans, Jésus-Christ avec les docteurs de la loi, par Stradan.
Au-dessus de la même porte, en dehors, l'Économe de l'Évangile, par le même.
Dans une chapelle, saint Léon devant Attila, par Paul Mathey.
Dans une autre, une Magdeleine, par Pierre Mignard.
Derrière le maître-autel, un grand tableau de la Transfiguration.
Sur l'autel de la chapelle d'Orléans, une descente de croix, peinte sur bois, par Salviati, Florentin.
Le plafond du grand escalier du couvent, peint par Bon Boullongne, représentoit Pierre de Morron enlevé au ciel par des anges.
Le maître-autel étoit orné de quelques figures, entre autres d'une Annonciation, par Germain Pilon.
Dans une chapelle on voyoit la figure de Charlemagne, vêtu d'un habit de guerre, par Paul Ponce.
TOMBEAUX ET SÉPULTURES.
Nef et Sanctuaire.
Devant le maître-autel avoient été inhumés le cœur du roi Jean, mort en 1364, et celui de Jeanne, comtesse de Boulogne, sa seconde femme, morte en 1361.
Philippe de France, premier duc d'Orléans, fils puîné de Philippe VI et de Jeanne de Bourgogne, avoit sa sépulture dans cette église, devant le sanctuaire. À l'époque où il mourut, en 1391, la chapelle d'Orléans n'étoit point encore bâtie.
À peu de distance, et aussi devant le sanctuaire, avoit été inhumé Henri, duc de Bar, mort à Venise en 1398.
Sous une tombe de cuivre, et vers la même place, étoient renfermés les corps de Jean Budé, audiencier de la chancellerie de France, mort en 1501, et de Catherine Le Picard sa femme, morte en 1506. Le savant Guillaume Budé, maître des requêtes sous François Ier, étoit leur fils.
Dans le mur, du côté de l'évangile, étoit le mausolée de Léon de Lusignan, roi d'Arménie, mort à Paris en 1393[314].
Plus bas, et du même côté, une épitaphe gravée sur un autre tombeau annonçoit qu'il contenoit les cendres de Jeanne de Bourgogne, épouse du duc de Bedfort, régent de France, morte en 1432. Sur ce monument de marbre noir étoit sa statue couchée, et en marbre blanc[315].
Du même côté, à peu de distance du cloître, avoit été inhumé Fabio Mirto Frangipani, nonce du pape près Charles IX et Henri III, mort à Paris en 1587.
Du côté de l'épître, un tombeau de marbre noir, sur lequel étoit couchée une figure de marbre blanc, contenoit les entrailles de Jeanne de Bourbon, femme de Charles V, morte en 1377[316].
Auprès de cette tombe furent inhumés deux fils de Louis, duc d'Orléans, et de Valentine de Milan, morts en bas âge.
Du même côté étoit le tombeau d'André d'Espinay, cardinal, archevêque de Bordeaux et de Lyon, et petit-neveu de Louis, duc d'Orléans, mort en 1500.
Au milieu de la nef et devant le crucifix avoient été inhumés, sous une tombe de marbre noir, Garnier Marcel, bourgeois et échevin de Paris, bienfaiteur de cette maison, et Eudeline sa femme, morts en 1352. Son père, Jacques Marcel, et sa sœur, avoient aussi leur sépulture sous le même tombeau.
Chapelle d'Orléans.
Elle contenoit un grand nombre de monuments très-remarquables, savoir:
Un tombeau de marbre, orné dans son pourtour des statues des douze apôtres et de celles de plusieurs saints. Sur ce tombeau étoient couchées quatre figures, représentant Louis de France, duc d'Orléans, Valentine de Milan sa femme, et leurs deux fils, Charles, duc d'Orléans, et Philippe d'Orléans, comte de Vertus[317].
Près de ce mausolée, trois grandes tables de marbre, sur lesquelles étoient gravés quatre écussons des armes de France et d'Orléans, contenoient des inscriptions, monuments de la piété de Louis XII, petit-fils de Louis et de Valentine de Milan.
Assez près de ce tombeau, et du côté de l'autel, on voyoit ce fameux groupe des trois Grâces, sculptées en albâtre par Germain Pilon; elles étoient debout sur un piédestal, se tenant par la main, et soutenoient sur leur tête une urne de bronze doré, dans laquelle étoient renfermés les cœurs de Henri II, de Catherine de Médicis, de Charles IX et de François de France, duc d'Anjou, son frère[318].
À l'autre extrémité du tombeau des ducs d'Orléans s'élevoit, sur un piédestal triangulaire en porphyre, une colonne de marbre blanc semée de flammes. Cette colonne supportoit une urne de bronze doré, dans laquelle étoit renfermé le cœur de François II. Au pied de la colonne trois enfants ou génies aussi en marbre blanc, tenoient chacun un flambeau. Une inscription annonçoit que ce monument avoit été érigé par Charles IX[319].
À l'entrée de la chapelle, une urne de bronze posée sur une grande colonne de marbre blanc, chargée de feuillages et de moulures, renfermoit le cœur d'Anne de Montmorenci, connétable de France, tué à la bataille de Saint-Denis le 12 novembre 1567. Cette colonne étoit élevée sur un piédestal de marbre, et accompagnée de trois statues qui représentoient des vertus. Le tout étoit de la main de Barthélemi Prieur.
Des tables noires placées au-dessous de ces figures contenoient des vers français et latins, et une inscription en prose à la louange de cet homme illustre[320].
Dans le mur, sur un tombeau de marbre noir, étoit une statue en marbre blanc, à demi couchée. Cette figure, due au ciseau de Jean Cousin, représentoit Philippe Chabot, amiral de France sous François Ier, mort en 1543.
Au bas de cette statue le même artiste avoit placé une petite figure de la Fortune, couchée et dans l'attitude de l'abattement[321].
À côté de ce mausolée, on en voyoit un autre de marbre blanc, sur lequel étoit la statue d'un homme mort, dont la tête étoit soutenue par un petit génie. Un autre génie placé à ses pieds semble dérouler le manteau ducal qui l'enveloppe. Cette figure étoit celle de Henri Chabot, duc de Rohan, pair de France, gouverneur d'Anjou, mort en 1655[322].
Vis-à-vis, et de l'autre côté de la chapelle, sur un piédestal de marbre noir, étoient deux génies appuyés sur un bouclier; au-dessus s'élevoit une colonne en marbre blanc, chargée de chiffres et de colonnes ducales. L'entablement, à quatre faces, et couvert des mêmes ornements, supportoit une urne dorée, dans laquelle étoit le cœur de Timoléon de Cossé, comte de Brissac, colonel-général de l'infanterie, grand-panetier et grand-fauconnier de France, tué au siége de Mucidan en 1569.
Le mausolée de la maison d'Orléans-Longueville étoit un des monuments les plus considérables de cette chapelle; il se composoit d'une pyramide en marbre blanc, chargée de trophées en bas-relief, accompagnée, aux quatre angles de son piédestal, des quatre vertus cardinales, et de deux bas-reliefs dorés qui en occupoient les deux faces principales, représentant, l'un le secours d'Arques, et l'autre la bataille de Senlis. Ce mausolée, qui renfermoit les cœurs de plusieurs ducs de Longueville, avoit été commencé pour celui de Henri Ier, qui mourut à Amiens en 1595, des suites d'un coup de mousquet[323]; il fut achevé par Anne Geneviève de Bourbon, pour Henri II, duc de Longueville, son époux, fils du précédent, et mort en 1663. On y avoit aussi déposé les restes de Charles-Pâris d'Orléans son fils, tué au passage du Rhin en 1672. Toute la sculpture en fut alors composée et exécutée par François Anguier[324].
Au côté droit de l'autel, sur un tombeau de marbre noir, étoit couchée une petite statue de marbre blanc, représentant Renée d'Orléans, comtesse de Dunois, morte à Paris en 1525, à l'âge de sept ans[325].
Dans le fond de la chapelle, et sous une arcade vitrée, on voyoit une petite urne peinte et dorée, où étoient renfermées les entrailles du jeune duc de Valois et de Marie-Anne de Chartres, enfants du duc d'Orléans et de Marguerite de Lorraine, tous les deux morts en bas âge en 1656[326].
Dans la même chapelle étoient encore inhumés:
Jean de Montauban, mort en 1407.
Bonne Visconti de Milan, sœur de Valentine, duchesse d'Orléans, morte en 1468.
Arthus de Montauban, archevêque de Bordeaux, mort en 1468.
François d'Espinay, seigneur de Saint-Luc, grand-maître de l'artillerie de France, tué au siége d'Amiens en 1597.
Jeanne de Cossé sa femme, morte en 1602.
François de Roncherolle, dit de Maineville, tué au siége de Senlis en 1689.
Chapelle de Rostaing.
Cette chapelle, située derrière celle d'Orléans, avoit été construite en 1652 par Charles, marquis de Rostaing, en l'honneur de sa famille, qui paroît avoir été infatuée de sa noble extraction au point de se rendre un peu ridicule[327]. Les armoiries de cette maison et celles de ses alliances faisoient l'unique ornement de cette chapelle. Celle qui étoit destinée à sa sépulture étoit dans l'église des Feuillants[328].
Chapelle des dix mille Martyrs.
Au côté méridional de l'église des Célestins étoit une autre église voûtée et séparée de la première par plusieurs piliers. C'est là qu'avoit été située jadis cette chapelle des Martyrs abattue depuis long-temps. Son existence étoit constatée par plusieurs inscriptions, qui apprenoient que la première pierre en avoit été posée par le cardinal de Bourbon, archevêque de Lyon; la dédicace du nouveau bâtiment fut faite en 1482, par Louis de Beaumont, évêque de Paris.
Chapelle de Gêvres ou de Saint-Léon.
Elle avoit été bâtie par François, duc de Luxembourg et d'Épinay, sur une partie de l'emplacement de la chapelle des dix mille martyrs, et dédiée, le 19 juin 1621, par Pierre Scaron, évêque de Grenoble, sous l'invocation de la Sainte-Vierge, des dix mille martyrs et de saint Pierre de Luxembourg. Cette chapelle, qui étoit celle des ducs de Gêvres, avoit pris, au commencement du siècle dernier, le nom de saint Léon, patron d'un des chefs de cette maison. Elle contenoit plusieurs tombeaux remarquables.
Du côté de l'épître étoit le mausolée de René Potier, duc de Tresmes, etc. etc., mort en 1670. Sa statue, en marbre blanc, étoit à genoux sur ce monument.
Contre le mur du chœur et du côté de l'évangile, on voyoit, sur un tombeau de marbre blanc, la statue également à genoux de Marguerite de Luxembourg, sa femme, morte en 1645.
Louis Potier, marquis de Gêvres, leur fils, tué, en 1643, au siége de Thionville, avoit sa sépulture dans cette chapelle. Il y étoit aussi représenté à genoux, et armé de pied en cap[329].
Vis-à-vis étoit le tombeau de Léon Potier, duc de Gêvres, premier gentilhomme de la chambre, etc., mort en 1704.
Plusieurs autres personnages illustres y avoient encore leur sépulture et leurs épitaphes; savoir:
François de Gêvres, fils du précédent, mort en 1685.
Louis de Gêvres, marquis de Gandelus, mort en 1689.
Bernard-François de Gêvres, duc de Tresmes, pair de France, etc., mort en 1739.
Dans la nef étoit un tombeau de marbre noir adossé contre le mur du chœur, sur lequel la passion de Jésus-Christ étoit représentée en marbre blanc. Une inscription apprenoit que ce monument avoit servi de sépulture aux deux chanceliers Guy et Guillaume de Rochefort, morts en 1492 et 1527, ainsi qu'à plusieurs de leurs descendants. (Ce tombeau a été détruit.)
Auprès de ce tombeau, et du même côté, étoit la statue, en pierre de liais, de Charles de Maigné, capitaine des gardes de la porte sous Henri II. Il étoit représenté assis, vêtu de l'habit de guerre, et la tête appuyée sur le bras gauche. Ce monument, exécuté par Paul Ponce, avoit été érigé à ce gentilhomme en 1556, par Martine de Maigné sa sœur[330].
Chapelle de la Magdeleine ou de Noirmoustier.
Dans cette chapelle avoient été inhumés,
Claude de Beaune, femme de Claude Gouffier, marquis de Boissy, duc de Rouanez, morte en 1561.
Louis de La Trémouille, marquis de Noirmoustier, etc., mort en 1613.
Charlotte de Beaune, femme de François de La Trémouille, et mère du précédent, morte en 1617.
Dans la nef étoit le tombeau de Zamet, ce financier fameux qui, né dans l'indigence et l'obscurité, vint d'Italie en France, où il trouva le moyen non-seulement d'acquérir des richesses immenses, mais encore d'obtenir les bonnes grâces de Henri IV. Ses richesses et sa considération passèrent à ses descendants, dont plusieurs avoient leur sépulture dans ce même tombeau, élevé pour sa famille par Sébastien Zamet, abbé de Saint-Arnould de Metz, évêque et duc de Langres. On y lisoit trois épitaphes de ces divers personnages.
Dans le cloître avoit été inhumé Antoine Perez, ministre de Philippe II, accusé de trahison, et réfugié en France, où il mourut en 1611.
Dans le chapitre, une tombe peu élevée contenoit les cendres de Philippe de Maizières, chevalier, chancelier de Chypre du temps de Pierre de Lusignan, mort en 1405.
Il y avoit encore dans cette église plusieurs autres tombeaux de prélats, présidents, conseillers au parlement, etc. etc., dont le détail seroit peu intéressant, et passeroit d'ailleurs les bornes que nous devons donner à ces sortes de nomenclatures[331].
VITRAUX DES CÉLESTINS.
Ces vitraux, précieux par leur antiquité, ne l'étoient pas moins par l'authenticité des portraits qu'ils représentoient. Les plus anciens, placés au fond du chœur vers la sacristie, offroient les portraits du roi Jean et de Charles V dans la proportion de dix-huit pouces de hauteur[332].
Les autres ornoient la chapelle d'Orléans, et représentoient également onze rois ou princes avec les costumes du temps. Dans l'origine on n'en comptoit que sept; mais l'explosion de la tour de Billy les ayant détruits, François Ier, qui les fit rétablir, y ajouta le sien, celui de François, dauphin, et de Henri, duc d'Orléans, ses deux fils aînés. On y joignit depuis le portrait de Charles IX. Une inscription latine placée sous chaque portrait faisoit connoître le personnage qu'il représentoit.
Ces derniers portraits, dégradés par le temps, et restaurés à diverses reprises, ont été presque entièrement détruits pendant la révolution; et à peine en restoit-il quelques débris, que l'on conservoit aux Petits-Augustins. On les attribue à un Flamand nommé Van Orlay, qui florissoit vers 1535.
Le cloître des Célestins passoit pour un des plus beaux de Paris, surtout à cause de la délicatesse des sculptures dont ces arcades étoient ornées. La bibliothèque, décorée avec le même soin, contenoit environ dix-sept mille volumes, parmi lesquels on remarquoit des ouvrages rares et plusieurs manuscrits très-curieux. Le jardin, spacieux et bien situé, régnoit le long des murs de l'Arsenal[333]. Dans le cloître étoit la salle de la confrérie des secrétaires du roi. L'institution de cette confrérie sous l'invocation des quatre évangélistes datoit du temps même de l'établissement du monastère.
L'ARSENAL[334].
On ne peut douter que les rois de France, commandant à une nation guerrière, et occupés de guerres continuelles, n'aient eu dans tous les temps des arsenaux; mais on ignore absolument en quel endroit de Paris étoient ces grands dépôts d'armes, sous la première et la seconde race, même pendant les deux premiers siècles de la troisième. Le premier arsenal, dont l'existence soit bien prouvée, étoit situé dans l'enceinte du Louvre. Nous en trouvons la preuve dans les comptes des baillis de France, rendus en la chambre en 1295. Il y est parlé des arbalètes, des nerfs et des cuirs de bœufs, du bois, du charbon, et autres menues nécessités du service de l'artillerie. Les comptes des domaines, des treizième et quatorzième siècles, sont remplis des noms et des pensions de ceux qui avoient la direction de cet arsenal; ils y sont désignés sous le nom d'artilleurs ou canonniers, maîtres des petits engins, gardes et maîtres de l'artillerie.
Les registres des œuvres royaux de la chambre des comptes font foi qu'en 1391 la troisième chambre de la tour du Louvre étoit pleine d'armes; que cette pièce ayant été destinée à recevoir des livres, ces armes en furent enlevées, et qu'en 1392 la basse cour, qui étoit du côté de Saint-Thomas-du-Louvre, servoit d'arsenal. Nos rois ont eu aussi de l'artillerie et des munitions de guerre au jardin de l'hôtel Saint-Paul, à la Bastille, à la tour de Billy[335], à la tour du Temple et à la Tournelle.
La ville de Paris possédoit de son côté un arsenal particulier. On comptoit autrefois, outre son hôtel, plusieurs endroits dans lesquels elle avoit des dépôts d'armes et de munitions de guerre. Mais son établissement le plus vaste en ce genre étoit situé derrière les Célestins, dans une partie de ce terrain dont nous avons déjà parlé, et qui se nommoit le Champ au Plâtre. Cet emplacement étoit si vaste qu'en 1396 Charles VII en donna une partie à son frère le duc d'Orléans, qui y fit construire un hôtel; et que ce qui restoit fut encore suffisant pour y bâtir des granges et les autres bâtiments dont l'ensemble constitue un arsenal. La ville en jouit paisiblement jusqu'en 1533, que François Ier, ayant résolu de faire fondre des canons, emprunta l'une de ces granges, avec promesse de la rendre aussitôt que cette opération seroit finie. Pour accélérer cette opération, il en emprunta, peu de temps après, une seconde. Cette fois-ci la ville n'obéit qu'avec beaucoup de répugnance: elle prévoyoit sans doute que la restitution n'auroit pas lieu; et en effet, elle n'étoit pas encore effectuée en 1547. À cette époque, Henri II, voulant faire construire d'autres fourneaux pour une nouvelle fonte de canons, demanda encore au prévôt des marchands et échevins quelques bâtiments de l'arsenal, en leur faisant dire toutefois que la ville avisât à ce qu'elle vouloit pour dédommagement. Ces magistrats acquiescèrent à la demande du roi, et la promesse du dédommagement fut oubliée. Ce prince, devenu ainsi maître de tout l'arsenal, y construisit plusieurs logements pour les officiers de l'artillerie, sept moulins à poudre, deux grandes balles et plusieurs autres bâtiments. Tout cela fut presque ruiné le 28 janvier 1562, par un accident qui mit le feu à près de vingt milliers de poudre.
Henri IV, ayant acquis quelques terrains des Célestins, fit beaucoup d'augmentations à l'arsenal; il l'embellit d'un jardin, et fit planter le long de la rivière un mail qui a été détruit[336] vers le milieu du siècle dernier; sous Louis XIII et Louis XIV, on y ajouta quelques embellissements; en 1713, on détruisit une grande partie des anciens bâtiments; enfin, en 1718, ceux qui existent encore aujourd'hui commencèrent à s'élever sous la direction de l'architecte Germain Boffrand.
Cet établissement étoit divisé en deux parties, que l'on nommoit le grand et le petit Arsenal. Le grand avoit cinq cours, et le petit deux, lesquelles communiquoient les unes avec les autres. Dans le premier étoient les appartements du grand-maître, du lieutenant-général et du secrétaire-général; dans l'autre, celui du contrôleur-général, etc.
On y voyoit deux fonderies construites sous Henri II, et dans lesquelles on a fabriqué autrefois une très-grande quantité de pièces d'artillerie; mais depuis long-temps elles avoient cessé d'être employées à ce service, parce que Louis XIV avoit jugé plus convenable de faire fondre l'artillerie sur les frontières des pays où il portoit la guerre. Sous son règne, le seul usage qu'on en tira fut de les faire servir à la fonte des statues qui décorent le jardin de Marly et de Versailles.
Au-dessus de la grande porte qui étoit située en face du quai, près du couvent des Célestins, et qu'on avoit décorée de canons en place de colonnes, étoit une table de marbre sur laquelle on lisoit les deux vers suivants composés par Nicolas Bourbon:
Ætna hæc Henrico Vulcania tela ministrat,
Tela giganteos debellatura futuros.
L'architecture de la seconde porte étoit d'un meilleur goût: on prétend que les ornements en avoient été sculptés par Jean Goujon.
Dans l'intérieur de l'Arsenal il y avoit un bailliage de l'artillerie de France, lequel connoissoit de toutes les affaires civiles et criminelles dans l'enclos de sa juridiction. Les appels en ressortissoient directement au parlement.
HÔTELS.
ANCIENS HÔTELS DÉTRUITS.
Hôtel Saint-Paul.
Nous avons eu souvent occasion de parler, dans la partie historique de ce livre, de cette maison royale que Charles V fit bâtir pour être l'hôtel solennel des grands ébattements, ainsi qu'il est marqué dans son édit du mois de juillet 1364. Ce prince n'étoit encore que dauphin lorsqu'il acheta de Louis, comte d'Étampes, et de Jeanne d'Eu sa femme, leur hôtel situé rue Saint-Antoine, lequel s'étendoit depuis le cimetière Saint-Paul jusqu'aux jardins de l'archevêque de Sens. Dans les deux années suivantes il acquit encore l'hôtel de ce prélat, et un autre hôtel connu sous le nom de Saint-Maur. Quelque vaste que fût l'emplacement de ces édifices, Charles V et ses successeurs l'agrandirent encore en y joignant celui de Pute y Muce, et plusieurs autres; en sorte qu'il comprenoit tout l'espace qui s'étend depuis la rue Saint-Paul jusqu'aux Célestins, et depuis la rue Saint-Antoine jusqu'à la rivière, à la réserve de l'église, du cimetière Saint-Paul, et des granges de Saint-Éloi.
Cet hôtel, comme toutes les maisons royales de ce temps-là, étoit flanqué de grosses tours; l'on trouvoit alors, et l'on avoit raison d'en juger ainsi, que ces constructions massives donnoient à de tels édifices un caractère de puissance et de majesté. Le roi, la reine, les enfants de France, les princes du sang, les connétables, les chanceliers et les grands en faveur, y avoient d'immenses appartements, la plupart accompagnés de chapelles, de jardins, de préaux, de galeries; on y comptoit plusieurs grandes cours, une entre autres si spacieuse qu'on y faisoit des exercices de chevalerie, et qu'elle en avoit pris le nom de Cour des Joutes.
Les historiens nous ont conservé des détails assez curieux sur l'appartement du roi: il consistoit d'abord en une grande antichambre et une chambre de parade, appelée la chambre à parer. Cette pièce, qui avoit quinze toises de long sur six de large, étoit aussi nommée chambre de Charlemagne. À la suite de cette chambre, on trouvoit successivement celle du gîte du roi, celle des nappes, la chambre d'étude, celle des bains, etc. Les poutres et solives des principaux appartements étoient enrichies de fleurs de lis d'étain doré. Il y avoit des barreaux de fer à toutes les fenêtres, avec un treillage de fil d'archal pour empêcher les pigeons de venir faire leurs ordures dans les appartements. Les vitres, peintes de différentes couleurs, et chargées d'armoiries, de devises et d'images de saints et de saintes, étoient semblables en tout aux vitraux des anciennes églises. On n'y voyoit d'autres siéges que des bancs ou des escabelles. Le roi seul avoit des chaises à bras garnies de cuir rouge avec des franges de soie. Les lits étoient de drap d'or[337]. L'histoire et les mémoires du temps nous apprennent que les chenets de fer de la chambre du roi pesoient cent quatre-vingts livres.
Les jardins n'étoient pas plantés d'ifs et de tilleuls, mais de pommiers, de poiriers, de vignes et de cerisiers. On y voyoit la lavande, le romarin, des pois, des fèves, de longues treilles et de belles tonnelles. C'est d'une treille qui faisoit la principale beauté de ces jardins, et d'une belle allée plantée de cerisiers, que l'hôtel, la rue Beautreillis et la rue de la Cerisaie ont pris leurs noms.
Les basses-cours étoient flanquées de colombiers et remplies de volailles que les fermiers des terres et domaines du roi étoient tenus de lui envoyer, et qu'on y engraissoit pour sa table et pour celles de ses commensaux. On y voyoit aussi une volière, une ménagerie pour les grands et petits lions, etc. Le principal corps-de-logis de l'hôtel Saint-Paul et la principale entrée étoient du côté de la rivière, entre l'église Saint-Paul et les Célestins.
Charles V unit cet hôtel au domaine par son édit du mois de juillet 1364, et ordonna qu'il n'en seroit jamais démembré pour quelque cause et raison que ce pût être. Cependant, soit qu'il tombât en ruines, ou que le palais des Tournelles parût alors plus commode, en 1516 François Ier en permit l'aliénation, et vendit d'abord quelques-uns des édifices qui le composoient. Le reste fut acheté, en 1551, par divers particuliers qui commencèrent à bâtir et à percer les rues encore existantes aujourd'hui sur le vaste terrain qu'occupoit cet hôtel.
Hôtel de Beautreillis.
Cet hôtel avoit été construit sur une partie de l'emplacement de l'hôtel Saint-Paul. Il contenoit plusieurs corps-de-logis, des cours, des jardins et un jeu de paume. Toutefois il paroît que ces constructions avoient été faites avec peu de soin, car, dès 1548, le roi Henri II en ordonna l'aliénation. Le parlement ayant jugé nécessaire de faire une information préalable et nommé des commissaires à cet effet, on voit, par le procès-verbal qu'ils dressèrent le 13 avril 1554, que cet hôtel tomboit en ruine, et que, pour l'utilité et la décoration de la ville, on en pouvoit diviser l'emplacement en trente-sept places à bâtir, et percer une rue sur le jardin; ce qui fut exécuté.
Hôtel de Lesdiguières[338].
Cet hôtel avoit été bâti dans la rue qui porte ce nom, par Sébastien Zamet, ce financier fameux dont nous avons déjà eu occasion de parler. Il étoit très-considérable, et les jardins qui en dépendoient s'étendoient jusqu'à la rue Saint-Antoine.
Ses héritiers le vendirent à François de Bonne, duc de Lesdiguières et connétable de France. Il passa ensuite, par succession, dans la maison de Villeroi; et enfin il fut vendu dans le siècle dernier à des particuliers qui le firent démolir. Plusieurs maisons en prirent la place, et sur son emplacement on perça un passage. C'est dans cet hôtel que logea, en 1717, le czar Pierre, pendant le séjour qu'il fit à Paris.
Hôtel de la Barre.
Cet hôtel, situé dans la rue de Jouy, est célèbre dans l'histoire par la destinée extraordinaire d'un de ses possesseurs, Jean de Montaigu, grand-maître de l'hôtel du roi, lequel termina, par une mort tragique et ignominieuse, une vie qui avoit été remplie de toutes les faveurs de la fortune. Avant lui, ce manoir avoit appartenu à Hugues Aubriot, prévôt de Paris, qui l'avoit reçu en présent de Charles V. Il étoit passé ensuite à Pierre de Giac, chancelier de France; et ce fut encore par une libéralité du roi, qui lui accorda en même temps les vieux murs de la ville, lesquels s'étendoient depuis la rue Saint-Antoine jusqu'à son jardin. Ceci se passa en 1383; et cet édifice s'appeloit alors la Maison du Porc-épic. On ignore à quel titre elle fut ensuite possédée par le duc de Berri; mais on a la certitude que ce fut lui qui, en 1404, la donna à Jean de Montaigu, dont nous venons de parler.
Celui-ci y fit des augmentations considérables; mais ayant eu la tête tranchée en 1409, Charles VI donna cet hôtel à Guillaume de Bavière, après la mort duquel ce prince en fit encore présent à Jean de Bourgogne, duc de Brabant. Différents titres nous apprennent qu'au commencement du seizième siècle cet édifice avoit été divisé, donné ou vendu à divers particuliers. Il s'étendoit depuis la rue Percée jusqu'aux anciens murs, et de ce dernier côté il étoit appelé l'hôtel de la Barre. On voit, par le censier de l'évêché de 1498, qu'anciennement il avoit été nommé Maison des Marmouzets.
Hôtel de Jouy et de Châlis, etc.
Dans cette même rue étoit, au treizième siècle, l'hôtel de l'abbé et des religieux de Jouy.
Les religieux de Châlis y possédoient aussi un hôtel.
Les religieux de Preuilli avoient leur hôtel dans la rue Geoffroi-l'Asnier.
Hôtel des Barbeaux.
Vis-à-vis le couvent de l'Ave-Maria étoit l'hôtel des Barbeaux. Cet hôtel devoit son nom à l'abbaye de Portus Sacer ou Barbeaux, près Melun. On l'avoit bâti sur un terrain que Philippe-le-Hardi donna à ce monastère en 1279.
Chantier du Roi.
En face de cet hôtel, du côté de la rivière, on avoit construit, sur une place que le roi destina à cet effet le 13 novembre 1392, un bâtiment de vingt-deux toises de profondeur sur six et demi de large, qu'on appela le Chantier du Roi. On en abattit une partie en 1606, pour continuer le quai Saint-Paul, et le reste fut donné, en 1614, à Jean Fontaine, maître de la charpenterie. Depuis, l'édifice entier a été démoli, pour faciliter la décharge des bateaux qui débarquent au port Saint-Paul.
Hôtel Saint-Maur.
Il étoit situé sur l'emplacement où a été depuis percée la rue Neuve-Saint-Paul, et fut destiné à faire les écuries d'Isabelle de Bavière. Cette circonstance lui fit donner le nom d'Hôtel des écuries de la Reine.
HÔTELS EXISTANTS EN 1789.
Hôtel de Sens.
L'ancien hôtel de Sens, demeure des archevêques de ce siége, étoit situé sur le quai des Célestins, à quelque distance de celui qui existe aujourd'hui. Charles V ayant désiré l'avoir pour agrandir son hôtel de Saint-Paul, l'archevêque Guillaume de Melun le lui vendit au commencement du seizième siècle[339]. Tristan de Salazar, l'un de ses successeurs, fit depuis rebâtir cet hôtel comme on le voit aujourd'hui[340]. Les traditions nous apprennent que la reine Marguerite, première femme de Henri IV, y vint loger à son retour d'Auvergne.
AUTRES HÔTELS
LES PLUS REMARQUABLES DE CE QUARTIER.
- Hôtel d'Aumont, rue de Jouy.
- —— de Beauvais, même rue.
- —— de Fourci, rue de Fourci.
FONTAINES.
Fontaine des Lions.
Elle est située dans la rue qui porte le même nom, et n'offre rien de remarquable dans son exécution.
RUES ET PLACES
DU QUARTIER SAINT-PAUL.
Rue Neuve-Saint-Anastase. Elle aboutit d'un côté à celle de Saint-Paul, vis-à-vis l'église, et de l'autre, en faisant un retour d'équerre, à la rue des Prêtres-Saint-Paul. Il paroît que cette rue est celle que le censier de Saint-Éloi, de 1367, indique sous le nom de ruelle Saint-Paul; les plans du milieu du dix-septième siècle n'en font pas mention.
Rue des Barrés. Cette rue, qui aboutit au carrefour de l'hôtel de Sens et à la rue Saint-Paul, doit son nom aux Carmes qu'on appeloit ainsi à cause de leurs manteaux de deux couleurs. On sait que ces religieux, lors de leur arrivée à Paris, furent établis au lieu occupé depuis par les Célestins; et la rue dont nous parlons conduisoit à leur couvent. À son extrémité étoit une porte du même nom. L'une et l'autre ont aussi été appelées des Béguines, parce que le couvent de ces filles y étoit situé. Enfin, dans le dix-septième siècle, la rue avoit été nommée rue des Barrières. C'est ainsi qu'elle est désignée dans Corrozet, Sauval, de Chuyes, et sur les plans de Gomboust, Bullet, De Fer, De l'Isle, etc.; quoique long-temps auparavant, sous le règne de François Ier, on la nommât déjà rue Barrée ou des Barrés, nom qu'elle porte encore aujourd'hui.
Rue de Beautreillis. Un de ses bouts donne dans la rue Saint-Antoine, et l'autre se termine à la rencontre des rues Gérard-Boquet, des Trois-Pistolets et Neuve-Saint-Paul. Il paroît, par les anciens plans, qu'elle se prolongeoit autrefois jusqu'à la rue des Lions. Sauval dit qu'elle s'appeloit alors Gérard-Bacquet[341]. Une partie en a véritablement le nom; mais celui de Beautreillis, dont nous avons déjà fait connoître l'étymologie, est le plus ancien, et cette rue le prit parce qu'elle avoit été percée sur les jardins de l'hôtel qui le portoit avant elle.
Rue de la Cerisaie. Elle commence à la rue du Petit-Musc, et aboutit à la cour du petit Arsenal. Cette rue est une de celles qui furent percées sur l'emplacement de l'hôtel Saint-Paul, et nous avons déjà dit qu'elle prit son nom d'une avenue plantée de cerisiers qu'elle remplaçoit. Jaillot présume qu'anciennement il y avoit eu une rue dans ce même endroit; il dit avoir lu dans un cartulaire de Saint-Maur qu'au mois d'avril 1269 on donna à Bertaud de Canaberiis un arpent et quatre toises et demie de terre dans la culture de Saint-Éloi, pour y bâtir et faire une rue, et l'acte porte que ces quatre toises et demie faisoient partie d'une masure et dépendances sise hors les murs, et contiguë à la maison ou église ou monastère de l'ordre de la bienheureuse Marie du Mont-Carmel.
Rue de l'Étoile. Elle aboutit à l'extrémité de la rue des Barrés dont elle faisoit anciennement partie, et au port Saint-Paul. Son nom est dû à une maison appelée le Château de l'Étoile[342]; elle a aussi porté celui des Petites-Barrières, parce que la rue des Barrés étoit ainsi nommée, comme nous l'avons dit ci-dessus. Dans le procès-verbal de 1637 elle est simplement indiquée petite ruelle descendant au chantier du roi. Jaillot croit que c'est elle qu'on trouve dans quelques titres sous la dénomination de Petite-Barrée, Tillebarrée et de l'Arche dorée; il se fonde sur ce que l'Arche dorée étoit l'enseigne d'une maison contiguë au château de l'Étoile, et qui appartenoit au sieur Dorée. Cette rue a depuis été nommée l'Arche-Beaufils. Le même nom fut aussi donné au quai sur lequel elle aboutissoit; et, par corruption, ce quai fut dans la suite appelé Mofils et Monfils.
Rue du Fauconnier. Elle va de la rue des Prêtres-Saint-Paul à l'extrémité des rues du Figuier et des Barrés. Son véritable nom est des Fauconniers; elle est indiquée ainsi dans Guillot, Corrozet, et sur tous les plans exacts. Cette rue est ancienne, car on trouve, dans le Trésor des chartes, qu'au mois d'avril 1265 les Béguines acquirent une maison en la censive de Tiron, rue aux Fauconniers.
Rue du Figuier. Elle commence comme la précédente, et suit la même direction. Dès 1300 elle portoit ce nom, et il ne paroît pas qu'elle en ait changé.
Rue de Fourci. Elle traverse de la rue Saint-Antoine à celle de Jouy. Ce n'étoit anciennement qu'un cul-de-sac, appelé, en 1313, ruelle Sans-Chief; en 1642, rue Sans-Chef; en 1657, cul-de-sac Sancier. Ce nom a été altéré presque dans le même temps, car de Chuyes et Gomboust la nomment rue Censée et Sansée. Elle doit sa dénomination actuelle à M. Henri de Fourci, prévôt des marchands, qui fit percer ce cul-de-sac et ouvrir la rue jusqu'à celle de Jouy. Le premier plan où elle se trouve est celui de De Fer, publié en 1692.
Rue Geoffroi-l'Asnier. Elle traverse de la rue Saint-Antoine au quai de la Grève. On trouve que, dans le quatorzième siècle et même au milieu du quinzième, on l'appeloit Frogier et Forgier-l'Asnier, quoique, dès 1445, elle fût indiquée sous le nom de Geoffroi-l'Asnier. Cette rue doit sans doute son nom à la famille des l'Asnier, qui étoit fort connue; et il est vraisemblable qu'un Geoffroi l'Asnier aura fait substituer son prénom à celui de Frogier[343].
Rue Gérard-Boquet. Elle fait la continuation de la rue Beautreillis depuis la rue Neuve-Saint-Paul jusqu'à celle des Lions; anciennement elle n'en étoit pas distinguée, comme on peut le voir dans de Chuyes et sur les plans de Gomboust, Bullet, Jouvin et autres. Les auteurs qui sont venus après la nommoient rue du Pistolet; on l'a ensuite appelée Gérard-Boquet et Gérard-Bouquet, du nom d'un particulier, et pour ne pas la confondre avec la rue des Trois-Pistolets qui vient y aboutir.
Rue des Jardins. Elle aboutit d'un côté à la rue des Barrés, et de l'autre à celle des Prêtres-Saint-Paul: Sauval n'a pas fait mention de cette rue, qui existoit cependant au treizième siècle; elle est ainsi nommée dans deux contrats de vente faits par l'abbé et le couvent du Val-des-Écoliers en 1277 et 1298[344]; elle est indiquée sous le même nom dans les archives de l'archevêché de 1302, et dans le censier de Saint-Éloi de 1367; elle l'avoit pris des jardins sur lesquels elle a été ouverte, lesquels aboutissoient aux murs de l'enceinte de Philippe-Auguste.
Rue de Jouy. Cette rue, qui va de la rue Saint-Antoine à celle des Prêtres-Saint-Paul, doit son nom à l'hôtel que l'abbé et les religieux de Jouy y avoient dans le treizième siècle[345]; on l'appeloit rue à l'Abbé-de-Joy, et elle conservoit encore ce nom dans le siècle suivant; elle a été aussi quelquefois appelée rue des Juifs, par corruption du nom de Jouy, et se prolongeoit alors jusqu'aux murs, où il y avoit une fausse poterne, ce qui l'a fait aussi nommer rue de la Fausse-Poterne-Saint-Paul; mais elle ne portoit ce dernier nom que depuis la rue des Nonaindières.
Rue Lesdiguières. C'est un passage qui conduit de la rue de la Cerisaie à celle de Saint-Antoine: il doit son nom à l'hôtel de Lesdiguières, situé jadis, en cet endroit, et sur l'emplacement duquel il a été percé.
Rue des Lions. Elle traverse de la rue Saint-Paul à celle du Petit-Musc. Sur le plan de Dheulland elle est figurée sans nom, et Corrozet n'en fait pas mention; ainsi on ne peut guère faire remonter son origine au-delà du règne de Charles IX. Elle doit son nom à la partie de l'hôtel Saint-Paul où l'on gardoit des lions du roi.
Rue de la Masure. Elle va de la rue de la Mortellerie à la place aux Veaux ou quai des Ormes. Les anciens plans ne lui donnent aucun nom; elle n'est pas même figurée sur celui de Gomboust: il paroît cependant qu'elle existoit plus de cent ans auparavant, car Corrozet la désigne sous le nom général d'une descente à la rivière.
Rue de la Mortellerie. La partie de cette rue qui se trouve dans ce quartier commence au coin de la rue Geoffroi-l'Asnier, et finit au carrefour de l'hôtel de Sens[346].
Rue du Petit-Musc. Cette rue, qui traverse de la rue Saint-Antoine au quai des Célestins, occupe une partie de l'ancien Champ-au-Plâtre et d'une voirie qui y étoit située, d'où l'on a prétendu que lui venoit le nom de Put-y-Muce qu'elle portoit anciennement. Sauval[347] dit qu'en 1358 elle s'appeloit du Petit-Muce et de Pute-y-Muce. Corrozet a jugé à propos de la nommer rue de la Petite-Pusse, quoique sous le règne de François Ier, et même dès 1450, elle fût connue sous le nom du Petit-Musse. Germain Brice avoit avancé que la rue du Petit-Musc étoit ainsi appelée par altération du mot latin petimus, parce que Charles VI avoit fait construire sur l'emplacement qu'elle occupe un logement pour les maîtres des requêtes; et toutes celles qu'on leur présentoit étant en langue latine, suivant l'usage de ces temps-là, commençoient ainsi: Petimus. Piganiol a relevé cette erreur en prouvant que l'hôtel des maîtres des requêtes étoit dans la rue Saint-Paul. Jaillot ajoute que cette rue étoit ouverte avant le règne de Charles VI, et que cent ans auparavant il existoit un hôtel du Petit-Musc, dont cette rue a pris le nom, ou auquel elle avoit donné le sien.
Rue des Nonaindières. Elle va depuis la rue de Jouy jusqu'au quai des Ormes, en face du pont Marie: on devroit écrire et prononcer rue des Nonains-d'Hières, nom qu'elle porte dans tous les titres. En effet, Ève, abbesse d'Hières, acheta en cette endroit une maison en 1182[348], et c'est certainement ce qui a fait donner à la rue le nom de ces religieuses. Sauval dit que, de son temps, cette maison s'appeloit maison de la Pie[349].
Rue du Paon-Blanc. Elle descend de la rue de la Mortellerie sur le quai des Ormes ou place aux Veaux. Valleyre ne l'énonce que comme un cul-de-sac, quoiqu'il ne paroisse pas qu'elle ait jamais été fermée à aucune de ses extrémités. Corrozet ne l'indique que sous le nom de Descente à la rivière. Quelques auteurs lui ont donné les noms de la Porte ou de l'Arche dorée, qui ne conviennent qu'à la rue de l'Étoile.
Rue Saint-Paul. Elle commence à la rue Saint-Antoine, et aboutit au quai et port Saint-Paul. Cette rue est très-ancienne, puisqu'elle doit son nom à l'église Saint-Paul, qui elle-même est d'une grande antiquité.
Rue des Prêtres-Saint-Paul. Elle fait la continuation de la rue de Joui, et aboutit à la rue Saint-Paul. Nous avons déjà fait observer que la rue de Joui se prolongeoit jusqu'aux murs de l'enceinte de Philippe-Auguste, et que dans cet endroit il y avoit une fausse porte, qui fit donner à cette partie le nom de la Fausse-Poterne-Saint-Paul. Lorsqu'on continua cette rue jusqu'à celle de Saint-Paul, on lui conserva d'abord cette même dénomination de rue de la Fausse-Poterne; depuis on lui a donné le nom de Prêtres-Saint-Paul, parce que la plupart de ceux qui desservoient cette église avoient leur domicile dans cette rue.
Rue Neuve-Saint-Paul. Elle va d'un bout dans la rue Saint-Paul, et aboutit de l'autre au coin de celles de Beautreillis et Gérard-Boquet: elle a été ouverte sur l'ancien emplacement de l'hôtel Saint-Maur. Le voisinage de l'église Saint-Paul lui a fait donner le nom qu'elle porte aujourd'hui.
Rue Percée. Elle aboutit d'un côté à la rue Saint-Antoine, et de l'autre à celle des Prêtres-Saint-Paul. Cette rue est ancienne; Guillot en fait mention, et l'appelle rue Percié; on lit aussi rue Perciée dans le rôle de 1313, et ce nom n'a pas changé depuis.
Rue des Trois-Pistolets. Elle fait la continuation de la rue Neuve-Saint-Paul depuis la rue de Beautreillis jusqu'à celle du Petit-Musc, et doit son nom à une enseigne.
QUAIS.
Quai des Célestins. Il commence à la rue Saint-Paul, et finit à l'Arsenal. Il est inutile de dire que ce quai, qui fut refait et pavé en 1705, doit son nom aux religieux qui se sont établis dans son voisinage.
Quai des Ormes. Suivant La Caille, il s'étend depuis la rue Geoffroi-l'Asnier jusqu'à celle du Paon-Blanc. D'autres le placent entre la rue des Nonaindières et celle de l'Étoile, et le nomment Mofils et Monfils. En 1586, ce lieu fut destiné par la ville au débâclage des bateaux, jusqu'aux Célestins[350]; et la place aux Veaux y fut transférée par arrêt du 8 février 1646.
Quai Saint-Paul. Il règne depuis le quai des Ormes jusqu'à la rue Saint-Paul. C'est celui de Paris qui a le moins d'étendue; et c'est là qu'arrivent le poisson d'eau douce et les fruits, et qu'on en fait la vente.
MONUMENTS NOUVEAUX
ET RÉPARATIONS FAITES AUX ANCIENS MONUMENTS DEPUIS 1789.
Arsenal. Il a été opéré de grands changements dans les constructions de l'Arsenal: 1o une partie de la porte d'entrée du grand Arsenal et le pavillon situé à l'entrée de la grande cour ont été abattus pour l'ouverture d'une large rue nommée rue de Sully, qui vient aboutir au nouveau boulevart. Ce pavillon réunissoit les deux parties du bâtiment où se trouve la bibliothèque; 2o le jardin a été détruit et remplacé par le boulevart dont nous venons de parler; 3o l'esplanade, anciennement nommée le Mail, qui suit le bord de l'eau depuis les Célestins jusqu'au fossé, forme un nouveau quai, dont les travaux sont maintenant achevés; 4o le petit Arsenal a été démoli en grande partie, pour l'ouverture d'une autre rue qui donne également sur le boulevart, et qu'on nomme rue Neuve-de-la-Cerisaie. Les deux pavillons encore existants sont occupés, l'un par l'administration générale, l'autre par la raffinerie des salpêtres.
La bibliothèque de Monsieur a été placée dans les bâtiments du grand Arsenal.
Greniers de réserve. Ils ont été commencés en 1807, par M. Delaunay, sur l'ancien jardin de l'Arsenal. Ces greniers forment une longue ligne de cinq pavillons carrés liés entre eux par quatre grands corps de bâtiments, et s'étendent le long du boulevart, depuis la pointe du grand Arsenal jusqu'au petit. Chaque façade offre 67 croisées en arcades au-dessus desquelles ont été pratiquées autant d'ouvertures carrées. L'intérieur est divisé en plusieurs planchers où l'on conserve le grain. Si l'on ne considère un édifice que sous le rapport de l'utilité, celui-ci remplit son but; mais, sous le rapport de l'harmonie qui doit régner dans toutes les parties d'une composition, il laisse à désirer.
La Gare. On pousse avec activité les travaux de cette gare qui n'est point encore achevée. La voûte qui doit s'étendre sous le pavé de la place de la Bastille est en partie terminée; et la poudrière que l'on avoit établie dans les fossés a été démolie.
RUES NOUVELLES.
Rue Neuve-de-la-Cerisaie. (Voyez p. 975.)
Rue de Sully. (Voyez id.)