Tableau historique et pittoresque de Paris depuis les Gaulois jusqu'à nos jours (Volume 4/8)
QUARTIER DU TEMPLE,
OU DU MARAIS.
Ce quartier est borné à l'orient par les boulevarts et par la rue de Mesnil-Montant inclusivement; au septentrion, par les extrémités des faubourgs du Temple et de la Courtille inclusivement; à l'occident, par la grande rue des mêmes faubourgs et par la rue du Temple inclusivement, jusqu'au coin de celle des Vieilles-Haudriettes; et, au midi, par les rues des Vieilles-Haudriettes, des Quatre-Fils, de la Perle, du Parc-Royal et Neuve-Saint-Gilles inclusivement.
On y comptoit, en 1789, soixante-quatre rues, quatre culs-de-sac, deux communautés d'hommes, trois couvents et une communauté de filles, le Temple, un hôpital, etc.
PARIS SOUS FRANÇOIS Ier.
Sous le règne de François Ier, dont nous allons extraire tous les événements qui offrent quelque rapport avec l'histoire de Paris, nous ne trouvons pas qu'il se soit passé rien de remarquable dans le quartier du Temple, si l'on en excepte la fondation de l'hôpital des Enfants-Rouges, monument de la charité de ce monarque et de Marguerite de Valois, reine de Navarre, sa sœur.
Paris, si long-temps agité par les fureurs des factions, avoit goûté, sous les deux règnes précédents, et principalement sous le gouvernement paternel de Louis XII, un repos et un bonheur qu'aucun nuage n'avoit troublés. Les diverses branches de son administration civile s'étoient perfectionnées; les mœurs y étoient devenues moins grossières; une communication plus active avec des peuples plus policés y avoit déjà fait naître une industrie plus raffinée, un luxe mieux entendu, et même quelque goût des beaux-arts. Le règne que nous allons décrire va développer ces germes d'un état social en apparence plus parfait; les François, et par-dessus tout les Parisiens, ne mériteront plus ce nom de Barbares que leur donnoit depuis long-temps l'Italie moderne, devenue alors pour l'Europe ce que la Grèce antique avoit été jadis pour le monde entier. Mais de tristes réalités sont cachées sous ces apparences si brillantes qui, même après plusieurs siècles, séduisent encore les yeux du vulgaire, et ne sont appréciées ce qu'elles valent que par un petit nombre de bons esprits. Au milieu de ce mouvement inquiet des intelligences vers une science vaine et des arts que l'on peut appeler futiles, la foi déjà ébranlée continue de s'affoiblir au milieu des sociétés chrétiennes, la foi sans laquelle aucune société, même païenne, ne peut subsister; et la civilisation, qui semble avancer, rétrograde en effet au milieu de l'Europe, de jour en jour plus policée. Ainsi se préparent, en particulier pour la France, des malheurs nouveaux qui, commençant à la menacer sous le règne que nous allons décrire, éclateront tout à coup sous les règnes suivants, et formeront la partie la plus longue et la plus déplorable de son histoire.
Les préjugés d'honneur chevaleresque qui avoient si malheureusement entraîné Charles VIII et Louis XII hors de leurs États, qui leur avoient fait épuiser, pour des conquêtes impossibles à conserver, le sang de leurs sujets et les trésors de la France, avoient été adoptés plus avidement encore par leur successeur, jeune, ardent, amoureux de la gloire, et par conséquent de la guerre: car on ne connoissoit point alors de gloire plus éclatante que celle des armes. (1515.) Les premiers moments de son règne furent à peine accordés à établir quelques réglements indispensables pour l'administration intérieure: le gouvernement de Paris, qu'il avoit donné d'abord à Charles de Bourbon, fut presque aussitôt transféré à François de Bourbon, comte de Saint-Pol; il fit quelques mutations d'offices, des réglements de discipline militaire, plusieurs changements utiles dans la constitution du parlement[404]. Mais au milieu de ces travaux passagers, les soins de la guerre l'occupoient tout entier; impatient de laver dans le sang ennemi la honte des armées françoises à Novarre et à Guinegaste, d'abaisser l'orgueil des Suisses, toutes ses pensées étoient tournées vers le duché de Milan, dont la conquête lui sembloit le seul événement qui pût dignement signaler son avénement à l'un des premiers trônes du monde. Les traités qu'il essaya inutilement de faire avec le pape, l'empereur et le roi d'Espagne pour n'être point troublé dans cette grande entreprise, lui prouvèrent ce qu'il étoit d'ailleurs si facile de prévoir, que l'Europe entière voyoit d'un œil défiant et jaloux ses projets ambitieux, et qu'un ennemi vaincu alloit lui susciter des ennemis nombreux et redoutables. Mais de telles considérations n'étoient pas de nature à arrêter un jeune prince courageux et sans expérience, parce qu'effectivement aucun de ces grands souverains n'étoit alors dans une position à pouvoir leur susciter de véritables obstacles. Pénétrant donc hardiment en Italie, sans autres alliés que les Vénitiens, il défait complétement les Suisses, seuls défenseurs du Milanois, à la fameuse bataille de Marignan, s'empare encore une fois de ce duché, force le pape surpris et déconcerté à signer une paix que ce pontife étoit bien décidé à rompre aussitôt qu'il auroit pu lui susciter des adversaires plus redoutables, et rentre dans ses États après avoir réglé l'administration de sa nouvelle conquête.
Cette conquête, doublement fatale à la France, fut le germe de toutes les guerres qui désolèrent le règne de François Ier, et la principale cause des malheurs d'une administration dont le caractère noble et généreux du monarque avoit fait mieux augurer. Mais elle devint pour Léon X, qui occupoit alors la chaire pontificale, une heureuse occasion d'obtenir enfin l'abolition entière de cette trop fameuse pragmatique qui, depuis près d'un siècle, constituoit le clergé de France dans un état de rébellion continuelle à l'égard du saint Siége[405]: car, nous devons le répéter, les papes ne l'avoient jamais ni approuvée ni reconnue, et ne pouvoient en effet l'approuver et la reconnoître sans se dépouiller eux-mêmes de leur suprématie, sans renoncer aux titres de successeurs de Pierre, de vicaires de Jésus-Christ. Leurs adversaires, par les efforts mêmes qu'ils n'avoient cessé de faire pour obtenir leur consentement à cette règle nouvelle de discipline, avoient constamment rendu témoignage à l'autorité supérieure qu'ils entreprenoient de détruire, et dont ils annonçoient ainsi ne pouvoir se passer pour sanctionner sa propre destruction. Leur prétention principale avoit été de placer les conciles au-dessus des papes: et dans ce moment même un concile[406] et un pape réunis se préparoient à casser et à anathématiser les décrets par lesquels ils vouloient établir ce principe de rébellion. Que des motifs purement humains aient déterminé François Ier à transiger avec Léon X; qu'il n'ait point compris que la concession qu'en cette circonstance il pensoit faire au pape, étoit en effet l'événement le plus désirable pour lui-même, pour le maintien de son autorité, nous dirons plus, pour la stabilité de sa couronne, c'est ce qu'il ne s'agit point d'examiner ici; mais, ce qui est digne de l'attention de tous les bons esprits, c'est que, dans cette grande affaire, le chef de l'Église donna une preuve nouvelle de cet esprit de prudence et de modération dont la cour de Rome ne s'est jamais départie. Inflexible sur tout ce qui pouvoit porter atteinte aux droits sacrés qu'il étoit de son devoir de transmettre ainsi qu'il les avoit reçus, le pontife accorda tout ce qu'il lui étoit possible d'accorder pour le maintien de la paix, demeurant toujours, selon les paroles d'un illustre écrivain[407], «cette autorité pleine, entière, en ce qui concerne l'ordre spirituel, indépendante des circonstances et de la volonté des hommes, à l'abri de tout affoiblissement, de toute variation, ne connoissant de limites que celles, qu'elle s'impose elle-même, selon les besoins de l'Église et l'exigence des temps, et ne se montrant jamais plus grande que lorsqu'elle s'abaisse et triomphe de ses propres droits, par un glorieux effort de charité et par une secourable condescendance pour ceux qu'elle est appelée à régir.» (1517.) Des négociations furent donc entamées et conduites, du côté du roi par le chancelier Duprat, du côté du saint Père par deux cardinaux qu'il nomma à cet effet; et le résultat de leurs conférences fut un projet de traité dans lequel l'Église, reprenant tout ce qu'il lui étoit impossible de céder, se montra très-facile sur plusieurs articles de la pragmatique qu'il n'y avoit que peu d'inconvénient à conserver[408]. Il fut reçu et confirmé par le concile de Latran, dans sa onzième session; et c'est la constitution nouvelle, depuis si célèbre sous le nom de Concordat.
L'esprit de révolte contre l'autorité spirituelle étoit déjà tellement répandu en France, l'entêtement y étoit si grand pour la pragmatique et pour les prétendues libertés dont elle sembloit être la sauvegarde, que le roi, qui s'attendoit à de vives réclamations, peut-être même à de fâcheuses résistances, demeura comme indécis pendant une année entière, et comme s'il eût craint de rompre le silence à ce sujet. Enfin, la chose ayant transpiré de tous côtés, surtout par la publicité donnée aux actes du concile de Latran, il se décida à faire connoître sa volonté, et à l'exprimer de manière à ce que l'on fût bien convaincu qu'il étoit résolu de la faire exécuter. François se rendit donc au parlement au milieu de l'appareil le plus imposant; et là le chancelier, prenant la parole, exposa, dans un long discours, que la pragmatique étoit l'unique cause des guerres qui désoloient la France depuis un demi-siècle; que la crainte d'une ligue nouvelle de toutes les puissances de l'Europe soulevées contre lui par le pape, avoit déterminé le roi à sacrifier quelques réglements dont l'importance ne pouvoit être comparée aux malheurs qu'auroit entraînés une résistance téméraire et impolitique; que le nouveau concordat, gage de la réconciliation du pape et de la paix de l'Europe, avoit été confirmé par le concile de Latran; que, sauf les élections qui blessoient directement l'autorité du pape, on y avoit ménagé les priviléges du clergé et des universités en ce qui concernoit les bénéfices; enfin, que la volonté du roi étoit que le parlement l'enregistrât sans élever la moindre difficulté, et sans se permettre la plus petite résistance; et, pour prouver ensuite que ce prince étoit décidé à user de toute son autorité, sur quelques remontrances que fit le président au sujet d'une ordonnance nouvelle, relative à la police des eaux et forêts, le chancelier répondit avec aigreur, même avec menaces, et exigea l'enregistrement pur et simple de cette ordonnance.
Le parlement se montra dans cette circonstance ce qu'il n'avoit point encore été, et fit voir ce que plus tard il pourroit être. Quelques jours après cette séance où le roi avoit parlé en maître qui vouloit être obéi, ayant reçu les lettres-patentes par lesquelles il lui étoit ordonné d'enregistrer et de faire exécuter le concordat, il ne fit qu'une réponse évasive au chancelier et au connétable qui les lui apportèrent. Lorsque les bulles du pape lui furent présentées, il nomma des commissaires pour faire l'examen de la nouvelle constitution qui y étoit contenue; et l'avocat-général, qui avoit provoqué cet examen, eut alors la hardiesse de se déclarer opposant à l'enregistrement, et de requérir de la cour que, nonobstant la révocation de la pragmatique, elle ne continuât pas moins d'en suivre les décrets dans tous ses jugements. La hardiesse du parlement fut plus grande encore: sur ce que le roi, impatienté des lenteurs qu'il mettoit dans cette affaire, lui avoit envoyé le bâtard de Savoie, son oncle, pour lui enjoindre de la terminer au plus vite, et avec ordre d'admettre ce prince à toutes ses délibérations, cette cour osa se plaindre d'une démarche qu'elle prétendoit attentatoire à ses droits et à ses libertés. Enfin l'ordre positif lui ayant été donné, et avec menaces, de délibérer en la présence de l'envoyé du roi, le résultat de cette délibération, qu'elle prolongea plus qu'il ne convenoit de le faire, fut un refus formel d'enregistrer et de publier le concordat.
Il n'y avoit point encore d'exemple d'une semblable résistance aux volontés du roi, de la part de sa cour de justice; elle prenoit, dans cette circonstance, un caractère nouveau qui montroit à quel point toutes les idées étoient changées en France depuis l'établissement de la pragmatique; et en effet il ne faut point chercher ailleurs (et nous le prouverons tout à l'heure) que dans cette loi de révolte contre l'autorité spirituelle, le principe de cette mutinerie contre le pouvoir temporel, qui, de toutes parts, commençoit à se manifester. Toutefois cet essai que le parlement faisoit de ses forces ne pouvoit réussir dans l'état actuel des choses, et avec un prince tel que François Ier. Il étoit à Amboise lorsqu'on lui apporta le résultat des délibérations de cette cour; et sur-le-champ il ordonna qu'elle eût à lui envoyer des députés pour lui faire connoître les motifs de son arrêt. Ces députés furent reçus comme ils méritoient de l'être; le roi ne voulut pas les entendre, et après quelques paroles très-dures sur leurs remontrances, «Je suis roi de France, leur dit-il; je ne prétends pas qu'il y ait un sénat comme à Venise; le parlement ne doit se mêler que de rendre la justice; j'ai travaillé à donner la paix à mon royaume, j'en ai pris les moyens sûrs; et on ne défera pas en France ce que j'ai fait en Italie pour le bien de mon État.» Puis, ajoutant plusieurs autres menaces, il ordonna aux députés de partir à l'instant; et en même temps il dépêcha au parlement le seigneur de La Trémouille, chargé de lui signifier l'ordre le plus positif de procéder sur-le-champ à l'enregistrement. Ce ne fut qu'à cette dernière extrémité, et après s'être bien assuré que le roi étoit résolu de se porter à toutes sortes de violences s'il n'obtenoit satisfaction, que le parlement se décida à faire l'enregistrement, mais avec cette clause tout aussi nouvelle que le reste: Du très-exprès commandement du roi, plusieurs fois réitéré, conservant ainsi, même dans son obéissance, le caractère de révolte qu'il avoit pris et qu'il étoit résolu de ne plus quitter.
Cette conduite du parlement peut cependant être appelée modérée, si on la compare à celle que tint l'université dans cette circonstance. Ici la résistance fut poussée jusqu'à la folie et mêlée d'emportements que l'on a peine à concevoir. C'étoit dans ce corps, de tout temps possédé d'un esprit de mutinerie et d'indépendance que l'indulgence excessive de nos rois avoit sans cesse fortifié et en quelque sorte encouragé, que la pragmatique et les doctrines licencieuses sur lesquelles elle étoit établie avoient trouvé leurs plus habiles et leurs plus ardents défenseurs. Gerson, Almain, Jean Major et leurs disciples, que l'on peut appeler les précurseurs de Luther, avoient paru en France à la tête de ces théologiens dont nous avons déjà parlé, qui, mettant les conciles au-dessus des papes, prétendoient consacrer, dans le gouvernement de l'Église, le dogme de la souveraineté du peuple[409]. Par une inévitable conséquence de cette théologie révolutionnaire, ils menaçoient déjà d'en faire l'application au gouvernement des princes temporels, et l'école entière étoit infectée de ces théories détestables que nous verrons se développer par degré dans la pratique jusqu'à nos jours, où elles ont reçu leur dernier accomplissement. L'université s'étoit donc empressée de se réunir au parlement dans l'affaire du concordat, et avoit même manifesté son opposition avec encore plus de chaleur et de violence. À peine eut-elle reçu la nouvelle de l'enregistrement qu'elle éclata en murmures et en reproches contre les membres de cette compagnie, les accusant de lâcheté et de collusion, quoiqu'il fût évident qu'ils n'avoient cédé qu'après une résistance jusqu'alors sans exemple et poussée par eux jusqu'aux dernières extrémités. Elle convoqua aussitôt des assemblées, où furent appelés les avocats les plus célèbres, les plus dévoués à sa cause, et dans lesquelles il fut résolu que l'on demanderoit la convention d'un concile national. Défense expresse fut faite par elle aux imprimeurs, sur lesquels elle avoit alors toute puissance, d'imprimer, vendre et afficher le concordat, sous peine de privation de leurs priviléges et de la perte de leur état. Les prédicateurs, soumis à son influence, et soutenus d'ailleurs par le clergé dont presque tous les membres partageoient ce délire, déclamèrent hautement dans leurs sermons contre la cour de Rome, la cour, les ministres, et n'épargnèrent pas même la personne du roi. Le parlement, qui probablement n'étoit point fâché de voir se manifester avec tant d'éclat une opinion à laquelle il étoit loin d'avoir renoncé et qu'il ne désespéroit point de pouvoir soutenir encore, ne songea point d'abord à réprimer ces mouvements coupables et ces provocations séditieuses; l'indifférence qu'il parut y mettre fut telle, que le roi, toujours éloigné de la capitale, dès qu'il eut été instruit de ces désordres et de l'impunité dont ils jouissoient, lui écrivit une lettre très-sévère, dans laquelle, le rendant responsable de tous les malheurs qui pourroient en résulter, il le menaçoit de lui ôter la haute police de la capitale, puisqu'il s'acquittoit si mal de ses fonctions dans une circonstance aussi grave. La cour s'excusa auprès de lui, sur l'ignorance où elle prétendit être de toutes les folies, insolences et témérités des prédicateurs et des étudiants, et suivant ici cette marche qu'elle s'étoit tracée, laquelle étoit d'obéir sans réplique sur l'absolu commandement du roi, elle manda sur-le-champ les principaux des colléges, et, après leur avoir fait de fortes réprimandes, leur enjoignit, sous les peines les plus graves, de tenir les écoliers étroitement renfermés, de s'abstenir de toute assemblée et tout discours séditieux.
Toutefois le roi, peu rassuré par cette démarche, jugea à propos d'employer des moyens plus rigoureux, et dont Louis XII avoit déjà fait connoître l'efficacité. Deux compagnies d'archers, commandées par des seigneurs de la cour, arrivèrent à Paris; les placards séditieux de l'université furent arrachés; on emprisonna et l'on condamna à de fortes amendes, quelques-uns de ses principaux membres, ainsi que les avocats qui lui avaient servi de conseil. Tout rentra aussitôt dans l'ordre, et le concordat fût paisiblement imprimé, publié et affiché. Néanmoins le parlement, comme s'il eût prévu dès lors que la puissance toute populaire qu'il avoit commencé à s'arroger, ne pouvoit s'élever et se consolider que sur les ruines de l'autorité spirituelle (et il en avoit sans doute un pressentiment qui seul peut expliquer une opiniâtreté aussi inconcevable), le parlement, dis-je, continua de juger toutes les affaires en matières bénéficiales, conformément aux décrets de la pragmatique, affectant toujours de méconnoître le concordat; et l'on ne parvint à donner une action véritable à cette loi nouvelle qu'en ôtant à cette compagnie la connoissance de ces sortes d'affaires, pour l'attribuer au grand-conseil: ce qui n'arriva néanmoins qu'après la prison et la délivrance du roi.
Ce seroit cependant une erreur de croire que le parlement, si opposé à l'autorité du pape, et presque rebelle à celle du roi, fût composé d'hommes sans religion et d'ennemis de la monarchie. La plupart de ses membres étoient alors et furent encore pendant long-temps des personnages graves et réguliers dans leurs mœurs, fermes dans leur croyance, dévoués au prince, et ne respirant que le bien de l'État. Mais ils étoient possédés de cette passion qu'ont tous ceux qui jouissent d'un pouvoir quelconque, de l'accroître, de l'étendre, tant qu'il n'est pas aussi grand et aussi étendu qu'il pourroit être: et c'est là ce qui les attachoit si fortement à des doctrines dont il est probable qu'ils ne sentoient pas toutes les conséquences, mais qu'ils jugeoient très-bien être extrêmement favorables à leurs vues ambitieuses. Aussi les verrons-nous, partagés ainsi entre leurs principes et leurs affections, tomber plus d'une fois dans les contradictions les plus étranges, et selon qu'ils seront ainsi poussés d'un côté ou d'un autre, devenir des instruments de perte ou de salut pour la monarchie. Mais le temps n'étoit pas encore venu où le parlement pût se permettre impunément de semblables libertés; et ses résistances, tant que dura ce règne, ne produisirent pour lui que des humiliations nouvelles, et des coups d'autorité encore plus fâcheux que le premier.
Peu de temps après l'événement du concordat, commença entre François Ier et Charles d'Autriche, devenu roi d'Espagne, cette rivalité fameuse, cette haine implacable et envenimée qui inonda l'Europe de sang, et produisit les plus grands événements dont elle eût été le théâtre depuis plusieurs siècles. La première cause de cette division fut le dépit qu'éprouva le roi de France de la préférence accordée à Charles pour la dignité d'empereur que François désiroit avec ardeur, et qu'il s'étoit flatté d'obtenir. Il chercha dès lors à lui susciter des ennemis dans toute l'Europe, et peut-être y seroit-il parvenu sans l'inquiétude qu'inspiroient sa nouvelle conquête du Milanais et la puissance colossale de la France: cette considération l'emporta sur toutes les craintes que pouvoit causer son rival. Le pape, avec lequel il négocia, traita d'abord avec lui, pour l'abandonner dès qu'il eut reconnu qu'un tel allié étoit pour lui plus dangereux qu'un ennemi; les intrigues du nouvel empereur, désormais connu dans l'histoire sous le nom de Charles-Quint, détachèrent également de son alliance le roi d'Angleterre, alors entièrement dirigé par son premier ministre, le cardinal Wolsey; et, par un retour de fortune auquel le roi de France étoit loin de s'attendre, la guerre éclata bientôt de tous côtés contre lui. François a des succès dans les Pays-Bas et sur les frontières d'Espagne, mais en Italie tout semble se réunir pour l'accabler: les peuples du Milanais se révoltent; le pape se déclare ouvertement son ennemi; il est mal secondé par ses alliés, les Suisses et les Vénitiens, toujours alarmés d'un voisinage aussi dangereux; Lautrec, son général, ne peut agir, faute d'argent; enfin, après une résistance opiniâtre, le combat sanglant de la Bicoque décide du succès de la campagne, et le duché de Milan est de nouveau évacué par les François.
L'embarras des finances, l'une des premières causes de tant de désastres, s'étoit fait sentir dès les commencements de la guerre. Pour réparer un déficit causé en grande partie par les prodigalités auxquelles le roi se livroit au milieu de la cour nombreuse et galante dont il se plaisoit à être entouré[410], il fallut employer des moyens extraordinaires, et par conséquent nuisibles et violents. Parmi les ressources qu'imagina alors l'industrie financière, deux surtout sont remarquables: une somme de 200,000 liv. demandée à la ville de Paris en 1521, et la vénalité des offices établie quelque temps après. Ce n'étoit pas la première fois que les rois de France s'adressoient au corps municipal pour en tirer des secours dans leurs nécessités urgentes; mais jusqu'ici les sommes qu'ils en avoient obtenues leur avoient toujours été accordées à titre de don. Cette fois-ci elles furent considérées comme un emprunt portant intérêt jusqu'à l'entier remboursement; et, pour faciliter le paiement de cet intérêt fixé à douze pour cent, le roi céda aux officiers municipaux le produit des droits qu'il prélevoit sur tout le vin qui se consommoit dans Paris. Dès que cette disposition fut connue, les contribuables à l'emprunt, envers qui l'on craignoit d'être forcé d'employer la contrainte, s'empressèrent, au contraire, d'y porter leur argent; et, assurés désormais d'en tirer un intérêt si lucratif, ils craignirent plutôt qu'ils ne sollicitèrent leur remboursement. C'est là le premier exemple des rentes perpétuelles en France, et le germe d'une des plus grandes maladies de l'État. «François, dit l'un de nos historiens, abusant de la dangereuse facilité que lui offroit l'oisive opulence des bourgeois, recourut plus d'une fois à cet expédient ruineux[411]. Ses successeurs, plus embarrassés encore que lui, ne manquèrent pas de suivre son exemple: la classe stérile des rentiers se multiplia, et a toujours continué depuis à dévorer la substance de l'État.»
La multiplication et la vénalité des offices ne furent pas établies avec la même facilité. Le parlement, sans être découragé par les échecs qu'il avoit déjà essuyés, s'éleva fortement contre une nouveauté qu'il considéroit comme dangereuse et tendant à remplir toutes les parties de l'administration de sujets indignes d'y être admis par leurs mauvaises mœurs ou par leur incapacité. Il osa même renvoyer avec mépris trois conseillers convaincus d'avoir obtenu à prix d'argent leurs lettres de nomination. Le chancelier fit des représentations qui ne furent point écoutées, envoya des lettres de jussion, auxquelles on n'eut point égard. Jugeant alors qu'un nouveau coup d'autorité étoit nécessaire, il ne se contenta pas d'exiger, par l'absolu commandement du roi, l'admission des trois conseillers; mais pour déconcerter et accabler à la fois le parlement, en lui faisant voir le peu de puissance et de crédit qu'auroient désormais ses remontrances, il fit ordonner en même temps l'enregistrement d'un édit portant création d'une quatrième chambre, composée de dix-huit conseillers et de deux présidents. La cour, traitée avec cette dureté et ce mépris, se soumit comme elle l'avoit déjà fait, mais avec toutes les protestations et formalités qui constatoient la violence qui lui étoit faite, et de plus avec des distinctions si injurieuses pour les nouveaux membres qu'on vouloit introduire dans son sein, que les acheteurs d'offices s'en dégoûtèrent et n'osèrent plus se présenter. Il fallut de nouveaux ordres plus positifs encore, des menaces encore plus effrayantes pour les forcer à se relâcher de leur première sévérité; et néanmoins ce ne fut que long-temps après, et lorsque les anciennes charges eurent été soumises à la vénalité comme les nouvelles, que toute espèce d'inégalité fut enfin bannie entre les membres de cette compagnie. Le parlement se crut en cette circonstance bien humilié, bien outragé: nous pensons au contraire que, s'il eût bien compris les intérêts nouveaux qu'il prétendoit se faire, et ce qui étoit favorable à cet amour de pouvoir et d'indépendance dont il étoit possédé, au lieu de s'opposer à la vénalité des charges et de s'en affliger, il auroit dû s'en réjouir et la provoquer. Par la même raison, on peut s'étonner que le roi n'ait pas vu que rien n'étoit plus propre qu'une telle mesure à relever ceux qu'il vouloit abaisser: on se trompoit des deux côtés[412].
Cependant, malgré ces mesures extraordinaires, qui devoient, disoit-on, terminer heureusement la guerre, non-seulement il fallut abandonner le Milanais, comme nous venons de le dire, mais encore François vit se former contre lui une ligue de tous les États de l'Europe pour la conservation de l'Italie, qu'il menaçoit encore. Pour déjouer cette ligue, il lui auroit suffi de se renfermer quelque temps dans son royaume, où il étoit difficile de l'attaquer avec succès; mais une conduite aussi prudente, un plan qui offroit des apparences de crainte et de timidité, ne pouvoient convenir à ce bouillant courage: il résolut de tenir tête à tout, et ne fut ébranlé, ni par le nombre et le concert de ses ennemis, ni par la défection du connétable de Bourbon, que les persécutions de la duchesse d'Angoulême, mère du roi, et la perte injuste d'un procès qu'elle lui avoit suscité, ne peuvent justifier d'avoir trahi son roi et de s'être armé contre sa patrie.
Ce dernier événement étoit fait surtout pour exciter les plus vives alarmes, car on ignoroit dans l'intérieur jusqu'où s'étendoient les fils de la conspiration; et avant même qu'elle eût éclaté, une fermentation sourde dont la misère publique sembloit être la cause, des désordres et des brigandages commis audacieusement dans diverses parties de la France et jusque dans le sein de la capitale, avoient déjà fait craindre d'y voir renouveler les scènes horribles dont elle avoit été le théâtre sous Charles V et Charles VI. Cependant Paris resta fidèle et donna au roi une nouvelle preuve de son dévouement, en offrant de lever à ses frais un corps de mille hommes d'infanterie. François fut si touché de cet acte de patriotisme, qu'il alla lui-même à l'Hôtel-de-Ville exprimer la satisfaction qu'il ressentoit de la conduite des Parisiens. Il donna en même temps des marques de sa bienveillance au parlement, en le rassurant sur le bruit qui s'étoit répandu qu'il alloit créer à Poitiers une nouvelle cour de justice; mais il fallut encore enregistrer de nouvelles créations d'offices qui fournissoient à ce prince de l'argent dont il avoit un si grand besoin; et, fidèle à la tactique qu'il avoit adoptée, le parlement ne le fit encore que par exprès commandement.
Depuis bien des années, la France n'avoit point été menacée d'un péril aussi imminent. L'empereur, le roi d'Angleterre, le pape, tous les princes de l'Empire, tous les États d'Italie, étoient réunis contre elle dans une confédération générale; et elle n'avoit d'autres alliés que les Suisses, sur lesquels l'expérience avoit appris qu'il falloit peu compter. Indépendamment de douze mille Allemands qui s'étoient joints à elle, l'armée angloise, augmentée de toutes les forces des Pays-Bas, traversoit la Somme sans presque rencontrer d'obstacles, et sembloit annoncer le dessein de marcher droit sur Paris. D'un autre côté, toutes les milices impériales rassemblées à Pampelune se préparoient à fondre sur les provinces méridionales. À des forces si redoutables et qui menaçoient de pénétrer jusqu'au cœur du royaume, on n'avoit à opposer qu'un très-petit nombre de soldats: car, par une imprudence qui tenoit à ce malheureux système des conquêtes dont le roi ne vouloit point se départir, presque toutes les troupes françoises étoient passées en Italie, et il n'étoit déjà plus temps de les rappeler. Ces extrémités auxquelles il étoit réduit fournirent à ce prince une occasion nouvelle de donner des preuves de la fermeté de son âme et de l'activité de son courage. Il étoit alors à Lyon, où il attendoit un renfort de dix mille Suisses, résolu de se porter ensuite avec eux partout où sa présence seroit le plus nécessaire: craignant que l'approche des Anglois, ou le regret qu'un grand nombre avoient encore du connétable ne causât à Paris quelque fermentation dangereuse, et sentant de quelle importance il étoit pour lui de conserver surtout sa ville capitale, il se hâta d'y envoyer Philippe de Chabot, seigneur de Brion. C'étoit alors le temps des vacances du parlement: Brion, s'étant présenté à la chambre des vacations, annonça l'arrivée prochaine du duc de Vendôme avec deux cents lances et deux mille hommes, ajoutant que le roi lui-même étoit prêt à le suivre avec toutes ses forces et celles de ses alliés, si Paris venoit à courir le moindre danger; qu'obligé de séjourner encore quelque temps à Lyon, le prince envoyoit à ses habitants, comme un gage de son affection particulière et du soin qu'il prendroit de les défendre, sa femme et ses enfants qui résideroient au milieu d'eux; qu'il ne craignoit point ses ennemis tant qu'il pourroit compter sur la fidélité de sa bonne ville de Paris. Peignant ensuite le connétable sous les couleurs les plus odieuses, le représentant comme l'unique cause d'une guerre que l'empereur et le roi d'Angleterre n'eussent jamais osé entreprendre, si ce traître ne les eût flattés d'une révolution complète, ne leur eût promis la ruine et le partage de son pays; étalant ensuite à leurs yeux le spectacle de toutes les horreurs qui désoleroient la France si son plan exécrable pouvoit obtenir quelque succès, il finit en disant que le roi désiroit que son parlement reprît sur-le-champ ses fonctions, qu'il fût exclusivement chargé de la haute police, qu'il l'exerçât avec plus de vigueur que jamais, et donnât son avis sur les mesures qu'il étoit nécessaire de prendre dans des circonstances aussi graves.
Le président de la chambre ne répondit au discours de l'envoyé du roi que par des protestations du plus entier dévouement. Il rappela les diverses circonstances dans lesquelles les Parisiens avoient donné à leurs souverains des marques éclatantes de leur fidélité; et, quant à ce qui regardoit la cour, il lui déclara qu'elle n'avoit point attendu les exhortations du monarque pour prendre toutes les précautions que la sûreté de Paris pouvoit exiger. En sortant du parlement, le sire de Brion se rendit à l'Hôtel-de-Ville, où il répéta le même discours, à peu près dans les mêmes termes, et annonça également l'arrivée très-prochaine du duc de Vendôme. Ce prince entra, en effet, peu de jours après à Paris, et sort premier soin fut de mettre en bon état les moyens de défense que la ville pouvoit offrir. Les anciennes fortifications furent réparées; on en commença de nouvelles entre la porte Saint-Honoré et celle de Saint-Martin; mais on les abandonna avant qu'elles fussent achevées, pour élever à la place de petits bastions où l'on plaça quelques pièces d'artillerie. Le parlement, de son côté, ordonna une levée de deux mille hommes, qui furent pris parmi les habitants et joints à la garnison.
Cependant tant de précautions devinrent inutiles, et les alarmes nouvelles auxquelles Paris alloit être bientôt livré, les malheurs dont le royaume entier devoit être accablé, vinrent du côté où l'on devoit le moins les attendre. Le duc de Vendôme et le sire de La Trémouille repoussèrent les Anglois, qui, après avoir fait quelques dégâts dans la Picardie, se virent obligés de se retirer dans leur île. Les Allemands entrés en Champagne en furent également chassés par le duc de Guise. La guerre se fit en Espagne avec moins de bonheur et de vivacité; mais enfin les frontières méridionales de la France ne furent point entamées. Il étoit décidé que l'Italie seule seroit la source de tous nos maux: l'amiral Bonivet, à qui la faveur de la duchesse d'Angoulême avoit fait donner la conduite de cette guerre, la soutint, la première année, avec quelques avantages qui furent bientôt suivis des plus grands revers. L'année suivante, abandonné par les Suisses, battu par le connétable, la désastreuse retraite de Rebec lui fit perdre en un moment tout ce que deux campagnes lui avoient fait si difficilement acquérir. Ce fut alors que le roi, obstiné dans ses projets sur le Milanais (1525.), rentra en Italie, où, après quelques succès dont l'éclat sembloit annoncer l'avenir le plus heureux, il livra la malheureuse bataille de Pavie, qu'il perdit par sa faute, et dans laquelle il fut fait prisonnier.
Il seroit difficile de donner une idée de la consternation que répandit dans la France entière, et surtout à la cour, la nouvelle de ce grand désastre. La personne du roi étoit aimée; mais ce fatal système de guerres et de conquêtes qu'il avoit adopté, et les efforts qu'il lui avoit fallu faire pour le soutenir, et les revers dont ce système avoit été accompagné ou suivi, avoient rendu l'administration de ce prince plus dure que celle de ses prédécesseurs; pour avoir été contenu dans de justes bornes, le parlement croyoit avoir été humilié, opprimé; la classe nombreuse des habitants de Paris qui faisoit cause commune avec lui partageoit ses ressentiments; et l'on accusoit principalement de toutes ces vexations ceux qui, dans ce malheur général, étoient appelés à prendre la conduite des affaires, la duchesse d'Angoulême et le chancelier. Toutefois ce ne fut pas dans ces premiers moments d'un désastre commun à tous que l'on songea à manifester la moindre opposition. La misère publique, grande partout, extrême à Paris, faisoit craindre dans cette capitale des désordres nouveaux, et plus affreux peut-être dans leurs suites que tous ceux qu'on y avoit prouvés jusqu'alors: aussi le parlement, dès qu'il eut reçu de la régente des lettres qui lui enjoignoient de veiller à la sûreté publique, s'empressa-t-il de convoquer à l'hôtel-de-ville une assemblée générale, à laquelle se trouvèrent des députés de toutes les cours supérieures, du chapitre et de l'université; et l'on peut juger des alarmes qu'inspiroit la situation de Paris par les précautions qui furent prises pour y maintenir la tranquillité. Il fut arrêté que toutes les portes de la ville seroient murées, à la réserve de cinq[413] que l'on jugea nécessaires pour les approvisionnements; que ces portes, ouvertes à sept heures du matin et fermées à huit heures du soir, seroient continuellement gardées par des magistrats et autres notables bourgeois; et, afin que personne ne pût refuser de s'acquitter de ce devoir, le premier président de Selve et Antoine Le Viste, troisième président, y montèrent la première garde en habit de guerre[414]. On doubla les compagnies du guet bourgeois; les chaînes furent tendues au-dessus et au-dessous de la rivière, et l'on tint toutes préparées celles que l'on avoit coutume de tendre dans les rues. Il fut résolu de travailler sur-le-champ à réparer les murailles, à creuser les fossés; et le seigneur Guillaume de Montmorenci, qui, soixante ans auparavant, s'étoit trouvé au siége de Paris dans la guerre du bien public[415], fut invité par le parlement à venir l'aider de son expérience et prendre la direction des travaux. Ce vieillard généreux, tout accablé qu'il étoit d'ans et d'infirmités, ne balança point à se rendre à cette invitation. Il arriva dans la capitale, accompagné de vingt gentilshommes, visita les fortifications, et par son exemple et ses discours raffermit tous les ordres de citoyens dans la disposition où ils étoient de rester fidèles à leur souverain, et de n'attendre de salut que de leur union et de leur courage. Il trouva ensuite, dans les travaux mêmes qu'il fit commencer pour la sûreté de la ville, les moyens de la délivrer des inquiétudes que lui causoit le grand nombre de mendiants et de gens sans aveu dont elle étoit remplie. Sans user envers eux de mesures rigoureuses qui auroient pu les exciter à la révolte et leur révéler ainsi le secret de leurs forces, Montmorenci imagina de les former en ateliers de pionniers, qu'il sépara les uns des autres, et qui furent employés au nettoiement des fossés sous la surveillance des compagnies bourgeoises qu'il mêla parmi eux. Toutefois le danger, considérablement diminué par ces sages précautions, ne fut point entièrement détruit; et l'on put reconnoître, dans cette circonstance autant que dans toutes celles qui l'avoient précédée, combien est misérable la situation d'un peuple privé de son chef et soumis à une autorité empruntée, presque toujours impuissante à protéger les bons, parce qu'elle n'a presque jamais la vigueur nécessaire pour comprimer les méchants. Malgré cette vigilance continuelle et cet appareil armé dont Paris offroit le spectacle imposant, des bandes de brigands cachés dans les villages situés au-dessus de la ville, osoient y descendre la nuit sur des radeaux et des batelets, abordoient dans différents quartiers, enfonçoient les portes, pilloient les maisons, et ne craignoient pas même d'attaquer le guet, qu'ils mettoient presque toujours en fuite[416]. En même temps commençoit à se manifester l'opposition des ennemis de la régente et du chancelier: les prédicateurs, excités par l'université, déclamoient publiquement contre eux dans les chaires, les accusant de tous les maux de l'État; dans le parlement, il se formoit un parti qui appeloit hautement le duc de Vendôme à la régence. Ce ne fut pas sans peine que l'on parvint à en imposer aux premiers et à les forcer de mettre fin à leurs déclamations séditieuses; et la régente ne trouva d'autre moyen pour déconcerter les projets et les espérances des seconds que d'appeler le duc à Lyon, où elle avoit établi son séjour. Ce prince, cousin du connétable, montra, par sa prompte obéissance à l'ordre qu'il venoit de recevoir, combien il étoit éloigné de l'imiter dans sa trahison: non-seulement il quitta sur-le-champ la Picardie pour aller rejoindre la duchesse d'Angoulême, mais encore il évita, dans son voyage, de s'approcher de Paris, où sa présence auroit pu causer quelque nouvelle fermentation.
Toutefois le parlement, si long-temps réduit, et malgré tous ses efforts, à une obéissance purement passive, crut pouvoir saisir cette occasion où la foiblesse et l'embarras de ceux qui administroient alors l'État étoient visibles, pour faire entendre sa voix, exposer ses griefs, et présenter des remontrances dans lesquelles éclatèrent le chagrin profond et le secret ressentiment qu'il conservoit toujours de l'établissement du concordat. Il s'éleva d'abord contre l'hérésie de Luther; et c'est pour la première fois qu'il est question, dans un acte public, de cette secte qui commençoit à se répandre dans le royaume, et dont les progrès étoient déjà assez grands pour causer de véritables alarmes, quoiqu'on fût loin encore d'en bien comprendre l'esprit, et de prévoir les maux affreux qu'elle alloit incessamment répandre sur la France entière. Zélé défenseur de la doctrine orthodoxe, le parlement se plaint amèrement, dans ses lettres à la régente, de ce que plusieurs individus infectés de ces erreurs pernicieuses avoient été délivrés par la cour des prisons où il les avoit fait renfermer, et demande en même temps qu'il lui soit permis de procéder contre tous les hérétiques qui lui seroient dénoncés, quels que soient d'ailleurs leur rang et leur dignité. Mais par suite d'un aveuglement que rien ne pouvoit guérir, et lorsque l'hérésie nouvelle qu'il combattoit auroit dû précisément lui démontrer tout le contraire, cherchant la première cause de ce fléau et des autres malheurs qui désoloient l'État, il la voit dans l'abolition de la Pragmatique, sur laquelle il renouvelle toutes ses anciennes doléances, essayant de prouver que, depuis l'époque où elle a été abolie, le clergé a perdu toute considération et le peuple toute obéissance. La mauvaise administration des finances, les aliénations continuelles du domaine, la vénalité des charges, les obstacles que, selon lui, éprouvoit à chaque instant l'administration de la justice par les évocations continuelles qui se faisoient au grand conseil, étoient ensuite présentés comme des causes non moins graves des désordres publics et du mécontentement de la nation.
Dans les circonstances où elle se trouvoit, la régente sentit que c'étoit une nécessité pour elle de ménager un corps dont le crédit étoit grand sur tous les ordres de l'État. Témoignant donc un vif désir de concourir avec lui à l'extinction de l'hérésie naissante, elle en écrivit au pape, qui crut l'occasion favorable pour établir l'inquisition en France, et nomma, mais sans succès, deux conseillers-clercs, vicaires du saint Siége, pour procéder en son nom à la recherche et à la punition des coupables. Quant au rétablissement de la Pragmatique, dont cette princesse feignit de reconnoître les avantages, elle n'eut pas de peine à prouver qu'il ne pouvoit être effectué dans un moment où il étoit essentiel de ménager le chef de l'Église, faisant entendre en outre que c'eût été offenser le roi, dont l'aveu étoit nécessaire pour détruire un acte aussi important de son autorité. Sur la vénalité des charges, elle jugea à propos de ne point présenter d'objection, afin d'accorder du moins quelque chose au parlement; et la voie de l'élection fut rétablie comme par le passé. De plus, la régente promit d'avoir égard à tous les autres articles que contenoient ses remontrances, à mesure que l'occasion se présenteroit d'y faire droit. Ce fut par cette modération apparente qu'elle essaya d'arrêter les entreprises d'un corps dont l'influence en ce moment étoit pour elle si redoutable; et la suite prouva bientôt combien il y avoit peu de sincérité dans ces démonstrations bienveillantes. Le retour du roi, en faisant évanouir les craintes, fit oublier en même temps les promesses; et le parlement put reconnoître alors à quel point sa liberté avoit offensé la régente et surtout le chancelier.
Cependant la France, si agitée dans son intérieur, n'avoit réellement rien à redouter des ennemis du dehors. Charles-Quint, à qui sa victoire et l'illustre captif qu'elle avoit fait tomber entre ses mains inspiroient les espérances les plus exagérées, qui peut-être se repaissoit déjà des rêves insensés d'une monarchie universelle, n'avoit effectivement pour continuer la guerre ni troupes ni argent. Les généraux habiles que la France possédoit encore couvraient toutes ses frontières, et l'on étoit entièrement rassuré sur la crainte d'une invasion; d'ailleurs, cette puissance de l'équilibre politique, devenue la règle de tous les cabinets de l'Europe, commençoit déjà à changer tous les desseins et tous les intérêts. C'étoit alors contre l'empereur que se dirigeoient les alarmes et les jalousies des souverains. La régente négocioit dans toutes les cours, et n'en trouvoit aucune qui ne fût disposée à entrer dans ses vues et à travailler avec elle à la délivrance du roi. Le seul prince qui pût opposer un frein suffisant à l'ambition de l'empereur, Henri VIII, en sentit heureusement toute l'importance, et tenant la balance entre ces deux monarques, il obtint d'être regardé, dans cette circonstance décisive, comme le gardien de la liberté de l'Europe. Charles, trouvant de ce côté un obstacle invincible à ses projets; d'un autre, voyant toutes les puissances d'Italie, autrefois ses alliées, maintenant liguées contre lui; désespérant, en outre, d'abattre le courage de son prisonnier, que ses menaces, ses rigueurs, ses fausses caresses trouvoient également inflexible et décidé à mourir plutôt que de se déshonorer, commença lui-même à concevoir quelques inquiétudes, et consentit enfin à se relâcher un peu des conditions intolérables auxquelles il avoit d'abord attaché le prix de sa liberté. Le traité qui la lui rendit fut enfin signé à Madrid le 14 janvier 1526.
Il étoit temps pour le repos et peut-être pour le salut de la France que la main vigoureuse du monarque vînt enfin reprendre les rênes de l'État: car chaque jour y voyoit naître de nouveaux désordres, et l'esprit de licence et de faction y faisoit à chaque instant les progrès les plus alarmants. Paris surtout étoit en proie à tous les maux qui résultent de l'anarchie et des discordes intestines: le parlement étoit brouillé avec la cour à l'occasion du chancelier Duprat, qu'il haïssoit par-dessus tout, et à qui il prouvoit sa haine en osant le poursuivre comme coupable d'abus de pouvoir et de violation du concordat[417] que ce ministre lui-même avoit fait établir; l'archevêque d'Aix, que le roi avoit fait nommer gouverneur de Paris avant sa captivité, ne plaisoit ni aux Parisiens ni au parlement; et son autorité étoit méprisée non-seulement par le peuple, mais encore par les chefs militaires qu'on avoit envoyés pour détruire les brigands dont les environs de cette capitale étoient infestés. Ces capitaines[418], également divisés entre eux, se disputoient le droit de commander dans la ville, d'où ils cherchoient mutuellement à s'expulser; et le corps municipal, ainsi que le parlement, se mêloit à toutes ces querelles. Les alarmes étoient encore augmentées par la fermentation qui régnoit dans l'université, où les écoliers nationaux et étrangers furent plus d'une fois sur le point d'en venir aux mains. Cependant les troupes allemandes et italiennes qui étoient au service de la France, n'étant point payées de leur solde, ravageoient les campagnes; et leurs chefs vinrent jusque dans la ville menacer le parlement d'en faire le siége si l'on ne satisfaisoit à leurs demandes. Du reste, les haines populaires que tant de passions et d'intérêts avoient su exciter contre le chancelier et contre la régente sa protectrice, étoient parvenues au dernier degré: on parloit d'assembler les états-généraux; et le parlement, uniquement occupé à poursuivre son ennemi ou à parer les coups qu'il étoit en danger d'en recevoir, sembloit avoir entièrement perdu de vue tout ce qui regardoit l'ordre public et le maintien de la police. Enfin, les choses en étoient venues au point que, le roi étant tombé malade pendant sa prison, on vit des gens parcourir impunément les rues à cheval, publiant hardiment que ce prince étoit mort; que la régente et Duprat ne cachoient cette triste nouvelle que pour perpétuer leur tyrannie; que tout étoit perdu, et que chacun songeât à soi dans de telles extrémités.
(1526.) Le parlement ne tarda pas à reconnoître que ces bruits alarmants n'étoient nullement fondés, et le changement qui s'opéra tout à coup dans le ton et la conduite de la régente à son égard lui fit comprendre que la délivrance du roi étoit plus prochaine qu'il ne l'avoit pensé. Le désir général qu'on avoit paru témoigner de voir assembler les états-généraux paroissant servir ses projets, cette compagnie, qui n'avoit aucune autorité pour les convoquer, avoit cru devoir essayer d'arriver à ce but en mettant dans ses intérêts les princes du sang et les pairs de France. Elle leur avoit en conséquence adressé une lettre circulaire pour les inviter à venir prendre séance dans son sein après la Saint-Martin; et renouvelant en même temps ses poursuites contre le chancelier, au sujet de l'affaire dont nous avons déjà parlé, elle lui avoit fait signifier un décret d'ajournement personnel, résolue de le changer, dans la séance même où il paroîtroit, en décret de prise de corps. Ce fut alors que, ne gardant plus aucune mesure, la duchesse d'Angoulême manda à Lyon des députés du parlement, et, éclatant en menaces, leur reprocha leur insolence, leur esprit d'indépendance et de révolte, et leur enjoignit de lui donner satisfaction sur-le-champ, en lui expliquant les démarches irrégulières et scandaleuses qu'ils venoient de se permettre tant contre son autorité que contre le chancelier, qui étoit investi de la confiance du roi, et auquel ils devoient, par conséquent, respect et soumission. Intimidé par la fierté de la régente, le parlement s'excusa le mieux qu'il put d'une conduite que rien en effet ne pouvoit excuser; et dès lors il attendit à tous moments, et non sans quelque inquiétude, le retour du roi dans ses États et dans sa capitale.
Le roi revint en effet, et fit bientôt voir à quel point la conduite de cette compagnie l'avoit offensé et irrité. Un des premiers actes d'autorité que ce prince fit à son arrivée à Paris, fut d'aller tenir au parlement un lit de justice dans le plus grand appareil. Il avoit déjà refusé de recevoir les députés que cette compagnie lui avoit envoyés avant son entrée dans la ville, et suspendu plusieurs conseillers de leurs fonctions pour un temps illimité et sans vouloir les entendre. Dans cette séance mémorable, sans daigner répondre au discours que fit le président pour justifier la cour sur les divers actes d'autorité qu'elle avoit cru pouvoir se permettre, le chancelier tira de sa poche un édit sur la juridiction du parlement, édit par lequel le roi lui ôtoit toute connoissance des affaires ecclésiastiques, toute entremise dans les affaires politiques, et le réduisoit, sous les peines les plus sévères, à la simple administration de la justice. Il lui signifia l'ordre de l'enregistrer sans la moindre réclamation; et sur-le-champ le roi, se levant de son siége, rompit l'assemblée. L'enregistrement se fit, et le triomphe du chancelier, qui étoit aussi celui des vrais principes de la monarchie, fut aussi éclatant qu'il pouvoit le désirer.
La guerre continuoit toujours en Italie, et le roi, pour toute réponse aux députés que Charles-Quint lui avoit envoyés à l'effet d'obtenir la ratification du traité de Madrid, leur avoit fait la déclaration de la sainte ligue conclue entre la France, le pape Clément VII, et toutes les puissances d'Italie, ligue dont le roi d'Angleterre s'avouoit le protecteur. Le succès toutefois n'en fut pas aussi heureux qu'on auroit pu l'espérer. Le roi n'osoit rentrer dans le Milanais, par le désir qu'il avoit de ravoir ses enfants donnés en otages à Charles-Quint; Henri VIII restoit également dans l'inaction, parce qu'il espéroit tout terminer par des négociations; et les généraux de la ligue, soit par trahison, soit par impéritie, étoient battus sans cesse par le connétable de Bourbon, qui, cette année même, acheva la conquête du Milanais, dont l'investiture lui avoit été promise. Le duc Sforce est obligé de se sauver; le vainqueur, manquant d'argent, bien qu'il eût pillé Milan (1527.), marche vers Rome, dont il promet encore le pillage à ses troupes; il est tué dans l'assaut qu'il livre à cette ville; mais la capitale du monde chrétien est saccagée, et le pape, assiégé dans le château Saint-Ange, est réduit aux dernières extrémités. Alors Henri VIII et François Ier reconnurent, mais trop tard, la faute qu'ils avoient commise de se ralentir un seul instant devant un ennemi toujours infatigable. Ce fut aussitôt un mouvement général dans la France entière: une armée nouvelle rentra en Italie, sous le commandement de Lautrec; et, pour pousser avec suite et vigueur les opérations d'une guerre dont la durée étoit incalculable, le roi, dans l'épuisement total de ses finances, résolut de demander à son peuple des secours extraordinaires, et indiqua, à cet effet, une assemblée de notables à Paris.
Elle eut tout le succès qu'on en pouvoit désirer. L'assemblée se tint dans la grande salle du Palais: François, qui, quelques jours auparavant, étoit venu se loger au palais des Tournelles, s'y rendit accompagné de ses ministres et de toute sa cour. Il n'est pas besoin de dire que, dans le discours qu'il prononça, il trouva le moyen de justifier toutes les opérations de son règne; mais, s'il n'obtint pas une entière persuasion pour une semblable apologie, il n'en fut pas ainsi lorsque, peignant la situation du royaume menacé par un ennemi puissant et acharné, avec lequel il falloit combattre sans relâche, ou négocier à prix d'argent, puisqu'il retenoit entre ses mains le gage de la prospérité de la France dans les otages précieux qu'on avoit été forcé de lui donner, il les engagea à délibérer avec lui sur cet intérêt commun, à l'aider dans la recherche des moyens nécessaires pour parer à ce grand danger où se trouvoit la patrie. Ce fut un élan, un enthousiasme général. La délibération fut courte: le clergé, par l'organe du cardinal de Bourbon, s'engagea à fournir une somme considérable[419]; la noblesse, par celui du duc de Vendôme, offrit la moitié de ses biens et tout son sang, s'il étoit nécessaire de le verser; le président du parlement, le prévôt et les échevins, parlant au nom de la ville de Paris, ne montrèrent pas un moindre dévouement, et s'attachèrent surtout à prouver que le traité de Madrid étoit nul, par la raison qu'il ne pouvoit être exécuté sans compromettre le salut de la France. Le don que la ville offrit au roi en cette occasion fut d'abord porté à cent mille écus[420], et réduit ensuite d'un quart par l'ordre même de François Ier.
(1528.) La guerre continua donc, parce que l'empereur ne voulut point accéder aux propositions qui lui furent faites par les rois de France et d'Angleterre. Lautrec, poursuivant ses succès en Italie, s'avança jusqu'aux portes de Naples, dont il entreprit le siége; mais, par une fatalité que peut expliquer le caractère inconstant du roi, et le peu de suite qu'il mettoit dans ses idées et dans ses desseins, de si beaux commencements ont une fin malheureuse, parce qu'on néglige d'envoyer à Lautrec les secours d'hommes et d'argent nécessaires pour qu'il pût se maintenir. Ce général meurt devant Naples, d'une maladie contagieuse. Sa mort et la défection de l'amiral génois Doria, également trop négligé par la cour, décident des affaires. Le pape, par un de ces retours si fréquents dans la politique italienne, et que rendoient nécessaires les projets ambitieux des rois de France et des empereurs, s'étoit rapproché de Charles dès qu'il avoit vu les François pénétrer dans le cœur de l'Italie: leurs revers le décident à se déclarer ouvertement contre eux. Une révolution enlève au roi la ville de Gênes; le comte de Saint-Paul est battu dans le Milanais par Antoine de Lève; et François, découragé par tant de mauvais succès, abandonne ses alliés et conclut le traité désavantageux de Cambrai, dit la Paix des Dames[421]. Alors Charles parut au milieu de l'Italie en vainqueur et en maître; et les souverains de cette belle contrée, jouets continuels de cette ambition de deux grands monarques, pensèrent au moment même à revenir à la France pour échapper à la tyrannie de l'empereur.
Dans leur haine implacable, ces princes sembloient n'avoir fait la paix que pour se préparer à une guerre plus furieuse; et leur unique occupation pendant l'intervalle du repos qu'ils s'étoient procuré, fut de chercher mutuellement à soulever l'Europe entière l'un contre l'autre. Dans cette longue suite d'opérations politiques et de négociations artificieuses, nous ne voyons qu'un seul fait qui se rapporte à l'histoire de Paris. C'est le contraste affligeant qu'y offrirent les rigueurs exercées par François Ier contre les hérétiques, en même temps qu'il recherchoit l'alliance des puissances luthériennes, et s'offroit de faire cause commune avec elles. Ainsi commençoit à se développer cette politique astucieuse et criminelle, qui, séparant sans retour ses intérêts de ceux de la religion, finit par persuader aux peuples qu'en effet la religion elle-même n'étoit pas au-dessus de la politique; politique en même temps misérable et mal avisée, avide de conquérir, impuissante à conserver, épuisant les peuples au dehors, tandis qu'elle achevoit de les corrompre au dedans, et dont on n'est pas même encore entièrement désabusé aujourd'hui qu'elle a consommé en Europe la ruine des sociétés.
Tout sembloit en effet devoir encourager en France les partisans de la réforme: ils voyoient le roi intimement lié d'intérêts avec Henri VIII, qui tout récemment venoit d'adopter leurs principes; ils savoient qu'il négocioit avec les princes protestants d'Allemagne, et qu'il venoit de faire un traité avec la Turquie, événement qui avoit été un sujet de scandale pour toute la chrétienté. Ils s'imaginèrent donc que François Ier, bien qu'il eût déjà montré une grande aversion contre les nouvelles doctrines, étoit au fond indifférent sur ces matières; que les persécutions exercées jusqu'alors contre eux ne devoient être imputées qu'aux importunités des évêques et au zèle trop ardent des magistrats; enfin, que l'occasion étoit favorable pour répandre plus librement leur opinion. Des placards injurieux contre la messe et la présence réelle furent affichés, dans la nuit du 18 octobre, au coin des rues et dans tous les carrefours de Paris. On les afficha, dans la même nuit et à la même heure, aux portes du château de Blois, où la cour séjournoit alors, et dans plusieurs autres villes du royaume. Un tel concert annonçoit une association déjà nombreuse, et par cela seul de nature à inquiéter dans une monarchie. Un aussi grand scandale, s'il restoit impuni, pouvoit faire une impression fâcheuse sur l'esprit des peuples, et aigrir en même temps contre le roi le pape et ses alliés d'Italie, qu'à cette époque il avoit le plus grand intérêt à ménager; la politique indiquant donc ici au monarque une marche toute différente, et par une heureuse inconséquence, s'accordant avec sa religion, il résolut de déployer la plus grande sévérité, et d'effrayer par des châtiments terribles des coupables que jusque là l'impunité avoit enhardis. Le parlement, toujours plein d'ardeur contre les hérétiques, n'avoit pas même attendu ses ordres pour commencer des recherches à l'occasion d'un si grand attentat: on fit des processions dans toutes les églises de Paris pour la réparation du scandale; et par les soins des officiers du Châtelet, les auteurs du placard furent arrêtés au nombre de vingt-quatre. Le roi, voulant que la réparation fût encore plus éclatante que l'outrage, vint à Paris au milieu de l'hiver, et ordonna une procession générale, dans laquelle les châsses de sainte Geneviève, de saint Marcel et des autres églises de Paris, furent portées comme dans les plus grandes calamités publiques, et à laquelle il assista avec toute la famille royale, les ducs, les grands officiers de la couronne, les chevaliers de l'ordre, et tous les ambassadeurs étrangers. À la suite de cette pieuse solennité, François, ayant assemblé dans la grande salle de l'évêché les chefs de toutes les compagnies, fit un discours dans lequel, exprimant toute son horreur pour le forfait exécrable qui venoit d'être commis, il déclara qu'il étoit décidé à poursuivre sans relâche et sans pitié tous les partisans et fauteurs d'hérésie; il publia en même temps un édit sévère par lequel il étoit enjoint à tous ses sujets de les dénoncer, sous peine d'être traités comme leurs complices. Le soir du même jour, six des coupables que l'on avoit arrêtés furent conduits à la place de Grève où des bûchers avoient été préparés, et y furent brûlés à petit feu. L'effet de cette exécution terrible fut de faire sortir précipitamment du royaume un grand nombre d'Allemands religionnaires qui étoient alors à Paris; et les princes protestants refusèrent, quelque temps après, d'entrer dans l'alliance du roi contre l'empereur.
Après six ans d'une paix simulée, la guerre se ralluma plus vivement que jamais entre ces deux monarques. Nous ne les suivrons point dans les nombreux événements qu'elle fit naître, événements qui sont entièrement étrangers à l'histoire de Paris. François, toujours obstiné à rentrer dans le Milanais, ne fut pas plus heureux dans cette entreprise, que Charles-Quint dans le projet qu'il conçut de conquérir la France en faisant une invasion dans ses provinces méridionales. Cette guerre nouvelle offre une alternative de bons et de mauvais succès qui épuisent les deux partis, sans procurer à l'un ni à l'autre aucun avantage décisif; et une trève de dix ans, conclue à Nice, donne à la France un repos plus funeste peut-être que les agitations dont elle venoit de sortir. Par cet accord et par les intrigues qui le suivirent, Charles-Quint trouva le moyen de brouiller le roi avec tous ses alliés; le connétable de Montmorenci, qui avoit toute sa confiance, se montra moins habile politique qu'il n'avoit été prudent capitaine dans la campagne de Provence, et tomba dans tous les piéges que lui tendit le génie astucieux du perfide empereur.
(1539.) Ce fut pendant ces temps d'une apparente réconciliation, à laquelle la cour de France se livroit avec tant de sécurité, que Charles, pressé d'aller châtier les Gantois, qui venoient de se révolter, demanda et obtint de François Ier la permission de traverser la France, et eut la hardiesse de venir jusqu'à Paris se mettre entre les mains d'un ancien ennemi qu'autrefois il avoit si cruellement trompé, et que dans ce moment même il trompoit encore. Son voyage eut l'air d'un triomphe continuel. Les deux fils de France et le connétable allèrent le recevoir sur les frontières d'Espagne; et, dans toutes les villes où il passa, il fut accueilli comme l'auroit été le souverain lui-même. Ces honneurs excessifs n'étoient toutefois que le prélude de la réception plus éclatante encore qui lui étoit préparée dans la capitale. (1540.) Il y fit son entrée solennelle le 1er janvier 1540. Tous les ordres religieux, l'université, les cours de justice, le chancelier, à la tête du grand conseil, les gentilshommes de la maison du roi, les cardinaux, les princes, enfin le connétable, l'épée nue à la main, précédoient la marche de l'empereur, qui n'étoit vêtu que de noir, parce qu'il portoit encore le deuil de l'impératrice. Arrivé à la porte Saint-Antoine, les échevins lui présentèrent le dais aux armes impériales, qu'il accepta après s'en être défendu quelque temps. Il fut ainsi conduit au milieu de la population entière de Paris, à travers des rues toutes ornées des plus riches tapisseries, et aux coups redoublés du canon de la Bastille, jusqu'à l'église de Notre-Dame, où il fit une courte prière. De là il se rendit au palais: le roi, qui l'y attendoit, le reçut au bas de l'escalier de marbre et le conduisit dans la grand'salle, où l'on avoit préparé le banquet royal. Un bal brillant suivit ce festin magnifique; et pendant huit jours que l'empereur passa dans la capitale, les tournois, les danses, les cavalcades, en un mot les fêtes de toute espèce se succédèrent sans interruption.
Au milieu de ces réjouissances, ce prince affectoit une sécurité qu'il étoit loin d'éprouver. Quelques paroles échappées au roi[422] lui avoient fait comprendre que ceux qui environnoient ce prince et qui exerçoient sur lui quelque influence étoient loin d'approuver la loyauté impolitique dont il se piquoit envers son ennemi; et dès lors il vit avec le plus grand effroi tout le danger de sa position et l'imprudence qu'il avoit faite. Toutefois il sut dissimuler ses alarmes, fortifier dans ses intérêts ceux qui lui étoient déjà attachés, adoucir par ses galanteries et ses libéralités les personnes dont les intentions lui parurent suspectes; mais ce qui le servit mieux sans doute que toutes ces précautions, ce fut le grand cœur de François Ier. On a prétendu que le monarque françois s'étoit repenti par la suite de n'avoir pas usé plus utilement pour ses intérêts d'une circonstance qui pouvoit lui faire regagner plus qu'il n'avoit perdu à Pavie; et le président Hénault fait entendre que ce fut là la cause de la disgrâce du connétable, qui, gagné par la reine Éléonore, sœur de l'empereur, maintint le roi dans ses premières dispositions. Nous ne partageons point cette opinion: le roi se dégoûta du connétable, parce qu'il reconnut, malheureusement trop tard, les fautes qu'il lui avoit fait commettre, et une intrigue de cour très-connue acheva de le perdre; mais nous ne croyons pas que l'on puisse trouver une seule preuve authentique que ce prince ait jamais eu de regret de n'avoir pas violé sa parole; et le héros qui écrivoit dans les fers, tout est perdu, fors l'honneur, ne pouvoit se repentir de ne s'être pas déshonoré.
Toutefois la guerre ne tarda pas à recommencer, parce que Charles, échappé aux dangers qu'il avoit courus, refusa de tenir tous ses engagements, entre autres de donner l'investiture du Milanais, qu'il promettoit depuis long-temps à l'un des fils du roi de France. Telle fut la véritable cause de ces nouvelles hostilités, qui eurent pour prétexte le meurtre des ambassadeurs du roi, assassinés par ordre de Dugast, gouverneur du Milanais pour l'empereur. (1542.) Le roi eut d'abord en Flandre des succès dont il ne tira aucun profit, par la conduite imprudente de son second fils, le duc d'Orléans[423]; l'année suivante, ce jeune prince répara sa faute en s'emparant du Luxembourg, et le comte d'Anguien gagna, peu de temps après (1544.), la bataille de Cerisolles; mais Charles-Quint, qui avoit trouvé le moyen de faire un ennemi à François de son allié le plus utile et le plus puissant, entra en Champagne avec une armée formidable, tandis que Henri VIII faisoit une irruption dans la Picardie. Les alarmes que causa cette expédition furent les dernières et les plus vives que les Parisiens eussent encore éprouvées pendant la durée de ce règne: car l'armée de l'empereur s'étant avancée jusqu'aux bords de la Marne, on vit bientôt arriver dans les murs de la ville une foule innombrable d'habitants de la campagne, traînant avec eux leurs familles désolées, leurs bestiaux, et tout ce qu'ils avoient pu dérober aux ravages de l'ennemi ou à la licence effrénée des troupes françoises. On y transporta le trésor de Saint-Denis, les vases sacrés et les ornements des églises circonvoisines; tandis que les Parisiens, saisis d'une terreur plus grande encore, mais bien moins fondée, chargeoient sur des chariots leurs effets les plus précieux, et fuyoient, les uns à Rouen, les autres à Orléans ou dans les provinces méridionales. Le parti de la cour attaché au connétable de Montmorenci, et à la tête duquel étoit le dauphin, essaya d'obtenir son rappel dans une circonstance où son expérience dans la guerre pouvoit être décisive pour le salut de l'État; mais le roi, livré entièrement à ceux qui le haïssoient, n'y voulut point consentir. Cependant, alarmé lui-même de la consternation dont Paris étoit frappé, il se hâta de venir dans cette capitale, accompagné du duc de Guise et du cardinal de Tournon. Ayant mandé aussitôt les députés du parlement, et leur ayant reproché la terreur panique à laquelle ils s'étoient livrés, eux à qui leur rang et leur état faisoient au contraire un devoir sacré de donner aux autres citoyens l'exemple de la confiance et du courage, il leur ordonna de reprendre le cours de la justice qu'ils avoient imprudemment interrompu, d'enjoindre aux marchands d'ouvrir leurs boutiques, aux artisans de se livrer à l'exercice de leurs professions, ajoutant que, bien que l'ennemi se fût approché très-près de la ville, il n'étoit arrivé aucun accident qui pût causer de l'effroi, ni qui présageât rien d'inquiétant pour l'avenir. Dès le même jour, le roi monta à cheval, se promena dans les rues de Paris, accompagné du duc de Guise[424], et parlant avec bonté à la multitude qui l'environnoit: «Mes enfants, leur disoit-il, Dieu vous garde de la peur, et je vous garderai des ennemis.» Incertain cependant si l'armée du dauphin pourroit contenir long-temps les troupes impériales au-delà de la Marne, et voulant lui assurer une retraite en cas de malheur, il entreprit d'envelopper Montmartre par de longs fossés afin de pouvoir asseoir son camp sur cette éminence, et envoyer de là des détachements dans tous les quartiers de la ville; mais la paix de Crespi rendit bientôt toutes ces précautions inutiles.
(1545.) Dans les dernières années de son règne, François renouvela les mesures de rigueur qu'il avoit déjà prises contre les protestants: un recteur de l'université ayant osé prêcher publiquement dans le sens de la nouvelle doctrine, ne dut son salut qu'à une prompte fuite; et peu de jours après, un moine jacobin, convaincu d'avoir répandu les mêmes principes, fut puni du dernier supplice. Alarmé de ces prédications dangereuses, François crut devoir prendre de nouvelles précautions pour arrêter un mal qui menaçoit déjà de se répandre sur la nation entière. La faculté de théologie, à laquelle il s'adressa, rédigea, d'après ses ordres, un formulaire en vingt-six articles, dans lequel étoient clairement expliquées toutes les matières controversées, et qui dut être signé par tous ses membres, sous peine de dégradation. Le roi, l'ayant revêtu de lettres-patentes, l'adressa à tous les évêques, chapitres et couvents de son royaume, afin qu'il devînt loi de l'État, autorisant les tribunaux à traiter comme séditieux, rebelles et conspirateurs tous ceux qui refuseroient de s'y conformer. De telles mesures forçoient sans doute au silence les apôtres fanatiques de la réforme; mais la racine du mal étoit plus profonde: les rois de l'Europe avoient en quelque sorte conspiré depuis deux siècles contre la seule puissance à laquelle il appartenoit de l'arracher et de la détruire; ils alloient recueillir et particulièrement en France ce qu'ils avoient semé; la secte s'y accroissoit dans les ténèbres, comptoit des prosélytes dans les premiers rangs de l'État, et préparoit pour les époques suivantes les malheurs inouïs dont nous ne tarderons pas à parler.
Aux troubles qui agitèrent Paris pendant la durée de ce règne, se joignit le fléau des maladies pestilentielles. Elles se renouvelèrent deux fois dans ce court espace de temps, et enlevèrent un grand nombre de personnes. La première, qui se déclara en 1522, força le parlement à quitter la ville, et causa en outre une telle émigration de ses habitants, que le roi, craignant que sa capitale ne devînt tout-à-fait déserte, prit la résolution généreuse de s'y rendre lui-même, et de calmer ainsi, par sa présence et en partageant ses dangers, l'effroi qui s'étoit emparé de toute la population. On prit alors des mesures qui peu à peu firent disparoître le fléau; mais on n'avoit point encore un système de police générale assez bien ordonné pour prévenir par la suite de semblables malheurs; et onze ans après, en 1533, une nouvelle épidémie vint désoler cette grande cité. Les ravages qu'elle y fit furent tels qu'on fut obligé d'acheter six arpents de terre dans la plaine de Grenelle pour enterrer les morts.
François Ier mourut au château de Rambouillet le dernier jour de mars 1547.
Le règne de ce prince ne fut pas seulement l'époque de l'introduction des beaux arts en France, mais on peut le considérer encore comme celle de leur plus grande perfection. Les monuments qu'y produisirent alors la sculpture et l'architecture n'ont point été depuis égalés; les plus grands peintres de l'Italie remplirent de leurs chefs-d'œuvre les palais du monarque, et l'école qui se forma depuis dans le siècle le plus brillant de la France, ne produisit rien qui pût leur être comparé. On doit aussi à François Ier l'établissement du collége Royal.
ORIGINE
DU QUARTIER DU TEMPLE.
L'enceinte élevée sous Charles V et Charles VI renferma dans Paris l'enclos du Temple, ainsi qu'une partie du quartier auquel il a donné son nom. À cette époque, tout le terrain que contient ce quartier à l'orient et au midi, en dedans des boulevarts, n'étoit composé que de cultures, dont une partie appartenoit au Temple, et l'autre à l'hôpital Saint-Gervais. Quelques amas de maisons s'étoient déjà formés au midi de la maison du Temple.
Les choses restèrent en cet état jusqu'au règne de Henri III. À cette époque on commença à bâtir sur la culture du Temple, et des rues nouvelles furent successivement percées derrière son enclos. Le terrain de la culture Saint-Gervais resta seul tel qu'il étoit, jusqu'au commencement du dix-septième siècle.
Quant au faubourg situé par-delà le boulevart, on trouve que, dès le règne de Charles IX, il y avoit dans cet endroit quelques maisons qu'on avoit élevées, suivant l'usage, aux portes de la ville. Le nombre s'en étant augmenté par degrés, et principalement depuis le règne de Louis XIV, forma depuis cette vaste portion du quartier comprise dans la dernière enceinte élevée sous Louis XVI. La nomenclature des rues fera connoître précisément les époques et la nature des diverses révolutions qui ont amené cette portion de la ville au point où nous la voyons aujourd'hui.
LES CAPUCINS DU MARAIS[425].
Ce couvent, le troisième de cet ordre à Paris, fut fondé en 1622 sur l'emplacement d'un ancien jeu de paume, par le père Athanase Molé, capucin, frère de M. Mathieu Molé, alors procureur général, et depuis premier président et garde des sceaux. Le grand crédit de ce magistrat servit beaucoup à consolider cet établissement, auquel l'archevêque de Paris et le grand-prieur du Temple donnèrent leur consentement en 1623.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DES CAPUCINS.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, une adoration des bergers, par La Hyre.
Dans la chapelle de Saint-François, un autre tableau du même maître, dans lequel il s'étoit peint lui-même avec les attributs du secrétaire du pape Nicolas V. Ce pontife y étoit représenté visitant le corps de saint François d'Assise.
Dans la chapelle de Sainte-Anne, cette Sainte, par le même.
Sur le mur, vis-à-vis la chapelle de la Vierge, un saint Jérôme, par l'Espagnolet.
Dans le chœur des religieux, un saint François en prière, par Michel Corneille.
Dans la nef, en face de la chaire, une descente de croix, de l'école de Vandyck.
Huit tableaux représentant différents sujets de la vie de la Vierge, par Robert de Vamps, Colin de Vermont et d'André-Bardon[426].
LES FILLES
DU SAINT-SACREMENT.
Cet établissement est le second que les filles de cet ordre aient formé à Paris. Il doit son origine à quelques religieuses que la supérieure du monastère de Toul envoya dans cette ville en 1674, pour soustraire ainsi une partie de son troupeau aux dangers de la guerre qui désoloit alors ces contrées.
Ces religieuses furent d'abord recueillies dans le couvent que leur ordre possédoit déjà rue Cassette[427]. Ayant ensuite obtenu de l'archevêque de Paris la permission de prendre à loyer une maison habitée par les sœurs de la congrégation de Notre-Dame, et que celles-ci venoient de quitter pour aller s'établir ailleurs, les filles du Saint-Sacrement entrèrent, le 26 octobre de la même année, dans cette nouvelle demeure, située rue des Jeux-Neufs (ou Jeûneurs), près de la porte Montmartre. Elles y restèrent jusqu'en 1680, époque à laquelle cette maison fut vendue. Obligées de chercher un nouvel asile, ces religieuses jetèrent les yeux sur une maison située au-delà de la porte de Richelieu, et s'y installèrent, avec l'espérance d'y faire enfin un établissement durable, en vertu de lettres-patentes qu'elles avoient, cette année même, obtenues de la faveur du roi. Mais elles reconnurent bientôt que ce logement étoit trop incommode pour une communauté; et, s'étant déterminées à le quitter encore, elles cherchoient à acheter une autre maison, lorsque la duchesse d'Aiguillon vint fort heureusement à leur secours. Cette dame, ayant appris l'embarras dans lequel se trouvoient les filles du Saint-Sacrement, leur fit généreusement le don de l'hôtel de Turenne[428], situé rue Neuve-Saint-Louis au Marais, qu'elle venoit d'acquérir peu de temps auparavant du cardinal de Bouillon, en échange de la terre, seigneurie et châtellenie de Pontoise. Ceci arriva en 1684. «Ainsi, dit Jaillot, l'adoration perpétuelle du saint Sacrement fut établie dans le lieu même où s'étoient tenues les assemblées de ceux qui attaquent cet auguste mystère.»
L'église de ces religieuses n'avoit rien de remarquable[429]. Le maître-autel étoit décoré d'un tableau de Hallé, représentant la fraction du pain.
LES RELIGIEUSES DU CALVAIRE.
Cet ordre fut établi à Paris en 1620, comme nous aurons occasion de le dire en parlant de la première maison de ces religieuses, située dans le quartier du Luxembourg. Ce fut le père Joseph, ce capucin devenu si fameux par les négociations importantes auxquelles l'employa le cardinal de Richelieu, qui forma le projet de leur procurer à Paris un second établissement. Il choisit à cet effet un emplacement d'environ trois arpents, qui s'étendoit depuis l'extrémité de la Vieille rue du Temple jusqu'à celles de Poitou et du Pont-aux-Choux, sur lequel on avoit déjà construit un grand corps-de-logis, plusieurs bâtiments et trois jardins[430]. Ces constructions étoient appelées l'Hôtel d'Ardoise. Piganiol ajoute que cet emplacement fut payé 37,000 l., des deniers communs de la congrégation des Bénédictines du Calvaire.
Les historiens varient beaucoup sur l'époque de cet établissement. Il semble pourtant qu'on peut la fixer avec assez de certitude à l'année 1633. En effet, dès le 25 mai de cette année, l'archevêque de Paris donna son consentement, d'après lequel Louis XIII accorda, au mois de septembre suivant, ses lettres-patentes, enregistrées en 1635. Environ un an avant cette époque, douze religieuses avoient été tirées du monastère du Luxembourg et placées dans un hospice voisin du Temple, en attendant que le nouveau monastère fût bâti. On en jeta les fondements en 1635. Le cardinal de Richelieu, qui s'en étoit déclaré le protecteur, chargea la duchesse d'Aiguillon sa nièce d'y poser la première pierre, cérémonie qui fut faite avec beaucoup d'éclat. Les bâtiments en furent ensuite élevés par les libéralités du roi, du cardinal de Richelieu et de la duchesse. Dès qu'il fut achevé et bénit, les douze religieuses établies dans le voisinage vinrent en prendre possession; elles y furent introduites le 10 avril 1637, par madame la duchesse d'Aiguillon et par plusieurs autres dames du plus haut rang.
Cette maison devoit porter le nom de Crucifixion, pour la distinguer de celle de la rue de Vaugirard; et c'est pour cette raison qu'on avoit mis sur la porte cette inscription: Jesus amor noster crucifixus est. Cependant l'église fut consacrée en 1650, sous le titre de la Transfiguration.
Ce couvent devint le chef-lieu de la Congrégation des bénédictines de Notre-Dame-du-Calvaire, et la résidence ordinaire de la directrice générale de l'ordre, dont on comptoit en France vingt monastères[431].
L'HÔPITAL
DES ENFANTS-ROUGES.
François Ier ayant consenti à fonder cet hôpital à la sollicitation de Marguerite de Valois sa sœur, donna pour son établissement la somme de 3,600 liv., laquelle fut remise entre les mains de Jean Briçonnet, président de la chambre des comptes. Celui-ci chargea Robert de Beauvais d'acheter auprès du Temple une maison avec cour et jardin, laquelle coûta 1,200 livres. Sauval, Lebeuf, Corrozet, Germain Brice et Delamare se sont également trompés sur les différentes époques qu'ils assignent à la fondation de cet hôpital. On peut, sans craindre de s'écarter beaucoup de la vérité, la fixer à l'année 1534: car le contrat d'acquisition de la maison dont nous venons de parler est du 24 juillet de cette même année. Ce n'est cependant qu'au mois de janvier 1536 que le roi donna ses lettres-patentes[432], par lesquelles il se déclare fondateur de cet hospice, spécialement destiné pour les orphelins originaires de Paris, et où il veut en outre «qu'on reçoive les pauvres petits enfants qui ont été et seront dors-en-avant trouvés, dans l'Hôtel-Dieu, fors et exceptés ceux qui sont orphelins natifs et baptisés à Paris et ez fauxbourgs, que l'hôpital du Saint-Esprit doit prendre selon l'institution et fondation d'icelui, et les bâtards que les doyen, chanoines et chapitre de Paris ont accoutumé de recevoir et faire nourrir pour l'honneur de Dieu.»
Il est ordonné par les mêmes lettres-patentes que ces enfants seront perpétuellement appelés Enfants-Dieu, et qu'on les vêtira d'étoffe rouge, pour marquer que c'est la charité qui les fait subsister[433]. C'est ce qui leur fit donner le nom d'Enfants-Rouges. Ces lettres furent enregistrées au parlement le 1er mars de la même année 1536.
On ignore les motifs qui déterminèrent François Ier à ordonner, le 23 janvier 1539, que les enfants désignés pour le nouvel hôpital seroient mis à l'avenir à l'hôpital du Saint-Esprit. Toutefois ce changement n'eut point lieu, ou du moins, si on l'exécuta, fut de peu de durée: car il est certain que, le 20 mai 1542, le roi, par ses lettres-patentes[434] enregistrées le 4 septembre suivant, donna des réglements pour l'administration de l'hôpital des Enfants-Dieu orphelins près le Temple.
Cet hôpital fut enfin supprimé au mois de mai 1772, par lettres-patentes enregistrées au parlement le 5 juin suivant. Les enfants furent transférés à l'hospice des Enfants-Trouvés; on laissa seulement subsister la chapelle, dans laquelle on a célébré l'office les fêtes et les dimanches jusqu'à l'époque de la révolution[435]. Ce petit édifice n'avoit rien de remarquable.
LE TEMPLE.
Vers le milieu du onzième siècle, quelques marchands d'Amalfi, au royaume de Naples, obtinrent du calife la permission d'avoir un hospice à Jérusalem, près le Saint-Sépulcre. Ils y firent bâtir une chapelle, qui fut desservie par des religieux de Saint-Benoît[436]; et à côté de cette chapelle on construisit deux autres hospices pour y recevoir les pèlerins sains et malades, dont ces religieux s'engagèrent à prendre soin. Telle fut l'origine des hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, ainsi appelés parce que leur chapelle étoit sous l'invocation de saint Jean l'aumônier. Guillaume de Tyr dit que Gérard ou Girauld Tum, qu'on regarde comme le fondateur de cet institut régulier, avoit long-temps servi les pauvres de l'hôpital, sous les ordres de l'abbé et des moines. Le nouvel institut fut approuvé par une bulle de Paschal II[437], du 15 des calendes de mars, indiction 6, an 1113.
Cependant Raymond Dupuy, qui succéda à Gérard, ayant conçu le projet de former parmi les hospitaliers mêmes une milice capable de résister aux invasions des infidèles, ce projet fut facilement adopté par des religieux dont la première profession avoit été celle des armes; et son exécution devint d'autant plus méritoire que Jérusalem, conquise par les chrétiens en 1099, étoit déjà en butte aux attaques continuelles des Musulmans.
Mais c'étoit peu de garder la cité sainte: il falloit encore en faciliter l'accès aux chrétiens, qui de toutes parts y accouroient en foule, et qui avoient tout à craindre de la cruauté des Sarrasins, dont les routes étaient infestées. En 1118 Hugues des Payens et Geoffroi de Saint Omer résolurent de se dévouer à ce pénible ministère[438]; et s'étant associé sept autres gentilshommes enflammés du même zèle, ils se présentèrent ensemble devant le patriarche, firent entre ses mains les vœux ordinaires de religion, et s'engagèrent par un serment solennel à garder les chemins, à protéger et à défendre les pèlerins. On donna à ces nouveaux religieux un logement dans le palais, lequel étoit situé près du Temple; et ils furent appelés les frères de la milice du Temple, les chevaliers du Temple, les Templiers.
Quelle que fût l'utilité de cet établissement, il ne fit cependant de progrès sensibles que lorsque Hugues des Payens eut repassé la mer, dans le dessein de se présenter au concile que l'on tint à Troyes en 1128, et d'y demander la confirmation de son ordre, et une règle particulière pour son administration. Sa demande fut agréée avec tout l'empressement qu'elle méritoit; et saint Bernard, dont les décisions étoient reçues comme des oracles, fut prié par le concile de se charger de ce grand travail. Il paroît qu'il s'en excusa[439]; et l'opinion communément reçue en fait honneur à Jean de Saint-Michel, quoiqu'il n'y en ait aucune preuve décisive.
Dès ce moment l'accroissement de cet ordre fut extrêmement rapide; la noblesse s'empressa de se mettre au nombre de ces défenseurs de la religion; les rois et les princes les comblèrent de faveurs, et ils devinrent en peu de temps possesseurs de ces richesses immenses qui, en moins de deux siècles, devoient amener leur décadence et leur destruction.
On n'a point de lumière certaine sur la véritable époque de leur établissement à Paris; et chaque historien de cette ville a présenté à ce sujet sa date et ses conjectures[440]. Ce qu'on peut assurer, c'est qu'ils y existoient sous le règne de Louis-le-Jeune: car, en 1147, le 27 avril, les Templiers tinrent à Paris un chapitre, où ils étoient au nombre de cent trente; le pape Eugène III étoit à leur tête, et le roi honora cette assemblée de sa présence, avec plusieurs prélats et seigneurs[441]. Il existe en outre une charte de ce prince, datée de 1152, dans laquelle il qualifie ces religieux: orientalis ecclesiæ sanctos propugnatores, venerabilem militiam, sacrosanctum ordinem[442].
Au treizième siècle, le terrain qu'occupoient les Templiers étoit devenu si considérable que dans plusieurs titres de ce temps il est appelé villa nova Templi. L'histoire nous apprend que saint Louis, Philippe-le-Hardi et Philippe-le-Bel avoient déposé leurs trésors dans la maison des Templiers, et qu'en 1301 et 1306 ce dernier y fit sa résidence[443]. Les bâtiments en étoient si nombreux et si beaux, que lorsque Henri III, roi d'Angleterre, passa à Paris en 1254, il préféra la maison du Temple au palais que lui offroit saint Louis.
Personne n'ignore quelle fut la fin tragique des Templiers: on a essayé d'envelopper cette grande catastrophe de ténèbres que l'on assembloit à dessein, d'en faire ainsi une espèce de problème historique, pour le résoudre ensuite avec impudence à la honte des juges et à la gloire des accusés. C'est surtout dans le dix-huitième siècle que ces déclamations injurieuses contre la mémoire d'un pape et d'un roi ont éclaté avec plus de violence. Dans le dix-neuvième, LES CRIS N'ONT POINT CESSÉ[444]; mais le sens commun a aussi élevé sa voix; et cette voix, nous allons essayer de la faire entendre à ceux qui, sur cette grande affaire, ne l'ont point encore entendue.
Et d'abord il n'est peut-être pas inutile de faire observer que ceux qui repoussent avec tant de chaleur l'accusation d'hérésie et d'impiété élevée contre ces moines guerriers, seule accusation qui fût vraiment capitale, la seule qui ait fait prononcer l'arrêt de leur destruction, sont tous, et nous n'y connoissons presque point d'exception, des gens qui, laissant bien loin derrière eux toutes les hérésies où du moins l'on croit encore quelque chose, font hautement profession de ne rien croire du tout, qui regardent en pitié et comme une race de stupides et d'imbéciles tous les croyants, quelle que soit leur croyance; des gens enfin qui ont prouvé soit par eux-mêmes, soit par les représentants de leurs doctrines et de leurs opinions, que, si toute puissance leur étoit remise ici-bas, ils persécuteroient et sans pitié et sans relâche, non pas pour la foi, mais à cause de la foi; de manière qu'ils défendent les Templiers justement par les mêmes motifs qui les porteroient, si cet ordre existoit encore aujourd'hui, à les attaquer, à les dépouiller, à les proscrire, à faire à leur égard tout ce qu'ont fait les juges qui les ont condamnés: ce trait caractéristique des apologistes des Templiers est remarquable, et, ce nous semble, n'a point été assez remarqué.
Cependant, dès que les philosophes eurent trouvé et saisi cet heureux prétexte d'insulter les papes et les rois, à l'instant même il se présenta, dans la lice qu'ils venoient d'ouvrir, des adversaires assez redoutables pour leur faire pressentir que la victoire qu'ils avoient d'abord jugée si facile leur seroit vigoureusement disputée. À leurs déclamations on opposa des actes authentiques; on suivit avec eux l'historique du procès autant qu'il étoit alors possible de le faire, et les circonstances principales de ce procès s'élevèrent contre ceux qu'ils défendoient. Ils prétendoient que les aveux faits par les accusés leur avoient été arrachés par les tortures: on leur produisoit un nombre considérable de chevaliers qui avoient avoué sans être torturés; ils insistoient particulièrement sur le désaveu si éclatant du grand-maître Jacques Molay et de Guy, dauphin d'Auvergne, désaveu fait sur l'échafaud et à la vue du supplice qui devoit en être le prix: on leur répondoit que ce témoignage étoit au moins nul, puisque les aveux précédents de ces deux personnages, aveux accompagnés de circonstances si remarquables et que nous ferons connoître tout à l'heure, balançoient l'autorité de leur désaveu, et même avoient infiniment plus de force pour ceux qui connoissent les honteuses misères de l'esprit humain, qui savent à quelles extrémités la honte et l'humiliation peuvent emporter des cœurs orgueilleux et désespérés. L'histoire est féconde en exemples de ce genre; et les temps où nous vivons en pourroient offrir de frappants et de singuliers; on leur demandoit si deux témoignages, entièrement contraires à ceux qu'ils invoquoient, et donnés avec des circonstances toutes semblables, leur auroient paru suffisants pour faire condamner tout l'ordre des Templiers: et comme ils étoient obligés de le nier, il leur falloit convenir en même temps que deux témoignages favorables étoient insuffisants pour l'absoudre. Le mauvais renom des Templiers, répandu depuis long-temps dans l'Europe entière, et dans lequel se trouvoit implicitement renfermée l'accusation de tous les crimes qui depuis les firent condamner, renom qu'ont perpétué jusqu'à nos jours les traditions populaires dont il est rare que le fond ne soit pas vrai, même alors que les circonstances en sont évidemment fausses; ce mauvais renom étoit une présomption défavorable à la cause de ces religieux qu'on opposoit encore avec avantage aux apologistes; enfin, s'appuyant d'autorités diverses qui se fortifient mutuellement par leur diversité même, on leur montroit que le janséniste Dupuy qui avoit recueilli les actes, Velly le parlementaire, des Jésuites tels que les PP. Daniel, Griffet, Berthier, divisés entre eux sur tant de points qui, sur un tel sujet, étoient de nature à les diviser encore, subjugués également ici par le nombre, la nature et la force des preuves, s'étoient réunis dans une même opinion sur les Templiers, les avoient unanimement jugés coupables et justement punis.
Mais ce qui prouve plus que tout le reste que les philosophes eux-mêmes n'étoient pas contents de la cause qu'ils défendoient, et qu'ils avoient la conscience de son extrême foiblesse, ce sont les efforts qu'ils ont faits pour la rendre meilleure, en lui cherchant des témoignages qu'ils pussent plus raisonnablement opposer à ceux dont on les poursuivoit. Ce sont de grands investigateurs que ces philosophes de nos jours: leurs recherches ont souvent épargné de pénibles travaux à leurs adversaires, et répandu la lumière sur bien des questions qui embarrassoient encore ceux-ci. Iniquitas mentita est sibi, telle est l'épigraphe que l'on pourroit mettre à la tête de tous leurs volumes de critique religieuse, scientifique et littéraire; on sait quel succès ils viennent d'obtenir en faisant transporter d'Égypte à Paris le fameux zodiaque de Denderah[445]: c'est avec un succès tout pareil qu'ils ont recueilli des matériaux nouveaux pour l'histoire des Templiers.
Ce fut un académicien de Berlin nommé Nicolaï qui le premier se livra à ces savantes recherches: il savoit la prétention qu'affectoient les francs-maçons de tirer leur origine de cet ordre si malheureusement célèbre; il avoit été frappé de la conformité qui existe entre quelques pratiques usitées dans leurs assemblées et celles que l'on attribuoit aux Templiers. Le résultat de ses travaux fut un livre intitulé Essai sur le secret des Templiers[446], dans lequel, réduit à faire leur apologie avec des conjectures, il forme de toutes celles qu'il rassemble un système qui ne soutient pas le moindre examen, et qui, dès qu'il eut paru, fut combattu par d'autres savants, lesquels n'étoient pas moins philosophes ni moins partisans des Templiers que M. Nicolaï. Au reste, cette discussion n'apprit, sur ce point historique, rien de plus positif que ce que l'on savoit déjà; «et cependant, dit un écrivain françois anonyme, qui se montre lui-même un digne élève du siècle des lumières[447], il en resta dans la plupart des esprits la persuasion que si le secret des Templiers n'étoit point encore découvert, du moins ils avoient eu un secret; mais de cette idée même sortoit une autre conséquence, c'est que leur condamnation en paroissoit moins inique: car on ne pouvoit plus dire que les accusations élevées contre eux ne fussent que des impostures calomnieuses. Ainsi, par une rencontre fort bizarre, c'étoit la philosophie qui étoit venue témoigner en faveur de l'inquisition.» Ces paroles sont assurément fort remarquables.
Mais, disoient encore les apologistes, Dupuy n'a publié que des extraits des actes: il étoit janséniste sans doute, et par conséquent ennemi des papes; mais il étoit en même temps très-dévoué serviteur des rois, et il a pu être justement soupçonné d'avoir, sinon altéré, du moins supprimé tout ce que ces actes contenoient de défavorable à un roi, tout ce qui pouvoit présenter Philippe-le-Bel sous un aspect odieux. On regrettoit donc amèrement la perte de ces titres originaux; on les cherchoit de toutes parts, lorsqu'un professeur de Copenhague (M. Moldenhawer), qui parcouroit l'Europe dans cette intention, trouva enfin à Paris, dans la bibliothéque de Saint-Germain-des-Prés, le précieux manuscrit qui avoit fourni au savant bibliothécaire les extraits qu'il a publiés. C'étoit un registre contenant les procès-verbaux de toutes les opérations de la commission nommée par le pape pour procéder contre les Templiers[448]. Deux ans après un autre professeur Danois (M. Münter) découvrit à Rome, dans la bibliothéque Corsini, un cahier complet des statuts de l'ordre les plus récents[449]; et c'est ainsi que ce point historique, si long-temps obscur et problématique pour le plus grand nombre, que ne pouvoient encore résoudre complétement ceux qui le considéroient sous son véritable aspect, est devenu aujourd'hui aussi clair que les vérités de ce genre les moins contestées.
Ces procès-verbaux sont authentiques: ils contiennent tous les actes de cette procédure, qui dura depuis le mois d'août 1309 jusqu'au mois de juin 1311; l'acte d'accusation; la liste des frères qui comparurent devant la commission papale, au nombre de cinq cent quarante-quatre; et deux cent trente et un interrogatoires, après lesquels la commission, rappelant tant d'autres interrogatoires faits en divers pays et surtout les soixante et douze témoins entendus par le pape lui-même, déclara qu'elle étoit suffisamment éclairée, et qu'il résultoit de ce nombre de dépositions tout ce qu'il lui étoit possible d'apprendre d'un plus grand nombre de déposants.
Au milieu d'une foule de détails et de circonstances qui, dans ces dépositions si nombreuses, varient sans se contredire, et prouvent seulement que le mode de réception des frères n'étoit pas parfaitement le même dans toutes les maisons de l'ordre, se présentent quatre articles principaux qui sont tout le fond du procès, et sur lesquels les aveux sont uniformes:
- 1o. Le renoncement à Jésus-Christ.
- 2o. Le crachement sur la croix.
- 3o. L'adoration d'une idole.
- 4o. La sodomie permise et même autorisée dans l'ordre.
Nous le répétons, sur ces quatre articles tous les aveux sont uniformes: le plus grand nombre avouent librement, volontairement, sans y être contraints ni par violence ni par menace; ils mêlent, comme nous venons de le dire, à leurs aveux des circonstances diverses qui prouvent que ces aveux ne sont ni suggérés ni concertés. Quelques-uns versent des larmes et paroissent repentants des crimes qu'ils ont commis, des séductions auxquelles ils se sont laissé entraîner; et plusieurs d'entre eux s'en sont confessés et en ont fait pénitence[450]. D'autres qui d'abord avoient nié ou s'étoient déclarés défenseurs de l'ordre, renoncent à sa défense et finissent par faire les mêmes aveux[451]. Des jeunes gens, reçus dès l'âge de dix ans, qui par conséquent ne peuvent être considérés comme coupables des horreurs que l'on avoit exigées d'eux, avouent naïvement ce qu'ils ont vu sans le comprendre, ce qu'ils ont consenti de faire sans en apprécier les conséquences[452]. Plusieurs, et ceci est remarquable, qui avoient nié dans les tortures, avouent ensuite sans être torturés, quelquefois n'avouent que certaines choses, tandis qu'ils continuent d'en nier d'autres[453]. Tilley, frère servant[454], raconte sa réception avec des circonstances qui ressemblent à celles des réceptions de la franc-maçonnerie. Au reste, presque tous conviennent que ces réceptions étoient clandestines[455], qu'il y avoit des statuts cachés et un point d'ordre très-secret. Un chevalier, vieillard de quatre-vingts ans[456], déclare que sa réception très-ancienne a été irréprochable; il n'a renié ni vu personne renier Dieu; mais il confesse avoir entendu parler de ces abnégations, il y a cinquante ans, et depuis ce temps il avoit cessé d'assister aux réceptions; au surplus il reconnoît l'orgueil et l'insolence des Templiers, il convient de leur avidité et de leurs extorsions. C'étoit un homme instruit et sachant le latin. Un autre fait cet aveu remarquable que c'étoit, suivant lui, l'introduction des juristes et des savants dans l'ordre qui l'avoit corrompu[457]; P. Blaye avoue tout, et déclare que, suivant ce qu'il avoit entendu dire, ces abus avoient pris leur origine dans l'Orient et n'étoient pas plus anciens que le règne des quatre derniers grands-maîtres[458]. Gui, dauphin d'Auvergne[459], le même sans doute qui depuis se rétracta avec le grand-maître et fut brûlé avec lui, avoue ici les quatre articles et confirme plusieurs fois ses aveux. Enfin avant cette instruction et avant d'être conduit en prison, antequàm captus esset[460], le grand-maître lui-même avoit avoué les deux principaux points de l'accusation, le reniement de Jésus-Christ, et l'obligation de cracher sur la croix. Il avoit fait ces aveux sans que l'on eût employé aucun moyen violent pour l'y contraindre, sine omni tormento[461]; il les confirme dans l'interrogatoire de Chinon[462]; il varie ensuite, mais sans se rétracter, et ne se rétracte en effet que dans la confession publique qu'on voulut le forcer à faire sur un échafaud, «confession qui, dans les mœurs du temps, dit un apologiste déjà cité, devoit surtout le révolter[463].»
Cependant ce même apologiste et tous les autres avec lui, demeurent accablés sous le poids de tant de témoignages qu'ils ne songent ni à infirmer ni à détruire. Ils en confessent toute la force. Ils conviennent «que l'uniformité des aveux sur les faits principaux, leur donne une force réelle, une consistance par laquelle on est ébranlé malgré soi; que d'ailleurs plusieurs de ces aveux ne paraissent ni forcés ni captés; que d'autres sont chargés de détails qu'il est impossible qu'on ait tous inventés ou suggérés aux déposants; que telle circonstance répand sur ce qui la suit ou la précède une couleur de sincérité tout à fait persuasive; enfin que si l'ensemble des actes du procès laisse une impression générale, ce n'est sûrement pas celle de la fausseté absolue des accusations et des aveux[464].»
Que leur reste-t-il donc pour défendre encore les Templiers? Nous allons le dire et l'on aura peine à le croire: quelques-uns, et ce sont les érudits allemands, s'emparant de quelques dépositions assez vagues et les commentant à leur manière, ont essayé de donner une explication favorable des cérémonies impies qui se pratiquoient dans les réceptions. Sur le renoncement à Jésus-Christ ils ont dit sérieusement que c'étoit une sorte d'emblème du renoncement de saint Pierre, un acte symbolique par lequel on avertissoit le récipiendaire que la guerre qu'il alloit faire continuellement aux Sarrasins pouvoit l'exposer à une tentation toute semblable; et que, si jamais il tomboit entre leurs mains, il eût à se préserver d'un semblable égarement; puis que c'étoit peut-être une épreuve de fermeté; peut-être seulement une épreuve d'obéissance; peut-être enfin l'acte d'une religion plus épurée qui rejetoit le culte des images; et bientôt, par une contradiction grossière qu'ils ne semblent pas même avoir aperçue, ils supposent et ont de fortes raisons de croire que la tête mystérieuse qu'on faisoit adorer dans cette réception n'étoit autre chose qu'une châsse de reliques; peut-être un sphinx, symbole du silence absolu que l'on devoit garder sur les affaires de l'ordre; peut-être une tête gnostique; peut-être un simple trophée. Quant à la sodomie, elle n'étoit point ordonnée dans les statuts de l'ordre qui étoient publics et approuvés par le pape: donc elle n'étoit point autorisée dans les réceptions qui étoient secrètes, etc. etc. Nous épargnons à nos lecteurs un grand nombre d'autres raisonnements de cette force.
L'apologiste françois a reculé devant toutes ces absurdités germaniques; et le cynisme philosophique lui fournit d'autres moyens de justifier les Templiers. Pour y parvenir, il passe le plus adroitement qu'il peut sur l'adoration de l'idole, et s'efforce d'établir, contre tous les actes du procès, que ce n'étoit point là un point essentiel de l'accusation[465], parce qu'il a très-bien senti, ayant plus d'esprit que les professeurs allemands, combien cette superstition stupide et détestable jetoit d'invraisemblance sur cette religion épurée que l'on vouloit trouver dans l'action de renier Jésus-Christ et de cracher sur la croix. Il s'empare alors de cette dernière idée et la développe avec une sorte de complaisance: «Nous admettons, dit-il[466], comme un résultat probable qu'une partie des chevaliers du Temple ne suivoit qu'extérieurement la religion, catholique, et qu'elle s'étoit formé un christianisme rectifié[467] exempt des superstitions du vulgaire, et qui peut-être voiloit un pur déisme; mais que, soit la politique, soit l'influence des mœurs du siècle, soit même le vice de son origine, avoient revêtu cette religion philosophique de pratiques et de formes qui ne l'étoient point; inconvénient inévitable en tous temps, parce que tous les esprits ne sont pas également propres à saisir des idées simples et à s'en contenter[468]. Discutant ensuite gravement et savamment l'article de la sodomie et de l'autorisation qu'elle avoit reçue dans l'ordre, il en donne des raisons justificatives qu'on nous permettra sans doute de passer sous silence, et qu'il termine par ces paroles philosophiques plus étranges que tout ce que nous avons cité jusqu'à présent: «De telles pratiques semblent avoir pour but de forcer le néophyte à une abnégation de soi-même qui le livre et le soumet tout entier à ceux qui osent la lui imposer. Une fois qu'il a subi ces humiliantes épreuves, il faut qu'il obéisse en tout aveuglément; avec le sentiment moral s'éteint le sentiment de la personnalité. En prostituant son corps, il a dévoué sa volonté même. Ses corrupteurs sont devenus ses maîtres. C'est là sans doute le pire des expédients de la tyrannie: et pourtant, oserai-je le dire? ce n'est qu'une application plus perverse du même principe qui a dicté beaucoup d'observances monacales, très-opposées dans leurs effets. Ce n'est peut-être qu'une conséquence du système de ces religions qui n'ont affermi leur empire qu'en opprimant la raison humaine sous l'incompréhensibilité des dogmes[469].» C'est ainsi que, dans leur criminelle et coupable indifférence, ces sophistes sans pudeur confondent ensemble les austérités qui font les saints et les abominations qui font les monstres et les scélérats, avouant toutefois et avec un sang-froid qui révolte peut-être encore davantage, que ces pratiques diverses ont des suites à la vérité différentes, et des effets qu'on doit reconnoître comme très-opposés.
Avons-nous donc maintenant à répondre à des avocats qui ont ainsi plaidé pour nous? Nous jetant mal à propos dans des incidents étrangers au procès, perdrons-nous du temps à prouver contre eux que renier Jésus-Christ et cracher sur la croix sont pour des chrétiens et des religieux d'exécrables impiétés et des crimes abominables? Chercherons-nous avec eux et à l'aide d'une érudition puérilement curieuse, quelle étoit la source de l'hérésie des Templiers, si elle étoit grecque ou mahométane, gnostique où manichéenne? Examinerons-nous encore si l'ambition et la puissance de ces moines en faisoient un objet de crainte et de jalousie pour les rois; si Philippe-le-Bel étoit un prince avare; si leurs richesses immenses avoient tenté son avarice, et mille autres questions non moins oiseuses? Tout ceci pour le moment nous importe fort peu, et nous en finirons avec ces singuliers apologistes par ce peu de paroles: Les Templiers étoient-ils coupables d'hérésie et de tant d'autres abominations dont ils ont été accusés? Étoient-ils justiciables du tribunal devant lequel ils ont comparu? Ce tribunal a-t-il procédé dans les formes alors usitées? Est-il résulté de la procédure la conviction qui devoit les faire condamner? La peine qu'ils ont subie étoit-elle celle que les lois alors existantes infligeoient à des crimes de cette espèce? La confiscation des biens étoit-elle une suite légalement établie pour de semblables condamnations? Si vous m'accordez la première de ces propositions (et vous me l'avez accordée), il vous est impossible de me contester les autres: ainsi, bien que les crimes des Templiers soient inouïs, leur procès devient un événement ordinaire; et si l'on peut s'étonner de quelque chose, c'est qu'on ait pu réussir à en faire tant de bruit, et qu'avec ce bruit on soit parvenu à faire tant de dupes.
Le pape Clément V supprima l'ordre des Templiers dans un consistoire secret tenu le mercredi Saint 22 mars 1312; le 3 avril suivant, cette suppression fut publiée, le concile de Vienne tenant alors sa seconde session; et ensuite parut la bulle datée du 6 des nones de mai, laquelle déclare que l'abolition de l'ordre n'est point ordonnée par jugement définitif, mais par sentence provisionnelle et ordonnance apostolique. Cependant comme elle porte que les biens des Templiers seront donnés aux Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, le parlement rendit un arrêt le mercredi après l'Annonciation (1313), à l'effet de mettre frère Léonard de Tibertis, procureur général de l'ordre du maître et des frères de l'ordre Hospitalier, en possession des biens des Templiers. Philippe-le-Bel ordonna l'exécution de cet arrêt, et les hospitaliers y ont été maintenus jusqu'à l'époque de leur destruction[470].
Ces religieux firent des bâtiments du Temple la maison provinciale du grand-prieuré de France. Cette maison occupoit un vaste terrain enfermé de hautes murailles crénelées, et fortifiées d'espace en espace par des tours, lesquelles ont été abattues en partie dans le siècle dernier.
Dans la vaste enceinte qui formoit l'enclos, il y avoit plusieurs corps de bâtiments accompagnés de cours et jardins: le plus considérable étoit le palais du grand-prieur, dont l'entrée est dans la rue du Temple; il avoit été construit vers l'an 1566 par Jacques de Souvré, grand-prieur, sur les dessins de De Lisle. Le chevalier d'Orléans, ayant été depuis revêtu de cette dignité, fit faire à ce palais de grandes réparations en 1720 et 1721, par Oppenord, premier architecte du duc d'Orléans, régent.
La façade, d'une architecture assez médiocre, est décorée d'un ordre dorique à colonnes isolées, surmontées d'un attique avec fronton. La cour, très-spacieuse, étoit entourée d'un péristyle à colonnes couplées, que l'on détruisit lors des dernières réparations, parce qu'il tomboit en ruine; on y substitua des tilleuls plantés en palissade, qui furent loin de remplacer la magnificence de l'ancienne décoration. Le prince de Conti, mort grand-prieur en 1776, ajouta encore à ce palais divers bâtiments[471].
Les tours du Temple formoient aussi un édifice assez considérable: il étoit composé d'une tour carrée, flanquée de quatre autres tours rondes, et accompagnées, du côté du nord, d'un massif surmonté de deux autres tourelles beaucoup plus basses. La hauteur de la grande tour étoit au moins de cent cinquante pieds, non compris le comble. Dans l'intérieur des créneaux on avoit pratiqué une galerie d'où l'on jouissoit d'une vue fort étendue. Ce bâtiment renfermoit quatre étages, à chacun desquels on trouvoit une pièce de trente pieds carrés et trois autres petites pièces pratiquées dans trois des petites tours. La quatrième renfermoit un très-bel escalier qui conduisoit à ces différents appartements, ainsi qu'aux deux tourelles. Les murs de la grosse tour avoient, dans leur moyenne proportion, neuf pieds d'épaisseur, et tout l'édifice étoit en pierres de taille. Cette tour, qui avoit été bâtie en 1306 par un commandeur de l'ordre des Templiers nommé Jean le Turc[472], servit, en plusieurs occasions, de prison d'état[473] et de magasin d'armes.
Il y avoit dans le Temple trois sortes d'habitants: plusieurs grands dignitaires et officiers de l'ordre y avoient leur demeure habituelle; et quelques personnes de qualité y possédoient aussi des hôtels[474].
La deuxième classe étoit composée des artisans que la franchise du lieu y avoit attirés.
La troisième comprenoit ceux qui s'y étoient réfugiés pour éviter les poursuites de leurs créanciers, dont ils ne pouvoient être atteints dans cet enclos privilégié[475].
La totalité de la population du Temple s'élevoit, en 1789, à trois ou quatre mille habitants.
L'église, d'architecture gothique assez jolie, fut bâtie, suivant la tradition, sur le modèle de Saint-Jean de Jérusalem. L'abbé Lebeuf, qui l'avoit visitée, remarque, comme une singularité dans sa construction, une rotonde qui se trouvoit à l'entrée, et qui formoit la nef; elle consistoit en six gros piliers disposés en cercle, qui soutenoient la voûte; et il présume que primitivement cette voûte étoit surmontée d'un dôme[476].
Cet ouvrage, ainsi que quelques vitraux du fond de l'église, paroissoient être du treizième siècle. On y remarquoit les galeries du cloître, à peu près du même temps, et un grand vestibule dans le goût du quatorzième siècle.
Le chœur de cette église étoit assez vaste. On avoit placé l'autel, disposé dans la forme d'un tombeau antique, au milieu d'une balustrade de fer poli, d'une belle exécution.
L'église du Temple étoit dédiée à la Vierge, sous le titre de Sainte-Marie du Temple. Cependant, comme saint Jean-Baptiste étoit le patron de l'ordre, on y célébroit solennellement sa fête, et l'abbé Lebeuf voit en lui le second patron de cette paroisse. Le jour de Saint-Simon et Saint-Jude, anniversaire de la dédicace, il se tenoit au Temple une foire qui attiroit un grand concours de monde[477].
On donnoit à cette paroisse le titre de conventuelle. Elle étoit desservie par ses religieux appartenans à l'ordre, ou qui y étoient agrégés pour cet office. Ils composoient un chapitre qui avoit ses biens particuliers. L'un d'eux avoit le titre de prieur, et exerçoit les fonctions curiales, mais seulement dans l'enceinte du Temple.
Comme le Temple étoit la maison principale du grand-prieuré de France, tous les chevaliers de l'ordre qui mouroient à Paris ou plus près de cette ville que d'aucune autre commanderie, étoient enterrés dans cette église[478].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DU TEMPLE.
TABLEAUX.
Dans le chœur, une Nativité, par Suvée.
Dans la chapelle de Saint-Pantaléon, un tableau très-ancien représentant plusieurs miracles de ce saint.
Dans la chapelle de la Vierge, des vitraux attribués à Albert Durer, représentant diverses circonstances de la vie de Jésus-Christ.
Dans la chapelle de Saint-Jean, des vitraux, par le même, représentant Jésus-Christ couronné d'épines[479].
Dans le chœur s'élevoit un mausolée de marbre noir et blanc, sur lequel étoit la statue d'Amador de la Porte, grand-prieur de France, mort en 1640. Ce monument avoit été exécuté par Michel Bourdin[480].
François de Lorraine, grand-prieur de France, et frère de la reine, épouse de Henri III, roi de France, mort en 1562, étoit inhumé dans la chapelle de la Vierge.
Dans la chapelle du Saint-Nom de Jésus, ou de Saint-Jean, étoit le cénotaphe de Philippe de Villiers de l'Isle-Adam[481], grand-maître de l'ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, mort à Malte en 1534.
C'est dans cette chapelle que l'on enterroit tous les chevaliers de l'ordre qui mouroient à Paris et dans l'étendue du grand-prieuré.
Le bailli de Suffren, chef d'escadre, et vice-amiral de France, y fut inhumé en 1788.
On y voyoit encore les tombeaux et les épitaphes de François Faucon, chevalier, commandeur de Villedieu, mort en 1626; de Bertrand de Cluys et Pierre de Cluys son neveu, tous les deux grands-prieurs, et dont le dernier avoit fait bâtir la chapelle de Saint-Pantaléon. Leur tombeau, engagé sous une arcade dans cette même chapelle, offroit leurs deux statues à genoux, et placées l'une derrière l'autre[482].
LES RELIGIEUSES
DE SAINTE-ÉLISABETH.
Ce couvent, situé vis-à-vis du Temple, et habité par des religieuses du Tiers-Ordre-de-Saint-François, doit son établissement ou plutôt son institution au père Vincent Mussart, qui rétablit en France l'entière discipline de cet ordre. Sa réforme fut d'abord adoptée par madame Marguerite Borrei et par Odille de Réci sa fille, qui avoient fondé, en 1604, un monastère du Tiers-Ordre au bourg de Verceil, près Besançon; et l'exemple de ces saintes femmes l'eut bientôt répandue partout. Ces dames, ayant transféré en 1608 leur couvent à Salins, le mirent, lorsqu'elles embrassèrent la réforme, sous le nom de Sainte-Élisabeth de Hongrie, laquelle fut en conséquence adoptée pour patronne par toutes les religieuses du Tiers-Ordre. Plusieurs, et entre autres le père Hélyot, ont avancé que cette princesse, mise au rang des saints à cause de ses vertus, étoit aussi religieuse du Tiers-Ordre, et qu'elle est la première tertiaire qui ait fait des vœux solennels; mais les preuves qu'ils en apportent ne semblent pas décisives[483].
La réforme du père Mussart trouva des prosélytes à Paris. Sa belle-mère et sa sœur l'embrassèrent, et dix autres personnes suivirent leur exemple. Dès l'an 1613, on trouve plusieurs contrats de donations faites en faveur de cette institution nouvelle[484], ce qui détermina Louis XIII à l'approuver par des lettres-patentes données en 1614, et enregistrées l'année suivante, d'après le consentement accordé par l'évêque de Paris.
Cependant le père Mussart, ayant acheté une maison rue Neuve-Saint-Laurent, fit venir de Salins la mère Marguerite Borrei, et la mit à la tête de cette communauté naissante. Des douze novices que le roi avoit permis de recevoir, il n'y en eut que neuf qui persévérèrent, et qui furent admises à prononcer leurs vœux le 30 mai 1617.
Dans la suite ces religieuses ayant fait quelques acquisitions dans la même rue, vis-à-vis la maison des PP. de Nazareth, qui étoient du même ordre, elles y élevèrent un monastère et une église, dont Marie de Médicis posa la première pierre en 1628, et qui furent achevés en 1630.
L'église fut dédiée, le 14 juillet 1646, sous le titre et invocation de Notre-Dame de Pitié et de sainte Élisabeth de Hongrie, par Jean-François-Paul de Gondi, alors coadjuteur de l'évêque de Paris.
Le portail, d'une forme pyramidale assez élégante, est décoré de deux ordres d'architecture en pilastres doriques et ioniques. L'église, qui vient d'être rendue au culte, présente intérieurement une ordonnance dorique[485].
CURIOSITÉS.
Le tableau du maître-autel représentait Jésus-Christ sur la croix, la Vierge et saint Jean à ses pieds, par un peintre inconnu.
Près du sanctuaire, on lisoit l'épitaphe de M. Babinot, l'un des bienfaiteurs de cette maison. Au-dessus étoit un Christ en marbre.
LES PÈRES DE NAZARETH.
Nous parlerons de l'origine de ces religieux à l'article Picpus (quartier Saint-Antoine).
Dès l'année 1613, ils avoient, rue Neuve-Saint-Laurent, un hospice dont ils prêtoient une partie aux Filles de Sainte-Élisabeth, qui étoient sous leur direction. Ces religieuses y restèrent jusqu'en 1630, époque à laquelle elles prirent possession du monastère qu'elles venoient de faire bâtir dans le voisinage. Les pères de Nazareth saisirent cette occasion de se procurer un établissement permanent dans le lieu même qu'elles venoient de quitter. Les bâtiments y étoient disposés d'une façon convenable pour une communauté; et la direction de ces religieuses leur ayant été confiée, il étoit nécessaire qu'ils fussent à portée d'en remplir facilement les fonctions[486]. M. le chancelier Séguier contribua puissamment, par ses libéralités, au succès de leur établissement, dont il mérita d'être regardé comme le principal fondateur. Toutefois ces pères manquoient de fonds pour achever leur église, lorsqu'en 1732 une personne inconnue jeta dans leur tronc une somme de 5000 liv., qui fut employée à cet usage. L'église et le couvent furent bénits sous le titre de Notre-Dame de Nazareth.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DE NAZARETH.
Dans l'enfoncement de l'aile droite du chœur, une Annonciation, par Le Brun.
Dans la deuxième chapelle à gauche, Marthe et Marie, par Jouvenet.
SÉPULTURES.
Le cœur du chancelier Séguier étoit déposé dans le caveau d'une chapelle destinée à la sépulture de sa famille.
On remarquoit que dans cette chapelle et dans tout le reste de l'église il n'y avoit point d'épitaphes[487].
LES FILLES DU SAUVEUR.
Cette communauté avoit été formée sur le modèle de celle du Bon-Pasteur, par les soins d'un pieux ecclésiastique nommé Raveau, en faveur des personnes du sexe qui, après s'être plongées dans les désordres du monde, avoient pris la résolution de faire pénitence de leurs égarements. Madame Des Bordes et plusieurs autres personnes charitables à qui il avoit communiqué son projet se réunirent pour ouvrir un asile à ces infortunées. On les plaça d'abord, en 1701, rue du Temple; mais la maison qu'on leur avoit accordée n'étant ni assez grande ni assez commode, on leur en acheta une autre en 1704, dans la rue de Vendôme; elles y élevèrent une chapelle qui fut dédiée sous le titre du Sauveur, titre qu'elles adoptèrent aussi pour leur communauté.
Cet utile établissement fut autorisé par lettres-patentes du mois d'août 1727, enregistrées en 1731[488].
SPECTACLES DES BOULEVARTS.
Grands danseurs de Nicolet.
Ce théâtre, situé dans la partie du boulevart qui est au midi de la rue du Faubourg-du-Temple, n'étoit autre chose dans son origine qu'un de ces spectacles ambulants qui se promenoient alternativement de la foire Saint-Germain à celle de Saint-Laurent. Après avoir subi dans ces deux foires une foule de révolutions dont nous aurons occasion de parler par la suite, son dernier directeur, le sieur Nicolet, obtint, il y a environ cinquante ans, la permission de s'établir sur ce boulevart, auquel la ville venoit de faire des embellissements. Aux exercices de ses danseurs de corde, Nicolet joignit la représentation de pantomimes à grand spectacle, et de petites pièces badines qui piquèrent la curiosité des Parisiens, toujours amoureux de la nouveauté. Il y fit assez rapidement sa fortune; et l'existence, jusque là précaire de son théâtre fut enfin consolidée[489].
Ce spectacle commença en 1768, par des marionnettes connues alors sous la dénomination de comédiens de bois. Le début s'en fit aux foires Saint-Germain et Saint-Laurent.
Cette nouveauté eut d'abord quelque succès, mais on ne tarda pas à s'en lasser. Le sieur Audinot, entrepreneur de ce spectacle, obtint alors la permission de substituer des enfants à ses marionnettes, et parvint, à force d'exercices et de soins, à leur faire jouer agréablement de petites pièces composées exprès pour eux, ce qui ramena à son théâtre la foule qui l'avoit déjà abandonné.
Établi sur le boulevart en même temps que les grands danseurs, le sieur Audinot se vit dans la nécessité d'augmenter les ressources de son spectacle, pour pouvoir rivaliser avec ce théâtre et avec celui des Variétés, également établi en 1775 dans son voisinage. Il joignit donc des représentations de pantomimes aux petites comédies qui formoient le fond de son répertoire, et cette innovation lui permit de soutenir la concurrence avec ses rivaux[490].
Théâtre des Variétés-Amusantes.
Ce théâtre, qui avoit pris également naissance dans les foires, fut transporté en 1775 sur les boulevarts, sous la direction du sieur De l'Écluse. On y jouoit de petites pièces de la nature des proverbes, dont le succès étoit principalement dû au jeu de quelques acteurs qui devinrent très-fameux, et que tout Paris voulut voir. Leur prospérité dans cette nouvelle demeure ne les empêchoit point de se transporter aux foires dès qu'elles étoient ouvertes, et d'y donner des représentations pendant toute leur durée.
Cet état de choses se maintint jusqu'en 1784, qu'on fit entrer dans le plan des nouveaux bâtiments qui devoient être élevés autour du Palais-Royal la construction de plusieurs salles de comédie. Avant même que ces bâtiments eussent été construits, on s'étoit empressé d'y bâtir un théâtre provisoire, sur lequel les acteurs des Variétés-Amusantes avoient été transférés. Ils y jouèrent toutes sortes de pièces, excepté la tragédie et la comédie à ariettes, en attendant qu'on eût achevé pour eux la vaste salle qu'occupe maintenant la comédie françoise, alors au faubourg Saint-Germain. Ils continuèrent leurs représentations sur ce nouveau théâtre jusqu'à l'époque de la révolution[491].
Il n'est point, pour les dernières classes de la société, de ferment de corruption plus actif que ces petits théâtres, où l'on ne représente que des mélodrames absurdes ou de petites comédies du genre le plus bas, et qui sont presque toujours très-licencieuses. La littérature des anciens mystères n'étoit pas au-dessous de la plupart de ces pièces de boulevart; et ce spectacle, si goûté de nos aïeux, étoit à la vérité grossier et ridicule, mais du moins sans danger.
HÔTELS.
HÔTELS EXISTANTS EN 1789.
Hôtel de Cambis (rue d'Orléans).
Suivant Jaillot et Sauval, cet hôtel avoit appartenu dans l'origine aux ducs de Retz. Depuis il passa successivement à la famille de Sourdis, et à celle dont il portoit le nom au commencement de la révolution.
Hôtel Le Camus (rue de Thorigni).
Cet édifice, qui méritoit d'être remarqué, est situé au coin de la rue Couture-Sainte-Catherine. Il fut bâti en 1656 par le sieur Aubert de Fontenai, sur une partie de la culture Saint-Gervais, qu'il avoit acquise dans cette intention; et comme ce particulier étoit intéressé dans les gabelles, le peuple donna à sa nouvelle habitation le nom d'hôtel Salé, nom que cette maison a porté long-temps, et sous lequel elle étoit encore connue au commencement de la révolution.
Hôtel d'Ecquevilly (rue Saint-Louis).
Cet hôtel avoit été bâti par Claude de Guénégaud, trésorier de l'Épargne. Il passa depuis au chancelier Boucherat, et enfin à la famille d'Ecquevilly. L'hôtel du chancelier Voisin étoit situé dans la même rue, entre celles de Saint-Claude et du Pont-aux-Choux.
Hôtel de Harlai (rue de Harlai).
Cet hôtel fut bâti au commencement du siècle dernier par M. de Harlai, sur un terrain qui s'étendoit entre le jardin de l'hôtel Boucherat et la rue Sainte-Claude. Il a continué d'appartenir à sa famille jusqu'à la révolution, et sa construction donna naissance à la rue de Harlai, comme nous le dirons ci-après.
Hôtel de l'Hôpital (rue du Temple).
Cet hôtel faisoit l'angle de cette rue et de celle de Vendôme, et ses jardins se prolongeoient sur le boulevart. Il existe encore, mais il a subi de grands changements depuis la révolution. Ses constructions ont été augmentées d'une aile au coin du boulevart, et son jardin est devenu un lieu public où l'on donne des fêtes, des feux d'artifice, etc.[492]
AUTRES HÔTELS
LES PLUS REMARQUABLES DE CE QUARTIER.
- Hôtel de l'intendant de Paris, rue de Vendôme;
- —— de Foulon, boulevart du Temple;
- —— de la Michodière, rue du Grand-Chantier.
Bailliage du Temple.
Ce bailliage tenoit son siége dans l'enclos du Temple, et connoissoit de toutes les causes civiles et criminelles dans l'étendue de son ressort. Les appels se relevoient au parlement.
Société royale d'Agriculture.
Cette société, établie par arrêt du conseil du 1er mars 1761, tenoit ses assemblées, tous les jeudis, à l'hôtel de l'Intendance, rue de Vendôme.
Elle s'occupoit de tous les objets relatifs à l'agriculture; sa principale destination étoit de faire connoître, dans la généralité de Paris, les différentes pratiques d'économie rurale mises en usage dans les diverses provinces du royaume et chez l'étranger. Cette société étoit divisée en trois classes: 1o les membres du bureau, au nombre de vingt; 2o les associés, au nombre de quarante; 3o cent correspondants.
École des Ponts et Chaussées.
Elle étoit située à l'extrémité de la rue de la Perle, dans la maison occupée par M. Perronnet, directeur du bureau des plans, l'un des plus habiles ingénieurs-architectes dont la France puisse se glorifier. Personne n'ignore quelle étoit la célébrité de cette école, d'où il est sorti tant d'ingénieurs distingués, et qui a été la source de tant de projets utiles et magnifiques, dont l'exécution avoit rendu ce beau royaume un objet d'admiration et d'envie pour tous les peuples de l'Europe.
FONTAINES.
Fontaine Boucherat, ou de l'Égout du Marais.
Cette fontaine, qui donne de l'eau de la Seine, fut construite au coin de la rue Charlot en 1697.
Fontaine du Calvaire du Temple.
Cette fontaine, construite en forme de piédestal, et ornée de deux tritons en sculpture, offroit l'inscription suivante, composée par Santeuil:
Felix sorte tuâ Naïas amabilis,
Dignum quo flueres nacta situm loci;
Cui tot splendida tecta
Fluctu lambere contigit.
Te Triton geminus personat æmulâ
Conchâ, te celebrat nomine régiam,
Læto non sine cantu,
Portat vasta per æquora.
Cedent, credo equidem, dotibus his tibi
Posthac nobilium numina fontium.
Hâc tu sorte beata
Labi non eris immemor.
Fontaine Saint-Claude.
Cette fontaine, située au coin de la rue du même nom, du côté du Temple, fut construite vers la fin du siècle dernier. On y avoit gravé cette inscription:
Fausta Parisiacam, Lodoico rege, per urbem,
Pax ut fundet opes, fons ita fundit aquas.
Fontaine de l'Échaudé.
Elle est située Vieille rue du Temple, au coin de celle de Poitou, fut bâtie en 1671, et donne de l'eau de l'aquéduc de Belleville.
Cette fontaine, ainsi nommée parce qu'elle fut construite du temps que le chevalier de Vendôme étoit grand-prieur de France, est située à l'extrémité des murs du Temple, du côté du boulevart. On y lisoit les deux vers suivants:
Quem cernis fontem Malthæ debetur et urbi;
Hæc præbet undas, præbuit illa locum.
Fontaine des Vieilles Haudriettes.
Cette fontaine, située au coin de la rue dont elle a pris le nom et de la rue du Chaume, reçoit l'eau de l'aquéduc de Belleville. Elle fut construite sur les dessins de l'architecte Moreau, et ornée d'une figure de naïade en bas-relief, par un sculpteur nommé Mignot. Le tout est d'une grande médiocrité.
BARRIÈRES.
L'espace de l'enceinte qui borne au nord ce quartier en contenoit trois en 1789, savoir:
RUES ET PLACES
DU QUARTIER DU TEMPLE.
Rue Sainte-Anastase. Elle aboutit d'un côté à la rue Saint-Louis, et de l'autre aux rues de Thorigni et de Saint-Gervais. Ce nom lui vient de celui des religieuses hospitalières de Sainte-Anastase, dites depuis de Saint-Gervais. Le sixième plan du commissaire Delamare indique cette rue comme déjà existante en 1594: c'est une erreur. Un procès-verbal d'alignement, trouvé dans les archives des dames hospitalières dont nous venons de parler, constatoit que ce ne fut qu'en 1620 que la culture de Saint-Gervais commença d'être couverte de maisons. Dans cette pièce, qui est du 4 juillet de cette année, il est dit qu'on a jugé nécessaire de faire sur le terrain de cette culture une rue de vingt pieds de large, pour donner entrée et issue à la ruelle de Thorigni, qui sera appelée rue Saint-Gervais; plus une autre rue de pareille largeur, aboutissant sur l'égout, qu'on appellera rue Sainte-Anastase.
Place d'Angoulême. Cette place, située rue des Fossés-du-Temple, et à laquelle vient aboutir la rue d'Angoulême, a été tracée dans cet emplacement depuis 1780.
Rue d'Anjou[495]. Elle fait la continuation des rues Pastourelle et de Poitou, entre lesquelles elle se trouve située. Elle a été ainsi nommée dès son origine, c'est-à-dire en 1626, comme on peut le voir sur les plans de ce temps-là. Cependant on la trouve désignée sous le nom de rue de Vaujour dans quelques plans postérieurs, notamment dans ceux de Jouvin, de 1676, et de De Fer, en 1692.
Rue de Beaujolois. Elle aboutit d'un côté à la rue de Forez, et de l'autre à celle de Bourgogne. Elle a été ouverte en 1626[496].
Rue de Beauce. Elle aboutit d'un côté à la rue d'Anjou, et de l'autre à l'extrémité des rues de la Corderie et de Bourgogne. Elle fut également tracée en 1626.
Rue de Berri. Elle fait la continuation de la rue d'Orléans, et aboutit aux rues de Bretagne et de Bourgogne, et à celle d'Angoumois ou Charlot. Son origine est de la même époque que les trois précédentes.
Rue Blanche. C'est la partie de la rue Sainte-Maur ou du chemin de Saint-Denis qui se trouve entre la rue des Trois-Bornes et celle du bas Popincourt. Nous n'avons pu rien découvrir au sujet de cette dénomination[497].
Rue des Trois Bornes. C'est un chemin qui traverse de la rue de la Folie-Moricourt dans celle du chemin de Saint-Denis, au coin de la rue Blanche. Elle doit vraisemblablement son nom à quelques bornes qui s'y trouvoient, ou à trois maisons isolées qu'on voyoit encore à son extrémité dans le siècle dernier. Ce chemin étoit tracé dès la fin du dix-septième siècle; mais il ne paroît pas qu'on lui ait donné un nom avant 1730[498].
Rue de Boucherat. C'est la continuation de la rue Saint-Louis jusqu'à celle de Vendôme, à partir de la rue des Filles-du-Calvaire. Le roi, par son arrêt du conseil du 23 novembre 1694, et par celui du 7 août 1696, avoit ordonné que la rue Saint-Louis seroit continuée jusqu'au nouveau cours, et de là en retour jusqu'à la rue du Temple. La ville fut autorisée, l'année suivante, à faire quelques changements à ce plan. La rue qui devoit être continuée jusqu'au rempart sous le nom de rue Neuve-Saint-Louis le fut sous celui de Boucherat, qui étoit le nom du chancelier d'alors, comme il paroît par le procès-verbal d'alignement, du 12 août 1697, et par l'arrêt confirmatif du 12 juillet 1698.
Rues de Bourgogne et de Bretagne. Nous réunissons ces deux rues, parce que l'une sert de continuation à l'autre depuis la rue de la Corderie jusqu'à celle de Saint-Louis, et que souvent on les a confondues ensemble. Tantôt les historiens n'en ont fait qu'une sous le nom de Bretagne ou sous celui de Bourgogne, comme on peut le voir sur plusieurs anciens plans; tantôt on a distingué les rues de Bourgogne et de Bretagne, ce qui a été fait sur des plans plus modernes. Enfin il y en a qui lui donnent les deux noms, quoiqu'ils n'en fassent qu'une rue qu'ils nomment ainsi indistinctement de Bretagne ou de Bourgogne. Cependant il y a lieu de croire que, dans son origine, c'est-à-dire en 1626, on ne la connoissoit que sous le nom de Bretagne, car c'est ainsi qu'elle est indiquée dans le procès-verbal de 1636, et sur les plans antérieurs à celui de Gomboust, qui ne font point mention de la rue de Bourgogne.
Rue des Filles-du-Calvaire. Elle aboutit d'un côté aux rues Saint-Louis et de Boucherat, et de l'autre au boulevart; c'est une continuation de la Vieille rue du Temple. L'ouverture en fut ordonnée par arrêt du conseil, du 7 août 1696. On décida qu'elle seroit appelée rue du Calvaire, à cause du monastère des religieuses de ce nom qui y étoit situé.
Rue du Grand-Chantier. Elle fait la continuation de la rue du Chaume, et aboutit à celle des Enfants-Rouges, au coin des rues Pastourelle et d'Anjou. Nous avons déjà eu occasion de remarquer qu'anciennement elle portoit ce nom du Chaume dans toute son étendue, depuis la rue des Blancs-Manteaux. On l'appela ensuite rue du Chantier du Temple, à cause de celui qui y étoit situé, et enfin du Grand-Chantier, nom qu'elle a toujours conservé depuis.
Rue Charlot. Elle commence au bout des rues de Bourgogne et de Bretagne, et aboutit au Boulevart. Cette rue fut percée en 1626, et appelée d'Angoumois. Elle ne porte pas d'autre nom dans nos anciennes nomenclatures, et sur tous les plans du dix-septième siècle. Mais comme un riche financier, appelé Claude Charlot[499], y fit alors bâtir plusieurs maisons, le peuple lui donna le nom de ce particulier, et ce nom lui est resté; elle aboutissoit alors à la rue Boucherat. En 1694 il fut ordonné qu'elle seroit prolongée jusqu'au boulevart, et dans cette partie elle devoit être nommée rue Bosc, à cause de M. Charles Bosc, seigneur d'Ivry, alors prévôt des marchands. La rue a été continuée, mais sous le même nom d'Angoumois ou Charlot.
Rue Saint-Claude. Elle aboutit d'un côté à la rue Saint-Louis, et de l'autre au boulevart. On croit que son nom lui vient d'une statue de saint Claude, placée au coin du cul-de-sac qui se trouve dans cette rue. Elle existoit dès 1644. C'étoit la continuation de la rue ou chemin qu'on a depuis appelé rue Saint-Pierre. Elle a été ouverte en partie sur un terrain appartenant aux Célestins, nommé en 1481 le clos Margot[500].
Rue de la Corderie. Elle règne le long des murs de l'enclos du Temple, depuis la rue du Temple jusqu'à celle de Bourgogne. On l'a aussi nommée Cordière et des Corderies. Ces noms viennent des cordiers qui y travailloient avant que cet emplacement eût été couvert de maisons.
Rue du Chemin-Saint-Denis[501]. C'est un ancien chemin qui fait la continuation de la rue Saint-Maur jusqu'à la rue Blanche; il a été ainsi appelé parce qu'il conduit aux chemins de Saint-Denis et de Saint-Maur.
Rue de l'Échaudé. Elle traverse de la rue du Temple dans celle de Poitou, et doit son nom à sa situation. Nous avons déjà eu occasion de remarquer qu'on appelle Échaudé une île de maisons en forme triangulaire, qui donne sur trois rues.
Rue des Enfants-Rouges. C'est la continuation de la rue du Grand-Chantier, depuis la rue d'Anjou jusqu'à la rue Porte-Foin. Nous avons remarqué ci-dessus qu'on l'appeloit rue du Chantier-du-Temple, parce qu'on ne la distinguoit pas alors de celle qui porte ce nom. Elle reçut son nouveau nom de l'hôpital établi depuis dans la rue Porte-Foin.
Rue des Quatre-Fils. Elle traverse de la rue du Grand-Chantier dans la Vieille rue du Temple. Dans les anciens actes elle est nommée rue de l'Échelle-du-Temple, dont elle fait la continuation. Elle se prolongeoit même alors jusqu'à la rue de Thorigni. On la trouve aussi désignée, en 1358, et dans quelques titres du milieu du quinzième siècle[502], sous le nom de rue des Deux-Portes. Mais peu de temps après, une enseigne des Quatre Fils-Aimon lui en fit donner le nom, qu'elle a toujours conservé depuis. Aujourd'hui on dit simplement rue des Quatre-Fils.
Rue de la Folie-Moricourt. Elle va de la rue du Faubourg-du-Temple à celle de Mesnil-Montant. C'est un chemin de traverse qu'on trouve nommé sur le plan de Bullet, la Folie-Marcaut, et sur d'autres plans, Moricaut, Mauricaute, et Mauricourt ou Moricourt, qui est le nom d'un particulier.
Rue des Fontaines-du-Roi. Elle aboutit d'un côté à la rue du Faubourg-du-Temple, et de l'autre à celle du chemin de Saint-Denis. Gomboust l'appelle Chemin du Mesnil. Elle doit sans doute son nom à quelques tuyaux de fontaines qui pouvoient y conduire les eaux de Belleville, ou à quelque réservoir qu'on y avoit construit[503].
Rue de Forez. Elle aboutit à la rue Charlot et à celle de Beaujolois. C'est une des rues qui furent tracées en 1626, et désignées sous un nom de province. (Voyez rue d'Anjou.)
Rue Neuve-Saint-François. Elle traverse de la Vieille rue du Temple dans celle de Saint-Louis, et doit le nom qu'elle porte à François Le Févre de Mormans, président des trésoriers de France, qui en donna l'alignement le 4 juillet 1620. Piganiol a été mal informé lorsqu'il a dit qu'elle s'appeloit Saint-François à cause de François Ier, sous le règne duquel elle fut bâtie. On l'a quelquefois confondue avec la rue Françoise, dite aujourd'hui du Roi-Doré.
Rue Saint-Gervais. Elle fait la continuation de la rue de Thorigni, et aboutit à la rue Neuve-Saint-François. Le procès-verbal de 1620, que nous avons déjà cité, porte que, pour donner entrée et issue à la rue de Thorigni, il sera fait une rue de vingt pieds de large qui sera appelée rue Saint-Gervais. Malgré cela le peuple s'obstina à la nommer rue des Morins, comme on peut le voir sur les plans de Gomboust, de Bullet et autres, parce que la culture Saint-Gervais aboutissoit de ce côté au terrain des sieurs Morin, et qu'alors leurs jardins bordoient la rue Saint-Gervais.
Rue Culture-Saint-Gervais. Elle va de la Vieille rue du Temple à la rue Saint-Gervais et à celle de Thorigni. Elle a été percée en même temps que la précédente, et non pas en 1594, comme le dit le commissaire Delamare[504]. Cette rue devoit être nommée rue de l'Hôpital-Saint-Gervais, et on la trouve désignée sous ce nom dans plusieurs titres des dames de Saint-Gervais jusqu'en 1653. Cependant dès 1636 on l'appeloit rue de la Culture, de la Couture et des Coutures-Saint-Gervais. Elle doit ce nom, ainsi que la précédente, au terrain de l'hôpital Saint-Gervais, sur lequel elle a été ouverte. Ce terrain ou culture s'étoit formé de différentes acquisitions, qui faisoient partie du clos Saint-Ladre et de la Courtille-Barbette.
Rues Saint-Gilles et Neuve-Saint-Gilles. Elles sont aussi connues sous le nom de rue Neuve-Saint-Gilles et Petite rue Neuve-Saint-Gilles. La grande commence à la rue Saint-Louis. On l'a prolongée en retour d'équerre pour communiquer au boulevart; et c'est ce retour d'équerre qu'on appelle petite rue Neuve-Saint-Gilles. Valleyre ne les distingue pas l'une de l'autre. La première étoit déjà ouverte en 1644; la seconde ne l'a été qu'à la fin du dix-septième siècle.
Rue du Harlai. Elle aboutit à la rue Sainte-Claude et au boulevart. Nous avons déjà dit que dans la rue Sainte-Claude il y avoit autrefois un second cul-de-sac ou ruelle qui conduisoit au jardin de l'hôtel de Boucherat. Ce jardin se prolongeoit jusqu'au boulevart, et il étoit encore en cet état au commencement du dernier siècle; mais M. de Harlai ayant acheté le terrain qui s'étendoit entre ce jardin et la rue Sainte-Claude, et y ayant fait bâtir un hôtel, alors le cul-de-sac fut prolongé en retour d'équerre le long de cet hôtel jusqu'au boulevart, et prit le nom de rue de Harlai.
Rue des Vieilles-Haudriettes. Elle va de la rue du Temple dans celle du Grand-Chantier, vis-à-vis la rue des Quatre-Fils. Son premier nom étoit rue Jehan l'Huilier, qu'elle portoit en 1290 et qu'elle devoit à un particulier. Elle a été ensuite appelée des Haudriettes et des Vieilles-Haudriettes, à cause de quelques maisons qui y étoient situées, et qui appartenoient aux hospitalières fondées par Étienne Haudri. On lui donna ensuite le nom de l'Échelle du Temple, parce que le grand-prieur du Temple en avoit fait élever une à son extrémité[505]. On trouve aussi qu'en 1636 on l'appeloit rue de la Fontaine-Neuve, à l'occasion de celle que la ville avoit fait construire à l'un des coins de cette rue, et qu'on a rebâtie en 1762. Enfin elle a repris son ancien nom des Vieilles-Haudriettes avant le milieu du dix-septième siècle, et l'a toujours conservé depuis.
Rue de Limoges. Elle aboutit à celle de Poitou et à celle de Bretagne. C'est une des rues dont l'alignement et le nom furent ordonnés en 1626. (Voyez rue d'Anjou.)
Rue Saint-Louis[506]. Elle commence, pour ce quartier, au coin des rues du Parc-Royal et Neuve-Saint-Gilles, et finit au carrefour de la Vieille rue du Temple et des Filles-du-Calvaire. C'étoit sur l'emplacement qu'elle occupe que passoit un grand égout découvert, lequel a subsisté ainsi jusqu'au règne de Louis XIII. C'est pourquoi on l'a nommée successivement rue de l'Égout et de l'Égout couvert, ensuite rue Neuve-Saint-Louis, et Grande rue Saint-Louis. Cet égout couvert avoit été reconstruit à côté de l'ancien en 1618.
Rue de la Marche. Elle traverse de la rue de Poitou dans celle de Bretagne, et fut tracée comme celle-ci en 1626.
Rue de Mesnil-Montant. On appelle ainsi le chemin qui conduit du boulevart au hameau dont il a pris le nom. L'ancien nom de ce hameau est le Mesnil-Maudan. On l'a ensuite altéré en celui de Mesnil-Mautemps et Mal-Temps, enfin Mesnil-Montant. On sait qu'anciennement on appeloit mesnil une maison de campagne, masnilium, mansionile, et qu'on s'est souvent servi de ce mot pour désigner un hameau ou petit village. Si l'on a corrompu le nom primitif de Mesnil-Maudan en l'appelant Montant, ce nouveau nom étoit justifié par la position de ce hameau. Le chemin qui y conduisoit du rempart étoit roide et escarpé. La pente en fut adoucie, redressée et alignée en 1732. Deux ans après, le roi donna l'ordre de planter les arbres qui s'élèvent des deux côtés.
Rue des Moulins[507]. C'est un chemin qui commence à la rue Saint-Maur, ou du chemin de Saint-Denis, et qui conduit aux moulins de la butte de Chaumont, d'où son nom est venu.
Rue de Normandie. Elle aboutit d'un côté à la rue Charlot, et de l'autre au carrefour des Filles-du-Calvaire. Ce n'étoit encore à la fin du dix-septième siècle qu'un chemin qui régnoit depuis ce carrefour jusqu'à l'ancienne porte du Temple. Le terrain entre ce chemin et le boulevart étoit vague. La ville ayant formé le dessein de le couvrir de rues et de maisons, il fut arrêté qu'on y traceroit une rue qui seroit appelée rue de Normandie. Mais elle fut supprimée par arrêt du conseil du 23 novembre 1694. Cette suppression ayant occasionné des plaintes et des représentations de la part des propriétaires des maisons qui avoient leur entrée dans cette rue, le roi y eut égard, et ordonna, par un nouvel arrêt du 7 août 1696, que le dessin formé pour la construction de cette rue seroit exécuté depuis la rue de Périgueux jusqu'à la rencontre de l'aile des murs du Temple. Elle a été prolongée ensuite jusqu'à la rue Saint-Louis, par un autre arrêt du conseil, du 21 février 1701.
Rue des Oiseaux. Elle commence à la rue de Beauce, et, retournant en équerre, elle aboutit à la rue de Bourgogne[508]. Le nom de cette rue lui vient d'une enseigne. Elle est aussi indiquée sur quelques plans sous le nom de la petite rue Charlot.
Rue d'Orléans. Elle aboutit d'un côté à la rue des Quatre-Fils, et de l'autre au coin des rue d'Anjou et de Poitou. Il y a dans cette rue une ruelle fermée à ses deux extrémités, qui, tournant en équerre, aboutit à la rue d'Anjou. On l'appelle ruelle de Sourdis, parce qu'elle règne des deux côtés le long de l'hôtel qui portoit autrefois ce nom.
Rue de l'Oseille. C'est la continuation de la rue de Poitou, depuis la Vieille rue du Temple jusqu'à celle de Saint-Louis. Les anciens plans ne la distinguent pas de l'autre, qui conservoit alors son nom jusqu'au rempart. Jaillot conjecture que les noms d'Oseille et de Pont-aux-Choux, qu'on a donnés à la prolongation de cette rue de Poitou, pouvoient venir des légumes dont étoient couverts les marais potagers sur lesquels elle a été continuée.
Rue du Parc-Royal. Elle aboutit d'un côté à la rue de Thorigni, et de l'autre à la rue Saint-Louis. Elle portoit anciennement le nom de Thorigni depuis la Vieille rue du Temple jusqu'à l'égout, ou rue Saint-Louis. Sauval dit[509] qu'on l'a nommée rue du Petit-Paradis, à l'occasion d'une enseigne, et rue des Fusées, à cause de l'hôtel des Fusées qui en occupoit une partie. Depuis on lui a donné le nom du Parc-Royal, parce qu'elle conduisoit au parc de l'hôtel des Tournelles.
Rue Pastourelle. Elle traverse de la rue du Temple dans celle du Grand-Chantier, vis-à-vis la rue d'Anjou. Suivant Sauval[510], cette rue s'appeloit Groignet en 1296, à cause de Guillaume Groignet, mesureur des blés du Temple, et en 1302 rue Jehan de Saint-Quentin. Elle ne conserva pas long-temps ce dernier nom; car on trouve dans un terrier de Saint-Martin-des-Champs une maison indiquée en 1328 rue du Temple, à l'opposite de la Barre de la Pastourelle; et en 1331, une maison à Roger Pastourel. Ainsi, il y a lieu de croire que c'est à ce particulier ou à sa famille que cette rue doit le nom qu'elle porte aujourd'hui.
Rue du Perche. Elle traverse de la rue d'Orléans dans la Vieille rue du Temple; c'est une de celles dont l'alignement fut ordonné en 1626.
Rue de Périgueux. Elle aboutit d'un côté à la rue de Bretagne, et de l'autre à celle de Boucherat. Elle ne s'étendoit d'abord que jusqu'au chemin sur lequel on a bâti la rue de Normandie; mais en 1697 il fut ordonné qu'elle seroit prolongée jusqu'à la rue de Boucherat. Elle devoit porter en cet endroit le nom de rue Letourneur, qui étoit celui d'un conseiller de ville, alors échevin; mais on ne se conforma point à cette dernière disposition.
Rue de la Perle. Elle traverse de la Vieille rue du Temple dans celle de Thorigni, dont elle a autrefois porté le nom, ainsi que celui de l'Échelle-du-Temple, comme nous l'avons observé ci-dessus. Sauval dit[511] «qu'elle n'avoit point encore de nom en 1759, et que celui qu'elle porte vient d'un tripot carré qui a passé long-temps pour le mieux entendu de Paris.» Piganiol, en copiant cet article[512], ajoute que c'était la perle des tripots. Il eût été plus simple et plus vrai de dire que ce nom venoit de l'enseigne de ce jeu de paume.
Rue Saint-Pierre ou Neuve-Saint-Pierre. Cette rue, qui aboutit d'un côté à la rue Saint-Gilles, et de l'autre à celle des Douze-Portes, fut ouverte en 1640, et appelée rue Neuve, ensuite rue Neuve-Saint-Pierre[513]. Elle se prolongeoit alors jusqu'à la rue Saint-Claude, et même au-delà. Peu de temps après on la nomma rue Neuve-des-Minimes; nom qu'elle portoit en 1655. Le roi, par ses lettres-patentes du mois d'octobre de cette année, permit à M. de Turenne, à M. de Guénégaud et à quelques autres de supprimer cette rue vis-à-vis de leurs maisons, et de la comprendre dans leurs jardins. Cette concession fut enregistrée au parlement le 26 août 1656. La rue ainsi diminuée reprit son ancien nom de Saint-Pierre, qu'elle tenoit d'une statue de ce saint placée à l'une de ses extrémités.
Rue de Poitou. Elle commence au carrefour des rues d'Orléans, d'Anjou et de Berri, et aboutit à la Vieille rue du Temple. Au milieu du dix-septième siècle elle se prolongeoit jusqu'au rempart, ainsi qu'il paroît par les anciens plans.
Rue du Pont-aux-Choux. Elle fait la continuation de la rue de l'Oseille, depuis la rue Saint-Louis jusqu'au boulevart. Ce n'étoit, dans le principe, qu'un chemin qui conduisoit à des marais où l'on cultivoit des choux et autres légumes. À l'endroit[514] où elle commence étoit un ponceau ou petit pont, pour traverser l'égout que la rue Saint-Louis couvre aujourd'hui, et ce pont étoit appelé le pont Saint-Louis, ou le Pont-aux-Choux. Il en est fait mention dans un procès-verbal d'arpentage, du 2 janvier 1624, lequel se trouvoit dans les archives de l'archevêché.
Rue Porte-Foin. Elle va de la rue du Temple dans celle des Enfants-Rouges. Sauval dit[515] qu'en 1282 elle se nommoit la rue des Poulies, et Richard-des-Poulies; que depuis Jean Porte-Fin y ayant élevé un grand logis, le peuple donna son nom à la rue, et que ce nom a été changé depuis en celui de Porte-Foin. Quand on eut établi dans cette rue l'hôpital des Enfants-Rouges, le peuple lui donna aussitôt le nom de rue des Enfants-Rouges, et des Bons-Enfants, comme on le voit sur quelques plans; mais elle a repris le nom de Porte-Foin, qu'elle portoit long-temps avant l'établissement de cet hôpital[516].
Rue des Douze-Portes. Elle aboutit d'un côté à la rue Saint-Louis, et de l'autre à la rue Saint-Pierre. Son premier nom étoit celui de Saint-Nicolas. Sauval dit[517] qu'elle le devoit à M. Nicolas Le Jai, premier président, qui en étoit propriétaire. Elle a pris celui qu'elle porte de douze maisons dont elle étoit composée.
Rue du Roi-Doré. Elle traverse de la rue Saint-Gervais dans celle de Saint-Louis. Cette rue a d'abord été nommée rue Saint-François; elle est ainsi désignée dans le procès-verbal d'alignement du 4 juillet 1620, et dans celui de 1636 elle est nommée Françoise. Enfin on lui donna le nom de rue du Roi-Doré, à cause d'un buste doré de Louis XIII, qu'on avoit placé à l'une de ses extrémités.
Rue de la Roulette[518]. Cette rue n'est connue comme telle que depuis le milieu du dernier siècle. C'est la continuation de la rue du Mesnil-Montant, depuis la rue de la Folie-Moricourt jusqu'à celle du Bas-Popincourt. Son nom est dû à ces anciens bureaux des commis des fermes préposés pour empêcher la fraude. On les appeloit roulettes, parce qu'ils étoient montés sur des roulettes pour être plus facilement transportés d'un lieu à un autre.
Rue de Saintonge. Elle va de la rue de Bretagne au rempart. On la continua jusqu'à la rue de Boucherat en 1697. Ensuite on décida de la continuer jusqu'au boulevart, sous le nom de rue de Montigni, ce qui ne fut point exécuté.
Vieille rue du Temple[519]. La partie de cette rue qui dépend de ce quartier commence aux coins des rues de la Perle et des Quatre-Fils, et finit au carrefour des Filles-du-Calvaire. On la nommoit autrefois rue de la Couture, Culture, et Clôture du Temple, parce qu'elle aboutissoit à cet édifice; puis, rue de l'Égout du Temple à cause de l'égout qui passoit en cet endroit. Enfin on la trouve désignée sous les noms de rue de la Porte Barbette, de la Poterne Barbette, rue Barbette et Vieille-Barbette. Elle devoit ces noms à l'hôtel Barbette, dont il sera parlé au quartier Saint-Antoine.
Rue du Temple. Cette rue qui fait la continuation de la rue Sainte-Avoie, et aboutit au boulevart, doit son nom à la maison des Templiers, à laquelle elle conduisoit. Dès 1235 on l'appeloit vicus militiæ Templi, et en 1252 rue de la Chevalerie du Temple.[520] Elle a été prolongée jusqu'au boulevart en 1697[521].
Rue du Faubourg-du-Temple. Le nom de cette rue est dû au Temple, au-delà duquel elle est située. Nous avons déjà dit que, dès avant le règne de Charles IX, il y avait déjà en cet endroit quelques maisons, dont le nombre, s'étant successivement augmenté, a formé ce faubourg. On trouve dans les archives de Saint-Merri qu'au treizième siècle cet endroit s'appeloit le clos de Malevart, et qu'il fut donné à titre d'échange au chapitre en 1175[522].
Rue des Fossés-du-Temple. Elle conduit du faubourg du Temple au Pont-aux-Choux, le long des fossés dont elle a tiré son nom.
Rue des Marais-du-Temple. Elle traverse de la rue du Faubourg-du-Temple dans celle de la Folie-Moricourt et de Mesnil-Montant. On l'a ainsi appelée à cause des marais potagers dont elle étoit environnée. Auparavant on la nommoit Merderet, et des Trois-Portes, parce qu'alors elle étoit en forme d'équerre, et fermée aux trois extrémités. (On la nomme maintenant rue du Haut-Moulin.)
Rue de Thorigni. Elle aboutit d'un côté à la rue Saint-Gervais, et de l'autre au coin des rues de la Perle et du Parc-Royal. On la nommoit anciennement rue Neuve-Saint-Gervais. Elle étoit connue sous le nom de Thorigni dès 1575[523]. Nous avons déjà eu occasion de remarquer qu'elle faisoit un retour d'équerre, et se prolongeoit jusqu'à la rue Saint-Louis. Ce retour s'appelle aujourd'hui rue du Parc-Royal.
Rue de Touraine. Elle traverse de la rue du Perche dans celle de Poitou. L'alignement en fut ordonné en 1626.
Rue de Vendôme. Elle aboutit d'un côté à la rue du Temple, et de l'autre à la rue Charlot, vis-à-vis celle de Boucherat. Le nom qu'elle porte n'a pas la même origine que ceux de la plupart des rues voisines qui tirent leur dénomination d'une province ou de sa ville capitale; mais il lui fut donné en l'honneur de Philippe de Vendôme, grand-prieur de France, sur le terrain duquel elle avoit été ouverte, en exécution du contrat qui fut passé avec la ville le 17 août 1695.
MONUMENTS NOUVEAUX
ET RÉPARATIONS FAITES AUX ANCIENS MONUMENTS DEPUIS 1789.
Église des Capucins.—Dans le chœur et derrière l'autel, on voit un tableau moderne représentant le Baptême de Jésus-Christ (donné par la ville en 1819).
Marché du Temple.—Il a été construit sur la place qu'occupoient autrefois l'église et la plus grande partie des constructions renfermées dans cet enclos. Ce marché se compose de quatre grands carrés, divisés par compartiments que forment des poteaux entre lesquels ont été établies les places des marchands; et chaque carré est couvert d'une toiture qui le met à couvert de la pluie. Ces marchands sont au nombre d'environ deux mille, fripiers, lingères, ferrailleurs, chapeliers, cordonniers, etc. etc. On entre dans cette vaste foire par deux grandes ouvertures que l'on a pratiquées en abattant plusieurs maisons de la rue du Temple.
Fontaines.—On en construit deux nouvelles devant l'hôtel du grand-prieur. Elles se composent de deux piédestaux sur lesquels s'élèvent deux figures de femmes assises et couronnées de roseaux: l'une tient une rame et une corne d'abondance; l'autre un roseau et une cruche d'où l'eau se répand. Ces figures d'un beau style ont été moulées par Pujol.
Panorama Dramatique.—C'est un petit théâtre que l'on vient de construire tout nouvellement. La façade en est d'un excellent goût. Elle se compose d'une grande arcade ornée de deux colonnes et de deux pilastres entre lesquels sont placées deux figures symboliques: l'une tient un masque et une épée, l'autre des instruments de musique. Dans le tympan sont deux génies tenant d'une main une trompette, de l'autre une couronne; dans le fronton deux autres génies à genoux supportent les armes de France.
Jardin Turc.—Il règne le long du boulevart, et sert, particulièrement le samedi, de réunion aux familles juives.
RUES NOUVELLES.
Rue Neuve de Bretagne. Elle commence à la rue Neuve du Mesnil-Montant et finit à la rue Saint-Louis.
Rue Ferdinand. Elle commence à la rue des Moulins et vient aboutir à la rue Lorillon.
Rue Neuve du Mesnil-Montant. Elle vient aboutir à la rue Saint-Louis, commençant au boulevart.
Rue de la Rotonde. Elle commence dans la rue de Bretagne et vient aboutir dans l'enclos du Temple.
Il y a dans le même enclos une rue nouvellement percée qui vient aboutir à celle de Vendôme; elle est encore sans nom.