Tableau historique et pittoresque de Paris depuis les Gaulois jusqu'à nos jours (Volume 4/8)
QUARTIER SAINTE-AVOIE,
OU DE LA VERRERIE.
Ce quartier est borné à l'orient par la vieille rue du Temple exclusivement; au septentrion, par les rues des Quatre-Fils et des Vieilles-Haudriettes aussi exclusivement; à l'occident, par les rues Sainte-Avoie et Barre-du-Bec inclusivement, depuis la rue des Vieilles-Haudriettes jusqu'à celle de la Verrerie; et au midi, par les rues de la Verrerie et de la Croix-Blanche inclusivement, depuis le coin de la rue Barre-du-Bec jusqu'à la vieille rue du Temple.
On y comptoit, en 1789, seize rues, un cul-de-sac, quatre communautés d'hommes, une de femmes, etc.
L'espace que contient ce quartier, encore hors de la ville sous Louis-le-Jeune, fut renfermé dans son enceinte par la muraille que fit élever Philippe-Auguste. Ce n'étoit d'abord qu'un terrain vague, lequel dépendoit en grande partie de la censive du Temple. Il se couvrit par degrés de maisons; plusieurs établissements religieux s'y formèrent; et sous les règnes de Charles V et Charles VI, si l'on en excepte sa partie septentrionale qui n'étoit point encore entièrement habitée, ce quartier étoit à peu près tel que nous le voyons aujourd'hui. Sur cette partie septentrionale s'élevèrent successivement plusieurs hôtels qui furent ensuite presque tous réunis pour composer le célèbre hôtel de Soubise, dont nous ne tarderons pas à parler.
LES CARMES-BILLETTES.
Les historiens ne sont pas d'accord sur l'origine de cet établissement. Corrozet, Dubreul, Félibien, Helyot, Sauval, en ont parlé chacun différemment. La vérité se perd au milieu de ce conflit d'opinions diverses; et, sans fatiguer nos lecteurs d'une discussion fastidieuse et peu importante, nous nous bornerons à donner ici ce qui nous a paru le plus vraisemblable.
En 1294, Reinier Flaming, bourgeois de Paris, ayant obtenu du roi Philippe l'emplacement de la maison d'un juif condamné au dernier supplice pour un sacrilége horrible qu'il avoit commis sur la sainte hostie[351], résolut d'y bâtir une chapelle: le pape Boniface VIII, instruit de ses intentions, engagea, par sa bulle du 17 juillet 1295, l'évêque de Paris à permettre l'érection de ce pieux monument, lequel fut appelé la Maison des Miracles[352].
Gui de Joinville, seigneur de Dongeux ou Dongiers (de Domno Georgio), avoit, en 1286, fait bâtir à Boucheraumont, dans le diocèse de Châlons-sur-Marne, un hôpital pour y recevoir les malades et les pauvres passants. Cet hôpital étoit desservi par une communauté séculière d'hommes et de femmes, sous le titre et la protection de la Sainte-Vierge, ce qui leur avoit fait donner le nom d'Hospitaliers de la Charité N.-D.
Le succès de cet établissement ayant fait naître au fondateur la pensée d'en former un autre tout semblable à Paris, il jeta les yeux sur la maison des Miracles, que Reinier Flaming consentit à lui céder. Non-seulement Philippe-le-Bel, qui régnoit alors, donna son approbation à ce marché; mais ce prince voulut encore favoriser la nouvelle institution, en faisant présent aux Hospitaliers des restes de la maison du juif et d'un autre bâtiment qui en étoit voisin[353].
Ceci arriva en 1299. À cette époque les frères qui composoient cette communauté n'étoient encore d'aucun ordre approuvé par l'Église. En 1300, Gui de Joinville les engagea à choisir celui du tiers-ordre, ils l'embrassèrent en effet; mais il paroît qu'ils le firent sans autorisation de supérieurs ecclésiastiques, et sans les formalités requises; car quoique plusieurs actes, datés de 1312 et 1315, leur donnent déjà le titre de religieux, et appellent leur maison l'Hôpital des frères religieux, ou Collège des Miracles de la Charité N.-D., il n'en est pas moins vrai qu'ils reconnurent eux-mêmes qu'ils étoient illégalement constitués, dans une supplique qu'ils présentèrent au pape Clément VI, lequel, par ses bulles du 27 juillet 1346, leur donna l'absolution des censures qu'ils avoient encourues, et commit l'évêque de Châlons pour leur donner l'habit et la règle de Saint-Augustin; ce qui fut exécuté le 13 avril de l'année suivante.
La vie exemplaire que menoient ces religieux ne tarda pas à exciter la libéralité des fidèles; et les aumônes qu'ils reçurent furent bientôt assez abondantes pour leur fournir les moyens de faire bâtir un cloître, des lieux réguliers, et d'agrandir leur chapelle, qui fut consacrée en 1350[354]. Il paroît cependant que les changements opérés dans ce quartier au commencement du quinzième siècle, et principalement l'exhaussement considérable du pavé de la rue des Billettes, les obligèrent de rebâtir de nouveau le cloître et l'église[355]: cette dernière fut dédiée le 13 mai 1408.
Dans la suite des temps, le relâchement qui s'étoit insensiblement introduit parmi ces religieux fut enfin porté à un tel excès qu'on songea à les réformer; mais les différents projets que l'on proposa à ce sujet éprouvèrent tant d'obstacles qu'il fallut y renoncer, et prendre le parti de laisser éteindre cet ordre. Autorisés à vendre leurs biens pour payer leurs dettes, les Hospitaliers, après avoir offert leur maison à différents ordres religieux, traitèrent avec les Carmes de l'observance de Rennes, en la province de Tours, à qui ils cédèrent l'église, prieuré et monastère des Billettes, et tous les biens, meubles et immeubles appartenans audit prieuré, par concordat du 24 juillet 1631, lequel fut approuvé la même année par l'archevêque de Paris, et confirmé par lettres-patentes du roi, vérifiées au parlement le 8 janvier 1632, et en la chambre des comptes le 22 mai 1633; enfin l'union de ce prieuré à la congrégation des Carmes reçut le dernier sceau de l'autorité, par les bulles confirmatives que ces religieux obtinrent d'Urbain VIII, le 12 février 1632, en vertu desquelles ils en prirent possession le 27 juillet 1633. Ils s'y sont maintenus jusqu'au moment de la suppression des ordres monastiques.
Vers le milieu du dernier siècle, l'église de ce couvent fut rebâtie de nouveau sur les dessins du frère Claude, religieux dominicain, qui se mêloit d'architecture, mais qui ne donna pas, dans cette occasion, une grande preuve de son habileté. Il étoit impossible de voir une construction plus mauvaise, plus incohérente dans toutes ses parties que celle de cet édifice[356].
CURIOSITÉS.
SÉPULTURES.
Dans cette église étoit le tombeau de Papire Masson, écrivain françois, et érudit estimé, mort en 1611.
Dans une des chapelles avoit été inhumé le cœur de l'historien Mezeray, ainsi que le faisoit connoître l'inscription suivante:
D. O. M.
«Ci-devant repose le cœur de François-Eudes de Mezeray, historiographe de France, secrétaire perpétuel de l'académie françoise. Ce cœur, après sa foi vive en Jésus-Christ, n'eut rien de plus cher que l'amour de sa patrie. Il fut constant ami des bons, et ennemi irréconciliable des méchants. Ses écrits rendront témoignage à la postérité de l'excellence et de la liberté de son esprit, amateur de la vérité, incapable de flatterie, qui, sans aucune affectation de plaire, s'étoit uniquement proposé de servir à l'utilité publique. Il cessa de respirer le 10 juillet 1683.»
LES CHANOINES RÉGULIERS DE SAINTE-CROIX-DE-LA-BRETONNERIE.
Théodore de Celles, chanoine de Liége, désirant mener une vie solitaire et contemplative, s'étoit retiré avec quelques compagnons sur une petite colline près de Huy, entre Liége et Namur. Il y avoit en cet endroit une petite église appelée Saint-Thibaud-de-Clairlieu: l'évêque de Liége la leur donna, et ils y bâtirent, en 1211, un monastère, qui devint depuis le chef-lieu de l'ordre. La nouvelle institution fut approuvée par Honoré III, et confirmée au concile général tenu à Lyon en 1245 par Innocent IV. Ces chanoines suivoient alors la règle de Saint-Dominique; et comme leur occupation principale étoit de méditer sur la Passion et sur la Croix de Jésus-Christ, ils furent appelés Frères de la Sainte-Croix, Croisiers, Porte-Croix, Cruciferi, Crucigeri, Cruce signati.
Saint Louis ayant été informé de la vie édifiante de ces chanoines réguliers, et des succès des prédications de Jean de Sainte-Fontaine, leur troisième général, en fit venir quelques-uns à Paris, et les plaça rue de la Bretonnerie, dans une maison où étoit l'ancienne monnoie du roi, et que depuis ils ont toujours occupée.
Les historiens ne sont pas d'accord sur l'époque précise à laquelle le pieux monarque introduisit ces chanoines à Paris; mais on peut conjecturer avec beaucoup de vraisemblance que ce fut entre les années 1254 et 1258. En effet, saint Louis partit le 10 juin 1248 pour la Terre-Sainte, d'où il ne revint qu'à cette époque de 1254; et des lettres de ce prince, du mois de février 1258, constatent que, pour augmenter la demeure de ces chanoines, il leur avoit fait céder par Robert Sorbon quelques maisons contiguës, en lui donnant en échange d'autres maisons, situées rue Coupe-Gueule[357]: il en faut donc conclure que les frères de Sainte-Croix étoient déjà établis en 1258, mais que leur établissement étoit très-récent.
Ces chanoines restèrent long-temps paisibles dans l'obscurité de leur cloître, jusqu'à ce que le relâchement qui s'introduisit peu à peu dans l'observation de leur règle eût fait d'assez grands progrès pour appeler sur eux l'attention de l'autorité. On tenta, au commencement du seizième siècle et à plusieurs reprises, mais inutilement, d'y opérer une réforme; et, quoique le parlement se fût joint à cet effet à la puissance ecclésiastique, il n'en résulta rien de bien satisfaisant jusque vers la fin du règne de Louis XIII, que le cardinal de La Rochefoucauld ayant été chargé, par le souverain pontife, de la réformation des ordres religieux, saisit l'occasion de quelques désordres qui s'étoient passés dans cette maison, pour y introduire des chanoines réguliers de Sainte-Geneviève. Ceux-ci, après y être restés trois mois, furent obligés d'en sortir[358]; mais les chanoines de Sainte-Croix, touchés sans doute du scandale qui résultoit de semblables événements, prirent le parti de se réformer eux-mêmes, et reprirent la règle de Saint-Augustin, qu'ils n'ont cessé d'observer avec beaucoup de régularité jusqu'à la suppression des ordres monastiques.
L'église, dédiée sous le titre de l'exaltation de la Sainte-Croix, étoit un monument gothique assez vaste, et bâti par le célèbre architecte de la Sainte-Chapelle, Eudes de Montreuil. Elle avoit son entrée principale rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie; et sur la plus grande porte on lisoit l'inscription suivante:
Hæc est domus Domini, 1689.
La maison étoit dans le goût moderne et nouvellement rebâtie[359].
CURIOSITÉS.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, un tableau représentant Notre-Seigneur mis au tombeau, par un peintre inconnu.
Sur le côté gauche du chœur, une Nativité, par Simon Vouet.
Dans une chapelle latérale, un Christ, par Philippe de Champagne.
Le réfectoire étoit décoré de quelques tableaux, parmi lesquels on distinguoit un saint Jean-Baptiste et une Magdeleine, par Colin de Vermont. Ces tableaux étoient encadrés dans une superbe boiserie, exécutée sur les dessins de Servandoni.
Dans le vestibule de ce réfectoire étoit une très-belle fontaine construite par le même architecte; elle étoit décorée de colonnes peintes en marbre; les caissons et autres ornements étoient en plomb doré.
SÉPULTURES.
Dans cette église avoient été inhumés:
Barnabé Brisson, second président au parlement, l'un des quatre magistrats qui furent pendus, le 15 novembre 1591, par ordre des Seize, à une poutre de la chambre du conseil du Châtelet.
Hennequin, conseiller clerc. On voyoit son monument au-dessus des stalles du chœur. C'étoit un bas-relief exécuté par Sarrasin, lequel représentoit une Vertu en pleurs, soutenant le médaillon de ce magistrat.
Il y avoit au-dessous de l'église seize caveaux, qui servoient de sépulture à plusieurs familles de Paris.
LES RELIGIEUSES
DE SAINTE-AVOIE.
Les historiens se sont expliqués si différemment sur l'origine de ces religieuses, qu'il est presque impossible de démêler la vérité dans la foule de leurs récits contradictoires[360]. Le père Dubois[361] est le seul qui nous paroisse avoir recueilli des renseignements exacts sur l'établissement de cette communauté. Cet écrivain rapporte un acte passé devant l'official de Paris, le samedi avant Noël 1288, par lequel il semble que Jean Sequence, chefcier de Saint-Merri, avoit acheté depuis peu une maison dans la rue du Temple; que, conjointement avec une veuve nommée Constance de Saint Jacques, il avoit fait rebâtir cette maison dans l'intention d'y placer une communauté de pauvres femmes veuves, âgées au moins de cinquante ans; et enfin, qu'à cette époque, ces deux charitables fondateurs en avoient déjà recueilli quarante. Le même acte porte qu'ils donnèrent cette maison auxdites pauvres femmes, avec ses appartenances et dépendances, sous la condition de reconnoître comme supérieur et administrateur le chefcier de Saint-Merri et ses successeurs.
L'abbé Lebeuf prétend[362] que des maisons et un oratoire du nom de Sainte-Avoie furent compris dans l'acquisition de Jean Sequence. L'acte que nous venons de citer ne fait aucune mention de cet achat; la fausseté de cette opinion est encore prouvée par une inscription qu'on lisoit autrefois sur le mur de la chapelle de Sainte-Avoie, et qui a été conservée par du Breul[363]. Elle contenoit un legs fait par M. Jean Hersant, jadis fondateur de la chapelle de l'hôtel Sainte-Avoie. Le père Dubois pense aussi que le nom de Sainte-Avoie ne fut donné à la chapelle et à la maison des pauvres femmes que postérieurement à l'an 1288. Il est certain qu'en 1303 et même au milieu du seizième siècle on les appeloit encore les pauvres veuves de la rue du Temple, et que dans tous les titres du chapitre de Saint-Merri, le chefcier y est désigné ainsi: Magister, seu provisor domûs pauperum mulierum de portâ Templi. Il est vrai qu'il existoit dans les archives de ce chapitre un concordat de 1423, où cette communauté est désignée sous le titre de Maîtresses et bonnes femmes de l'hôtel et hôpital Sainte-Avoie; que Corrozet et le plan de Dheulland indiquent également la Chapelle Sainte-Avoie; enfin que la rue où elle est située est appelée rue du Temple, autrement Sainte-Avoie, dans le manuscrit d'un plan terrier de Saint-Merri, fait en 1512; mais on ne peut tirer aucune preuve de ces dates postérieures de beaucoup à la fondation.
Sans appartenir à aucun ordre religieux, ces bonnes femmes vivoient en communauté, soumises à des statuts et à des réglements particuliers. Cependant, ayant témoigné le désir d'embrasser un genre de vie vraiment monastique, pour se conformer aux ordonnances du royaume qui étoient contraires à leur établissement, madame Luillier, veuve de M. de Sainte-Beuve, leur proposa, de concert avec M. Guy Houissier, curé de Saint-Merri, d'adopter la règle et les constitutions des Ursulines, à qui cette dame avoit procuré un établissement, rue Saint-Jacques; et à cette condition elle s'engagea de leur faire une rente de mille livres.
Le concordat par lequel ces bonnes femmes acquiescèrent à ce changement[364] fut signé le 10 décembre 1621, homologué par les grands vicaires de M. le cardinal de Retz, évêque de Paris, le 4 janvier suivant, confirmé par le souverain pontife, et approuvé par lettres-patentes du mois de février 1623, qui furent vérifiées au parlement quelques jours après. Les religieuses ursulines furent mises en possession de la maison de Sainte-Avoie dès le mois de janvier 1622. Les bonnes femmes qui l'occupoient, et dont le nombre étoit réduit à neuf, prirent aussitôt l'habit et persévérèrent avec édification dans le nouvel institut qu'elles avoient embrassé. Ce changement ne fit rien perdre au curé de Saint-Merri de ses droits sur cette maison, et il y conserva jusqu'à la fin tous ceux dont avoient joui ses prédécesseurs[365].
Il falloit monter au premier étage pour voir l'église de ces religieuses, qui étoit assez jolie, mais fort petite. Le maître-autel étoit décoré d'un assez bon tableau représentant l'Annonciation, par un peintre inconnu.
Les religieuses de Sainte-Avoie tenoient une pension de jeunes demoiselles.
LES RELIGIEUX DE LA MERCI,
OU DE NOTRE-DAME
DE LA RÉDEMPTION DES CAPTIFS.
C'est, selon nous, une chose admirable de voir à quel point les institutions religieuses l'emportent, dans cette grande ville, sur celles qui sont purement civiles, non-seulement par leur nombre, mais encore par l'importance de leurs travaux, par la régularité de leur action, par le bien qu'elles font à la société. Ce que la politique n'a pu même imaginer pour le soulagement de l'humanité, parce qu'en effet il est certains dévouements qu'aucune récompense donnée par les hommes ne peut payer, des ordres religieux, l'ont fait parce qu'ils se proposoient un prix qui seul pouvoit être au-dessus de leurs sacrifices. Leur charité avoit prévu tout ce qui peut contribuer à l'ordre et au bonheur dans une vaste cité, toutes les misères, toutes les souffrances qui peuvent affliger ses habitants: nous les avons montrés ouvrant de tous côtés des asiles pour instruire, édifier, soulager. Ils ont fait plus: ils ont étendu cette charité ardente jusque sur des malheureux dont la terre et la mer sembloient devoir les séparer à jamais; on les a vus braver tous les périls, franchir tous les obstacles pour arracher à l'esclavage et la mort des chrétiens que leurs amis, leurs parents mêmes avoient abandonnés; et dans ce triomphe de la religion, ils ont donné une preuve éclatante qu'elle étoit plus forte que toutes les affections humaines, qu'elle l'emportoit même sur les sentiments de la nature.
L'ordre de la Merci, en qui nous admirons ce dévouement sublime et jusque-là inconnu, prit naissance à Barcelone en 1218[366]. Ce n'étoit, dans son origine, qu'une congrégation de gentilshommes qui, pour imiter la charité de saint Pierre Nolasque, leur fondateur, consacrèrent leurs biens et leurs personnes à la délivrance des captifs chrétiens, sur le récit qu'ils avoient entendu faire des cruautés inouïes exercées sur eux par les infidèles, qui ne leur laissoient d'autre alternative que de mourir dans les supplices ou de changer de religion. On les appeloit les Confrères de la Congrégation de N.-D. de Miséricorde. Ils avoient aussi le titre d'ordre royal et militaire, parce que, pendant les premiers siècles de leur institution, ils étoient aussi destinés à faire la guerre aux Maures, qui avoient envahi les plus belles provinces de l'Espagne. Aux trois vœux ordinaires de religion ces pieux chevaliers ajoutoient celui de sacrifier leurs biens, leur liberté, et même leur vie pour le rachat des captifs.
Les succès de cet ordre furent si rapides que, dès 1230, il fut approuvé par Grégoire IX, qui le confirma de nouveau par sa bulle du 17 janvier 1235, en le mettant sous la règle de saint Augustin. Mais, en 1308, Clément V ayant ordonné que cet ordre seroit régi par un religieux prêtre, ce changement occasionna quelques divisions entre les clercs et les laïques: les chevaliers se séparèrent des ecclésiastiques, et insensiblement ces derniers furent seuls admis dans l'ordre.
Les historiens n'indiquent pas la date précise de l'introduction de ces religieux en France; mais on sait d'une manière positive que, dès 1515, ils avoient à Paris une maison et un collége qui subsistoient encore au milieu du dernier siècle, au bas de la rue des Sept-Voies, près de la montagne Sainte-Geneviève. Ils durent leur second établissement, rue de Braque, à la reine Marie de Médicis, qui, par ses lettres du 16 septembre 1613, leur fit donner les chapelles de Notre-Dame et de Saint-Claude de Braque[367]. Les religieux de la Merci en prirent aussitôt possession. L'évêque de Paris approuva ce changement le 4 novembre 1613, et il fut autorisé par lettres-patentes du 1er août 1618. On bâtit alors, à la place de ces anciennes constructions, une église et un monastère; et, depuis cette époque, on reconstruisit le portail de l'église. Il étoit composé de deux ordonnances couronnées d'un attique, au-dessus duquel s'élevoit un campanille. Le premier ordre, dont les colonnes étoient ovales et corinthiennes, fut bâti sur les dessins de Cottard; le second, dont les chapiteaux étoient composites, étoit de Boffrand, qui avoit eu, dit-on, l'intention de disposer la masse entière de ce morceau d'architecture, de manière qu'elle pût se lier avec celle de l'hôtel Soubise, situé vis-à-vis, et lui servir en quelque sorte de décoration. Parmi les constructions pyramidales de ce genre, celle-ci pouvoit passer pour une des plus agréables, parce qu'elle étoit une des plus simples[368].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DE LA MERCI.
TABLEAUX.
Dans une chapelle, un tableau représentant saint Pierre Nolasque recevant le premier, en 1223, l'habit de l'ordre de la Merci des mains de l'évêque de Barcelone, en présence du roi d'Aragon, par Bourdon.
SCULPTURES.
Sur les côtés du maître-autel, les statues de saint Raymond Nonnate et de saint Pierre Nolasque, par Michel Anguier.
La famille de Braque avoit dans cette église un tombeau décoré de figures en marbre blanc[369]. Un cartouche de marbre appliqué sur un des piliers de la nef indiquoit que les cœurs du maréchal de Themines et du marquis de Themines son fils y avoient été inhumés.
C'étoit aussi la sépulture de MM. de La Mothe et Ferrari.
Quoique le rachat des esclaves fût aussi la fin principale de l'institution d'un autre ordre religieux (les Trinitaires Mathurins), il y avoit entre eux cette différence, que non-seulement les Pères de la Merci faisoient le vœu d'aller racheter les captifs, ce qui leur étoit commun avec les Trinitaires, mais encore de demeurer en otage pour eux, vœu que ces derniers ne faisoient point[370].
MONASTÈRE
DES BLANCS-MANTEAUX.
Trois ordres différents ont successivement occupé ce monastère. Les religieux serfs de sainte Marie mère de. J.-C. furent les premiers qui s'y établirent en 1258[371]. Les archives du Temple nous apprennent qu'en cette année Amauri de Laroche, maître de cette maison, permit à ces religieux d'établir dans sa censive un couvent, une chapelle et un cimetière, si l'évêque et le curé de Saint-Jean-en-Grève le trouvoient bon.
Soit que les facultés des serfs de la Vierge ne leur permissent pas de profiter alors de cette faveur, soit que quelque autre obstacle fût venu s'opposer à leur établissement, on voit qu'ils n'obtinrent le consentement de Renaud de Corbeil, évêque de Paris, qu'au mois d'août de l'an 1263, et non en 1258, comme le dit Sauval. La chapelle fut bâtie la même année par les libéralités de saint Louis[372]. Les historiens nous apprennent que ce prince donna en outre quarante sous de rente à la maison des chevaliers du Temple, pour la dédommager du droit de censive qu'elle avoit sur le lieu où fut bâti ce monastère. C'est pourquoi ce prince en est justement regardé comme le principal fondateur, quoique plusieurs particuliers aient aussi contribué de leurs aumônes à l'entier achèvement de cette bonne œuvre.
Les Blancs-Manteaux[373] ne jouirent pas long-temps de l'établissement que la charité leur avoit procuré dans la capitale. Dès l'an 1274, leur ordre fut supprimé par le second concile de Lyon, qui abolit tous les ordres mendiants établis depuis le quatorzième concile de Latran[374], à la réserve des Jacobins, des Cordeliers, des Carmes et des Augustins.
Il paroît que les serfs de la Vierge, qui, par ordre d'Alexandre IV, et en vertu de sa bulle du 15 septembre 1257, c'est-à-dire dès leur origine, avoient adopté la règle de saint Augustin, se maintinrent encore quelque temps, malgré le décret du concile de Lyon: car ce ne fut qu'en 1297 qu'ils se réunirent à un autre ordre monastique établi, à peu près à la même époque, dans le diocèse de la capitale.
Les vertus de saint Guillaume de Malleval, les miracles qui s'opéroient chaque jour sur son tombeau, avoient engagé les fidèles à lui faire bâtir une église et un monastère. Les solitaires qui s'y établirent adoptèrent la règle de saint Benoît, et prirent le nom de Guillelmites, où hermites de saint Guillaume. Sous le règne de saint Louis, ils obtinrent une demeure à Mont-Rouge, près de Paris. Leur maison et leur chapelle étoient alors sous le titre des Machabées.
Ces religieux, quoique mendiants, n'avoient point été du nombre de ceux que Grégoire et le concile de Lyon supprimèrent, parce qu'on les considéroit comme vivant sous la loi d'un ordre approuvé par l'Église. La suppression des serviteurs de la Vierge leur fit naître la pensée de se procurer un établissement dans la capitale. S'étant facilement entendus avec ceux qu'ils vouloient remplacer, ils exposèrent à Boniface VIII qu'il ne restoit plus que quatre membres de cette communauté, y compris le prieur, lesquels désiroient se réunir à eux et entrer dans leur ordre, et lui demandèrent de leur accorder la maison des Blancs-Manteaux. Le souverain pontife y consentit par sa bulle donnée le 18 juillet 1297, et confirmée, l'année suivante, par Philippe-le-Bel.
Dans le siècle suivant, ce monastère se trouvant trop resserré par l'enceinte de la ville à laquelle il étoit contigu, Philippe-de-Valois accorda, en 1334, la permission de percer le mur, et d'y pratiquer une porte, tant pour la commodité des personnes du dehors qui venoient assister au service divin, que pour celle des religieux qui possédoient par-delà l'enceinte une place et quelques bâtiments. En 1404 ils obtinrent encore de Charles VI une tour et environ quarante toises des anciens murs, à condition de payer chaque année quatre livres dix sous huit deniers parisis de rente, et huit sous six deniers parisis de fonds de terre.
Les Guillelmites demeurèrent en possession de ce monastère jusqu'en 1618, époque à laquelle leur communauté étoit réduite à un si petit nombre de religieux[375] qu'ils obtinrent d'être agrégés à la congrégation réformée des Bénédictins, nommée alors Gallicane, et depuis de Saint-Maur. Cette réforme faisoit de rapides progrès, et plusieurs monastères l'avoient déjà embrassée. Les religieux de Saint-Guillaume s'y étant unanimement soumis le 3 septembre 1618, deux jours après, Henri de Gondi, cardinal de Retz, fit entrer des Bénédictins dans leur monastère, et cette union, approuvée par des lettres-patentes de Louis XIII, données la même année, fut maintenue malgré les réclamations du général des Guillelmites, résidant alors dans la ville de Liége.
On lit, dans l'histoire de Paris et dans le Gallia Christiana[376], que la première église des Blancs-Manteaux fut dédiée le 30 novembre 1397, et ensuite le 13 mai 1408. Cette église étoit alors autrement située qu'elle n'est aujourd'hui; elle s'élevoit le long de la rue des Blancs-Manteaux, et touchoit presqu'à la porte Barbette. L'église et le monastère furent rebâtis en 1685; M. le chancelier Le Tellier et dame Élisabeth Turpin son épouse en posèrent la première pierre le 26 avril de la même année.
Cette église, d'une grandeur médiocre, et surtout très-étroite, est cependant composée d'une nef et de bas côtés qui en sont séparés par des arcades ornées de pilastres corinthiens et de médaillons. Le tout est de cette architecture mesquine que l'on ne rencontre que trop communément dans les églises de Paris[377].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DES BLANCS-MANTEAUX.
TABLEAUX.
Au fond du bas côté de l'église, près de la principale porte d'entrée, un grand tableau représentant Jésus-Christ au Jardin des Olives, par Parrocel.
SCULPTURES ET TOMBEAUX.
Auprès du maître-autel, six figures sculptées par un frère lai de cette maison, nommé Bourlet.
Le tombeau de Jean Le Camus, lieutenant civil, mort en 1710, par Simon Mézières. Ce magistrat y étoit représenté à genoux; un ange tenoit un livre ouvert devant lui.
La bibliothèque contenoit environ vingt mille volumes.
Cette maison a servi de retraite à plusieurs bénédictins estimés pour leur vertu et pour leur érudition. C'est là qu'ont été composés l'Art de vérifier les dates, la Nouvelle Diplomatique, la Collection des Historiens de France, et d'autres ouvrages importants[378].
HÔTELS.
HÔTELS EXISTANTS EN 1789.
Hôtel de Saint-Aignan (rue Sainte-Avoie).
Cet hôtel portoit autrefois le nom de Beauvilliers; il avoit été bâti par Le Muet, architecte, pour Claude de Mesmes, comte d'Avaux, célèbre par ses négociations et ses ambassades, et fut ensuite vendu à Paul de Beauvilliers, duc de Saint-Aignan, pair de France. Cet édifice, d'une construction assez régulière, offre sur la cour une ordonnance de pilastres corinthiens qui s'élèvent depuis le rez-de-chaussée jusqu'à l'entablement[379].
Hôtels de Mesmes, de la Trémouille, Caumartin, etc. (même rue).
L'hôtel de Mesmes étoit originairement la demeure du connétable Anne de Montmorency[380].
Henri II se plaisoit quelquefois à venir y faire un séjour passager, ce qui l'avoit fait appeler le Logis du Roi. Cet hôtel passa ensuite à Jean-Antoine de Mesmes, premier président du parlement.
Ce fut dans cette maison que furent d'abord établis les bureaux de la banque de Law. Peu de temps avant la révolution, elle étoit occupée par M. de Vergennes et par les bureaux de la recette générale des finances[381].
On trouve encore dans cette rue les hôtels de la Trémouille et de Caumartin, et dans la rue Bourg-Thiboud l'hôtel d'Argouges.
Hôtel de Soubise.
Cet hôtel, dont la principale entrée donne sur la rue de Paradis, occupe une grande partie du carré que forment les rues du Chaume, des Quatre-Fils, de Paradis, la vieille rue du Temple; et réunit dans son enceinte les emplacements de plusieurs autres hôtels connus dans notre histoire. Du côté de la rue des Quatre-Fils étoit le grand chantier du Temple, dont les Parisiens firent présent au connétable de Clisson[382], et sur lequel il fit bâtir son hôtel en 1383. Du côté de la rue de Paradis s'élevoit l'hôtel des rois de Navarre, de la maison d'Évreux, devenu depuis la propriété du duc de Nemours, comte d'Armagnac, sur lequel il fut confisqué.
L'hôtel de Clisson appartenoit, au commencement du quinzième siècle, au comte de Penthièvre; il passa ensuite au sieur Babon de la Bourdaisière, qui, par contrat du 14 juin 1553, le vendit 16,000 liv. à Anne d'Est, épouse de François de Lorraine, duc de Guise; celui-ci le donna, le 7 octobre 1556, au cardinal de Lorraine son frère, qui en fit don lui-même, le 4 novembre suivant, à charge de substitution, à Henri de Lorraine, prince de Joinville, son neveu.
L'hôtel de Navarre et d'Armagnac, passé au comte de Laval, fut vendu par ce seigneur, en 1545, au sieur Brinon; celui-ci le céda au cardinal de Lorraine, lequel en fit don au duc de Guise son frère, le 11 juin 1556.
Le duc de Guise acheta encore, en 1560, l'hôtel de la Roche-Guion. L'acte d'acquisition porte qu'il étoit alors possédé par Louis de Rohan, comte de Montbazon, seigneur de Guémené, et par dame Éléonore de Rohan son épouse.
Enfin les princes de cette dernière famille acquirent, dans le même temps, plusieurs autres maisons voisines; et c'est sur ce vaste emplacement qu'ils firent bâtir l'hôtel qui reçut leur nom. Il porta ce nom jusqu'en 1697, que François de Rohan, prince de Soubise, l'ayant acheté des héritiers de la duchesse de Guise, en augmenta considérablement les constructions.
Le principal corps-de-logis, qui s'étend depuis la rue du Chaume jusqu'au jardin, et dont la façade donnoit immédiatement sur le passage qui conduisoit de cette rue à la Vieille rue du Temple, avoit été construit par Henri, duc de Guise, sur la conduite et sur les dessins de Lemaire. La grande cour n'existoit pas encore à cette époque. La porte d'entrée se présentoit en pan coupé sur l'angle de la rue du Chaume et de ce passage; elle étoit accompagnée de deux tourelles en saillie qui existent encore, et entre lesquelles étoit située la chapelle, ornée de peintures à fresque par Nicolo, peintre florentin, appelé d'Italie par François Ier pour décorer le palais de Fontainebleau.
La cour d'honneur et la principale entrée sur la rue de Paradis furent ajoutées en 1697 par le prince de Soubise. On retourna l'ancienne porte dans l'alignement de la rue du Chaume, en face de celle de Braque et de l'ancien passage, lequel resta toujours ouvert au public, quoiqu'il traversât tout l'hôtel, sous les fenêtres mêmes du bâtiment principal. Il n'a été fermé que depuis la révolution.
La façade de l'ancien bâtiment fut alors décorée, au rez-de-chaussée, de seize colonnes d'ordre composite, accouplées, dont huit forment au milieu un avant-corps surmonté d'un second ordre de colonnes corinthiennes que couronne un fronton. Les huit autres colonnes du rez-de-chaussée supportent quatre statues qui représentent les quatre Saisons. Deux autres statues allégoriques, la Force et la Sagesse, s'élèvent au-dessus du fronton.
La nouvelle cour a trente et une toises de longueur sur vingt de largeur, et présente une forme elliptique dans l'extrémité qui fait face au bâtiment. Elle est entourée d'une galerie de cinquante-six colonnes accouplées, d'ordre composite, et d'un pareil nombre de pilastres correspondant aux colonnes. La galerie que forme cette colonnade est couverte en terrasse; une balustrade règne au pourtour; l'ensemble en est grand, riche et d'un bel effet[383].
La porte d'entrée principale est également décorée, en dehors et en dedans, de colonnes accouplées, à l'intérieur composites, corinthiennes à l'extérieur. Elles forment sur chaque face un avant-corps, qui étoit autrefois couronné de grands écussons aux armes du prince et accompagnés de statues. Il y avoit encore sur la balustrade plusieurs trophées d'armes qui s'élevoient de distance en distance. Ces diverses sculptures avoient été exécutées par Lorrain, Costou jeune et Bourdy. Toutes ont disparu depuis la révolution, à l'exception des figures des quatre Saisons.
Le vestibule et l'escalier, dont l'ensemble est vaste et magnifique, avoient été décorés de peintures par Brunetti; une salle d'entrée renfermoit des tableaux peints par Restout; plusieurs autres pièces offroient une collection d'ouvrages de peintres françois, tels que Boucher, Trémolière, Vanloo, etc.
Hôtel de Strasbourg.
En 1712, Armand Gaston, cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg, membre de l'académie françoise et de celle des sciences, fit élever, sur une partie du terrain de l'hôtel de Soubise, un autre hôtel, qu'on a nommé d'abord le Palais-Cardinal. Il a sa principale entrée sur la Vieille rue du Temple, une autre sur la rue des Quatre-Fils, et une troisième sur l'ancien passage qui traversoit l'hôtel de Soubise.
La face de cet édifice, sur la cour, est d'une grande simplicité; celle qui regarde le jardin est décorée d'un avant-corps de quatre colonnes, doriques au rez-de-chaussée et ioniques au premier étage, lequel est surmonté d'un attique, et terminé par un fronton. Le jardin est commun aux deux hôtels[384].
On ne trouve d'hôtels anciens dans ce quartier que ceux que nous avons dit avoir été réunis pour former l'hôtel de Soubise. Toutefois nous ne devons pas oublier de dire que le duc d'Orléans, fils de Philippe de Valois, avoit aussi son hôtel joignant l'emplacement où fut depuis le couvent de la Merci. Cet édifice fut en partie compris dans l'hôtel du connétable de Montmorency, dont nous avons déjà parlé.
Hôtel de Notre-Dame du Bec-Hellouin.
Un accord passé en 1273 entre Philippe-le-Hardi et le chapitre de Saint-Merri[385] nous apprend que l'abbé de N.-D. du Bec-Hellouin en Normandie possédoit un hôtel dans une rue de ce quartier, qui en a pris et conservé le nom de Bar-du-Bec[386].
Mont-de-Piété.
Cet établissement avoit été formé par lettres-patentes du 9 décembre 1777, au profit des pauvres de l'hôpital général. En 1786 on éleva dans la rue des Blancs-Manteaux, un peu au-dessus du couvent, un bâtiment considérable pour les bureaux et magasins de cette administration, détruite pendant la révolution, et rétablie depuis dans le même local sur des bases nouvelles. Personne n'ignore que cet établissement est destiné à prêter de l'argent à intérêt sur des nantissements composés de toutes sortes d'effets mobiliers, et à diminuer ainsi les désordres de l'usure, si funestes dans une ville immense où habitent ensemble la richesse extrême et l'extrême pauvreté avec toutes les corruptions qu'elles amènent si souvent à leur suite.
FONTAINES.
Fontaine de Sainte-Avoie.
Elle est située dans la rue de ce nom. On y lisoit l'inscription suivante:
Civis aquam petat his de fontibus: illa benigno
De patrum patriæ munere jussa venit.—1687.
Fontaine de Braque.
Elle est située rue du Chaume, et tire son eau de l'aquéduc de Belleville.
Fontaine des Blancs-Manteaux.
Elle est située dans la rue dont elle a pris le nom.
Fontaine du Paradis.
Elle tire son nom de la rue où elle est située, et donne de l'eau de l'aquéduc de Belleville.
RUES ET PLACES
DU QUARTIER SAINTE-AVOIE.
Rue Sainte-Avoie. Elle fait la continuation de la rue Barre-du-Bec, et aboutit à celle du Temple, au coin de la rue Michel-le-Comte. Anciennement on ne la connoissoit que sous le nom de la grande rue du Temple, dont elle faisoit partie. On lui a donné celui qu'elle porte à cause de la chapelle et de l'hôpital Sainte-Avoie qui y étoient situés[387].
Rue Barre-du-Bec. Elle commence à la rue de la Verrerie, et aboutit à celle de Sainte-Avoie, au coin des rues Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie et Neuve-Saint-Merri.
Guillot l'appelle rue de l'abbaye-du-Bec-Hellouin. Sauval a hésité sur l'orthographe du nom de cette rue et sur son étymologie; il vient, dit-il, ou d'une maison appelée, en 1273, Domus de Barra, ou d'une autre qui, au milieu du seizième siècle, se nommoit l'hôtel de la Barre-du-Bec, ou enfin de l'hôtel de l'Abbé-de-Notre-Dame-du-Bec-Hellouin en Normandie. On ne voit pas trop la raison de cette hésitation; car il cite l'accord passé entre Philippe-le-Hardi et le chapitre de Saint-Merri, en 1273, lequel ne laisse à ce sujet aucune incertitude. Cet acte fait mention de la maison de la Barre, qui avoit appartenu à Simon de Paris, et qui étoit alors en la possession de l'abbé du Bec. Il paroît donc certain que c'est du séjour que les abbés du Bec y ont fait qu'elle a pris son nom[388]. À l'égard de celui de la Barre, on peut également en rapporter l'origine à cette maison, qui étoit le siége de la justice que l'abbaye du Bec possédoit en ce quartier[389]. Ce nom, ainsi que celui de Barreau, vient d'une barre de fer ou d'une barrière de bois qui séparoit le lieu où se tenoient les plaideurs de celui qui étoit réservé aux juges; et c'étoit à cette barrière que se plaçoient ceux-ci pour recevoir les mémoires et les requêtes qu'on avoit à leur présenter. Le chapitre de Saint-Merri avoit une semblable barre, qu'on nommoit les barres de Saint-Merri[390].
Rue des Billettes. Elle traverse de la rue de la Verrerie dans celle de Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie. Au treizième siècle elle s'appeloit rue des Jardins. Piganiol se trompe en disant qu'en 1290 on la nommoit vicus Hortorum. Nos aïeux n'étoient pas si puristes, ils disoient simplement, vicus Jardinorum, vicus de Jardinis, comme on le voit dans les lettres de Philippe-le-Bel, du mois de décembre 1299[391]; dans d'autres actes du quinzième siècle, on la trouve indiquée sous le nom de rue où Dieu fut bouilli, du Dieu Bouliz; enfin, dans Corrozet, sous celui des Billettes.
On a cherché et donné différentes étymologies de ce nom: Sauval insinue qu'il pourroit bien venir d'une espèce de péage qu'on appeloit encore de son temps billette, à cause d'un billot de bois qu'on suspendoit à la porte de la maison où ce péage devoit être acquitté. Pour autoriser cette idée, il pense que, la rue de la Verrerie conduisant à l'ancienne porte Saint-Merri, on payoit peut-être le péage dans quelque maison de cette rue, située au coin de celle des Jardins, et que c'est de là que celle-ci aura reçu le nom de rue des Billettes. Jaillot trouve que cette conjecture est un peu hasardée: «Il est vrai, dit-il, qu'on a appelée billette une petite enseigne posée aux lieux où on devoit payer le péage; mais la rue de la Verrerie n'étoit point un chemin royal où l'on pût établir un bureau pour la perception d'un pareil droit; les marchandises qui y étoient sujettes devoient le payer avant que d'entrer dans la ville: ainsi les droits étoient perçus, de ce côté, à la porte Baudoyer, et de l'autre à celle de Saint-Merri.» Plusieurs autres auteurs ont aussi proposé leurs conjectures, qui ne nous paroissent pas mieux fondées. Ce qui nous a paru le plus vraisemblable, après avoir examiné toutes les discussions qui se sont élevées à ce sujet, c'est que le nom de cette rue est dû aux religieux hospitaliers de la Charité de Notre-Dame qui précédèrent les Carmes dans le couvent situé dans cette rue, et qui étoient connus sous le nom de Billettes dès les premiers temps de leur établissement à Paris. Il n'est pas même hors de vraisemblance que ces hospitaliers, qui, dans leur origine, n'étoient ni tout-à-fait religieux ni tout à fait séculiers, portassent des billettes[392] sur leurs habits comme un signe propre à les faire reconnoître, et que ce soit à cette occasion que le peuple leur ait donné ce nom.
Rue des Blancs-Manteaux. Elle traverse de la rue Sainte-Avoie dans la vieille rue du Temple. Au treizième siècle elle n'étoit connue que sous le nom de la Parcheminerie et de la Petite-Parcheminerie. On la trouve ainsi nommée, en 1268, dans les archives du Temple; mais les religieux qui s'y établirent vers le milieu du même siècle, portant des manteaux blancs, le peuple prit l'habitude de les appeler les Blancs Manteaux, et l'on en donna le nom à la rue; elle le portoit dès 1289, et l'a toujours conservé depuis.
Il y a dans cette rue un cul-de-sac appelé Pequai; il tire cette dénomination d'un particulier nommé Piquet, qui y avoit une maison, et dont on a altéré le nom. Il a porté aussi celui de Novion, parce que M. de Novion a occupé la maison Piquet, et enfin celui des Blancs-Manteaux, parce que ce monastère en étoit voisin. Sauval l'appelle rue Piquet, et ajoute que c'étoit autrefois la rue Molard. Comme il n'est point fait mention de cette rue dans Guillot ni dans les listes des rues des quatorzième et quinzième siècles, Jaillot a conjecturé que la rue Pernelle-Saint-Pol, qui y est distinguée de la rue de l'Homme-Armé, pouvoit bien être cette rue Molard, laquelle seroit enfin représentée aujourd'hui par ce cul-de-sac.
Rue Bourg-Thiboud. Elle donne d'un côté dans le marché du Cimetière-Saint-Jean, et de l'autre dans la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie. On trouve dans les archives de l'archevêché un contrat de vente du mois de juillet 1220, où elle est appelée rue Bourtibou; dans un acte de 1280, vicus Burgi Thiboudi. Ce même nom se trouve dans un arrêt de 1300. Guillot écrit rue Bourc-Tibout. Ainsi les autres noms de cette rue, tels que Beautibourg, Bourtibourg, Bourg-Thiébaut ne sont que des altérations de celui-ci. Quoique Sauval prétende[393] que les rues Bourg-l'Abbé, Beau-Bourg, Bourg-Thiboud, ne viennent pas du mot bourg, mais de noms de famille, il paroît cependant plus vraisemblable de l'attribuer à des amas de maisons hors de la ville, qui ont formé peu à peu de petits bourgs, et auxquels on a donné le nom de l'église qui y étoit située, du seigneur ou du particulier le plus remarquable qui y demeuroit. Telle est sans doute l'origine des bourgs Saint-Germain, du bourg de l'Abbé de Saint-Magloire, du bourg Thiboud, etc. Cette rue n'a pas changé de nom.
Rue de Braque. Elle traverse de la rue Saint-Avoie à celle du Chaume. Il paroit qu'anciennement elle se prolongeoit jusqu'à la Vieille rue du Temple; elle portoit alors le nom de rue des Bouchers et des Boucheries-du-Temple, à cause d'une boucherie que les chevaliers du Temple y établirent en 1182. Arnoul de Braque y fit bâtir, en 1348, un hôpital et une chapelle, et alors on la nomma rue des Boucheries-au-Braque, rue de Braque, et de la Chapelle-de-Braque[394].
Rue du Chaume. Elle aboutit d'un côté dans la rue des Blancs-Manteaux, et de l'autre dans celle du Grand-Chantier, au coin de la rue des Quatre-Fils. Cette rue est ancienne, car il en est fait mention dans les actes de 1290. Il paroît qu'elle donna son nom à une porte que Philippe-le-Bel permit d'ouvrir dans l'enceinte de Philippe-Auguste; et c'est pourquoi elle est souvent indiquée, dans les titres des quatorzième et quinzième siècles, sous le nom de la rue de la Porte-du-Chaume. Il faut observer que quand cette rue (ou chemin) eut été prolongée jusqu'aux murs du Temple, elle prit dans toute son étendue le nom de rue du Chantier-du-Temple, à cause d'un bâtiment ainsi nommé que les Templiers y avoient fait construire, et qui fait aujourd'hui partie de l'hôtel de Soubise; elle le conserve encore dans une de ses extrémités. Lorsque la porte eut été percée, la rue prit le nom de rue de la Porte-Neuve, rue Neuve-Poterne et rue d'Outre-la-Porte-Neuve. Elle reprit depuis le nom de rue du Chaume; on la retrouve ensuite sous le nom du Vieil-Braque. Sur le plan de Saint-Victor, elle est nommée grande rue de Braque; et dans Corrozet rue de la Chapelle-de-Braque. Quelques modernes lui ont donné le nom de rue de la Merci, à cause de la maison et de l'église de ces religieux; mais elle n'a jamais été inscrite sous cette dénomination à aucune de ses extrémités.
Rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie. Elle fait la continuation de la rue Neuve-Saint-Merri, depuis la rue Barre-du-Bec jusqu'à la Vieille rue du Temple. Cette rue fut ouverte sur un terrain qu'on appeloit le Champ aux Bretons et la Bretonnerie. Il a porté aussi, comme nous l'avons déjà dit, celui de la Terre aux Flamands; en 1232 on nommoit le chemin qui le traversoit, rue de Lagny dite la Grande-Bretonnerie, parce qu'il étoit en partie sur le fief de l'abbé de Saint-Pierre de Lagny. Ce terrain devoit sans doute son nom à une famille des Bretons ou Lebreton[395], connue par différents actes du treizième siècle, ce qui le fit donner ensuite à la rue et même aux chanoines réguliers qui s'y établirent. On y a depuis ajouté celui de Sainte-Croix qu'elle a reçu de ces mêmes chanoines. Il paroît, par tous les titres du Temple, que le commencement de cette rue s'appeloit, au quatorzième siècle, rue Agnès-la-Buschère. Elle aboutissoit au carrefour du Temple, formé par celle-ci et par les rues Neuve-Saint-Merri, Barre-du-Bec et Sainte-Avoie[396].
Rue de la Croix-Blanche. Elle aboutit au cimetière ou marché Saint-Jean et à la Vieille rue du Temple. À la fin du treizième siècle, elle étoit connue sous le nom d'Augustin-le-Faucheur. Elle est indiquée ainsi dans des lettres de Philippe-le-Hardi du mois d'août 1280, cuneum sancti Augustini Falcatoris. Ce nom a été altéré depuis par les copistes, qui ont écrit Anquetin, Anquetil, Huguetin, Annequin, Hennequin, Otin-le-Fauche, etc. Elle doit à une enseigne de la Croix-Blanche le nom qu'elle porte, nom sous lequel elle est énoncée dans un bail du 8 juillet 1448, et dans une sentence de licitation du 27 août 1639, laquelle se trouvoit dans les archives de l'archevêché.
Rue de l'Homme-Armé. Elle traverse de la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie dans celle des Blancs-Manteaux. Sauval et l'abbé Lebeuf[397] avancent qu'anciennement on l'appeloit rue Pernelle-Saint-Pol. Jaillot pense qu'ils se sont trompés, attendu que cette rue Pernelle-Saint-Pol est distinguée de celle de l'Homme-Armé dans différents actes. (Voyez cul-de-sac Pequai, rue des Blancs-Manteaux.) On ignore l'étymologie du nom de cette rue.
Rue de Moussy. Elle traverse de la rue de la Verrerie dans celle de Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie. À la fin du treizième siècle, elle étoit connue sous le nom du Franc-Mourier, Morier et Meurier[398]; elle est ainsi désignée sur tous les anciens plans. Corrozet ne l'appelle que ruelle descendant à la Verrerie. Les papiers censiers de l'archevêché prouvent qu'elle portoit le nom de Moussi dès 1644, quoiqu'on trouve quelques actes postérieurs qui lui conservent son premier nom.
Rue de Paradis. Elle traverse de la Vieille rue du Temple dans celle du Chaume. Son nom est dû à l'enseigne d'une maison dont il est fait mention dès 1291; et même, suivant quelques titres du Temple, dès 1287; on la nommoit rue de Paradis ou des Jardins.
Rue du Plâtre. Elle aboutit d'un côté à la rue Sainte-Avoie, et de l'autre à celle de l'Homme-Armé. Sauval dit avec raison qu'en 1240 elle s'appeloit rue Jehan-Saint-Pol, en 1280, la rue au Plâtre, et depuis rue de la Plâtrière et du Plâtre[399].
Rue du Puits. Elle traverse de la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie dans celle des Blancs-Manteaux. On la connoissoit sous ce nom au treizième siècle; il ne paroît pas qu'elle en ait changé.
Rue des Singes. Elle est parallèle à la précédente, et aboutit dans les mêmes rues. Suivant Sauval[400], elle s'appeloit, en 1269, la rue Pierre-d'Estampes. Le peuple avoit altéré et changé ce nom en celui de Perriau, Perrot, Perreau-d'Estampe. On voit, dans le Dit des rues de Guillot, que, dès 1300, on l'appeloit rue à Singes, à cause d'une maison ainsi nommée. Ce nom n'a pas varié depuis[401].
Rue de la Verrerie. La partie de cette rue qui dépend de ce quartier commence à la rue Barre-du-Bec, et aboutit à la rue Bourg-Thiboud et au marché Saint-Jean. Dès le treizième siècle on la trouve ainsi nommée. Sauval dit que son nom vient d'une ou plusieurs verreries qui ont existé en cet endroit. Dans des lettres du chapitre de Notre-Dame, de 1185[402], il est fait mention du terrain qui va depuis la maison de Robert de Paris, rue du Renard, jusqu'à celle de Gui le Verrier ou le Vitrier, usque ad domum Guidonis Vitrearii. Il est vraisemblable que c'est du nom de ce particulier que dérive celui de la rue où il demeuroit[403].
RUES NOUVELLES.
Rue des Guillelmites. Elle a été percée sur le terrain des Blancs-Manteaux, et commençant à la rue qui porte ce nom, elle va finir à celle de Paradis.
PASSAGES NOUVEAUX.
Passage Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie. Il va de la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie à celle des Billettes.