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Théodore de Neuhoff, Roi de Corse

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CHAPITRE VIII

Théodore en Toscane.—Il veut entamer des négociations avec la cour de Turin.—Ses lettres à d'Ormea.—Dominique Rivarola.—Mann joue double jeu.—Rivarola traite avec le gouvernement sarde.—L'expédition de Corse décidée.

Théodore touche une forte somme.—D'où vient l'argent?—Le comte de la Vague.—Rivarola prépare l'expédition.—Théodore proteste.

Neuhoff veut s'embarquer pour la Corse.—Mann empêche ce départ.—Proclamation du roi de Sardaigne.—L'escadre anglaise devant Bastia.—Bombardement.—Rivarola sous les murs de Bastia.—Capitulation de la ville.—Les Anglais renoncent à l'entreprise sur la Corse.

Le roi de Sardaigne et Théodore.—Dénûment du roi de Corse.—La cour de Vienne songe à Neuhoff.—Le projet est abandonné.—Théodore est expulsé de Toscane.

I

«Le baron Théodore, suivant ce qu'on m'assure de très bonne part, va reparaître sur la scène sous les auspices du roi de Sardaigne.» Lorenzi qui, à la fin d'avril 1744, donnait cette information, ajoutait que Charles-Emmanuel III devait fournir une petite flotte à Neuhoff pour lui permettre de reconquérir la Corse. Le grand-duc de Toscane, François de Lorraine, entrait dans ce projet. L'aventurier se trouvait dans une maison de campagne aux environs de Sienne et se tenait prêt à partir, avec dix ou douze personnes qui étaient auprès de lui. Il avait reçu mille sequins et écrivait fréquemment de longues lettres au ministre anglais. Puis, pendant plusieurs jours, il s'était caché dans Sienne, où deux compagnies franches du grand-duc, composées de Corses et commandées par deux de ses parents, tenaient garnison [725]. Ces troupes se mirent en route le 4 mai et se rendirent à Livourne. On présumait que Théodore, sur un avis de Richecourt, devait aussi gagner le port. Il se faisait appeler le baron de Bergheim. Son entourage l'entourait de respect. Son air arrogant montrait qu'il était hautement protégé. Il dépensait largement et on sut que l'argent qu'il avait lui venait du consul anglais à Livourne [726].

Profitant de la guerre qui agitait l'Europe, les Anglais reprenaient, avec la complicité du gouvernement sarde, leurs intrigues pour la possession de la Corse. Mais, cette fois, ils allaient susciter un concurrent à Théodore.

Neuhoff avait comme ami un certain baron de Salis. Par son intermédiaire, au commencement de 1744, il faisait des propositions au marquis d'Ormea, ministre de Charles-Emmanuel III. Il s'agissait de lever un ou plusieurs régiments corses [727]. La correspondance de Théodore à ce sujet passait par les mains de Mann et de Villettes [728].

Le 15 avril, Théodore mandait qu'il pouvait disposer de six à sept mille hommes au moins, prêts à être dirigés sur la Corse. Il faisait demander à l'amiral Matthews les bâtiments nécessaires pour le transport de ces troupes. Les vingt-quatre navires anglais qui se trouvaient à Villefranche pourraient servir à cet usage. Neuhoff marcherait à leur tête. L'amiral devait être assuré que le roi de Sardaigne approuvait et favorisait ce projet [729].

Il était en correspondance suivie avec le baron de Salis, mais ses affaires n'avançaient pas. Il se plaignait de la lenteur qu'on mettait à Turin pour prendre des décisions. Le temps pressait, car ses ennemis ne restaient point inactifs et l'entouraient d'intrigues qui finiraient par paralyser ses efforts. L'Espagne voulait faire proclamer Don Philippe souverain de la Corse. Comme ce prétendant avait un parti assez puissant dans l'île et à Gênes même, Théodore disait qu'il fallait à tout prix écarter cette éventualité. Elle se produirait fatalement si on ne le mettait pas à même d'aller dans le pays dissiper ces manœuvres. Il ne comprenait rien non plus au silence des «seigneurs de Londres». Pourtant on lui avait promis aide et assistance, mais maintenant on ne faisait plus cas de lui et on l'abandonnait. Ses sentiments d'honneur, son dévouement et sa fidélité, tout cela était méconnu. Cette indifférence lui causait de la peine et il s'en rongeait l'âme. Il lui fallait trois vaisseaux entièrement à ses ordres. Les Anglais occuperaient les ports de l'île ou se tiendraient dans le golfe de la Spezzia, tandis qu'il marcherait sus aux Génois. Tel était son plan. «Si puis l'on continue en Italie à être sourd, je dois m'efforcer à faire, pour l'avenir, le muet, et me retirer du tout, laissant le champ libre à tous mes ennemis.» Il envoyait un état des Corses servant en Italie. Il savait les noms de chacun et les officiers qui les commandaient lui avaient assuré qu'au premier signal ils viendraient tous se joindre à lui. «Aucun ne restera en arrière quand il s'agira d'être à mes ordres et moi à leur tête [730].» Les officiers ne s'engageaient pas à grand'chose.

Théodore voulait obtenir du général Breitwitz un congé pour les Corses servant dans les troupes toscanes. Cela ne devait soulever aucune difficulté, car la cour de Vienne serait charmée de voir ces hommes employés au service du roi de Sardaigne. Les hésitations de Turin effrayaient le baron. Si au moins il avait eu le moyen d'envoyer quelqu'un ou mieux d'y aller lui-même; n'ayant plus un sou, il ne pouvait pas se mouvoir. Personne, ami ou ennemi, ne voulait plus lui prêter, même sur gages. Il avait bien des polices de change endossées à son ordre, mais ne sachant plus à qui se fier, voyant au surplus tous ceux qui l'entouraient insensibles à ses demandes et ravis de le plonger davantage dans les embarras, il devait «avaler ces pillules.».

Si l'amiral Matthews était bien inspiré, il seconderait ses vues et l'aiderait à châtier les Génois, qui avaient poussé les Gallispans [731] contre l'Angleterre. «Mes fidèles et sincères remontrances se vérifient journalièrement (sic) de plus en plus. Depuis l'année passée tout se pouvait prévenir, mais que ne cause la présomption et le mépris dans ce monde!» Si l'amiral consentait à s'entendre de bonne foi avec lui, les affaires avanceraient plus en un mois qu'elles ne l'avaient fait pendant deux ans sur les rapports des consuls anglais, tous jacobites et très mal informés.

Il en revenait à son plan. Huit jours suffisaient pour procéder à l'embarquement de six à huit mille hommes. Il se faisait fort de prendre la Spezzia sans difficulté. Laissant une garnison anglaise dans ce port, il irait ensuite à la poursuite des Génois. Il avait écrit tout cela au baron de Salis, à milord Carteret et à ses amis de Londres. Mais, dans ces graves circonstances, il lui était cruel de ne pouvoir envoyer personne à la cour sarde, ni s'y rendre lui-même pour traiter, faute d'argent. Il demandait donc qu'on lui facilitât l'emprunt de cent sequins. Il rembourserait ponctuellement cette somme dès son arrivée à Turin, car il y avait de bons amis [732].

Le baron de Salis lui écrivit le 20 mai: «Vous aurez vu par ma lettre de l'ordinaire dernier qu'on n'est pas content de vos manières d'agir, surtout en réfléchissant que vous vous avisez seulement à présent de demander un projet de capitulation, au lieu que vous auriez dû en faire un vous-même dès le commencement. Comme vous êtes à portée de M. Mann, qui est en correspondance avec M. de Villettes, cette voie est la plus commode et la plus courte pour faire vos affaires. Je suis fâché d'être hors d'état de vous rendre service [733]

Pour hâter les négociations, le roi de Corse écrivit directement au marquis d'Ormea, le 24 mai. La lettre est à citer en entier, car c'est le résumé de toutes ces intrigues et un véritable plan de campagne.

«J'ai différé jusqu'ici à m'adresser en droiture à Votre Excellence avec une de mes lettres, dans l'espérance de pouvoir me rendre en personne en sa présence, ou du moins y envoyer quelqu'un de ma part, comme il lui a plu de notifier au baron de Salis, être nécessaire pour conclure la capitulation de la levée du régiment, mais je n'ai pu jusqu'ici, à mon grand regret, effectuer ni l'un ni l'autre, comme j'en ai fait part en toute confiance audit baron de Salis. Si Votre Excellence m'avait indiqué un quartier d'assemblée, comme je l'ai demandé dans ma première réponse faite audit de Salis en janvier passé, il s'y trouverait déjà un nombre de mes gens à la disposition de Sa Majesté le Roi de Sardaigne, et serais déchargé, moi, en ces quartiers de quantité, qui, par zèle, ont anticipé mes ordres pour me joindre.

«Ayez donc la bonté, Monsieur, de m'informer de la résolution de Sa Majesté et de lui représenter que je livrerai non seulement ces trois bataillons, mais sept à huit mille hommes, si Sa Majesté daigne induire l'amiral Matthews à m'envoyer à Livourne trois à quatre de ses frégates, tant pour me conduire et m'appuyer en Corse que pour escorter, puis les bâtiments de transport chargés de ce monde pour aller débarquer en droiture dans le golfe de la Spezzia, duquel je me fais fort, moi à la tête de mes gens, de me rendre maître bien vite, laissant puis garnison anglaise dans le fort dudit lazaret de la Spezzia, étant important et très nécessaire que la flotte anglaise soit maître (sic) dudit poste, comme aussi du golfe de San Fiorenzo en Corse, pour anéantir toutes les mesures que les Gallispans ont concertées avec Gênes.

«Me trouvant puis débarqué à la Spezzia, je suis très assuré d'être bientôt joint de tous les Corses dispersés en toute l'Italie et d'être en état de pouvoir agir efficacement de concert avec les troupes de Sa Majesté et de ses royaux alliés, contre les Gallispans et alliés, comme de me faire livrer aussi de Gênes même tout ce qui me sera nécessaire pour maintenir et faire subsister mes gens sans être à charge à Sa Majesté et à ses alliés; mais dans ma situation suscitée par ce cruel ennemi de Gênes, je me trouve obligé à faire instance d'une petite avance à pouvoir assister et attirer certains de mes gens des plus accablés; laquelle avance, je prie Votre Excellence de vouloir bien me procurer de Sa Majesté, et de me le remettre à Florence à M. le chevalier Mann, ministre résident de Sa Majesté Britannique en Toscane, sous le couvert duquel et à l'adresse de Van Haagen daignez me donner un mot de réponse. Interposez donc tous vos bons offices auprès de Sa Majesté, pour qu'elle me fasse la grâce de faire savoir à l'amiral Matthews de m'assister sans perte de temps avec trois à quatre frégates pour la susdite expédition, laquelle au péril de ma vie propre et de mes fidèles s'effectuera certainement à la satisfaction et avantage de Sa Majesté le Roi de Sardaigne et de ses royaux alliés, pour lesquels je n'ai rien de plus à cœur que de me sacrifier pour mériter l'honneur de leurs bonnes grâces et haut appui.

«Votre Excellence me permette enfin de lui recommander mes intérêts, lesquels avec mon dessein je lui remets à sa bonne direction la priant d'être convaincue qu'elle ne se repentira jamais de s'être bien voulu employer pour moi, et qu'elle me trouvera toujours avec un attachement des plus sincères, tout dévoué à Elle.

«TEODORO.

«Votre Excellence m'obligera aussi de présenter à Sa Majesté mes assurances de mon respectueux et inviolable attachement pour Sa Royale Personne et royaux intérêts.

«Ce 14 mai 1744 [734]

Théodore n'oubliait rien: les préambules diplomatiques, le plan des opérations militaires, la petite avance, ses respects et ses protestations dévouées pour Charles-Emmanuel.

Quelques jours plus tard, il écrivit encore à d'Ormea. Pensant que l'officier qu'il avait désigné pour aller négocier en son nom à Turin tarderait à revenir de Corse, il avait expédié son secrétaire à Vérone et à Brescia pour remettre ses instructions au comte Marc-Antoine Giappiconi, colonel d'un régiment au service de Venise. Il ordonnait à ce colonel de se rendre sans tarder et en secret à Turin, avec son frère, pour traiter avec d'Ormea et lui faire signer la capitulation. Les frères Giappiconi étaient fidèles et zélés; ils avaient de nombreux amis en Corse. Le choix qu'il en faisait pour plénipotentiaires serait certainement agréé par le ministre. Ils avaient pleins pouvoirs pour conclure.

Marc-Antoine Giappiconi avait accepté le commandement du régiment qu'on devait lever. Le baron priait donc d'Ormea de le faire nommer général-major par Sa Majesté ou, à défaut, son frère. Leurs longs services, leurs mérites personnels, leur attachement, autorisaient cette faveur. Ils avaient refusé les offres les plus brillantes en France et en Espagne pour ne pas abandonner leur roi. «Votre Excellence s'assure de mon attention à composer ce régiment de l'élite de mes gens.» Et il terminait en rappelant au ministre sa lettre du 24 mai [735].

Je ne sais si le fait d'être dévoué aux intérêts de Théodore était une recommandation pour d'Ormea. Mais, ce qu'il y a de certain, c'est qu'à Turin on avait sérieusement songé à se servir de lui pour mener les intrigues destinées à s'emparer de la Corse. Pour quel motif fut-il écarté? On peut supposer que ce fut à cause de ses exigences financières. Il demandait toujours de l'argent!

Sur les conseils de Mann, le ministre allait mettre Neuhoff de côté et traiter avec un concurrent: Dominique Rivarola, l'intrigant agent des révoltés en Italie; celui-là même qui avait essayé de s'aboucher avec les Génois moyennant une honnête récompense. Et s'il n'avait pas trahi ses amis alors, c'est qu'il ne s'était pas entendu avec la république sur la somme.

Mann s'intéressait beaucoup aux affaires de Corse; il désirait la voir enlever aux Génois en faveur des Anglais et de leurs alliés les Sardes. Il s'employait avec zèle à ce dessein. Aussi, après avoir plus ou moins conspiré avec Théodore et après avoir vu que celui-ci n'était pas l'homme de la besogne, avait-il jeté les yeux sur un autre, tout en conservant des relations avec le baron. Les courriers du roi de Sardaigne, qui allaient à Rome, passaient par Florence, justement dans la rue où demeurait Mann. Celui-ci en profitait pour correspondre sans danger avec Villettes et pour recevoir les instructions de Son Excellence le marquis d'Ormea. «Je me ferai, disait-il, un devoir en toute occasion d'obéir aux ordres dont Elle m'honorera, bien persuadé que rien n'est plus capable de m'attirer l'approbation du roi, mon maître, que de m'employer utilement, si je puis, pour le service de Sa Majesté sarde dont les intérêts sont si unis aux siens.» Mann avait communiqué à un de ses amis ce qu'on disait à Turin sur «l'auteur des propositions» (Rivarola). On devait l'engager à venir à Florence. Jusqu'à présent le résident et son ami n'avaient pas jugé à propos de «lui donner la moindre connaissance de l'affaire», mais puisque les offres étaient acceptées en principe, on ne se trouvait plus tenu à la même réserve. Mann voulait lui persuader d'aller à Turin. «C'est assurément le plus sage parti. On réglera plus de choses avec lui en personne en deux jours, qu'on ne ferait dans un mois par lettres, outre qu'en traitant avec lui, les ministres du roi de Sardaigne pourront mieux juger de sa capacité et de ce qu'il est en état de faire.» Rivarola avait été présenté à Mann par le général Breitwitz. Ce dernier désirait n'être nommé qu'à d'Ormea; car la cour de Vienne et le grand-duc pourraient prendre ombrage de le voir s'occuper de cette entreprise sans leur participation. Le général affirmait qu'il serait approuvé par ses maîtres, s'il les mettait au courant; seulement, il les laissait dans l'ignorance. Breitwitz, quelques années auparavant, s'était fait l'intermédiaire de propositions semblables auprès de Marie-Thérèse; mais celle-ci n'y avait pas prêté attention. Mann avait en mains l'écrit original signé par «l'auteur» et scellé de ses armes, contenant ses projets et les conditions où ils pourraient être réalisés. Il n'avait pas envoyé cet écrit à Turin, de crainte qu'il ne vînt à s'égarer ou à être intercepté, mais il le tenait à la disposition des ministres sardes. «Je souhaite ardemment que le succès de cette affaire réponde à l'attente de vos amis», disait-il à Villettes.

«Je vous ai envoyé, continuait-il, par le dernier ordinaire, une lettre de mon correspondant secret—il s'agit de Théodore—à M. le marquis d'Ormea. Dans une autre qu'il m'a écrite en m'en envoyant une pour l'amiral, il me dit: A la fin, M. l'amiral a eu ordre de m'assister et de m'appuyer. Je ne puis rien dire de ce fait jusqu'à ce que l'amiral l'explique. Je suis toujours obligé de répondre au grand nombre de lettres qu'il continue de m'écrire, mais je le fais toujours en termes généraux, en lui disant que je n'ai point reçu d'instructions sur ses affaires, ni aucune réponse de votre part ni de l'amiral; cependant cette méthode ne mettra jamais fin à notre correspondance.» Mann tenait à ce que le baron de Salis ne fût pas informé de ce qu'il disait sur Neuhoff, ce personnage étant absolument prévenu en faveur de l'aventurier. Cet engouement l'étonnait et le fils Salis en était aussi surpris que lui. «Il a peut-être des raisons que nous ignorons [736]

Cette dernière phrase pouvait s'appliquer à Mann lui-même. Quelles étaient les raisons qui l'obligeaient à continuer de correspondre avec Théodore? Pourquoi n'avait-il pas déjà rompu avec un homme qui pouvait le compromettre, sur lequel on ne devait pas compter et qu'il qualifiera lui-même de dangereux? Quand on a commencé à se commettre avec de certaines gens, on est pris dans un engrenage dont il est difficile de sortir. On les a vus mystérieusement; on a prêté l'oreille à leurs discours; on a écouté, sans se fâcher, des propositions louches; on a pensé en tirer parti; les relations se sont nouées; on pensait être toujours à temps de les cesser lorsqu'elles deviendraient trop compromettantes; on leur a écrit; on leur a donné de l'argent: ils vous tiennent. Neuhoff avait causé, à Londres, avec lord Carteret, qui était entré dans ses combinaisons. A Florence, Mann crut faire de la diplomatie en voyant l'aventurier; il ne fut que le complice de ses manœuvres malhonnêtes, car en somme, tout se résumait pour Théodore à se procurer de l'argent. Une fois pris, le résident ne pouvait plus se libérer. Il craignait peut-être que le roi de Corse n'en vînt à dévoiler des choses qu'on ne tient généralement pas à voir étalées au grand jour. Il le ménageait. Ou bien, en diplomate rusé, le gardait-il sous la main pour en faire peur aux alliés de son maître, si ceux-ci ne voulaient pas faire bonne part dans les profits qu'on se promettait.

Quoi qu'il en soit, les affaires de Rivarola prenaient bonne tournure. La Corse était une proie tentante!

Breitwitz avait fait venir Rivarola à Florence et Mann avait eu une conférence avec lui. Il était disposé à aller à Turin pour traiter. Il se faisait fort de lever le corps de troupes nécessaire pour l'expédition. Le ministre anglais disait: «J'avoue qu'au premier coup d'œil, à voir son âge et sa figure, il ne m'a point paru fort propre à faire réussir une pareille entreprise; mais après plusieurs conversations que j'ai eues avec lui, et par les informations que j'ai prises sur son compte, j'ai trouvé que c'était un homme fort accrédité en Corse, et celui de tous les chefs auquel les mécontents de cette île s'adressent le plus volontiers.» Les Génois l'avaient toujours opprimé, ses biens dans l'île—où sa femme se trouvait encore—étaient confisqués et il avait mené pendant plusieurs années sur le continent une existence misérable. Mann l'interrogea sur ses aptitudes à commander un régiment. Il répondit «naïvement» qu'il n'avait pas beaucoup d'expérience pour conduire des troupes régulières. Mais il avait passé une grande partie de sa vie les armes à la main et, pour suppléer à son manque de capacités, il demanda que le roi de Sardaigne nommât un major qui serait à la tête du régiment et des officiers pour maintenir la discipline. On ne devait pas oublier que les insulaires n'obéiraient qu'à un chef de la nation.

Breitwitz avait eu aussi d'excellentes références sur Rivarola. Il en parla à Mann en ces termes: «C'est un homme qui a grand crédit en Corse. Il ne tiendra qu'à lui de faire venir la plus grande partie des Corses qui sont au service de la république de Gênes à celui de Sa Majesté le Roi de Sardaigne, ce qui ferait un double effet.» Et le général pensait que la cour de Vienne et le grand-duc ne soulèveraient aucune difficulté pour permettre aux insulaires qui se trouvaient dans les deux compagnies toscanes de passer dans ce nouveau régiment. Selon Mann, il y avait un officier, Joseph Costa, et soixante soldats corses.

Rivarola était pauvre; ses malheurs et son long exil avaient délabré ses affaires. Il demanda donc que ses frais de voyage à Turin lui fussent payés. Mann, trouvant cette requête justifiée, suppliait Villettes d'arranger la chose—toujours la petite avance! Il est vrai qu'on aurait difficilement trouvé un homme qui eût une situation honorable et assurée pour se lancer dans une entreprise à la Théodore! Rivarola, d'ailleurs, n'attendait pour partir que l'arrivée de son fils et les habits, «qui autant que j'en puis juger, disait Mann, ne feront pas une brillante figure. Il m'a dit qu'il voulait se faire faire un habit avant de se présenter à M. le marquis d'Ormea. J'ai tâché de l'en dissuader, l'assurant que ce ministre ne jugera pas de lui par la façon dont il sera mis.» Le résident s'en remettait entièrement à son collègue de Turin pour régler les conférences que d'Ormea devait avoir avec Rivarola. Ce dernier voyagerait sous le nom de Dominique Santini.

Mann avait connu par Villettes l'épître de Théodore à d'Ormea. Il n'était surpris, ni de son contenu, ni de la manière dont elle avait été reçue. Neuhoff n'était pas satisfait; la lettre du baron de Salis [737], que Mann lui avait transmise, l'avait fortement piqué. «Je ne répondrai nullement, disait-il, ne me mettant en nulle peine pour son contenu si peu digéré, étant d'ailleurs sûr que votre ministère traite cette affaire. Enfin les réponses de Turin en décideront en huit jours et si l'on a changé de sentiment, patience! j'en serai pour les faux frais. Mon secrétaire est parti dimanche passé.—Voilà la substance de sa lettre, écrivait Mann. Je vous disais dans ma dernière, qu'il avait fait partir son secrétaire, circonstance qui ne peut que déplaire. J'avoue néanmoins qu'il ne me semble pas juste de le laisser dans l'incertitude; car, quoique ses propositions soient mal digérées et qu'il ne paraisse pas probable qu'elles puissent mener à rien, et quoiqu'il n'y ait peut-être pas beaucoup de fond à faire sur ce qu'il dit des grandes dépenses qu'il prétend avoir faites, je ne saurais approuver qu'on continue à le bercer de vaines espérances. Quant aux affaires de Corse, je sais qu'il y a encore un parti considérable dans cette île, qui le recevrait avec beaucoup d'empressement s'il y paraissait avec quelque secours réel. Mais il les a trompés si souvent, qu'ils ne se fient plus à ses promesses. J'apprends cependant que ce parti est résolu de lui rester fidèle encore quelques mois, et si après ce temps-là, ils s'aperçoivent qu'il n'est pas réellement soutenu, ils l'abandonneront à coup sûr, sans pourtant se soumettre aux Génois.»

Mann avait appris que Barckley, commandant du Revenger, qui avait amené Théodore d'Angleterre en Italie, s'était informé avec soin où se trouvait son ex-passager. Le capitaine déclarait que s'il pouvait découvrir sa retraite, soit en Toscane, soit à Rome, il irait le trouver en personne. Un individu, qui avait entendu ce propos, l'avait écrit à Théodore. Celui-ci s'était empressé de transmettre cette lettre à Mann. Le ministre ne savait pas pourquoi Barckley tenait tant à voir le personnage; mais il était étonnant qu'il ne se fût pas adressé à lui, car il aurait pu donner des nouvelles de l'aventurier.

Tandis que Mann écrivait, Rivarola était revenu chez lui pour le prévenir qu'il avait dépêché un homme à Sienne afin de ramener son fils. En faisant la plus grande diligence, ils ne pourraient être à Turin que le 15 juin. Rivarola avait fait des frais; Villettes devait donc obtenir qu'il fût indemnisé aussitôt arrivé. Mais à la réflexion, Mann pensa qu'il valait mieux que Rivarola n'attendît pas son fils, car ce serait perdre un temps précieux. On lui avait trouvé comme compagnon de route un «jeune homme discret» et capable, nommé Charles Testori. Ils partiraient le lendemain matin, 8 juin, à la première heure [738].

Ces détails que Mann donnait à son collègue Villettes étaient destinés à passer sous les yeux de d'Ormea. Il agitait en conséquence le spectre de Théodore et le parti considérable que celui-ci avait en Corse afin de maintenir le ministre sarde dans le droit chemin, c'est-à-dire dans de bonnes dispositions pour l'Angleterre. Mann jouait double jeu, et, s'il n'approuvait pas qu'on amusât Théodore, il n'avait qu'à se dégager vis-à-vis de lui. Au contraire, il continuera, pendant longtemps encore, une correspondance qu'aucune utilité apparente ne justifiait.

Arrivé à Turin, Rivarola trouva toutes choses préparées. Le 11 juillet, la capitulation pour la levée d'un régiment d'infanterie corse fut signée. Charles-Emmanuel conféra, le 1er août, le titre de colonel de ce nouveau régiment à Rivarola avec un traitement annuel de trois mille sept cent vingt livres de Piémont et une pension de douze cent quatre-vingts livres à partir du jour où il aurait formé les deux premiers bataillons [739].

Rivarola avait donc supplanté son roi.

«La Savoie et son duc sont pleins de précipices» [740].

D'Ormea était un de ces précipices; Théodore était tombé dedans.

II

Théodore continuait à vivre aux environs de Sienne, en s'entourant d'ombre et de mystère. Cette retraite sûre lui avait été procurée par Richecourt. Il dépensait largement. Le gouverneur de Sienne lui faisait de fréquentes visites, et ce fonctionnaire trouvait très mauvais qu'on cherchât à avoir des nouvelles de l'aventurier. Lorenzi croyait pouvoir affirmer que Richecourt et le frère de celui-ci, qui était au service du roi de Sardaigne, intriguaient fortement en faveur de Neuhoff [741].

Au commencement de juillet, Théodore alla demeurer à Terrazano chez un certain Adrien Franchi. Il payait cinq sequins par mois pour le mobilier et le linge. Son secrétaire était, disait-on, revenu de Venise, en annonçant l'arrivée prochaine de deux officiers avec une forte somme, mais on ne savait pas quel était le souverain qui devait la lui donner. Sur cet avis, le baron avait commandé douze habits de chevalier. Voulait-il éclipser Rivarola? Mais cette commande avait été faite si mystérieusement qu'on ne savait au juste si ces habits étaient tous pareils ou de couleurs différentes [742]

Ce renseignement important fut communiqué dans les formes aux inquisiteurs qui le prirent en considération parce qu'il concernait cet individu «qui troublait tellement la quiétude du gouvernement» [743].

Les uniformes commandés par Théodore ne causaient certainement pas à eux seuls l'inquiétude du Sérénissime Collège. Une autre question préoccupait, sans doute, davantage les Génois. On apprit en effet que le baron avait réellement touché des fonds [744].

Dans la vie mouvementée de Théodore la question de savoir qui lui donnait de l'argent se pose avec une irritante persistance. Il y avait là des compromissions qu'il serait curieux de mettre au jour, mais dont on ne peut avoir la preuve absolue. Certains services—le silence surtout—se payent de la main à la main. On ne fait pas signer de reçus aux maîtres chanteurs. Pendant plusieurs mois le baron ne fit pas parler de lui. Mann n'écrivait plus rien à son sujet. Quand il avait quelque argent devant lui, Neuhoff restait coi, ne cherchant qu'à se cacher. Lorsque la disette venait, il sortait de sa tanière et harcelait tout le monde de ses plaintes et de ses récriminations. Il faisait si bien le mort qu'on le disait gravement malade sans espoir de guérison [745]. Si les Génois préparèrent des illuminations, ils en furent pour leurs frais. Théodore ne devait pas encore mourir. Il avait tout simplement une légère attaque de goutte, dont il fut vite remis.

Il circulait à Florence un manifeste des Corses, proclamant leur fidélité absolue au baron de Neuhoff, le roi qu'ils avaient élu. On n'attribuait pas grande importance à cette pièce, car on la disait fabriquée par les insulaires réfugiés en Toscane [746].

Au mois de septembre, un vaisseau hollandais venant de Tunis arriva à Livourne. Un personnage mystérieux se trouvait à bord. Cet individu se faisait appeler le comte de la Vague. Il avait cinquante ans environ; il était petit et laid. Se doutant qu'on le guettait à terre, il déclara qu'il ferait la quarantaine sur le navire. Le gouverneur exigea son débarquement, mais il refusa de se conformer à cet ordre. Le capitaine le fit mettre de force dans une chaloupe et conduire au lazaret. A peine avait-il mis pied à terre que huit grenadiers l'arrêtèrent et le conduisirent sur le champ dans la citadelle. Le personnage qui se cachait sous le pseudonyme de la Vague n'était autre que Beaujeu. Il avait fait un traité à Tunis au sujet de la Corse. La comédie de 1736 allait-elle recommencer? Les Corses ont bien manqué de devenir musulmans. Beaujeu avait été incarcéré à la demande de la cour de Turin. Charles-Emmanuel n'admettait pas de compétiteur. L'aventurier fut mis au secret le plus absolu et resta en prison jusqu'à sa mort.

Beaujeu avait été dénoncé par son secrétaire. Celui-ci était un moine défroqué, qui se faisait appeler Drakselts et qui, pour se ménager des protections dans le but de se réconcilier avec l'Église, avait livré à d'Ormea tous les papiers de Beaujeu. Parmi eux se trouvaient les traités passés à Constantinople et à Tunis pour faire prendre le turban aux Corses [747].

Revenu en Toscane, Rivarola s'occupait de former son régiment. Il attisait la révolte en Corse, en se maintenant en relations suivies avec les chefs auxquels il promettait—comme Théodore—l'aide d'une puissance [748]. Cette fois-ci, la promesse n'était pas un mensonge.

Pendant ce temps-là, Théodore mangeait son argent. Il le dépensait même si bien qu'au mois de décembre il ne lui en restait plus. Son propriétaire, furieux de n'être pas payé, montrait les dents. Le roi, à défaut de monnaie, lui donnait de belles assurances. Un personnage devait lui apporter des fonds et il avait recommandé au maître de la poste d'introduire cet intéressant visiteur aussitôt son arrivée. On y est toujours pour les gens qui ont de l'argent à vous remettre. Il avait une petite cour: le comte Poggi, un secrétaire, un camérier, deux domestiques et une cuisinière. Un fournisseur s'était fait remettre ses bagages en garantie de son dû, mais, sur l'ordre du Conseil de Régence, le créancier avait rendu les hardes [749].

Les jeunes nobles de Sienne se moquaient de Théodore. Celui-ci, très sensible aux quolibets, parlait de pourfendre cette jeunesse peu respectueuse. Il préféra s'en aller. Il prit logement à Radicondoli, à cinq milles de Volterra, chez un pauvre habitant. Un peu d'argent lui était arrivé: il avait reçu plusieurs personnes à sa table. Il envoyait mystérieusement des émissaires en différents endroits, et, à son ordinaire, il écrivait toujours [750].

Pendant six mois le baron vécut sans tapage. Au mois de juin 1745, il s'avisa que les démarches de Rivarola pourraient lui faire du tort. Il se plaignit amèrement; il ne devait plus avoir un sou. Il écrivit au marquis d'Ormea. Il se permettait de s'adresser en toute confiance à Son Excellence, pour savoir si réellement le roi de Sardaigne avait autorisé Dominique Rivarola à insinuer aux insulaires qu'il allait leur envoyer des troupes pour les délivrer de la tyrannie génoise, à condition qu'ils reconnussent Sa Majesté comme souverain légitime. Ce Rivarola était bien connu en Italie et en Corse pour avoir fait, à différentes reprises, des propositions malhonnêtes aux mécontents au nom de la France, de l'Espagne, de Massa, de Modène, du feu prince Octavien de Médicis et même de Ragoczy. Toutes ces intrigues étaient nouées dans un but d'ambition personnelle. Au lieu d'apporter le bonheur, elles ne favorisaient que la désunion et des «homicides énormes» pour le plus grand avantage des Génois. «Votre Excellence daigne donc imposer silence à cet homme inquiet et variable et me confier à moi les royales intentions de Sa Majesté, auxquelles je me conformerai pour la convaincre de mon attachement inviolable pour ses royaux intérêts et ceux de ses hauts alliés.»

Théodore rappelait ensuite à d'Ormea la lettre qu'il lui avait écrite l'année précédente, «touchant la levée du régiment que M. de Salis lui proposa de sa part». En attendant les instructions de Son Excellence, il n'avait épargné ni peines ni dépenses. La capitulation signée avec Rivarola lui causait un grand préjudice. Il résumait son plan et ses idées sur l'expédition qu'il avait en vue. Il demandait une réponse sous le couvert de M. Mann. Si le ministre le désirait, il irait lui-même incognito à Turin sous le nom de baron de Haagen. Il aurait fait ce voyage l'année précédente s'il en avait eu les moyens. Il terminait en disant qu'on n'aurait jamais à se repentir de s'être intéressé à lui ni d'avoir appuyé ses desseins [751].

Malheureusement lorsque Théodore écrivait, d'Ormea était mort [752]. Son successeur pour les affaires extérieures, le marquis de Gorzegno, continuera les intrigues relatives à la Corse.

Mann avait été chargé de représenter temporairement le roi de Sardaigne à Florence; il favorisait ces intrigues de tout cœur. Théodore l'accablait toujours de demandes d'argent. Le diplomate trouvait décidément que c'était un «homme dangereux et sans fondement» [753].

Le 5 juillet, un nommé Paul-François Sarri, de Bastia, capitaine du régiment corse au service du Piémont, et un certain docteur, Ange de Bonis, d'origine corse, arrivèrent à Turin. Dans la nuit du 5 au 6, ils furent reçus par Charles-Emmanuel auquel ils présentèrent un projet d'expédition en Corse. Le roi soumit ce projet au comte de Saint-Laurent, qui eut pour mission spéciale de s'entendre à ce sujet avec Villettes. Saint-Laurent conseilla d'avoir tout au moins l'appui apparent des alliés, «pour ne pas faire retomber toute la haine sur le roi en cas que le projet ne réussît pas». On se méfiait, à Turin, du grand-duc de Toscane, que l'on supposait être favorable à Théodore. Saint-Laurent eut, le 21 septembre, une conférence avec le ministre anglais. Villettes trouvait l'expédition «très aisée et utile à la cause commune». Comme le fait très bien remarquer M. Giuseppe Roberti, auquel j'emprunte ces détails, l'anglais voyait surtout dans cette entreprise l'intérêt du commerce de sa nation [754]. «Son sentiment est que l'on commence cette affaire par protéger ouvertement les Corses pour les mettre en leur pleine liberté, moyennant qu'ils laissent tous leurs ports francs pour le commerce général avec des franchises particulières pour celui des puissances alliées. Après cela, le coup réussissant, comme il n'en doute point, l'on portera les Corses à se soumettre de plein gré au roi, lorsqu'on démêlera la fusée: disant qu'il ne convient pas de faire, pour à présent, envisager cette expédition comme une conquête pour le roi à la cour de Vienne, qui pourrait en faire un grand cas pour un équivalent ou autres prétentions ailleurs [755].» Rivarola, dans la coulisse, tenait tous les fils de cette intrigue. Son plan était à peu près le même que celui de Neuhoff. L'affaire se préparait.

Pendant ce temps-là, Théodore intriguait à Londres. Il y avait deux amis, «Messieurs Salwey», qui habitaient Leadenhall-street. Le baron leur écrivit le 9 septembre 1745. Cette lettre, banale en apparence, mérite cependant l'attention. Elle montre que l'aventurier se croyait, par des relations antérieures et sans doute par des promesses, autorisé à écrire à tous les personnages anglais, pour les entretenir de ses affaires.

«A quoi dois-je attribuer, mes chers Messieurs Salwey, votre silence, lequel je vous proteste de m'être d'une très sensible mortification. Nonobstant, je me flatte de votre amitié que vous continuez à prendre mes affaires à cœur. Dans cette pleine confiance, je viens par cette [lettre] vous prier de vouloir bien passer chez Milord Carteret, le saluer distinctement de ma part et le prier de me faire savoir, sans déguisement, si je puis espérer de Sa Majesté Britannique et de votre nation, l'assistance si nécessaire pour pouvoir repasser auprès de mes fidèles et m'opposer aux vues des Gallispans; même y étant, je puis assurer de les anéantir et de mettre ensemble un corps de dix à douze mille hommes à faire une bonne diversion aux ennemis en terre ferme, en me procurant à cet effet les bâtiments de transport escortés par des vaisseaux de guerre. J'en ai écrit plusieurs fois à Milord Harrington, mais n'ai la satisfaction de recevoir un mot de réponse, ni le ministre de Sa Majesté Britannique à Florence, M. le chevalier Mann, qui a eu la bonté d'en écrire au duc de Newcastle et à Milord Harrington, mais ne reçoit sur ce chapitre aucune réponse. Jugez de mes embarras mortels, environné par ici de tant d'émissaires, lesquels me détournent tout. Recommandez donc mes intérêts à Milord Carteret et à Milord Vinchelsea et procurez des ordres à l'amiral Rowley pour m'assister. Certainement, si l'on m'avait appuyé, les affaires en ces quartiers ne seraient pas dans cette présente extrémité. Et donnez-moi de vos chères nouvelles sous le couvert de M. le chevalier Mann, ministre de Sa Majesté Britannique à Florence et pressez vivement une résolution favorable, car il n'y a pas de temps à perdre, si l'on veut remédier aux affaires de ces quartiers très dérangés comme vous serez bien informés.

«J'ai aussi écrit deux fois à Milord duc de Newcastle, mais n'ai la satisfaction de recevoir un mot de réponse; faites-m'en savoir la raison sans déguisement.

«Vous aurez su que dans ces dix-huit mois j'ai été emprisonné trois fois et quatre mois passés, j'ai essuyé le cartel de quatre infâmes qui étaient envoyés pour m'assassiner dans ma maison. Je les désarmai et, par la fenêtre, ils se sauvèrent. D'où depuis, il me reste un tremblement dans la main qu'à peine puis-je écrire [756]

On ne trouve trace nulle part, ni de ce triple emprisonnement, ni de cet attentat. Théodore voulait sans doute attendrir ses correspondants. Je ne sais non plus ce qu'étaient ces Messieurs Salwey, qui avaient accès auprès de lord Carteret. Si les hommes politiques anglais rejetaient maintenant l'aventurier comme un individu dont on ne peut rien attendre et lui faisaient faire quelques aumônes pour qu'il restât tranquille, il n'en est pas moins vrai qu'ils avaient écouté ses propositions et avaient favorisé ses desseins. Le silence obstiné qu'ils gardaient, même vis-à-vis de Mann, prouverait leur complicité dans les combinaisons du baron, si cette preuve avait besoin d'être faite. Quand on n'a rien à se reprocher, on peut toujours se débarrasser d'un agent taré. Il valait mieux pour la dignité des nobles lords que Neuhoff ne parlât pas; c'est pour cela qu'ils ne pouvaient pas rompre bruyamment avec lui.

III

Au milieu de septembre, Lorenzi mandait que Théodore était sur le point de quitter sa retraite; on disait qu'il allait s'embarquer pour la Corse. Il avait avec lui un lorrain, inspecteur de la douane de Sienne. Le baron et son compagnon devaient voyager la nuit et on croyait que le retard apporté dans ce départ ne venait «que de la peur qu'il (Théodore) a à recommencer sa scène» [757]. Assurément, il n'était pas brave. Il n'avait aucune vocation pour donner ou recevoir des coups. Néanmoins, on pouvait encore le faire marcher pour un peu d'argent. Sa royauté retombait parfois lourdement sur ses épaules. Pour avoir le pain quotidien, il lui fallait jouer le rôle de roi, c'est-à-dire accomplir un semblant d'action. Et s'il songeait encore en 1745 à partir pour la Corse, c'est qu'il était poussé par quelqu'un; je veux dire payé. Les alliés anglo-sardes n'avaient pas tout à fait tort de se méfier du grand-duc François. Ce prince était bien capable de ressusciter une nouvelle fois Théodore pour le faire servir à son ambition. L'aventurier jouissait en Toscane de la protection évidente des autorités—on l'a vu. Son compagnon de route était lorrain—un fonctionnaire. Tout cela permet de supposer que si le pantin se remuait encore, c'est que François en tenait les fils.

Théodore quitta Sienne le 23 avec quatre chaises. Il s'arrêta à Florence pour conférer avec Mann [758], puis il arriva à Livourne, où il commença par se cacher. Le 6 octobre, il alla demeurer dans une maison de campagne appartenant à un négociant anglais, agent de la flotte. Il devait s'embarquer sur un vaisseau de guerre, dont le départ pour la Corse aurait lieu au premier bon vent. Des officiers de la marine britannique étaient allés trouver Mann à Florence pour lui demander s'il avait des instructions relativement à Théodore, car celui-ci affirmait que tout était arrangé entre lui et le résident. Ce dernier répondit qu'il ne savait rien [759]. Néanmoins, on persistait à croire que Neuhoff se rendait en Corse avec Rivarola et les autres chefs de l'expédition et on disait que le départ avait eu lieu [760]. Cette nouvelle faisait dire à d'Argenson que «le passage du baron de Neuhoff en Corse, s'il a réellement lieu, sera une pauvre ressource pour le roi de Sardaigne» [761].

Rivarola et ses compagnons—ses complices pourrait-on dire—étaient effectivement partis sur un bâtiment anglais pour aller conquérir la Corse au profit de Charles-Emmanuel, mais Théodore ne se trouvait pas parmi les conquérants. Mann s'était arrangé de façon à ce qu'il demeurât à terre. Il ne dit pas malheureusement les moyens qu'il avait employés pour cela. «Je suis charmé, écrivait-il au marquis de Gorzegno, d'avoir prévenu l'inconvénient si Théodore se fût embarqué, dont j'ai prié M. Villettes de vous rendre compte [762].» Les arguments que Mann fit valoir furent sans doute irréfutables—comme, par exemple, un versement—car le baron ne fit plus mine d'aller revoir ses sujets. Il revint vivre dans la retraite en Toscane, chez le curé de campagne qui l'avait déjà hébergé [763].

Le gouvernement sarde avait publié des lettres patentes par lesquelles Charles-Emmanuel accordait sa protection aux Corses, de concert avec l'Autriche et l'Angleterre ses alliés. Cette proclamation promettait aux insulaires de les aider dans la guerre qu'ils soutenaient contre les Génois. Le roi de Sardaigne avait uniquement pour but de soustraire des peuples malheureux à un joug odieux et il avait pleine confiance dans la sagesse des Corses qui l'aideraient de tout leur pouvoir dans l'œuvre entreprise [764].

L'escadre anglaise, après un court séjour en Sardaigne, arriva le 2 novembre sur les côtes de la Balagne, où Rivarola prit terre pour préparer le siège de Bastia [765]. A l'Île Rousse, une centaine d'insulaires et quelques Génois mécontents allèrent à bord des bâtiments pour s'enrôler [766]. Cette escadre composée de huit bâtiments de guerre, de quatre palandres et de quatre transports, commandée par M. Cooper, parut devant Bastia, le 17 novembre, et jeta l'ancre vis-à-vis du château. Le commandant fit une proclamation pour inviter les Corses à secouer la domination génoise. Il leur déclara que le roi d'Angleterre, son maître, lui avait ordonné de se présenter en force à eux pour les aider à reconquérir leur liberté! Il envoya aussitôt une chaloupe avec le pavillon blanc au commissaire génois Mari, pour le sommer de se rendre, sinon la ville serait détruite. Mari répondit ce qu'on répond généralement en pareille circonstance: son devoir l'obligeait à refuser énergiquement de semblables propositions. Il se défendrait.

Le 18, les Génois canonnèrent l'escadre. Celle-ci fit feu aussitôt. Les bâtiments eurent l'ordre de diriger le tir contre le château et d'épargner la ville, car les habitants, si l'on détruisait leurs maisons, pourraient considérer leurs libérateurs comme des ennemis. Néanmoins, des bombes et des boulets rouges tombèrent dans Bastia. Le duel d'artillerie dura jusqu'au 19 au matin. De part et d'autre, les dommages furent grands. La conduite de Mari fut, dit-on, héroïque. La flotte, ayant beaucoup souffert, mit à la voile après avoir laissé trois bâtiments dans les eaux corses. Elle arriva le 21 à Livourne pour faire des provisions et réparer ses avaries. Les officiers anglais prétendaient que Bastia avait été «réduite en cendres» et qu'ils auraient, du même coup, pris toute l'île si «Rivarola avait rempli son devoir». Il avait en effet promis d'investir la place avec quatre mille hommes, tandis que les vaisseaux bombarderaient, mais il n'avait pas paru. Et Lorenzi, en envoyant ces détails, concluait: «On est cependant généralement persuadé que si cette violente entreprise avait eu le succès que vante ce chef d'escadre, il ne l'aurait pas quittée, comme il a fait, avant d'en voir la fin [767]

Mann, qui avait reçu par une estafette la nouvelle de cette action plus bruyante que brillante, écrivit à Gorzegno en faisant de judicieuses réflexions. «Si les habitants de la Corse, disait-il, n'assistent point à chasser les Génois, une flotte ne pourra jamais en venir à bout. Il est vrai que les vaisseaux et les bombes peuvent détruire les villes, mais cela aigrira en même temps ceux qui sont mécontents des Génois, puisqu'ils souffriront également par la destruction de leurs maisons.» Les Espagnols avaient un grand parti dans l'île. Si jamais ils venaient à s'en emparer, cela causerait un préjudice considérable aux Anglais et aux Sardes. Il insistait donc sur la nécessité, pour les insulaires, de coopérer aux opérations de l'escadre. «La flotte a fait tout ce qu'elle a pu en détruisant la ville quasi, mais à moins que M. Rivarola, avec les mécontents, en peuvent prendre possession, l'entreprise n'aboutira pas à grand chose [768]

Les Anglais commençaient déjà à récriminer contre Rivarola. Ils allaient bientôt le juger aussi lâche et aussi inutile que Théodore.

A peine les navires étaient-ils partis que Rivarola, descendu de la montagne avec quatorze cents mécontents, arriva devant Bastia. Il fit aussitôt ouvrir le feu, et lança un manifeste. Il disait qu'il venait au nom du roi de Sardaigne et de ses alliés pour donner la liberté à la Corse. Elle pourrait former une république sous la protection des nations coalisées. Toujours égoïstes, les Anglais n'avaient parlé qu'au nom de leur souverain. Mais, si la Corse ne devenait pas libre, ce n'était pas faute de sauveurs et ce serait à désespérer de la vertu des proclamations. Mari, le gouverneur héroïque, ne persista pas dans son héroïsme devant les forces de Rivarola. Il craignait un soulèvement parmi les Bastiais. Il assembla les plus influents en conseil pour savoir si on «pouvait se fier aux bourgeois et espérer qu'ils se défendissent avec chaleur contre les rebelles». Les chefs répondirent qu'assurément les habitants résisteraient le plus possible, mais que si l'escadre anglaise revenait, il faudrait capituler honorablement pour éviter à la ville une destruction complète. Mari trouva la réponse «si ambiguë» qu'il ne fut pas rassuré. Un de ses amis lui conseilla de se méfier. Le gouverneur pensa donc qu'il était plus sage de s'en aller. Dans la nuit du 20 au 21, il s'embarqua clandestinement sur une felouque avec quelques domestiques, vingt barils de poudre et son trésor: deux cent mille livres. Il laissa un major pour défendre la place. Le lendemain matin, les Bastiais se réveillèrent sans gouverneur. Ils jugèrent la situation si grave qu'ils demandèrent à capituler, à condition qu'ils auraient la vie sauve et qu'ils conserveraient leurs biens et leurs privilèges. Rivarola accepta. La garnison génoise, cinq cents hommes, fut faite prisonnière et le vainqueur s'installa dans Bastia [769].

Mann fut ravi. Il pensait qu'il fallait poursuivre énergiquement l'entreprise. Il pressait l'amiral Townshend de renvoyer ses navires en Corse. «Je félicite de tout mon cœur Votre Excellence, écrivait-il à Gorzegno, de cet événement, ne doutant point que les autres places suivront l'exemple de la capitale.» Puis, il donnait son avis pour tirer de l'affaire le plus grand avantage. «Il faudrait pour cela du concert, et des gens capables de ranger les affaires avec système pour assister M. Rivarola, soit pour se tenir en possession de ce qui est acquis et de ce qui naturellement suivra, soit de transporter du monde sur les terres des Génois, car je crois qu'on ne doit pas douter que les Corses ne demandent rien avec tant d'empressement que de ravager le pays de leurs maîtres odieux, et si on ne profite pas de leur emportement dans la conjoncture présente, jamais une si belle occasion se présentera. La sagesse de Votre Excellence lui dictera tout ce qui est nécessaire dans le cas présent, ainsi je demande pardon de lui avoir offert mes petites idées, mais mon zèle pour l'entier succès de cette affaire, comme aussi pour en tirer tous les avantages possibles, me transporte.»

Malheureusement l'escadre anglaise était retenue à Livourne par les temps contraires et cela désespérait Mann qui ne rêvait que plaies et bosses [770].

Malgré son entrée dans Bastia, Rivarola était très sévèrement jugé par les Anglais. «Son peu d'expérience eu égard à la manière de procéder dans l'entreprise dont il s'est chargé, écrivait Townshend à Mann, avait jeté les chefs dans une confusion générale. Les choses en étaient au point entre eux par l'amour excessif de ces peuples pour la liberté qu'ils étaient déterminés, plutôt que de s'assujétir à un nouveau maître, de rester sous le joug des Génois. Lorsque je débarquais, ils étaient sur le point de se séparer avec cette belle résolution [771]

Les chefs corses, tels Gaffori et Matra, plus désunis que jamais, adressaient à la cour de Turin et aux Anglais les plaintes les plus vives contre Rivarola. Celui-ci répondait en disant que ses anciens amis avaient été corrompus par l'or des Génois [772].

A Gênes on était inquiet. Le 20 février 1746, la république lança en Corse un manifeste pour protester contre les manœuvres des Anglo-Sardes et menacer des peines les plus sévères ceux qui leur prêteraient assistance [773]. Mais les membres du gouvernement affectaient l'indifférence. Les Génois avaient l'habitude de ne pas parler des choses qui leur étaient désagréables et ils espéraient que leur alliance avec la France les protégerait contre tout danger [774].

Le gouvernement français se préoccupait de ces intrigues et d'Argenson, le ministre, recommandait à son agent, à Gênes, de suivre attentivement les affaires de Corse [775].

L'envoyé de France ne ménageait pas sa peine; mais sa tâche était ardue. Il devait lutter contre la méfiance des Génois. Il s'efforçait de se ménager les bonnes grâces du secrétaire d'État par des attentions délicates. «L'usage que j'ai introduit de lui donner deux ou trois tasses de café quand il vient chez moi ne paraît pas lui déplaire. C'est ainsi que je lui adoucis les choses qui peuvent n'être pas de son goût. Cette façon d'agir convient bien à l'esprit de la nation. Cependant, il peut se rencontrer des circonstances, où il faut leur montrer de la fermeté et de la hauteur, autrement on n'en tirerait rien [776].» Et tandis que le secrétaire d'État faisait de la diplomatie avec l'envoyé de France en buvant des tasses de café, les beaux esprits lançaient des pasquinades contre le roi de Sardaigne.

Au moment où les affaires de Corse paraissaient devenir sérieuses, Théodore reprit la plume: instrument qu'il maniait plus volontiers que l'arme. Le 17 octobre, il écrivit à un nommé Ange-Brando Suzini pour lui confirmer des lettres envoyées le mois précédent. Il recommandait aux Corses d'être fidèles au serment qu'ils lui avaient juré et de demeurer inébranlables dans leur attachement. Cela était indispensable pour remédier aux tristes choses du passé. Si les insulaires restaient sourds, il prévoyait les pires malheurs. Ils s'abîmeraient avec lui-même dans un précipice. Et il ajoutait cette phrase qui, écrite par lui, était jolie: «Ne vous laissez donc pas endormir par des flatteries étudiées et de vagues promesses [777]

Deux mois plus tard, il se plaignait au comte Bradimente Mari de ne jamais recevoir de réponse à ses missives. Il comptait cependant sur la fidélité de ses sujets. Il ordonnait aux chefs de déclarer, au nom de tous, que les populations avaient toujours le plus solide dévouement pour la personne de leur souverain légitime, le roi Théodore, et d'attester, à la face du ciel, que Dominique Rivarola n'avait reçu aucun mandat régulier pour traiter avec la cour de Turin. Les insulaires devaient témoigner à Charles-Emmanuel une véritable reconnaissance pour l'intention qu'il avait de les délivrer de la tyrannie génoise, tout en affirmant leur ferme résolution de ne vouloir pour maître que le monarque qu'ils s'étaient librement donné. Les Corses pouvaient promettre au roi de Sardaigne et à ses alliés leur concours le plus actif et lui fournir les hommes nécessaires afin de lui permettre de soutenir la guerre contre les Génois, à condition que ces troupes fussent placées sous le commandement de leur roi, Théodore. Cette armée nationale irait jusqu'en Italie pour envahir et saccager les territoires de la république. Les conquêtes seraient remises à Charles-Emmanuel. Le manifeste des insulaires devait donc avoir un double but: mériter la protection de Sa Majesté sarde et de ses alliés par un dévouement sincère et affirmer leur inviolable fidélité à leur souverain. Il fallait déclarer qu'ils donneraient jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour respecter le serment solennel qu'ils avaient prêté. La Corse ne pourrait jamais se trouver à l'abri de toutes les dissensions intestines qui la ruinaient et la mettaient à la merci des Génois,—race détestable devant Dieu et devant le monde,—que sous la sage administration de son roi.

Il terminait en ordonnant que ce manifeste fût rédigé et publié sans retard. On devait lui en envoyer des copies authentiques par deux députés. Il promettait enfin de remédier à toutes choses et disait qu'un de ses lieutenants, François Agostini, allait partir pour Tunis avec ses instructions [778].

Un mois plus tard, il renouvela ces ordres d'une façon pressante [779]. Mais ses lettres restaient toujours sans réponse. Il est vrai que, la plupart du temps, elles étaient interceptées.

Il n'avait pas attendu que ses sujets fissent le manifeste qu'il demandait. Il en avait rédigé un lui-même que, pour plus de vraisemblance, il avait daté de Vescovato, en Corse [780].

Les insulaires eussent-ils reçu les épîtres de Théodore, que très probablement ils n'y auraient pas répondu davantage. Ils n'en voulaient plus. Dans les nouvelles qui parvenaient à Gênes, on ne parlait jamais de lui. Les chefs qui, dix ans auparavant, étaient de ses plus zélés partisans, avaient changé d'opinion. Luc Ornano, entr'autres, s'était enrôlé dans le parti des Génois et avait donné à la république des marques sérieuses d'attachement [781].

L'Angleterre ne tarda pas à s'apercevoir qu'elle avait fait fausse route en s'engageant, à la suite de Charles-Emmanuel, dans une entreprise remplie de difficultés. En vérité, pour la mener à bien, il aurait fallu des hommes autrement énergiques que Théodore ou Rivarola. «J'ai été pleinement informé, écrivait Mann à Gorzegno, par la lettre de Votre Excellence et par celle de M. Villettes, de la résolution de notre cour de renoncer à l'entreprise de la Corse par le peu de probabilité d'y réussir et par la nécessité qu'elle a d'employer ses vaisseaux de guerre ailleurs, et de la déférence que Sa Majesté le roi de Sardaigne a bien voulu montrer en cette occasion à ces sentiments nonobstant les motifs qu'il aurait au contraire.» Il fallait informer les insulaires de cette résolution, qui certainement leur causerait une grande désillusion. On devait également pourvoir à la sécurité de tous ceux qui avaient été compromis dans l'affaire et les soustraire aux représailles que la république ne manquerait pas d'exercer. Mann exécuterait fidèlement les ordres du roi de Sardaigne et il s'estimerait très heureux «de pouvoir réussir à rendre efficaces les mouvements d'humanité dont Sa Majesté est touchée». Il conseillait de prendre quelques Génois d'importance. C'était le meilleur moyen de «rendre la république plus traitable, par rapport à ceux qui auraient à l'avenir le malheur de tomber entre ses mains». Et le diplomate ajoutait qu'il ferait tout ce qu'il dépendait de lui pour terminer cette affaire «de la manière la moins désavantageuse pour les mécontents et la plus convenable à la dignité des cours intéressées» [782].

Tous les projets sur la Corse furent donc abandonnés, et l'escadre anglaise quitta les côtes de l'île pour aller dans les eaux espagnoles.

En termes polis et diplomatiques, Mann avait déclaré à Gorzegno que le roi de Sardaigne devait accepter sans récriminer la décision de l'Angleterre touchant la Corse. Charles-Emmanuel fut néanmoins très mécontent de la défection de ses alliés. Il ne renonça pas à son dessein. Il se retourna du côté de Théodore—et, chose étrange—par l'intermédiaire de Mann.

IV

Neuhoff, dans les premiers mois de 1746, logeait à Livourne chez un hanovrien [783]. On disait qu'il se préparait à passer en Corse; mais à Gênes on ne se montrait pas effrayé de cette menace [784]. Périodiquement, le baron faisait répandre le bruit qu'il allait rentrer dans son royaume; seulement, il ne partait jamais. On commençait à être habitué à ses mensonges.

Cependant, le gouvernement génois avait tout lieu de se méfier. La régence de Toscane signifia à Viale un ordre du grand-duc, lui enjoignant de quitter le territoire dans le délai de trois jours. Le malheureux diplomate, âgé et malade, dut demander un sursis [785].

On apprit quelque temps après que le chevalier Farinacci se trouvait à Vienne et qu'il complotait avec un français, pour amener les Corses à se donner à la reine de Hongrie. On leur avait donné de l'argent qu'ils devaient distribuer aux insulaires. Par mesure de prudence, la cour de Vienne avait nommé deux commissaires pour surveiller l'emploi des fonds [786].

Dans ces intrigues rien de précis ne s'élaborait. Il n'y avait que de vagues combinaisons avec des individus tarés, qui n'avaient même pas les raffinements de scélératesse nécessaires pour conduire une aventure: des sous-Théodore. Les hommes politiques les écoutaient, puis les rejetaient, parce qu'ils paraissaient trop veules. Et le baron de Neuhoff restait le seul sur qui les ambitions pussent encore s'arrêter, malgré les preuves d'incapacité qu'il avait données. Celui-là au moins avait une idée fixe. Il écrivait tellement et avec un si imperturbable aplomb, qu'on pouvait, à la rigueur, fonder quelque espérance sur lui. Et faute de mieux.....

Son échec à Turin ne l'avait pas découragé. Il continuait à vivre en Toscane, toujours en relations avec Mann. Celui-ci le déclarait insupportable, mais il ne faisait rien pour s'en débarrasser. On savait qu'il était en faveur à la cour de Vienne. François de Lorraine causait volontiers avec tous les aventuriers; à tour de rôle, il les éconduisait sans motif apparent, puis il les reprenait sans plus de raisons. Pour l'instant, Théodore avait des accointances avec le prince de Craon, président du Conseil de Régence de Toscane. Mann n'ignorait rien de tout cela. S'il méprisait le baron, il n'entendait pas qu'il pût servir les desseins d'autres personnages.

Un jour, Neuhoff vint le trouver et lui demanda son appui pour obtenir l'autorisation de passer à la cour de Turin. Malgré tout ce qu'il avait écrit à son sujet, Mann ne fit aucune difficulté pour transmettre cette requête: «Théodore est ici depuis quelques jours. Il a donné des lettres au prince de Craon pour Vienne et m'a demandé avec instance une lettre à quelque capitaine de vaisseau de guerre pour le faire transporter aux côtes de Gênes, sous prétexte qu'il a nécessité de se présenter à Sa Majesté Sarde et à M. de Botta. Je lui ai dit que sans permission je ne pouvais pas la lui donner, et il m'a prié de la demander à Votre Excellence [787]

Mann écrivit cela le 10 octobre 1746, quatre mois après avoir signifié à la cour de Turin que l'Angleterre renonçait à toute entreprise sur la Corse! Quinze jours plus tard il insista: «Théodore est encore ici dans l'espérance, à ce qu'il me dit, que Sa Majesté Sarde lui donnera la permission de passer auprès d'Elle. J'évite de le voir, mais il m'écrit des billets continuellement et se trouve dans le plus grand besoin d'argent [788]

Neuhoff étant à bout de ressources, on pouvait, moyennant quelques fonds, se servir de lui. L'aventurier, quand il était aux abois, aurait fait n'importe quoi. Il se serait même embarqué pour la Corse, quitte à ne pas descendre à terre une fois arrivé. Nous avons vu maintes fois, que ses résolutions énergiques, son désir ardent de donner la liberté aux Corses, s'affichaient toujours dans les crises de détresse financière. Mann le connaissait bien, et en terminant sa lettre par la phrase où il disait qu'il se trouvait dans le plus grand besoin d'argent, il insinuait que si on voulait, de nouveau, l'utiliser, le moment était favorable. Peut-être même pourrait-on avoir cela à bon compte. Charles-Emmanuel comprit et se décida à recevoir Neuhoff. Le 31 octobre, Mann écrivait à Turin: «Je me suis bien douté que Votre Excellence serait du sentiment de faciliter le passage de Théodore auprès de Sa Majesté. Si M. le marquis Botta le voudra, il trouvera des moyens pour cela; mais pour moi, je ne crois pas nécessaire de lui en écrire [789]

Mann avait bien voulu transmettre la demande de Théodore, mais, quand elle fut accueillie, il n'entendait pas aller plus loin dans son rôle d'intermédiaire. Puisque l'entrevue était décidée, le roi de Sardaigne pouvait donner directement au roi de Corse les moyens d'aller à Turin. Les deux majestés n'avaient qu'à concerter toutes choses entre elles. Sait-on à l'avance comment tourneront ces sortes de combinaisons? Le diplomate ne voulait avoir dans l'affaire qu'une responsabilité limitée; juste ce qu'il faut pour tirer avantage d'un succès, et pas assez pour être engagé dans quelque aventure désagréable. Il y avait là une nuance; il la saisit pour mettre ses scrupules et sa dignité d'accord avec l'intérêt. L'Angleterre avait renoncé à ses projets sur la Corse; mais elle n'aurait pas admis que ses alliés fissent quelque nouvelle entreprise sur l'île sans elle. Il était donc difficile à son représentant de favoriser trop ouvertement les intrigues isolées du gouvernement sarde. Charles-Emmanuel pouvait être promptement désabusé sur le compte de l'aventurier, et il reprocherait peut-être quelque jour à Mann d'avoir trop bien suivi ses instructions. On en veut généralement aux gens à qui l'on fait faire des démarches compromettantes et qui exécutent trop fidèlement certains ordres. Il est plus habile de s'abstenir. Enfin, si Théodore ne trouvait pas à la cour de Turin ce qu'il espérait, il harcèlerait le résident de ses plaintes et de ses récriminations. Celui-ci savait par expérience que pour faire taire le baron il fallait lui donner de l'argent.

Mann se retira donc avec élégance d'une affaire qu'il avait engagée, tout en restant le maître de la situation pour le cas où les choses viendraient à tourner heureusement.

Le diplomate avait été bien inspiré en se tenant sur la réserve. Le projet n'aboutit pas. Théodore alla-t-il à Turin et eut-il une conférence avec Charles-Emmanuel? Il est très probable que cette entrevue eut lieu, puisque le gouvernement sarde, d'après la lettre de Mann, était décidé à s'entendre avec l'aventurier. Le roi de Sardaigne s'aperçut-il, dès la première conversation, que Neuhoff n'avait rien de ce qu'il fallait pour entreprendre une action énergique? Les exigences pécuniaires de Théodore furent-elles jugées exagérées? On peut le croire. D'ailleurs, le baron n'était plus jeune. Sa vie avait été une suite d'aventures et d'intrigues. Il s'était beaucoup remué et son audace devait être émoussée. Il revint en Toscane avec une désillusion de plus. Il ne lui restait plus que des espérances du côté de Vienne.

Au début de l'année 1747, Théodore était à Florence, attendant des réponses de la cour d'Autriche, à laquelle il avait exposé ses plans. Il allait souvent chez Mann, s'obstinant à vouloir lui faire goûter ses combinaisons; mais le résident anglais faisait de plus en plus la sourde oreille, «sachant que sa cour n'en veut plus rien savoir». Le discrédit du baron auprès des Corses était complet, et puis il se trouvait dans un état si misérable que cela pourrait coûter cher d'entendre ses histoires [790].

De jour en jour, sa détresse augmentait. Il était logé pauvrement. Parfois, il n'avait même pas de pain et il en était réduit à tendre la main. Au mois de février, Mann écrivait à Turin: «Le baron de Neuhoff, connu par le nom de Théodore, est encore ici et réduit à la dernière misère, jusqu'à demander qu'on fasse des contributions pour le soutenir. Il ne sort jamais d'une petite auberge où il est logé et dont le maître a souvent refusé de lui donner à manger. Il me tourmente tous les jours par des lettres et messages, mais je ne suis pas en état de le soulager [791]

Le malheureux roi, pour avoir le nécessaire, avait engagé ses sceaux d'argent. De Vienne, on continuait à le bercer de folles espérances. Pour mettre ses projets à exécution, il réclamait deux barques armées en guerre, un régiment et de l'argent [792].

A Florence, on avait formé le nouveau régiment de marine. Le grand-duc François avait pris le titre de colonel de ce régiment et on équipait deux bateaux pour le transporter à Porto-Ferraio. On assurait que ce n'était pas là sa véritable destination; on gardait le secret sur celle-ci. Comme ces armements concordaient avec la demande de Théodore, on concluait qu'ils avaient été faits pour servir ses desseins. Le 24 février, le chevalier Farinacci était arrivé à Florence, venant de Venise. C'était cet aventurier, qui avait conspiré, à Vienne et à Turin, pour donner la Corse à qui voudrait la prendre. A son entrée en ville, il avait été arrêté, d'après un mandat délivré quelques jours auparavant, car on l'attendait. Il était venu à Florence, disait-on, pour tuer Théodore et toucher ainsi la prime promise par le Sénat de Gênes, suivant l'édit toujours en vigueur [793]. Si des coquins ne parvenaient pas à faire leurs affaires en entrant dans les combinaisons du baron, ils avaient au moins la ressource de gagner quelque argent en l'assassinant.

Un jour Théodore disparut. De suite, le bruit se répandit qu'il était allé à Livourne pour s'embarquer. Les deux barques, qui avaient conduit le régiment de marine à Porto-Ferraio, venaient justement de rentrer dans ce port [794]. Le pauvre baron n'était pas cependant en état de se mettre à la tête de quelque entreprise, car, si on ne le voyait plus, c'est qu'il était malade. Lorenzi avait su, par une personne très au courant de ces intrigues, que la cour de Vienne s'obstinait dans ses projets sur la Corse et qu'elle comptait toujours mettre à contribution la bonne volonté de Théodore pour les mener à bien. Seulement, on hésitait encore un peu, car on n'avait plus grande confiance dans la popularité du roi dans l'île. Il avait tellement trompé les insulaires [795]!

Cependant, les desseins de l'Autriche prenaient de la consistance. Neuhoff fut bientôt guéri. Il disait qu'il comptait s'embarquer dans un mois et demi. On affirmait de plus en plus que le régiment de marine n'avait été envoyé à Porto-Ferraio que pour masquer sa véritable destination: la Corse [796].

Le gouvernement français finit par s'émouvoir de ces manœuvres louches. Lorenzi reçut l'ordre de s'éclairer et d'envoyer sans retard des renseignements précis [797].

Voici ce que l'envoyé apprit d'une façon sûre.

Quelques mois auparavant, les insulaires avaient présenté un mémoire à la reine de Hongrie. Ils proposaient de se soulever en sa faveur si on leur fournissait des armes et des munitions. La cour de Vienne avait agréé cette offre et expédié un matériel de guerre en Toscane. C'était pour cette entreprise qu'on avait levé le régiment de marine; quatre autres, de mille hommes chacun, étaient en formation. L'Angleterre, qui avait retiré son concours au roi de Sardaigne, quand l'affaire était en train, se trouvait mêlée à cette nouvelle combinaison. Une escadre anglaise devait appuyer l'expédition autrichienne et forcer Bastia et Calvi à se rendre à Marie-Thérèse. Tout était prêt, et on allait passer à l'exécution de ce projet, lorsque surgirent des difficultés. Elles provenaient des chefs corses qui ne pouvaient pas s'entendre. Les uns voulaient se donner à la reine de Hongrie, les autres s'opposaient énergiquement à la chose. On attendait qu'ils se fussent mis d'accord. Au surplus, le siège de Gênes par les Autrichiens durait toujours; on espérait que la ville capitulerait bientôt et, dès qu'elle serait tombée, l'expédition de Corse aurait lieu. Le consul de France à Livourne avait écrit qu'on attendait Théodore. Il devait passer à Porto-Ferraio, et, de là, dans son royaume. «On lui avait préparé vingt-quatre habits de livrée verte, parements jaunes et vestes galonnées d'argent, pour lui faire sans doute jouer son rôle plus décemment.» On espérait que ses sujets tomberaient en admiration devant cette mascarade. Un colonel lorrain, au service du grand-duc, était désigné pour prendre le commandement des troupes dans l'île. On se méfiait, non sans raison, des aptitudes militaires du baron. En attendant que tout fût réglé, il se tenait caché dans Florence. Peu de personnes parvenaient jusqu'à lui; mais il n'était pas difficile de se rendre compte que le gouvernement toscan le protégeait. «L'on voit par là que la cour de Vienne met en œuvre, pour augmenter sa puissance, toutes sortes de moyens sans trop en examiner la justice ni la décence [798]

Une expédition n'aurait pas été complète sans une proclamation du roi à ses sujets. Du reste, tant qu'il ne s'agissait que de faire des phrases, on était sûr de le trouver disposé. Il rédigea donc un édit par lequel il promettait son pardon à tous les Corses qui auraient embrassé le parti de la république, pourvu qu'ils prissent les armes en faveur de Marie-Thérèse. Le gouverneur de l'île d'Elbe, tandis que le régiment de marine se préparait, avait fait armer une felouque qu'on pensait destinée à transporter Théodore, car les huit rameurs qui la montaient étaient habillés de bleu et coiffés de bonnets noirs, à la mode anglaise [799]. On envoya trois cents bombes de Livourne à Porto-Ferraio, et Neuhoff disait qu'il se mettrait en route dès que Richecourt lui aurait remis la somme convenue. Il prétendait aussi que les insulaires avaient menacé Rivarola de le pendre s'il ne quittait pas l'île de suite [800].

Les semaines s'écoulaient et l'expédition ne partait pas. Les chefs corses étaient plus désunis que jamais [801]. Théodore continuait à vivre mystérieusement à Florence [802]. Pourtant, il avait touché ses fonds, car il avait retiré ses sceaux d'argent, qui étaient en gage chez quelque usurier. Cette opération s'était effectuée par l'entremise des officiers généraux au service du grand-duc. Ceux-ci le pressaient vivement de partir [803].

A la fin d'août, Neuhoff avait quitté Florence et était allé dans une maison de campagne aux environs de Pistoia. Il avait fait ce voyage, disait-on, pour s'entendre avec un anglais nommé Mills. Cet individu venait de Vienne. Il avait été recommandé par Richecourt à un certain Yharce, anglais également, capitaine du port de Livourne. Mills avait résidé à Pise jusqu'à l'arrivée de Richecourt. Il s'était alors rendu à Florence, où il avait eu de nombreuses conférences avec le conseiller de la Régence. Il se disait colonel au service de l'Autriche. Mann n'avait pu avoir aucun renseignement précis sur lui. On supposait qu'il était destiné à commander l'expédition de Corse [804].

Cependant, l'exécution de ce projet devenait chaque jour plus incertaine. On parlait du roi Théodore avec un profond mépris [805].

Soudain, une nouvelle à sensation se répandit dans Florence. Le baron de Neuhoff, par l'ordre du grand-duc, avait été chassé de Toscane et renvoyé chez lui, en Westphalie. Le gouvernement, écrivait Lorenzi, a été «bien aise de s'en défaire sur ce qu'il en a reconnu l'inutilité». L'appui que la France donnait aux Génois rendait au surplus très difficile toute entreprise sur l'île [806].

L'expulsion de Théodore surprit tout le monde. Puisieux demanda à son agent de vérifier le fait et de découvrir le motif exact de cette mesure [807].

Lorenzi envoya son rapport. «J'ai toute la certitude qu'on peut avoir dans ces matières que le baron de Neuhoff a été renvoyé en Westphalie, car, outre l'avis de son départ, j'ai appris par ceux qui y ont eu la main, qu'il était arrivé dans ce pays-là, ainsi que vous aurez pu le voir, Monseigneur, dans l'extrait de ma lettre à M. le comte de Maurepas du 24 du mois dernier [808]. Ce renvoi a été fait, selon mes notions, d'assez bonne grâce et avec l'argent de M. le grand-duc. A l'égard du motif qui a déterminé ce prince à se défaire de cet aventurier, j'ai tout lieu de croire qu'il est dérivé de ce qu'il est tombé dans le plus grand mépris, tant auprès des Anglais que des Corses, et qu'on ne lui trouvait point de talent pour recouvrer son crédit, tellement qu'on le jugeait absolument inutile, tandis qu'il causait à son gouvernement de la dépense et de l'embarras. Au reste, vous aurez vu, Monseigneur, par ma dernière, que la révolte dans la Corse est devenue des plus sérieuses, si les cours de Vienne, de Turin et de Londres fournissent aux rebelles les secours dont ils ont besoin [809]

Le ministre fut satisfait de ces renseignements et déclara que toute nouvelle recherche devenait inutile [810].

François de Lorraine faisait emprisonner ou expulser ceux avec qui il conspirait. Il n'avait pas trouvé dans les habitués de sa Retirade le fripon d'une assez haute envergure pour servir utilement ses ambitions. Il devait ceindre bientôt la couronne impériale. Il se consola peut-être alors de n'avoir pas pu avoir celle de Corse.

Mann dut pousser un soupir de soulagement.

Quant à Théodore, son rôle politique était fini. Les temps sombres allaient commencer; le calvaire de la misère se dressait devant lui. Pendant neuf ans, il le gravira degré par degré, jusqu'au bout.

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CHAPITRE IX

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