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Un Misanthrope à la Cour de Louis XIV: Montausier, sa vie et son temps

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II.
Épître de M. le marquis de Montausier, gouverneur de l'Alsace, à Mlles de Rambouillet, de Clermont, de Mézières et Paulet.

INSCRIPTION.

Aux quatre filles dont les yeux,

Plus clairs que les flambeaux des cieux,

Dans mes pleurs et sur mon visage

Virent lorsque je les quitté

La foiblesse de mon courage

Et la force de leur beauté.

Divines et chastes beautez,

De qui les seules volontez

Sont mes lois et mes destinées;

Nymphes aymables et bien nées,

Qui pouvez blesser et guérir,

Qui faites et vivre et mourir,

Admirables comme admirées;

Qui méritez d'estre adorées,

Et de qui les rares vertus

Tiennent les vices abbatus;

Oyez mes lamentables plaintes,

Que vos âmes en soyent atteintes

Et de mes maux ayez pitié,

Par amour ou par amitié.

Puis-qu'en cette triste demeure

Pour vous incessament je pleure,

Lisez au moins avec des pleurs

Cette histoire de mes malheurs.

Si la douleur qui me possède

Pouvoit recevoir du remède,

Ce témoignage de bonté

Me redonneroit la santé;

Mais je ne puis avoir de joye

Jusqu'à tant que je vous revoye.

Maintenant sur les bords du Rhin,

Où la rigueur de mon destin

Veut que loin de vous je languisse,

J'endure un éternel supplice,

Et loin de vos divins appas,

Je souffre en un jour cent trépas,

Songeant aux plaisirs dont ma vie

Auprès de vous estoit suivie;

Je passe les jours et les nuits

A me ronger de mille ennuis,

Et le tourment de ma pensée

C'est ma félicité passée.

Le soleil à faire son tour

Employe un siècle au lieu d'un jour;

Jadis sa flame vagabonde

Voloit tout à l'entour du monde;

Mais elle marche pas à pas

Depuis que je ne vous voy pas,

Et même, contre l'ordinaire,

Me brûle sans qu'elle m'éclaire.

Je ne vis plus dans ce séjour

Que par l'espoir de mon retour,

Mais je pers souvent patience,

Et je me treuve sans constance,

Estant par le ciel envieux

Privé trop long-tems de vos yeux,

Uniques soleils de mon âme

Dont la pure et céleste flame,

Dans la plus ténébreuse nuit,

Et même en l'absence me luit;

Qui sont les seuls dieux que j'adore,

A qui, dès l'heure que l'aurore,

Avec un visage riant

Ouvre les portes d'Orient,

Jusques à ce que la lumière

Ayt achevé sa course entière,

Et depuis que l'astre d'argent

Commence son cours diligent,

Jusques à ce qu'il le finisse,

Je fais un dévot sacrifice.

Le ciel n'en eut jamais un tel,

J'en suis et le prestre et l'autel,

Et mon cœur en est la victime,

Nette, pure, sainte et sans crime.

Le feu qui la daigne allumer

La brûle sans la consumer,

Et de toutes pars enflamée,

Elle ne fait point de fumée.

Mais j'ay beau me brûler pour eux,

J'ay beau leur présenter mes vœux,

Jamais leur rigueur coûtumière,

N'exauce la juste prière

Que je leur fays à deux genoux

De vouloir devenir plus doux,

Et de permettre que ma peine

A la fin soit moins inhumaine;

Je ne sçaurois les appaiser,

Ils m'empêchent de reposer;

Loin d'eux ainsi qu'en leur présence,

Veillant, toujours en eux je pense,

Et quand je succombe au sommeil,

J'y songe jusqu'à mon réveil;

Je souffre des maux si sensibles

Pour ces divinitez visibles,

Depuis qu'il m'a fallu partir,

Qu'on me peut nommer leur martyr.

Mais dans cette triste aventure

Je chéris le mal que j'endure,

Espérant qu'un sujet si beau

M'ouvrira bien-tost le tombeau.

C'est le seul bon-heur où j'aspire,

Et que l'excès de mon martyre

Me fera bien-tost obtenir

Si l'on ne me fait revenir.

Au lieu de commander en prince

Dans toute une grande province,

Comme je fays dans celle-cy

Avecque beaucoup de soucy;

Je me meurs d'une extrême envie

De voir ma liberté ravie,

Pourveû qu'on me mette à couvert

Sous même toit que Jean de Wert.

Dieux! que je trouverois heureuse

La prison qu'il trouve ennuyeuse!

J'aurois souvent l'honneur de voir,

Quand le jour auroit un beau soir,

Venir dans le bois de Vincennes

L'illustre famille d'Angennes,

Avecque celle de Clermon,

Personnes de qui le seul nom

A pour moy de si puissans charmes,

Qu'il arrête aussi-tost mes larmes,

Quand au plus fort de mon tourment

On le prononce seulement.

Je verrois la grande Arténice,

Que respecte si fort le vice

Qu'il se bannit de tous les lieux

Où daignent luire ses beaux yeux.

La vertu, l'honneur, le mérite,

Se font toujours voir à sa suite;

La pompe de la majesté,

Jointe à l'éclat d'une beauté

Qui n'aura jamais de semblable,

La rend même aux dieux adorable,

Qui luy consacrent les autels

Que leur consacrent les mortels.

Je verrois cette sage mère

Que toute la France révère,

Et de qui l'extrême bonté

Se peut appeller sainteté;

Dans sa vie on a des exemples

Que ceux à qui l'on fait des temples,

S'ils venoyent à ressusciter,

Ne sçauroyent jamais imiter.

Je verrois la belle Julie

Que le ciel fit naytre accomplie;

Dessus ni dessous le soleil

On ne peut rien voir de pareil

Aux beautez qui brillent en elle,

Et qui la font croire immortelle.

Ses vifs et modestes regars

Lancent d'ynévitables dars;

Sa taille, sa mine et sa grâce

Montrent la grandeur de sa race;

Son sein, sa bouche et ses cheveux

Dans les cœurs allument des feux

Que les pleurs ne peuvent éteindre,

Et brûlent sans qu'on s'ose pleindre.

Cédez-luy, glorieuses mains

De ces Invincibles Romains

Dont elle tire sa naissance [159],

Sans luy faire de résistance

L'honneur de sçavoir conquérir;

Car ses yeux en font plus mourir

Que n'ont jamais fait les épées

Ni des Césars, ni des Pompées.

Mais ces beautez que nous voyons

Ne sont que de foibles rayons

De son autre beauté divine

Qui tient du ciel son origine;

Son esprit qu'il faut avoüer

Seul capable de se loüer,

Paroît au travers de son voile,

De même qu'une claire étoile

Perce les ombres de la nuit,

Et dans les ténèbres reluit;

Son âme, grande et généreuse,

Des passions victorieuse.......

Mais je m'élève un peu trop haut,

Je sens l'haleine qui me faut,

Pour moy ce vol est téméraire;

Reprenons le style ordinaire.

Je verrois deux aymables sœurs,

A qui les plus barbares cœurs

Font gloire de se venir rendre,

N'ayant pas de quoy s'en défendre;

L'air s'embellit par leurs appas,

Les fleurs naissent dessous leurs pas,

Ainsi que des regars de Flore,

Ou bien des larmes de l'Aurore.

Les Jeux, les Grâces et l'Amour

Les servent et leur font la cour.

Leur esprit plus meur que leur âge,

Semble démentir leur visage;

Mais, hélas! leur jeune beauté

Est jointe à tant de cruauté,

Que quand nos cœurs ont du martyre

Nos bouches n'oseroyent le dire,

Et que, pour cacher nos douleurs,

Il faut aussi cacher nos pleurs.

Je verrois la chaste Angélique [160]

Dont le courage est héroïque,

Et plus généreux mille fois

Que celuy de ces braves roys

Qui dans de fameuses conquêtes

De lauriers ont chargé leurs têtes;

Sa beauté la fait admirer,

Sa vertu la fait révérer,

Et son esprit fait qu'on l'adore;

Sa belle voix se joint encore

A tant de rares qualitez,

Et rend tous nos sens enchantez;

Car ses différentes merveilles

Charment nos yeux et nos oreilles.

Pour joüir de tant de plaisirs.

L'unique objet de mes désirs,

C'est que d'icy l'on me retire,

Et que le souverain empire

Dont j'use avec authorité

Se transforme en captivité.

Jugez doncques si je vous ayme,

Et si ma passion extrême

Peut souffrir de comparaison,

Puis-que j'ayme mieux en prison

Passer le plus beau de ma vie,

Afin de contenter l'envie

Que j'ay de vous voir seulement,

Que vivre avec commandement,

Et que d'acquérir de la gloire

Qui feroit durer ma mémoire

Avec ces hommes glorieux

Dont le nom vole jusqu'aux cieux.

Si vous me le vouliez permettre

Je ne finirois point ma lettre;

Car vostre entretien est si doux,

Que je m'oublie avecque vous.

Mais puisqu'au milieu des délices

Vous avez d'autres exercices,

Je ne veux pas vous empêcher

Davantage de les chercher.

Je finis donc avec envie

De vous servir toute ma vie,

Et je vous jure sur ma foy

Que je suis plus à vous qu'à moy.

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