Un Misanthrope à la Cour de Louis XIV: Montausier, sa vie et son temps
VI.
Apologie du duc de Montausier.
AU ROY.
«Dans toute la France, et particulièrement à la cour, hommes et femmes, sçavans et ignorans, sages et insensez, parlent de l'éducation de Monseigneur le dauphin. Je ne m'en étonne pas, Sire, puisqu'on n'est que trop porté à raisonner bien ou mal des choses dont on n'a pas à rendre compte, il n'est pas surprenant que tout le monde s'entretienne d'une chose qui intéresse tout le monde. Mais ce que j'admire, c'est que les personnes, même les plus sages, parlent sur cette matière sans connoissance de cause, et condamnent les parties sans les entendre. On ne voudroit pas régler la plus petite affaire, sans en avoir pris auparavant une exacte connoissance, et sans aucun examen, on s'érige en juge, et on décide souverainement de la conduite qu'on doit tenir dans l'affaire la plus importante du royaume.
«Mes censeurs condamnent presque toutes les manières dont on s'y prend pour élever M. le dauphin, et disent avec confiance, comme s'ils y avoient bien pensé, ce qu'il faudroit faire au lieu de ce qu'on fait. Peuvent-ils donc croire ces gens si capables, que des personnes choisies par le prince du monde le plus éclairé, et qui d'ailleurs ne sont pas dépourvues tout à fait de lumières et d'intelligence, ne voyent pas avec toute leur application, ce que voyent avec tant de facilité, des gens qui ne sont aucunement engagez dans l'affaire dont il s'agit, et qui n'y pensent que par hazard? Qu'ils ayent tant de bonne opinion qu'il leur plaira de leur suffisance, mais qu'ils ne croyent pas si légèrement, que les autres soient aveugles. Ils devroient au moins suspendre leur jugement, et consulter sur une matière de cette nature, ceux qui voyent les choses de plus près. Si l'on observoit cette règle de la justice, on trouveroit que non-seulement je vois ce que voyent les autres, mais que je vois encore beaucoup au-delà. Ce qui ne vient point en moi d'une capacité supérieure, mais seulement de ce que je pense sans cesse aux devoirs de ma charge, et que les autres n'y réfléchissent pas même quand ils en parlent. Le reproche le plus universel, est que l'on fait trop étudier le dauphin; que son occupation ordinaire est une occupation inutile; qu'il vaudroit mieux lui apprendre à vivre; que la science du monde est la véritable science de ceux qui sont nez pour commander; qu'enfin il est nécessaire qu'un prince soit honnête homme, mais qu'il ne lui convient pas même d'être sçavant. Ces raisonnemens seroient justes, si nous négligions ce qui doit être notre but principal, et ce qui l'est, en effet, pour songer uniquement à ce qu'il y a de moins essentiel.
«Mais si l'on étoit plus équitable et moins prévenu, on verroit que les enfants, de quelque condition qu'ils soient, doivent être occupez, et qu'ils ne le sçauroient être plus utilement qu'à l'étude; que le sort des princes seroit bien malheureux, s'il falloit qu'ils se distinguassent des particuliers par l'oisiveté et par l'ignorance; que M. le dauphin donnant quelques heures à ses livres et le reste à la cour, il apprend également les sciences par l'étude, et le monde par l'usage, et qu'enfin rien ne peut tant l'aider à être honnête homme, que le soin que l'on prend pour l'empêcher d'être ignorant.
«Le peu de temps même que M. le dauphin donne à l'étude, n'est pas tout employé, comme on se l'imagine, à lui faire apprendre le latin et à lui faire expliquer les anciens auteurs: on cherche et l'on trouve dans ces momens consacrez à l'étude, l'occasion de l'instruire de toutes les choses qui conviennent à sa naissance et à son âge, de ce qu'il doit à Votre Majesté et à l'État, aux particuliers, à soi-même, et surtout à Dieu. On essaye de lui inspirer à tout propos l'honnêteté, la probité, la piété, l'amour des peuples, l'honneur, le désir de la vraye gloire, et toutes les autres vertus nécessaires à un grand prince, et dignes d'un fils de Votre Majesté. Quel autre moyen pourroit être plus propre pour lui former ainsi l'esprit et le cœur? Le divertissement est fait pour délasser l'esprit, et non pour le perfectionner. Les dames, en l'entretenant, ne songeroient qu'à lui plaire; les courtisans n'essayeroient qu'à le corrompre, en conversant avec lui, par des basses complaisances, et par des flatteries dangereuses. A quoi voudroit-on que M. le dauphin employât le temps que nous lui faisons donner à l'étude? Seroit-ce aux affaires de l'État? il n'est pas encore en âge de s'y appliquer beaucoup. Seroit-ce à la lecture? N'est-ce pas étudier que de lire? Seroit-ce aux exercices du corps? N'en fait-il pas autant qu'il est nécessaire? Seroit-ce au jeu? Oseroit-on dire que ce fût là la meilleure occupation? Le dessein de Votre Majesté est sans doute d'élever M. le dauphin, de sorte qu'il soit capable de régner; qu'il connoisse l'obligation où est un prince de s'appliquer au grand art de gouverner les peuples, et qu'il apprenne qu'il est né pour l'action et pour le travail, et non pour le plaisir, l'oisiveté et la mollesse. Pour parvenir à ce but, il faut l'accoutumer de bonne heure aux exercices de l'esprit et du corps, l'attacher fortement et assidûment à l'étude, qui est la seule affaire proportionnée à son âge, et ne lui donner du tems pour se divertir qu'après qu'il s'est exactement acquitté de ses devoirs, et qu'autant qu'il est nécessaire pour délasser l'esprit, fortifier le corps et entretenir la santé.
«On ne sauroit trop se représenter combien les divertissements dissipent l'esprit des hommes les plus raisonnables et les plus appliquez, à plus forte raison celui des enfans que l'âge, le peu d'expérience, et souvent leur propre naturel rendent ennemis de toute sorte d'application. Ils se font une manière de vie voluptueuse, qu'ils veulent après continuer. A peine commencent-ils une partie de plaisir qu'ils en proposent une autre, leur imagination est toujours remplie de la vaine idée de quelque divertissement, ou présent ou à venir. C'est là leur unique occupation, dont ils se font une telle habitude, que tout ce qui n'a pas ce goût leur devient amer et insupportable. Tous les momens qu'ils passent sans quelque amusement frivole, leur paraissent longs et ennuyeux. Rappellez-les à des choses sérieuses, ils ne peuvent se résoudre à y penser, ils tombent dans l'abattement et dans la langueur; leur esprit s'égare de lui-même, et se détourne tout d'un coup de ce qui est utile, vers ce qui est agréable.
«Rien ne renverse tant l'ordre de la société que lorsqu'un prince, qui en est le chef, ne s'occupe que du jeu et du divertissement. Il néglige ceux qui peuvent lui inspirer la vertu, et n'aime que ceux qui peuvent lui procurer des plaisirs; il se met au-dessus des règles et des bienséances, il ne peut souffrir les compagnies et les conversations les plus polies, et renonce à tous les devoirs publics de civilité et d'honnêteté, qui obligent également tous les hommes, de quelque qualité qu'ils puissent être.
«Mais ce qu'il y a de plus considérable, c'est que lorsqu'on élève les princes avec trop d'indulgence, et dans des divertissemens continuels, la coutume forme en eux une dangereuse habitude, qui devient ensuite une espèce de nécessité. Quand les devoirs importans arrivent avec l'âge; quand ils sont pressés par les affaires et les besoins de l'État, ils n'ont plus la force de résister au penchant qu'ils ont pour le repos; ils avoient cru qu'ils n'étoient nez que pour le plaisir, et ils ont peine à se détromper; de sorte que souvent rebutez du travail, auquel ils n'ont jamais été accoutumez, ils sacrifient à leur nonchalance leurs intérêts même, et leur gloire. Contens dans leur honteuse oisiveté, pourvû qu'on ne les fatigue point du récit importun de ce qui se passe dans l'État.
«Je ne prétens pas cependant exclure de l'éducation d'un enfant tous les divertissemens. Il est juste qu'on ménage un peu ces jeunes esprits; il leur faut de l'occupation, mais ils ont aussi besoin de relâche. Comme il y auroit aussi de la mollesse à les laisser endormir dans l'oisiveté, de même il y auroit de la barbarie à les laisser accabler par le poids d'un travail trop rude, ou trop assidu.
«On se trompe si l'on croit qu'il faille élever les enfans qui doivent être un jour dans le grand monde, comme s'ils étoient déjà propres à y jouer leur rôle. C'est un abus de s'imaginer qu'il faille leur donner la liberté de tout dire et de tout faire comme à des personnes plus mûres; et les mettre de toutes les parties; comme si ce qui fait naître le goût du plaisir et du libertinage avoit besoin de s'apprendre.
«Quand leur humeur et leur complexion les portent à la volupté, comme d'ordinaire elles ne les y portent que trop, ils n'ont besoin ni d'enseignemens ni de maîtres. Ainsi il est nécessaire de les occuper dans leur première jeunesse à des choses, auxquelles ils ne s'occuperoient pas dans un âge plus avancé.
«La principale est de leur apprendre avec soin tout ce qui peut les rendre capables de s'instruire et de se servir de maître à eux-mêmes, lorsqu'il ne leur conviendra plus d'en avoir; c'est de leur faire aimer les livres, et de les accoutumer à l'entretien de ces docteurs muets, dont les préceptes et les conseils ne sont suspects ni de complaisance ni d'intérêt, qui blâment sans déguisement tout ce qui est blâmable, et qui loüent sans flaterie tout ce qui est digne de loüange; chose infiniment avantageuse, sur tout aux princes, à qui l'on n'ose jamais dire la vérité.
«Pour détruire tout ce que je viens d'avancer, on dira peut-être, Sire, qu'il ne faut que comparer la manière dont vous avez été élevé, avec celle dont vous regnez. Mais que Votre Majesté ne prenne pas exemple sur elle-même. Si après avoir été conduit avec trop d'indulgence et nourri au milieu des plaisirs et des jeux, vous vous êtes néanmoins trouvé le plus grand, le plus habile et le plus vigilant roy du monde, le ciel ne fait pas tous les jours des miracles.
«C'en est un, Sire, que le monde voit avec étonnement, que vous vous soyez vous-même rendu capable de gouverner un grand État, de commander de puissantes armées, de faire la félicité de vos peuples, et d'abattre la fierté de vos ennemis, avec le seul secours de vos réflexions, et par la force de votre excellent génie. Il est vrai que Votre Majesté n'a eu besoin ni de maîtres ni de directeurs, d'instructions ni de préceptes, et que Dieu lui a inspiré la science des rois, comme il inspira aux premiers hommes les arts et les connoissances nécessaires au genre humain. Mais, Sire, la capacité parfaite ne descend pas toujours du père au fils, elle se donne aux uns et se fait acheter aux autres; et les choses extraordinaires n'arrivent pas ainsi coup sur coup.
«La destinée de monseigneur le dauphin n'est peut-être pas si heureuse que la vôtre; il doit peut-être passer par le chemin des autres hommes, acquérir par l'étude ce que vous ne devez qu'à vos propres lumières, et se rendre grand par le travail, au lieu que vous l'êtes devenu sans peine par la seule force de votre esprit.
«Qu'on ne dise pas non plus que monseigneur le dauphin n'est plus en âge d'être contraint, et qu'il est temps de le laisser maître de ses actions. C'est précisément à cet âge où les passions sont fortes, et la raison foible, où l'on veut ardemment ce que l'on veut, et où l'on ne veut ordinairement rien de bon; c'est alors qu'on a plus que jamais besoin d'être gouverné, parce qu'on se laisse indiscrètement emporter au mal, si l'on n'en est empêché par quelque obstacle plus puissant que la raison.
«Cet obstacle est la seule autorité des personnes vigilantes, fermes, résolues et inflexibles, comme sont les pères sages et éclairés, ou ceux à qui ils ont remis le soin de l'éducation de leurs enfans. Plus ils ont d'élévation au-dessus du commun par la fortune ou par la naissance, et plus long-tems il est d'usage de les retenir sous la dépendance de leurs gouverneurs; tout au plus on en change le nom, mais sans rien diminuer de l'autorité, afin qu'ils puissent toujours modérer avec discrétion la jeunesse de leurs élèves, et les garantir par leurs soins de tomber dans les précipices, où la légèreté, l'inexpérience et la présomption, qui n'accompagnent que trop ordinairement cet âge, pourroient les entraîner.
«Monseigneur le dauphin a beaucoup d'esprit; M. de Condom, qui s'y connoît mieux que moi, en assurera Votre Majesté. Il dit souvent des choses de bon sens, et raille quelquefois agréablement; il n'a ni malignité, ni haine, ni désir de vengeance. S'il donne quelque marque de promptitude et de colère, c'est sans emportement et sans suite. Quand il veut il entend, il comprend, il retient avec une merveilleuse facilité, et c'est ce qui nous console; mais il ne le veut pas toujours, et c'est ce qui nous afflige. Nous employons pour lui inspirer l'amour des choses utiles, tous les ressorts que nous jugeons propres à produire un effet si désirable; mais les distractions et les langueurs d'esprit rendent quelquefois nos efforts inutiles, et les empêchent de faire sur lui toute l'impression que nous souhaiterions.
«L'inapplication aux choses sérieuses, et l'attachement aux amusemens frivoles, sont donc les seuls ennemis qui s'opposent à notre zèle; mais si ces ennemis sont redoutables, je ne les tiens pas invincibles, pourvû qu'on les attaque comme il faut. Pour avancer le progrès qu'on désire en monseigneur le dauphin, rien ne lui seroit plus utile que l'entretien de personnes agréables, gayes et de bonne humeur, et en même temps sensées, raisonnables et vertueuses. Ce seroit à mon gré le plus sûr moyen de lui former l'esprit et le jugement, de lui donner la connoissance nécessaire des choses de ce monde, de lui inspirer des sentimens dignes de sa naissance, et du rang qu'il doit tenir.
«Par cette conduite on l'accoutumeroit insensiblement à se plaire dans la société des honnêtes gens, et l'on ne sçauroit dire combien dans une pareille école, on peut s'instruire en peu de tems. Ce qui me paroît de difficile, c'est de trouver des gens propres à ces entretiens; mais enfin la chose n'est pas impossible, et les personnes mêmes qui composent la maison de monseigneur le dauphin, se ralliant auprès de lui dans ses heures de relâche, pourroient suffire à ce dessein.
«Mais un moyen plus efficace encore, ce seroit, Sire, que Votre Majesté voulût bien se résoudre à dérober de tems en tems une demi-heure à ses autres affaires, faire venir M. le dauphin dans son cabinet, avec M. de Condom, ou avec moi, et se rabaisser un peu à la capacité des enfans pour l'entretenir. Vous lui feriez comprendre, Sire, l'amitié et la tendresse dont votre cœur est rempli pour lui; l'intention que vous avez de le rendre digne, par une bonne éducation, de l'honneur qu'il a d'être votre fils: que s'il ne répondoit pas aux soins de Votre Majesté et aux vœux de toute la France, il s'exposeroit à perdre vos bonnes grâces, et à devenir le prince le plus malheureux du monde, au lieu qu'il sera infailliblement le plus heureux, s'il prend avec ardeur le dessein de remplir les vûes de Votre Majesté.
«Vos remontrances et vos exhortations, Sire, seront sans doute d'un grand poids, et nous serviront pour lui mettre incessamment et avec succès ses devoirs devant les yeux. C'est un secret dont nous nous sommes heureusement servis, toutes les fois qu'il a plû à Votre Majesté de nous en fournir l'occasion; mais comme ç'a été rarement, les suites n'en ont pas été longues.
«Si Dieu bénit ce moyen, et que monseigneur le dauphin en profite, comme j'ai tout lieu de l'espérer, Votre Majesté pourroit lui communiquer quelque affaire de moindre importance, lui faire connoître au commencement ce qu'il y a faire ou à dire là-dessus, lui demander même son avis, le corriger doucement s'il n'étoit pas bon, et le louer s'il étoit raisonnable. De mon côté, j'essairois en particulier de lui développer plus en détail les raisons de Votre Majesté. Si cela vous donne d'abord quelque peine, Sire, j'ose vous promettre que vous en recevrez à la fin une joie inconcevable, et que vous en recueillerez des fruits si doux et si abondans, qu'ils seront infiniment au-dessus du travail que Votre Majesté y aura employé.
«Pour mettre la dernière main à cet important ouvrage, je vous conjure au nom de Dieu, Sire, et vous demande avec respect, de la part de monseigneur le dauphin, que vous ayez la bonté de continuer les excellens mémoires que la passion ardente que vous avez de le rendre digne de Votre Majesté vous a fait commencer pour son instruction. Si durant cette guerre, que vous seul soutenez contre tant de nations réunies, vos occupations, aussi continuelles que glorieuses, ne vous le permettent pas; nous espérons que la paix, quand vous l'aurez rendue à l'Europe par l'humiliation de ceux qui l'ont troublée, vous en donnera le loisir.
«Souffrez, Sire, qu'emporté par l'ardeur de mon zèle pour le service de Monseigneur, et pour celui de Votre Majesté, j'ose vous remettre ses intérêts et ceux de la France entière devant les yeux, pour vous engager à achever un travail, qui, sans doute, n'aura rien de pareil pour la beauté et la solidité, et à communiquer dès à présent ce qui en est déjà fait à celui pour qui seul votre tendresse vous a porté à le faire. Je puis vous assurer que rien n'est si capable de profiter à Monseigneur, il puisera dans cette excellente source tous les principes d'un sage et glorieux gouvernement, et il se sentira pressé du noble désir de marcher sur les traces d'un héros, dans qui le ciel a pris plaisir de rassembler toutes les vertus royales, pour en faire l'objet de l'admiration de tout l'univers.
«J'ai reconnu, Sire, que rien ne fait tant d'impression sur Monseigneur le dauphin que ce qui vient de vous, soit vos paroles, soit vos lettres, soit vos exemples. La lecture souvent réitérée de vos instructions, les graveroit bien avant dans son âme, et me donneroit lieu de lui remontrer avec plus d'espérance, de le rendre attentif et docile, tout ce que Votre Majesté veut qu'il fasse, et tout ce qu'elle veut qu'il évite.
«Voilà, Sire, les réflexions que mon application à remplir exactement les devoirs du plus important emploi de l'État, dont vous avez bien voulu m'honorer, m'a fait faire sur l'éducation et sur la personne de Monseigneur le dauphin. Mon zèle pour votre service, et la crainte que la calomnie n'eût surpris l'équité de Votre Majesté et ne fût venue à bout de lui rendre ma conduite suspecte, m'a porté à les lui communiquer, persuadé qu'auprès d'un prince si éclairé, elles serviroient également à me justifier sur le passé, et à m'assurer l'approbation de Votre Majesté pour l'avenir. Si j'ai été par malheur téméraire ou indiscret en quelque chose, mon ardente passion pour votre gloire et pour l'utilité de Monseigneur le dauphin, me fera pardonner ma faute par un aussi bon maître que vous; et si la longueur de mon discours vous a ennuyé, j'espère que l'importance de la matière me servira d'excuse. Je me flatte même que Votre Majesté ne trouvera pas mauvais que je rapproche ici, en peu de mots, ce que j'ai eu l'honneur de lui représenter plus au long.
«Il y a quatre choses à faire pour produire dans Monseigneur le dauphin tout l'effet que Votre Majesté doit attendre de son éducation. La première est de ne le point abandonner à l'oisiveté et aux plaisirs, qui ne manqueroient pas d'amollir son cœur et d'énerver son courage. La seconde est de lui faire continuer ses études, qui sont si avancées, et qui ne lui serviront de rien s'il ne les achève. La troisième est de l'obliger à s'entretenir ordinairement avec des gens d'esprit et de vertu, qui puissent, par des conversations agréables et utiles, l'instruire en le divertissant, et presque sans qu'il s'en apperçoive. Et la quatrième, qui seroit sans doute plus efficace que les trois autres ensemble, est que Votre Majesté lui fasse l'honneur de l'entretenir elle-même avec familiarité, et de lui remontrer avec douceur ses devoirs et ses défauts.
«Rien n'a tant de pouvoir sur l'esprit d'un fils bien né, que les avis d'un père sage, habile et vertueux. La première de ces conditions se trouvant en Monseigneur le dauphin, et toutes les autres en vous, Sire, la peine que vous auriez prise seroit suivie de l'heureux succès que toute la France souhaite avec Votre Majesté.»