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Un vaincu

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VII

La nuit entière se passa pour elle à méditer ses soucis et son chagrin. Ses inquiétudes, au sujet de son cousin, étaient pour le moment reléguées au second plan, mais le départ de Didier lui causait un émoi dont elle ne voulait pas faire l’aveu à sa fierté.

« Que m’importe, après tout ! c’est un passant dans ma vie. Il part sans un mot, donc je me suis trompée. Et pourtant !… »

Déplorant que son inexpérience l’eût égarée loin de la vérité, elle songeait au mouvement involontaire qui l’avait entraînée à poser la main sur le bras de M. Saverne, et, se rappelant l’air radieux de Didier, elle rougissait de dépit, sans chercher à retenir des larmes brûlantes qu’elle attribuait au regret d’avoir compromis sa dignité.

Le jour dissipa un peu ses appréhensions. Voulant échapper à ses pensées, elle sortit avec un livre et alla s’asseoir sur la terrasse. Mais les mots passaient devant ses yeux sans qu’elle en pût saisir le sens, car elle était poursuivie par l’inquiétude de ne pas revoir Saverne avant son départ et de ne pouvoir corriger par son attitude l’impression qu’elle avait dû lui donner. Malgré la saison avancée, la chaleur était extrême et orageuse ; il semblait à Suzanne que ce ciel de plomb contribuait à l’accabler. Enfouie dans un if taillé en forme de fauteuil, la tête renversée dans le sombre feuillage, elle commençait à sommeiller quand elle fut réveillée par la voix de sa tante.

Mlle Constance, coiffée d’un de ses singuliers chapeaux, son maigre visage, ordinairement très pâle, rougi par la chaleur et une course forcée, s’approcha de Suzanne et posa un gros paquet sur ses genoux.

— Ma chère nièce, dit-elle très agitée, figure-toi que c’est ma fête aujourd’hui. Je me suis réveillée en me disant : Personne ne va y songer, puisqu’on n’a pas l’habitude de me la souhaiter ; qu’est-ce que je pourrais bien imaginer pour me faire plaisir à moi-même ? J’ai bien vite découvert que ce serait de te donner cette robe dont tu avais envie. Alors Fanchette et moi, nous sommes parties pour Saumur et nous arrivons.

— A pied, ma bonne, ma chère tante ! s’écria Suzanne en embrassant la vieille fille dont le vieux cœur rajeuni battait de joie.

— Nous sommes allées en voiture, car nous avons trouvé une occasion, mais nous sommes revenues à pied. J’avais bien pensé pour te distraire à t’emmener tantôt à Saumur, en coupé naturellement, celui du loueur est libre, mais j’aimais mieux te faire une surprise. Et du reste, en revenant, je disais à Fanchette : Comme j’ai bien fait d’y aller seule ! le temps est si chaud, si lourd… La pauvre enfant ! même en voiture elle eût été fatiguée.

— Et vous, ma tante ? trois lieues à pied… quelle folie à votre âge ! et pour un caprice !…

— Allons, ne me gronde pas, répondit-elle radieuse, et défais le paquet pour avoir le plaisir d’admirer l’étoffe.

Et le visage ruisselant, fatigué, mais épanoui, ses yeux ronds sans expression fixés sur sa nièce, Mlle Constance se dilata dans la joie.

Fanchette jugea bon de lancer un peu de morale à la traverse.

— Tenez, mademoiselle Suzanne, c’est de la vanité tout de même, ça !

— Bah ! tu seras ravie de me voir bien habillée, répondit la jeune fille en s’efforçant de parler gaiement.

— Ah ! cette idée ! dit Fanchette qui se cachait souvent dans les petits coins pour admirer Suzanne. Je suis revenue de tout ça, mademoiselle. Quand on est au service du bon Dieu, voyez-vous, on se fiche bien des vanités !

— Est-ce bien sûr ? répliqua Suzanne en riant.

L’arrivée de Saverne avec M. Jeuffroy arrêta la réponse de Fanchette, et Suzanne, qu’une émotion vive avait fait pâlir, s’empressa de demander à Didier si Mme de Preymont était encore souffrante.

— Elle m’a paru très fatiguée ce matin, mais elle n’est pas la seule, répondit-il en la regardant avec intérêt.

— Moi, l’air fatigué ! dit-elle en riant. Vous m’étonnez, car je ne me suis jamais sentie si reposée.

Ils s’étaient avancés à l’extrémité de la terrasse pendant que M. Jeuffroy examinait avec satisfaction le cadeau de Mlle Constance.

Saverne, s’il avait été riche, eût volontiers en cet instant sacrifié sa fortune entière pour rester seul avec la jeune fille, et il est certain que toutes les lois qui, jusqu’à nouvel ordre, lui ordonnaient de se taire, eussent été violées. Jamais il n’avait tant désiré laisser déborder ses sentiments.

— Si vous saviez comme je vous suis reconnaissant d’avoir eu peur pour moi hier ! lui dit-il à voix basse.

— Reconnaissant ! il n’y a pas de quoi, répondit-elle d’un ton un peu moqueur. Je crois bien que j’avais peur surtout pour moi. C’est la première fois que je me promenais au milieu d’un tel tapage, et j’étais complètement étourdie. Vos mouvements imprudents n’étaient pas faits pour me rassurer, ajouta-t-elle en souriant, et Marc, qui vous accuse souvent d’être distrait, aurait dû profiter de cette occasion pour nous prouver que ses reproches sont fondés.

Cette réponse, faite de l’air le plus calme et le plus gai, dérouta Saverne qui avait espéré que de nouveaux indices confirmeraient ses espérances.

« Elle est bien froide ! pensa-t-il. Ce n’était pas la peine de me mettre la tête au champ en rêvant à ces beaux yeux suppliants et à cette petite main cramponnée à mon bras. »

— Comme j’aime cet endroit ! reprit-il à demi-voix. Vos vieux murs crénelés si pittoresques avec leur enchevêtrement de plantes fantasques, cette vue que j’ai plus d’une fois admirée avec vous. J’emporte d’ici un souvenir exquis.

— Souvenir que vous oublierez bien vite dans le tourbillon de la vie parisienne, répondit-elle en souriant.

— Jamais !

Ce mot fut prononcé avec la chaleur que Saverne mettait toujours au service de sa conviction ou de son émotion du moment. Sous son regard hardi et tendre à la fois Suzanne était enveloppée d’un trouble délicieux. Le vieux manoir, dans lequel elle dévorait tant de tristesses, lui parut tout à coup ravissant avec ses pignons couverts de lierre, ses vieux lions impassibles et ses jardins pleins d’originalité. Elle ne sentait plus ni l’orage énervant, ni la tristesse pesante, et devant elle les lignes étendues de la campagne ne lui avaient pas encore paru aussi belles et aussi pures.

Cependant elle conserva sa contenance tranquille et lui dit adieu avec la cordialité banale accordée à un indifférent sympathique qui a été mêlé un instant à l’intimité de la vie.

— On vous reverra peut-être un jour ou l’autre en Anjou ? dit-elle en lui tendant la main.

— Si on m’y reverra ! répondit-il avec feu en posant ses lèvres sur la main qu’il avait gardée dans la sienne. Oui certes, et bien prochainement, je crois.

Suzanne ne pouvait se tromper ni sur le ton ni sur le regard de Saverne ; ils étaient une déclaration aussi réelle que des phrases passionnées, et son départ ne lui laissait désormais qu’un espoir ardent. Jusqu’au détour du chemin rocailleux, elle suivit du regard la haute silhouette du jeune homme.

« Une raison que je saurai plus tard l’empêche de parler maintenant, mais bientôt il reviendra ! » se dit-elle.

Elle se tourna d’un air ravi vers sa tante qui l’observait, et s’abandonna à cette étourdissante gaieté de vingt ans, à laquelle la présence et l’entrain de Didier avaient souvent redonné la vie qu’une existence pénible comprimait.

— Quelle bonne chaleur ! quel temps charmant ! comme je me sens vivre aujourd’hui ! et que je vous aime, ma tante ! s’écria-t-elle en embrassant Mlle Constance stupéfaite de cette joie subite.

Il était facile de tromper l’observation de la vieille fille, et ses doutes disparurent momentanément ; mais, inquiète des desseins de Saverne, elle alla dans l’après-midi chez Mme de Preymont afin de tâter le terrain.

Marc était assis à quelques pas de sa mère dont il observait avec remords le visage altéré. Pas un mot n’avait été échangé entre eux, sur l’incident de la veille, et Mme de Preymont, sachant combien il devait être irrité contre lui-même, ménageait son orgueil et lui parlait d’un air naturel de sujets indifférents.

Elle avait passé la nuit non à pleurer, mais à prier ardemment en demandant à Dieu de prendre sa vie en échange d’un peu de bonheur pour son fils. Ce n’était pas la première fois que ce cri suppliant s’échappait de son cœur, et quand elle méditait en face du calme, de la sérénité des choses, la nuit avait souvent emporté dans son souffle très pur la prière qui allait se perdre dans les espaces mystérieux.

Dans une agitation fébrile, Mlle Constance entra dans le salon et aborda immédiatement la question qui la préoccupait, car, bien qu’elle critiquât en arrière Mme de Preymont dont les idées l’impatientaient, elle savait qu’on pouvait avoir confiance dans son caractère et son jugement.

— Votre ami est parti, mon cher monsieur, dit-elle de sa voix éclatante, quel bonheur ! Figurez-vous qu’on mariait beaucoup Suzanne avec lui, comme si nous ne pouvions pas trouver bien mieux qu’un homme qui n’a ni sou ni mailles. Aviez-vous entendu parler de ces propos, madame ?

— Oui, répondit Mme de Preymont d’un ton froid, et je ne crois pas que M. Saverne, notre ami, soit indigne de Suzanne.

— Indigne !… mais je ne dis pas cela. Il est charmant, et je crois bien que c’est l’avis de ma nièce ; mais il faut autre chose que des qualités pour manger, comme dit mon frère, qui est homme d’un grand sens. Enfin, puisqu’il est parti sans parler, c’est qu’il ne pense à rien. Mais, mon Dieu, peut-être va-t-il écrire ? qu’en pensez-vous ?

Preymont ne laissa pas à sa mère le temps de répondre. Exaspéré, il dit brusquement :

— Il n’écrira pas ! il a une liaison à Paris.

— Une liaison !

Mlle Constance eut un geste intraduisible d’indignation triomphante.

— Qu’est-ce que je disais hier à Suzanne ? Ces gens-là font la cour aux femmes seulement pour s’amuser, ils sont trop mauvais sujets pour se marier.

— Comment ! dit Preymont avec violence, est-ce que Suzanne…?

Mais il s’arrêta, car il eût outrepassé son droit en posant la question très intime qu’il avait sur les lèvres.

Mlle Constance, à qui le ton violent de Preymont fit ouvrir des yeux effarés, le tira inconsciemment d’embarras.

— Comme vous êtes ses parents et ses amis, je puis vous dire qu’elle s’était imaginé que M. Saverne allait la demander en mariage. Elle m’a questionnée là-dessus sans avoir l’air d’y attacher une grande importance, heureusement ! et ce matin, quand il l’a quittée, elle était aussi tranquille qu’à l’ordinaire. Je suis bien contente, ajouta-t-elle en se levant, qu’il ne pense pas à elle, parce que, s’il lui plaît, c’eût été une déception peut-être si mon frère, comme c’est probable, avait renvoyé très loin l’idée d’un mariage qui n’offre pas de garanties suffisantes pour l’avenir.

Après avoir reconduit Mlle Jeuffroy, Marc revint dans le salon, qu’il arpenta longtemps d’un air inquiet et mécontent. Il examinait le visage de sa mère, sur lequel il lisait une pensée qui l’humiliait. L’étonnement de Mme de Preymont était pénible, car, pour la première fois, elle lui voyait commettre une lâcheté.

— Vous me blâmez donc beaucoup ? dit-il en s’arrêtant subitement devant elle.

— Oui… ce n’est pas bien, répondit-elle simplement.

— En tout cas, je n’ai jamais dit que la vérité, répliqua-t-il.

— Non… tu le sais bien.

Il se tint longtemps silencieux devant la fenêtre ouverte, jusqu’au moment où, répondant à sa pensée secrète, il dit violemment :

— Lâcheté ou non, si c’était à refaire, je recommencerais… Si on le dit à Suzanne, eh bien ! le mal sera coupé dans sa racine.

Mme de Preymont ne répondit pas ; mais, s’approchant de son fils, elle croisa les deux mains sur son bras et se tint près de lui silencieusement, comme pour le protéger contre son plus grand ennemi qui était lui-même.

L’orage du matin s’était dissipé, et la journée avait été belle. Devant eux, dans la campagne, les arbres et les bois se dessinaient en masses sombres, pendant que la lumière encore chaude du soleil couchant colorait leur cime dans une dernière caresse. Une brise qui, dans la journée, agitait le fleuve, avait disparu, et les eaux semblaient s’assoupir dans le jour qui baissait. Il y avait un tel calme dans cette fin d’un bel après-midi que Mme de Preymont leva les yeux vers son fils pour voir s’il ne subissait pas l’influence de la beauté sereine.

Il comprit sa pensée et dit à voix basse :

— Pauvre mère !

— Ah ! murmura-t-elle d’un ton pénétrant, Marc, je ne puis faire que tu puises du courage dans mes croyances, mais sois homme… et sois bon.

— Bon ?… quelle duperie !

Mais aussitôt, se repentant de son exclamation, il prit la main de sa mère, qu’il baisa avec une sorte de vénération, car son esprit était assez haut pour la comprendre et constater toute la supériorité qu’elle avait sur lui.

Pendant que la passion et la douleur le faisaient défaillir, elle avait dans le malheur cette force morale que donne l’humble persuasion d’une faiblesse qui s’appuie sur un principe supérieur à l’énergie humaine.

— Mais, reprit-il avec dédain, vous avez raison : je ne suis qu’un jouet fragile, et non un homme.

— Alors, si tu le reconnais… tu ne songeras plus à mourir, lui dit-elle avec une tristesse si poignante que Preymont tressaillit.

Sans prononcer un mot, il la serra un instant sur son cœur et s’en alla.

Au milieu des sentiments contradictoires dont il souffrait, un désir dominait : il voulait savoir si Suzanne était malheureuse, bien qu’il se maintînt dans la résolution de ne pas disculper Saverne. Il erra quelque temps autour du manoir, hésitant à entrer, et il allait se retirer quand, du chemin, il aperçut sa cousine s’approchant du mur d’appui qui terminait la terrasse. Auprès d’elle, Mlle Constance, extrêmement agitée, parlait d’une voix si forte que quelques mots parvinrent aux oreilles de Preymont.

— Je te l’avais bien dit, ma chère enfant, ils sont tous pareils !

Après avoir lancé cette courte péroraison, Mlle Constance, sans se douter du mal qu’elle venait d’accomplir, embrassa Suzanne et disparut dans l’allée bordée de grands buis qui conduisait à sa demeure.

Mlle Jeuffroy était debout. Sa silhouette élégante se profilait nettement dans le jour voilé du soir, et son beau visage, dont Preymont ne pouvait distinguer l’expression de colère méprisante, était tourné vers l’horizon, qu’elle semblait prendre à témoin de la vilenie des hommes. Longtemps elle resta immobile, comme pétrifiée ; puis il la vit pleurer et, après s’être promenée sur la terrasse, se diriger d’un pas résolu vers la maison.

M. Jeuffroy, ce soir-là, était de méchante humeur et fort mécontent de Saverne, car il s’était réjoui de répéter qu’il avait refusé de donner sa fille à un artiste connu et apprécié. Cependant lorsque, dans la journée, on lui avait parlé d’un mariage entre les deux jeunes gens, il avait sauvé la situation en répondant sans rien préciser :

— Qu’est-ce que je demande, moi ? Vous comprenez que c’est le bonheur de ma fille. Après m’être trompé une fois, je suis devenu terriblement circonspect, et je ne donnerai jamais Suzanne à un cabotin. Car, entre nous, ces gens-là sont charmants en apparence, ils jettent de la poudre aux yeux ; mais quand on va au fond de leur vie, on découvre des choses, des choses !…

Mlle Constance lui ayant appris la liaison de Saverne, Suzanne, pendant le dîner, eut à écouter les propos libres de son père, qui n’était pas homme à ménager la délicatesse d’une jeune fille. Écœurée, révoltée, elle se leva en prétextant une indisposition et se réfugia dans sa chambre.

Lorsqu’elle avait consenti à épouser M. Varedde, une sincère sympathie l’avait décidée ; cependant les convenances, l’insistance de son père et surtout les conseils de la supérieure qui, connaissant M. Jeuffroy, redoutait pour elle la vie du manoir, avaient pesé d’un grand poids sur sa décision. Mais si Saverne avait demandé sa main, ni les considérations mondaines ni les convenances n’eussent influé sur elle ; sa réponse eût été de l’entraînement, et dans les sanglots qu’elle voulait étouffer il y avait toute l’angoisse d’un cœur cruellement froissé. Le souvenir de cette cour trompeuse, dont la déloyauté la blessait jusqu’à la moelle, calma l’explosion de son chagrin.

« Que ce soit fini, pensa-t-elle, car je rougis de moi-même. Je serais impardonnable si, le sachant à une autre, je pensais encore à lui, ne fût-ce qu’un instant. Quel comédien ! Ce matin encore, son ton me disait qu’il m’aimait, et je l’ai cru ! »

Alors, toute transie à l’idée de s’être trahie, elle se répéta chaque mot qu’elle avait prononcé, cherchant à se rappeler si son attitude avait été assez froide et assez indifférente.

« Oui, se dit-elle après un examen consciencieux, je crois que rien n’a pu lui donner l’idée fausse qu’il était aimé. »

Elle se calma en écrivant à la supérieure, à qui, dans son isolement moral, elle avait pris l’habitude d’envoyer de longues confidences.

Sa lettre écrite, et malgré la fraîcheur de la nuit, elle vint s’asseoir à sa fenêtre pour réfléchir et achever de mettre de l’ordre dans ses sentiments. Elle se persuadait à elle-même que le cœur n’était pas atteint, que sa fierté, son amour-propre étaient seuls blessés, qu’elle souffrait surtout des coups successifs portés à sa confiance dans les joies de la vie et la loyauté des hommes. Il y avait huit mois à peine, elle croyait encore que le chemin était uni, du moins qu’on y rencontrait une droiture égale à la sienne, que le mensonge était chose rare et généralement abhorrée. Elle pleurait, croyait-elle, d’être si jeune, si remplie d’illusions qu’elle ne faisait point un pas sans les voir fuir très loin, emportant le meilleur de son âme. Elle trouvait affreux de se heurter à tant de réalités qui blessaient si profondément sa nature et ses plus chers sentiments.

« Cependant, pensait-elle avec tristesse, il y a certainement des femmes qui ne connaissent pas les épreuves qui m’ont accueillie ici. Beaucoup ne sont ni trompées, ni privées de tendresse. »

Mais il n’était pas dans son caractère de pleurer longtemps sur elle-même, et il y avait en elle un fonds de raison qui combattait les côtés extrêmes d’une nature entière, généreuse et confiante. Après s’être raisonnée et blâmée aussi vivement que si la mauvaise action avait été de son côté, elle ferma la fenêtre en disant :

« Je ne l’aime pas, car je ne l’estime plus, mais je pleure encore parce qu’il m’a trompée et que j’ai horreur du mensonge. »

Quelques jours plus tard, Preymont, qui attendait avec la plus extrême anxiété des nouvelles de Didier, reçut les lignes suivantes :

« Mon vieux, si tous les hommes sont bêtes, je le suis particulièrement. On dit bien : Allez au diable ! mais, un instant après, on se laisse reprendre et garrotter. Mariage et bonheur sont à vau-l’eau ; c’est la première fois de ma vie que je suis malheureux.

« Saverne. »

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