Œuvres de P. Corneille, Tome 04
Le talent de Corneille fait de son côté les frais de cette causerie, avec un succès de style encore inouï, mais malheureusement gâté par quelques détails de mauvais ton. Il ne pouvait suivre son auteur dans ses railleries piquantes contre la mode tyrannique des larges fraises empesées ou golillas à la hollandaise; il ne se hasarde pas non plus à imiter une folle tirade du valet sur le firmament diversement constellé des beautés de Madrid. Le rôle souvent agréable du valet gracioso comportait, surtout à cette place, de telles échappées de style et de gaieté, comme une sorte d'aria buffa, qui ne nuisait nullement à l'effet général, quoique dérogeant ici à la manière simple et châtié de l'écrivain.
C'est à Corneille qu'appartiennent ces jolies maximes sur la façon de donner qui vaut mieux que ce qu'on donne[503]; mais Alarcon insiste trop lui-même sur le précepte de libéralité en amour, qui ne s'applique dans la pièce qu'à des largesses envers des subalternes.
V.
Arrivent les deux jeunes dames, d'abord vues à distance. Leur voiture s'est arrêtée devant un orfévre. Vive admiration de Garcia pour l'une d'elles, dont il voudrait savoir le nom. Le valet est sûr de faire parler leur cocher[504], épigramme peut-être plus proverbiale en Espagne qu'en France:
La principale de ces deux dames (Jacinta-Clarice) fait un faux pas et tombe. L'heureuse occasion offerte au jeune homme de la relever engage la conversation par de beaux compliments alambiqués, également à la mode en Espagne et à l'hôtel de Rambouillet. Une corrélation piquante nous engage à traduire ce passage: il faut tenir compte du langage métaphorique de la galanterie méridionale, et rapprocher le surplus de Corneille[505].
«Souffrez, Madame, que cette main vous relève.... si je suis digne d'être l'Atlas d'un ciel incomparable.
—Puisqu'il vous est donné de le toucher, vous devez être Atlas sans doute.
—C'est une chose de parvenir, une autre de mériter. Qu'ai-je gagné à toucher la beauté qui m'enflamme, si je n'ai obligation de cette faveur qu'au hasard et non à votre volonté? De cette main, il est vrai, j'ai pu toucher le ciel; mais que m'en revient-il si c'est parce que le ciel est tombé, et non pas que j'aie été élevé jusqu'à lui?
—A quelle fin prend-on la peine de mériter?
—Afin de parvenir.
—Mais parvenir sans passer par les moyens, n'est-ce pas heureuse fortune?
—Oui.
—Pourquoi donc vous plaindre du bien qui vous est advenu, si, n'ayant pas eu à le mériter, vous n'en avez que plus de bonheur?
—C'est que les intentions étant ce qui donne leur mérite aux actes, soit de faveur, soit de dommage, votre main que j'ai touchée n'est pas une faveur pour moi, si vous l'avez souffert, et que tel n'ait pas été votre choix. Souffrez donc mon regret de penser qu'en ce bonheur qui m'est échu, j'ai rencontré la main sans le cœur, la faveur sans la volonté.»
Cette thèse, comme on le voit, passe tout entière dans Corneille. Il faut bien qu'il y joigne la solennité de son vers arrondi et de sa grande forme dialectique moins découpée en dialogue. Peut-être ajoute-t-il pour son compte quelque surcroît d'amphigouri: le vers 133, au sujet de cette faveur:
ne s'entend guère, ou c'est une préparation trop artificielle à l'histoire qu'il va faire de son servage incognito depuis une année.
C'est du reste la même conduite de dialogue; mais la fable de l'ancien héros des guerres d'Allemagne, inventée par Corneille d'une manière brillante[506], est dans l'espagnol celle d'un créole péruvien, réputé d'avance très-opulent. Cette ressource romanesque était fort naturelle dans les conditions de l'Espagne d'alors. Mais il y a plus de couleur et de richesse dans la versification de Corneille. Comparez à sa traduction amplifiée ces vers:
Le faux nabab américain soutient son rôle en offrant à la discrétion de la dame toute une boutique de bijoux. Les mœurs du temps atténuaient un peu l'inconvenance; mais il est refusé délicatement: on n'agrée que l'offre elle-même. Tout ensuite est traduit, dans l'incident qui termine la scène, l'approche du prétendant de Jacinte, et les derniers compliments adressés à la dame; de même aussi dans les renseignements rapportés par le valet sur la plus belle des deux[509], nommée Lucrèce, et dans la méprise qui devient la source de toute l'intrigue, le Menteur croyant que ces indications désignent Jacinte-Clarice, tandis que Cliton pencherait pour donner le prix de la beauté à celle qui a su se taire[510], la vraie Lucrèce en effet (même nom dans les deux auteurs). Ce qui suit fait voir comment il arrive à Corneille de charger la plaisanterie jusqu'à heurter la bienséance[511], sans y être invité par son modèle:
VI.
D'ici à la fin de notre acte premier, il faudrait transcrire presque entièrement les deux textes en regard l'un de l'autre. L'Alcippe espagnol s'appelle don Juan de Sosa; son ami Philiste, don Félix: ce sont d'anciens camarades d'université. Alarcon n'oublie pas de placer un mot sur la nouvelle tenue dans laquelle ils voient Garcia et qui annonce un changement d'état. Sauf cette fidélité de détails, qui a bien son prix, Corneille, suivant à peu près tout le dialogue, fait une excellente étude d'artifice scénique, et ensuite un vrai chef-d'œuvre de description à l'instar de l'élégante fête espagnole. Celle-ci, fort curieuse, ne fût-ce que pour la couleur locale de son ordonnance, est surpassée encore par l'esprit et la verve qui animent le tableau de ce qu'était une fête parisienne vers la même époque. Les cinq bateaux sur la Seine sont les six cabinets de feuillage dressés sur le soto du Manzanarès, dans les bosquets du sotillo. Dorante, malgré son extravagance, a peut-être plus de goût, Garcia plus de faste, surtout dans l'étalage du banquet avec ses quatre dressoirs, ses vaisselles d'or, et jusqu'à un certain joyau figurant un homme tout percé de flèches d'Amour: ce sont les cure-dents d'or, seuls dignes d'être offerts aux dents de perle, etc. Les deux feux d'artifice se ressemblent assez; mais l'un est tiré à l'arrivée de la dame, l'autre après le repas. De part et d'autre, nous entendons quatre chœurs de musique distincts, les clarinettes, les instruments à archet, les flûtes, enfin les voix accompagnées de harpes et de guitares. On a, du côté espagnol, des glaces, des sorbets, des parfums et des essences; mais les cinq dames invitées et la danse jusqu'au jour n'appartiennent qu'au programme français. Le soleil jaloux vient mettre un terme à tant de délices, et rien n'égale la grâce du tour de Corneille[512] dans ce final exquis inspiré par ces vers:
Les traits de surcharge sont dus, en espagnol, à la facilité des métaphores emphatiques qui abondent dans cette poésie: ils sont plus étudiés dans le français. Cette prétérition plaisante du narrateur, qui veut être sobre, appartient à Dorante:
VII.
On croit lire du Regnard et du meilleur. C'est du reste une analogie de manière qui se retrouve assez souvent, soit dans la plaisanterie, soit dans le ton leste et risqué des personnages. Citons une autre jolie réplique, qui n'est que traduite, mais traduite parfaitement aux vers 362 et suivants de Corneille:
VIII.
La scène première du deuxième acte de Corneille accuse gravement le contraste entre le modèle et l'imitateur, quant à l'observation des convenances d'illusion et de réalité. Le Géronte qu'on ne connaît pas échange sur la place Royale quelques paroles avec Clarice dont il est venu demander la main pour son fils Dorante, sans que nous sachions pourquoi. Le procédé de don Beltran est tout autre: nous savons le motif qui l'amène dans la demeure de doña Jacinta, assistée, ainsi qu'il convient, de son oncle et tuteur don Sanche, et, sans longueurs, nous avons toutes les conditions requises d'urbanité. Là se place une donnée très-essentielle à l'action et que Corneille a rendue très-confuse. En fille prudente, Jacinte, qui n'a jamais vu le mari proposé, et qui ne soupçonne pas que ce soit l'inconnu de la promenade, témoigne naturellement au père qu'elle ne serait pas fâchée de l'apercevoir avant de faire connaissance avec lui. Don Beltran approuve cette idée, et il annonce qu'il passera à cheval, accompagné de son fils, sous les fenêtres de la maison. Ce sera plus tard une surprise piquante, lorsque Jacinte, causant avec sa camériste du riche Péruvien, le reconnaîtra par la fenêtre accompagnant don Beltran. Corneille ébauche seulement cette idée quand il fait dire à Clarice, dans une phrase bien forcée:
Sur quoi Géronte promet de le tenir longtemps sous la fenêtre en se promenant avec lui[516]. Mais le pis est que ces dispositions sont prises ici en pure perte, et n'aboutissent à rien. C'est simplement une pensée inachevée, qui ne s'explique qu'à l'aide de l'espagnol, où elle est complète. Il est vrai que Corneille donne plus loin une indication de scène, comme par réminiscence de ce moyen perdu: c'est pendant le récit du prétendu mariage de Poitiers; on lit après le vers 663: Ici Clarice les voit de sa fenêtre; et Lucrèce, avec Isabelle, les voit aussi de la sienne. Mais cet incident muet est si insignifiant et si peu compris qu'on le retranche à la représentation sans nul inconvénient. Quand, pour expliquer sa demande matrimoniale, Géronte dit de son fils:
IX.
La scène suivante a d'autres défauts, qui proviennent de même de cette imitation en raccourci d'un modèle où il n'y a rien de trop. Comparons donc avec le texte, pour comprendre ce que la copie a d'équivoque et de forcé: car ce n'est pas toujours de changements qu'il s'agit, c'est parfois de contre-sens.
Jacinte est une jeune fille à marier, d'une physionomie agréable et vraie, quoique peu sentimentale, nuance qui n'allait pas au pinceau de Corneille: aussi la rend-il d'une manière bien dure quand il prête à ce personnage une forte tirade déclamatoire sur les mariages mal assortis[518], et surtout des vers tels que ceux-ci au sujet de son premier prétendant:
Lisez ensuite les vers 443 et suivants de Clarice, et vous ne saurez plus ce qu'elle attend de cette capricieuse épreuve.
X.
Suivent d'autres parties importantes dans lesquelles Corneille rachète heureusement le désavantage de sa position comme imitateur d'une œuvre étrangère.
C'est qu'en effet cette œuvre est à moitié une comédie de caractère, et par ce côté elle est ouverte à son imitation la plus brillante; à moitié une intrigue fort ingénieuse de cape et d'épée, intrigue tout espagnole, qui doit résister à des qualités d'esprit, à des habitudes d'art et de contrée telles que les siennes.
XI.
Voici donc une petite scène fort agréablement rendue[525] quand Alcippe vient, furieux de la fête galante qu'on lui a contée, faire une querelle de jalousie toute semblable à celle de l'espagnol. On le prie de ne pas s'emporter si fort, parce que le père de la jeune personne va venir de la salle voisine; on ne comprend rien à la cause de ses plaintes. Le tour vif et piquant du dialogue est bien reproduit, d'après cette fin par exemple:
Il est vrai qu'on ne trouve point ici cette condition de deux baisers[526], qui n'était ni dans les convenances de la scène espagnole, ni dans celles de la situation et des personnages.
En outre, sur la scène française, la décoration permanente d'une place publique, d'une rue, décoration presque constamment déplacée, gâte un peu le sens des mots: Mon père va descendre[527]. L'idée de ce jeu tient dans l'original à ce que l'oncle peut passer d'un salon voisin dans la salle à manger.
Le monologue suivant, où Alcippe exprime son ressentiment contre son rival[528], n'était pas très-nécessaire; il est ajouté par l'auteur français, avec une belle teinte tragique, accident de couleur qui n'est guère en harmonie avec le reste.
XII.
Pour passer à l'amusante scène où le Menteur va se dire marié, il faut que le théâtre reste vide: défaut trop fréquent, mais grave selon Corneille et tous les classiques. Il n'est vraiment grave que quand un local arbitrairement choisi ne peut changer, comme la place où cette action est confinée mal à propos (voyez, aux vers 552 et suivants, le palliatif tiré de l'éloge des constructions nouvelles de Paris); mais c'est tout le contraire quand le spectateur, en voyant la scène transformée, aime à sentir sa curiosité rafraîchie, transportée sur un nouveau champ d'action.
Dans l'espagnol, nous sommes au parc d'Atocha, qui ressemble à quelqu'une de nos promenades hors des murs de Paris. Là sont descendus de cheval don Beltran et son fils. Le grave père, qui, depuis la confidence du Letrado[529], a recueilli encore un semblable témoignage par la bouche du valet Tristan, se propose deux choses dans cet entretien: d'abord une forte et noble réprimande à donner à son fils, au gentilhomme qui se dégrade par le mensonge; ensuite un mariage à lui proposer. Il va se produire un très-bel effet de haut comique, quand le jeune homme, après avoir écouté docilement la semonce paternelle, se trouve tout aussitôt avoir besoin d'un empêchement insurmontable à un mariage qui contrarie son amour, il le croit du moins, et qu'il rend au respectable moraliste le fruit de son sermon, en improvisant avec tant de feu le roman de ses amours à Salamanque, de son hymen forcé, la montre qui sonne, le pistolet qui part, la muraille percée, etc. Le bon père est ému, il croit tout, se résigne, et remonte à cheval pour aller porter ses excuses à la famille de Jacinte. Le jeune étourdi reste seul, enchanté de son adresse et de tant d'aventures à soutenir.
Corneille a beaucoup sacrifié de la force comique en disjoignant ces deux moitiés de scène, si frappantes par leur péripétie immédiate. S'il reproduit très-fidèlement et avec un grand charme, au deuxième acte[530], le conte du mariage, il réserve pour le cinquième[531], comme renfort de son faible dénoûment, la réprimande du vieux gentilhomme.
Quant à la narration, c'est un morceau capital, où Corneille regagne l'avantage par un travail plus attentif dans le choix et la distribution des circonstances, et par un style plus savamment étudié, où l'emphase convenable au sujet n'est pas surchargée d'un luxe trop oiseux. Il coupe avec plus d'art le dialogue qui doit amener cette narration; mais il ajoute un petit mouvement théâtral sur lequel nous interrogerons la délicatesse du lecteur, pour savoir si ce trait de fourberie hypocrite est bien dans la vraie nuance du caractère du Menteur:
Cette remarque en appelle une autre, c'est qu'en divers endroits, très-courts il est vrai, le ton du jeune homme en arrière de son père offre, comme chez Regnard, un mélange d'impertinence dure et moqueuse qui n'était point dans l'original, plus fidèle à des habitudes de bonne compagnie.
Il est trop vrai en général que la malice française aime à enchérir, plutôt que de rabattre, sur les détails d'un certain genre. Pourquoi Corneille suppose-t-il que Dorante se coulait souvent sans bruit dans la chambre de sa belle[533], tandis que son auteur suppose seulement un premier rendez-vous pour amener son aventure?
D'autres détails ajoutés dans le récit sont d'un effet un peu frivole si l'on veut, mais excellent:
La conclusion par le mariage, exposée en une seule période, avec accumulation de motifs[536], est suggérée par la forme de l'original; mais l'habileté du style de Corneille y triomphe d'une manière incomparable.
Citons enfin quelques passages du texte, dont on trouvera dans les vers français la traduction suffisamment fidèle:
Après le siége et la capitulation, un détail qui ne pouvait passer de l'espagnol en français, est cette licence obtenue de l'évêque.
Le valet n'a pas suivi ses maîtres à cette promenade d'Atocha; dans le français, au contraire, il entend tout, et reste ému lui-même d'une si étrange histoire. Cette différence vaut à Corneille une scène charmante qui est toute à lui[537].
Dans les petits mouvements de la fin de notre deuxième acte, le spectateur peut regretter de ne pas entendre lire tout haut, comme dans l'espagnol, les deux billets, l'un de rendez-vous nocturne, l'autre de cartel; car la rédaction très-courte de ces deux appels entre bien dans le ton romanesque de l'aventure. Ils sont d'ailleurs remis à Garcia plus convenablement, chez lui, le matin. Sa fatuité s'exprime comme celle de Dorante (Je revins hier au soir de Poitiers, etc.[538]):
XIII.
En conséquence de la distinction essentielle déjà faite ci-dessus (X), notre parallèle n'exige plus désormais un rapprochement aussi continu des deux ouvrages. Le succès de l'imitation s'étend uniquement à ces parties de la pièce espagnole qui mettent en jeu le caractère du Menteur: l'effort pénible, la confusion, l'absence d'intérêt résultent chez l'imitateur de son impuissance à transporter sur la scène française l'autre moitié du type original, cette intrigue de mœurs espagnoles qu'Alarcon a si habilement fondue dans sa comédie de caractère. En effet l'unité de la conception originale consiste dans le rapport combiné de ces deux parties: d'une part, le Menteur se décrie par tous les contes qu'il invente; de l'autre, il s'embarrasse jusqu'à la fin par une méprise fortuite sur le nom de celle qu'il préfère; son erreur involontaire est imputée au compte de ses mensonges (verdad sospechosa), parce qu'on ne veut plus le croire: c'est la moralité de l'ouvrage, beaucoup moins saillante chez Corneille, et la punition s'accomplit par une petite disgrâce suffisante pour la justice du drame comique. L'ingénieux jeune homme n'épouse pas celle qu'il a recherchée, mais la compagne et l'amie placée tout auprès, à laquelle il a inspiré de l'intérêt dans le cours de ses quiproquos et de ses mensonges, en lui adressant par méprise ses protestations les plus vives. Pour en venir là, il faut passer par un de ces réseaux de complications piquantes et légères qui étaient le secret de la poésie et de la galanterie espagnole. L'esprit et le travail de Corneille s'épuisent en vain à reproduire un pareil tissu. En le suivant de moins près dans cette tentative, nous épargnons, bien qu'à regret, le temps qui serait nécessaire pour faire voir par ce côté le mérite de son modèle.
XIV.
Au commencement de notre troisième acte, l'épisode du duel est assez froidement indiqué par une conversation, tandis qu'il est mis en scène dans l'original. C'est sur le terrain, dans le parc d'Atocha, où son père l'a laissé, que Garcia rencontre son adversaire, lui demande la cause de ce défi, le rassure en inventant une dame mariée à laquelle il aurait donné sa grande fête, et insiste ensuite par point d'honneur pour croiser l'épée, puisqu'on l'a fait venir à cette intention. Survient l'ami commun, don Félix, qui s'occupe au combat: Garcia les quitte avec des airs graves de gentilhomme raffiné[539], et l'entretien qui suit est rendu en entier par la scène entre Alcippe et Philiste[540].
Dans la scène suivante, Clarice se dispose à la conversation du balcon en causant avec Isabelle des nombreuses faussetés du jeune homme, jusqu'à l'aveu d'un mariage, qui ôte toute excuse à ses empressements auprès d'elle. C'est à peu près tout le dialogue espagnol, moins la surprise de Jacinte-Clarice reconnaissant par la fenêtre le brillant étranger, qui n'est plus autre que le fils de don Beltran ou de Géronte.
Enfin la scène du balcon nous offre le moment principal de cet acte, et un effet encore très-dramatique. Dorante n'y ment plus, mais il fait penser à Clarice qu'il ment plus que jamais en ne lui parlant que de Lucrèce, parce que c'est le nom qu'il lui attribue. De là ce dialogue avec Cliton:
et ce qui précède, le tout emprunté à ce texte bien net d'intention et de style:
Il y a du reste, chez Alarcon, beaucoup de force et de rapidité dans le dialogue qui a poussé à bout le début de Jacinte et qui donne lieu à Lucrèce de désirer que le Menteur dise vrai en s'adressant à elle. La même conduite est suivie dans le français, et tous les traits principaux sont traduits.
Ainsi se rapportent aux vers 949, etc., de Corneille les suivants:
Aux vers 959, etc.:
Aux vers 1044, etc.:
Nous aurions pu tout citer, car Corneille n'a rien omis, sauf les détails auxquels il devait substituer des équivalents ou de simples raccords. Ici comme ailleurs on aura pu remarquer chez le poëte français plus d'étude et d'art dans le style, chez l'espagnol une précision plus vive, qui entraîne davantage l'action dramatique.
XV.
Du reste, après cet effort très-ingénieux pour lutter sur ce terrain de l'intrigue féminine espagnole, Corneille abandonne forcément la partie. Le naturel le plus parfait, la plus grande vérité de couleur locale sont précisément ce qu'il y a de plus nécessaire pour encadrer ces subtiles intrigues de jolies dames, voilées ou de leur mantille ou du mystère de la nuit. Aussi suffisait-il de l'instinct et de la vivacité familière des femmes espagnoles pour fournir assez d'actrices capables de rendre avec agrément divers rôles du premier rang dans ces comédies. Avec moins de spontanéité sur notre scène, sous l'empire de tant de conditions antipathiques à ces habitudes, la concurrence était téméraire et à peu près impossible. Matériellement, un obstacle insurmontable à l'imitation complète de cette partie de l'intrigue, résulte de l'étendue, qui eût imposé à l'imitateur la substance d'une pièce en sept ou huit actes: telle est en effet la disproportion ordinaire entre les ouvrages dramatiques des deux nations. Une autre difficulté tout aussi sérieuse est dans le canevas même, dont la trame chez l'auteur espagnol est d'une telle finesse qu'elle échappe à l'analyse aussi bien qu'à l'imitation. Il faudrait voir dans le texte, ou mieux sur le théâtre, la jolie scène de jour où sont redoublées les méprises de la nuit entre les jeunes filles tapadas, c'est-à-dire couvertes de leurs mantilles comme d'un domino, suivant l'usage d'Espagne. Cette combinaison sert à pousser à bout les confusions, les mensonges apparents du Menteur, qui, en recherchant l'une, s'adresse involontairement à l'autre, et le dépit de Jacinte qui se détache de lui, et l'inclination croissante de Lucrèce. Le lieu naïvement choisi pour cette action n'est autre que le cloître de l'église et couvent de la Magdalena, à l'heure de l'office de l'octave, lieu fréquenté du beau monde, rendez-vous à la mode de dévotion et de galanterie. D'autres rencontres importantes pour notre comédie y sont amenées ensuite très-naturellement.
Corneille était forcé de renoncer à tant de développements, et il ne pouvait transporter l'intrigue dans un lieu saint. Toutefois on lit avec quelque surprise, au vers 1434 ce mot de Clarice à Lucrèce:
Que vient faire le temple ou l'église, dans une action comique aussi abstraite chez nous que les noms grecs de ses personnages? Voltaire est choqué de cette inconvenance dramatique: Allons à l'église, puisque nous n'avons plus rien à dire ici! et cela sans qu'il doive rien résulter pour notre action de cette dévote pratique. La faute tient à un scrupule assez touchant de Corneille: il a beau retrancher et changer bien des choses, on voit qu'il s'y résout timidement, qu'il est comme obsédé des souvenirs de son texte, et il en donne volontiers, comme ici, des miettes éparses, par réminiscence des morceaux dont il est obligé de se priver.
XVI
Au quatrième acte reparaît le comique de caractère du Menteur, qui n'avait presque plus menti dans le troisième.
C'est d'abord l'honnête valet qu'il va prendre pour dupe à son tour, lui, de son cœur l'unique secrétaire, lui, de ses secrets le grand dépositaire[542].
Cliton demande à son maître des nouvelles de cet Alcippe qui, dit-on, s'est battu[543], transition très-faible, ainsi que tout le commencement de la première scène, et qui est tout autrement ménagée dans l'espagnol, où elle sort directement de l'action.
L'occasion est belle pour le Menteur, en s'avouant le héros de ce duel, d'inventer un superbe combat, et de tuer son homme, sauf à le voir entrer en scène aussitôt, ressuscité sûrement par quelque charme hébraïque dont il connaît la formule, sachant dix langues aussi bien que la sienne. Émotions successives du valet, suivies de ses reproches ironiques. Tout cela est imité de fort près, sauf la supposition d'une vieille rancune et d'anciennes provocations[544], sauf encore le joli vers de Corneille:
Quelque chose manque pourtant: il était naturel d'amplifier le récit du combat par quelques grands détails d'escrime comme fait Alarcon. Pour en inventer, Corneille, qui n'était pas homme d'épée, pouvait manquer de ressources techniques; mais pourquoi ne traduit-il pas le grand fait d'armes de son auteur? D'abord il ne veut pas dire qu'un Agnus Dei porté par l'adversaire l'a préservé d'un terrible coup d'estocade en brisant l'estoc par la moitié. De plus, pour suivre le poëte espagnol, il eût fallu raconter que, réduit au tronçon de l'arme, le vainqueur a fendu le crâne à son ennemi; mais Corneille veut éviter le double emploi d'une lame brisée: or déjà le Menteur nous disait en contant l'esclandre de Poitiers:
Notez que ce contre-temps avait été judicieusement substitué alors à celui d'un nœud d'épée qui, dans l'espagnol, s'était accroché au loquet d'une serrure. Notre poëte n'avait pas voulu d'un accident trop analogue à celui du pistolet accroché par les cordons de la montre. Mais ce souvenir transposé de l'épée brisée n'est-il pas encore un exemple de ces scrupules de fidélité dont nous venons de parler?
Nous devons ajouter que dans sa forme réduite Corneille écrit admirablement tout ce passage, avec un sel comique qui, tout en imitant, surpasse l'original, par exemple dans ce tour rapide: A ce compte il est mort?—Je le laissai pour tel[547].
On peut comparer les passages suivants, à partir du vers 1168 de Corneille:
XVII.
L'autre trait de caractère, le seul autre moment intéressant de ce quatrième acte, nous révèle inopinément la grossesse de la jeune épouse demeurée à Poitiers (ou à Salamanque), quand le bon père, gagné de tendresse, veut que son fils aille la chercher, et qu'il faut le faire renoncer à cette idée[548].
Alarcon n'a pas, il est vrai, de vers qui équivale à ce mouvement du vieillard heureux de l'idée d'être bientôt aïeul:
La lettre qu'il s'agit d'écrire et de modifier d'après cette nouvelle, amène la malencontreuse question du nom du beau-père. Chez Alarcon, c'est seulement le prénom inséparable du don qu'il est question de retrouver, car il est indispensable en espagnol, et il y a plus de vraisemblance dans cet oubli que dans celui du nom de famille. Le seigneur de Herrera à Salamanque va donc s'appeler don Diego, après avoir été nommé ci-devant don Pedro; la variante s'expliquera en Espagne par l'adoption d'un nouveau prénom à titre d'héritage testamentaire; en France, Armédon changé en Pyrandre s'expliquera comme un nom de terre:
Et quand le bonhomme enfin s'est retiré content:
Les deux scènes dont nous venons de parler sont disposées par Alarcon dans un ordre tout différent qu'il serait trop long d'exposer. L'entrée d'Alcippe au moment où on vient de le tuer, est motivée autrement par Corneille, et d'une manière un peu froide. Après tout ce qui s'est passé, cet Alcippe n'a pas besoin de témoigner tant d'empressement et d'amitié à Dorante. La nouvelle qu'il apporte, c'est que son père est arrivé de Tours, condition absolue de son mariage, comme dans l'espagnol l'obtention d'une commanderie par don Juan de Sosa.
Mais ici, en s'écartant de l'original, notre comédie dégénère rapidement. Nous n'insisterons pas dans la seconde moitié de cet acte sur l'intervention de cette soubrette Sabine qui ne parle que de se faire payer, sans qu'on en comprenne l'utilité. L'équivalent de cette figure est dans le texte un valet de Lucrèce qui tient moins de place et qui sert à l'action. Il serait superflu de poursuivre ces petits emprunts partiels, où le modèle rendu presque méconnaissable est pourtant toujours rappelé plus ou moins indirectement.
XVIII.
Encore un beau moment de grande imitation dans le cinquième acte, au commencement, et c'est tout ce que nous aurons à comparer. C'est assez, en effet, de cette succession de passages brillants déduits d'un même caractère, pour avoir maintenu la comédie de Corneille au rang qu'elle occupe sur notre théâtre, malgré l'effort d'indulgence qu'exigent, surtout vers la fin, sa composition et son ensemble dramatique.
Le père du Menteur demande quelques renseignements sur sa nouvelle famille de province à l'un des amis d'université de son fils. C'est à Philiste, qu'il s'adresse, rôle très-indifférent, tandis qu'Alcippe (comme Juan de Sosa dans le texte) pourrait également lui répondre. Ce que notre auteur met du sien dans ce dialogue, c'est, dans les réponses de Philiste, une malice ironique qui devient gratuitement assez désobligeante et discourtoise envers ce père trop crédule. Cela est d'ailleurs tourné d'une manière très-leste et très-piquante:
L'auteur espagnol ménage cet éclaircissement d'une façon plus digne, et beaucoup plus frappante par la situation: il amène d'un côté de la scène, au cloître de la Madeleine, don Beltran causant avec Juan de Sosa, tandis que de l'autre côté Garcia achève sur Tristan l'essai de ses inventions. Désabusé enfin, le père reste à la même place, lançant des regards courroucés à son fils qui s'approche, et qui subit pour la seconde fois une éloquente réprimande sur l'infamie de ses mensonges.
Corneille, on le sait, a attendu jusqu'ici pour faire élever la voix à son iratus Chremes, et dans cette belle interpellation: Êtes-vous gentilhomme[553]? il préfère imiter d'abord la grave leçon de la deuxième journée dont nous avons parlé (XII) et qu'il a omise en son lieu. Le petit monologue: O vieillesse facile! etc.[554], est librement imité de cet endroit de la troisième journée:
Mais l'interpellation énergique transposée dans Corneille est marquée d'un ton plus irrité, au lieu du ton plutôt grave et triste qu'elle rend dans l'admonestation prudente d'où elle est reprise:
On voit combien est en général plus forte de style l'éloquence de Corneille, indépendamment du ton plus pressé que comporte ici la situation. De ce premier emprunt il passe à ceux que lui fournit dans l'original la réprimande actuelle:
L'interlocution un peu plus fréquente où se mêle Cliton à demi-voix est de Corneille. Vient la demande de la main de Lucrèce, dont le Menteur atteste, toujours par erreur de nom, qu'il est amoureux, ce qui fut la cause de ses feintes aventures. Tout est imité; en particulier ce beau mouvement: Tu ne meurs pas de honte[558].... quand Dorante invoque le témoignage de son valet à l'appui du sien.
XIX.
Il resterait à comparer les deux dénoûments. Garcia ne ment plus dans le dénoûment espagnol, mais il est fourvoyé jusqu'au bout par sa première méprise, d'une manière qui nous semble amusante, dramatique et fort habilement combinée.
Dans la pièce française, Dorante est tiré de son erreur par un propos fortuit, quand Clarice dit devant lui à son amie: Lucrèce, écoute un mot[559]. Dès lors il fait soudain changement de front. Par une précaution trop visiblement artificielle de l'auteur, Dorante s'est avisé à part lui que Lucrèce vaut bien Clarice[560], et pour ne pas rester humilié des mépris de cette dernière, il se met à soutenir assez bassement qu'il a joué la comédie à son égard, et que la vraie Lucrèce a toujours eu son amour. Ce nouveau genre de mensonge n'a rien de l'inspiration comique des précédents: c'est une ressource d'amour-propre qui n'est point confondue comme il le faudrait, et qui profite à son hypocrisie. Tout se termine, nous sommes forcés de le dire, dans une indifférence générale du spectateur pour les personnages, surtout pour le principal, et la conclusion par un double mariage s'accomplit sommairement, à demi dissimulée derrière la coulisse.
Corneille s'applaudit, un peu complaisamment, dans son Examen, d'avoir évité, par la conversion soudaine des sentiments de Dorante, ce qu'il y aurait eu de trop dur dans un mariage tragiquement imposé sous la menace d'être tué par son père[561]. Dans la roideur des formes françaises, la chose en effet aurait pu prendre ce tour désagréable; mais la conclusion espagnole qui donne Lucrèce à Garcia ne laisse aucune impression bien fâcheuse, et présente au contraire un tableau original et supérieurement ordonné. Huit personnes au moins y sont amenées sur la scène sans aucune confusion, parce que le poëte espagnol peut faire converser séparément des groupes différents. Corneille n'osait faire usage de cette faculté sur son théâtre, et c'est probablement là le genre d'aparté qu'il n'aimait pas, et qu'il aurait voulu éviter[562].
Nous croyons donc devoir terminer cette étude par l'exposé de la dernière scène d'Alarcon, pour compléter un peu l'idée du modèle auquel Corneille renonçait malgré lui, après l'avoir si attentivement poursuivi, habilement imité, surpassé même quelquefois par la poésie du style. Le mérite de l'illusion et de la mise en scène devait rester à une comédie plus formée, plus savante, et moins gênée dans ses allures, telle qu'était alors la comédie espagnole par rapport à la nôtre.
XX.
La scène est un salon attenant à un jardin, chez Lucrèce.
Le seigneur de Luna, père de Lucrèce, dont on s'était passé jusqu'ici, ramène de la promenade son vieil ami don Sanche, l'oncle de Jacinte. On doit souper ensemble, et l'on cause tandis que les deux jeunes filles sont au jardin. On reçoit à cette heure inaccoutumée la visite de Juan de Sosa, pressé de montrer à don Sanche la nomination officielle qu'il a enfin reçue et qui doit assurer son bonheur. L'oncle de Jacinte accueille cette nouvelle avec joie et va dans le jardin en faire part à sa pupille.
Un motif grave amène également chez le seigneur de Luna Garcia et don Beltran, pressé de présenter son fils au père de Lucrèce.
Tandis que Garcia complimente Sosa sur le succès de ses vœux, peu de mots ont suffi aux deux vieillards pour tomber d'accord, et Luna s'empresse de tendre la main au jeune homme en s'engageant pour sa fille.
Une certaine anxiété se prolonge ainsi pour le spectateur, qui sait que Garcia, encore trompé dans sa démarche par un nom mal appliqué, ne songe en réalité qu'à Jacinte, l'accordée de Sosa.
En ce moment reviennent du jardin don Sanche et les jeunes filles. Jacinte reçoit le compliment de son amie, en souhaitant même fortune au penchant qu'elle lui connaît pour Garcia.
C'est là le moment d'un fort joli coup de théâtre.
Quand, d'un côté de la scène, le père de Lucrèce lui a assuré que Garcia, non marié à Salamanque, vient la demander, et qu'elle a consenti, don Sanche à haute voix, invite les deux nobles prétendants à s'avancer vers leurs heureuses fiancées. «Maintenant, dit Garcia triomphant, le fait va justifier tout ce que j'ai dit de vrai.» Et là-dessus il s'avance vers Jacinte du même pas que Sosa. «Que faites-vous, Garcia? lui dit celui-ci. Voilà Lucrèce.» Il se récrie; il persiste un moment, et déclare que s'il a demandé l'une par erreur, c'est l'autre qu'il a aimée. Scandale et colère générale. Lucrèce atteste vivement la lettre où il s'engageait à elle d'une manière si peu équivoque; don Beltran le fera périr de sa main s'il persévère dans cette nouvelle indignité; le seigneur de Luna voudra laver dans son sang l'injure faite à sa fille. Juan de Sosa prie brièvement Jacinte de mettre un terme à tout cela, et elle se donne à lui. Dès lors Garcia n'a plus qu'à se rendre à la douce Lucrèce.
«A vous la faute, dit Tristan à demi-voix. Si vous aviez commencé par dire vrai, vous posséderiez Jacinte à cette heure. Plus de remède maintenant: consentez, et donnez la main à Lucrèce, qui est aussi une aimable fille.
Don Garcia. Allons, puisqu'il le faut; je donne ma main.
Tristan. Cela vous apprendra ce qu'on gagne à mentir, et fera voir à l'Assemblée que dans la bouche du menteur d'habitude, la vérité devient suspecte.»
L'intérêt qui s'attache à la pièce d'Alarcon et à un poëte de cet ordre dont le nom est presque dépourvu de tout renseignement biographique, nous porte à relever ici deux passages assez remarquables de cette comédie.
Le premier a été déjà signalé par un éditeur: c'est un éloge du roi Philippe III mêlé aux remontrances adressées par don Beltran à son fils: «Songez que vous vivez sous les yeux d'un roi si pieux et si accompli que vos travers ne peuvent trouver en lui de faiblesses qui servent à les excuser.» Cette phrase donnerait à la pièce une date antérieure à la mort de Philippe III, qui arriva en mars 1621.
L'autre passage appartient à la première scène. C'est un trait d'amère censure qui semble coïncider avec des manifestations assez vives de l'opinion publique survenues vers la fin de ce règne, et dont il est question dans le roman de Gil Blas, d'une manière qui ressemble fort à de l'histoire. C'est le moment de la chute du long ministère du duc de Lerme, faiblement continué par son fils le duc d'Uzède. Le Letrado, pour consoler don Beltran au sujet de son fils, lui dit qu'on peut tout espérer du séjour de la cour, d'une si grande école d'honneur, pour l'amendement du jeune homme. «Ah! je suis presque tenté de rire à voir comme vous entendez la cour. Vraiment, il ne trouverait là personne pour lui enseigner à mentir! Sachez bien qu'à la cour, si fort que soit en ce genre don Garcia, il trouvera des gens qui lui rendront chaque jour mille points en fait de mensonges. Quand on voit ici tel homme occupant un poste élevé, mentir en des affaires où il y va pour ses dupes de leur fortune et de leur honneur, combien un tel méfait n'est-il pas plus grave de la part de celui qui est offert à tout le royaume pour miroir et pour modèle.... Mais quittons ce sujet.... je me laisse aller à de médisants propos, etc.[563].»
V.
Dans une de ses notes sur le Menteur (acte II, scène V), Voltaire mentionne comme étant une imitation de la comédie de Corneille, la pièce de Goldoni intitulée il Bugiardo[564]. Ce rapprochement n'est évidemment qu'une aimable flatterie, motivée par quelques relations de politesse qui s'étaient établies entre Voltaire et l'auteur italien. Les deux ouvrages diffèrent à un tel point l'un de l'autre par les circonstances de l'action, le genre, le ton, la manière, sans parler du talent, que toute comparaison est impossible. Pour montrer combien la distance est grande quant au genre et au ton, il nous suffira de dire que dans la comédie italienne, écrite en prose commune, le père du Menteur, le valet du Menteur, et un autre valet ou confident s'appellent Pantalone, Arlecchino et Brighella, noms de trois masques traditionnels, parlant tous le patois vénitien. Goldoni revendique à bon droit son originalité telle quelle dans un mot de préface, où, par un scrupule de délicatesse, il reconnaît d'une manière générale qu'il a fait quelques emprunts à la pièce française (il ne paraît pas avoir connu l'espagnole): il a reproduit en effet les plaisantes inventions d'un mariage forcé, d'une femme enceinte, d'un adversaire tué en duel. Au lieu des tirades narratives, c'est en un menu dialogue qu'arrivent une à une toutes les fictions de ce Menteur. Les questions du bonhomme Pantalon en provoquent chaque circonstance successivement, et son jeu de scène devient ainsi le côté le plus plaisant du spectacle.
Du reste le tour honnête et assez sérieux des idées de Goldoni est marqué par son dénoûment. Le menteur Lélio, qu'il a rendu plus méprisable que séduisant, est à la fin chassé par la famille à laquelle il voulait s'allier, et rejeté par son père Pantalon Bisognosi, qui l'abandonne, en lui comptant sa légitime, aux poursuites d'une femme étrangère, qu'il a séduite et délaissée.
V.
LA SUITE DU MENTEUR
COMÉDIE
1643
NOTICE.
Nous avons peu de chose à dire de la Suite du Menteur. La comparaison entre cet ouvrage et la comédie de Lope de Vega intitulée Amar sin saber á quien, «Aimer sans savoir qui,» sera faite avec toute la compétence désirable dans l'Appendice que nous devons à l'inépuisable obligeance de M. Viguier (voyez p. 391-395); et quant à l'histoire de la représentation, nous l'avons presque racontée d'avance en parlant du Menteur lui-même. La scène III du premier acte, citée par nous dans la Notice précédente, prouve que les personnages de Dorante et de Cléon furent remplis par les acteurs qui les avaient déjà représentés dans le premier ouvrage, et donne sur ces deux comédiens de curieux détails, auxquels nous nous contentons de renvoyer[565].
Cette pièce fut jouée vers la fin de 1643, et il est permis de conjecturer qu'elle fut lue par Corneille au chancelier Seguier, au commencement d'aôut de la même année. Voici sur quoi se fonde cette opinion. On lit à la suite d'un passage de la Bibliothèque françoise de Gouget[566] où il vient d'être question de la correspondance manuscrite de Chapelain: «Ces lettres.... de même que quelques autres, montrent aussi que Corneille fréquentait souvent M. le chancelier Seguier et l'hôtel de Rambouillet, et qu'il lisoit ses pièces dramatiques avant de les livrer au théâtre.» L'indication marginale qui accompagne ce passage porte: «Lettres du 16 août 1643 et du 8 novembre 1652.» De ces deux dates la première ne peut se rapporter qu'à la Suite du Menteur et la seconde qu'à Pertharite, joué en 1653. Par malheur, il est impossible de recourir au texte même: car, bien que M. Sainte-Beuve possède la plus grande partie des lettres inédites de Chapelain, «cette précieuse copie autographe est, comme le fait remarquer M. Taschereau[567], incomplète d'un volume (1641 à 1658).» Ce que nous venons de dire prouve que Gouget avait probablement parcouru ce volume aujourd'hui perdu, et, faute de mieux, son témoignage nous fournira encore d'utiles renseignements en d'autres circonstances.
Corneille reconnaît en plus d'un endroit[568] que la pièce qui nous occupe a beaucoup moins réussi que la précédente; mais il nous apprend que, «quatre ou cinq ans après, la troupe du Marais la remit au théâtre avec un succès plus heureux[569].» C'est sans doute cette phrase qui a fait supposer fort gratuitement que le Menteur et la Suite n'avaient pas d'abord été donnés au Marais, mais qu'ils y avaient seulement été repris[570].
Voltaire affectionnait cet ouvrage; il s'exprime ainsi dans la préface du commentaire qu'il lui a consacré: «La Suite du Menteur ne réussit point. Serait-il permis de dire qu'avec quelques changements elle ferait au théâtre plus d'effet que le Menteur même?»
Andrieux voulut tenter l'aventure; il mit la pièce en quatre actes, et la fit ainsi représenter, le 26 germinal an xi (1803), sur le théâtre Louvois. Puis, mécontent de son essai, qui avait pourtant été accueilli d'une manière assez favorable, il crut pouvoir trouver des modifications plus heureuses, remit l'ouvrage en cinq actes, et le fit jouer en 1810, avec de nouveaux changements, sur le théâtre de l'Impératrice (aujourd'hui l'Odéon). Toutefois, cette comédie n'a pu se maintenir au répertoire; mais aucune peut-être ne mériterait davantage de devenir l'objet, au moins passager, d'une de ces intéressantes reprises que, depuis quelque temps, le Théâtre-Français a si à propos multipliées. En effet, si le plan et l'ordonnance laissent quelque chose à désirer, la Suite du Menteur n'en offre pas moins des rôles excellents, des scènes charmantes et des situations fort gaies.
L'édition originale a pour titre: La Svite du Menteur, comedie. Imprimé à Roüen, et se vend à Paris, chez Antoine de Sommauille.... et Augustin Courbé.... M.DC.XLV, in-4o de 6 feuillets et 136 pages. On lit à la fin du privilége: «Acheué d'imprimer pour la premiere fois à Rouen, par Laurens Maurry, ce dernier septembre 1645.»
ÉPÎTRE[571].
Monsieur,
Je vous avois bien dit que le Menteur ne seroit pas le dernier emprunt ou larcin que je ferois chez les Espagnols[572]: en voici une Suite qui est encore tirée du même original, et dont Lope a traité le sujet sous le titre de Amar sin saber á quien. Elle n'a pas été si heureuse au théâtre que l'autre, quoique plus remplie de beaux sentiments et de beaux vers. Ce n'est pas que j'en veuille accuser ni le défaut des acteurs, ni le mauvais jugement du peuple: la faute en est toute à moi, qui devois mieux prendre mes mesures, et choisir des sujets plus répondants au goût de mon auditoire. Si j'étois de ceux qui tiennent que la poésie a pour but de profiter aussi bien que de plaire[573], je tâcherois de vous persuader que celle-ci est beaucoup meilleure que l'autre, à cause que Dorante y paroît beaucoup plus honnête homme, et donne des exemples de vertu à suivre; au lieu qu'en l'autre, il ne donne que des imperfections à éviter; mais pour moi, qui tiens avec Aristote et Horace[574] que notre art n'a pour but que le divertissement, j'avoue qu'il est ici bien moins à estimer qu'en la première comédie, puisque, avec ses mauvaises habitudes, il a perdu presque toutes ses grâces, et qu'il semble avoir quitté la meilleure part de ses agréments lorsqu'il a voulu se corriger de ses défauts[575]. Vous me direz que je suis bien injurieux au métier qui me fait connoître, d'en ravaler le but si bas que de le réduire à plaire au peuple, et que je suis bien hardi tout ensemble de prendre pour garant[576] de mon opinion les deux maîtres dont ceux du parti contraire se fortifient. A cela, je vous dirai que ceux-là même qui mettent si haut le but de l'art sont injurieux à l'artisan, dont ils ravalent d'autant plus le mérite, qu'ils pensent relever la dignité de sa profession, parce que, s'il est obligé de prendre soin de l'utile, il évite seulement une faute quand il s'en acquitte, et n'est digne d'aucune louange. C'est mon Horace qui me l'apprend:
En effet, Monsieur, vous ne loueriez pas beaucoup un homme pour avoir réduit un poëme dramatique dans l'unité de jour et de lieu, parce que les lois du théâtre le lui prescrivent, et que sans cela son ouvrage ne seroit qu'un monstre. Pour moi, j'estime extrêmement ceux qui mêlent l'utile au délectable, et d'autant plus qu'ils n'y sont pas obligés par les règles de la poésie[578]; je suis bien aise de dire d'eux avec notre docteur[579]:
mais je dénie qu'ils faillent contre ces règles, lorsqu'ils ne l'y mêlent pas, et les blâme seulement de ne s'être pas proposé un objet assez digne d'eux, ou si vous me permettez de parler un peu chrétiennement, de n'avoir pas eu assez de charité pour prendre l'occasion de donner en passant quelque instruction à ceux qui les écoutent ou qui les lisent. Pourvu qu'ils ayent[580] trouvé le moyen de plaire, ils sont quittes envers leur art; et s'ils pèchent, ce n'est pas contre lui, c'est contre les bonnes mœurs et contre leur auditoire. Pour vous faire voir le sentiment d'Horace là-dessus, je n'ai qu'à répéter ce que j'en ai déjà pris: puisqu'il ne tient pas qu'on soit digne de louange quand on n'a fait que s'acquitter de ce qu'on doit, et qu'il en donne tant à celui qui joint l'utile à l'agréable, il est aisé de conclure qu'il tient que celui-là fait plus qu'il n'étoit obligé de faire. Quant à Aristote, je ne crois pas que ceux du parti contraire ayent d'assez bons yeux pour trouver le mot d'utilité dans tout son Art poétique: quand il recherche la cause de la poésie, il ne l'attribue qu'au plaisir que les hommes reçoivent de l'imitation[581]; et comparant l'une à l'autre les parties de la tragédie, il préfère la fable aux mœurs, seulement pour ce qu'elle contient tout ce qu'il y a d'agréable dans le poëme[582]; et c'est pour cela qu'il l'appelle l'âme de la tragédie. Cependant, quand on y mêle[583] quelque utilité, ce doit être principalement dans cette partie qui regarde les mœurs, et que ce grand homme toutefois ne tient point du tout nécessaire, puisqu'il permet de la retrancher entièrement, et demeure d'accord qu'on peut faire une tragédie sans mœurs[584]. Or, pour ne vous pas donner mauvaise impression de la comédie du Menteur, qui a donné lieu à cette Suite, que vous pourriez juger être simplement faite pour plaire, et n'avoir pas ce noble mélange de l'utilité, d'autant qu'elle semble violer une autre maxime, qu'on veut tenir pour indubitable, touchant la récompense des bonnes actions et la punition des mauvaises, il ne sera peut-être pas hors de propos que je vous dise là-dessus ce que je pense. Il est certain que les actions de Dorante ne sont pas bonnes moralement, n'étant que fourbes et menteries; et néanmoins il obtient enfin ce qu'il souhaite, puisque la vraie Lucrèce est en cette pièce sa dernière inclination. Ainsi, si cette maxime est une véritable règle de théâtre, j'ai failli; et si c'est en ce point seul que consiste l'utilité de la poésie, je n'y en ai point mêlé. Pour le premier, je n'ai qu'à vous dire que cette règle imaginaire est entièrement contre la pratique des anciens; et sans aller chercher des exemples parmi les Grecs, Sénèque, qui en a tiré presque tous ses sujets, nous en fournit assez[585]: Médée brave Jason après avoir brûlé le palais royal, fait périr le Roi et sa fille et tué ses enfants; dans la Troade, Ulysse précipite Astyanax, et Pyrrhus immole Polyxène, tous deux impunément; dans Agamemnon, il est assassiné par sa femme et par son adultère, qui s'empare de son trône sans qu'on voie tomber de foudre sur leurs têtes; Atrée même, dans le Thyeste, triomphe de son misérable frère après lui avoir fait manger ses enfants. Et dans les comédies de Plaute et de Térence, que voyons-nous autre chose que des jeunes fous qui, après avoir, par quelque tromperie, tiré de l'argent de leurs pères, pour dépenser à la suite de leurs amours déréglées, sont enfin richement mariés; et des esclaves qui, après avoir conduit tout l'intrigue[586], et servi de ministres à leurs débauches, obtiennent leur liberté pour récompense? Ce sont des exemples qui ne seroient non plus propres à imiter que les mauvaises finesses de notre Menteur. Vous me demanderez en quoi donc consiste cette utilité de la poésie, qui en doit être un des grands ornements, et qui relève si haut le mérite du poëte quand il en enrichit son ouvrage. J'en trouve deux à mon sens: l'une empruntée de la morale, l'autre qui lui est particulière: celle-là se rencontre aux sentences[587] et réflexions que l'on peut adroitement semer presque partout; celle-ci en la naïve peinture des vices et des vertus[588]. Pourvu qu'on les sache mettre en leur jour, et les faire connoître par leurs véritables caractères, celles-ci se feront aimer, quoique malheureuses, et ceux-là se feront détester, quoique triomphants. Et comme le portrait d'une laide femme ne laisse pas d'être beau, et qu'il n'est pas besoin d'avertir que l'original n'en est pas aimable pour empêcher qu'on l'aime, il en est de même dans notre peinture parlante: quand le crime est bien peint de ses couleurs, quand les imperfections sont bien figurées, il n'est point besoin d'en faire voir un mauvais succès à la fin pour avertir qu'il ne les faut pas imiter; et je m'assure que toutes les fois que le Menteur a été représenté, bien qu'on l'ait vu sortir du théâtre pour aller épouser l'objet de ses derniers desirs, il n'y a eu personne qui se soit proposé son exemple pour acquérir une maîtresse, et qui n'ait pris toutes ses fourbes, quoique heureuses, pour des friponneries d'écolier, dont il faut qu'on se corrige avec soin, si l'on veut passer pour honnête homme. Je vous dirois qu'il y a encore une autre utilité propre à la tragédie, qui est la purgation des passions; mais ce n'est pas ici le lieu d'en parler, puisque ce n'est qu'une comédie que je vous présente. Vous y pourrez rencontrer en quelques endroits ces deux sortes d'utilité dont je vous viens d'entretenir. Je voudrois que le peuple y eût trouvé autant d'agréable, afin que je vous pusse présenter quelque chose qui eût mieux atteint le but de l'art. Telle qu'elle est, je vous la donne, aussi bien que la première, et demeure de tout mon cœur,
MONSIEUR,
Votre très-humble serviteur,
Corneille.
EXAMEN.
L'effet de celle-ci n'a pas été[589] si avantageux que celui de la précédente, bien qu'elle soit mieux écrite. L'original espagnol est de Lope de Végue sans contredit[590], et a ce défaut que ce n'est que le valet qui fait rire, au lieu qu'en l'autre les principaux agréments sont dans la bouche du maître. L'on a pu voir par les divers succès quelle différence il y a entre les railleries spirituelles d'un honnête homme de bonne humeur, et les bouffonneries froides d'un plaisant à gages. L'obscurité que fait en celle-ci le rapport à l'autre a pu contribuer quelque chose à sa disgrâce, y ayant beaucoup de choses qu'on ne peut entendre, si l'on n'a l'idée présente du Menteur. Elle a encore quelques défauts particuliers. Au second acte[591], Cléandre raconte à sa sœur la générosité de Dorante qu'on a vue au premier, contre la maxime qu'il ne faut jamais faire raconter ce que le spectateur a déjà vu. Le cinquième est trop sérieux pour une pièce si enjouée, et n'a rien de plaisant que la première scène entre un valet et une servante. Cela plaît si fort en Espagne, qu'ils font souvent parler bas les amants de condition, pour donner lieu à ces sortes de gens de s'entre-dire des badinages; mais en France, ce n'est pas le goût de l'auditoire. Leur entretien est plus supportable au premier acte, cependant que Dorante écrit[592]; car il ne faut jamais laisser le théâtre sans qu'on y agisse, et l'on n'y agit qu'en parlant. Ainsi Dorante qui écrit ne le remplit pas assez; et toutes les fois que cela arrive, il faut fournir l'action par d'autres gens qui parlent. Le second débute par une adresse digne d'être remarquée, et dont on peut former cette règle, que quand on a quelque occasion de louer une lettre, un billet ou quelque autre pièce éloquente ou spirituelle, il ne faut jamais la faire voir, parce qu'alors c'est une propre louange que le poëte se donne à soi-même[593]; et souvent le mérite de la chose répond si mal aux éloges qu'on en fait, que j'ai vu des stances présentées à une maîtresse, qu'elle vantoit d'une haute excellence, bien qu'elles fussent très-médiocres, et cela devenoit ridicule. Mélisse loue ici la lettre que Dorante lui a écrite; et comme elle ne la lit point, l'auditeur a lieu de croire qu'elle est aussi bien faite qu'elle le dit. Bien que d'abord cette pièce n'eût pas grande approbation, quatre ou cinq ans après la troupe du Marais la remit sur le théâtre avec un succès plus heureux; mais aucune des troupes qui courent les provinces ne s'en est chargée. Le contraire est arrivé de Théodore, que les troupes de Paris n'y ont point rétablie depuis sa disgrâce, mais que celles des provinces y ont fait assez passablement réussir.
LISTE DES ÉDITIONS QUI ONT ÉTÉ COLLATIONNÉES POUR LES VARIANTES DE LA SUITE DU MENTEUR.
ÉDITION SÉPARÉE.
- 1645 in-4o.
RECUEILS.
- 1648 in-12;
- 1652 in-12;
- 1654 in-12;
- 1656 in-12;
- 1660 in-8o;
- 1663 in-fol.;
- 1664 in-8o;
- 1668 in-12;
- 1682 in-12.
ACTEURS.
| DORANTE. | |
| CLITON, | valet de Dorante. |
| CLÉANDRE, | gentilhomme de Lyon. |
| MÉLISSE, | sœur de Cléandre. |
| PHILISTE, | ami de Dorante, et amoureux de Mélisse[594]. |
| LYSE, | femme de chambre de Mélisse[595]. |
| Un Prévôt. |
La scène est à Lyon[596].
LA SUITE DU MENTEUR.
COMÉDIE.
ACTE I.
SCÈNE PREMIÈRE.
DORANTE, CLITON.
(Dorante paroît écrivant dans une prison, et le geôlier ouvrant
la porte à Cliton, et le lui montrant.)
SCÈNE II.
DORANTE, CLITON, LYSE.
SCÈNE III.
DORANTE, CLITON.