Œuvres de P. Corneille, Tome 04
SCÈNE IV.
DORANTE, PHILISTE, CLITON.
SCÈNE V.
MÉLISSE, LYSE, à la fenêtre[756]; PHILISTE, DORANTE, CLITON.
SCÈNE VI.
DORANTE, MÉLISSE, LYSE.
SCÈNE VII.
DORANTE, PHILISTE, CLITON.
SCÈNE VIII.
DORANTE, CLITON.
FIN DU QUATRIÈME ACTE.
ACTE V.
SCÈNE PREMIÈRE.
LYSE, CLITON.
SCÈNE II.
DORANTE, CLITON, LYSE.
SCÈNE III.
DORANTE, MÉLISSE, LYSE, CLITON[775].
SCÈNE IV.
DORANTE, PHILISTE, MÉLISSE, LYSE, CLITON.
SCÈNE V.
DORANTE, PHILISTE, CLÉANDRE, MÉLISSE, LYSE, CLITON.
FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.
APPENDICE.
QUELQUES REMARQUES
SUR
LA SUITE DU MENTEUR,
COMME IMITATION D'UNE COMÉDIE DE LOPE DE VEGA.
Amar sin saber á quien, «Aimer sans savoir qui on aime,» est une des meilleures et des plus agréables comédies de Lope de Vega. Un volume de ses œuvres dramatiques qu'il devait publier lui-même, et qui contient cette pièce, le véritable XXIIe[795], fut donné en 1635, quelques mois après sa mort, par son gendre, à Madrid (in-4o). Mais ce n'est probablement pas cette édition de 1635 qui servit au travail de Corneille. Le même volume apocryphe qui lui avait donné comme étant de Lope la pièce d'Alarcon et qui est de Saragosse, 1630, contient aussi, sans fausse attribution d'auteur cette fois, la comédie, Amar sin saber á quien. C'est la septième du volume. Celle d'Alarcon est la cinquième. Cette circonstance nous offre une raison de plus de conjecturer que Corneille n'avait eu ni le temps ni les moyens de se faire une bibliothèque espagnole bien considérable. En ce genre son fonds pouvait bien se réduire à un très-petit nombre de volumes.
On ignore les dates premières des diverses compositions rassemblées dans l'impression de 1635 dont nous venons de parler; mais dans Amar sin saber á quien nous avons remarqué deux points de repère: une mention familière de Cervantes et du don Quichotte, comme antithèse de la mode des romanceros; et une mention de Lope lui-même, nommé en passant dans le dialogue, où est citée une sentence de ses livres. Il y a d'ailleurs dans l'ensemble assez de vigueur et de fraîcheur pour marquer une période comprise dans les meilleures années du poëte, vingt ans au moins et peut-être plus de trente avant l'édition de 1630, qui doit être la première[796].
Rien absolument dans cette comédie n'a le moindre rapport à la conception dramatique traitée, un peu plus tard, comme nous sommes porté à le croire, dans le Menteur du poëte Alarcon; et Corneille, alors même qu'il regardait les deux comédies comme l'œuvre de Lope, n'a pu leur attribuer la moindre connexion de motif et de sujet. Ici le rôle principal est celui d'un jeune gentilhomme, modèle de générosité. Incarcéré, poursuivi sur de fausses apparences, il s'abstient de révéler le véritable auteur d'un meurtre commis dans un duel, dont il n'a été que le témoin involontaire. Plus tard, il veut renoncer par la fuite aux espérances d'un amour partagé, dès qu'il a découvert que sa dame est recherchée par le noble ami dont le zèle l'a fait sortir de prison. Ces deux situations forment une sorte de roman dramatique, soutenu par une inspiration toujours distinguée, qui n'exclut nullement l'aisance, la grâce, et même la gaieté. Il n'y a point là de place pour un caractère vicieux à corriger, ou à continuer par une suite quelconque. L'idée d'associer la dissimulation généreuse du prisonnier, don Juan de Aguilar, aux fantaisies mensongères du jeune Garcia serait trop fausse pour avoir pu se présenter d'elle-même à l'esprit de Corneille; il faut croire qu'elle lui fut suggérée par un faux calcul de succès; peut-être ne fît-il que suivre le conseil de Jodelet, qui jouait Cliton, et des autres acteurs de la troupe, désireux tous de donner une suite aux recettes lucratives du Menteur. Tout ce qu'il était possible de faire dans ce dessein, d'après ce titre une fois imposé, c'était d'affubler le héros du nom de Dorante, de ramener le babillard Cliton, et l'insignifiant Philiste, en faisant de celui-ci l'ami magnanime qui se sacrifie à son tour, au dénoûment. Les expédients inventés pour combler par des récits rétrospectifs un intervalle de quelques années entre les deux actions dramatiques suffiraient seuls à expliquer le mauvais accueil fait à la seconde: ils présentent une transition doublement choquante, en contre-sens avec ce qui suit et avec ce qui précède: avec le nouveau Dorante, si accompli désormais, et avec l'ancien, en qui ces récits froissent et déshonorent un sujet d'agréables souvenirs. Le poëte, aux deux premiers actes, se prévaut de ces souvenirs pour rappeler épisodiquement son succès des deux années précédentes, et le raconter en vers spirituels, qui méritent d'être lus comme une intéressante curiosité littéraire. Du reste on ne sait que penser de ce Dorante qui, comme on nous le rapporte en un style léger et indifférent, s'est transformé depuis la chute du rideau en un vil fripon, qui a délaissé sa fiancée, volé la dot, causé la mort de son père, pris le deuil à Rome[797], qu'une dernière aventure nous fait retrouver en prison à Lyon, pour y déployer toute la noblesse du personnage inventé par Lope de Vega. Nous ne pouvons concevoir comment une aussi énorme incohérence morale échappe à la censure, très-distraite il est vrai, de Voltaire, quand nous le voyons d'autre part relever avec admiration, en homme du métier, les attachantes données dramatiques dont il aurait voulu voir sortir un chef-d'œuvre, et pour lesquelles il rend, presque à son insu, un vif hommage au poëte espagnol, dont il ne connaissait d'ailleurs que le nom[798].
Mais les données qui, entre les mains exercées de Lope, avaient produit sinon une œuvre modèle, du moins un original et charmant ouvrage, étaient très-difficiles à remanier. Cela est vrai surtout de la double situation sentimentale, fort effacée dans Corneille, que le titre espagnol indique: ces amours réciproques conçus de part et d'autre avant qu'on se soit vu seulement, et sans être justifiés par des circonstances qui éveillent la sympathie ainsi que la curiosité du spectateur. C'est d'un côté la jeune fille induite à secourir le prisonnier par les instances d'un frère qui a sur le cœur tout ce qu'il doit à ce noble inconnu; de l'autre, ce jeune homme recevant d'abord des secours anonymes, avec un romanesque billet de femme, destiné seulement à les faire accepter, puis les messages d'une suivante vive et adroite, puis un portrait, puis une visite voilée, où la mystérieuse mantille finit par s'entr'ouvrir avec tout l'enchantement d'une exquise galanterie. La différence des nuances et des tons ne peut pas se mesurer dans tout ce qui est tenté pour correspondre en français à cette élégante gradation, particulièrement lorsque Mélisse vient se montrer à Dorante sous une coiffe de servante, comme sœur de sa soubrette, et qu'il la fait passer à son tour pour une petite lingère, de ses anciennes amies[799].
Il y a bien aussi dans l'original un valet bouffon qui a beaucoup de sympathie pour l'argent donné, qui fait sa cour à la soubrette avec une gaieté burlesque, et qui commente le mystère de la dame en mauvaise part, la supposant laide et vieille; mais en ce genre tout dépend de la mesure et du goût des plaisanteries, et par malheur le Jodelet (ou Cliton) de Corneille dégrade la scène et abaisse les rôles principaux par des plaisanteries souvent grossières, qu'on n'a point à reprocher au gracioso Limon.
Il était encore inévitable que la fatale loi des unités vint apporter chez nous bien des entraves au vrai développement du drame. L'action commence très-vivement dans l'original par le duel presque sans paroles de deux gentilshommes de Tolède, dont l'un tombe mort, et l'autre, pour s'enfuir, monte sur la mule de don Juan de Aguilar, qui en est descendu pour venir les séparer. Don Juan, trouvé près du mort, se voit arrêté avec son valet par les hommes de police. Rien de plus naturel que de supposer quelques journées d'intervalle pour les allées et venues de la suivante, et pour les avances successives de la jeune Castillane, qui aime et se fait aimer sin saber á quien. Il faut aussi admettre quelque intervalle pour les beaux engagements d'amitié qui se forment entre le prisonnier et ses deux protecteurs, savoir don Fernand, frère de la belle Leonarda, et don Luis de Ribera, l'illustre prétendant, peu agréé; il en faut enfin pour les démarches officieuses de ce dernier, qui obtient un ordre de libération. Vers la fin, il n'était pas indifférent à l'intérêt théâtral de supposer notre héros déjà parti de Tolède pour faire place aux prétentions plus anciennes de son ami; il convenait d'amener la jeune fille désespérée à s'en expliquer franchement, non pas en présence de tous les personnages, réunis en une scène dernière, comme chez Corneille, mais en tête-à-tête avec don Luis, lequel, vivement piqué d'honneur à son tour, se hâte de courir après son ami fugitif. Il le rejoint en poste, à moitié chemin entre Tolède et Madrid, et de là, comme il faut le ramener à sa dame avec toute l'autorité sévère d'un noble Castillan dont il a pu mettre en doute la grandeur d'âme (un Ribera y Guzman!), don Luis, en possession de la grâce officielle, se prévaut de son rôle pour lui enjoindre de le suivre, de retourner à sa prison à Tolède. Ces détails si attachants ne sont pas inutiles à connaître pour expliquer, sinon pour justifier, l'effet purement oratoire et subtil arrangé par Corneille, et que Voltaire traitait rigoureusement quand il disait[800]: «Ce refrain, Rentrez dans la prison dont vous vouliez sortir, est encore plus froid que le caractère de Philiste; et cette petite finesse anéantit tout le mérite que pouvait avoir Philiste en se sacrifiant pour son ami.» Il est certain que l'artifice énigmatique des paroles n'est pas aussi contourné dans l'original, où d'ailleurs l'action, par plus de mouvement et de puissance, fait de cet artifice une véritable beauté.
Une habitude ordinaire dans ces fables espagnoles, c'est le soin que mettent les auteurs à les compléter, sans craindre de les compliquer. Deux ou trois mariages ne sont jamais trop à la fin de ces comédies[801].
Il faut donc marier don Fernando, frère de doña Leonarda; pour cela est introduite une jeune Lisarda, un peu inconsidérée, qui a été cause du duel avec le querelleur don Pedro, mort au commencement de la pièce. Corneille n'avait point tort d'écarter cette figure légère et surabondante, ainsi que les petites complications qu'elle amène.
Ou lit au troisième acte de la comédie française[802] des stances qui ne sont point imitées de l'espagnol, mais dont l'idée a pu être suggérée par une émulation de luxe métrique, Lope ayant embelli sa pièce de trois sonnets et de quelques variétés de versification, où l'on distingue, à la troisième journée, deux tirades, très-bien faites, de récit et de complainte, en endechas, vers de cinq syllabes. Diverses parties de la diction de Corneille annoncent aussi beaucoup de soin, surtout les vers encore célèbres sur la sympathie[803], où, pour le dire en passant, se trouve une mention de l'Astrée de d'Urfé, correspondant de loin à la jolie scène espagnole où est mentionné le don Quichotte. Mais nous demeurons en peine de comprendre la supériorité que notre auteur attribue en général aux vers de la Suite sur ceux du Menteur[804], si ce jugement hasardé n'est pas un sophisme de consolation à l'usage du poëte, moins heureux au second essai qu'au premier. Toujours est-il que nous ne trouverions pas à citer ici de ces luttes brillantes de traduction et d'imitation comme celles qui se sont fait admirer dans la pièce précédente. Cela peut tenir en partie à la manière de Lope, plus glissante, d'un vol plus léger que celle d'Alarcon, et généralement moins adaptée aux allures de Corneille.
V.
RODOGUNE
PRINCESSE DES PARTHES
TRAGÉDIE
1644
NOTICE.
En 1644, Gabriel Gilbert, secrétaire de la duchesse de Rohan, qui déjà s'était fait connaître comme poëte dramatique par deux tragi-comédies, Marguerite de France et Philoclée et Téléphonte[805], en fit représenter une troisième, Rodogune, qui n'obtint qu'un fort médiocre succès.
Quelques mois après[806], dans le courant de la même année, Corneille faisait représenter un ouvrage portant le même titre, qu'il n'hésitait pas à préférer à Cinna et au Cid, et qui, bien que généralement regardé comme indigne d'un tel honneur, mérite toutefois d'occuper un des premiers rangs parmi ses tragédies.
Si l'on compare les deux Rodogune, on est frappé des rapports qu'elles présentent jusqu'à la fin du quatrième acte. Le plan est identique, les situations analogues; plusieurs vers même se ressemblent, autant toutefois que les vers de Gilbert peuvent ressembler à ceux de Corneille; mais ce qui surprend tout d'abord, c'est que le nom qui sert de titre aux deux pièces n'est pas, dans chacune d'elles, appliqué au même personnage: la Rodogune de Gilbert est la Reine mère des deux jeunes princes, et correspond par conséquent à la Cléopatre de Corneille. Au cinquième acte tout rapport entre les deux ouvrages cesse brusquement, et le dénoûment de la Rodogune de Gilbert est aussi traînant et aussi plat que celui de la Rodogune de Corneille est terrible et sublime.
Fontenelle donne de cette ressemblance qu'offre la plus grande partie des deux pièces une explication toute simple et qui paraît fort plausible: «Je ne crois pas, dit-il, devoir rappeler ici le souvenir d'une autre Rodogune que fit M. Gilbert sur le plan de celle de M. Corneille, qui fut trahi en cette occasion par quelque confident indiscret. Le public n'a que trop décidé entre ces deux pièces en oubliant parfaitement l'une[807].» Le confident indiscret n'avait sans doute pas eu connaissance du cinquième acte, pour lequel Gilbert fut abandonné à ses propres ressources; et l'attention que Corneille avait mise à ne point nommer Cléopatre de peur qu'elle ne fût confondue par les spectateurs avec la célèbre princesse d'Égypte qu'il avait déjà mise au théâtre dans Pompée, contribua sans doute à faire croire au malencontreux imitateur que c'était ce personnage qui devait porter le nom de Rodogune.
La Rodogune de Gilbert est veuve d'Hydaspe, roi de Perse; ses deux fils sont Darie et Artaxerce. La princesse promise à leur père, et qu'ils aiment tous deux, la Rodogune de Corneille en un mot, est une Lydie, fille de Tigrane, roi d'Arménie. A quel historien l'auteur emprunte-t-il les faits de la vie de Darius qu'il nous raconte? Où trouve-t-il les personnages dont il l'entoure? il se garde bien de nous en instruire, et pour cause. Quoique l'achevé d'imprimer de son ouvrage soit du «treizième février 1646,» et fort postérieur par conséquent à la représentation de la pièce de Corneille, il ne dit pas un mot de celle-ci, et fait seulement dans sa dédicace à Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII, une allusion évidente, quoique détournée, à la différence du caractère de la Reine mère dans les deux pièces: «Cette héroïne, Monseigneur, qui demande aujourd'hui votre protection, est celle-là même dont les héros venoient jadis implorer la grâce. Pour vous persuader de lui accorder la faveur qu'elle vous demande, elle vous assure qu'elle n'a jamais eu la pensée de tremper ses mains dans le sang de son mari, ni dans celui de son fils; que si elle eût eu des sentiments si barbares et si contraires aux inclinations de Votre Altesse Royale, elle n'eût jamais osé se présenter devant Elle, et n'eût pas eu assez d'audace pour demander à la vertu la protection du vice.»
Ce passage curieux, que M. Viguier n'a pas cité, est cependant très-propre à confirmer une conjecture fort ingénieuse qu'il propose dans ses intéressantes Anecdotes littéraires sur Pierre Corneille. «Anne d'Autriche, dit-il, était susceptible, scrupuleuse, romanesque, emportée, et sa position de régente, tutrice du jeune roi et de son frère, était fort délicate, ainsi que celle de Gaston, si incertain de ses droits et de ses devoirs comme lieutenant général du royaume. Or le bruit courait chez Monsieur le Prince et partout qu'une héroïne nouvelle de Corneille allait faire voir sur la scène une reine régente, mère de deux princes, homicide, par ambition, de son mari et de ses deux fils. Le duc d'Orléans, Gaston, devait assez bien faire sa cour à la Régente en commandant au poëte Gilbert une autre Reine mère que celle de Corneille[808].»
Soit que Corneille crût devoir quelques ménagements à un rival si bien en cour, soit que le mépris qu'il avait pour son procédé le portât à ne se point commettre avec lui, il ne laisse pas échapper une phrase, un mot qui puisse se rapporter à la pièce de Gilbert[809].
L'ouvrage de Corneille, achevé d'imprimer le 31 janvier 1647, a pour titre:
Rodogvne, princesse des Parthes, tragedie. Imprimé à Roüen, et se vend à Paris, chez Toussaint Quinet, au Palais, sous la montée de la Cour des Aydes, M.DC.XLVII. Auec priuilege du Roy. Il est in-4o et forme 8 feuillets et 115 pages. Peut-être cette façon d'indiquer sur le titre même de quelle Rodogune il est question a-t-elle pour objet d'insister sur la méprise de Gilbert. La crainte que Corneille avait de voir son ouvrage confondu avec celui d'un indigne concurrent ressort bien du moins de cette mention du frontispice gravé, qui représente la dernière scène de l'ouvrage dessinée par Lebrun: La Rodogune, tragédie, de M. de Corneille. Elle était d'autant plus nécessaire que le format des deux ouvrages est identique, l'apparence extérieure semblable, et que, bien que Toussaint Quinet soit titulaire du privilége de la pièce de Corneille, certains exemplaires portent le nom de Courbé, libraire de Gilbert, qui, ainsi qu'Antoine de Sommaville, s'était associé avec Quinet pour la publication de la pièce de Corneille. Dans les préliminaires de l'ouvrage notre poëte ne se permet qu'une critique tout à fait indirecte, mais très-significative, c'est l'indication détaillée des nombreuses sources historiques où il a puisé, et dont son plagiaire n'a pas un instant soupçonné l'existence.
Nous pourrions fort bien nous en tenir là sur l'origine de Rodogune, mais comme nous ne voulons laisser ignorer au lecteur aucune des opinions qui ont eu cours à l'égard des ouvrages de Corneille, nous sommes obligé d'en venir à une série de faits avancés par les uns avec beaucoup de mauvaise foi, et répétés par les autres avec une incroyable légèreté.
Dans ses Passe-temps d'un reclus[810] Charles Brifaut reproduit en ces termes un récit que lui fit le chansonnier Laujon, «qui, dit-il, avait voué un culte à Corneille:»
«Je possédais dans ma bibliothèque un curieux roman écrit en latin, au moyen âge, par un moine qui ne manquait pas de talent, comme vous allez voir. Sa fable intéressante et très-fortement conduite, sauf d'assez nombreuses invraisemblances, offrait des rapports si remarquables avec le sujet de Rodogune, qu'il était difficile de ne pas croire que Corneille avait eu connaissance de l'ouvrage. Les incidents de la grande scène du poison, le dialogue même, tout dénonçait le plagiat, chose permise quand elle est avouée; sinon, non. Je ne sais, ajouta Laujon, comment M. de Voltaire apprit que j'étais possesseur de ce trésor littéraire. Or vous jugez bien qu'il ne perdit point de temps, lui commentateur de Corneille, pour m'en faire demander communication, promettant de le garder très-précieusement et de me le renvoyer au plus tôt. Comme je me défiais de l'usage auquel il destinait l'œuvre en question, je refusai net. Instances, prières, cajoleries, louanges, tout échoua devant mon inébranlable résolution. Il eut beau recourir aux mille ruses de son esprit charmant, m'offrant de plus tout l'argent que je voudrais, tout le crédit dont il disposait. Plus il redoublait ses instances, plus mes soupçons augmentaient. Je tins ferme, mais je n'en restai pas là. Pour que le précieux ouvrage tant convoité ne donnât pas lieu à quelque scandale dramatique après ma mort, pour qu'il ne fût commis, par défaut de précaution de ma part, aucun crime de lèse-majesté cornélienne, je le brûlai.»
Laujon fut félicité, fêté par tous ceux qui entendirent ce petit récit, et Delille, qui se trouvait là, lui sut tellement gré de «son honorable procédé,» que lorsque Laujon se présenta à quatre-vingt-trois ans à l'Académie française, l'illustre traducteur de Virgile parvint à faire admettre l'adorateur de Corneille en disant: «Nous savons où il va, laissons-le passer par l'Institut.»
Tout irrite et blesse dans cette anecdote. D'abord, quand Corneille aurait tiré l'idée première de Rodogune d'un vieux roman latin, au lieu de l'extraire directement d'Appien, sa gloire y perdrait-elle quelque chose? Ensuite, si Laujon le pensait, que ne brûlait-il tout d'abord, sans rien dire, le volume unique qui accusait son poëte de prédilection, au lieu de répandre le bruit du larcin en refusant d'en faire connaître la nature, et en se faisant de son dévouement à Corneille un titre académique? Voilà déjà qui peut paraître étrange, mais nous allons voir s'accumuler les contradictions et les invraisemblances.
Voltaire, dans sa Préface de Rodogune, cite tout autre chose que le prétendu volume de Laujon: «On parle, dit-il, d'un ancien roman de Rodogune; je ne l'ai pas vu; c'est, dit-on, une brochure in-8o imprimée chez Sommaville, qui servit également au grand auteur et au mauvais. Corneille embellit le roman, et Gilbert le gâta.» M. Viguier, qui, dans les Anecdotes[811] auxquelles nous avons fait plus d'un emprunt, reproduit ce passage, ajoute finement: «Le scrupuleux éditeur de Voltaire, M. Beuchot, dont nous aimons à citer le nom avec honneur, nous pardonnera d'appeler le sourire du lecteur sur cette note qu'il attache avec une bonhomie si parfaite au je ne l'ai pas vu de son auteur chéri: «Je n'ai pas été plus heureux que Voltaire. Je n'ai pu découvrir cette Rodogune, brochure in-8o.» Qui n'aurait regret à toutes les insomnies dont cette vaine recherche a dû troubler la longue et savante carrière du consciencieux bibliographe?»
Voltaire termine ainsi la Préface que nous venons de citer: «Il y a un autre roman de Rodogune en deux volumes, mais il ne fut imprimé qu'en 1668; il est très-rare et presque oublié: le premier l'est entièrement.» On trouve à la Bibliothèque impériale ce roman de 1668; il est de format in-8o. Son titre exact est: Rodogune ou l'histoire du grand Antiocus. A Paris, chez Estienne Loyson. L'avis Au lecteur est signé d'Aigue d'Iffremont. Il paraîtrait difficile que cet auteur n'eût pas connu, lui, le prétendu roman publié avant le sien chez Sommaville, s'il eût réellement existé. Bien loin toutefois de regarder Corneille comme ayant profité d'un sujet dont quelque contemporain lui avait suggéré l'idée, il lui en attribue l'honneur. «Le nom que j'ai donné à tout l'ouvrage, dit-il, n'est pas inconnu en France. Ce fameux poëte qui a porté si haut la gloire des muses françoises et qui les fait aller de pair avec les grecques et les latines; ce grand homme qui nous a tantôt représenté sur le théâtre toutes les passions, et de la manière la plus forte, la plus touchante et la plus riche que l'esprit humain puisse imaginer; enfin l'illustre Monsieur de Corneille en a fait une tragédie que j'appellerois la plus achevée de toutes les pièces que nous avons de lui, s'il y avoit quelque chose à souhaiter dans les autres, et s'il n'étoit toujours également admirable en tous ses ouvrages. Tout le monde a vu sa Rodogune; mais encore que ce soit ici le même nom et la même héroïne, ce n'est pourtant pas la même chose; et comme il a découvert lui-même ce qu'il avoit changé de l'histoire, quelque respect que j'aye pour ses fictions merveilleuses, je n'ai pas cru être obligé de m'en servir.»
On ne peut rien imaginer de plus obscur et de plus contradictoire que les renseignements qu'on rencontre sur les acteurs qui ont joué d'original dans Rodogune. Nous trouvons dans un article sur Molière, qui nous a été utile pour la Notice du Menteur, cette singulière biographie:
«N. Petit de Beauchamps, dite la belle Brune, grand'mère maternelle du Sr du Boccage, acteur de la troupe du Roi. Elle étoit de la troupe du Marais, et joua d'original dans une des tragédies de P. Corneille le rôle de Rodogune, pour lequel le cardinal de Richelieu lui fit présent d'un habit magnifique à la romaine. C'étoit une excellente actrice, grande et bien faite, d'une représentation avantageuse, morte en Allemagne dans la troupe des comédiens du duc de Zell. Elle refusa d'entrer à l'hôtel de Bourgogne, parce qu'on ne vouloit donner qu'une demi-part à son mari, qui avoit un talent singulier pour jouer tous les déguisements en femme[812].»
A cela Lemazurier répond fort à propos que le Cardinal, mort deux ans avant la première représentation de Rodogune, ne peut avoir donné un habit à la romaine à la belle Brune, et que Corneille ayant fait représenter sa pièce à l'hôtel de Bourgogne, où cette actrice refusa d'entrer, il est impossible qu'elle ait joué d'original un rôle dans l'ouvrage[813].
Si nous voulions nous en rapporter à Mouhy, il ne tiendrait qu'à nous de nous imaginer que nous possédons le tableau complet des acteurs qui ont joué d'original dans Rodogune. Voici celui qu'il nous donne dans son Journal manuscrit: «Baron joua le rôle d'Antiochus; Villiers, Séleucus; Champmeslé, Timagène; le Comte, Oronte; Mlle de Champmeslé, Rodogune; Mlle Dupin, Laodice, et Mlle Guiot, Cléopatre[814].» Nous avons cru devoir reproduire cette distribution de rôles parce qu'il n'est pas probable que Mouhy l'ait inventée, mais elle doit être postérieure d'une trentaine d'années à l'époque où parut Rodogune.
Dans une Mazarinade de 1649, intitulée Lettre de Bellerose à l'abbé de la Rivière[815], signée Belleroze, comédien d'honneur et datée de l'hôtel de Bourgogne, le 24 mars, on trouve un passage relatif à la Bellerose, où on lit ce qui suit: «Cette Rodogune, cette impératrice de nos jeux se voit dans un état bien contraire à sa pompe théâtrale. Elle est réduite, il y a déjà assez longtemps, à ne se plus mirer que dans une losange de vitre cassée, ou dans un seau d'eau claire, parce qu'il a été nécessaire qu'elle ait vendu son miroir pour avoir du pain.» Voilà enfin un témoignage contemporain, ou peu s'en faut, qui bien certainement se rapporte à la Rodogune de Corneille, car en 1649 celle de Gilbert devait déjà être oubliée. Il faut nous en tenir à ce renseignement, tout incomplet qu'il est, et compter pour rien les assertions sans preuves des historiens du théâtre.
La Rodogune est du nombre des pièces que Louis XIV fit représenter à Versailles en octobre 1676.
dit Corneille dans le touchant remercîment qu'il adresse Au Roi en cette occasion.
L'admirable rôle de Cléopatre a été assez souvent choisi par des débutantes: nous pouvons mentionner, d'après Lemazurier, Mlle Aubert, le 13 juin 1712[816]; Mlle Lamotte, en octobre 1722[817]; Mlle Balicourt, le 29 novembre 1727[818]. Ces débuts de jeunes actrices dans un rôle de mère donnaient lieu parfois à des scènes fort plaisantes. On a surtout gardé le souvenir du dernier dont nous venons de parler. Quand Mlle Balicourt dit en s'adressant à Baron (Antiochus), âgé de quatre-vingts ans, et à Mlle Duclos (Rodogune), qui en avait plus de cinquante:
un immense éclat de rire parcourut la salle[820].
L'actrice qui passe pour être parvenue à l'expression la plus complète de ce terrible caractère de Cléopatre est Mlle Dumesnil. «On n'oubliera pas surtout, dit Lemazurier, qu'un jour où elle avait mis dans les imprécations de Cléopatre toute l'énergie dont elle était dévorée, le parterre tout entier, par un mouvement d'horreur aussi vif que spontané, recula devant elle[821], de manière à laisser un grand espace vide entre ses premiers rangs et l'orchestre. Ce fut aussi à cette représentation, à l'instant où, prête à expirer dans les convulsions de la rage, Cléopatre prononce ce vers terrible:
que Mlle Dumesnil se sentit frappée d'un grand coup de poing dans le dos par un vieux militaire placé sur le théâtre; il accompagna ce trait de délire, qui interrompit le spectacle et l'actrice, de ces mots énergiques: «Va, chienne, à tous les diables!» et lorsque la tragédie fut finie, Mlle Dumesnil le remercia de son coup de poing comme de l'éloge le plus flatteur qu'elle eût jamais reçu[823].»
Le rôle de Rodogune a été joué d'une manière fort brillante par Mlle Gaussin et par Mlle Clairon, mais il paraît que le jeu de l'une différait beaucoup de celui de l'autre. Laissons parler Mlle Clairon[824]: «Mlle Gaussin avait la plus belle tête, le son de voix le plus touchant possible; son ensemble était noble, tous ses mouvements avaient une grâce enfantine à laquelle il était impossible de résister; mais elle était Mlle Gaussin dans tout.... Rodogune demandant à ses amants la tête de leur mère est assurément une femme très-altière, très-décidée.... Il est vrai que Corneille a placé dans ce rôle quatre vers d'un genre plus pastoral que tragique:
Rodogune aime, et l'actrice, sans se ressouvenir que l'expression du sentiment se modifie d'après le caractère, et non d'après les mots, disait ces vers avec une grâce, une naïveté voluptueuse, plus faite, suivant moi, pour Lucinde dans l'Oracle[826] que pour Rodogune. Le public, routiné à cette manière, attendait ce couplet avec impatience et l'applaudissait avec transport.
«Quelque danger que je craignisse en m'éloignant de cette route, j'eus le courage de ne pas me mentir à moi-même. Je dis ces vers avec le dépit d'une femme fière, qui se voit contrainte d'avouer qu'elle est sensible. Je n'eus pas un dégoût; mais je n'eus pas un coup de main.... J'eus le plus grand succès dans le reste du rôle; et, suivant ma coutume, je vins, entre les deux pièces, écouter aux portes du foyer les critiques qu'on pouvait faire. J'entendis M. Duclos, de l'Académie française, dire, avec son ton de voix élevé et positif, que la tragédie avait été bien jouée; que j'avais eu de fort bonnes choses; mais que je ne devais pas penser à jouer les rôles tendres, après Mlle Gaussin.
«Étonnée d'un jugement si peu réfléchi, craignant l'impression qu'il pouvait faire sur tous ceux qui l'écoutaient, et maîtrisée par un mouvement de colère, je fus à lui et lui dis: «Rodogune un rôle tendre, Monsieur? Une Parthe, une furie qui demande à ses amants la tête de leur mère et de leur reine, un rôle tendre? Voilà certes un beau jugement!...» Effrayée moi-même de ma démarche, les larmes me gagnèrent, et je m'enfuis au milieu des applaudissements.»
Il est inutile de dire que dans les Mémoires pour Marie-Françoise Dumesnil en réponse aux Mémoires d'Hippolyte Clairon[827], cette dernière est entièrement sacrifiée à Mlle Gaussin.
ÉPÎTRE.
A MONSEIGNEUR
MONSEIGNEUR LE PRINCE[828].
Monseigneur,
Rodogune se présente à Votre Altesse avec quelque sorte de confiance, et ne peut croire qu'après avoir fait sa bonne fortune, vous dédaigniez de la prendre en votre protection. Elle a trop de connoissance de votre bonté pour craindre que vous veuilliez laisser votre ouvrage imparfait, et lui dénier la continuation des grâces dont vous lui avez été si prodigue. C'est à votre illustre suffrage qu'elle est obligée de tout ce qu'elle a reçu d'applaudissement; et les favorables regards dont il vous plut fortifier la foiblesse de sa naissance lui donnèrent tant d'éclat et de vigueur, qu'il sembloit que vous eussiez pris plaisir à répandre sur elle un rayon de cette gloire qui vous environne, et à lui faire part de cette facilité de vaincre qui vous suit partout. Après cela, Monseigneur, quels hommages peut-elle rendre à Votre Altesse qui ne soient au-dessous de ce qu'elle doit? Si elle tâche à lui témoigner quelque reconnoissance par l'admiration de ses vertus, où trouvera-t-elle des éloges dignes de cette main qui fait trembler tous nos ennemis, et dont les coups d'essai furent signalés par la défaite des premiers capitaines de l'Europe? Votre Altesse sut vaincre avant qu'ils se pussent imaginer qu'elle sût combattre; et ce grand courage, qui n'avoit encore vu la guerre que dans les livres, effaça tout ce qu'il avoit lu des Alexandres et des Césars[829], sitôt qu'il parut à la tête d'une armée. La générale consternation où la perte de notre grand monarque nous avoit plongés, enfloit l'orgueil de nos adversaires en un tel point qu'ils osoient se persuader que du siége de Rocroi dépendoit la prise de Paris, et l'avidité de leur ambition dévoroit déjà le cœur d'un royaume dont ils pensoient avoir surpris les frontières. Cependant les premiers miracles de votre valeur renversèrent si pleinement toutes leurs espérances, que ceux-là mêmes qui s'étoient promis tant de conquêtes sur nous virent terminer la campagne de cette même année par celle que vous fîtes sur eux. Ce fut par là, Monseigneur, que vous commençâtes ces grandes victoires que vous avez toujours si bien choisies, qu'elles ont honoré deux règnes tout à la fois, comme si c'eût été trop peu pour Votre Altesse d'étendre les bornes de l'État sous celui-ci, si elle n'eût en même temps effacé quelques-uns des malheurs qui s'étoient mêlés aux longues prospérités de l'autre. Thionville, Philisbourg et Norlinghen étoient des lieux funestes pour la France: elle n'en pouvoit entendre les noms sans gémir; elle ne pouvoit y porter sa pensée sans soupirer; et ces mêmes lieux, dont le souvenir lui arrachoit des soupirs et des gémissements, sont devenus les éclatantes marques de sa nouvelle félicité, les dignes occasions de ses feux de joie, et les glorieux sujets des actions de grâces qu'elle a rendues au ciel pour les triomphes que votre courage invincible en a obtenus. Dispensez-moi, Monseigneur, de vous parler de Dunquerque[830]: j'épuise toutes les forces de mon imagination, et je ne conçois rien qui réponde à la dignité de ce grand ouvrage, qui nous vient d'assurer l'Océan par la prise de cette fameuse retraite de corsaires. Tous nos havres en étoient comme assiégés; il n'en pouvoit échapper un vaisseau qu'à la merci de leurs brigandages; et nous en avons vu souvent de pillés à la vue des mêmes ports dont ils venoient de faire voile: et maintenant, par la conquête d'une seule ville, je vois, d'un côté, nos mers libres, nos côtes affranchies, notre commerce rétabli, la racine de nos maux publics coupée; d'autre côté, la Flandre ouverte, l'embouchure de ses rivières captive, la porte de son secours fermée, la source de son abondance en notre pouvoir; et ce que je vois n'est rien encore au prix de ce que je prévois sitôt que Votre Altesse y reportera la terreur de ses armes. Dispensez-moi donc, Monseigneur, de profaner des effets si merveilleux et des attentes si hautes par la bassesse de mes idées et par l'impuissance de mes expressions; et trouvez bon que demeurant dans un respectueux silence, je n'ajoute rien ici qu'une protestation très-inviolable d'être toute ma vie,
MONSEIGNEUR,
De Votre Altesse,
Le très-humble, très-obéissant et très-passionné serviteur,
Corneille.
APPIAN ALEXANDRIN,
Au livre des Guerres de Syrie, sur la fin[831].
«Démétrius, surnommé Nicanor, roi de Syrie, entreprit la guerre contre les Parthes, et étant devenu leur prisonnier, vécut dans la cour de leur roi Phraates, dont il épousa la sœur nommée Rodogune. Cependant Diodotus, domestique des rois précédents, s'empara du trône de Syrie, et y fit asseoir un Alexandre, encore enfant, fils d'Alexandre le Bâtard et d'une fille de Ptolomée[832]. Ayant gouverné quelque temps comme son tuteur, il se défit de ce malheureux pupille, et eut l'insolence de prendre lui-même la couronne sous un nouveau nom de Tryphon qu'il se donna. Mais Antiochus[833], frère du Roi prisonnier, ayant appris à Rhodes sa captivité, et les troubles qui l'avoient suivie, revint dans le pays, où ayant défait Tryphon avec beaucoup de peine, il le fit mourir. De là il porta ses armes contre Phraates, lui redemandant son frère; et vaincu dans une bataille, il se tua lui-même. Démétrius, retourné en son royaume, fut tué par sa femme Cléopatre, qui lui dressa des embûches en haine de cette seconde femme Rodogune qu'il avoit épousée, dont elle avoit conçu une telle indignation, que pour s'en venger elle avoit épousé ce même Antiochus, frère de son mari. Elle avoit deux fils de Démétrius: l'un nommé Séleucus, et l'autre Antiochus[834], dont elle tua le premier d'un coup de flèche, sitôt qu'il eut pris le diadème après la mort de son père, soit qu'elle craignît qu'il ne la voulût venger, soit que l'impétuosité de la même fureur la portât à ce nouveau parricide. Antiochus lui succéda, qui contraignit cette mauvaise mère de boire le poison qu'elle lui avoit préparé. C'est ainsi qu'elle fut enfin punie.»
Voilà ce que m'a prêté l'histoire, où j'ai changé les circonstances de quelques incidents, pour leur donner plus de bienséance. Je me suis servi du nom de Nicanor plutôt que de celui de Démétrius, à cause que le vers souffroit plus aisément l'un que l'autre. J'ai supposé qu'il n'avoit pas encore épousé Rodogune, afin que ses deux fils pussent avoir de l'amour pour elle sans choquer les spectateurs, qui eussent trouvé étrange cette passion pour la veuve de leur père, si j'eusse suivi l'histoire. L'ordre de leur naissance incertain, Rodogune prisonnière, quoiqu'elle ne vînt jamais en Syrie, la haine de Cléopatre pour elle, la proposition sanglante qu'elle fait à ses fils, celle que cette princesse est obligée de leur faire pour se garantir, l'inclination qu'elle a pour Antiochus, et la jalouse fureur de cette mère qui se résout plutôt à perdre ses fils qu'à se voir sujette de sa rivale, ne sont que des embellissements de l'invention, et des acheminements vraisemblables à l'effet dénaturé que me présentoit l'histoire, et que les lois du poëme ne me permettoient pas de changer. Je l'ai même adouci tant que j'ai pu en Antiochus[835], que j'avois fait trop honnête homme, dans le reste de l'ouvrage, pour forcer à la fin sa mère à s'empoisonner soi-même[836].
On s'étonnera peut-être de ce que j'ai donné à cette tragédie le nom de Rodogune plutôt que celui de Cléopatre, sur qui tombe toute l'action tragique, et même on pourra douter si la liberté de la poésie peut s'étendre jusqu'à feindre un sujet entier sous des noms véritables, comme j'ai fait ici, où depuis la narration du premier acte, qui sert de fondement au reste, jusques aux effets qui paroissent dans le cinquième, il n'y a rien que l'histoire avoue.
Pour le premier, je confesse ingénument que ce poëme devoit plutôt porter le nom de Cléopatre que de Rodogune; mais ce qui m'a fait en user ainsi a été la peur que j'ai eue qu'à ce nom le peuple ne se laissât préoccuper des idées de cette fameuse et dernière reine d'Égypte, et ne confondît cette reine de Syrie avec elle, s'il l'entendoit prononcer. C'est pour cette même raison que j'ai évité de le mêler dans mes vers, n'ayant jamais fait parler de cette seconde Médée que sous celui de la Reine; et je me suis enhardi à cette licence d'autant plus librement, que j'ai remarqué parmi nos anciens maîtres qu'ils se sont fort peu mis en peine de donner à leurs poëmes le nom des héros qu'ils y faisoient paroître, et leur ont souvent fait porter celui des chœurs, qui ont encore bien moins de part dans l'action que les personnages épisodiques, comme Rodogune: témoin les Trachiniennes de Sophocle[837], que nous n'aurions jamais voulu nommer autrement que la Mort d'Hercule.
Pour le second point, je le tiens un peu plus difficile à résoudre, et n'en voudrois pas donner mon opinion pour bonne: j'ai cru que, pourvu que nous conservassions les effets de l'histoire, toutes les circonstances, ou, comme je viens de les nommer, les acheminements, étoient en notre pouvoir; au moins je ne pense point avoir vu de règle qui restreigne cette liberté que j'ai prise. Je m'en suis assez bien trouvé en cette tragédie; mais comme je l'ai poussée encore plus loin dans Héraclius, que je viens de mettre sur le théâtre[838], ce sera en le donnant au public que je tâcherai de la justifier, si je vois que les savants s'en offensent, ou que le peuple en murmure. Cependant ceux qui en auront quelque scrupule m'obligeront de considérer les deux Électres de Sophocle et d'Euripide, qui conservant le même effet, y parviennent par des voies si différentes, qu'il faut nécessairement conclure que l'une des deux est tout à fait de l'invention de son auteur. Ils pourront encore jeter l'œil sur l'Iphigénie in Tauris, que notre Aristote nous donne pour exemple d'une parfaite tragédie[839], et qui a bien la mine d'être toute de même nature, vu qu'elle n'est fondée que sur cette feinte que Diane enleva Iphigénie du sacrifice dans une nuée, et supposa une biche en sa place. Enfin ils pourront prendre garde à l'Hélène d'Euripide, où la principale action et les épisodes, le nœud et le dénouement, sont entièrement inventés, sous des noms véritables.
Au reste, si quelqu'un a la curiosité de voir cette histoire plus au long, qu'il prenne la peine de lire Justin, qui la commence au trente-sixième livre, et l'ayant quittée la reprend sur la fin du trente et huitième[840], et l'achève au trente-neuvième. Il la rapporte un peu autrement, et ne dit pas que Cléopatre tua son mari, mais qu'elle l'abandonna, et qu'il fut tué par le commandement d'un des capitaines d'un Alexandre, qu'il lui oppose[841]. Il varie aussi beaucoup sur ce qui regarde Tryphon et son pupille, qu'il nomme Antiochus[842], et ne s'accorde avec Appian que sur ce qui se passa entre la mère et les deux fils[843].
Le premier livre des Machabées, aux chapitres 11. 13. 14. et 15., parle de ces guerres de Tryphon et de la prison de Démétrius chez les Parthes; mais il nomme ce pupille Antiochus, ainsi que Justin, et attribue la défaite de Tryphon à Antiochus, fils de Démétrius, et non pas à son frère, comme fait Appian, que j'ai suivi, et ne dit rien du reste.
Josèphe, au 13. livre des Antiquités judaïques[844], nomme encore ce pupille de Tryphon Antiochus, fait marier Cléopatre à Antiochus, frère de Démétrius, durant la captivité de ce premier mari chez les Parthes, lui attribue la défaite et la mort de Tryphon, s'accorde avec Justin touchant la mort de Démétrius, abandonné et non pas tué par sa femme, et ne parle point de ce qu'Appian et lui rapportent d'elle et de ses deux fils, dont j'ai fait cette tragédie.
EXAMEN.[845].
Le sujet de cette tragédie est tiré d'Appian Alexandrin, dont voici les paroles, sur la fin du livre qu'il a fait des Guerres de Syrie: «Démétrius, surnommé Nicanor, entreprit la guerre contre les Parthes, et vécut quelque temps prisonnier dans la cour de leur roi Phraates, dont il épousa la sœur, nommée Rodogune. Cependant Diodotus, domestique des rois précédents, s'empara du trône de Syrie, et y fit asseoir un Alexandre, encore enfant, fils d'Alexandre le Bâtard et d'une fille de Ptolomée. Ayant gouverné quelque temps comme tuteur sous le nom de ce pupille, il s'en défit, et prit lui-même la couronne sous un nouveau nom de Tryphon qu'il se donna. Antiochus, frère du Roi prisonnier, ayant appris sa captivité à Rhodes, et les troubles qui l'avoient suivie, revint dans la Syrie, où ayant défait Tryphon, il le fit mourir. De là il porta ses armes contre Phraates, et vaincu dans une bataille, il se tua lui-même. Démétrius, retournant en son royaume, fut tué par sa femme Cléopatre, qui lui dressa des embûches sur le chemin, en haine de cette Rodogune qu'il avoit épousée, dont elle avoit conçu une telle indignation, qu'elle avoit épousé ce même Antiochus, frère de son mari. Elle avoit deux fils de Démétrius, dont elle tua Séleucus, l'aîné, d'un coup de flèche, sitôt qu'il eut pris le diadème après la mort de son père, soit qu'elle craignît qu'il ne la voulût venger sur elle, soit que la même fureur l'emportât à ce nouveau parricide. Antiochus son frère lui succéda, et contraignit cette mère dénaturée de prendre le poison qu'elle lui avoit préparé[846].»
Justin, en son 36, 38 et 39. livre, raconte cette histoire plus au long, avec quelques autres circonstances. Le prémier des Machabées, et Josèphe, au 13. des Antiquités judaïques, en disent aussi quelque chose, qui ne s'accorde pas tout à fait avec Appian. C'est à lui que je me suis attaché pour la narration que j'ai mise au premier acte[847], et pour l'effet du cinquième, que j'ai adouci du côté d'Antiochus. J'en ai dit la raison ailleurs[848]. Le reste sont des épisodes d'invention, qui ne sont pas incompatibles avec l'histoire, puisqu'elle ne dit point ce que devint Rodogune après la mort de Démétrius, qui vraisemblablement l'amenoit en Syrie prendre possession de sa couronne. J'ai fait porter à la pièce le nom de cette princesse plutôt que celui de Cléopatre, que je n'ai même osé nommer dans mes vers, de peur qu'on ne confondît cette reine de Syrie avec cette fameuse princesse d'Égypte qui portoit même nom, et que l'idée de celle-ci, beaucoup plus connue que l'autre, ne semât une dangereuse occupation parmi les auditeurs.
On m'a souvent fait une question à la cour[849]: quel étoit celui de mes poëmes que j'estimois le plus; et j'ai trouvé tous ceux qui me l'ont faite si prévenus en faveur de Cinna ou du Cid, que je n'ai jamais osé déclarer toute la tendresse que j'ai toujours eue pour celui-ci, à qui j'aurois volontiers donné mon suffrage, si je n'avois craint de manquer, en quelque sorte, au respect que je devois à ceux que je voyois pencher d'un autre côté. Cette préférence est peut-être en moi un effet de ces inclinations aveugles qu'ont beaucoup de pères pour quelques-uns de leurs enfants plus que pour les autres; peut-être y entre-t-il un peu d'amour-propre, en ce que cette tragédie me semble être un peu plus à moi que celles qui l'ont précédée, à cause des incidents surprenants qui sont purement de mon invention, et n'avoient jamais été vus au théâtre; et peut-être enfin y a-t-il un peu de vrai mérite qui fait que cette inclination n'est pas tout à fait injuste[850]. Je veux bien laisser chacun en liberté de ses sentiments, mais certainement on peut dire que mes autres pièces ont peu d'avantages qui ne se rencontrent en celle-ci: elle a tout ensemble la beauté du sujet, la nouveauté des fictions, la force des vers, la facilité de l'expression, la solidité du raisonnement, la chaleur des passions, les tendresses de l'amour et de l'amitié; et cet heureux assemblage est ménagé de sorte qu'elle s'élève d'acte en acte. Le second passe le premier, le troisième est au-dessus du second, et le dernier l'emporte sur tous les autres. L'action y est une, grande, complète; sa durée ne va point, ou fort peu, au delà de celle de la représentation[851]. Le jour en est le plus illustre qu'on puisse imaginer[852], et l'unité de lieu s'y rencontre en la manière que je l'explique dans le troisième de ces discours[853], et avec l'indulgence que j'ai demandée pour le théâtre.
Ce n'est pas que je me flatte assez pour présumer qu'elle soit sans taches. On a fait tant d'objections contre la narration de Laonice au premier acte[854], qu'il est malaisé de ne donner pas les mains à quelques-unes[855]. Je ne la tiens pas toutefois si inutile qu'on l'a dit. Il est hors de doute que Cléopatre, dans le second[856], feroit connoître beaucoup de choses par sa confidence avec cette Laonice, et par le récit qu'elle en a fait à ses deux fils, pour leur remettre devant les yeux combien[857] ils lui ont d'obligation[858]; mais ces deux scènes demeureroient assez obscures, si cette narration ne les avoit précédées, et du moins les justes défiances de Rodogune à la fin du premier acte, et la peinture que Cléopatre fait d'elle-même dans son monologue qui ouvre le second, n'auroient pu se faire entendre sans ce secours.
J'avoue qu'elle est sans artifice, et qu'on la fait de sang-froid à un personnage protatique[859], qui se pourroit toutefois justifier par les deux exemples de Térence que j'ai cités sur ce sujet au premier discours[860]. Timagène, qui l'écoute, n'est introduit que pour l'écouter, bien que je l'emploie au cinquième[861] à faire celle de la mort de Séleucus, qui se pouvoit faire par un autre. Il l'écoute sans y avoir aucun intérêt notable, et par simple curiosité d'apprendre ce qu'il pouvoit avoir su déjà en la cour d'Égypte, où il étoit en assez bonne posture, étant gouverneur des neveux du Roi, pour entendre des nouvelles assurées de tout ce qui se passoit dans la Syrie, qui en est voisine. D'ailleurs, ce qui ne peut recevoir d'excuse, c'est que, comme il y avoit déjà quelque temps qu'il étoit de retour avec les princes, il n'y a pas d'apparence qu'il aye attendu ce grand jour de cérémonie pour s'informer de sa sœur comment se sont passés tous ces troubles qu'il dit ne savoir que confusément. Pollux, dans Médée, n'est qu'un personnage protatique qui écoute sans intérêt comme lui[862]; mais sa surprise de voir Jason à Corinthe, où il vient d'arriver[863], et son séjour en Asie, que la mer en sépare, lui donnent juste sujet d'ignorer ce qu'il en apprend. La narration ne laisse pas de demeurer froide comme celle-ci, parce qu'il ne s'est encore rien passé dans la pièce qui excite la curiosité de l'auditeur, ni qui lui puisse donner quelque émotion en l'écoutant; mais si vous voulez réfléchir sur celle de Curiace dans l'Horace, vous trouverez qu'elle fait tout un autre effet. Camille, qui l'écoute, a intérêt, comme lui, à savoir comment s'est faite une paix dont dépend leur mariage; et l'auditeur, que Sabine et elle n'ont entretenu que de leurs malheurs et des appréhensions d'une bataille qui se va donner entre deux partis où elles voient leurs frères dans l'un et leur amour dans l'autre, n'a pas moins d'avidité qu'elle d'apprendre comment une paix si surprenante s'est pu conclure.
Ces défauts dans cette narration confirment ce que j'ai dit ailleurs[864], que lorsque la tragédie a son fondement sur des guerres entre deux États, ou sur d'autres affaires publiques, il est très-malaisé d'introduire un acteur qui les ignore, et qui puisse recevoir le récit qui en doit instruire les spectateurs en parlant à lui.
J'ai déguisé quelque chose de la vérité historique en celui-ci: Cléopatre n'épousa Antiochus qu'en haine de ce que son mari avoit épousé Rodogune chez les Parthes, et je fais qu'elle ne l'épouse que par la nécessité de ses affaires, sur un faux bruit de la mort de Démétrius, tant pour ne la faire pas méchante sans nécessité, comme Ménélas dans l'Oreste d'Euripide[865], que pour avoir lieu de feindre que Démétrius n'avoit pas encore épousé Rodogune, et venoit l'épouser dans son royaume pour la mieux établir en la place de l'autre, par le consentement de ses peuples, et assurer la couronne aux enfants qui naîtroient de ce mariage. Cette fiction m'étoit absolument nécessaire, afin qu'il fût tué avant que de l'avoir épousée, et que l'amour que ses deux fils ont pour elle ne fît point d'horreur aux spectateurs, qui n'auroient pas manqué d'en prendre une assez forte, s'ils les eussent vus amoureux de la veuve de leur père: tant cette affection incestueuse répugne à nos mœurs!
Cléopatre a lieu d'attendre ce jour-là à faire confidence à Laonice[866] de ses desseins et des véritables raisons de tout ce qu'elle a fait. Elle eût pu trahir son secret aux princes ou à Rodogune, si elle l'eût su plus tôt; et cette ambitieuse mère ne lui en fait part qu'au moment qu'elle veut bien qu'il éclate, par la cruelle proposition qu'elle va faire à ses fils. On a trouvé celle que Rodogune leur fait à son tour indigne d'une personne vertueuse, comme je la peins; mais on n'a pas considéré qu'elle ne la fait pas, comme Cléopatre, avec espoir de la voir exécuter par les princes, mais seulement pour s'exempter d'en choisir aucun, et les attacher tous deux à sa protection par une espérance égale. Elle étoit avertie par Laonice de celle que la Reine leur avoit faite, et devoit prévoir que si elle se fût déclarée pour Antiochus, qu'elle aimoit, son ennemie, qui avoit seule le secret de leur naissance, n'eût pas manqué de nommer Séleucus pour aîné, afin, de les commettre l'un contre l'autre, et d'exciter[867] une guerre civile qui eût pu causer sa perte. Ainsi elle devoit s'exempter de choisir, pour les contenir tous deux dans l'égalité de prétention, et elle n'en avoit point de meilleur moyen que de rappeler le souvenir de ce qu'elle devoit à la mémoire de leur père, qui avoit perdu la vie pour elle, et leur faire cette proposition qu'elle savoit bien qu'ils n'accepteroient pas. Si le traité de paix l'avoit forcée à se départir de ce juste sentiment de reconnoissance[868], la liberté qu'ils lui rendoient la rejetoit dans cette obligation. Il étoit de son devoir de venger cette mort; mais il étoit de celui des princes de ne se pas charger de cette vengeance. Elle avoue elle-même à Antiochus qu'elle les haïroit, s'ils lui avoient obéi; que comme elle a fait ce qu'elle a dû par cette demande, ils font ce qu'ils doivent par leur refus[869]; qu'elle aime trop la vertu pour vouloir être le prix d'un crime, et que la justice qu'elle demande de la mort de leur père seroit un parricide, si elle la recevoit de leurs mains.
Je dirai plus: quand cette proposition seroit tout à fait condamnable en sa bouche, elle mériteroit quelque grâce et pour l'éclat que la nouveauté de l'invention a fait au théâtre, et pour l'embarras surprenant où elle jette les princes, et pour l'effet qu'elle produit dans le reste de la pièce, qu'elle conduit à l'action historique. Elle est cause que Séleucus, par dépit, renonce au trône et à la possession de cette princesse; que la Reine, le voulant animer contre son frère, n'en peut rien obtenir, et qu'enfin elle se résout par désespoir de les perdre tous deux, plutôt que de se voir sujette de son ennemie.
Elle commence par Séleucus, tant pour suivre l'ordre de l'histoire, que parce que, s'il fût demeuré en vie après Antiochus et Rodogune, qu'elle vouloit empoisonner publiquement, il les auroit pu venger. Elle ne craint pas la même chose d'Antiochus pour son frère, d'autant qu'elle espère que le poison violent qu'elle lui a préparé fera un effet assez prompt pour la faire mourir avant qu'il ait pu rien savoir de cette autre mort[870], ou du moins avant qu'il l'en puisse convaincre, puisqu'elle a si bien pris son temps pour l'assassiner, que ce parricide n'a point eu de témoins. J'ai parlé ailleurs de l'adoucissement que j'ai apporté pour empêcher qu'Antiochus n'en commît un en la forçant de prendre le poison qu'elle lui présente[871], et du peu d'apparence qu'il y avoit qu'un moment après qu'elle a expiré presque à sa vue, il parlât d'amour et de mariage à Rodogune[872]. Dans l'état où ils rentrent derrière le théâtre, ils peuvent le résoudre quand ils le jugeront à propos. L'action est complète, puisqu'ils sont hors de péril; et la mort de Séleucus m'a exempté de développer le secret du droit d'aînesse entre les deux frères, qui d'ailleurs n'eût jamais été croyable, ne pouvant être éclairci que par une bouche en qui l'on n'a pas vu assez de sincérité pour prendre aucune assurance sur son témoignage.
LISTE DES ÉDITIONS QUI ONT ÉTÉ COLLATIONNÉES POUR LES VARIANTES DE RODOGUNE.
ÉDITIONS SÉPARÉES.
- 1647 in-4°;
- 1647 in-12.
RECUEILS.
- 1652 in-12;
- 1654 in-12;
- 1655 in-12;
- 1656 in-12;
- 1660 in-8o;
- 1663 in-fol.;
- 1664 in-8o;
- 1668 in-12;
- 1682 in-12;
ACTEURS.
| CLÉOPATRE, | reine de Syrie, veuve de Démétrius Nicanor[873]. | |
| SÉLEUCUS, ANTIOCHUS, |
} | fils de Démétrius et de Cléopatre[874]. |
| RODOGUNE, | sœur de Phraates, roi des Parthes[875]. | |
| TIMAGÈNE, | gouverneur des deux princes[876]. | |
| ORONTE, | ambassadeur de Phraates[877]. | |
| LAONICE, | sœur de Timagène, confidente de Cléopatre[878]. |
La scène est à Séleucie, dans le palais royal.
RODOGUNE.
TRAGÉDIE.
ACTE I.
SCÈNE PREMIÈRE.
LAONICE, TIMAGÈNE.