Causes amusantes et connues
POUR Messire JEAN- BAPTISTE GAILLARD DE BEAUMANOIR, Ecuyer, Chevalier de l'Ordre Militaire de S. Louis, ancien Capitaine de Dragons, Défendeur;
CONTRE les sieur Curé & Marguilliers de l'Œuvre & Fabrique de la Paroisse de Saint Roch, à Paris, Demandeurs.
UN ancien Militaire qui n'a jamais craint que les procès, & qui est tout-à-fait novice dans ce genre de combats, est sans doute étonné de se trouver actionné par un Curé vénérable, & par une cohorte de Marguilliers, pour une prestation d'une redevance à laquelle il ne s'est jamais refusé.
La présentation d'un pain à benir est le sujet primitif de la guerre. Le sieur Beaumanoir a toujours offert, & offre encore de rendre à l'Eglise ce tribut religieux; mais lorsque son goût ne le porte à présenter ses hommages à la Paroisse, que dans une forme décente & modeste, peut-on lui imposer des loix arbitraires; doit-on l'assujettir à une somptuosité inutile & forcée? Enfin est-il permis de le traduire en justice comme un Paroissien rebelle & réfractaire aux loix de l'Eglise & du Royaume? Assurément c'est une insulte qui ne peut être enfantée que par l'esprit de domination ou de vertige.
On convient que chaque Paroissien aisé doit rendre le pain beni à son tour; mais on nie que les Marguilliers soient en droit de fixer le degré de magnificence que chacun doit attacher à la cérémonie. Heureusement nous ne sommes plus dans ces siecles d'ignorance, où confondant les droits essentiels de la Religion avec l'intérêt pécuniaire de ses Ministres, l'on se faisoit des titres de la crédulité des peuples, pour mettre leurs biens & leurs personnes à contribution. Des maximes plus sages nous éclairent & nous guident: on verra donc aisément, par le simple récit des faits, que la conduite des Demandeurs est aussi injuste au fond, qu'elle est injurieuse dans la forme au sieur de Beaumanoir.
Les deux Marguilliers revinrent et ils présenterent
un mémoire dont le détail peut être curieux et instructif.
FAIT.
Le sieur de Beaumanoir occupe depuis peu de tems un appartement dans un hôtel qui appartenoit à Madame la Princesse de Conty Douairiere, rue Neuve Saint-Augustin. Cette maison est située sur la Paroisse de Saint Roch, où l'usage est de ne rendre le pain beni que tous les neuf ans au plus.
Il n'y avoit qu'environ dix-huit mois que le principal Locataire avoit satisfait à ce devoir, ainsi ses sous-locataires devoient être affranchis de ce cérémonial pour quelques années; mais les Marguilliers ont sans doute un privilege qui leur permet d'extravaguer, c'est-à-dire, de choisir arbitrairement de côté ou d'autre qui bon leur semble pour figurer, relativement à la solemnité des fêtes.
Le 13 Février 1756, deux Marguilliers & le Trésorier des Pauvres se rendirent chez le sieur de Beaumanoir, & ils dirent à la Dame son épouse qu'on l'avoit choisie par préférence pour rendre le pain beni, le Vendredi 5 Mars suivant, fête des Cinq Plaies, Titulaire de la Paroisse de Saint Roch.
On la prévint aussi qu'on lui associoit solidairement pour la même cérémonie le sieur de Sainte-Amaranthe, Fermier-Général, & le sieur Dubocage, habitant de la même maison.
La dame de Beaumanoir fort peu au fait du Rituel, avoit ignoré jusqu'alors qu'on rendît le pain beni en société ou en commandite; elle croyoit que c'étoit une oblation que chaque Paroissien avoit droit de faire en son particulier, suivant son état, sa fortune, ou son inclination; cependant elle demanda un mémoire de ce qu'on entendoit exiger de chacun des contribuables.
Les deux Marguilliers revinrent le lendemain, & ils présenterent à la dame de Beaumanoir un mémoire dont le détail peut être curieux & instructif, pour ceux qui sont dans le cas de rendre le pain beni à Saint Roch.
Il est intitulé: Dépense du Pain beni.
- Six Pains benis, à 15 liv. 90 l.
- Trente-sept liv. de Cire, à 45 s. 83 l. 5 s.
- Les Offrandes, 96 l.
- Porteurs de Suisse, 15 l.
- Bedeaux & Suisse d'Eglise, 15 l.
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- 299 l. 5 s.
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Les Marguilliers prierent la dame de Beaumanoir de signer ce mémoire, & de se soumettre à en payer le tiers; mais elle le refusa, sous prétexte qu'il s'accordoit mal avec les vues de l'honnête simplicité qu'elle s'étoit proposée.
Elle représenta aux Marguilliers que le pain beni étoit une oblation plus personnelle que réelle, & que, quoiqu'elle eût l'honneur d'occuper une portion de maison habitée anciennement par une grande Princesse, elle ne se croyoit nullement obligée d'étaler dans l'Eglise une pompe & une décoration qui ne sympathisoient point avec sa façon de penser.
Les Marguilliers chercherent à réchauffer son désintéressement sur les honneurs de l'Eglise; mais elle persista, & offrit constamment de rendre le pain beni seule, & au jour qui lui seroit indiqué.
Cependant la dame de Beaumanoir se rappella que nombre de personnes lui avoient dit qu'elles se débarrassoient d'un détail inutile, moyennant une rétribution qu'elles payoient. Elle offrit à un des Marguilliers de lui remettre vingt-quatre livres, pour lesquelles elle avoit appris que nombre de maisons honorables de sa connoissance dans la Paroisse s'étoient affranchies d'un soin embarrassant. Alors le Marguillier crut sa dignité offensée; il brusqua la dame de Beaumanoir, & lui dit d'un ton piqué, qu'il n'étoit ni Pâtissier ni Cirier; qu'il avoit l'honneur d'être Marguillier, & Marchand de Bas; que des propositions comme les siennes n'étoient bonnes à faire qu'à des serviteurs mercénaires de l'Eglise, & qu'on les lui auroit envoyés en personnes, si l'on eût prévu son esprit d'arrangement. Le Trésorier des Pauvres, Apoticaire de la maison, voulut tranquilliser la bile de son confrere; mais il sortit en protestant qu'on sçauroit bien forcer le sieur de Beaumanoir à contribuer pour son tiers dans le montant du mémoire, & on le fit agréer aux sieurs de Sainte-Amaranthe & Dubocage, dans la présupposition que la dame de Beaumanoir y avoit accédé.
Quelques jours après les deux Marguilliers revinrent, & ils s'adresserent directement au sieur de Beaumanoir: il leur dit poliment qu'ayant toujours demeuré chez le sieur son pere, il n'avoit jamais rendu le pain beni; mais qu'il s'étoit informé de l'usage, & qu'en conséquence il offroit de rendre le pain beni au jour qui lui seroit indiqué, ou en son particulier, ou avec qui l'on voudroit, si mieux on n'aimoit qu'il remît un louis au Bedeau, pour être débarrassé d'un détail importun. Le Marguillier répliqua que le locataire d'une aussi grande & belle maison que la sienne, ne devoit pas se borner à la dépense d'un pain beni de 24 liv.; mais le sieur de Beaumanoir répondit qu'il falloit l'envisager comme un petit Particulier qui occupoit une vaste maison, & que lorsqu'il vouloit faire des oblations ou des charités, il n'étoit point dans l'usage de chercher des témoins.
Ces raisons ne furent point goûtées; on insista pour qu'il représentât pompeusement pour son tiers le jour des Cinq Plaies; mais il ne voulut prendre aucun engagement, ni accepter le morceau de brioche que l'on appelle chanteau.
Ce refus ne manqua pas d'être annoncé comme une affaire très-importante; on fit le 25 Février 1756 une convocation extraordinaire de tous les Marguilliers. Le rapport fut fait avec la dignité requise en pareil cas. Il fut représenté par le sieur B...., Marguillier comptable, qu'il s'étoit transporté à l'Hôtel de la Valiere, rue Neuve S. Augustin, le 13 du mois, pour inviter les sieurs de Saint-Amaranthe, Dubocage, & de Beaumanoir à rendre le pain beni le jour de la fête des Cinq Plaies, titulaire de la Paroisse; que le 22 du même mois il avoit présenté en personne & laissé auxdits sieurs de Saint-Amaranthe, Dubocage & de Beaumanoir la brioche qu'il est d'usage d'offrir aux personnes distinguées; que les sieurs de Saint-Amaranthe & Dubocage l'avoient acceptée, & que le sieur de Beaumanoir avoit refusé d'y contribuer pour son tiers; en conséquence de quoi, la Compagnie a autorisé les sieurs B..... & D....., Marguilliers en Charge comptables, à faire toutes les poursuites & diligences nécessaires pour faire rendre audit sieur de Beaumanoir son tiers dans la présentation des pains benis; & où il persisteroit dans son refus, à fournir par la Fabrique la part qui auroit dû être fournie par ledit sieur de Beaumanoir, & à faire contre lui toutes les poursuites qu'il conviendroit pour lui faire payer & rembourser ce que la Fabrique aura avancé pour lui, pour satisfaire au devoir de Paroissien. Cette délibération est honorée de quinze signatures; & il est étonnant que parmi tant de bonnes têtes, il n'y en ait pas eu une qui se soit souvenu qu'une sommation juridique auroit été plus essentielle qu'une délibération sur le Registre, dont le sieur de Beaumanoir ne pouvoit pas avoir la moindre connoissance. Il n'est pas moins étonnant que le Curé qui présidoit à l'assemblée, n'eût pas employé les ressources d'une prudente charité, pour arrêter dans l'origine les progrès d'une vivacité qui tendoit à altérer l'harmonie dans sa Paroisse, pour un objet de la plus légere conséquence.
Le pain beni fut rendu au jour indiqué, & le sieur de Beaumanoir, ni personne de sa part, n'assista à la cérémonie. Les sieurs de Saint-Amaranthe & Dubocage trouverent l'état de dépense assez fort; mais on les assura qu'on leur avoit encore fait grace, en ce qu'on avoit oublié d'y comprendre 15 ou 18 liv. pour les gants blancs qu'il étoit du bon air de distribuer. On leur apporta un chanteau, & l'on en glissa un clandestinement dans l'antichambre du sieur de Beaumanoir, sans parler à qui que ce soit de la maison.
Le lendemain 6 de Mars, le sieur de Beaumanoir reçut une assignation à la requête des Curé & Marguilliers, »à l'effet de comparoître dans trois jours à la Chambre Civile, pour voir dire que faute par lui d'avoir satisfait à la requisition & invitation qui lui avoit été faite par les Marguilliers le 13 Février précédent, & d'avoir en conséquence rendu le pain à benir dans l'église de S. Roch le 5 du mois de Mars, & encore sur le refus par lui fait lors de la présentation de la brioche le 22 Février (ce qui est non-seulement contraire aux loix & usages, mais encore qui marque un manque de respect, & un mépris pour l'Eglise, d'autant plus constaté, que les sieurs de Saint-Amaranthe, Fermier-Général, & Dubocage, ancien Receveur-Général des Finances, ont satisfait à ladite invitation chacun pour leur tiers, & en conséquence ont fait rendre leur pain beni ledit jour fête titulaire de la Paroisse de S. Roch), il sera condamné à rendre & remettre auxdits sieurs Curé & Marguilliers la somme de 72 liv. qu'ils ont été obligés de payer, tant pour pain beni, cire, offrande, Porteurs, Bedeaux & Suisses, pour satisfaire à ce dont il étoit tenu conformément aux autres; qu'il lui sera fait défenses & à tous autres qu'il appartiendra, de plus à l'avenir faire aucune difficulté de rendre le pain à benir lorsqu'il y sera invité & requis; en conséquence tenu à la premiere invitation d'y satisfaire, sinon permis auxdits sieurs Curé & Marguilliers de le faire rendre aux frais & dépens des refusans de contestans; en conséquence remboursés du coût d'icelui sur leurs simples quittances, & les refusans condamnés aux dépens«.
Ces conclusions étoient plus que suffisantes vis-à-vis quelqu'un qui n'avoit jamais refusé le pain beni dans une forme décente; cependant par un effort de génie, l'on ajoute, & pour, par ledit sieur de Beaumanoir avoir refusé de satisfaire auxdites requisitions & invitations, & suivant icelles, d'avoir rendu le pain à benir ledit jour 5 du présent mois, ainsi qu'il y a été invité, qu'il sera condamné en 1000 livres d'amende, applicable aux pauvres de la Paroisse de S. Roch, & en tels dommages & intérêts qu'il plaira à la Cour de fixer; & en outre que la Sentence qui interviendra sera imprimée, lue, publiée & affichée par tout où besoin sera, le tout aux frais & dépens du sieur de Beaumanoir, qui sera en tout événement condamné en tous les dépens de l'instance.
Cette assignation parut d'autant plus ridicule, qu'elle n'étoit nullement conforme à la délibération dont on avoit donné copie en tête. L'Aréopage assemblé avoit simplement autorisé les Marguilliers comptables à faire les poursuites & diligences nécessaires pour faire payer au sieur de Beaumanoir son tiers dans la reddition du pain beni, & en cas de refus de sa part, à l'actionner pour le remboursement des sommes qu'on auroit avancées pour lui; mais il n'étoit nullement question de le taxer injurieusement de manque de respect, & de mépris pour l'Eglise. On n'avoit point statué non plus qu'on demanderoit contre lui une amende de 1000 liv. de dommages & intérêts, ni l'affiche scandaleuse d'une Sentence, pour la publication d'un tort qu'il n'avoit pas eu: on ne pouvoit donc regarder ces conclusions révoltantes que comme l'effet de l'enthousiasme d'un Marguillier possédé d'un zele outré pour la Fabrique.
Le sieur de Beaumanoir a depuis très-long-tems sur la Paroisse de S. Roch une famille aussi étendue que recommandable; il a eu lui-même des relations directes à l'Eglise, qui n'ont point laissé ignorer son exactitude à satisfaire aux devoirs d'un Paroissien: il se flatta donc que le Curé pourroit mettre un frein à l'indiscrétion de son Marguillier, & qu'il arrêteroit par la sagesse des tempéramens, un éclat toujours désagréable.
En conséquence il se rendit chez lui. Le Pasteur l'aborda affectueusement, & lui fit les protestations les plus démonstratives d'une considération marquée pour lui & pour sa famille. Le sieur de Beaumanoir lui porta ses plaintes de l'indécence de la délibération, & de l'assignation qu'on lui avoit donnée. Il le supplia ensuite de faire cesser la contestation, en lui indiquant un jour pour rendre le pain beni. Le Curé fit réponse que cette indication ne le regardoit pas, que c'étoit l'affaire des Marguilliers; qu'à l'égard de la délibération, quoiqu'il y eût présidé, c'étoit un ouvrage de Communauté auquel il n'avoit nulle part, & que les injures contenues dans l'assignation n'étoient qu'une bagatelle de style.
Mais, dit le sieur de Beaumanoir, j'ai demandé jour aux Marguilliers, ils me l'ont refusé; je vous le demande à vous-même, & vous me renvoyez également, quel parti puis-je donc prendre? de plus, personne dans la Paroisse ne s'imaginera que vous n'ayez pas été le maître d'empêcher la procédure injurieuse faite contre moi: eh bien! qu'on croye ce que l'on voudra, reprit vivement le Curé, cela m'est égal. Le sieur de Beaumanoir ne trouvant dans sa sollicitude pastorale aucune ressource pour sortir d'affaires, prit le parti de lui dire qu'il rendroit le pain beni le jour que la Justice elle-même lui indiqueroit, puisqu'il ne pouvoit pas faire autrement; ainsi l'entrevue se termina infructueusement avec de grandes politesses réciproques.
Le sieur de Beaumanoir n'eut plus lieu de douter que les poursuites dirigées contre lui ne fussent l'ouvrage d'un concert de Fabrique, & que le Pasteur n'eût encouragé ses brebis, dociles pour lors à sa voix, à soutenir fermement des intérêts communs entr'eux.
Ainsi le sieur de Beaumanoir réduit à la nécessité de plaider, a constitué Procureur. Il a fourni ses défenses, & a demandé que la Cause communiquée à Messieurs les Gens du Roi, fût renvoyée de la Chambre au Parc Civil; premierement, parce qu'il y a un intérêt public à empêcher que les citoyens soient mis à contribution dans la forme de rendre le pain beni, & dans la dépense arbitraire à laquelle on prétend les assujettir.
Secondement, parce que c'est une indécence caractérisée que d'avoir conclu contre un pere de famille connu à une demande de 1000 liv. à des dommages-intérêts, & à l'impression d'une Sentence, sur la fausse imputation d'un manque de respect & d'un mépris pour l'Eglise.
Cette accusation odieuse, & peu réfléchie, a donné lieu au sieur de Beaumanoir de conclure, à ce qu'attendu les offres qu'il a toujours faites aux Curé & Marguilliers, & qu'il réitere, de rendre le pain à benir au jour qui lui sera indiqué, les Curé & Marguilliers soient déboutés purement & simplement de leurs demandes; au surplus, il a demandé incidemment, qu'attendu l'insulte à lui faite & la diffamation inscrite, tant dans l'assignation que dans l'acte de délibération du 25 Février dernier, il soit ordonné que cette délibération sera rayée des Registres de la Paroisse par tel Huissier qui sera commis; que défenses soient faites aux Curé & Marguilliers de plus à l'avenir insulter le sieur de Beaumanoir, ni de prendre de semblables conclusions, & que pour l'avoir fait, ils soient condamnés personnellement en 1000 liv. de dommages & intérêts, applicables aux Religieuses Capucines de la Place de Louis le Grand, & que la Sentence qui interviendra soit imprimée, publiée, affichée & transcrite sur le Registre de la Paroisse, sauf à Messieurs les Gens du Roi à prendre telles conclusions qu'ils aviseront, pour garantir à l'avenir les habitans de la Paroisse de la taxe à laquelle les Curé & Marguilliers veulent les imposer pour raison du pain à bénir.
Les Curé & Marguilliers ont aussi donné une requête, par laquelle, en ajoutant à leurs premieres conclusions, ils ont encore demandé incidemment que la Sentence qui interviendroit contre le sieur de Beaumanoir fût lue & publiée au prône de la Paroisse de S. Roch, pour servir de Réglement à l'avenir.
Tel est l'état actuel de la procédure; il ne s'agit plus que de discuter les demandes de part & d'autre, & de les peser au poids de la raison & de la justice.
MOYENS.
Le pain beni a succédé aux anciennes Eulogies qui étoient une portion de la consécration, que l'Evêque envoyoit aux Curés en signe d'unité.
La commune opinion est que le pain beni a commencé à être en usage vers l'an 500, & l'on ne voit point que dans la primitive Eglise, il ait excité des contestations; l'ambition & l'intérêt étoient des mobiles que les premiers Chrétiens faisoient gloire de ne point connoître.
Dans l'origine le pain beni étoit une offrande volontaire, mais par la suite la Justice a été obligée d'user de rigueur contre ceux qui refusoient de le rendre, pour empêcher que cette cérémonie ne s'abolît insensiblement.
Mais la forme dans laquelle l'oblation doit être faite est restée libre, pourvu qu'elle soit décente: chacun a le droit de consulter son goût, ses facultés, & il est très-permis de ne point faire d'une cérémonie religieuse un spectacle de vanité & d'ostentation. Ces principes seront universellement reçus, & il est facile d'en faire ici l'application.
Le sieur de Beaumanoir n'a jamais refusé de rendre le pain beni; au contraire, quoique le principal locataire de la maison où il loge l'eût rendu il n'y avoit que dix-huit mois, il a perpétuellement insisté auprès du Curé, des Marguilliers, & même du Bedeau, pour qu'on lui indiquât un jour moins solemnel que celui des Cinq Plaies, où l'on avoit résolu de l'assujettir à une décoration qui lui paroissoit déplacée.
Assurément il n'y a rien de répréhensible dans une telle conduite; si la Fabrique eût été bien conseillée, elle auroit substitué sans bruit au sieur de Beaumanoir un Paroissien plus jaloux de la représentation extérieure, & elle auroit invité le sieur de Beaumanoir à rendre le pain beni dans un jour moins solemnel, où il auroit pu suivre la modestie de son goût; mais tout au contraire, on effraie la simplicité du sieur de Beaumanoir par un mémoire exorbitant, qui annonce une pompe représentative de la grandeur des Seigneurs qui ont occupé la maison dont il habite une partie; il lui étoit permis alors de se refuser à une invitation plus solemnelle qu'il ne le vouloit. Les sieurs de Saint-Amaranthe, Dubocage & de Beaumanoir, n'étoient point obligés de faire entr'eux trois, ce que Madame la Princesse de Conty jugeoit à propos de faire seule; la grandeur des pains à benir, l'abondance de la cire, la fixation des offrandes, les Suisses, les gants blancs, ont pu légitimement paroître des superfluités qui ont déplu au sieur de Beaumanoir; ainsi il a pu, sans encourir le moindre blâme, persister à ne point vouloir rendre forcément le pain beni au jour indiqué dans la forme qui lui étoit prescrite.
Les Marguilliers auroient pu sçavoir (mais des Marguilliers ne sont pas obligés de sçavoir tout), que, lorsqu'un Paroissien refuse de rendre le pain beni à son tour, on doit lui faire une sommation juridique, après laquelle la Fabrique est autorisée à le faire rendre en son nom; mais alors la dépense est réglée, & l'on ne permet pas aux Marguilliers de s'abandonner à un faste, dont ils veulent faire retomber les frais sur un autre.
On pourroit citer nombre d'exemples des précautions que la Justice prend en pareil cas; mais on se contentera d'en rapporter deux, qui établissent la Jurisprudence du Châtelet à cet égard.
En l'année 1711, les Marguilliers de saint Germain de l'Auxerrois demanderent, que Me. Nicolas Chevalier, Substitut de M. le Procureur-Général au Grand-Conseil, fût condamné à rendre le 26 Avril suivant, le pain à benir, avec cierges & offrandes, sinon qu'il leur fût permis d'en avancer les frais, sauf à les répéter. La cause fut plaidée contradictoirement, & par Sentence du 10 Juin, le sieur Chevalier fut condamné à rendre le pain à benir en la maniere ordinaire, le Dimanche d'après la signification de la Sentence; & faute par lui de le faire, on permit aux Marguilliers de le rendre en son lieu & place, d'en avancer les frais, & d'y employer jusqu'à la somme de quinze livres.
L'année suivante, pareille contestation se renouvella de la part des Marguilliers, contre le sieur le Roy de Royaumont, Conseiller au Châtelet, les sieurs des Bouleaux, Président à Tours, Aubry, Contrôleur des rentes, Catelan, Bourgeois de Paris, le Tellier, Procureur au Châtelet, & Petit, Tapissier de M. le Duc d'Orléans.
Par Sentence du 30 Avril, M. le Lieutenant Civil signala cet esprit de sagesse & d'équité dont il est encore animé, en les condamnant à rendre le Pain beni avec décence, sinon, permis à la Fabrique de le faire rendre pour eux, & d'en avancer les deniers jusqu'à concurrence de dix livres chacun: ainsi il est constaté par ces Jugemens, 1o. que les Paroissiens doivent être constitués juridiquement en demeure; 2o. que les Marguilliers ne sont pas les maîtres de se livrer aux dépens d'autrui à une ostentation superflue, & que lorsqu'ils s'éloignent de la décence évangélique, le Juge a l'attention de les y ramener; ainsi le sieur de Beaumanoir ne faisoit pas une proposition révoltante, lorsqu'il offroit 24 livres pour que le Bedeau le soulageât d'un détail minutier. Ce n'étoit pas l'esprit d'économie qui le faisoit agir, puisque cette somme excede de beaucoup celle qui est arbitrée par la Justice, & le Bedeau s'en seroit volontiers accommodé; mais les Marguilliers surveillans vouloient par obstination imposer la loi au sieur de Beaumanoir, & subjuguer sa répugnance sur le jour & la maniere de rendre le pain beni.
Un Militaire connoît mieux que personne les loix de subordination; mais la résignation aveugle doit-elle s'étendre jusqu'au décret de l'Œuvre? Une Fabrique est nécessairement un assemblage confus de personnes formées diversement par la nature & par l'éducation. La concorde y établit rarement son siege; il se trouve même quelquefois des Marguilliers à qui les vapeurs de l'encens, qu'ils reçoivent de la premiere main, portent à la tête; de-là résultent des délibérations souvent tumultueuses, quelquefois peu raisonnées, toujours contrariées.
Le sieur de Beaumanoir est persuadé que l'Œuvre de S. Roch est aussi-bien composée qu'une Fabrique puisse l'être, & il est prêt à rendre justice à l'esprit de sagesse & de probité dont chacun des membres est sûrement animé; mais relativement à la confusion qui entraîne la généralité, il soutient qu'il a à se plaindre dans l'ordre de la Justice & dans l'ordre du procédé.
En effet, malgré ses offres réitérées de rendre le pain beni seul ou en compagnie, malgré les instances qu'il a faites pour obtenir un jour moins solemnel que celui qui lui étoit indiqué & d'en supporter convenablement la dépense, on prétend faire violence à la modestie de son goût, & l'on fait contre lui une délibération pour le forcer à entrer dans une dépense de près de 300 liv. à laquelle on n'a droit d'assujettir aucun citoyen; or, des Marguilliers ont-ils un droit pour faire une imposition forcée, & convertir par la voie coactive une oblation en une rétribution onéreuse & arbitraire?
C'est de leur autorité privée qu'ils se subrogent pour faire en son nom la dépense à laquelle ils l'ont taxé, & dès le lendemain ils le font assigner pour payer une somme de 72 liv. à laquelle ils ont évalué sa cotisation, dans une cérémonie où forcément on l'a introduit par Procureur.
Pour sentir tout le ridicule d'une pareille démarche, il ne faut que décomposer le mémoire sur lequel on a fabriqué la taxe du sieur de Beaumanoir.
Un Curé, des Marguilliers, sont-ils en droit de faire assigner un Paroissien toutes les fois qu'il n'aura pas rendu deux pains benis à 15 liv. piece, & qu'il ne les aura pas éclairés de douze livres de cire? Lui fera-t-on un procès parce qu'il ne donnera pas un louis à l'offrande, & qu'il refusera à faire porter son oblation par des Suisses en gants blancs? Or si l'on n'a pas d'action contre lui, quand il n'a pas voulu faire cette dépense en son particulier, on n'en doit pas avoir davantage lorsqu'on l'a faite sans sa participation sous un nom collectif. Le sieur de Beaumanoir n'est pas plus assujetti au tiers de la dépense qu'on a voulu rendre solidaire entre trois personnes, qu'il seroit contraint à la supporter en son particulier.
Mais, dira-t-on, l'objet est modique & ne valoit pas la peine de soutenir un procès dont l'éclat est toujours disgracieux. C'est ainsi qu'on raisonne dans les affaires où l'on n'a pas un intérêt direct, lorsque soi-même on y mettroit peut-être plus de chaleur & de sensibilité, si l'on étoit personnellement actionné; qui que ce soit ne veut être dupe; personne n'aime à être injustement maîtrisé; les abus, les exactions s'établissent par une tolérance déplacée. Peut-être s'est-il déja introduit secrétement dans quelques Paroisses des monopoles repréhensibles, sans qu'on ait pu y remédier, faute par ceux qui avoient à s'en plaindre d'avoir eu le courage ou la force de se faire entendre & de réclamer contre la violence d'une Fabrique accréditée. Quoi! si un homme entreprenant vouloit établir de son autorité privée un péage de trois deniers par tête sur les chemins de sa Terre, oseroit-on blâmer le premier, qui pour s'y soustraire entameroit un procès? Pourroit-on dire raisonnablement qu'il a tort de plaider pour une si modique redevance? Non, assurément, il faudroit le louer au contraire comme un citoyen généreux; les impositions arbitraires, quelque modiques qu'elles soient, tirent toujours à conséquence, & l'on en a fait, dans des tems moins éclairés, l'expérience funeste. Personne n'ignore que les Ministres des Autels ont exercé long-tems une tyrannie dangereuse à l'occasion des mariages, des sépultures, des testamens, & de nombre d'autres choses, qui n'étoient ni de leur ministere, ni de leur ressort. Ils mettoient à leur gré la fortune des citoyens à contribution. Il a fallu livrer des combats pendant plusieurs siecles pour rétablir la discipline. Nous ne courons plus le risque de voir renouveller de pareils excès sous les yeux de Pasteurs recommandables par leurs lumieres & leur désintéressement: mais la prudence ne permet pas de dissimuler ce qui tend à troubler l'ordre public & la regle. Une Fabrique ne doit pas aspirer à exercer un pouvoir coactif sur le nombre, la grandeur des pains benis, le volume des cierges, la force des offrandes: ces oblations sont volontaires, & l'on peut sans scandale les réduire au taux de la décence & de la simplicité chrétienne.
Les Marguilliers de S. Roch ne craignent-ils pas qu'on leur adresse ce que disoit un Poëte du siecle dernier [15] à quelques-uns de leurs anciens Confreres.
Avez-vous vu dans quelque lieu,
De saint Jerôme ou saint Ambroise,
Qu'on doit mesurer à la toise
Les offrandes qu'on fait à Dieu.....
Depuis quel Réglement nouveau,
Avez-vous un droit de censure
Pour juger dans votre Bureau
De leur forme & de leur figure?....
Selon vous autres désormais
Si vos Bedaux dans votre Eglise
Ne marchent courbés sous le faix
D'un pain bien large & bien épais,
Bien étoffé de beure frais
Une offrande n'est pas de mise.
Les offrandes qu'on fait à l'Eglise sont un tribut de respect qui ne doit pas se mesurer sur l'intérêt. Il n'appartient point aux Officiers de la Fabrique d'en prescrire le taux, suivant l'idée qu'ils se forment eux-mêmes de l'état & de la fortune de chaque Particulier. Il en résulteroit trop d'abus pour que la Justice ne refuse pas de se prêter à une entreprise si déplacée; mais les Marguilliers ne se sont pas bornés à imposer simplement le sieur de Beaumanoir à 72 livres, ils ont accompagné cette exaction d'une insulte à laquelle il ne lui est pas permis d'être insensible.
En effet, la Fabrique toujours jalouse de faire des gratifications aux dépens d'autrui, a encore conclu contre le sieur de Beaumanoir en une amende de 1000 livres, en des dommages-intérêts, & aux dépens, avec impression, affiche & publication de la Sentence: les Marguilliers n'avoient sans doute d'autre objet que de rendre publique la résistance du sieur de Beaumanoir, & c'est ce qui l'a obligé à publier aussi dans un Mémoire les justes raisons qu'il a eues, pour ne pas déférer aveuglément aux loix qu'on vouloit lui prescrire. Ils ont demandé par un second acte que la Sentence fût lue au prône, ensorte que s'ils ajoutent encore à leurs conclusions, il y a tout lieu de craindre qu'ils ne requierent des peines deshonorantes; ils n'ont plus qu'un pas à faire.
Or, quel crime a donc commis le sieur de Beaumanoir? A-t-il refusé de rendre le pain beni? point du tout. A-t-il maltraité, injurié quelqu'un? nullement: il a refusé simplement de s'associer pour un tiers dans une dépense de 299 liv. 5 sous, & il a voulu restreindre à un louis les frais d'un acte public qu'il desiroit faire sans ostentation; or, est-ce là un crime digne de la censure publique & de la sévérité de la Justice? Ce n'est qu'à des yeux de Marguilliers qu'on peut paroître coupable, pour avoir eu des sentimens de modestie, que des personnes du premier ordre se font gloire de partager. Si les Marguilliers craignent la pratique de la simplicité chrétienne, comme préjudiciable à leurs intérêts, du moins le Curé doit la louer, comme conforme aux préceptes évangéliques.
Cependant on a craint que cet exemple ne fût imité, & pour en imposer par une accusation grave, on a eu la témérité de taxer ledit sieur de Beaumanoir de manque de respect & de mépris pour l'Eglise.
C'est cette calomnie odieuse qui devient le point capital de la contestation. Manque-t-on de respect à l'Eglise, lorsqu'on ne remet pas sa bourse à la discrétion des Marguilliers? Est-ce un mépris, que de se borner dans la dépense d'une cérémonie extérieure? Faut-il confondre l'Eglise avec les Officiers d'une Fabrique? Et sera-ce un attentat à la Religion, que de s'opposer aux foiblesses ou au caprice d'un Marguillier, dont le manteau n'est pas toujours celui de la Religion? N'est-ce pas plutôt un délire, que de s'autoriser du nom de l'Eglise pour enhardir l'affection qu'un Marguillier porte aux intérêts de sa Fabrique? L'Eglise est simple, charitable, désintéressée; un Marguillier peut n'avoir pas les mêmes principes; il ne faut donc pas mêlanger ces différens caracteres, & identifier tellement l'un avec l'autre, qu'on ne puisse déplaire à une Fabrique, sans manquer à l'Eglise.
Le sieur de Beaumanoir, dans ses réponses, dans ses procédés, a conservé un souverain respect pour l'Eglise. Il n'a point refusé aux Marguilliers la considération qu'ils méritent, ainsi c'est une calomnie repréhensible que de l'accuser de manque de respect & de mépris pour l'Eglise. C'est une témérité, que de le citer en Justice sous des prétextes aussi dénués de fondement; enfin c'est une indiscrétion aux Marguilliers, que d'exiger des droits qui ne leur sont pas dûs, dans la présupposition qu'ils vengent les droits de l'Eglise qu'on n'a point offensée. Ce sont ces objets essentiels qui ont révolté le sieur de Beaumanoir, & qui l'ont déterminé à se rendre incidemment Demandeur, à l'effet d'obtenir la réparation de l'injure qui lui est faite.
Il a conclu à ce que la délibération du 25 Février 1756 soit rayée du Registre de la Paroisse par un Huissier commis à cet effet, & qu'il soit fait défenses aux Curé & Marguilliers de lui faire à l'avenir pareille insulte, ni de prendre contre lui de semblables conclusions.
En effet, la délibération du 25 Février, & l'assignation qui y est relative, sont des monumens de scandale, dans lesquels on annonce le sieur de Beaumanoir comme ayant manqué de respect & ayant témoigné du mépris pour l'Eglise. Ces imputations sont aussi fausses qu'insultantes; & comme il est important de les supprimer jusque dans la source, le sieur de Beaumanoir a demandé qu'elles soient effacées des fastes de la Paroisse. Ce seroit en imposer à la postérité, que de laisser douter que le sieur de Beaumanoir ait été perpétuellement soumis à l'Eglise. Des Registres de Paroisse doivent être consacrés à l'établissement de la vérité. Ceux de saint Roch se trouveroient infectés de mensonge, si l'original de l'Exploit donné au sieur de Beaumanoir étoit joint à la délibération.
Les Curé & Marguilliers avoient demandé contre le sieur de Beaumanoir, une amende de 1000 livres, applicable aux pauvres de la Paroisse, avec des dommages & intérêts. Il n'a pas voulu se montrer moins généreux & moins charitable qu'eux, c'est pourquoi il a conclu en 10000 liv. de dommages & intérêts, applicables aux Capucines. La Fabrique ne reproche au sieur de Beaumanoir aucune injure personnelle; il démontre au contraire qu'il a été vivement insulté par écrit; c'est donc à lui seul qu'il est dû une réparation; & comme il ne seroit pas juste que la Fabrique souffrît de l'indiscrétion de ses Administrateurs, on a demandé que la peine fût supportée personnellement par ceux, qui sans ménagement avoient provoqué le sieur de Beaumanoir, sous les qualifications les plus fausses & les plus outrageantes.
Enfin le sieur de Beaumanoir a conclu à ce que la Sentence qui interviendroit fût imprimée, publiée & transcrite sur le Registre de la Paroisse.
Le sieur de Beaumanoir ne peut prendre trop de précaution pour ne laisser ignorer à qui que ce soit, qu'il n'a jamais témoigné de manque de respect ni de mépris pour l'Eglise. Plus l'injure qu'on lui a faite est grave, plus il doit se montrer jaloux d'en rendre la réparation publique & autentique.
Mais un point qui n'est pas moins essentiel, c'est celui de l'intérêt public, qui se trouve lié avec celui du sieur de Beaumanoir, & qui ne peut manquer d'exciter la vigilance de Messieurs les Gens du Roi.
En réparant ici l'injure & la calomnie faite au sieur de Beaumanoir, il s'agit encore de garantir tous les citoyens d'une exaction, pour laquelle ils courroient risque d'être injustement persécutés; le devoir de Paroissien est de nécessité absolue, mais la forme de le remplir est libre & de pure bienséance, quant à la dépense: il s'agit donc d'affranchir le public du despotisme & de la férule des Marguilliers, qui ne sont pas sûrs, avec les meilleures intentions du monde, de prendre toujours la raison & la Justice pour guides, dans les impositions arbitraires qu'on les laisseroit maîtres de faire.
Me. MARCHAND, Avocat.