Causes amusantes et connues
POUR les Coëffeurs des Dames de Paris.
NOUS sommes par essence des Coëffeurs des Dames, & des fonctions pareilles ont dû nous assurer de la protection, mais cette protection a fait des envieux; tel est l'ordre des choses. Les Maîtres Barbiers-Perruquiers sont accourus avec des têtes de bois à la main; ils ont eu l'indiscrétion de prétendre que c'étoit à eux de coëffer celles des Dames. Ils ont abusé d'Arrêts qui nous sont étrangers, pour faire emprisonner plusieurs d'entre nous; ils nous tiennent en quelque sorte le rasoir sur la gorge, & c'est contre cette tyrannie que nous nous trouvons aujourd'hui forcés d'implorer le secours de la Justice.
Nous avons commencé par consulter un Jurisconsulte, qui nous a dit, que les Loix Romaines ne statuoient rien sur les droits que nous réclamons; qu'il y a grande apparence que nous n'existions pas, lors des capitulaires de Charlemagne; qu'il est possible que nous ayons eu l'être civil à Athenes, dans ses jours de délices; qu'au surplus, depuis cette époque jusqu'à nous, il s'étoit écoulé plus de deux mille ans de tems, utile pour la prescription.
Ce langage nous a d'abord donné de l'inquiétude; nous avons cherché d'autres secours, & nous les avons trouvés. La science des Jurisconsultes n'est pas celle qui convient à l'exposition de nos moyens; la question dont il s'agit ici exige des détails étrangers à leur doctrine.
Les Perruquiers prétendent que c'est à eux seuls qu'il appartient de coëffer les Dames.
Pour renverser leur prétention nous établirons; 1o. que l'Art de coëffer les Dames, est un Art libre, étranger à la Profession des Maîtres Perruquiers; 2o. que les Statuts des Perruquiers ne leur donnent pas le droit exclusif qu'ils prétendent avoir; 3o. qu'ils ont abusé des Arrêts de la Cour pour exercer des vexations contre nous, & qu'ils nous doivent des dommages & intérêts considérables.
PREMIER OBJET.
Il faut faire une grande différence entre le métier de Barbier-Perruquier & le talent de coëffer les Dames. La profession de Perruquier appartient aux Arts méchaniques: la profession de Coëffeurs des Dames appartient aux Arts libéraux.
Les Arts méchaniques ont donné naissance à l'établissement des différens Corps & Communautés. Ces Arts se bornent à une pratique purement manuelle, bien au-dessous des créations du génie, & se tiennent renfermés dans la sphere étroite qui leur est propre.
Il n'en est pas de même des Arts libéraux pour lesquels on payeroit inutilement une Maîtrise; ce n'est point avec quelque piece de métal qu'on peut acheter ce goût, cette faculté active d'inventer & de produire, qui leur donne l'existence & la vie; il faut porter dans son ame le germe des talens créateurs: quiconque a le génie propre à l'Art qu'il adopte, doit l'exercer avec pleine liberté; telles sont les maximes protectrices des beaux Arts, celles à la faveur desquelles ils ont fait en France des progrès si merveilleux. Il eût été ridicule d'ériger en Corps & Communauté les Poëtes, les Statuaires, les Peintres, les Musiciens, comme les Perruquiers, les Cordonniers & les Tailleurs.
Le Peintre anime la toile, le Statuaire un bloc de marbre, l'un & l'autre parlent aux yeux pour les tromper, & ce prestige est la perfection de l'ouvrage. Le Musicien & le Poëte portent à l'ame les objets sur lesquels ils s'exercent, & quand ils ont le génie de leur Art, ils peignent en traits de flammes, ils échauffent tout ce qui se trouve dans la sphere de leur activité.
Nous ne sommes ni Poëtes, ni Peintres, ni Statuaires, mais par les talens qui nous sont propres, nous donnons des graces nouvelles à la beauté, que chante le Poëte; c'est souvent d'après nous que le Peintre & le Statuaire la représentent; & si la chevelure de Bérénice a été mise au rang des Astres, qui nous dira que pour parvenir à ce haut degré de gloire, elle n'ait pas eu besoin de notre secours?
Les détails que notre Art embrasse se multiplient à l'infini.
Un front plus ou moins grand, un visage plus ou moins rond, demandent des traitemens bien différens; par-tout il faut embellir la nature, ou réparer ses disgraces. Il convient encore de concilier avec le ton de chair la couleur sous laquelle l'accommodage doit être présenté. C'est ici l'Art du Peintre, il faut connoître les nuances, l'usage du clair obscur, & la distribution des ombres, pour donner plus de vie au teint & plus d'expression aux graces; quelquefois la blancheur de la peau sera relevée par la teinte rembrunie de la chevelure, & l'éclat trop vif de la blonde sera modéré par la couleur cendrée, dont nous revêtirons ses cheveux.
L'accommodage se varie encore à raison des situations différentes. La coëffure de l'entrevue n'est pas celle du mariage, & celle du mariage n'est pas celle du lendemain. L'art de coëffer la prude, & de laisser percer les prétentions sans les annoncer, celui d'afficher la coquette, & de faire de la mere la sœur aînée de sa fille; d'assortir le genre aux affections de l'ame, qu'il faut quelquefois deviner; au desir de plaire, qui se manifeste; à la langueur du maintien qui ne veut qu'intéresser; à la vivacité qui ne veut pas qu'on lui résiste; d'établir des nouveautés, de seconder le caprice, & de le maîtriser quelquefois; tout cela demande une intelligence qui n'est pas commune, & un tact pour lequel il faut en quelque sorte être né.
Les progrès de notre Art se portent encore plus loin. Sur ce Théâtre où regne l'illusion, où les Dieux, les Héros, les Démons, les Fées, les Magiciens, se reproduisent sans cesse; une tête sortant de nos mains est tantôt celle d'une Divinité, tantôt celle d'une Héroïne, tantôt celle d'une simple Bergere; la chevelure d'Armide n'a rien de commun avec celle de Diane, & celle de Diane n'a rien de commun avec celle d'Alcimadure; les cheveux serpentans & entrelacés des furies, ne forment-ils pas le plus parfait contraste avec les ondulations des cheveux flottans de l'Amour? C'est en saisissant les nuances attachées à ces différens genres, que le charme se perpétue, & qu'on reconnoît la main d'un Artiste habile.
L'Art des Coëffeurs des Dames est donc un Art qui tient au génie, & par conséquent un Art libéral & libre.
L'arrangement des cheveux & des boucles ne remplit pas même tout notre objet. Nous avons sans cesse sous nos doigts les trésors de Golconde. C'est à nous qu'appartient la disposition des diamans, des croissans, des sultanes, des aigrettes. Le Général d'Armée sçait quel fond il doit faire sur une demi-lune placée en avant; il a ses Ingénieurs en titre; nous sommes Ingénieurs en cette partie, avec un croissant avantageusement placé, il est bien difficile qu'on nous résiste, & que l'ennemi ne se rende: c'est ainsi que nous assurons & que nous étendons sans cesse l'empire de la beauté.
Les fonctions des Barbiers-Perruquiers sont bien différentes; tondre une tête, acheter sa dépouille, donner à des cheveux qui n'ont plus de vie la courbe nécessaire avec le fer & le feu; les tresser, les disposer sur un simulacre de bois, employer le secours du marteau, comme celui du peigne, mettre sur la tête d'un Marquis la chevelure d'un Savoyard, & quelquefois pis encore, se faire payer bien cher la métamorphose; barbouiller des figures pour les rendre plus propres; enlever avec un acier tranchant, au menton d'un homme, l'attribut de son sexe, baigner, étuver, &c; ce ne sont-là que des fonctions purement méchaniques, & qui n'ont aucun rapport nécessaire avec l'Art que nous venons de décrire.
Les Perruquiers auront, si l'on veut encore, la faculté de faire l'accommodage des cheveux naturels des hommes, parce que cet accommodage ne doit être qu'un arrangement de propreté. Nous aurions pû cependant leur disputer la coëffure des Petits-Maîtres, par une raison d'analogie; mais nous laisserons volontiers leurs têtes entre les mains d'un Perruquier, pour qu'ils fassent moins de progrès dans la coquetterie; en un mot, nous ne coëffons que les Dames; leurs maris même ne sont pas de notre compétence, & tant que nous nous renfermerons dans des bornes pareilles, la jalousie des Perruquiers pourra crier, mais la Police n'aura rien à nous dire.
En vain les Perruquiers objecteroient-ils, que s'ils ont la main trop pesante pour la coëffure des Dames, ils peuvent avoir chez eux des Garçons qui l'ayent beaucoup plus légere.
Cette objection seroit un aveu, que l'Art de coëffer les Dames ne seroit pas propre à leur état, puisque les Maîtres n'auroient pas le talent nécessaire pour l'exercer; & de-là nous pourrions conclure, que leurs Garçons distraits par d'autres soins ne l'acquerroient pas davantage; mais une raison bien plus puissante s'oppose, à ce que les Dames employent les Garçons Perruquiers pour leur coëffure: les Garçons Perruquiers changent à chaque instant de boutique, & ces changemens perpétuels ne permettent pas de les admettre à un ministere de confiance tel que le nôtre.
Le Coëffeur d'une femme est en quelque sorte le premier Officier de sa toilette; il la trouve sortant des bras du repos, les yeux encore à demi-fermés, & leur vivacité, comme enchaînée par les impressions d'un sommeil, qui est à peine évanoui. C'est dans les mains de cet Artiste, c'est au milieu des influences de son Art, que la rose s'épanouit en quelque sorte, & se revêt de son éclat le plus beau; mais il faut que l'Artiste respecte son ouvrage, que placé si près par son service il ne perde pas de vue l'intervalle, quelquefois immense, que la différence des états établit; qu'il ait assez de goût pour sentir les impressions que son Art doit faire, & assez de prudence pour les regarder comme étrangeres à lui.
Il est donc vrai de dire, que ni les Perruquiers ni leurs Garçons, ne sont pas propres à faire l'office des Coëffeurs des Dames; que l'Art des Coëffeurs est étranger à la Communauté des Maîtres Perruquiers, comme étant un Art libre & libéral.
Voyons maintenant si les Statuts de la Communauté des Maîtres Perruquiers ne présentent rien qui puisse porter la plus légere atteinte aux vérités que nous venons d'établir: c'est le second objet de nos réflexions.
DEUXIEME OBJET.
L'article 58 des Statuts des Maîtres Perruquiers, s'exprime ainsi, aux seuls Barbiers-Perruquiers, Baigneurs, Etuvistes, appartiendra le droit de faire poil, bains, perruques, étuves, & toutes sortes d'ouvrages de cheveux, tant pour hommes que pour femmes, à peine de confiscation des ouvrages, cheveux & ustensiles.
Cet article seul suffiroit pour faire sentir la différence essentielle qui se trouve entre les Perruquiers & les Coëffeurs des Dames.
Le Perruquier a une matiere d'ouvrage, & le Coëffeur n'a qu'un sujet. La matiere est ce que l'on emploie dans le travail; le sujet est ce sur quoi l'on travaille. Le Perruquier travaille avec les cheveux, le Coëffeur sur les cheveux. Le Perruquier fait des ouvrages de cheveux, tels que des perruques, des boucles; le Coëffeur ne fait que maniérer les cheveux naturels, leur donner une modification élégante & agréable: le Perruquier est un Marchand qui vend sa matiere & son ouvrage; le Coëffeur ne vend que ses services; la matiere sur laquelle il s'exerce, n'est point à lui.
D'après ces définitions, l'article cité ne présentera point d'équivoques; les Perruquiers auront seuls le droit de faire & de vendre des ouvrages de cheveux, tels que des perruques & boucles factices, il sera défendu aux autres d'en fabriquer & vendre, à peine de confiscation desdits ouvrages, cheveux & ustensiles; mais ils ne confisqueront pas la frisure naturelle d'une Dame, qui n'aura point employé leur ministere, parce que cette frisure n'est point dans le Commerce, & parce que la chevelure, qui fait ici la matiere de l'ouvrage, appartenant par ses racines à la tête qui la porte, les Perruquiers ne peuvent avoir aucun droit sur cette matiere & sur sa modification.
Les Perruquiers objectent qu'ils ont, en vertu de l'article cité, le droit exclusif de faire l'accommodage des cheveux naturels des hommes, & que par conséquent ils doivent avoir également le droit de faire celui des femmes exclusivement.
Nous leur répondons d'abord que l'article cité ne leur donne pas le droit exclusif d'accommoder les cheveux naturels des hommes, puisqu'il ne s'explique que sur les ouvrages de cheveux, sujets à confiscation. Nous ajouterons, que si les Perruquiers sont en possession de faire l'accommodage des cheveux naturels des hommes, ce ne peut être qu'en vertu d'un ancien usage, mais qu'ils ne peuvent invoquer ni l'usage ni la possession, relativement à l'accommodage des cheveux naturels des femmes.
2o. Si les Perruquiers avoient par leurs Statuts le droit exclusif de coëffer les Dames, ils n'auroient certainement pas souffert qu'il s'établît dans cette Capitale une quantité de Coëffeuses aussi considérable. Que leur importe donc que les Dames se fassent coëffer par des femmes ou par des hommes, puisqu'aussi bien ils ne sont point en possession de les coëffer, & qu'ils n'en auroient pas même le talent?
3o. Il est certain que les hommes, dans ce genre, ont le goût beaucoup plus sûr; car s'il est vrai que dans leur parure les femmes cherchent à plaire aux hommes, les Artistes de ce sexe, premiers juges des impressions de leur ouvrage, dirigeront plus efficacement vers cet objet, les agrémens dont on leur sera redevable.
4o. Les Maîtres Perruquiers de Marseille sont établis à l'instar des Maîtres Perruquiers de Paris: les Perruquiers de Marseille voyoient avec peine en 1760, dans cette ville, une quantité de Coëffeurs à l'usage des Dames; ils leur ont suscité un Procès; ils ont suivi la route que leur avoient tracée les Perruquiers de cette Capitale, & obtenu au Parlement d'Aix les mêmes Arrêts que ceux-ci ont obtenus en la Cour; mais il en est intervenu un définitif le 20 Juin 1761, qui a rejetté les prétentions des Perruquiers, & assuré aux Coëffeurs des Dames le plein & entier exercice de leur état.
Il est donc vrai de dire, que les Maîtres Perruquiers ne peuvent se prévaloir de leurs Statuts, pour porter atteinte à la profession des Coëffeurs des Dames.
Il nous reste un troisieme objet à remplir, c'est de faire voir l'abus que les Maîtres Perruquiers ont fait vis-à-vis de nous, de quelques Arrêts de la Cour; & la nécessité d'assurer la tranquillité & la liberté des Coëffeurs des Dames par un Jugement irrévocable.
TROISIEME OBJET.
Plusieurs Garçons Perruquiers, dont le nombre est immense dans cette Capitale, peuvent s'être mal comportés, ces inconvéniens sont communs à la plupart des gens qui sont dans la fougue de l'âge; on s'est occupé du soin de réprimer leur licence. Les Maîtres Perruquiers ont fait une délibération qu'ils ont fait homologuer par Sentence du Magistrat de Police, & par Arrêt de la Cour du 12 Décembre 1760; la Sentence fait défenses à tous Garçons Perruquiers de s'assembler & s'attrouper; d'entrer chez les Maîtres sans certificat & enregistrement; de les quitter sans les avoir avertis huit jours auparavant, & sans avoir fini les ouvrages qu'ils auroient commencés: il est enjoint aux Garçons venant de Province, de se faire enregistrer au Bureau de la Communauté dans huitaine du jour de leur arrivée, le tout sous peine de prison contre les Garçons, & d'amende contre les Maîtres.
Les précautions prises par cette Sentence, pour empêcher les écarts des Garçons Perruquiers, sont bien dignes de la sagesse & de la sagacité du Magistrat, qui dans cette Capitale préside à la Police avec un applaudissement universel.
Le nommé Coursel, Garçon Perruquier & quelques autres, avoient été arrêtés pour contravention à ce Réglement; ils ont interjetté appel de la Sentence du Magistrat de Police, & formé opposition à l'Arrêt qui en ordonnoit l'exécution, & ils en ont été déboutés par un Arrêt contradictoire du 29 Juillet 1761.
Tout ceci est absolument étranger aux Coëffeurs des Dames; cependant les Syndics de la Communauté des Perruquiers, jaloux de leurs succès, ont fait emprisonner plusieurs Coëffeurs, entr'autres le sieur Barbulé, sur le fondement qu'ils étoient contrevenus à la Sentence de Police, & aux Arrêts de la Cour, en ne se faisant pas enregistrer au Bureau de la Communauté.
Nous avons formé une tierce opposition à ces Arrêts, seulement en ce qu'on en voudroit induire, que leurs dispositions s'étendent contre nous; mais cette tierce opposition est de pure surabondance; car nous ne sommes point Garçons Perruquiers, nous possédons un talent qui n'a rien de commun avec celui de faire des barbes & des perruques. La plupart d'entre nous ont appris leur Art d'autres Coëffeurs, & seroient fort embarrassés, s'il falloit qu'ils s'occupassent de la profession des Perruquiers.
On dira peut-être que quelques Coëffeurs se sont fait enregistrer au Bureau de la Communauté; la chose est possible, & cette espece de soumission aura été l'effet de l'inquiétude occasionnée par l'activité même avec laquelle les Syndics abusoient des Arrêts que nous venons de citer; mais il ne résultera pas de là, que ces Syndics ayent eu le droit de nous faire emprisonner, sur le fondement que nous ne nous serions point fait enregistrer au Bureau de leur Communauté; car avant de pouvoir être punis comme réfractaires à une Loi, il faut qu'elle existe: or il n'y avoit ni Loi ni Réglement qui assujettisse les Coëffeurs des Dames à se faire enregistrer au Bureau de la Communauté des Perruquiers.
Ces vérités ont été déjà senties dans un provisoire que la Cour a jugé, & les Magistrats ont en même tems reconnu que les Coëffeurs des Dames ne devoient point être troublés dans l'exercice de leur Art par les Perruquiers, tant qu'ils ne se mêleroient point de coëffer les hommes; en conséquence il est intervenu Arrêt sur les conclusions de M. l'Avocat Général Seguier, qui a ordonné que le sieur Barbulé, l'un d'entre nous, seroit mis en liberté; a fait par provision défenses aux Syndics des Perruquiers, d'emprisonner les Coëffeurs de Dames, en défendant néanmoins à ces derniers de s'immiscer en rien dans ce qui peut concerner la coëffure des hommes. Il y a tout lieu de croire, que la Cour statuant en définitif, suivra le plan qu'elle s'est elle-même tracé par ces dispositions provisoires; & en le suivant, elle ne manquera pas sans doute de condamner la Communauté des Maîtres Perruquiers en des dommages & intérêts considérables, relativement aux vexations que le sieur Barbulé & plusieurs autres d'entre nous ont essuyé de leur part.
Nous terminerons par cette observation. Nous sommes environ 1200 dans cette Capitale, qui subsistons & faisons subsister nos femmes & nos enfans par les ressources que nous trouvons dans l'Art que nous professons. Si l'on nous surprend faisant des barbes, fabriquant des Perruques, accommodant des hommes, nous aurons tort, les Perruquiers se plaindront avec raison; mais aussi si nous nous renfermons dans les bornes de notre état, pourquoi ne nous conserveroit-on pas notre existence?
Quelques Censeurs séveres diront peut-être qu'on se passeroit bien de nous, & que s'il y avoit moins de prétentions & d'aprêt dans la toilette des Dames, les choses n'en iroient que mieux; ce n'est pas à nous de juger si les mœurs de Sparte étoient préférables à celles d'Athenes, & si la Bergere qui se mire dans la fontaine & se pare avec des fleurs, mérite plus d'hommages que de brillantes Citoyennes qui usent de tous les rafinemens de la parure. Les Arts utiles ont amené les richesses; les richesses ont produit le luxe; le luxe a donné naissance aux Arts frivoles: tel est le cours des choses, parmi toutes les nations; il faut prendre le siecle dans l'état où il est, puisqu'aussi bien sa réforme subite seroit contre l'ordre des événemens humains. C'est au ton des mœurs actuelles que nous devons notre existence, & tant qu'elles subsisteront nous devons subsister avec elles.
Que si le genre de notre défense paroît trop au-dessous de la dignité de la Justice, c'est un malheur dont nous nous plaignons d'avance; mais la gravité du style du Barreau étoit-elle propre à présenter des détails de toilette, & ces détails n'étoient-ils pas nécessaires, puisqu'ils sont nos moyens?
Une réflexion nous rassure. Le droit de juger les hommes est un attribut divin; l'Etre éternel juge jusqu'aux moindres actions des humains: les Magistrats connoissent de toutes les contestations, même les plus frivoles; la recherche de la vérité, si précieuse par elle-même, ennoblit toutes les matieres dont ils s'occupent; & de même que l'astre du jour se leve & luit pour tous les Etres, les Citoyens de tous les Ordres peuvent, avec le même succès, implorer les secours de la Justice.
BIGOT DE LA BOISSIERE, Proc.