Causes amusantes et connues
SUR DÉLIBÉRÉ
POUR Me. L....., Procureur au Parlement, Défendeur & Demandeur;
CONTRE Me. GILLES ....., Procureur au Châtelet, Demandeur & Défendeur.
JE me trouve obligé de me défendre contre les plus ridicules accusations, & les moins décentes même pour l'Accusateur. Je n'emploierai point cependant de secours étrangers. Mon adversaire n'est point redoutable; mes propres forces me suffiront. C'est Me. Gilles..... Procureur au Châtelet, qui m'accuse. Nous sommes voisins, & pour ainsi dire, confreres. Il prétend que j'ai attaqué son honneur domestique. Il m'en demande des réparations. Le simple récit des faits va apprendre lequel de nous deux a à se plaindre de l'autre.
Son crédit a empêché que ma cause ne fût plaidée en la Chambre Criminelle, où elle est. Me. Gilles ..... a redouté le Public, & avec raison. Il est toujours le juste estimateur du vrai. Pour sauver à Me. Gilles ..... la honte de la plaidoirie, on a prononcé un délibéré le 31 Janvier dernier. Je n'en dois pas moins être défendu; & je me crois également redevable du compte de ma conduite au Public, ainsi qu'à mes Juges.
J'occupe, il y a près de trois ans, un appartement, rue Beaubourg, dans une maison, qui étoit alors saisie réellement. Vers le mois de Juillet de l'année 1747, on procéda à un nouveau bail judiciaire. Je craignis d'être obligé de me déplacer. Je pris le bail sur le pied de 2500 livres de loyers. Je sçavois parfaitement qu'un Officier ne doit pas faire métier de prendre des baux judiciaires; & j'en sentois les conséquences; mais il ne me paroissoit pas que je me misse dans ce cas. Je cherchois uniquement à n'être pas délogé; & je croyois que cela étoit permis. Des gens dont l'état & le caractere demandent encore plus d'attention, prennent souvent, à pareil titre, une maison de campagne, pour la procurer à leurs plaisirs. Cela n'a jamais choqué dans la société.
J'avois ce bail sous le nom du sieur P..... qui étoit mon Clerc. Je ne lui en demandai même aucune déclaration, tant j'étois dans la bonne foi. Je donnai un de mes parens pour caution, & je servis de certificateur; c'étoit donc moi qui devois être engagé.
Au moyen de ces arrangemens, je me trouvai en possession de la totalité de la maison au premier Janvier 1748; c'étoit l'époque du commencement de ce bail judiciaire. Me. Gilles .... m'y demanda un appartement pour Pâques. Il se présenta avec toutes les graces & l'affabilité que la nature lui a données. Je me crus trop heureux d'acquérir un pareil voisin, & la dame ... paroissoit encore devoir rendre ce voisinage plus précieux. On ne sçait qui doit prévaloir en elle, ou du caractere, ou de la figure. Tout y est aimable; on se promit de grandes liaisons de part & d'autre. Je louai à Me. Gilles ... un appartement extrêmement commode au premier, pour deux années neuf mois, si le bail judiciaire duroit autant. La location commençoit au premier Avril 1748; le prix fut de 350 liv. par an: c'étoit bon marché, mais je crus devoir donner quelque chose à l'agrément du commerce. J'en profitai en effet. Nous fûmes très-liés jusqu'à la Pentecôte, c'est-à-dire, pendant deux mois. Elle arriva le 2 Juin: je fus passer ces fêtes à la campagne.
Pendant ce tems, une ancienne domestique, qui n'étoit plus chez moi, nommée Nanon, & âgée de près de quatre-vingts ans, vint pour aider à garder ma maison. Son grand âge ne lui a pas encore ôté la gaieté. Seule, pour se désennuyer, elle chantoit au rez-de-chaussée; c'est l'appartement que j'occupe. Me. ..... est au-dessus. Cette vieille femme avoit tort sans doute; & c'étoit inconsidérément troubler les travaux de Me. Gilles .... qui emploie son tems si utilement pour le service du Public; mais il n'est pas étonnant que cette vieille Nanon ne sçût pas porter le respect dû à Me. Gilles .... & à ses occupations. Elle ignoroit même qu'il fût en même-tems Avocat & Procureur, & qu'avec ces qualités il méritât de doubles égards. Il le lui dit cependant; car il ne perd jamais de vûe ses prérogatives. Il la harangua en cette qualité, & le discours fut long; la facilité qu'il a acquise pour la parole, le trompe quelquefois sur l'usage qu'il en doit faire.
La vieille Nanon goûta peu l'éloquence de Me. Gilles .... Avocat ou Procureur, le titre lui parut fort indifférent. Son discours avoit été dur. La voix de Nanon continua sans doute à la servir. Elle chanta toujours. C'est une domestique, & une vieille domestique; dès-là par une conséquence nécessaire, peu docile.
La seconde leçon de Me. Gilles .... fut plus désagréable. Il vuida, presque sur le corps de Nanon, un vaisseau extrêmement deshonnête. Le fait est prouvé. Un de mes Cliens qui venoit me chercher, en dépose précisément. Il vit le pot jetté ou du moins ce qu'il contenoit & qui étoit très-mal propre, & un homme en veste noire & en bonnet de nuit, qui se retiroit de la fenêtre de Me. Gilles ...... l'opération finissant: c'étoit lui-même. Cela parut augmenter la voix de la vieille Nanon: elle en reprit de nouvelles forces, & chanta plus haut, & cela devoit être ainsi. Me. Gilles ..... avec l'usage qu'il a du monde, & l'esprit dont il est si heureusement pourvu, pouvoit-il attendre autre chose d'une pareille femme? Il a vu bien des pays. A-t-il trouvé quelque part des femmes de cet âge, de cet état, de cette éducation, que l'on se soit aisément asservies en les maltraitant.
Il l'accabla cependant d'injures. Il la menaça de coups de bâton, & de coups de pied dans le ventre. Etoit-ce donc là un discours convenable à un Ex-Avocat, même à un Procureur? car enfin, je ne pense pas que ces deux états admettent aucune différence, quant aux sentimens & à la conduite. Qu'il eût été beau de voir Me. Gilles ..... aux mains avec la vieille Nanon! Les armes sont journalieres. Dans le cas où la victoire se fût décidée pour la vieille Nanon; quel rôle eût joué Me. Gilles.., & qui eût-il appellé à son secours, ou des Avocats, ou des Procureurs? J'appréhende fort que tout le monde ne l'eût abandonné. On ne doit pas compromettre ainsi son état.
Cette correction peut n'avoir pas eu le succès qu'en attendoit Me. ...... Aussi n'étoit-elle pas faite pour réussir. La vieille Nanon chanta, & ne cessa de chanter dans la cour une chanson qui commence, dit-il, par ces mots cornua cum cornibus, & qu'il prétend extrêmement insultante. Je lui ai demandé copie de cette chanson. Je ne la connois pas; & je ne puis juger de l'insulte qu'en voyant la chanson. J'ignore totalement quelle application raisonnable elle peut avoir à Me. Gilles ..... Je ne prévois pas même qu'il puisse s'en trouver aucune. Je le lui avoue de bonne foi. Je suis malheureusement garçon; & je ne sens pas encore toutes ces délicatesses de ménage.
Je revins de la campagne. Je trouvai le trouble dans ma maison. Comme je vis cependant qu'il ne s'agissoit que de chansons, cela me parut d'abord ne devoir pas avoir des suites considérables. Je me trompai. Il ne me fut pas possible de remettre la tranquillité chez moi. Je m'apperçus même que Me. Gilles .... s'étoit servi de cet empire, que sa physionomie, son esprit, ses talens lui donnent singuliérement sur le beau sexe, qu'il s'en étoit servi pour mettre dans son parti quelques-unes de mes Locataires. Je voulois, à quelque prix que ce fût, me procurer le repos. Le 8 Juillet 1748, je donnai congé à la dame de M...., Sous-locataire d'un appartement au premier étage, & qui n'avoit point de bail, Dame extrêmement sage, dont j'aurois ambitionné le voisinage en toute autre occasion, mais que Me. Gilles ...... avoit trop séduite: & qui pourroit en effet lui résister quand il le veut?
Je croyois cette Dame veuve. Le 12 Juillet 1748, en son nom, & au nom de Messire Pierre-Louis de M....., Ecuyer, Capitaine de Cavalerie au Régiment de Grassin, son mari, on me signifia: Que l'on ne sçavoit pas pourquoi, moi Sous-locataire de la même maison, & qui avois une vieille Domestique, par qui je faisois insulter journellement les autres Locataires, chantant des chansons indécentes, je signifiois un congé: Que c'étoit une continuation d'insultes, dont on se réservoit à demander raison, mais que comme l'Exploit étoit nul, on ne pouvoit défendre au fond. Crainte de surprise, & pour en demander la nullité, on substituoit..... On ne dit pas qui. La vieille Domestique avoit tourné la tête à l'Avocat-Procureur. Il oublie même que c'est lui qu'il veut constituer. Dans cet état informe, il fait signifier cet acte pour plaider, dit-il, au lendemain.
Mais Me. Gilles ..... s'étoit occupé, dans les ténebres, d'objets plus importans; & c'est ici que s'ouvre la scene tragique. Contre l'ordre de tous les théâtres, la petite piece a précédé. Dans des tems de paix, j'avois fait confidence à ce bon voisin du nom de mon Fermier-Judiciaire; & il sçavoit que j'avois négligé de prendre une déclaration de lui. Le sieur P...., ce Fermier-Judiciaire, étoit alors Clerc chez Me. C.... de la T....., Procureur au Parlement. Me. Gilles ..... le fut trouver. Il lui demanda une déclaration de ce bail judiciaire en sa faveur. Menaces, remontrances, frayeurs, offres d'argent, tout fut employé pour le gagner; il lui offrit jusqu'à dix pistoles. Je devois recevoir tous les loyers, disoit-il, & ne rien payer; & le coup tomberoit sur P...... Il étoit cependant mineur. La caution étoit bonne. J'en étois le Certificateur. N'étoit-ce pas à nous que l'on se seroit adressé?
Me. Gilles ..... réussit néanmoins en partie: & a-t-il jamais manqué quelque chose de ce qu'il a voulu entreprendre? P.... lui donna toute sa confiance. En conséquence Me. ....., le 10 Juillet 1748, fit saisir entre les mains de mes Locataires. Le 11 Juillet il me fit donner congé de l'appartement que j'occupois dans cette maison, & dont je puis dire, avec quelque fondement, que j'avois seul le bail. Me. ..... se constitua Procureur contre moi. Il n'oublia pas pour lors son nom dans cet Exploit. Le 12 Juillet, car il n'y eut aucun jour de perdu, je fus assigné à la requête de P...., pour me voir condamner, & par corps, à lui payer le prix du bail judiciaire, avec une nouvelle constitution de Me. ..... Le 13 il envoya une cohorte d'Huissiers, pour saisir, & exécuter mes meubles, faute de lui avoir payé, disoit-il, mes loyers. Heureusement j'avois évoqué le tout aux Requêtes du Palais, & en vertu de mon Committimus, & parce qu'il s'agissoit de l'exécution d'un bail judiciaire émané de ce Tribunal. Cela me débarrassa de ces Huissiers. En quatre jours on saisit entre les mains de mes Locataires: on me donne congé: on me fait commandement de payer, & par corps: on vient pour exécuter mes meubles. Tous les instans sont utilement employés. N'avois-je pas eu raison d'acheter un si excellent voisin? Jeune Officier, les modeles m'étoient nécessaires. Et où en aurois-je pu trouver de pareils, pour l'ardeur, la vigilance, la candeur & la bonne foi? Mais il échappe toujours quelque chose aux grands hommes; & Me. Gilles ....., à qui ses occupations trop facilement multipliées ne laissent pas tout appercevoir, quelle que soit sa sagacité, n'avoit pas fait d'attention que son nouveau Client, P..., étoit mineur, & que toute cette procédure, faite sous son nom, étoit nulle.
Les expédiens ne lui manquerent pas pour la réparer. Tel est l'avantage des excellens génies. Les ressources se trouvent toujours à leur commandement. P.... mineur avoit son pere & sa mere, ses Tuteurs naturels. Il n'eût pas été aisé de les faire entrer dans ces opérations. Me. Gilles ..... crut les pouvoir remplacer. Il dressa un avis de parens pour P... qui n'en avoit aucuns en cette ville. Me. Gilles .... fut lui-même très-décemment le faire signer de maison en maison par ses propres amis, ce qui procura à P... l'avantage d'avoir Me. Gilles ..... pour Tuteur, à l'effet de former contre moi toutes les demandes qu'il aviseroit: & de quelles demandes ne devoit-il pas s'aviser?
Il pensa, en homme instruit, que mon évocation aux Requêtes du Palais tomboit au moyen de la nullité de la procédure que j'avois évoquée; & sur ce fondement, il en recommença une nouvelle au Châtelet, quoique le bail judiciaire qui faisoit son prétendu titre, fût émané, comme on l'a déja observé, des Requêtes du Palais.
Cet avis des amis de Me. Gilles ...., homologué pour le sieur P..., fut signifié le 23 Juillet 1748 à mes Locataires, avec commandement de payer mes loyers à Me. ...., au nom, & comme Tuteur de P...; & Me. ...., pour ce dispensé, déclare qu'il occupera en son nom. Le voilà donc Tuteur & Procureur de P... Quelle moisson de significations! Le véritable Fermier-Judiciaire, c'est-à-dire moi, qui devois payer, je me croyois trop heureux si j'en étois quitte pour les loyers de Me. Gilles ....
Cet homme, Avocat-Procureur, fait saisir de nouveau ces loyers par les Commissaires aux saisies-réelles. Il les avoit été effrayer sur mon compte; la preuve s'en trouve dans mon enquête. Pour être plus sûr de ses opérations, il avoit fait sortir son pupille P.... de chez Me. C..., mon Confrere, & il en avoit accru le nombre de ses Clercs. Il l'avoit mené aux saisies-réelles, pour solliciter des contraintes contre moi. Quelle passion! pour ne pas dire, quelle fureur! Il m'eût été difficile d'arrêter la vivacité de Me. Gilles ..., si je n'avois pas évoqué de nouveau aux Requêtes du Palais. Cela suspendit enfin sa procédure: & dans aucun Tribunal, je ne craignois pas de trouver un second Officier qui lui ressemblât.
Mais échappé, quant au civil, aux mains trop avides de ce cher voisin, il me poursuivit au criminel. Lui qui le 17 Août 1748 avoit cruellement porté la vexation à mon égard au point où l'on vient de le voir, ose rendre plainte à M. le Lieutenant-Criminel contre moi. Il prétend que le 16 du même mois, depuis huit heures & demie du soir jusqu'à dix, étant dans ma salle à manger, je n'ai cessé de proférer à haute voix contre son honneur & contre celui de sa femme, des injures que la bienséance & la pudeur ne permettent pas de répéter; & il demande à en faire preuve.
Dans une nouvelle requête du 30 Août, il expose: que depuis le 18 Juin 1748, matin, qui lui Me. .... en levant ses significations dans sa boîte, y a trouvé un morceau de fer en forme de cornes; il m'a fait porter ses plaintes, que la vieille servante Nanon, avec laquelle il n'avoit pas sans doute eu l'adresse de se réconcilier, montroit les cornes derriere le dos dudit Me. Gilles ..... quand il passoit seul, ou avec son épouse, dans la cour, & chantoit une chanson en ces termes, cornua cum cornibus, dont il demande à faire preuve.
Voilà donc un nouvel événement dans la cause. Un morceau de fer en forme de cornes, trouvé dans la boîte aux significations de Me. Gilles .... Mais qui est-ce qui l'a trouvé? A-t-on vu quelqu'un l'y jetter? L'enquête a été faite. Aucun témoin n'en dépose. Où le corps du délit est-il? Qu'a-t-on fait de ce morceau de fer? Il le falloit déposer au Greffe. Ce fer représente-t-il effectivement des cornes? Qui l'a vu? Me. Gilles .... en sera-t-il cru sur sa parole? Ne se trompe-t-on pas quelquefois en fait de forme extérieure? & sur-tout ici, où il semble que tout paroisse cornes à Me. Gilles ....? Ne les devoit-il pas faire voir? Prétend-il s'y connoître assez bien pour en pouvoir juger lui seul? A quel titre veut-il que l'on s'en rapporte à lui? Sera-t-il Juge & Partie dans sa propre cause? Il falloit envoyer chercher un Commissaire, faire dresser un procès-verbal de la levée de ces cornes, les faire déposer au Greffe. Voilà ce qu'on appelle une marche juridique & réguliere; & comment a-t-elle échappée à un ancien Avocat, actuellement Procureur? Ces matieres ne lui doivent-elles pas être extrêmement familières? Au défaut de ces mêmes pieces, que peut-il espérer de sa plainte?
Sur tous ces faits, une Sentence du 3 Septembre 1748 permet à Me. Gilles .... d'en faire preuve; & après que j'ai mis en fait que c'étoit Me. Gilles ..... qui avoit été chercher chez Me. C...., Procureur, le nommé P... pour lui prêter son nom, pour me faire un procès au sujet du bail judiciaire de la maison où nous demeurons, & qu'il avoit cinq ou six fois sollicité contre moi des contraintes aux saisies-réelles, on m'a pareillement admis à la preuve.
Les enquêtes ont été faites. Celle de Me. ..... est composée de ses Clercs, témoins certainement reprochables, de cette dame M...., qu'il a sçu se rendre ma partie & à qui j'avois donné congé, de la demoiselle sa fille, & de sa domestique. Ces Témoins se contredisent les uns les autres. Aucun ne dépose des faits qui regardent la dame .... Un seul prétend m'avoir entendu dire, qu'elle étoit bien malheureuse d'avoir un pareil mari; mais c'étoit la plaindre, & non pas l'insulter.
C'est elle cependant, si l'on en croit Me. Gilles ...., qui fait le grand objet de cette affaire. Que je voie Madame, dit-il à qui veut l'entendre, que je la contente, qu'elle soit satisfaite; & elle sera maîtresse dans l'instant de lui imposer silence; tout sera terminé. L'unique bonne volonté de Me. .... dépend de la satisfaction que j'aurai donné à Madame. Il ne s'agit que de cela dans cette cause. Que je contente Madame. Et seroit-il rien de plus heureux pour moi? Me. Gilles ..... ne demande que cela. La transaction me seroit trop avantageuse: mais je ne l'ai pas offensée. Quelle réparation lui pourrois-je offrir qui fût du goût de Me. Gilles ...., & qu'elle avouât elle-même?
On m'a entendu le 16 Août au soir, dit la plainte de Me. Gilles ...., c'est-à-dire pour parler exactement, qu'il se plaint le 17 de ce que l'on m'a entendu la veille, c'est précisément le 16, conter avec vivacité mes aventures de voisinage; & ses Témoins déposent que c'est le 15. Est-il donc permis de varier sur de pareilles époques?
J'ai parlé vivement de mes aventures avec lui; & quel héros de patience l'auroit pu faire avec tranquillité? Mais c'étoit chez moi que je parlois, dans l'intérieur & dans le secret de ma maison, avec mon seul ami; & que lui disois-je? Des faits vrais. Je lui détaillois une procédure honteuse, que m'avoit fait Me. Gilles .... mon Locataire, qui trouve le secret de ne me pas payer; qui me doit encore trois termes; pour qui je les ai payés; j'en ai la quittance finale; & qui dans cette position ose me donner congé à moi-même, me fait commandement de lui payer, à lui à qui il n'est rien dû, à lui qui me doit, & faute d'obéir à ce commandement, m'envoie exécuter mes meubles; en un mot qui entre chez moi le 1er. Avril, & me persécute avec fureur depuis le mois de Juillet par une procédure unique, & dont il faut faire tout l'honneur à Me. Gilles ... Il n'en avoit certainement pas vu de modele. C'est une procédure faite sous le nom d'un mineur qui a ses pere & mere, & dont il s'est rendu sans mission, sans cause, sans aveu, & avec indécence le Tuteur postiche; d'un mineur qui m'avoit prêté son nom lui-même, qui l'a déclaré dans un acte autentique pardevant Notaires le ... Septembre 1748; d'un mineur dont j'étois la caution, pour qui je devois par-conséquent, & pour qui j'ai payé; d'un mineur à qui il a offert de l'argent pour avoir le droit de me persécuter, qu'il a enlevé de chez son Procureur à cet effet, qu'il a retiré chez lui pour rendre la persécution plus certaine, qu'il a conduit aux saisies-réelles, qu'il a fait marcher à son gré pour en faire le ministre de sa mauvaise foi & de sa vengeance. Tous ces faits sont prouvés & par la procédure que je rapporte, & par les Témoins que j'ai fait entendre. M. G..., Régisseur des saisies-réelles, MM. S..., C... de la T..., & H..., Procureurs au Parlement, en déposent précisément. La preuve est complette.
Ce n'est pas dans son cabinet que Me. .... a voulu me deshonorer, c'est en public, c'est dans le Bureau des saisies-réelles, c'est dans les maisons de différens particuliers; ce n'est pas un seul jour, c'est pendant plusieurs mois. Il m'a présenté à tout le monde comme un malhonnête homme. Il a annoncé qu'il alloit me faire interdire; & j'aurois eu tort de me plaindre de lui à un ami? Je l'ai fait trop vivement: a-t-il agi avec modération? Des actions de la nature de celles dont je viens de rendre compte, peuvent-elles jamais être compensées par des discours tels qu'ils soient? Ce ne sont pas des chansons que je lui oppose; ce sont des discours graves. Ce ne sont pas des gestes inconsidérés qu'on a à lui reprocher; ce sont des faits importans. Ce n'est pas d'une vieille Domestique, âgée & sans conséquence, que je me plains; c'est d'un Procureur, d'un âge mûr, qui doit rien faire au hasard, d'un Procureur sur-tout qui a l'honneur d'être Avocat. Nos positions se trouvent-elles égales?
Et qui est-ce qui a déposé de ces vivacités dans mes discours? P., ce Clerc pupile de Me. ..? Il étoit dans son appartement. Il a tout entendu; mais il y avoit dans ce même appartement deux autres Clercs de Me. ... avec P.., & leurs dépositions se trouvent totalement différentes. Comment ces injures grossieres, dont P.... orne sa déposition, leur auroient-elles échappées? P... est-il croyable en cela? Peut-on seulement l'écouter? N'a-t-il pas joué un rôle trop considérable dans la procédure civile, pour en pouvoir soutenir un second dans la procédure criminelle? C'est la dame de M...; elle ne m'a pas encore pardonné le congé que je lui ai fait donner. Sa Domestique qu'elle a envoyé sur l'escalier pour écouter, n'a pu rien distinguer; & elle seule auroit entendu. Cela n'est pas vraisemblable. Cette affaire se résume donc en deux mots.
Je ne suis pas garant de la vieille Nanon. Elle n'est plus ma Domestique. Je ne réponds, ni ne dois répondre d'elle en aucune façon. Me. Gilles ... l'a inconsidérement maltraitée. Il auroit dû éviter avec soin que le Public fût instruit de ces trop ridicules discussions; mais ces faits me sont absolument étrangers.
Quant à Madame, je l'honore & la respecte comme je le dois. Aucune déposition ne me chargera contre elle. Je ne crains rien à cet égard. Je l'ai plaint quelquefois. Je lui rendrai toujours ce qu'elle mérite.
Il ne me reste donc que Me. Gilles .... Qu'il se fasse justice à lui-même. Qu'il se rappelle qui de nous deux a été l'agresseur, & qui de nous deux est demeuré le persécuté. Je ne me suis servi de mon bail que pour le loger à bon compte; & il n'a redoublé ses efforts pour l'avoir, qu'afin de m'ôter mon logement. J'ai payé pour lui sans lui faire aucun commandement, & il m'a accablé de procédures quoique je ne lui aie jamais rien dû. Il prétend qu'une vieille Domestique, qui ne me sert plus, lui a dit des injures dans la cour; & il n'a cessé de chercher à me deshonorer dans le Public. Qui des deux a droit d'attendre des réparations? A qui est-il dû des dommages & intérêts? Que Me. .... prononce, s'il l'ose, à la face du Public qui nous entend, & vis-à-vis le Magistrat respectable qui doit décider.
Me. MANNORY, ancien Avocat.