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Comment je suis arrivé à croire : $b confession d'un incroyant

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VII
LE PÉCHÉ ORIGINEL ET LA PRESCIENCE DIVINE

Quand ma raison, commençant à mieux se rendre compte du système du monde, fut arrivée à cette idée que ses mystères n’étaient peut-être pas aussi déraisonnables qu’ils le semblaient, mon bon sens me dit qu’en tous cas, comme ils étaient plus forts que nous, leur existence ne pouvant être niée, le plus sage était de les prendre tels qu’ils sont et de tâcher de s’accommoder avec eux.

Nous acceptons bien, puisque nos sens ne nous permettent pas d’en douter, qu’un grain de blé mis dans la terre produit un épi et qu’un chêne est le produit d’un gland.

Or, la tradition, qui est l’œil des siècles précédents, nous apprend que le genre humain vient d’un premier homme et d’une première femme créés incompréhensiblement par l’Être incompréhensible que nous appelons Dieu.

Là-dessus, la science proteste. Comme il est impossible de prouver la chose mathématiquement, elle la nie. Il est vrai qu’elle est, de son côté, impuissante à prouver le contraire — également impuissante à trouver une autre solution quelque peu acceptable.

On l’a entendue parler dans le socle de la statue de Raspail.

On a entendu aussi Férou chantant la messe devant l’Évolution.

Si le bon sens populaire comprend encore moins ces histoires que celles de la Bible, qui pourrait bien s’en étonner ?

Mais, s’il faut s’incliner devant le mystère de notre origine, celui du péché originel rapproché de la prescience divine me parut longtemps d’une gravité exceptionnelle. Outre qu’il n’est pas juste de faire porter aux enfants la faute de leurs parents, il me paraissait fort singulier que Dieu, dominant l’avenir, prévoyant, par conséquent, le péché d’Adam et d’Ève, n’eût pas agi, dans sa souveraine bonté, de façon à nous épargner cette fâcheuse éventualité. Il y a donc contradiction dans les idées qu’on se fait de Dieu. Si sa bonté n’est pas en défaut, c’est sa prescience. Il est méchant ou aveugle. Et cela me paraissait un dilemme d’où Jéhovah ne pouvait pas sortir.

Peu à peu j’ai raisonné différemment. Allant du connu à l’inconnu, et ne pouvant mettre en doute l’existence de Dieu, pas plus que l’existence du mal et de la douleur en ce pauvre monde, j’ai cherché dans l’étude de la nature humaine une explication de ce mystère du gouvernement divin, et j’ai trouvé là des lumières qui, si elles n’ont pas dissipé pour moi toutes les ténèbres, ont au moins changé l’aspect de la question et m’ont appris à la considérer avec plus de réserve.

L’essence de l’homme n’est-ce pas la volonté libre, sans laquelle il n’y a ni mérite ni démérite, ni mal ni bien ? Sans liberté d’action, que devient l’être humain ? Pourquoi et dans quel but aurait-il été mis sur la terre ? Autrement, autant vaudrait que la terre eût été peuplée d’automates. Où serait la différence essentielle entre l’homme et les animaux, si Dieu ne l’avait pas créé libre ? La liberté admise, l’homme est responsable de ses actes, et la punition du coupable — dont il est, d’ailleurs, téméraire de déterminer la mesure — est la conséquence de la justice divine qui n’exclut rien moins que la plus large miséricorde. Et c’est précisément tout cela qui constitue la révélation chrétienne, et c’est ainsi que la véritable philosophie peut se rencontrer avec la Bible.

Que si l’on ne veut voir dans la version biblique que l’expression figurée de la sagesse antique pour expliquer la présence du mal et de la douleur en ce monde, il faut convenir que, toute extraordinaire qu’elle nous paraisse, on n’en a pas encore trouvé de plus acceptable. Le mal et la douleur, en effet, sont là, et proclament plus haut que la Bible le péché originel. On peut ne pas le comprendre — on ne le comprend pas — mais on ne peut le nier, car il est sous nos yeux patent, quotidien, puisqu’on voit tous les jours les enfants profiter ou pâtir des vertus ou des fautes de leurs parents, puisque l’histoire n’est pas autre chose que le tableau successif des peuples ou des générations, récompensés ou punis, non seulement selon leurs propres mérites, mais aussi selon les mérites de leurs prédécesseurs.

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