← Retour

Comment je suis arrivé à croire : $b confession d'un incroyant

16px
100%

XII
JÉSUS-CHRIST EST-IL DIEU ?

Une pensée, déjà exprimée dans la prière Deo ignoto, devint bientôt, chez moi, l’idée dominante.

Si le Christ n’est pas Dieu, il est au moins dans la direction de Dieu.

C’est Dieu qu’on adore en lui.

On peut se tromper dans la forme ; on ne se trompe pas dans le fond, dans le but.

En nous montrant Dieu en lui, notre raison, guidée par un sentiment supérieur, ne se trompe pas.

Lors même que le Christ ne serait pas Dieu, il serait encore sage, pour ceux qui répugnent à cette hypothèse, de l’accepter comme tel.

Qui de nous, en effet, est capable de se faire une idée de Dieu, de le définir autrement que par la formule très haute, très vague, que c’est l’idéal, le résumé de toutes les perfections et de toutes les puissances, sans qu’aucune forme, aucune expression, puisse donner sa mesure ?

Notre cerveau étant incapable de le comprendre autrement, pourquoi lui refuserions-nous le droit de se montrer à nous sous une forme et dans des conditions accessibles à nos sens et à notre intelligence ?

En ajoutant à cela que le Christ représente la vie la plus pure, la morale la plus élevée, tout ce qui répond le mieux à l’idéal divin, il me sembla que je réfutais très raisonnablement toutes les objections tirées de l’invraisemblance d’un Dieu fait homme pour venir nous révéler les plus sublimes vérités.

J’ai été heureux de retrouver depuis, dans une conférence de M. Brunetière, quelques traits du travail intime qui s’était opéré dans mon esprit : « Il s’agit de savoir, dit l’éminent académicien, non pas si Jésus-Christ est Dieu, car ce mot Dieu représente un idéal de puissance et de perfection au-dessus de notre connaissance ; mais de savoir si sa morale et son œuvre sont divines, et par conséquent se rapprochent le plus de ce que signifie pour nous l’idéal divin. Cela admis, qu’on l’appelle fils de Dieu, envoyé de Dieu, ou même grand homme inspiré de Dieu, il me semble qu’il y a là une question de logomachie plutôt qu’une question de fond. Ne pouvant juger des choses divines que par les lumières que nous donnent nos sens, ou notre raison servie et aussi desservie par les sens, ne pouvant juger des choses de l’en haut que comme les poissons, par exemple, pourraient juger des choses humaines, il nous semble que ce mot de fils de Dieu — et par suite la question vitale du christianisme, l’Incarnation — n’est pas de nature à rebuter un vrai philosophe… »

Cette question de l’Incarnation me rappelle une conversation avec l’illustre traducteur d’Aristote, M. Barthélemy Saint-Hilaire, qui m’honorait de son amitié, et avec qui j’ai fait plus d’une excursion métaphysique dans les dernières années de sa vie.

La Somme de saint Thomas d’Aquin et Platon, dont il faisait à quatre-vingt-dix ans une nouvelle édition, étaient alors ses deux lectures de prédilection. Ce n’était pas un croyant, mais c’était le plus honnête des penseurs libres. Son opinion sur le catholicisme est tout entière dans ces quelques mots qu’il me disait trois ou quatre mois avant sa mort : « J’admire les catholiques ; je suis avec eux en tout, excepté sur l’Incarnation. » Je lui exposai les raisons qui pouvaient faire accepter l’Incarnation par un philosophe, raisons qu’il écouta attentivement et sans y répondre, comme s’il se réservait d’y réfléchir. A mon retour du Midi, au mois de novembre, on me dit qu’il était mort la veille ; j’assistai à ses obsèques à l’église Saint-Honoré d’Eylau, et j’appris qu’il avait exprimé dans son testament le désir que son corps y fût porté, « si M. le curé voulait bien le recevoir » ; en quoi je vis l’indice que ce grand et honnête esprit avait peut-être, depuis notre conversation, fait un pas de plus vers le but auquel devait le conduire un jour ou l’autre sa haute raison.

En jugeant des autres par moi-même et en analysant mes sentiments de l’époque où je n’admettais pas encore la divinité du Christ, je me demande si beaucoup d’incroyants de bonne foi ne sont pas la dupe d’une sorte d’illusion intellectuelle qui leur fait dire : « Je ne puis y croire », alors qu’ils veulent dire simplement : « Je ne puis le comprendre ».

Si, avec cela, disait mon vieil aumônier, comprenant la grandeur et la beauté de la religion chrétienne, ils sont véritablement animés du désir d’y croire, c’est qu’ils ont la foi sans le savoir ; Dieu ne leur en demande pas davantage. Et de là aussi cette parole si profonde que l’Église adresse aux cœurs anxieux : On croit quand on veut croire !

Et voilà par quelle série d’impressions, de raisonnements et d’aspirations au mieux, après une foule de déceptions et de mécomptes dans la forêt du doute et de l’incrédulité, j’en suis venu à penser que le plus sage était encore d’accepter la révélation chrétienne comme étant la solution la plus rationnelle des mystères du monde et la plus haute philosophie qu’aient entendue les oreilles humaines.

FIN

Chargement de la publicité...