Comment je suis arrivé à croire : $b confession d'un incroyant
II
L’IDÉE DE DIEU
Après les passions, qui, d’ailleurs, s’effaçaient soigneusement derrière des motifs plus avouables, le sentiment qui me paraît avoir joué le rôle le plus important dans cette première évolution de mes idées, est un mélange d’orgueil juvénile et d’esprit de révolte contre toute autorité : deux penchants innés dans l’homme, qui ne sont peut-être pas absolument condamnables en eux-mêmes et qui ont leur bon et leur mauvais côté, mais qui ont singulièrement besoin d’un guide ou d’un modérateur.
Notre égoïsme naturel fait de nous-même le centre de l’univers. Notre raison superbe veut que tout lui soit soumis. Nous voulons tout pénétrer. Nous croyons tout savoir, et ce n’est qu’à la longue, à force d’étude — ceux qui étudient — après beaucoup de déceptions — ce qui ne manque à personne — qu’on finit par s’apercevoir qu’on ne sait rien ou pas grand chose. Quelques-uns alors se demandent si ces traditions, ces dogmes, ces mystères, contre lesquels s’était insurgée leur intelligence, ne cachent pas un sens profond. Ce sont les plus philosophes qui en arrivent là. Les esprits bornés se buttent dans leurs négations, impuissants à en saisir davantage, se croyant cependant plus forts que les autres, tandis qu’ils font simplement preuve de leur ignorance de la nature humaine et des enseignements de l’histoire.
Avant d’arriver à ce tournant psychologique, j’étais anti-chrétien, mais non pas athée.
Ab Jove principium. En rencontrant Dieu sur son chemin, ma libre pensée ne l’avait méconnu qu’à demi.
Dans tout sujet d’étude, un esprit méthodique cherche, pour élucider la question, à l’envisager d’ensemble, à la résumer, à la synthétiser. Et c’est ainsi que j’avais admis d’abord Dieu comme l’incarnation des mystères du monde, le grand X qu’il appartient à chacun de déchiffrer selon les ressources de son intelligence. Il m’a toujours semblé que le véritable athéisme était un non sens, une impossibilité, s’appliquant à l’une ou l’autre des formes sous lesquelles notre esprit cherche à se représenter Dieu, et que l’idée même de Dieu était bien au-dessus de tout cela, puisqu’il est : en fait, le mystère lui-même qui se manifeste partout, et en esprit le résumé et la perfection de nos conceptions les plus idéales.
Les Francs-Maçons du Grand Orient ont récemment supprimé le Grand Architecte de l’Univers, ce qui était leur façon de nommer Dieu, et chacun sait que cela n’a donné, ni en France ni à l’étranger, une haute idée de leur esprit. Aux objections venues d’Angleterre et d’Amérique, ils ont répondu qu’ils avaient supprimé Dieu pour ne pas blesser les athées qui ne le comprennent pas. Mais, dans ce cas, que de suppressions à faire ! Est-ce que nous comprenons mieux la chaleur, l’électricité, la lumière, la pesanteur, que les athées ne comprennent Dieu ? — Ce sont des faits, dira-t-on, qui sont l’indice de forces inconnues. Puisqu’on ne refuse pas un nom à ces forces inconnues, n’y a-t-il pas quelque puérilité à proscrire le nom qui, au point de vue philosophique, est la synthèse de toutes les grandeurs et de toutes les forces inconnues ?
L’athéisme est une conclusion qui témoigne d’une véritable lacune morale et intellectuelle. Est-ce que personne a jamais soutenu qu’une montre pouvait exister sans un ouvrier ? Or, le monde est un immense objet d’art, plein d’obscurités sans doute, mais où éclatent, d’autre part, une harmonie et un ordre admirables, et plus difficile à construire certainement qu’une montre. Si l’on est en droit de taxer d’aveuglement et de folie celui qui dirait qu’une montre s’est fabriquée toute seule, à plus forte raison celui qui dirait la même chose du monde.
Il y a donc un ouvrier. Nous l’appelons Dieu. On peut lui donner un autre nom, mais le fond reste le même, c’est-à-dire que la montre est toujours là, témoignant par son existence de celle de l’ouvrier.
Nous ne le comprenons pas sans doute, mais quoi d’étonnant, étant donnée l’infinité de sa grandeur et de notre petitesse ! Est-ce une raison pour nier son existence, surtout quand, à chaque détour du chemin, cette redoutable entité métaphysique se dresse en face de la pauvre humanité, lui posant chaque fois des questions insolubles en dehors de l’idée divine ? Au reste, en y regardant bien, n’est pas athée qui veut ; la preuve, c’est qu’il ne faut pas presser longtemps un athée pour l’amener à émettre une idée ou un nom : Nature, Hasard, Destin ou Force des choses, qui soit en contradiction avec son prétendu athéisme, puisqu’il répond, avec plus ou moins de circonlocutions, à l’idée fondamentale que les autres se font de Dieu.
Les panthéistes qui ne veulent pas admettre un Dieu personnel et distinct de la matière et qui soutiennent que le monde a existé de toute éternité, me paraissent agrandir et compliquer le problème plutôt que le résoudre. Outre que le simple bon sens repousse leur système, on peut se demander si nous sommes plus avancés aujourd’hui que du temps de Gœthe qui disait à Eckermann : « Je n’ai pas encore rencontré une personne qui sache ce que le mot panthéisme signifie. »
De quelques distinctions et analyses subtiles qu’usent les philosophes, l’esprit humain, poussé par une curiosité invincible à remonter d’une cause à l’autre, ne peut être satisfait que lorsqu’il doit s’incliner devant une cause suprême, qu’il ne comprend pas sans doute, mais qui, sous son voile mystérieux, répond à l’idée, innée en lui, qu’il n’y a pas d’effet sans cause.
Invisible à nos sens, Dieu est indispensable à notre esprit, et la vie de l’âme ne se comprend pas plus sans lui que celle de la terre sans le soleil.
Les astronomes nous ont démontré que la terre tournait à la fois sur elle-même, ce qui fait le jour et la nuit, et autour du soleil, en lui présentant successivement ses deux hémisphères, ce qui fait l’été et l’hiver pour les diverses parties du monde.
De même Dieu est le soleil intellectuel et moral autour duquel tourne l’humanité. Notre esprit ne peut pas plus le comprendre que nos yeux ne peuvent fixer le soleil. Mais l’un et l’autre nous éblouissent de leurs rayons, et il ne faut pas chercher bien longtemps pour trouver les relations qui existent entre les révolutions humaines et les éclipses partielles ou passagères de l’idée divine sur notre planète.
Et voilà pourquoi, au plus fort de ma libre pensée, j’aurais trouvé puéril de nier Dieu.
Le grand ennemi de Dieu dans ce pauvre monde est indiqué dans la boutade d’un humouriste : Au commencement du monde, Dieu créa l’homme à son image ; mais l’homme lui a bien rendu la pareille.
Il est certain que les plus sages n’échappent pas à cet anthropomorphisme. Nous faisons toujours plus ou moins Dieu semblable à nous-mêmes ; nous lui prêtons trop facilement nos petites passions, nos petites idées, et c’est en le trouvant ainsi défiguré que les gens de petite cervelle croient pouvoir dire : Vous voyez bien : Dieu ne peut pas être ainsi, donc Dieu n’existe pas !
Rien n’est plus naturel après tout que l’anthropomorphisme, et je me demande comment on pouvait y échapper, même après les sublimes visions de la Bible ; mais il me semble que depuis l’Évangile il y a quelque chose de changé.