Comment je suis arrivé à croire : $b confession d'un incroyant
IV
L’ÉGLISE ET LES PHILOSOPHES
Une religion est donc nécessaire, et un culte extérieur en est le corollaire indispensable.
Quelle est la meilleure des religions ?
Dès le début de ma libre pensée, je me suis trouvé plein de préjugés contre la religion catholique, et c’était là, surtout, je crois, un résultat de mes lectures des soi-disant philosophes du XVIIIe siècle. Voltaire et ses compères me paraissaient alors de très puissants raisonneurs et je trouvais irréfutables la plupart des mauvaises querelles qu’ils ont faites : à la Bible, en y relevant des énormités et des contradictions que je trouve aujourd’hui fort discutables ; à l’Église, en lui imputant des crimes et des erreurs dont elle n’est pas responsable ; à la religion catholique, en la confondant sans cesse avec les abus que la pauvre humanité peut en faire et n’en a que trop souvent faits. Quelle fête pour l’orgueil et la passion débordés, de pouvoir, devant ce déluge de sarcasmes et d’attaques de tout genre, prendre en pitié les générations passées, de croire que la nouvelle philosophie avait pénétré les arcanes de l’histoire et reconnu l’origine humaine de toutes les religions !
Je n’ai compris que plus tard le peu de valeur de ce genre de critique. Il m’a paru, en y réfléchissant, que les voltairiens anciens et modernes étaient peut-être un peu trop exigeants, en voulant que Dieu, occupé à tracer aux Juifs des lois morales, s’interrompît pour leur révéler aussi tous les secrets de la nature, leur parlant un langage entièrement conforme aux données, d’ailleurs si incertaines et si variables, de la science, et qu’il leur fît, par exemple, une petite dissertation astronomique pour remplacer l’image de Josué arrêtant le soleil.
On peut en dire autant des jours de la Genèse, dans lesquels il convient de voir, non pas un traité de cosmogonie, mais un aperçu substantiel très général de la formation du monde, tel qu’il le fallait aux Juifs du temps de Moïse — aperçu, du reste, où il y a beaucoup plus à s’étonner des conformités avec la science moderne qu’on peut y voir, que des contradictions apparentes qu’on peut y découvrir.
La preuve finalement de la fragilité des polémiques voltairiennes se trouve dans le discrédit où elles sont tombées. Combien en reste-t-il qu’un vrai savant de nos jours oserait opposer à l’apologétique chrétienne ?
Ce n’est pas sans peine que j’appris à envisager de haut les traditions juives et à lire ses révélations, sans me laisser arrêter par des considérations ethniques de temps et de lieu.
Il est évident que, dans la Bible et même dans le Nouveau Testament, il y a deux parties très distinctes : l’une qui se rapporte à la vie légendaire du peuple juif, et l’autre qui est un enseignement dogmatique et moral, et qu’il n’est pas de bonne guerre de les confondre — d’autant que, pour tout ce qui concerne la morale, il n’y a pas sujet de doute, et c’était l’essentiel.
Pour tout le reste, on peut trouver que si l’inspirateur des Livres Sacrés n’a pas toujours parlé avec la précision de style d’un notaire ou d’un académicien, c’est qu’il avait peut-être ses raisons pour cela. Et l’une de ces raisons sans doute, c’est qu’il savait qu’on aurait tout autant ergoté sur sa parole, lors même qu’elle eût été plus claire, attendu qu’il est dans notre nature de tout discuter.
Des raisons plus hautes justifient Dieu du reproche qu’on lui fait implicitement de n’avoir pas usé de son omniscience pour parler aux Juifs, en d’autres termes, de ne pas nous avoir révélé d’un coup tous les secrets de l’univers. A-t-on réfléchi que par là il aurait enlevé à l’humanité la plus délicate de ses joies : celle de les découvrir successivement elle-même, outre que nous aurions perdu tout mérite à reconnaître sa grandeur et à lui rendre hommage, puisque nous n’aurions pas eu la peine de chercher ? Est-il nécessaire enfin de faire ressortir tout ce qu’il y a de présomption enfantine à vouloir imposer au grand Être des conditions qui bouleverseraient le système du monde ?
A l’obligation de parler plus clair, il faudrait ajouter celle de donner à tous la même intelligence et le même tempérament, si l’on voulait que les mêmes paroles fussent comprises par tous de la môme façon. D’une chose à l’autre, il faudrait tout changer.
C’est pourquoi les obscurités qui jadis m’offusquaient dans ces antiques traditions, produisent aujourd’hui sur moi un effet contraire, et, de même que les nuages orageux sont ordinairement la source de pluies bienfaisantes, je me demande si ce n’est pas dans leur sein que se cachent les plus hautes vérités.