Comment je suis arrivé à croire : $b confession d'un incroyant
XI
LA RÉVÉLATION CHRÉTIENNE
Voilà l’état d’âme dans lequel je suis resté bien longtemps avant d’arriver à la foi chrétienne.
J’avais beau me dire, avec Rousseau, que « l’Évangile a des caractères de vérité si grands, si frappants, si parfaitement inimitables, que l’inventeur en serait plus étonnant que le héros », mon esprit ne pouvait se décider à admettre tant de dogmes mystérieux, et notamment l’Incarnation, trouvant qu’il y avait là un bien petit moyen pour un Être aussi grand que Dieu.
Il est vrai qu’après m’être efforcé de trouver mieux, je revenais bredouille et passablement écœuré de mon voyage à travers les systèmes qu’on a essayé de mettre à la place. Peut-être aussi la violence et la mauvaise foi des attaques dirigées contre le christianisme, en me le rendant plus sympathique, ont-elles contribué à diminuer la distance qui me séparait de lui.
L’histoire m’apprit qu’il avait été dans le passé calomnié au delà de toute mesure, en même temps que le spectacle du temps présent me montrait ses ennemis d’aujourd’hui aussi intolérants qu’ont pu l’être les plus fougueux persécuteurs d’autrefois, outre que ce nouveau fanatisme est infiniment plus bête que ne semblaient le comporter les mœurs actuelles. — A preuve, la mesure du Franc-Maçon, ministre de la marine, interdisant le deuil des navires le vendredi saint, sachant bien que le moral de l’immense majorité des marins sera atteint par cette blessure faite à leur sentiment religieux — de même, d’ailleurs, que l’âme du pays tout entier est atteinte par la politique anti-religieuse que nous subissons.
Car la terre est un navire, et les marins qu’elle porte dans l’espace ont encore plus que ceux de nos mers des motifs d’adorer le suprême Inconnu et de chercher dans la foi des motifs de force et d’espérance, en attendant qu’on ait trouvé ailleurs — si cela se peut en dehors du christianisme — le mot de l’énigme, c’est-à-dire le secret de leur origine et de leur destinée. Et ceux qui prétendent réprimer en eux ce besoin naturel de respect et de foi, non seulement font preuve de présomptueuse ignorance, mais encore commettent une mauvaise action, en risquant de paralyser l’action du grand équipage de l’humanité et de lui enlever la confiance nécessaire à sa difficile navigation.
Un autre exploit de la Franc-Maçonnerie, — car c’est chez elle qu’il faut toujours chercher le dernier mot des aberrations modernes, exploit d’ailleurs particulièrement ridicule — a été de déshabiller la plus belle des vertus chrétiennes pour lui mettre des habits de garçon en la baptisant Altruisme. La Charité s’en est vengée, en continuant ses miracles de bienfaisance, tandis que le malheureux altruisme attend encore, au fond des loges, l’effet de cette mascarade réjouissante.
Étudiant le christianisme plus à fond, je vis mieux tout ce qu’il contient d’harmonie avec les lois de l’âme, de la société et de la nature. Il n’y a rien en lui, comme dit de Maistre, qui n’ait ses racines dans les dernières profondeurs du cœur humain.
Les sacrements, dans lesquels je ne voyais jadis que des pratiques superstitieuses, me frappèrent par leur intime connaissance de notre nature. N’avons-nous pas vu, l’autre jour, un journal protestant d’Allemagne, regretter que la Réforme ait aboli la confession — rappelant, sans s’en douter, le mot de Lamennais, que la confession a été créée pour empêcher le péché de pourrir au cœur de l’homme ? Et cette réforme serait probablement vite effectuée dans le protestantisme, si elle n’en impliquait une autre que les pasteurs n’accepteront jamais, c’est-à-dire le retour au célibat ecclésiastique, attendu que la qualité de confesseur et celle d’homme marié sont incompatibles.
L’Eucharistie, le plus incompréhensible des mystères, non seulement parle au cœur, mais laisse soupçonner sa compréhensibilité à chaque découverte de la science, laquelle tend de plus en plus à formuler le principe : Tout est dans tout. Si on connaissait bien à fond le mystère d’une goutte d’eau, on connaîtrait celui de l’univers.
Quand les savants disent que les ailes du cousin exécutent quinze mille battements par seconde ; qu’il faut trois millions d’atomes d’éther pour faire une molécule qui n’a pas un millimètre de long ; que ces atomes, pour produire la chaleur et la lumière, font quatre cent trente trillions d’ondulations par seconde ; que les rayons Rœntgen donnent jusqu’à deux quintilions de vibrations à la seconde et qu’il existe dans les agents de la nature des vibrations encore plus nombreuses, etc., etc., est-ce qu’ils ne présentent pas aux intelligences, même les plus cultivées, des mystères non moins inconcevables que ceux de la religion chrétienne ?
La prière chrétienne qui, je dois l’avouer, m’avait souvent ennuyé quand j’étais jeune, et dont je n’avais pas saisi plus tard la profonde philosophie, m’apparut comme un lest et une consolation ; elle nous retient dans le sentiment de notre petitesse et elle nous fait trouver un charme dans la contemplation de l’idéal divin dont elle évoque la présence et le secours. Il n’est pas besoin de formules pour la véritable prière : il suffit d’élever son âme à Dieu ; les plus courtes et les plus simples sont les meilleures. La prière produit tous les jours des miracles d’apaisement, de patience et de courage. Et comme ses effets heureux apparaissent parfois avec la dernière évidence, les rationalistes ont imaginé une explication ingénieuse : ce n’est pas d’elle que viennent les résultats merveilleux qu’on ne peut nier, c’est de l’autosuggestion. Une dame, à qui son médecin, disciple de Charcot, faisait cette réflexion, lui disait finement le lendemain : Je vais bien mieux aujourd’hui, m’étant très bien autosuggestionnée, grâce à Dieu !
Ou trouve-t-on ailleurs que dans la doctrine chrétienne les satisfactions que peuvent désirer une haute intelligence et un cœur délicat ?
Et Montesquieu, n’a-t-il pas raison de dire : « La religion chrétienne, qui ne semble avoir d’autre objet que la félicité de l’autre vie, fait encore notre bonheur en celle-ci » ?
Plus j’ai vu, plus j’ai étudié, plus il m’a paru que tous les systèmes soi-disant philosophiques ne faisaient que remplacer la révélation chrétienne par des suppositions encore plus invraisemblables, compliquant les problèmes au lieu de les résoudre, sans parler de leurs effets déplorables sur la vie individuelle et sociale.
Les Évangiles sont aussi remarquables par ce qui s’y trouve que par ce qui ne s’y trouve pas. Que l’on veuille bien songer aux démentis que l’expérience des temps et les découvertes de la science auraient pu donner à une inspiration moins éclairée que celle du Christ. Or, sa doctrine est inattaquable aujourd’hui comme il y a vingt siècles. De là à la considérer comme divine, y a-t-il bien loin ?
Si les preuves historiques de la divinité du Christ me paraissaient insuffisantes, les preuves morales m’éblouissaient.
Les philosophes de nos jours insistent, comme ceux du siècle dernier, sur les analogies que présente le christianisme avec d’autres religions plus anciennes. Tous les dogmes chrétiens, la morale chrétienne elle-même, se retrouveraient, suivant eux, dans les livres sacrés de l’Égypte, de l’Inde et de la Chine. Jésus ne serait qu’un plagiaire de Boudha ou de Confucius.
Tout cela est faux ou exagéré. La révélation chrétienne n’exclut pas la révélation naturelle qui parle à l’homme par sa raison et qui a trouvé de beaux interprètes dans les philosophes anciens et dans les fondateurs des vieilles religions, mais qui n’a pas dépassé les notions de justice, de bonté et d’humanité, tandis que la révélation chrétienne s’est élevée à une sublimité morale qu’on n’avait pas soupçonnée jusque-là :
Par le précepte de rendre le bien pour le mal ;
Par le sacrifice ;
Par la promesse de miséricordes infinies ;
Par la fusion de l’âme humaine dans l’idéal divin, contenue dans l’Eucharistie ;
Par un ensemble de sentiments et de doctrines, tellement au-dessus de l’humanité, qu’ils faisaient dire à Lamartine :
Finalement, comment ne pas être frappé de l’œuvre accomplie par le christianisme ?
Comme on reconnaît l’arbre à ses fruits, c’est à son action sur le monde qu’on doit reconnaître la vraie religion.
Et comme le christianisme seul a produit et produit tous les jours les vertus que la voix unanime des consciences proclame supérieures à l’humanité : l’humilité, la chasteté, le sacrifice ; comme il a ainsi renouvelé le monde et qu’il est impossible de nier son triomphe historique qui est un miracle autrement grand que ceux des Évangiles, il me parut qu’il n’était que juste et raisonnable de lui reconnaître un caractère supérieur au pouvoir de l’humanité.