Comment je suis arrivé à croire : $b confession d'un incroyant
VIII
L’ENFER
Ceci me conduit à la grosse question de l’Enfer. Et ici (pas plus qu’ailleurs bien entendu), je ne prétends faire de la doctrine et en savoir plus que les théologiens. Je veux simplement expliquer comment et de quelle façon ce point des enseignements chrétiens, qui me choquait si fort, est devenu pour moi explicable.
Le feu ! L’éternité des peines ! Le cœur se révolte contre ces idées.
Sur le second point, on peut remarquer que si l’éternité des peines est inscrite en principe, elle peut en fait être annulée par le repentir dont nul ne peut assigner la limite et par la relation mystérieuse entre les vivants et les morts qu’établit la prière catholique.
Sur le feu, les théologiens ne sont nullement d’accord, mais il est évident que ce mot, qui répond à une souffrance physique, alors qu’il s’agit de la punition des âmes, ne doit pas être pris au pied de la lettre. Ce qui est de foi, c’est la punition et non le feu. L’enfer peut n’être que le remords de n’avoir pas ouvert son âme à la vérité, de n’avoir pas apprécié, durant la vie humaine, la sublimité des révélations du Christ, le regret de nos fautes et la vue claire de leurs conséquences et de notre honte. Voilà sans doute ce que pensent beaucoup de théologiens, mais ce qu’ils ne se croient pas obligés de prêcher sur les toits. Il y a sur ce sujet dans L’Église et les temps présents de Mgr Bougaud, un chapitre qu’on devrait faire lire à tous les jeunes prédicateurs. Bien des gens sont incrédules parce qu’ils ne peuvent concilier l’idée de l’enfer, telle qu’elle est trop généralement présentée, avec celle de la bonté de Dieu. Ils accepteraient bien plus aisément l’enfer tel que le conçoit l’éminent prélat. Au reste, la question est fort délicate, et l’auteur en convient lui-même : « Je n’insiste pas. Il y a ici un double écueil à éviter : ou d’atténuer tellement les peines éternelles qu’elles n’effrayent plus les consciences, ou de les exagérer de manière à révolter les âmes et à les faire douter de l’enfer. »
Le même ouvrage rectifie les préjugés trop répandus sur le petit nombre des élus. Ces préjugés, accrédités par un discours de Massillon qu’on aurait dû mettre à l’Index, sont le fait d’une opinion mal éclairée bien plus que de l’Église. Le jansénisme a fait ici beaucoup de mal. Il y a beaucoup plus d’élus qu’on ne croit, et Dieu est meilleur que des excès de zèle ne le font entendre. « Nous pouvons espérer, dit le P. Faber, que Dieu ne juge pas comme les hommes et que la grande majorité des catholiques seront sauvés. » De ces paroles on peut rapprocher celle d’un des regrettés collaborateurs de cette collection, qui, après avoir parlé de l’enfer dans le même sens que nous, n’hésite pas, comme le P. Ventura et tant d’autres, à ouvrir le ciel, même aux hérétiques, aux schismatiques et aux païens qui ont été justes et de bonne foi[6].
[6] Voir le Mal, par l’abbé Constant, docteur en théologie. Bloud et Barral (collection Science et Religion).
Une autre conversation avec mon vieil aumônier me revient ici en mémoire. Ce digne prêtre était revenu de ses longues campagnes très frappé de la nécessité d’une forte discipline dans l’année. Sans doute, disait-il, il y a bien des détails des règlements dont l’infraction n’atteint pas la force de l’armée, mais si on se néglige, si on raisonne, le relâchement dans l’ensemble est à craindre, et rien de plus grave. De même, la discipline est nécessaire dans l’Église : pour les dogmes comme pour la pratique courante.
— Est-ce qu’il faut accepter le ciel et l’enfer comme on nous les dépeint ? lui dit quelqu’un.
— Comment les dépeint-on ?
L’interlocuteur peignit un ciel ou l’on s’ennuyait et un enfer où l’on rôtissait.
— Il me semble, dit l’aumônier, que ceux qui précisent et matérialisent ainsi la récompense ou la punition qui nous attendent dans l’autre vie, sont bien hardis et ne méritent ni un brevet d’invention ni un compliment sur l’originalité de leur esprit. Soyons plus humbles. Nous savons que Dieu est juste et qu’il nous récompensera ou nous punira mieux que nous ne pouvons l’imaginer. Mais n’allons pas plus loin, et, en songeant que les peintures courantes ont répondu et peuvent encore répondre à des nécessités sociales, sans être des articles de foi, ne nous prononçons sur leur sujet qu’avec réserve. L’enfer est peut-être un gendarme dont on a grossi les traits et la sévérité, mais songeons qu’en le ramenant avant l’heure à des proportions plus humaines, nous risquons d’encourager les maraudeurs.
— Enfin qu’en pensez-vous ?
— Moi, j’en pense ce qu’il me plaît dans mon for intérieur, et, bien convaincu de la bonté de Dieu autant que de sa justice, je pense avant tout que chacun ferait bien d’imiter à cet égard la prudence de l’Église.