Comment je suis arrivé à croire : $b confession d'un incroyant
COMMENT JE SUIS ARRIVÉ A CROIRE
CONFESSION D’UN INCROYANT
I
LE PREMIER DES MOBILES ANTI-CHRÉTIENS
En cherchant dans mes souvenirs la plus lointaine histoire de ma métaphysique, je trouve qu’elle a débuté par une foi simple et naïve à l’enseignement religieux que je recevais. Et je pense qu’il en a été pour tout le monde à peu près de même. La nature étant pleine de mystères dont l’existence s’impose, l’acceptation des dogmes traditionnels, qui en donnent l’explication, est beaucoup plus naturelle chez l’enfant que leur négation, car il faut à l’esprit quelque temps et quelque étude avant qu’il songe à les discuter.
Les avais-je bien examinés quand je me suis déclaré libre penseur ? Étais-je bien capable d’abord de faire cet examen ? Cela me paraît aujourd’hui plus que douteux. Le fait est que je les rejetai, agissant en cela comme le plus grand nombre, sous une influence qui n’était pas celle de l’esprit.
Quand on songe aux services qu’a rendus le christianisme à la pauvre humanité, la première pensée est de dire de lui ce qu’on a dit de Dieu lui-même que, s’il n’existait pas, il faudrait l’inventer. Et cependant il y a, il y a eu et il y aura probablement toujours dans certaines têtes une sorte de rage contre lui.
Pourquoi cela ? La cause est facile à trouver. Elle est dans l’obligation qu’il impose à l’homme de réfréner ses passions. C’est pourquoi l’homme vicieux est naturellement son ennemi comme le malfaiteur est l’ennemi du gendarme.
De même, le jeune homme, une fois émancipé, devient facilement, s’il n’a pas reçu une éducation solide, l’ennemi de la religion. Il est dominé par les sens, quand il ne l’est pas par des principes supérieurs. Il peut en être quelquefois autrement, mais c’est l’exception. Quant à moi, j’avoue très humblement qu’une des raisons qui me firent éloigner de la religion de mon enfance et chercher les moyens de lui substituer un simple déisme, c’est que je la trouvai gênante. On ne peut pas, si on accepte sa règle, se livrer à ses passions, et l’on sait à quelles passions violentes la jeunesse est en butte.
L’histoire m’a montré, depuis, dans cette même cause, le gros secret — qui n’en est pas un — des succès du protestantisme : demandez à Luther, à Henri VIII d’Angleterre et à toute la bande de moines défroqués dont le premier soin fut, sortis de leurs couvents, de chercher femme.
Sommes-nous meilleurs aujourd’hui ? L’influence de la chair sur l’esprit est-elle moindre en notre siècle de lumières ? « Ce qui est en conflit avec l’esprit chrétien, dit un économiste, c’est moins encore la science nouvelle et l’esprit moderne avec ses confuses aspirations, que les vieux instincts païens, les concupiscences de la chair et l’orgueil de la vie débridés par les siècles. L’idolâtrie de la nature, l’idolâtrie de l’homme érigé en Dieu : tel est le nouveau culte auquel semble revenir notre civilisation occidentale[1]. »
[1] Leroy-Beaulieu, Revue des Deux-Mondes, 1891, p. 812.
Les Francs-Maçons, dans lesquels on peut voir, d’ailleurs, une branche, ou plutôt une excroissance toute naturelle du protestantisme, ne cachent pas, dans leurs convents, leurs principes de morale intime. Pour eux, la morale catholique n’est qu’un mentor revêche et grognon qui refuse aux pauvres humains toute espèce de satisfactions. Pour se rendre la vie supportable, ils font de la nature leur directeur de conscience. Foin de la continence et de toute espèce de privations ! Ils veulent qu’on laisse aux passions leur cours naturel, limité seulement par l’intérêt bien entendu. Voilà la morale à laquelle l’excellent docteur Blatin, un célèbre Maçon d’Auvergne, faisait allusion récemment, quand il disait que les Maçons trouvent licites bien des choses que les catholiques trouvent illicites, et réciproquement[2].
[2] Convent maçonnique de 1895.
La sensualité et l’orgueil : voilà les deux grands ennemis du christianisme. En confessant l’influence du premier, je ne peux guère offusquer que les hypocrites. Nous retrouverons trop tôt l’influence du second.