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Contes pour lire au crépuscule

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PENSÉE, QUI MEURS…

A
Monsieur VALLERY-RADOT

Pourquoi, Monsieur, votre nom vient-il naturellement sous ma plume tandis que j’achève ces pages dont nous avons causé ensemble ? C’est moins certes à cause de l’amitié dont vous voulez bien m’honorer qu’à cause du don merveilleux de tout comprendre qui est en vous.

Tous les êtres, depuis ceux qui se survivent éternellement à eux-mêmes jusqu’à ceux qui durent un instant — le plus souvent médiocre — participent à votre intérêt de quelque manière.

Faculté précieuse, et si rare ! Car, hélas ! en ce monde nous vivons en général dans des compartiments étanches qui ne communiquent pas entre eux. Nous nous ignorons les uns les autres et nous nous méprisons à proportion. Les goûts, les sensations du marin, de l’errant sont un étonnement, parfois un scandale pour le sédentaire, pour l’homme de foyer.

Les artistes et les campagnards — surtout les chasseurs — quoique plus voisins que ne l’imaginent des esprits superficiels, demeurent aussi éloignés que s’ils habitaient des planètes différentes. Paris connaît mal la Province et la Province, Paris. Les sentiments des salons font se méprendre les gens qui n’y viennent pas ; ceux des siècles passés paraissent inouïs à nos contemporains.

Noyés les uns pour les autres dans un incroyable crépuscule, nous étouffons par suite de notre isolement ; nous en mourons. Pour un peu, j’emprunterais la parole sainte et dirais que « nous vivons comme si nous ne vivions point ».

Et c’est parce que « vous vivez » que, songeant à mon lecteur promené dans tant de scènes diverses, je pense à vous qui savez tout concevoir, et, privilège plus incomparable encore, tout aimer.

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