Contes pour lire au crépuscule
AUX FEMMES QUI ONT PASSÉ TRENTE ANS…
« Et quel plus sincère éloge puis-je faire de votre livre que de dire les rêves qu’il m’a donnés ? »
(Anatole France, Vie Littéraire.
Sur François Coppée).
Je veux dédier ce recueil de contes plutôt tristes aux femmes qui ont passé trente ans et ont aimé.
Ayant traversé déjà beaucoup de choses, probablement souffert, elles auront, j’ose du moins l’espérer, plus d’indulgence que d’autres pour ces nuances d’existence chagrines, cruelles ou tendres, pour ces sentiments dont quelques-uns seraient, au dire des gens sévères, de ceux qu’on n’avoue pas.
A trente ans, une femme possède à la fois le Passé et l’Avenir. Souvent elle a aimé. Toujours elle peut aimer encore. Et — pardon de ce mauvais conseil — aimer plus finement que jamais, aimer avec des délicatesses, des voluptés qu’elle n’aurait point connues à vingt.
Trente ans, c’est l’âge où l’on se dit : « Tout passe », phrase qui signifie : « A quoi bon ? » mais aussi : « Faisons vibrer l’instant qui meurt. »
C’est une grande maîtresse de sensualité que la Mélancolie. Aujourd’hui, d’ailleurs, chacun le sait trop.
A trente ans, une femme peut presque tout comprendre et tout rêver…
Faire rêver, un peu aux autres, beaucoup sur soi, c’est le but de ce livre. Ce devrait être le but de la plupart des livres, dits de littérature : Moins chercher à imprimer en nous les sensations des auteurs qu’en éveiller de personnelles, par une sorte d’écho sentimental, des sensations vagues, multiples, profondes, infinies.
L’art, en général, ne gagnerait-il pas à se rapprocher de la musique, à faire vibrer les natures les plus diverses par une note assez souple dont l’interprétation varierait selon les tempéraments ?
Son seul rôle — et il serait assez beau — consisterait ainsi à donner l’essor au vol des rêves vers le grand ciel où il n’y a pas de routes tracées.
Que ma lectrice rêve donc et rêve comme elle l’entendra, après avoir lu ces petites histoires !
Elles sont courtes. Mon désir est qu’elles donnent l’impression d’un choc — d’un choc de pierre dans l’eau avec des cercles d’onde qui s’élargissent. Mon seul remords est qu’elles soient tristes, C’est une conclusion de trop quand on a dit ne pas aimer les conclusions.
Aussi, je dois encore me permettre de formuler un vœu : Je souhaite que ma lectrice suive le conseil du titre et lise ces nouvelles au Crépuscule. Le Crépuscule, heure mélancolique, somptueuse comme une étoffe de Saba, possède des trésors d’enchantement, de philosophie, de douceur, où chacun peut puiser à sa guise.
Souvent, en regardant l’Occident pourpre se ternir, je pense qu’il ne faut pas trop pleurer la Mort quand la Vie fut intense et belle.
Mourir après avoir connu certains frissons c’est couronner une tâche qui n’est pas assignée à tous.
Crépuscule, confident, père, ami de tant de songes, reçois, explique, apaise ceux issus de ces contes qui seraient trop amers !
Ma lectrice, d’ailleurs — cela va sans dire — est libre de conclure tout autrement que moi ou de penser, qu’après tout, ce sont des histoires inventées.