Fer et feu au Soudan, vol. 1 of 2
CHAPITRE V.
Extension de la révolution dans le Darfour méridional.
Mon arrivée à Dara.—Troubles à Shakka.—Méfiance à l’égard de Zogal bey.—Retour à Fascher.—Mon impopularité auprès des officiers.—Troubles à Omm Shanger.—Au quartier général de Dara.—Plaisanterie de femme et ses conséquences.—La tribu des Maalia.—Le sheikh Madibbo menace Shakka.—Défaite de Mansour Hilmi.—Commencement de la lutte contre les tribus arabes du sud.—Attaque nocturne du camp de Madibbo.—Lâcheté de Mansour Hilmi.—Courageuse résistance d’Ali Agha.
Comme je l’ai dit plus haut, je m’étais rendu à Dara avec Omer woled Dorho et ses 200 chevaux et en outre une escorte de 150 cavaliers réguliers, en tout 350 hommes.
Le pays étant tranquille, un pareil déploiement de forces était absolument inutile; pourtant j’étais bien aise de montrer aux tribus arabes que nous avions assez de soldats pour parer à toute éventualité. Je fis une visite à l’endroit où était enterré le pauvre Emiliani dei Danzinger et lui fit ériger un monument funéraire. Mohammed bey Khaled, plus connu sous le nom de Zogal bey, était alors vice-gouverneur et, en cette qualité, administrait les affaires de Dara.
Les tribus des Arabes du sud, les Habania, les Risegat et les Maalia étaient prêtes à se soulever. On tenait chaque jour des assemblées et l’on y racontait que le Mahdi avait été envoyé par Dieu pour délivrer l’humanité de tous ses maux et rétablir la religion; et, que les derviches, armés de simples sabres de bois, avaient remporté d’innombrables victoires sur les troupes du Gouvernement.
Emiliani que j’avais délégué à Shakka, peu avant sa mort, fatigué de la lutte interminable qui existait entre les deux sheikhs des Risegat, Madibbo et Aagil woled el Djangaui, avait mis hors de cause les deux compétiteurs et conféré ces fonctions à Munsel qui, quelques années auparavant, avait déjà été grand sheikh.
Madibbo blessé de cette décision, retourna dans sa tribu, chez les Aulad Mohammed, qui pendant la saison d’été se cantonnent dans leurs pâturages du Bahr el Ghazal, comme tous les autres Arabes Risegat.
C’est là que je lui écrivis en même temps qu’à Aagil, les invitant à surveiller leurs hommes et à tenir la main à ce que les assemblées suspectes dont on m’avait parlé n’eussent plus lieu à l’avenir. Par la même lettre je demandais à Madibbo dont l’influence sur les Arabes était considérable de venir conférer avec moi sur ses affaires personnelles et sur celle de sa tribu.
Ces lettres étaient en route quand j’appris que les Arabes de Shakka se montraient de plus en plus menaçants et que les 40 soldats envoyés par Emiliani à Shakka et qui devaient servir à aider le grand sheikh dans la perception du tribut avaient été forcés de battre en retraite.
Je fis partir aussitôt pour Shakka 250 hommes d’infanterie régulière, 100 Basingers, 25 cavaliers irréguliers et Ismaïn woled Bernou, qui avait servi autrefois d’intermédiaire entre Gessi et Soliman Zobeïr, avec ses gens (environ 40 serviteurs armés). Le commandant de l’expédition, Mansour effendi Hilmi, avait ordre de pacifier la région.
En outre, le sultan Abaker el Begaoui recevait l’ordre de se joindre à l’expédition; il connaissait, en effet, à fond le pays des Risegat et était un serviteur du Gouvernement.
J’invitai Mansour effendi à user envers les Arabes de douceur et de prudence, autant que le permettrait la dignité du Gouvernement; mais, s’il était nécessaire, il devait agir avec vigueur. Pour moi, je retournai à Fascher, après le départ de l’expédition, afin d’y rassembler pendant qu’il était temps encore, les soldats dispersés dans le pays pour la perception des impôts et de me tenir prêt à toute éventualité.
J’eus encore auparavant une entrevue avec Zogal bey, que j’avais appris à mieux connaître depuis mon premier séjour à Dara, où il avait été mon représentant, pendant mon absence.
D’après ce qui m’avait été rapporté, il avait avec Omer woled Dorho de fréquentes entrevues nocturnes, durant lesquelles ils s’entretenaient dans le meilleur accord du nouveau mouvement soulevé par le Mahdi; on en pouvait conclure que, si celui-ci réussissait, ils n’hésiteraient pas à se joindre à ses partisans. Ces deux personnages étaient l’un et l’autre fort riches, ce qui, joint aux fonctions qu’ils remplissaient dans le Gouvernement, leur donnait une influence énorme sur la population; aussi devais-je prendre bien garde d’éviter toute rupture avec eux aussi longtemps que cela serait possible.
Dans mon entretien avec Zogal bey je ne laissai donc rien paraître de ce que j’avais appris au sujet de ses entrevues avec Omer woled Dorho et de ce qui s’y passait. Il m’avait déjà précédemment avoué qu’il était de la tribu des Danagla à laquelle appartenait le Mahdi, et que même ils étaient cousins; je lui conseillai de ne pas se laisser influencer par ces liens de parenté, mais de rester fidèle au Gouvernement et de faire tous les efforts pour lui procurer la victoire. Je lui fis comprendre que si de simple marchand qu’il était, il avait pu parvenir à la haute position qu’il occupait, il le devait au Gouvernement actuel; jamais le Mahdi, à supposer qu’il fut un jour victorieux ne pourrait lui donner une situation équivalente. Je le mis en garde contre les succès passagers du Mahdi et contre la croyance nullement très flatteuse pour lui, que son cousin fut le véritable Mahdi. La victoire, tôt ou tard, appartiendrait finalement au Gouvernement, et lui Zogal, un fonctionnaire honoré du titre de bey aurait à payer fort cher plus tard son infidélité et sa trahison.
Il devait, avant tout, songer à ses femmes et à ses enfants, qu’il pouvait précipiter tout à coup dans la misère par une démarche irréfléchie. Ces conseils, ajoutai-je en terminant, lui étaient donnés non par son supérieur mais par un ami qui, dans une œuvre commune, l’avait toujours reconnu fidèle et dévoué.
Zogal qui paraissait touché de mes paroles me déclara que, bien que parent de l’homme qui se donnait aujourd’hui pour le Mahdi, il resterait invariablement fidèle au Gouvernement et qu’il était prêt à me donner, en toute occasion, des preuves de sa loyauté et de son attachement.
Je lui demandai si par hasard il n’avait pas déjà reçu des lettres de son cousin le poussant à trahir le Gouvernement. Il répondit négativement et me montra seulement quelques circulaires appelant à la révolte et qui, expédiées par le Mahdi à différents chefs fanatiques, avaient été interceptées. Je fis comparaître le messager chargé de la distribution de ces circulaires et qui avait été arrêté; il ne put nier la mission dont on l’avait chargé, et qui constituait un crime de haute trahison; la province du Darfour étant soumise à la loi martiale, je fis fusiller l’homme sur le champ.
Le jour de mon départ, je réunis les fonctionnaires et les officiers; je les exhortai vivement à bien remplir leurs devoirs et leur fis part de mon intention de revenir prochainement de Fascher. Ayant laissé à Dara 50 des cavaliers d’Omer woled Dorho, j’arrivai après trois jours de marche à Fascher, où je fus informé de la destruction de la station télégraphique de Foga par les Arabes Hamer; en outre les environs de Omm Shanger n’étaient plus très sûrs depuis que ces bandes avaient paru dans le district.
Des paysans qui ramassaient du bois et faisaient la récolte du fourrage hors des murs de Omm Shanger, avaient été surpris par les Arabes et emmenés en esclavage.
Comme la garnison ne comptait que 60 hommes et que la ville passait pour la plus commerçante de la région, entre Fascher et El Obeïd, je craignais que les Arabes n’eussent l’intention de s’emparer de Omm Shanger même, dont ils connaissaient bien la richesse. Je donnai l’ordre aussitôt au major Husein Mahir et à Omer woled Dorho, qui étaient stationnés à Fascher, de prendre l’un 200 hommes d’infanterie, et l’autre 300 hommes de cavalerie irrégulière pour fortifier la ville et marcher contre les rebelles en prenant, si cela était possible l’offensive, en se faisant aider par les marchands qui pourraient fournir plus de 200 fusils.
Il avait été décidé que le major Husein Mahir, déjà âgé et peu apte à supporter les fatigues d’une campagne, passerait en cas d’expédition, le commandement à Omer woled Dorho et resterait lui-même pour défendre la forteresse de Omm Shanger.
Je donnai à Omer woled Dorho les instructions nécessaires à l’action qu’il devait entreprendre et insistai tout particulièrement sur ce point que j’attachais beaucoup moins d’importance au butin qu’il pourrait enlever et qui serait le partage de lui et de ses hommes qu’à la délivrance définitive de Omm Shanger et de ses environs, qu’il devait à tout prix purger des Arabes qui les infestaient. En lui promettant d’abandonner le butin à lui et à ses hommes, je voulais exciter sa cupidité et le rendre autant que possible hostile aux partisans du Mahdi, afin de rendre impossible ou du moins très difficile toute entente ultérieure entre eux.
Les communications postales étant interrompues, je ne pouvais envoyer des lettres à El Obeïd ou à Khartoum qu’en les cachant dans des bois de lances creusés ou en les cousant dans des vêtements ou des chaussures. L’envoi des munitions demandées par Abd er Rauf lorsque j’étais à Khartoum avait été retardé, grâce à la négligence habituelle des fonctionnaires.
Le convoi était arrivé seulement à El Obeïd et ne pouvait aller plus loin à travers un pays aussi troublé. Avec ce convoi se trouvait Mohammed Pacha woled Imam, le marchand le plus riche du Darfour, qui était à El Obeïd. Exilé en même temps que son frère, par Gordon Pacha, il se rallia plus tard au Mahdi.—Des 400 hommes des régiments de cavalerie irrégulière de Mohammed Agha Abou Bala que j’avais demandés et qui comprenaient en grande partie des Turcs et des Egyptiens, une centaine seulement était arrivée. Les autres étaient restés seuls à El Obeïd et je me trouvais ainsi réduit aux forces que j’avais levées dans le Darfour.
Dès le début de la campagne, j’avais établi une discipline des plus sévères; aussi le plus grand nombre des officiers ne m’aimait-il guère; ils se souciaient fort peu d’exercer leurs soldats, et cherchaient à se faire envoyer à la perception des impôts, afin de pouvoir s’y enrichir. Dans les villes où ils tenaient garnison, ils ne s’occupaient que de se construire des maisons ou de se créer des jardins, ne regardant les hommes placés sous leurs ordres que comme de simples domestiques. Naturellement, je ne pouvais permettre qu’on traitât ainsi les soldats.
De dépit, une plainte avait été envoyée au Caire, signée par la plupart des officiers, dans laquelle on me reprochait entre autres griefs d’avoir transféré sans nécessité le magasin aux poudres, de maltraiter les officiers, de soumettre à l’impôt, contre tout droit, leurs maisons et leurs jardins et d’avoir nommé inspecteur de la police (mamour es zaptieh, un des postes les plus lucratifs) non pas suivant l’usage, l’un d’entre eux, mais un officier de la cavalerie turque.
Le Gouvernement du Caire répondit que j’étais gouverneur responsable du Darfour, et libre par conséquent de diriger les affaires de ma province comme je l’entendais; mais les mécontents, bien que satisfaits en apparence, n’en cherchaient pas moins à connaître mes intentions et mes desseins.
Informé par le major Husein Mahir et Omer woled Dorho qui se trouvaient à Omm Shanger que la jonction des rebelles s’effectuait dans le voisinage de la ville, je donnai l’ordre de prendre à tout prix l’offensive.
La nouvelle m’arriva aussi de Dara que la lettre adressée par moi à Madibbo lui avait bien été remise, mais qu’il avait déclaré ne pouvoir donner suite à mes désirs, s’étant rendu auprès du Mahdi à Gebel Gedir. En outre, Aagil woled el Djangaui, qui était resté auprès de ses troupeaux au Bahr el Arab, refusa de venir à Dara.
Un certain Théran, de la tribu des Arabes Risegat et parent de Madibbo, était employé déjà par les fonctionnaires depuis longtemps à la perception du tribut et recevait pour cela du Gouvernement une petite indemnité mensuelle. Quand les hostilités éclatèrent, deux soldats qui s’étaient séparés de leurs camarades, chargés comme eux de la perception des impôts, se trouvaient par hasard seuls avec lui. Théran, qu’ils croyaient dévoué au Gouvernement dont il était l’employé depuis de longues années, tomba sur eux l’un après l’autre et les assassina; cela ne lui suffisant pas, il eut l’audace d’attaquer les troupes d’Abaker, sultan du Bégou et leur enleva leurs troupeaux. Blessé et fait prisonnier dans cette affaire, on l’envoya à Fascher avec un rapport circonstancié. Je le fis traduire aussitôt devant un conseil de guerre et, après jugement, il fut pendu sur la place du marché; il fallait faire un exemple.
Les inquiétudes les plus sérieuses étant imposées par la situation des régions du sud et du sud-ouest du Darfour où les nombreuses et belliqueuses tribus d’Arabes qui y demeuraient avaient déjà depuis longtemps pris contact avec le Mahdi, je me rendis à Dara avec 200 hommes d’infanterie régulière et 75 cavaliers (bachi-bouzouks d’Abou Bala).
A Dara j’eus les renseignements les plus détaillés sur l’expédition de Mansour effendi Hilmi. Celui-ci s’était rendu par Kallaka à Shakka et en route avait enlevé de nombreux troupeaux par surprise aux Arabes Omm Serer (de la tribu des Risegat) qui s’étaient à plusieurs reprises montrés hostiles au Gouvernement et avaient commis plusieurs actes de brigandage; Hilmi avait fait prisonniers plusieurs de leurs sheikhs. Mais ceux-ci connaissant sa cupidité, lui offrirent une partie de leur fortune; en effet, Hilmi leur accorda la liberté et leur restitua la plus grande partie de leurs troupeaux. Arrivé à Shakka, il fut attaqué par une troupe de Risegat et de Maalia, qu’il repoussa sans grandes pertes. C’est alors que malheureusement arriva Ali Agha Kanke, un oncle d’Omer woled Dorho, connu chez ses compatriotes comme l’un des hommes les plus braves du Soudan.
Mansour effendi m’affirmait que les Arabes ne pensaient absolument pas à entrer sérieusement en lutte contre le Gouvernement et étaient tous disposés à conclure la paix avec moi, si on voulait leur pardonner le passé. Ce qui les inquiétait le plus, me disait-il, c’était le meurtre du sheikh Ali woled Hægær, de la tribu des Maalia, qui m’avait accompagné dans le temps à Khartoum et qui, nommé par moi grand sheikh des Arabes Maalia du Sud, était toujours resté un serviteur fidèle du Gouvernement.
Au début des hostilités, Hægær ayant entendu parler d’une assemblée convoquée par le sheikh Risegat Belel Nagour et dans laquelle on devait appeler les habitants à la révolte, Ali woled voulut intervenir et arrêter les rebelles. Accompagné seulement de son beau-père et de quelques hommes sûrs, il se rendit au lieu indiqué et somma les assistants, parmi lesquels se trouvaient aussi quelques hommes de sa tribu, de se disperser. Les autres refusant d’obéir, on en vint à une violente querelle, qui dégénera rapidement en une lutte dans laquelle Ali woled Hægær et ses partisans eurent le dessous. Ils résistèrent, non sans peine, aux forces supérieures qui les accablaient et rentrèrent dans leur poste sans avoir pu réussir dans leur entreprise. Avant leur arrivée, la nouvelle de leur défaite et de leur déroute s’était répandue. Ali woled Hægær fut reçu par sa femme avec des chansons moqueuses. Elle chantait, en se tenant debout devant l’entrée de la zeriba: «Ragli hedlim ou aboui rabta safar yomein houma saua fil kabta» (Mon époux a des ailes aux pieds, mon père est un colis; ils ont fait tous deux ensemble un voyage de deux jours en tremblant d’angoisse). Belel Nagour réunit une partie de ses gens, auxquels se joignirent quelques Maalia et surprit la maison d’Ali woled Hægær. Ali fut averti à temps par ses amis qui lui conseillèrent de se rendre auprès de Mansour effendi, alors à Kallaka, et lui démontrèrent l’impossibilité de résister à des forces aussi considérables. Mais, profondément blessé par la chanson de sa femme, il repoussa ces conseils.
«Jamais je ne fuirai pour sauver ma vie, répondit-il à ceux qui le pressaient de partir; mieux vaut mourir que d’entendre encore une fois mon nom tourné en dérision par la bouche d’une femme!» Il resta fidèle à sa parole. Attaqué par l’ennemi, il se défendit jusqu’à ce qu’un javelot l’atteignit à la tête. Blessé à mort, il tomba en murmurant sa profession de foi: «Lâ ilaha ill Allah ou Mohammed rasul Allah»; il mourut en vrai croyant. Son beau-père tomba à ses côtés et sa femme, qui, par sa chanson moqueuse, avait été la cause de la mort de son mari et de son père, fut emmenée en captivité.
D’après l’avis de Mansour effendi, l’affaire était assez grave pour que j’intervienne directement dans l’arrangement du traité de paix; on devait aussi, à la suite d’une pareille violation de droit, établir à Shakka un poste militaire assez fort et armer la forteresse d’un ou de deux canons. Les autres parties du Darfour étant plus tranquilles, un traité de paix avec les tribus arabes pouvait, à ce qu’assurait Mansour effendi Hilmi, amener un résultat aussi prompt que favorable. Je pris la résolution de me rendre à Shakka et fis préparer une petite troupe de 150 hommes d’infanterie régulière, de 25 cavaliers et d’un canon pour m’y accompagner.
Pendant ce temps, d’autres rapports me furent adressés par le major Husein Mahir, m’annonçant qu’après avoir fortifié Omm Shanger, il avait envoyé Omer woled Dorho avec des forces suffisantes pour soumettre les Arabes Hamer révoltés. A ce rapport en était annexé un autre, écrit par Omer et relatant qu’il avait attaqué les rebelles à Esefer, où ils s’étaient concentrés, à deux jours de marche de Omm Shanger; qu’il les avait complètement défaits après un combat acharné. Ses pertes étaient insignifiantes en comparaison de celles de l’ennemi. Quoiqu’il avouât n’avoir pris que quelques chevaux, les messagers m’affirmèrent qu’il avait fait un large butin, ce qui me fit plaisir, car je savais que la cupidité seule les pousserait, lui et ses gens, à déployer toute leur énergie contre l’ennemi.
Je félicitai Omer woled Dorho de son succès et l’autorisai à disposer entièrement à son gré des chevaux dont il m’annonçait la prise dans son rapport. Mais, en même temps je lui défendis de dépasser jusqu’à nouvel ordre: Zernah à l’est et Esefer au sud; ces deux places appartenant à la province du Kordofan; je lui recommandai de remplacer les pertes qu’il avait faites par des vagabonds qu’il recruterait sur sa route. Enfin je lui fis espérer une bonne récompense de la part du Gouvernement s’il remplissait fidèlement sa mission.
Les troupes étant prêtes, je me rendis en personne de Dara à Shakka et arrivai, après deux jours de marche, à Kelekele, où Mohammed bey Abou Salama, sheikh des Maalia du nord, que Gordon Pacha en son temps avait nommé bey et qui avait toujours possédé la confiance du Gouvernement, m’attendait avec une quarantaine de Basingers armés. Par lui, nous apprîmes les dernières nouvelles sur les événements les plus récents accomplis dans le pays. La tribu des Maalia est de toutes les tribus arabes du Sud, celle dont les mœurs s’effacent le plus rapidement. Adonnés à la boisson, menant la vie la plus dissolue, les Maalia sont méprisés par les Arabes Habania, Risegat, Messeria et Hamer, qui ne boivent pas de spiritueux et tiennent encore un peu à la pureté des mœurs.
Mohammed bey Abou Salama m’accompagna avec ses Basingers armés et une cinquantaine de chevaux jusqu’à Deen, lieu de résidence de Madibbo qui y restait pendant la saison des pluies; quand j’y passai, le village était abandonné et gardé seulement par quelques esclaves, qui s’enfuirent à notre approche.
A un kilomètre et demi plus loin, je fis établir une zeriba à un endroit élevé et découvert et j’attendis les nouvelles de Mansour effendi Hilmi qui ne tardèrent pas à me parvenir.
Mansour s’était bercé de l’illusion que les Arabes désiraient réellement la paix et m’avait fait un rapport dans ce sens. Mais Madibbo, qui, comme on l’a remarqué plus haut, était allé en pèlerinage auprès du Mahdi, à son retour, avait participé lui-même à l’anéantissement de l’expédition de Youssouf el Shellali et était rentré dans sa tribu, chargé par le Mahdi de riches cadeaux, en armes, chevaux et esclaves. Le Mahdi lui avait même confié un drapeau qui serait toujours, disait-il, environné d’anges invisibles chargés de le conduire à la victoire; en outre, Madibbo avait emporté les proclamations habituelles du Mahdi, qu’il fit distribuer à profusion dans sa tribu, par les Fukahâ (pluriel de Fakîh), versés dans l’écriture. Madibbo, de retour, réunit les membres de sa tribu, et leur ayant démontré, grâce au riche butin qu’il apportait, que les troupes du Gouvernement avaient été vaincues, il les excita à s’armer pour la guerre sainte. Tous les Arabes Risegat, du sud-est au nord-ouest de Shakka, se déclarèrent prêts à se rendre à son appel; seul Aagil woled el Djangaui par haine pour Madibbo, déclara rester neutre ainsi que ses plus proches parents.
En quelques jours Madibbo réunit des forces assez importantes pour se risquer à attaquer Mansour effendi qui avait établi son camp à Mourraï, à une demi-journée de Shakka et sous la protection duquel s’étaient placés tous les marchands qui se trouvaient dans la contrée, beaucoup d’entre eux avec leurs femmes et leurs enfants.
Un vendredi matin, Madibbo parut avec son armée dans le voisinage du camp. Mansour effendi qui ne s’attendait à aucune attaque avait de son côté donné l’ordre à son lieutenant Bachit Agha d’attaquer Madibbo avec 150 hommes d’infanterie régulière, 200 Basingers, soutenus par le sultan Abaker el Begaoui et les marchands réunis sous le commandement d’Abd er Rasoul Agha qui avait rejoint le gros de la troupe à Kallaka. Mansour restait au camp avec le reste de ses hommes formant la réserve. Bachit Agha se mit immédiatement en marche et s’avança, sans faire aucune reconnaissance, vers le campement de Madibbo. Celui-ci, instruit depuis longtemps du mouvement de l’ennemi, avait habilement profité des avantages que présentait le terrain et dissimulé ses hommes dans l’herbe épaisse, derrière les arbres et dans les dépressions du sol; il tomba à l’improviste sur le flanc et le derrière des soldats qui marchaient sans défiance et succombèrent, écrasés par le nombre, sans pouvoir faire usage de leurs fusils perfectionnés; seuls, le sultan Abaker el Begaoui et Abd er Rasoul Agha réussirent, grâce à la rapidité de leurs chevaux, à se réfugier dans la forteresse auprès de Mansour effendi. Bachit Agha, avec tous ses officiers, les commandants des Basingers avec leurs hommes furent tués jusqu’au dernier. Mansour effendi, rempli d’épouvante à cette terrible nouvelle, perdit complètement la tête et ne put prendre aucune résolution.
Ismaïn woled Bernou, qui était resté dans le camp auprès de Mansour, et le sultan Abaker l’exhortèrent à se ressaisir et à ne pas s’abandonner prématurément au désespoir. Les Arabes, encouragés par leur victoire, dirigèrent aussitôt une attaque contre la forteresse, mais furent reçus par le feu bien dirigé des quelques soldats qui restaient protégés par le retranchement. Les assaillants furent obligés de battre en retraite et les assiégés reprirent courage.
Un guerrier Risegat.
Mansour effendi m’envoya pendant la nuit un exprès pour me rendre compte de la situation qu’il dépeignait sous les plus sombres couleurs, estimant, sous l’impression de la catastrophe, les ennemis bien plus nombreux qu’ils n’étaient en réalité. Je tins conseil sur la situation avec deux de mes officiers les plus capables et, comme il nous semblait réellement imprudent d’aller au secours de Mansour à Mourraï avec 150 hommes et un canon, nous décidâmes de nous rendre au camp de Mohammed bey Abou Salama, à une bonne journée de marche de là, de demander là au plus vite des renforts à Dara et ensuite, munis de fusils et des munitions nécessaires, de nous porter sur Mourraï à marches forcées.
Madibbo, qui disposait auparavant de quelques centaines de fusils et de Basingers, avait encore pris à Mansour effendi, dans cette malheureuse journée, plus de 300 fusils et des munitions considérables. Je ne disposais que de 150 hommes d’infanterie, car il ne fallait pas compter sur les Basingers d’Abou Salama. Les canons et les nombreuses caisses de munitions destinés à Mansour effendi étaient chargés sur plus de 20 chameaux. J’aurais dû pendant le combat immobiliser au moins 40 hommes pour garder ces animaux qui n’étaient pas encore habitués au feu: il ne me serait donc plus resté que 100 combattants, c’est-à-dire beaucoup trop peu pour attaquer, avec quelque chance de succès, des ennemis enivrés par leur victoire, bien armés et qui avaient pour eux le nombre.
Je fis répondre à Mansour effendi, qui avait encore assez de vivres pour patienter quelque temps comme me l’avait appris son messager, de se retrancher le mieux qu’il lui serait possible et d’attendre du secours. Comme l’attaque de l’ennemi avait été repoussée une fois déjà, on était en droit d’espérer qu’un nouvel assaut n’aurait guère plus de succès. Le messager retourna donc auprès de Mansour et le lendemain matin même, je voulais aller à Kelekele pour y attendre les renforts de Dara; à tout hasard et pour prévenir tous bruits fâcheux, j’informai Zogal que Mansour effendi avait bien éprouvé un léger échec, mais que lui-même, ainsi que la plupart de ses officiers, se portaient bien et qu’il avait heureusement repoussé une nouvelle attaque.
La veille, étaient arrivés à mon camp, à Deen, le grand sheikh des Arabes Habania, Arifi woled Ahmed, le sheikh Chamis woled Nenija et le sheikh Chader woled Girba, avec une vingtaine de chevaux; ils venaient m’assurer de leur fidélité et de leur dévouement. Le grand sheikh Arifi en particulier m’exprima son attachement d’un façon touchante; il m’affirma que lui et ses plus proches parents seraient prêts en tout temps à sceller de leur sang leur fidélité. Il a d’ailleurs tenu parole; ce fut un des rares hommes qui, dans les malheurs qui devaient survenir, resta fidèle à sa promesse jusqu’à ce que le sort le frappât à son tour.
Il m’informa que la rébellion avait de nombreux partisans à Kallaka et que la victoire remportée par Madibbo pourrait facilement y faire naître un soulèvement.
Madibbo lui-même, un des plus intelligents parmi les sheikhs arabes et qui avait en outre beaucoup appris, grâce à ses longues relations avec le Gouvernement, n’ignorait pas que je me trouvais à Deen avec des forces très faibles et résolut, en conséquence, de laisser de côté Mansour effendi, qui était presque anéanti, et de m’attaquer.
Un peu avant le coucher du soleil,—le messager envoyé à Mansour effendi n’était parti que depuis quelques heures,—nos hommes, occupés hors du camp à recueillir de l’herbe et de la paille pour les chevaux, furent surpris par les cavaliers de Madibbo qui surgirent tout à coup par centaines, à une certaine distance cependant.
Arifi woled Ahmed sella lui-même son cheval, sauta sur son dos et se planta devant moi, brandissant sa lance. «Aarifni zeen, criait-il, ana thor ed daghsch, abou gelb, ’azm—ana bi eddawer alal mot.» (Reconnais-moi bien, je suis le taureau de grand prix, ayant du cœur aux jambes, je cherche la mort). Il s’élança et quelques minutes après revint, la lance ensanglantée et ramenant un cheval tout sellé dont il s’était emparé.
Le sheikh Chamis woled Nenija engagea à son tour le combat contre l’ennemi et ramena aussi un cheval comme butin. On entendait maintenant quelques coups de feu; les cavaliers aperçus par mes hommes n’étaient que l’avant-garde des rebelles; les Basingers les suivaient.
Je fis sonner le rassemblement; les Arabes qui se trouvaient au dehors et à qui j’avais appris à reconnaître cette sonnerie, rentrèrent au camp et nous attendîmes l’attaque.
Mais le gros des forces de Madibbo n’était pas encore arrivé, sans doute; ses hommes masqués par un groupe d’arbres au nord du camp ouvrirent le feu sur nous; un de mes hommes et un cheval tombèrent blessés; je fis sortir 50 hommes du camp au pas de course afin de se porter sur le flanc du petit bois.
L’ennemi abandonna bientôt son abri en y laissant trois morts.
Le soleil s’était couché, et la nuit s’étendait autour de nous quand je fis appeler Arifi woled Ahmed, Chamis et leurs compagnons pour m’entretenir avec eux de la situation. «Nous ne pouvons maintenant nous retirer pendant la nuit, dis-je, car dans l’obscurité, les chameaux qui portent les munitions, épouvantés par les coups de feu s’enfuiraient au hasard et se trouveraient perdus pour nous. Il nous faut donc attendre le jour qui nous amènera probablement une nouvelle attaque. L’ennemi nous est de beaucoup supérieur en nombre et nous devons nous contenter de nous défendre; nous ne pourrons guère prendre l’offensive et nous ouvrir un chemin jusqu’à Dara que quand les circonstances seront tout à fait favorables. Nous n’avons donc pas pour le moment besoin de cavalerie; par conséquent, sheikh Arifi, je désire que tu nous quittes avec tes hommes.
«La nuit est sombre, la route vous est connue. Habiles cavaliers comme vous l’êtes, vous pourrez sans danger atteindre votre pays où vous me serez plus utiles qu’ici, enfermés dans un camp.»
Les sheikhs arabes avaient écouté en silence. Puis le sheikh Arifi répondit:
«Ma vie est entre les mains de Dieu et l’homme n’échappe pas à sa destinée. Si Dieu a fixé ma mort à demain, elle peut aussi bien me prendre loin d’ici, sur le chemin de mon pays, car Allah est le Tout-Puissant. Je considérerais comme une infamie de t’abandonner maintenant. Plutôt la mort qu’une vie ignominieuse, c’est mon avis. J’ai dit.»
A peine avait-il terminé que tous les Arabes Habania déclarèrent à haute voix qu’ils l’approuvaient, et ils n’en voulurent pas démordre malgré mes objections. Nous attendîmes donc le jour.
Je fis donner plus de profondeur aux petits fossés qui entouraient le camp à l’intérieur et les hommes, conscients de la gravité de la situation, travaillèrent pendant toute la nuit.
Au lever du soleil, une sentinelle avancée découvrit dans le lointain un Arabe à cheval, qui agitait au bout de sa lance un chiffon de coton blanc afin d’attirer sur lui l’attention de mes gens.
J’envoyai un homme lui dire qu’il pouvait s’approcher sans crainte et quelques minutes après il arrivait au camp: c’était le sheikh Ishaac el Ebed, de la tribu des Risegat. Il était descendu de cheval et, comme je ne voulais pas le mettre à même de se rendre compte de l’effectif de notre troupe, j’allai à sa rencontre en dehors du camp. Il me salua et me remit une lettre de Madibbo, qui dans les termes les plus extravagants me sommait de me rendre.
Madibbo rappelait la défaite de Youssouf el Shellali, à laquelle il avait assisté, ainsi que celle de Mansour effendi Hilmi et me suppliait en qualité d’ancien subordonné et de véritable ami, d’ajouter foi à ses paroles. L’homme qu’il avait visité était bien le Mahdi envoyé par Dieu même, et qui lui résistait était perdu et maudit.
Je partis d’un éclat de rire et demandai au sheikh Ishaac, une vieille connaissance, ce qu’il pensait lui-même de la chose. «Seigneur, dit-il, j’ai mangé avec toi le pain et le sel et ne te tromperai pas; tout le pays est en révolution et tout le monde dit qu’il est le véritable Mahdi; si tu es disposé à te rendre à Madibbo, tu n’as rien à craindre de nous.» «Jamais, répondis-je brièvement, je ne mettrai bas les armes devant un Arabe. Va et dis à Madibbo que je veux que mon sort se décide par les armes.»
«Seigneur, répondit Ishaac, je ne voulais pas te tromper et je t’ai dit la vérité; moi-même je ne combattrai pas contre toi, mais ma tribu ne se trouve plus entre mes mains.»
«Que tu me combattes ou non, cela m’est indifférent, car comme individu tu ne peux qu’augmenter ou diminuer d’une unité la foule de nos ennemis.»—Je me levai et lui tendis la main en signe d’adieu. «Si je suis forcé de marcher au combat contre toi, je t’avertirai auparavant,» dit-il en me serrant la main, puis il remonta sur son cheval et en quelques instants disparut à nos yeux.
Dans le camp se trouvait également un Grec du nom de Scander, qui était arrivé avec deux chameaux chargés de spiritueux et d’étoffes, dans l’espoir de faire des affaires à Shakka. De plus, Ali woled Fadhl Allah, que j’avais puni une fois, il y avait longtemps, était arrivé à mon secours la veille avec dix nègres armés afin de rentrer dans mes bonnes grâces et d’obtenir un emploi.
Tous les deux regrettaient amèrement de s’être mis sans s’en douter dans une situation si périlleuse.
Deux heures pouvaient s’être écoulées depuis le depart d’Ishaac, quand j’aperçus, au moyen de ma lunette, l’ennemi qui s’approchait. Je fis donner l’alarme et chacun se rendit à son poste. L’ennemi nous attaqua par le nord et l’ouest, points où le terrain mamelonné et couvert de bouquets d’arbres pouvait lui procurer un excellent abri. Au milieu de notre camp se trouvaient les débris d’un ancien nid de termites, qui formaient un petit monticule d’où je pouvais observer commodément la contrée environnante.
L’ennemi était arrivé à portée de fusil et les premières balles commençaient à siffler. Je fis sonner: «feu de tirailleurs» et me levant de la chaise sur laquelle j’étais assis, chaise trouvée par mes hommes à notre arrivée dans la hutte de Madibbo et apportée par eux pour mon usage, je fis quelques pas de côté afin de pouvoir mieux observer un point qui me semblait tout particulièrement intéressant. Au même instant, une balle brisa le dossier de mon siège; je ne dus mon salut qu’à cette circonstance fortuite. Bien entendu j’allai chercher un poste d’observation moins périlleux.
L’ennemi ayant pris position ouvrait contre nous un feu extrêmement violent. Mes hommes étaient bien protégés par le fossé, mais nos chevaux et nos chameaux avaient terriblement à souffrir. Comme nous aurions pu, en restant ainsi inactifs, perdre en quelques minutes tous nos animaux, je me décidai à tenter une sortie par la porte méridionale du camp avec cinquante tireurs choisis parmi les meilleurs. Décrivant au pas de course une petite courbe vers l’ouest, je réussis à prendre l’ennemi de flanc et à le maintenir entre le feu de ma petite troupe et celui du camp. Effrayé de cette attaque, l’ennemi se retira en toute hâte, non sans subir de fortes pertes. Nous l’avions repoussé, l’assaut, il est vrai, mais à quel prix? Ali woled Fadhl Allah, qui m’avait accompagné dans cette sortie, était tué; le Grec Scander qui était resté au camp, avait reçu une balle dans le dos et nous avions de plus, autant que je m’en souvienne, douze tués et plusieurs blessés. Nos chevaux et nos chameaux avaient surtout été éprouvés.
Nous nous attendions à une nouvelle attaque; ce ne fut que le soir que nous fûmes de nouveau inquiétés; nous repoussâmes l’ennemi facilement et cette fois sans grandes pertes.
Je tins conseil avec mes officiers et le sheikh Arifi. Nous tombâmes d’accord de prendre le lendemain l’offensive contre l’ennemi après l’avoir repoussé, dans le cas où nous serions de nouveau attaqués. Instruits par les dernières pertes, les soldats avaient, de leur propre mouvement, agrandi le fossé et si bien élevé le parapet, que nos animaux étaient beaucoup mieux protégés.
La plupart de nos hommes s’étaient endormis, épuisés par les fatigues de la journée, lorsque, tout à coup, une heure environ avant minuit, ils furent réveillés par une violente fusillade. L’ennemi s’était glissé jusqu’auprès de nous et tirait sans discontinuer, dans le seul but de nous empêcher de dormir et de décourager mes soldats.
La nuit était sombre et nous n’avions pas allumé de feux; les balles ne nous causaient donc aucun dommage; j’avais donné l’ordre formel à tous mes hommes de rester absolument tranquilles et de ne pas répondre au feu de l’ennemi, afin que les assaillants manquassent leur but que la lueur produite par les coups de feu aurait pu leur indiquer. Peu à peu, le feu s’éteignit et l’ennemi se retira.
J’appelai le sheikh Arifi et lui demandai de mettre à ma disposition deux de ses hommes pour reconnaître la position du camp de Madibbo, qui devait se trouver dans le voisinage. Je promis aux deux hommes qu’Arifi m’amena aussitôt une bonne récompense, leur donnai mes instructions et les engageai à se hâter le plus possible.
Deux heures après environ, ils revinrent et m’annoncèrent que Madibbo lui-même se trouvait avec ses Basingers dans son village, tandis que les Arabes en grand nombre, à l’ouest et au sud, campaient insouciants avec leurs chevaux. Ils s’étaient glissés jusqu’auprès des gens de Madibbo et les avaient entendu s’égayer de notre frayeur, à laquelle ils attribuaient notre silence pendant leur attaque.
J’attendis encore environ une demi-heure, puis je fis avancer mes 50 meilleurs tireurs auxquels j’adjoignis 20 autres soldats; je leur expliquai qu’il valait mieux d’abord attaquer le camp de Madibbo. L’ennemi était de beaucoup plus fort que nous; il était de plus bien armé, et nous aurions certainement beaucoup à souffrir si nous engagions le combat pendant le jour, en rase campagne; en tout cas, nous pouvions être bien sûrs que nos animaux de trait tomberaient tous sous les balles des ennemis. Par une attaque nocturne au contraire, et favorisés par l’insouciance des Arabes, nous pourrions peut-être réussir à les disperser et trouver ainsi le moyen d’arriver aux environs de Dara, où nous rencontrerions les renforts qui nous étaient destinés. Mon plan fut trouvé excellent et tous les officiers voulaient m’accompagner, ce qui naturellement n’était pas possible.
Je choisis deux d’entre eux et quittai le camp avec 70 hommes d’infanterie et 4 trompettes, accompagné par Arifi, qui ne voulut absolument pas rester en arrière. Guidés par les deux hommes qui avaient été en reconnaissance, nous fîmes si peu de bruit que beaucoup de nos gens ne s’aperçurent pas de notre départ. Je recommandai la plus stricte surveillance aux officiers qui restaient, surtout afin que personne ne quittât le camp après mon départ, car un des hommes de Mohammed bey Abou Salama, qui ne me paraissaient plus dignes de confiance, aurait pu avertir l’ennemi.
Nous étions tous à pied; nous marchâmes sans bruit tout d’abord dans la direction de l’est, puis nous décrivîmes une courbe et arrivâmes après une heure environ près du camp ennemi. La contrée ne nous était pas inconnue et nous avions de bons guides. Je partageai notre troupe et en donnai la moitié à Mohammed Agha Soliman, officier particulièrement brave, originaire de Bornou. Nous arrêtant à une distance de 7 à 800 pas, nous nous glissâmes auprès de l’ennemi endormi sans défiance et, dès que nous fûmes sur lui, les trompettes donnèrent le signal d’ouvrir un feu rapide. La confusion de l’ennemi, réveillé en sursaut dans la nuit sombre par le crépitement de la fusillade, fut indescriptible.
Beaucoup des Basingers de Madibbo abandonnèrent leurs fusils et prirent la fuite; les chevaux des Arabes, effrayés, rompirent leurs liens et s’enfuirent, affolés, dans la nuit; leurs maîtres les suivirent; en quelques instants, le vaste camp et les huttes de Madibbo restèrent en notre pouvoir. Dans le lointain retentissaient les cris de terreur des ennemis qui s’enfuyaient. Nous incendiâmes le camp. Notre projet avait pleinement réussi; il fallait maintenant plusieurs jours à Madibbo pour rassembler autour de lui ses troupes dispersées.
Je fis mettre aussi le feu au village et les flammes s’élançant jusqu’au ciel, éclairèrent le camp abandonné, ainsi que les morts et les agonisants. Je n’avais moi-même que deux hommes blessés de coups de lances.
Je fis jeter dans les flammes les selles de chevaux restées en grand nombre sur la place, ainsi que les vieux fusils; nous ne gardâmes qu’une quarantaine de Remington et retournâmes à notre camp où les nôtres, qui nous attendaient pleins d’anxiété, nous reçurent avec joie.
Le lendemain matin, après le lever du soleil, nous quittâmes le camp, car il nous fallait rejoindre au plus vite les renforts expédiés de Dara et délivrer Mansour effendi de sa situation difficile. A minuit, nous étions à Kelekele où j’accordai un instant de repos à mes soldats épuisés.
Mohammed Abou Salama nous avait quittés, sous prétexte d’aller porter à ses hommes l’ordre de chasser vers le nord les troupeaux laissés au pâturage sur la frontière des Risegat. Comme il n’avait pas reparu dans la matinée, je l’envoyai chercher; j’appris alors qu’il était parti avant le lever du jour dans la direction du sud avec tous ses biens et toute sa famille. Il n’y avait plus à en douter: lui aussi s’était joint aux rebelles.
Je ne recevais aucune nouvelle de Dara et cependant je ne pouvais rester indéfiniment à Kelekele avec une troupe aussi faible; je repris donc ma marche en avant et atteignis la ville le lendemain à midi.
Les renforts que j’avais demandés étaient prêts à se mettre en route; les munitions étaient suffisantes. Je résolus donc de retourner le lendemain à Shakka, après avoir donné l’ordre de remplacer par des troupes fraîches mes soldats épuisés. Le soleil n’était pas encore levé, quand arriva un message d’Ismaïn woled Bernou, m’informant qu’il se trouvait déjà, avec Mansour effendi, dans le voisinage de Dara où il arriverait le lendemain. Cette nouvelle présageait pour moi un malheur; Shakka abandonnée serait maintenant très difficilement reprise.
Lorsque dans la matinée Mansour Hilmi et Ismaïn woled Bernou fîrent leur entrée à Dara, ils n’avaient pour toute escorte que quelques-uns de leurs esclaves, épuisés, et qui menaçaient de ne plus obéir. Je fis assembler les officiers et devant ce tribunal j’invitai Mansour effendi à justifier l’abandon sans ordres de la place qu’il occupait. Il allégua une fatigue insurmontable et demanda à ne répondre que plus tard. Je me fis alors raconter les faits par Ismaïn woled Bernou.
«Nous t’avions, dit celui-ci, envoyé par un messager la nouvelle de notre malheureuse position et, instruits de ton approche, comptions sur ton secours. Quand notre messager revint nous annoncer que tu retournais à Dara, pour y prendre des renforts, et qu’il nous eût raconté en même temps avoir laissé Madibbo opérant dans ton voisinage et prêt à t’attaquer, nous perdîmes courage. Nous n’avions presque plus de vivres et il nous était impossible de nous en procurer d’autres; nous prîmes la résolution d’échapper par la fuite à notre déplorable situation.»
«Eh bien, répondis-je, où sont les chameaux, les munitions et le matériel de guerre, où sont les marchands, qui s’étaient placés sous votre protection? Vous étiez des centaines et maintenant vous voilà quinze à peine.»
«Les munitions et le matériel étaient chargés sur 16 chameaux, avec lesquels, accompagnés des marchands, nous quittâmes le camp, répliqua rapidement Mansour effendi; nous les avons perdus en route.»
«Perdus! Comment des chameaux lourdement chargés peuvent-ils se perdre au milieu d’une troupe de cavaliers et de fantassins? Il est plus probable que les animaux et leur escorte marchaient trop lentement à votre gré, et que vous avez pris les devants pour vous mettre d’abord en sûreté?»
Mansour se tut obstinément; je demandai à Ismaïn de parler.
«Il y a aujourd’hui trois jours que nous avons quitté notre camp,» répondit-il.
«Trois jours! et vous voudriez que la colonne de munitions ne fut pas restée en route! Le camp est au moins à sept journées de marche d’ici! Ismaïn, continuai-je, dis-moi exactement où et quand tu as abandonné tes hommes. Tu es fonctionnaire civil et ce n’est que sur mon ordre que tu t’es joint à l’expédition, tu n’as rien à craindre de moi.»
«Seigneur, dit-il reprenant courage, lorsqu’arriva la nouvelle que nous devions attendre ton retour de Dara, nous tînmes conseil entre nous et, comme il ne nous restait que très peu de provisions, la majorité résolut d’abandonner la position. Mansour effendi, notre chef, donna l’ordre de partir trois heures après le coucher du soleil. Les chameaux furent chargés et nous quittâmes le camp; les marchands, avec leurs femmes et leurs enfants, s’étaient joints à nous. Nous faisions beaucoup de bruit et pouvions ainsi attirer sur nous l’attention de l’ennemi. Mansour effendi m’appela auprès de lui et donna à Ali Agha Djoma, qui accompagnait le convoi de munitions avec environ 50 hommes, l’ordre de nous suivre; nous prîmes les devants. Au lever du jour, nous attendîmes; Abd er Rasoul Agha arriva seul et nous raconta qu’il s’était séparé de la caravane, pendant la nuit. Maître, il n’y a pas de cœur exempt de crainte. Le Seigneur tout-puissant et miséricordieux, qui nous a sauvés, sauvera aussi nos frères! Nous continuâmes à marcher sans arrêt. Je fais appel à ton indulgence; songe que mes frères et mes serviteurs sont tombés dans le combat et que j’ai femme et enfants.»
Mansour effendi n’avait pas ouvert la bouche et ce ne fut que sur mes instances réitérées que pour se justifier il me présenta prétextes sur prétextes. La colonne de munitions n’était pas arrivée au lieu du rendez-vous fixé en temps voulu; avec le peu de gens qu’il avait, il n’aurait pu se hasarder à faire des recherches.......
Je lui fis enlever son sabre par le plus ancien des officiers présents et le mis aux arrêts après avoir fait insérer au procès-verbal en présence des officiers, les raisons qu’il nous avait données pour se justifier.
J’envoyai des émissaires pour obtenir quelque nouvelle de la colonne de munitions et ne m’occupai momentanément que de cette affaire. Sept jours après, j’eus la joie d’apprendre que le reste de l’expédition de Mansour se trouvait à Taouescha et arriverait incessamment à Dara.
Après trois jours d’attente, le convoi de munitions avec le reste des troupes fut signalé; il se trouvait à environ une lieue de Dara; j’allai à sa rencontre et le fis conduire à la forteresse sous une escorte d’honneur composée de toute la garnison.
Les braves soldats y reçurent un logement; et pour rendre honneur à leur bravoure autant que pour donner un exemple à leurs camarades, j’élevai en grade tous les sous-officiers et nommai quinze d’entre eux qui me furent désignés par Ali Agha Djoma comme les plus braves, au grade d’officiers subalternes. Tous avaient fait preuve de courage comme le prouvait le récit d’Ali Agha; voici ce qu’il me raconta:
«Les munitions ayant été chargées sur les chameaux, nous quittâmes le camp, sur l’ordre de Mansour effendi; nous avions avec nous les marchands, dont les femmes et les enfants poussaient des cris étourdissants. Mansour effendi, très inquiet pour sa propre personne, à cause de ces cris qui pouvaient attirer l’attention de l’ennemi, nous quitta en m’ordonnant de le rejoindre le lendemain matin. Cela ne m’était guère facile avec des chameaux lourdement chargés, sur un terrain dépourvu de routes et encombré de broussailles. Je réunis à la hâte mes soldats et les Gellaba et leur dis que j’avais l’intention de me diriger vers les Gos (collines sablonneuses) des Maalia, et qu’ainsi, avec l’aide de Dieu, nous pourrions regagner notre pays. Là, la contrée, plus découverte, permet de se défendre aisément; quant aux Maalia je comptais en venir facilement à bout. Dieu soit loué!
«A la faveur des ténèbres, nous quittâmes, sans être vus ni entendus, le pays occupé par l’ennemi, et lorsque le soleil se leva, nous nous trouvions à la frontière sud-ouest des Maalia. Nous fîmes halte.
«Cependant, harcelés par la peur, nous nous remîmes bientôt en route. Les femmes les plus vigoureuses conduisaient les chameaux par la bride; les plus faibles, ainsi que les enfants, se tenaient assis sur les caisses de munitions. Nos chameaux étaient frais et dispos, car ils avaient pu longuement se reposer avant notre départ. Nous avions 100 fusils à notre disposition et nous évitions les parages habités; chacun de nous avait des vivres suffisants pour trois ou quatre jours. Comme il n’y a pas d’eau dans la région, nous étanchions notre soif, comme le font les indigènes, en buvant le jus des melons d’eau qui croissent là en abondance. Vers midi, nous fûmes attaqués par quelques cavaliers Risegat, appuyés de quelques Maalia. Avec l’aide de Dieu, qui n’abandonne jamais les croyants, nous en mîmes quelques-uns hors de combat; si bien que ces gens qui croyaient avoir beau jeu contre nous furent contraints de prendre la fuite.
«Nous ne campâmes, à part une courte halte, qu’après le coucher du soleil, et nous établîmes une petite haie d’épines, pour nous protéger pendant la nuit contre une nouvelle attaque; mais tout se passa tranquillement. De bonne heure, le lendemain, nous reprîmes notre route, harcelés encore par les ennemis; les habitants des villages voisins s’étaient joints aussi aux rebelles. Dieu nous donna la force et le courage: autant de fois nous fûmes attaqués, autant de fois nous repoussâmes l’ennemi, et enfin après une pénible marche de huit jours, nous atteignîmes Taouescha. Là, nous étions en sûreté. Les Gellaba, emmenant leurs femmes et leurs enfants, se séparèrent de nous et nous comblèrent de remerciements; pour nous, nous nous hâtions d’arriver ici. Remercions le Dieu tout-puissant, qui délivre le croyant de toute peine!»
«Moi aussi, dis-je, je remercie Dieu de ce que vous êtes sauvés. Votre position m’a causé beaucoup d’angoisse. Mais comment vont les affaires à Taouescha et comment se porte Abo bey el Bertaoui, le juge militaire?»
«Il se porte à merveille et parait toujours fidèle au Gouvernement; mais on commence déjà à ne plus lui obéir et, tôt ou tard, si des nouvelles favorables n’arrivent pas du Kordofan, il finira par se joindre aux rebelles. Pour le moment, le voisinage de la forteresse d’Omm Shanger (distante d’environ 130 kilomètres), le tient encore en bride.»
Je remerciai de sa prudence et de sa bravoure Ali Agha Djoma; c’était un indigène originaire des montagnes de Tekele mais qui avait appris son métier de soldat au Caire. Comme il n’était que lieutenant, je le promus au grade de lieutenant supérieur.
Le lendemain je fis conduire Mansour effendi Hilmi sous escorte à Fascher; car il n’y avait à Dara aucun officier qui lui fut supérieur en grade. J’envoyai mes instructions au commandant de la place, Saïd bey Djouma, lui prescrivant de traduire Hilmi en justice sous l’inculpation d’abandon de matériel. En même temps je demandai qu’on m’envoyât de Fascher 200 hommes d’infanterie, des munitions et du plomb.
Des nouvelles nous étaient parvenues dans l’intervalle. Madibbo, à la tête des Basingers qu’il avait de nouveau réunis, était retourné à Deen, où il avait fait élever de nouvelles huttes de paille pour remplacer celles que nous avions incendiées. Mohammed Abou Salama avait quitté définitivement le pays et était parti pour le Sud. Il avait eu une entrevue avec Madibbo, et tous les deux avaient conclu avec des serments solennels une alliance offensive et défensive.
Le jour de notre arrivée à Dara, j’avais envoyé à Kallaka le fidèle et brave sheikh Arifi et ses compagnons. Arifi ne voulait absolument pas me quitter et ne partit qu’après que je l’eus assuré qu’il pourrait venir à Dara avec sa famille, si sa tribu, les Habania, se révoltait, comme c’était à prévoir, contre sa volonté.
Afin de ne pas laisser s’implanter dans la population la croyance que j’assistais aux événements sans rien dire, j’envoyai le capitaine Ali effendi Ismat avec environ 180 hommes d’infanterie à Hachaba, village situé dans le pays de Mohammed Abou Salama, à deux journées au sud de Dara; il avait ordre d’y attendre que j’eusse rassemblé nos troupes.
Les nouvelles reçues d’Omer woled Dorho étaient satisfaisantes; car, partout où les rebelles se réunissaient, ils étaient battus par lui avec l’aide des marchands d’Omm Shanger. Comme il disposait de plus de 400 chevaux, il avait les mouvements plus rapides et pouvait ainsi surprendre l’ennemi; bien qu’ayant eu quelques pertes à enregistrer, il était jusqu’à présent resté toujours victorieux. Dans les districts dépendants du Kordofan l’agitation cependant ne faisait que croître et s’étendre, et il devint tout à fait impossible de rétablir le service de la poste.
Je ne pouvais qu’envoyer des messagers isolés portant de courts rapports chiffrés au Gouvernement; ces rapports toutefois, soit trahison, soit arrestation du porteur ne parvenaient que rarement à destination. Bien qu’il n’y eût maintenant rien à craindre pour Omm Shanger, j’y laissai provisoirement Omer woled Dorho; j’espérais que, si quelque jour l’on voulait pousser une pointe du Kordofan vers l’ouest, Omer pourrait de son côté s’avancer vers l’est et se réunir aux troupes du Kordofan, ce qui nous permettrait de dégager la route suivie par les courriers postaux.
Zogal bey, qui se trouvait près de moi à Dara, faisait consciencieusement son devoir et ne me donnait aucun nouveau motif de méfiance. Il était cependant presque certain qu’il avait reçu des lettres du Mahdi, son parent; mais il ne semblait pas avoir répondu à ces lettres, au moins par écrit. En tous cas il était devenu plus prudent et moi plus attentif et, je croyais n’avoir rien à craindre de lui dans l’état actuel des choses au Darfour.
Pendant mon séjour à Dara, je déployai toute mon activité à enrôler des soldats, des Basingers et à engager par des promesses les marchands et leurs serviteurs à soutenir effectivement le Gouvernement. Je nommai sandjak un ancien officier de la cavalerie irrégulière, Abd el Kadir woled Asi et plaçai sous ses ordres la cavalerie de Dara. Je lui enjoignis d’enrôler de nouveaux cavaliers, de manière à disposer au bout de quelques jours d’environ 150 chevaux. En même temps j’écrivis au sultan Abaker el Begaoui, au grand sheikh des Birket, aux Messeria et à d’autres tribus amies de se tenir prêts à me suivre à Shakka.
J’avais fait emprisonner Abd er Rasoul Agha qui, avec Mansour effendi, avait abandonné le convoi de munitions, mais je lui rendis la liberté, car j’avais besoin de gens utiles et les bonnes qualités ne lui manquaient pas. Il avait largement fait ses preuves dans les combats précédents et s’était toujours montré un guerrier sinon extraordinaire, du moins suffisant. Je lui rendis donc le commandement de ce qui lui restait à Dara de ses anciens Basingers, avec l’ordre de faire de nouvelles levées.
Je fis mettre en état les fusils qui se trouvaient dans les magasins, pour la plupart fusils à percussion à double canon, et les distribuai aux nouveaux soldats. On disposait de munitions suffisantes pour l’expédition projetée, mais les vivres laissés à Dara étaient très réduits; aussi avais-je écrit, en envoyant Mansour effendi, à Saïd bey Djouma et avais-je demandé à ce dernier de m’expédier promptement de nouvelles provisions.
Environ 15 jours après l’envoi de mes ordres à Fascher, je reçus la nouvelle que 100 hommes d’infanterie étaient en route; ils arrivèrent le lendemain. Leur capitaine, Saïd el Fouli, un brave Soudanais, m’apportait des lettres de Saïd bey Djouma. Celui-ci m’annonçait qu’il était impossible pour le moment de trouver dans le voisinage de Fascher les chameaux nécessaires pour le transport des munitions, c’est pourquoi il ne m’envoyait provisoirement que 100 hommes d’infanterie comme renfort. Les 100 autres partiraient, aussitôt qu’il aurait réuni les chameaux, et serviraient d’escorte à la colonne de munitions.
Il était à prévoir que dans ces conditions les munitions se feraient attendre encore longtemps. Mais je ne voulais pas rester davantage inactif à Dara. Je quittai donc cette ville et me rendis à Hachaba, que j’avais désigné comme lieu de rendez-vous aux tribus qui devaient m’accompagner dans l’expédition.