Histoire du Bas-Empire. Tome 03
LIVRE XVI.
I. Infortune de Varronianus. II. Valentinien est élu empereur. III. Histoire du père de Valentinien. IV. Qualités de Valentinien. V. Disgraces précédentes de Valentinien. VI. Il est proclamé par les soldats. VII. On veut le forcer à se nommer un collègue. VIII. Il résiste à la volonté des soldats. IX. Il retient Salluste dans la préfecture. X. Il prend pour collègue son frère Valens. XI. Députations des villes. XII. Sévérité excessive de Valentinien. XIII. Mouvements des Barbares. XIV. Maladie des deux princes. XV. Procédures rigoureuses contre les prétendus magiciens. XVI. Premières lois des deux princes. XVII. Division des provinces de l'empire. XVIII. Divers réglements de Valentinien. XIX. Valentinien à Milan. XX. Il donne liberté de religion. XXI. Conduite de Valentinien à l'égard des hérétiques. XXII. A l'égard de l'église catholique. XXIII. Valens à Constantinople. XXIV. Établissement des défenseurs. XXV. Tremblement de terre. XXVI. Valentinien en Gaule. XXVII. Valens apprend la révolte de Procope. XXVIII. Aventures de Procope. XXIX. Méchanceté de Pétronius beau-père de Valens. XXX. Intrigues de Procope. XXXI. Procope prend le titre d'empereur. XXXII. Il se rend maître de Constantinople. XXXIII. Artifices de Procope. XXXIV. Il donne les charges à ses partisans. XXXV. Il se prépare à la guerre. XXXVI. Valentinien apprend la révolte. XXXVII. Premiers succès de Procope. XXXVIII. Siége de Chalcédoine. XXXIX. Arinthée se fait livrer un des généraux de Procope. XL. Siége de Cyzique. XLI. Hormisdas le fils partisan de Procope. XLII. Vexations de Procope. XLIII. Il se prépare à continuer la guerre. XLIV. Naissance de Valentinien Galate. XLV. Bataille de Thyatire. XLVI. Défaite et mort de Procope. XLVII. Mort de Marcellus. XLVIII. Punition des complices de Procope. XLIX. Histoire d'Andronicus. L. Conduite de Valens à l'égard de quelques partisans de Procope. LI. Ruine des murs de Chalcédoine. LII. Siége de Philippopolis. LIII. Guerre contre les Allemans. LIV. Valentinien veut punir les fuyards. LV. Victoires de Jovinus. LVI. Suites de ses victoires. LVII. Caractère de divers magistrats de ce temps-là. LVIII. Symmaque, préfet de Rome. LIX. Lampadius. LX. Schisme d'Ursinus.
VALENTINIEN, VALENS.
An 364.
I.
Infortune de Varronianus.
Chrysost. ad Philipp. hom. 15, t. 11, p. 317 et 318.
Jovien avait régné trop peu de temps pour établir dans sa famille la succession impériale. Le consul Varronianus, encore au berceau, fut oublié aussitôt après la mort de son père. On ne se ressouvint de lui dans la suite que pour son malheur: une barbare politique lui fit crever un œil, de crainte qu'il ne fût tenté du désir de s'élever à l'empire.
II.
Valentinien est élu empereur.
Amm. l. 26, c. 1.
Zos. l. 3, c. 36.
Philost. l. 8, c. 8.
Zon. l. 13, t. 2, p. 29.
L'armée étant venue à Nicée, les officiers du premier ordre tinrent conseil pour élire un empereur: ils s'accordaient tous à chercher une sagesse consommée et un mérite reconnu. Plusieurs d'entre eux, éblouis par l'ambition, croyaient voir ces qualités en eux-mêmes. Mais, pour le bonheur de l'empire, leur amour-propre ne trouva pas assez de partisans. Selon Zosime, ce fut en cette occasion que Salluste Second eut l'honneur de refuser le diadème: il s'excusa sur sa vieillesse; et comme on lui demandait son fils, il répondit que son fils était trop jeune, et que d'ailleurs il ne le croyait pas né pour cette place éminente. Quelques-uns proposèrent Équitius, qui commandait une compagnie de la garde des empereurs[399]; d'autres Januarius, intendant des armées d'Illyrie[400]. Ils furent tous deux rejetés: le premier, comme étant d'un caractère dur et grossier; l'autre, parce qu'il était trop éloigné et trop peu connu. Mais les généraux les plus estimés, tels que Salluste Second, Victor, Arinthée, Dagalaïphe se déclarèrent hautement en faveur de Valentinien, commandant de la seconde compagnie des écuyers de la garde. Leur voix fut appuyée d'une lettre du patrice Datianus, qui avait été consul en l'année 358: c'était un vieillard d'une grande considération. La rigueur de l'hiver l'avait obligé de s'arrêter dans Ancyre, où Jovien avait aussi laissé Valentinien, avec ordre de le suivre dans peu de jours. Des suffrages d'un si grand poids entraînèrent ceux de toute l'armée. On dépêcha sur-le-champ des courriers à Valentinien, pour le prier de se rendre en diligence à Nicée. Pendant l'interrègne qui dura dix jours[401], Équitius assez généreux pour voir dans le nouveau prince, non pas un rival heureux, mais un maître légitime, travailla de concert avec Léon, trésorier des troupes[402], à maintenir l'élection, et à fixer l'inconstance naturelle des soldats. Ces deux officiers étaient compatriotes et zélés partisans de l'empereur désigné[403].
[399] Scholæ primæ scutariorum etiamtum tribunus. Amm. Marc. l. 26, c. 1.—S.-M.
[400] Curantem summitatem necessitatum castrensium per Illyricum. Ce Januarius était parent de Jovien. Joviani adfinem. Amm. Marc. l. 26, c. 1.—S.-M.
[401] Diebus decem nullus imperii tenuit gubernacula. Amm. Marc. l. 26, c. 1. Philostorge (l. 8, c. 8) dit que l'interrègne avait été de douze jours, ἡμερῶν διαγενομένων δώδεκα. Cet interrègne avait été prédit à Rome par l'aruspice Marcus, si l'on en croit Ammien Marcellin.—S.-M.
[402] Leo adhuc sub Dagalaipho magistro equitum rationes numerorum militarium tractans. Amm. Marc. l. 26, c. 1.—S.-M.
[403] Ils étaient Pannoniens comme lui, ut Pannonii fautoresque principis designati, dit Ammien Marcellin, l. 26, c. 1.—S.-M.
III.
Histoire du père de Valentinien.
Amm. l. 30, c. 7.
Vict. epit. p. 229.
Socr. l. 4, c. 1.
Till. Valentin. art. 6 et 7.
Valentinien était né à Cibalis en Pannonie. Son père Gratien, sorti de la plus basse naissance[404], s'était fait connaître dès sa première jeunesse par une force de corps extraordinaire. On dit que, portant une corde à vendre, il résista à cinq soldats qui firent de vains efforts pour l'arracher de ses mains. Cette aventure lui fit donner ensuite par plaisanterie le surnom de Cordier[405]. Ayant embrassé la profession des armes, il se distingua dans les luttes militaires par une adresse égale à sa vigueur. Sa bravoure lui mérita une place entre les gardes du prince. Il devint tribun et enfin comte d'Afrique[406]. On le soupçonna de concussion, ce qui lui fit perdre cette dignité; mais quelques années après on lui rendit le même titre, avec le commandement des troupes de la Grande-Bretagne[407]. S'étant retiré du service[408], il jouissait dans ses terres d'un repos honorable, lorsqu'il fut accusé d'avoir donné retraite à Magnence, et dépouillé d'une partie de ses biens.
[404] Natus apud Cibalas Pannoniæ oppidum Gratianus major ignobili stirpe. Amm. Marc. l. 30, c. 7.—S.-M.
[405] Funarius.—S.-M.
[406] Post dignitatem protectoris atque tribuni, Comes præfuit rei castrensi per Africam. Amm. Marcell. l. 30, c. 7.—S.-M.
[407] Pari potestate Britannum rexit exercitum. Ibid.—S.-M.
[408] Aurélius Victor prétend (epit. p. 229) que Gratien avait été préfet du prétoire. Le silence d'Ammien Marcellin fait voir que cette assertion n'est pas fondée.—S.-M.
IV.
Qualités de Valentinien.
La réputation du père ouvrit au fils la carrière des honneurs; bientôt les qualités personnelles de celui-ci lui gagnèrent l'estime des troupes. Sa taille haute et dégagée, sa force naturelle qui croissait tous les jours par l'habitude des fatigues de la guerre, l'éclat de son teint, un regard martial, des traits nobles et réguliers, lui donnaient un air tout à la fois guerrier et majestueux. A ces avantages corporels il joignait une valeur tempérée par la prudence, un zèle ardent pour la justice, un esprit fin, pénétrant, circonspect; un discernement exquis, une parfaite connaissance de tout ce qui concernait l'ordre militaire. Ses mœurs étaient réglées: il parlait peu, mais il s'exprimait avec une éloquence naturelle, pleine de force et de feu. Quoiqu'il fût grave et sérieux, il n'avait pas négligé les talents d'agrément; il écrivait avec grace, il savait même faire des vers[409]; il réussissait dans les ouvrages de plastique et de peinture; il avait du génie pour inventer de nouvelles armes[410]; dans les repas qu'il donnait, il se piquait d'élégance et de propreté plus que de magnificence. Ces bonnes qualités couvraient de grands défauts: une sévérité excessive, peu différente de la cruauté; une humeur fougueuse et prompte à s'enflammer; une économie qui approchait fort de l'avarice; trop de présomption et de confiance en ses propres lumières; une passion pour la gloire, qui le rendait jaloux des succès dont il n'avait pas l'honneur. Mais ces défauts ne se développèrent que dans l'exercice de la puissance souveraine. La grandeur d'ame semblait faire le fond de son caractère; et dans tous les emplois par lesquels il avait passé, avant que de parvenir à l'empire, il avait toujours paru supérieur à sa fortune.
[409] C'est Ausone qui nous l'apprend dans sa lettre à Paul (opera, p. 375), Sacratissimus imperator Valentinianus, dit-il, vir meo judicio eruditus; qui nuptias quondam ejusmodi ludo descripserat, aptis equidem versibus et compositione festiva. Zosime prétend au contraire (l. 3, c. 36), qu'il n'avait aucune instruction, παιδεύσεως οὐδεμιᾶς μετεσχήκει. Zosime était Grec, il veut sans doute dire que Valentinien ne savait pas bien le grec et qu'il ne connaissait pas la littérature grecque; c'était pour Zosime et pour tout autre Grec être presque un Barbare. Themistius, or. 6, p. 71, laisse entrevoir que Valentinien ne comprenait pas le grec. Il est certain que Valens ne savait pas et n'entendait pas cette langue.—S.-M.
[410] Genera vetustissimorum meminisse, nova arma meditari: fingere terra seu limo simulacra. Aur. Vict. epit. p. 230. Ammien Marcellin, l. 30, c. 9, en dit autant, scribens decorè venustèque pingens et fingens, et novorum inventor armorum.—S.-M.
V.
Disgraces précédentes de Valentinien.
Tout, jusqu'à ses disgraces, servit à son élévation. Les calomnies de Barbation l'avaient ruiné à la cour de Constance, mais elles lui avaient procuré la considération qui suit le mérite persécuté. Sa fermeté dans la religion chrétienne, en le faisant exiler sous Julien, l'avait fait estimer des chrétiens et admirer des païens même. Il était devenu cher à Jovien par le péril qu'il avait couru dans la Gaule, en s'opposant au progrès d'une rébellion naissante.
VI.
Il est proclamé par les soldats.
Amm. l. 26, c. 1 et 2.
Vict. epit. p. 229.
Idat. chron.
Chron. Alex. vel Paschal. p. 300.
Till. Valent. not. 4.
Si l'on en croit Aurélius Victor, Valentinien fit quelque difficulté d'accepter l'empire[411]. Il arriva à Nicée le 24 de février, et ne voulut pas se montrer aux troupes le lendemain. C'était, selon Ammien Marcellin, un effet de superstition; parce que ce jour était le bissexte que les Romains mettaient au nombre des jours malheureux[412]. Peut-être ce délai n'était-il qu'une suite de sa résistance. Le préfet Salluste était instruit de plusieurs sourdes intrigues; il savait que quelques-uns des généraux n'avaient consenti qu'à regret à l'élection, et qu'ils n'avaient pas renoncé au dessein de la traverser. Pour faire avorter ces projets, et prévenir les troubles qui pourraient s'élever dans l'assemblée où Valentinien devait être proclamé, Salluste, ayant réuni le soir du 25 tous les officiers d'un grade supérieur, les engagea à convenir ensemble que nul d'entre eux, sous peine de mort, ne sortirait le lendemain matin de la maison où il était logé. Ceux mêmes contre qui l'on prenait une précaution si extraordinaire, n'osèrent la contredire pour ne pas se démasquer: ils passèrent la nuit dans l'inquiétude et dans l'attente de quelque changement qui leur serait favorable. Leurs espérances s'évanouirent bientôt. Au point du jour, les troupes se rendirent dans une plaine aux portes de Nicée. Valentinien, s'étant présenté, monta avec la permission de l'assemblée sur un tribunal élevé, et fut proclamé Auguste tout d'une voix. On ceignit sa tête du diadème, on le revêtit des ornements impériaux, au bruit des acclamations réitérées. Il était âgé de quarante-trois ou quarante-quatre ans[413].
[411] Valentiniano resistenti. Aurel. Vict. epit. p. 229.—S.-M.
[412] Long-temps avant la réforme opérée dans le calendrier romain par Jules César, l'usage était établi de placer le mois intercalaire appelé mercedonius, et toutes les intercalations ordinaires on extraordinaires, après le jour du régifuge, c'est-à-dire le 23 février; par ce moyen toute intercalation se trouvait de droit incluse dans le mois de février, car lorsque toute la durée du mois intercalaire était épuisée, on recommençait à compter le mois de février. C'est pour se conformer à cet usage que Jules César, pour régulariser l'année romaine, plaça le jour d'excès qui se trouve tous les quatre ans, non pas à la fin du mois de février, mais avant le sixième des calendes de mars (24 février), et c'est de là que vient le nom de bissextil donné à ce jour.—S.-M.
[413] Cet âge porte sa naissance vers l'an 321 environ.—S.-M.
VII.
On veut le forcer à se nommer un collègue.
Amm. l. 26, c. 2.
Theod. l. 4, c. 6.
Soz. l. 6, c. 6.
Philost. l. 8, c. 8.
Il allait commencer un discours qu'il avait préparé, lorsque tout à coup un grand murmure s'éleva: tous les soldats frappent leurs boucliers; tous demandent à grands cris qu'il se nomme sur-le-champ un collègue. Quelques-uns crurent alors que cette demande était inspirée par les rivaux secrets de Valentinien, qui se ménageaient encore cette ressource. Mais le cri était trop général pour être la voix d'une cabale: c'était l'effet naturel d'une impatience militaire. Les soldats, qui avaient vu périr trois empereurs dans l'espace de deux ans et quelques mois, voulaient s'assurer contre de si fréquentes révolutions. Le bruit croissait de plus en plus, et il était à craindre que cette première agitation ne produisît un dangereux orage. Valentinien, le plus intrépide de tous les princes, sentit que de céder dès le premier pas à la volonté des soldats, c'était leur laisser reprendre l'autorité qu'ils venaient de lui conférer. Montrant donc un air assuré, après avoir imposé silence aux plus turbulents, en les traitant de séditieux, il parla en ces termes:
VIII.
Il résiste à la volonté des soldats.
«Braves défenseurs de nos provinces, vous venez de m'honorer du diadème. Je connais tout le prix de cette préférence, à laquelle je n'ai jamais aspiré. Toute mon ambition s'était bornée à me procurer la satisfaction intérieure qui couronne la vertu. Il dépendait de vous tout à l'heure de me choisir pour votre souverain; c'est à moi maintenant à décider des mesures qu'il faut prendre pour votre sûreté et votre gloire. Ce n'est pas que je refuse de partager ma puissance: je sens tout le poids de la couronne; je reconnais qu'en m'élevant sur le trône, vous n'avez pu me placer au-dessus des accidents de l'humanité. Mais votre élection ne se soutiendra qu'autant que vous me laisserez jouir des droits dont vous m'avez revêtu. J'espère que la Providence, secondant mes bonnes intentions, m'éclairera sur le choix d'un collègue digne de vous et de moi. Vous savez que, dans la vie privée, c'est une maxime de prudence, de n'adopter pour associé que celui dont on a fait une sérieuse épreuve. Combien cette précaution est-elle plus nécessaire pour le partage du pouvoir souverain, où les dangers sont si fréquents et les fautes irréparables? Reposez-vous de tout sur ma vigilance. En me donnant l'empire, vous ne vous êtes réservé que l'honneur d'une fidèle obéissance. Songez seulement à profiter du repos de l'hiver pour rétablir vos forces, et vous préparer à de nouvelles victoires.» La noble fermeté de ce discours arrêta les murmures. Il fit en même temps aux troupes les largesses que les empereurs avaient coutume de répandre à leur avénement à l'empire. Il acquit dès lors toute l'autorité, qu'aurait pu procurer un long règne soutenu avec dignité; et ces fières cohortes, qui un moment auparavant prétendaient lui commander, frappées d'une impression de respect qui dura autant que sa vie, le conduisirent au palais, au milieu de leurs aigles et de leurs enseignes, avec toutes les marques d'une entière soumission.
IX.
Il retient Salluste dans la préfecture.
Zon. l. 13, t. 2, p. 29.
Personne n'avait contribué autant que Salluste à l'élévation de l'empereur. Dès que cet ami généreux le vit assuré sur le trône, il lui demanda pour récompense de ses services la permission de se démettre de la préfecture, et de passer en repos le reste de sa vieillesse: Eh! quoi, lui répondit Valentinien, ne m'avez-vous donc chargé d'un si pesant fardeau, que pour m'en laisser accablé, sans vouloir m'aider à le soutenir? Il refusa constamment de consentir à la retraite de Salluste: heureux s'il n'eût jamais trouvé que de ces ministres qui ne se servent pas eux-mêmes en servant le prince, et qui n'aperçoivent dans leur emploi que les obligations qu'il leur impose.
X.
Il prend pour collègue son frère Valens.
Amm. l. 26, c. 4, et l. 31 c. 14.
Vict. epit. p. 229.
Themist. or. 6, p. 71 et or. 8, p. 119 et 120.
Zos. l. 4, c. 1.
Idat. chron.
Chron. Alex. vel Paschal. p. 301.
Socr. l. 4, c. 1.
Philost. l. 8, c. 8.
Till. Valent. not. 11.
Valentinien, ayant donné ordre qu'on se préparât à partir dans deux jours, assembla les principaux officiers pour les consulter sur le choix de celui qu'il devait associer à l'empire: il avait déjà pris son parti. Son frère Valens, de sept ans plus jeune que lui, avait quelques vertus de particulier, nulle qualité d'un prince. Il était chaste, fidèle et constant dans l'amitié; mais lent, paresseux, timide, avare; sans génie pour trouver par lui-même des expédients, quoiqu'il eût l'esprit assez juste pour discerner le meilleur conseil; sans usage des affaires, dont il avait une aversion naturelle; sans connaissance des lettres, ni même de l'art militaire[414]. Il parut équitable, jusqu'à ce qu'il fût le maître de commettre impunément des injustices. Il faisait consister la fermeté d'ame dans une dureté sauvage, le zèle de la justice dans une colère souvent aveugle, la douceur du caractère dans la facilité à se laisser conduire par des flatteurs. Il avait le teint basané, un œil couvert d'une cataracte, la taille médiocre, un peu trop chargée d'embonpoint, les jambes de travers. Malgré les défauts de Valens, la tendresse fraternelle l'emportait dans le cœur de Valentinien sur l'intérêt de l'état. D'ailleurs il ne craignait pas le parallèle, et il s'attendait bien à conserver la supériorité sur un tel collègue. Avant que de se déclarer, il aurait souhaité qu'on eût provoqué son choix, en lui conseillant de jeter les yeux sur Valens. C'était dans ce dessein qu'il consultait ses généraux. Cette ruse politique n'eut pas le succès qu'il espérait. Tous gardèrent un profond silence; le seul Dagalaïphe osa lui dire: Prince, si vous chérissez votre famille, vous avez un frère; si vous aimez l'état, cherchez le plus capable[415]. Cette franchise piqua vivement l'empereur; mais il sut dissimuler son chagrin, et partit pour Constantinople. En passant par Nicomédie, il donna à Valens la charge de grand-écuyer avec le titre de tribun[416]. Le 28 de mars[417], peu de jours après son arrivée à Constantinople, il assembla toutes les troupes dans la place de l'Hebdome. Ce nom veut dire septième: on l'avait donné à un bourg situé à sept milles de Constantinople vers le midi, au bord de la mer. Ce lieu était orné de beaux édifices et d'une grande place destinée aux assemblées, aux exercices des soldats, aux exécutions des criminels. Valens dès la première année de son règne, y fit élever un tribunal décoré de statues, de peintures et de degrés de porphyre. Ce fut de dessus ce tribunal que ses successeurs haranguèrent leurs troupes dans les occasions importantes; ce fut là que se fit aussi dans la suite la proclamation des empereurs. Valentinien conduisit Valens à l'Hebdome, et là il le déclara Auguste avec une approbation générale, parce qu'il eût été dangereux de paraître désapprouver son choix. L'ayant revêtu des habits impériaux et ceint du diadème, il le ramena dans son char à Constantinople. Valens répondit parfaitement aux intentions de son frère: devenu son collègue, il continua de se regarder comme son inférieur; et moins par vertu que par incapacité, il n'osa jamais lui disputer l'avantage que lui donnait le mérite[418]. Les deux empereurs prirent le nom de Flavius, attaché aux successeurs de Constantin.
[414] Subagrestis ingenii, nec bellicis, nec liberalibus studiis eruditus. Amm. Marc., l. 31, c. 14. Voyez ci-devant, p. 198, note 1, livre XVI, § 4.—S.-M.
[415] Si tuos amas, imperator optime, habes fratrem; si rempublicam, quære quem vestias. Amm. Marc. l. 26, c. 4.—S.-M.
[416] Nicomediam itineribus citis ingressus, Valentem fratrem stabulo suo cum tribunatus dignitate præfecit. Amm. Marc. l. 26, c. 4.—S.-M.
[417] Le 29 du même mois selon Idatius et la chronique d'Alexandrie.—S.-M.
[418] Quoique associé à l'empire, Valens n'était réellement, dit Ammien Marcellin, l. 26, c. 4, qu'un docile appariteur. Participem quidem legitimum potestatis, sed in modum apparitoris morigerum.—S.-M.
XI.
Députation des villes.
Eunap. in excerp. legat. p. 18.
Conc. Chalced. act. 13.
Till. Valent. art. 9, et note 12.
Lequien, Oriens Christian. t. 1, p. 640.
Ils reçurent des députés de plusieurs villes de l'empire, qui venaient, selon l'usage, leur présenter des couronnes d'or, et demander quelques graces. Valentinien leur répondit avec dignité et en peu de mots: il les renvoya pleins de respect pour sa personne et satisfaits de ses promesses. Ce fut apparemment en cette occasion que les deux empereurs voulurent honorer la ville de Nicée où Valentinien avait reçu le diadème. Ayant divisé la Bithynie en deux provinces, ils établirent Nicée métropole de la seconde; mais par un rescrit postérieur, ils déclarèrent que ce titre accordé à Nicée ne porterait aucun préjudice aux droits de Nicomédie. Les contestations qui survinrent ensuite entre les évêques de ces deux villes toujours rivales, furent jugées dans le concile de Chalcédoine: il décida que l'évêque de Nicomédie jouirait des droits de métropolitain dans les deux Bithynies; et que les changements que les princes jugeaient à propos de faire dans le gouvernement civil, ne devaient point altérer l'ordre déja établi dans l'église.
XII.
Sévérité excessive de Valentinien.
Codin. orig. Constant. p. 25 et 35.
Dans les derniers temps de l'empire grec, on voyait à Constantinople sur une arcade la statue de Valentinien, au-dessous de laquelle était un boisseau de bronze placé entre deux mains de même métal. L'inscription marquait qu'un marchand de blé ayant vendu à fausse mesure, l'empereur lui avait fait couper les deux mains. Cette histoire pourrait bien n'être qu'une fable inventée par les derniers Grecs pour l'explication du monument. Mais elle servirait du moins à montrer quelle impression on avait toujours conservée de l'extrême sévérité de Valentinien.
XIII.
Mouvements des Barbares.
Amm. l. 26, c. 4.
Cellar. geog. l. 2, c. 4, art. 70.
Ce prince, associant son frère à la puissance souveraine, avait résolu de partager le gouvernement des diverses provinces de l'empire. Les entreprises des Barbares, qui après la mort de Julien s'étaient réveillés de toutes parts, le pressaient d'exécuter ce dessein. Les Allemans ravageaient la Gaule et la Rhétie; les Sarmates et les Quades, la Pannonie; les Pictes, les Scots, et les Attacottes[419], peuple jusqu'alors inconnu, et dont il n'est plus parlé depuis ce temps-là, alarmaient la Grande-Bretagne par des courses continuelles; les Austuriens et d'autres nations Maures insultaient l'Afrique avec plus d'audace que jamais; la Thrace voyait ses campagnes pillées par différents partis de Goths. Du côté de l'Orient, le roi de Perse faisait revivre d'anciens droits sur l'Arménie: il prétendait que la mort de Jovien, avec lequel il avait traité, lui rendait la liberté de reprendre ce pays, dont les anciens rois de Perse avaient été en possession[420].
[419] Ammien Marcellin (l. 26, c. 4), y joint les Saxons. C'était une indication à ne pas négliger.—S.-M.
[420] Ces faits racontés d'une manière bien concise et assez confuse par Ammien Marcellin, se trouveront avec tous leurs développements, ci-après, liv. XVII, § 3-14.—S.-M.
XIV.
Maladie des deux princes.
Amm. l. 26, c. 4.
Zos. l. 4, c. 1.
Eunap. in Max. t. 1, p. 58 et 59 ed. Boiss.
Till. Valent. not. 13.
Une fièvre violente, survenue en même temps aux deux empereurs, les tint dans l'inaction pendant plusieurs jours[421]. La mémoire de Julien leur était odieuse: ils soupçonnèrent les amis de ce prince d'avoir employé contre eux des maléfices: ces craintes frivoles leur étaient inspirées par les favoris de la nouvelle cour, qui avaient soin de les répandre parmi le peuple de Constantinople. La prévention alla si loin, que les empereurs ordonnèrent à ce sujet des informations juridiques, dont ils chargèrent le questeur Juventius[422], et Ursacius, grand-maître des offices; celui-ci était un Dalmate dur et cruel. Valentinien en voulait surtout à Maxime, il n'avait pas oublié les mauvais services que ce philosophe fanatique lui avait rendus auprès de Julien. Maxime fut donc amené prisonnier à Constantinople, avec Priscus qui avait partagé avec lui les bonnes graces du défunt empereur. Après un sévère examen, Priscus fut reconnu innocent et renvoyé dans l'Épire sa patrie. Mais le peuple et les soldats étaient déchaînés contre Maxime. Il fut appliqué à la torture, et quoiqu'on n'eût découvert aucun indice du crime qu'on lui imputait, cependant comme on le soupçonnait d'avoir profité de sa faveur passée pour amasser de grandes richesses, on le condamna, selon Eunapius, à une amende que toute la philosophie de ce temps-là n'aurait pu acquitter. On fut obligé de la réduire à une somme modique. Pour la recueillir, on lui permit de retourner en Asie.
[421] Selon Ammien Marcellin, ils furent long-temps malades, constricti, dit-il, l. 26, c. 4, rapidis febribus imperatores ambo diu.—S.-M.
[422] Ammien Marcellin l'appelle Juventius Siscianus.—S.-M.
XV.
Procédures rigoureuses contre les prétendus magiciens.
Amm. l. 26, c. 3.
Hieron. vit. Hilarionis, t. 2, p. 22.
Cassiod. Var. l. 3, ep. 51.
Cod. Th. l. 9, tit. 16, leg. 11; l. 13, tit. 5 et 6; l. 14, tit. 2, 3, 4, 15, 17, 21, et 22; l. 15, tit. 1.
Cod. Just. l. 1, tit. 28, leg. 1.
Les prestiges de ces prétendus magiciens qui avaient peuplé la cour de Julien, avaient répandu dans tout l'empire un soupçon de sortilége. On attribuait à la magie les accidents les plus naturels. On recherchait avec empressement la connaissance d'un art si merveilleux. Apronianus, que Julien étant en Syrie avait envoyé à Rome pour y exercer la charge de préfet, ayant perdu un œil dans ce voyage, se persuada que c'était l'effet d'un maléfice. Prévenu de cette idée, il n'eut pas plus tôt appris la mort de Julien, qu'il fit une exacte recherche de tous ceux qui étaient soupçonnés de magie. Il ne manqua pas de trouver beaucoup de coupables. Il les fit arrêter et appliquer à la torture au milieu de l'amphithéâtre, à la vue du peuple toujours avide de ces spectacles cruels. Après les avoir forcés d'avouer leur crime et de révéler leurs complices, il les faisait mettre à mort. Cette sévérité, animée par la vengeance, vint à bout de purger Rome d'un grand nombre d'imposteurs ou de scélérats imbéciles, qui prenaient eux-mêmes pour des sortiléges les poisons dont ils faisaient usage. On remarqua entre les autres un cocher du cirque nommé Hilarinus, qui fut convaincu d'avoir envoyé son fils encore jeune à l'école d'un magicien, pour y apprendre le secret de vaincre ses concurrents. On était persuadé dans ce siècle, que plusieurs cochers du cirque avaient recours à la magie pour donner de la vitesse à leurs chevaux, et pour arrêter ceux de leurs adversaires. Hilarinus fut condamné à perdre la tête; et comme on le conduisait à la mort, s'étant échappé des mains des bourreaux et réfugié dans une église, il en fut tiré par force et exécuté. Cependant cet entêtement criminel ne céda pas entièrement à la rigueur des supplices. Quelques années après, on convainquit un sénateur d'avoir mis un de ses esclaves entre les mains d'un maître de magie, qui s'était chargé de l'instruire de ses secrets. Ce sénateur se garantit, à force d'argent, de la peine qu'il méritait, et il affecta même, dit Ammien Marcellin, témoin oculaire, d'insulter à ses juges par la pompe de ses équipages et par un éclat insolent et scandaleux. Au reste, Apronianus, ce juge sévère, prit de si justes mesures pour entretenir l'abondance dans Rome, que tant qu'il fut préfet, on n'entendit aucun de ces murmures si ordinaires dans cette ville séditieuse. Ce fut aussi dans la suite un des principaux soins de Valentinien. On le voit dans ses lois occupé sans cesse de la quantité et de la qualité des subsistances de Rome, et très-attentif à protéger les compagnies chargées de l'approvisionnement.
XVI.
Premières lois des deux princes.
Cic. in Verr. l. 4. c. 10.
Cod. Th. l. 8, tit. 15, leg. princeps. leg. Vim. leg. Omnis. l. 11, tit. 12, leg. 3; l. 13, tit. 1, leg. 5, 9; l. 16, tit. 2, leg. 10.
Les deux princes n'étaient pas encore rétablis de leur maladie, qu'ils commencèrent leur administration publique par deux lois très-sages. La première avait été en vigueur dans l'ancienne république: l'avarice l'avait peu à peu abolie. Ils défendirent aux officiers des magistrats d'acheter aucun fonds, ni même aucun esclave dans la province où ils étaient employés. Valentinien dans la suite comprit dans cette défense tous les biens meubles et immeubles, et il l'étendit sur les magistrats même, de quelque ordre qu'ils fussent, et sur tous ceux qui étaient chargés d'une fonction publique. Il déclara que ces ventes seraient nulles; que la chose, soit qu'elle fût demeurée au pouvoir de l'acheteur, soit qu'elle eût passé en d'autres mains à quelque titre que ce fût, serait rendue au premier vendeur, sans qu'il fût obligé de restituer l'argent qu'il en avait reçu; et que si celui-ci différait pendant cinq ans de faire ses diligences pour le recouvrement, son droit serait dévolu au fisc. Ce prince pensait, ainsi que les anciens Romains, que tout achat est un brigandage lorsque le contrat n'est pas parfaitement libre de la part du vendeur. La seconde loi tendait à préparer les fonds nécessaires pour soutenir la guerre contre tant de Barbares qui menaçaient l'empire: elle déclarait que nul négociant ne serait exempt de la taxe imposée sur ceux qui faisaient commerce par eux-mêmes ou par leurs commis; qu'il n'y aurait sur ce point aucun privilége ni pour les officiers de la maison du prince, ni pour les personnes élevées en dignité, qui devaient donner l'exemple du zèle à subvenir aux besoins de l'état, ni pour les clercs, qui font une profession particulière de contribuer au soulagement des misérables: ce sont les termes de la loi. Constance avait exempté de cet impôt les ecclésiastiques, parce que, disait-il, leur gain retournait au profit des pauvres: Valentinien tira du même principe une conséquence tout opposée; il crut que l'aumône en est plus belle quand elle prévient la misère, et que c'est un plus grand mérite de soulager ses concitoyens en partageant leur fardeau, que d'attendre à les relever lorsqu'ils en seront accablés. Il déclara même dans la suite que les exemptions de cette taxe, fondées sur des rescrits des princes précédents, seraient censées nulles, et qu'on n'y aurait aucun égard.
XVII.
Division des provinces de l'empire.
Amm. l. 26, c. 5.
Zos. l. 4, c. 2 et 3.
Theod. l. 4, c. 5.
Soz. l. 6, c. 6.
Philost. l. 8, c. 8.
Pagi, in Baron. an. 365.
Till. Valens. not. 4.
Cod. Th. l. 7, tit. 4, leg. 12; l. 10, tit. 19, leg. 7; l. 13, tit. 3, leg. 6; l. 15, tit. 1, leg. 13.
Vers la fin d'avril les empereurs partirent de Constantinople, et prirent le chemin de l'Illyrie. Ils séjournèrent à Andrinople jusqu'au milieu du mois de mai[423]. Comme ils étaient suivis de leurs troupes, Valentinien très-exact à faire observer la discipline, fut averti en approchant de Sardique, que les soldats ne se contentaient pas de l'étape, mais qu'ils exigeaient sur leur passage des contributions arbitraires. Il réforma sur-le-champ cet abus par une loi adressée à Victor, maître de la milice, et qui fut publiée par tout l'empire. Ils arrivèrent au commencement de juin à Naïssus, où ils s'arrêtèrent près d'un mois. Ce fut dans le château de Médiana, à une lieue[424] de cette ville, qu'ils firent le partage des provinces. Valentinien laissa à son frère celles qu'avait d'abord possédées Constance, c'est-à-dire, l'Égypte, toute l'Asie et la Thrace; ce qui fut appelé l'empire d'Orient. Il se réserva pour lui tout l'Occident, qui comprenait l'Illyrie dans toute son étendue, l'Italie, l'Afrique, la Gaule, l'Espagne et la Grande-Bretagne. Il y avait alors dans l'empire plusieurs habiles généraux qui s'étaient formés sous les ordres et par les exemples de Julien. Valentinien prit à son service Jovinus général des troupes de la Gaule, Dagalaïphe, général de la cavalerie, et Équitius qu'il fit commandant des troupes d'Illyrie. Il donna à Valens Victor, Arinthée, tous deux grands capitaines, et Lupicinus qu'on croit différent de celui qui avait été dans la Gaule lieutenant-général de Julien. Sérénianus, cet officier perfide, qui avait contribué à la perte de Gallus son bienfaiteur, rentra pour-lors dans le service militaire. Il s'était tenu caché sous le règne de Julien, dont il ne devait attendre que des supplices. Il n'avait d'autre mérite auprès des nouveaux maîtres de l'empire, que d'être comme eux né en Pannonie. C'en fut assez à Valens pour l'attacher à sa personne; il lui conféra la dignité de comte des domestiques. Les empereurs partagèrent aussi les troupes et les officiers du palais. Avant que de partir de Naïssus, ils songèrent à réparer le mal que Julien avait voulu faire au christianisme, en interdisant aux chrétiens l'instruction publique. Toutes les personnes que leur science, jointe à la régularité des mœurs, rendait capables d'instruire la jeunesse, eurent la permission d'ouvrir de nouvelles écoles, ou de rentrer dans celles qu'on les avait obligés de quitter. Pour arrêter les courses des Barbares, ils envoyèrent ordre à Tautomède ou Teutomer, capitaine franc, qui commandait les troupes de la Dacie, sur les bords du Danube, de réparer les tours qui servaient à couvrir de ce côté-là les frontières de l'empire, et d'en faire construire de nouvelles dans les lieux où elles seraient nécessaires: ils lui déclaraient que si le terme de son commandement expiré, il laissait ces ouvrages en mauvais état, il serait obligé de les faire rétablir à ses propres dépens. S'étant ensuite rendus à Sirmium[425], où ils passèrent six semaines, ils se séparèrent vers le milieu du mois d'août. Valentinien prit la route de Milan, et Valens celle de Constantinople. Salluste était préfet du prétoire d'Orient, Mamertinus d'Italie et d'Illyrie, et Germanianus des Gaules.
[423] Ils étaient encore dans cette ville le 13 mai; il paraît qu'ils y restèrent un peu plus long-temps que ne le pense Lebeau, puisque nous voyons par une loi que, le 24 du mois suivant, les deux empereurs n'étaient encore qu'à Philippopolis en Thrace, d'où ils se rendirent à Sardique, où ils se trouvaient le 30 juin.—S.-M.
[424] A trois milles, tertio lapide, dit Ammien Marcellin, l. 26, c. 5. Selon le même auteur, cet endroit n'était même qu'un faubourg de Naïssus, in suburbano, dit-il, quod appellatum Mediana.—S.-M.
[425] On a une loi de Valentinien, datée de cette ville, le 5 juillet.—S.-M.
XVIII.
Divers réglements de Valentinien.
Cod. Th. l. 1, tit. 7, leg. 2, 4, 5; l. 8, tit. 5, leg. 20, 21; l. 9, tit. 30, leg. 1, 2; tit. 36, leg. 15, 16; l. 11, tit. 30, leg. 33, 34; tit. 31, leg. 1; l. 12, tit. 1, leg. 57, etc. tit. 13, leg. 2, 3; l. 15, tit. 15, leg. unic.
Valentinien se proposait Constantin pour modèle. Il avait dessein de réformer le gouvernement de Julien; mais il aimait l'argent, et Julien n'avait aimé que la gloire. De plus, le trésor épuisé par la malheureuse expédition de Perse, avait besoin d'être rempli pour fournir aux dépenses des armées que les attaques des Barbares obligeaient de lever et d'entretenir. Ces raisons laissèrent à Julien l'avantage du désintéressement et de la libéralité. Ce prince avait modéré les présents que les villes de l'empire envoyaient en diverses occasions aux empereurs; il avait voulu que ces hommages fussent purement volontaires. Valentinien les exigea à titre de contributions, il n'en dispensa que les sénateurs déja chargés de taxes encore plus onéreuses. Il régla par plusieurs lois la conduite des juges et des gouverneurs; il leur enjoignit de prononcer leurs jugements en public, à portes ouvertes, parce qu'il était à craindre que dans les audiences secrètes l'intrigue ne prévalût sur la justice. Il voulut qu'ils se rendissent populaires par leur facilité à se laisser aborder, par leur désintéressement, par une équité incorruptible qui ne fît aucune acception des personnes, et non pas en donnant au peuple des fêtes et des spectacles, qui leur feraient perdre en amusements frivoles un temps et des soins qu'ils devaient à des fonctions sérieuses. Les gouverneurs en faisant la visite de leur province, prenaient leur logement dans les maisons les plus commodes et les plus délicieuses des particuliers. Valentinien défendit cet abus; il ne leur permit de loger que dans les maisons publiques qui se trouvaient sur leur passage; et il déclara que toute autre habitation, dans laquelle ils auraient été reçus, serait vendue au profit du fisc. Il leur recommanda de visiter dans leurs tournées tous les villages et toutes les métairies, et de s'informer exactement de la conduite des officiers chargés du recouvrement des deniers publics, déclarant qu'il punirait de mort ceux qui seraient convaincus d'extorsions et de vexations injustes. Ayant appris que des bandes de voleurs désolaient la Campanie, l'Apulie et les contrées voisines, il ne permit qu'à certaines personnes de monter à cheval dans ces provinces, et défendit le port des armes, à tous ceux qui n'en auraient pas obtenu la permission expresse. Il réforma plusieurs abus dans les jugements et dans l'usage de la course publique. Il fit de nouveaux réglements pour maintenir dans les villes l'ordre municipal. Pendant tout le cours de son règne, il ne perdit jamais de vue ces objets, qu'il regardait comme très-importants. Ces sages dispositions firent l'occupation de Valentinien pendant les mois de septembre et d'octobre, qu'il passa dans les villes d'Émona, aujourd'hui Laybach en Carniole, d'Aquilée, d'Altinum et de Vérone[426].
[426] Il était à Emona le 28 août. On voit par ses lois qu'il résida à Aquilée, depuis le 7 septembre jusqu'au 29. Il était à Altinum le 30 septembre, le 5 et le 8 d'octobre; il se trouvait à Vérone le 15 du même mois.—S.-M.
XIX.
Valentinien à Milan.
Amm. l. 26, c. 5.
Cod. Th. l. 11, tit. 30, leg. 32.
Grut. inser. p. 177, nº 4.
Giann. Hist. de Naples, l. 2, c. 3.
Il se rendit à Milan vers le commencement de novembre[427]. Cette ville ancienne, grande, peuplée, située dans un territoire fertile, et célèbre par ses écoles, qui dès le temps d'Antonin lui avaient mérité le nom de nouvelle Athènes[428], était alors la capitale du Vicariat d'Italie. Valentinien la choisit préférablement à la ville de Rome pour le lieu de sa résidence, tant qu'il serait dans ces contrées, parce qu'elle était placée comme au centre de son empire. A son arrivée il trouva le peuple divisé par un schisme. Ce prince, moins éclairé que zélé pour la concorde, prit d'abord le mauvais parti. Comme il s'était prescrit pour règle de ne point se mêler de disputes de religion, son histoire est presque entièrement dégagée des affaires ecclésiastiques. Pour l'en détacher tout-à-fait, je vais présenter ici sous un seul point de vue la conduite qu'il a tenue pendant tout son règne par rapport au christianisme en général, et à l'église catholique en particulier.
[427] On a des lois de Valentinien, rendues à Milan, et qu'on croit datées du 4 novembre de cette année, mais ces dates sont sujettes à beaucoup de difficultés. Quoi qu'il en soit sur ce point, il n'est pas moins certain que cet empereur était à Milan au mois de novembre; car il existe une loi de ce prince dont la date incontestable est du 25 de ce même mois.—S.-M.
[428] C'est ce qu'on apprend d'une longue inscription, insérée dans le recueil de Gruter, et datée du 3e consulat d'Antonin le Pieux, et de la 2e année de la puissance tribunitienne de ce même empereur (140 de J.-C.).—S.-M.
XX.
Il donne liberté de religion.
Amm. l. 30, c. 9.
Zos. l. 4, c. 3.
Symm. l. 10, ep. 54.
Liban. pro templis, p. 10.
Cod. Th. l. 9. tit. 16, leg. 7 et 9; l. 10, tit. 1, leg. 8; l. 12, tit. 1, leg. 60, 75; l. 13, tit. 3, leg. 7, 8; l. 16, tit. 1, leg. 1.
Valentinien était sincèrement attaché à la religion chrétienne, à laquelle il avait sous Julien sacrifié sa fortune. Mais persuadé que les consciences ne sont point du ressort de la juridiction impériale, il n'entreprit pas de les contraindre[429]; il n'étendit son pouvoir sur les affaires de religion, qu'autant que celles-ci rentraient dans l'ordre politique. D'ailleurs il se voyait à peu près dans les mêmes circonstances où Constantin s'était trouvé à son avénement à l'empire. Ce prince et ses enfants avaient travaillé, mais avec ménagement et circonspection, à la destruction de l'idolâtrie. Julien l'avait relevée de ses ruines: le règne de Jovien avait été trop court pour l'abattre de nouveau. Ainsi le paganisme, encore enivré du sang des martyrs qu'il avait fait couler pendant le règne de Julien, avait repris assez de forces pour ne pouvoir être terrassé sans de violents combats. Valentinien qui voulait maintenir la paix dans ses états, déclara dès les premiers jours de son règne, qu'il permettait à ses sujets de suivre la religion que chacun d'eux avait embrassée[430]. Les lois qui accordaient cette liberté ne sont pas venues jusqu'à nous, mais elles sont clairement rappelées dans une de celles qui nous restent de ce prince, et attestées également par les auteurs chrétiens et païens de ce temps-là. Cette tolérance n'était pas feinte et simulée comme celle de Julien. Valentinien conserva aux prêtres païens leurs anciens priviléges; il défendit de leur susciter aucun trouble; il promit même des titres honorables à ceux de leur ordre, qui se seraient acquittés de leurs fonctions avec sagesse. Il laissa subsister les droits des vestales, et l'autel de la Victoire. Il toléra les divinations qui se pratiquaient sans maléfice. Il avait d'abord défendu les sacrifices nocturnes que Julien avait rétablis; mais Prétextatus, proconsul d'Achaïe, lui ayant représenté qu'il allait jeter les Hellènes[431] dans le dernier désespoir, s'il leur ôtait la liberté de célébrer leurs mystères, l'empereur voulut bien se relâcher sur ce point, à condition que dans ces cérémonies on n'ajouterait rien aux anciens usages. Cependant Libanius nous apprend que ce prince sur la fin de son règne défendit d'immoler des animaux, et qu'il ne permit que d'offrir de l'encens. Les faveurs dont Julien avait comblé les philosophes, avaient mis cette profession fort à la mode: toutes les villes, tous les villages en avaient vu naître des essaims nombreux, qui s'étaient répandus dans tout l'empire et qui avaient infecté la cour. Le nouvel empereur leur donna ordre de retourner dans leur patrie: Il est honteux, dit-il dans sa loi, que des gens qui se vantent de soutenir les plus rudes assauts de la fortune, n'aient pas le courage de partager avec leurs citoyens le poids des charges publiques. Il excepta cependant de cette sorte de bannissement ceux qui s'étaient distingués par des vertus conformes à leur profession. Comme les chrétiens étaient en grand nombre, et qu'il était à craindre qu'ils ne se vengeassent par quelque violence des maux que les païens leur avaient fait souffrir du temps de Julien, on prenait la précaution de placer aux portes des temples une garde de soldats. Valentinien fit défense d'employer à cette faction des soldats chrétiens; ce que les magistrats, la plupart païens, surtout à Rome et dans l'Italie, affectaient de faire pour avilir la religion chrétienne. Dès le temps que les deux empereurs étaient dans le château de Médiana, ils avaient ordonné que les biens-fonds, dont Julien avait enrichi les temples, fussent appliqués au domaine impérial.
[429] Postremò hoc moderamine principatûs inclaruit, quod inter religionum diversitates medius stetit, nec quemquam inquietavit, neque ut hoc coleretur imperavit aut illud: nec interdictis minacibus subjectorum cervicem ad id quod ipse coluit, inclinabat, sed intemeratas reliquit has partes, ut reperit. Amm. Marc. l. 30, c. 9.—S.-M.
[430] Testes sunt leges a me in exordio imperii mei datæ: quibus unicuique quod animo imbibisset, colendi libera facultas tributa est. Cod. Th. lib. 9, tit. 16, leg. 9.—S.-M.
[431] C'est-à-dire les païens, ou ceux qui suivaient encore le culte des divinités mythologiques des Grecs.—S.-M.
XXI.
Conduite de Valentinien à l'égard des hérétiques.
Socr. l. 4, c. 1 et 28.
Soz. l. 6, c. 7.
Hist. misc. l. 12, p. 81. ap. Murator. t. 1.
Theoph. p. 46.
Ambr. ep. 21, t. 2, p. 860.
Cod. Th. l. 16, tit. 5, leg. 3; tit. 6, leg. 1.
Till. Valent. art. 3.
Idem. Vic de S. Hilaire, art. 16.
Fleury, Hist. Eccles. l. 16, c. 2.
Lorsque Valentinien vint à Milan, saint Hilaire qui se trouvait dans cette ville, soutenait la foi de Nicée contre l'évêque Auxentius. Le peuple était partagé. L'empereur se voyait obligé ou d'assister hors de l'église aux assemblées des catholiques, ce qui lui semblait peu convenable à la majesté impériale; ou d'ôter l'église à Auxentius contre la résolution qu'il avait prise de ne point user de violence. Élevé dans la croyance orthodoxe, il ne s'en écarta jamais; cependant son amour pour la paix en imposa pour-lors à sa religion. Trompé par une déclaration équivoque, où l'hérésie d'Auxentius était déguisée, il se joignit à la communion de cet évêque; et toujours attaché à la foi catholique, il fit sortir de Milan, saint Hilaire qui en était le plus zélé défenseur. Ce ne fut qu'à regret qu'il interposa son autorité dans cette dispute. Il avait clairement expliqué ses dispositions avant que d'arriver en Italie. Les évêques de l'Hellespont et de Bithynie lui ayant député un d'entre eux pour lui demander la permission de tenir un concile: Je ne suis qu'un laïc, répondit l'empereur, je ne dois entrer pour rien dans les affaires de doctrine; vous êtes chargés de ce soin; assemblez-vous où vous jugerez à propos. Saint Ambroise rapporte de lui cette parole: Qu'il ne lui appartenait pas d'être juge entre les évêques. On lui reproche même de n'avoir pas profité de l'autorité qu'il conserva toujours sur son frère, pour arrêter la persécution que Valens fit aux catholiques. Mais ce qui le justifie du soupçon d'indifférence sur le dogme, c'est qu'il défendit aux Manichéens de s'assembler[432], aux Donatistes de réitérer le baptême[433]; et que vers la fin de son règne, voulant mettre un frein aux fureurs de Valens, il écrivit aux évêques d'Asie et de Phrygie, pour leur ordonner de faire prêcher dans leurs diocèses la foi catholique, et leur défendre d'inquiéter ceux qui en faisaient profession.
[432] Par une loi donnée à Trèves, le 2 mars 372.—S.-M.
[433] Par une autre loi datée de Trèves, le 20 février 373.—S.-M.
XXII.
A l'égard de l'église catholique.
Chrysost. in Genes. homil. 30. t. 4, p. 294.
Soz. l. 6, c. 21.
Baron. in an. 371.
Till. Valent. art. 3, 4.
Cod. Th. l. 2, tit. 8, leg. 1; l. 8, tit. 8, leg. 1; l. 9, tit. 38, leg. 3, 4; tit. 40, leg. 8; l. 11, tit. 36, leg. 20; l. 12, tit. 1. leg. 59, et ibi God. l. 13, tit. 10. leg. 4, 6 et ibi God. l. 15, tit. 7. leg. 1. 2. 4. 8. 9. et ibi God. l. 16, tit. 2. leg. 17, 18, 20, 21, 22, et ibi God.
Quoiqu'il ne crût pas devoir se mêler de questions théologiques, il ne se dispensa pas du respect que les plus puissants princes doivent à la religion. Constantin avait défendu de faire le dimanche aucun acte judiciaire; Valentinien ajouta la défense d'exiger ce jour-là des chrétiens les contributions publiques. Plein de vénération pour la fête de Pâques, qu'il honorait comme la fête de la délivrance du genre humain, il ordonna que dans ce saint jour on donnerait la liberté aux prisonniers; il en excepta ces criminels dont l'impunité serait pernicieuse à la société, les sacriléges, les magiciens, les empoisonneurs, les adultères, les ravisseurs, les homicides et les coupables du crime de lèse-majesté. Constantin n'avait pu abolir dans la ville de Rome les spectacles des gladiateurs, Valentinien défendit de condamner à ces combats cruels les chrétiens convaincus de quelque crime que ce fût. Les acteurs de théâtre étaient alors de condition servile, il ne leur était pas libre de renoncer à leur profession: l'empereur ordonne dans ses lois, que les comédiens qui étant en péril de mort recevront le baptême et l'eucharistie, ne pourront être forcés à monter de nouveau sur le théâtre, s'ils reviennent en santé: mais il veut qu'on examine avec attention l'état de leur maladie, qu'on en informe les magistrats chargés du soin des spectacles, et qu'on ne leur administre les sacrements avec la permission des évêques, que dans le cas où le danger de mort serait évident. Ces précautions qui rendaient l'entrée de l'église plus difficile aux comédiens, sont blâmées par de graves auteurs; d'autres les justifient par les profanations ordinaires alors aux gens de théâtre, qui ne demandaient souvent les sacrements que pour se délivrer de leur servitude, et qui retournaient ensuite à l'idolâtrie. Les filles des comédiennes étaient assujetties à la profession de leurs mères; le prince ne permit d'y contraindre que celles qui se déshonoraient par la débauche. Gratien et Valentinien II suivirent l'esprit de cette loi; ils affranchirent du théâtre les comédiennes qui embrasseraient le christianisme, pourvu qu'elles menassent une vie régulière. Valentinien voulut que les amendes qui seraient exigées dans les causes ecclésiastiques, fussent uniquement appliquées au soulagement des pauvres. Il témoigna toujours beaucoup de respect pour les évêques: il s'abstenait de leur rien prescrire, ni de rien innover dans les règles de l'église, lors même que ces règles semblaient pouvoir être changées avec avantage, persuadé que cette réforme excédait son pouvoir. Par des lois qui ne se sont pas conservées jusqu'à nous, il avait ordonné que dans les causes qui concernaient la foi ou l'ordre de l'église, les évêques ne fussent jugés que par des évêques. Il rendit aux ecclésiastiques et aux moines tous les priviléges dont le paganisme, rétabli par Julien, les avait dépouillés; mais il leur interdisait en même temps toute liberté scandaleuse, tout manége d'intérêt: il leur défendit, sous peine de bannissement, de fréquenter les maisons des veuves et des orphelines. Il déclara nulles et dévolues au fisc les donations qu'une femme leur ferait de son vivant ou par testament, et il proscrivit ces fraudes pieuses qui se cachent sous le fidéi-commis. Dans les mêmes vues que Constantin, il ne permit d'admettre à la cléricature ni les riches particuliers qui devaient porter les charges publiques, ni les décurions, à moins qu'ils ne fissent cession de leurs biens, soit à l'ordre municipal, soit à quelque parent qui se chargerait de leurs fonctions. Ces dernières lois sont censurées comme peu favorables à la religion; mais il ne serait pas difficile de montrer que l'honneur et la force de l'église ne consistent pas dans l'opulence personnelle de ses ministres, au lieu que l'ordre politique, par un effet de la faiblesse inséparable des choses temporelles, a besoin de richesses pour se soutenir. Il y avait dès lors plusieurs monastères de filles. Cette pieuse institution, née d'abord en Égypte, avait depuis environ trente ans passé en Italie et en Gaule. Valentinien était chaste; ce fut pour honorer cette vertu qu'il exempta de taille les biens des vierges consacrées à Dieu. Il étendit cette exemption sur les veuves qui ne passaient pas à de secondes noces, et sur les enfants des deux sexes tant qu'ils étaient en puissance de tuteur.
XXIII.
Valens à C. P.
[Amm. l. 26, c. 5.]
Theod. l. 4, c. 12.
Them. or. 6, p. 71 et 81.
Till. Valent. not. 20.
Valens était encore dans les mêmes sentiments que son frère, mais il n'avait ni le même discernement ni la même fermeté. Déjà trop chargé du poids de l'empire, il voulut dans la suite se rendre arbitre de la religion; et tandis que l'église jouissait en Occident d'un repos tranquille, elle fut exposée en Orient aux plus violentes agitations. Dès que ce prince fut arrivé à Constantinople, il se rendit au sénat, où paraissait déja la statue de son père Gratien, érigée à la première nouvelle de l'élection de Valentinien. Il y prononça un discours[434], dont Thémistius fait un grand éloge; je ne crois pas cependant qu'on en puisse rien conclure en faveur de l'éloquence de Valens. Mais ce sophiste en cite deux belles maximes qui méritent d'être recueillies: la première, c'est qu'il est heureux pour des sujets d'avoir des princes qui aient été nourris loin des délices et de la mollesse, loin de la séduction des flatteurs, dans les travaux, dans les alarmes, dans les incommodités de la vie. La seconde, c'est qu'un état est plus en péril, quand il est en proie aux délateurs, que lorsqu'il est attaqué par les Barbares; comme les maladies internes sont plus dangereuses que celles qui sont produites par des causes étrangères. Thémistius répondit à ce discours par un de ces panégyriques, dont la matière est toujours plus riche et plus féconde au commencement du règne d'un prince médiocre, qu'elle ne l'est à la fin de sa vie. Il y relève avec tout l'appareil de son art la concorde qui régnait entre les deux frères. Ils prirent, selon la coutume, le consulat pour l'année suivante 365. En cette occasion tous les deux de concert défendirent à ceux qui portaient cette nouvelle dans les provinces, d'exiger aucun présent des habitants, et aux gouverneurs de souffrir ces exactions illicites. Ils permirent cependant aux personnes riches de faire quelque libéralité à ces envoyés. Cette exception rendit la défense inutile, comme on le voit par les lois suivantes; parce qu'il est plus sûr et plus facile d'enchaîner la cupidité, que de la contenir dans de justes bornes. Julien, meilleur politique, avait absolument proscrit ces rapines déguisées sous le titre de gratifications.
[434] Le 16 décembre selon Till., Hist. des Emp. t. V, Valens, art. I.—S.-M.
XXIV.
Établissement des défenseurs.
Cod. Th. l. 8, tit. 25. leg. Vim. et ibi God.
Cod. Just. l. 1, tit. 55.
Les deux empereurs s'accordèrent encore à faire chacun dans leur empire un établissement très-avantageux à ces citoyens qui, dépourvus de crédit et de richesses, n'ont d'autre appui que la justice des supérieurs; faible ressource que la corruption, la négligence ou la crainte rendent trop souvent inutile. Ils instituèrent dans chaque ville des défenseurs. Ce n'était pas une magistrature, mais une fonction autorisée, telle à peu près qu'avait été pour la ville de Rome celle des tribuns dans leur première institution. Ils étaient tirés de l'ordre des bourgeois notables, qui n'étaient ni décurions ni officiers des magistrats. Les évêques, les clercs, les possesseurs des fonds, l'ordre municipal concouraient à leur élection, qui devait être confirmée par les préfets du prétoire. Ils étaient élus pour cinq ans, et ne pouvaient ni se dispenser de cet emploi, ni le quitter avant ce terme, sans une permission de l'empereur. C'étaient les protecteurs de ceux qui n'en avaient point: ils décidaient comme arbitres des contestations peu importantes, et déféraient les autres aux juges ordinaires. Il était de leur devoir de s'opposer aux violences, aux taxations injustes, à l'insolence et aux concussions des officiers subalternes, à l'iniquité des magistrats, auxquels il fut prescrit de leur donner en tout temps un libre accès. Ils devaient aussi maintenir la discipline, faire arrêter les coupables et les mettre entre les mains des juges, s'opposer à l'impunité, et combattre la faveur qui multiplie les crimes en protégeant les criminels. Mais leur pouvoir n'était point armé de la force coactive, il se bornait aux sollicitations, aux remontrances, aux oppositions juridiques; et si l'on n'y avait point d'égard, ils devaient porter leurs plaintes aux tribunaux supérieurs. Cet établissement civil fut bientôt adopté dans la police ecclésiastique; les églises choisirent aussi des défenseurs, c'est-à-dire, des laïcs chargés de soutenir leurs intérêts devant les tribunaux séculiers.
XXV.
Tremblement de terre.
Amm. l. 26, c. 10.
Idat. chron.
Chron. Alex. vel Pasch. p. 301.
Socr. l. 4, c. 3.
Hier. chron. et vit. Hilar. t. 2, p. 36, et in Is. c. 15, t. 4, p. 185.
Cellar. geog. l. 3, c. 4, art. 10.
Jamais les tremblements de terre ne furent aussi fréquents que dans ce siècle. Il en arriva un cette année, si semblable à celui dont nous avons parlé sur l'an 362, qu'Ammien Marcellin les a confondus. Le 21 de juillet ce terrible fléau fut annoncé par des éclairs redoublés qui parurent au lever du soleil. La terre fut agitée par de violentes secousses dans toute l'étendue de l'empire. La mer sur plusieurs côtes recula à une grande distance, et découvrit des montagnes et des vallées cachées jusqu'alors au fond de ses abîmes. Revenant ensuite avec fureur, elle inonda ses rivages, renversa quantité d'édifices dans les villes voisines, submergea des milliers d'hommes et de bestiaux, et porta des vaisseaux bien loin dans les terres. Ammien Marcellin rapporte qu'en passant plusieurs années après par le territoire de Méthone, aujourd'hui Modon dans la Morée, il y vit la carcasse d'un navire, que la violence des eaux avait poussé à deux milles du rivage[435]. La Sicile souffrit beaucoup de ce tremblement. En Arabie les murs d'Aréopolis, nommée dans l'écriture-sainte Ar et Rabbath-Moab, autrefois capitale du pays des Moabites, tombèrent en une nuit.
[435] Ammien Marcellin rapporte, l. 26, c. 10, qu'à Alexandrie des vaisseaux furent portés sur le toit des maisons.—S.-M.
XXVI.
Valentinien en Gaule.
Amm. l. 26, c. 5.
Zos. l. 4, c. 9.
Sext. Rufus.
God. ad Cod.
Theod. t. 2, p. 283.
Mem. Acad. Inscr. et B. L. t. 8, p. 403.
Valentinien, ayant passé un an en Italie, partit pour la Gaule dans le mois d'octobre, et arriva à Paris au commencement de novembre. Pendant qu'il était encore en chemin, il reçut en un même jour la nouvelle d'une incursion des Allemans dans la Gaule[436], et de la révolte de Procope en Orient. Les Allemans avaient envoyé des députés à la cour; mais au lieu des présents réglés depuis long-temps par l'usage[437], on ne leur avait donné que des choses de peu de valeur; et sur le refus qu'ils avaient fait de les accepter, Ursacius, maître des offices[438], naturellement emporté et brutal, les avait traités avec beaucoup de hauteur et de dureté. Toute la nation, se croyant outragée en leur personne, prit les armes et envoya des partis au-delà du Rhin. Mais sur la nouvelle que Dagalaïphe venait les chercher, ils prévinrent sa rencontre et se retirèrent. L'empereur qui s'était avancé jusqu'à Rheims, revint à Paris, où il passa l'hiver à prendre des mesures pour la défense de la province. Il rassembla des troupes, il mit de fortes garnisons dans les places situées sur le Rhin. Ce fut peut-être dès cette année que ce prince fit une nouvelle division de la Gaule. Auguste l'avait partagée en six provinces[439]. Dioclétien, pour diminuer la puissance des gouverneurs en resserrant les bornes de leur juridiction, y avait établi douze départements[440]. Valentinien en fit quatorze; il détacha de la Viennoise les Alpes Maritimes, et partagea l'Aquitaine en deux parties. Quelques années après, ce même empereur, ou Gratien son fils, ayant encore démembré quelques-unes de ces provinces, en forma dix-sept dans le diocèse ou vicariat de la Gaule: c'étaient les quatre Lyonnaises, les deux Belgiques, les deux Germanies, la Séquanique, les Alpes Grecques et Pennines, la Viennoise, les deux Aquitaines, la Novempopulanie, les deux Narbonnaises et les Alpes Maritimes[441]. C'est cette division que l'Église a suivie pour l'ordinaire dans l'établissement des métropoles. Tel fut le dernier état de la Gaule jusqu'au temps où les Francs, les Goths, et les Bourguignons, envahirent ces belles provinces.
[436] Alamanni perrupere Germaniæ limites, Amm. Marc. l. 26, c. 5, c'est-à-dire que les Allemans entrèrent dans les provinces de la Gaule qui se nommaient Germanies.—S.-M.
[437] Certa et præstituta ex more munera præberi deberent, minora et vilia sunt attributa. Amm. Marc. l. 26, c. 5.—S.-M.
[438] Magister officiorum. C'est cet officier qui recevait les députés et les ambassadeurs des nations étrangères.—S.-M.
[439] Aquitania, Narbonensis, Lugdunensis, ou Gallia, Belgica, Germania superior et inferior.—S.-M.
[440] Aquitanica, Novempopulonia, Narbonensis, Viennensis, Alpes Graiæ, Lugdunensis prima et seconda, Maxima Sequanorum, Germania prima et secunda, Belgica prima et secunda.—S.-M.
[441] Lugdunensis prima, secunda, tertia et quarta; Belgica prima et secunda; Maxima Sequanorum; Alpes Graiæ et Penninæ; Viennensis; Aquitanica prima et seconda; Novempopulonia; Narbonensis prima et seconda; Alpes maritimæ.—S.-M.
XXVII.
Valens apprend la révolte de Procope.
Amm. l. 26, c. 6 et 7.
Zos. l. 4, c. 7.
Pendant que Valentinien fortifiait ses frontières, Valens fut sur le point de se voir arracher le diadème dont son frère l'avait honoré. Je vais raconter sans interruption toute la suite de cet événement, où l'imprudence de l'usurpateur et la trahison de ses capitaines servirent Valens beaucoup mieux que son propre courage. La paix de trente ans conclue par Jovien ne rassurait pas l'empire contre les entreprises de Sapor. On craignait que ce prince guerrier et ambitieux ne fût moins disposé à tenir sa parole, qu'à profiter de l'acquisition de Nisibe, qui lui ouvrait une libre entrée en Mésopotamie. En effet, les Perses faisaient déjà des mouvements. Pour les observer de plus près, Valens partit de Constantinople[442] et prit le chemin de la Syrie. En traversant la Bithynie, il apprit que les Goths, tranquilles depuis le règne de Constantin, et devenus, à la faveur d'une longue paix, des ennemis plus redoutables, réunissaient toutes leurs forces à dessein de pénétrer dans la Thrace[443]. Il se contenta de faire marcher vers la frontière un nombre suffisant de troupes[444], et continua sa route. Il était à Césarée en Cappadoce[445], où il attendait la fin des chaleurs pour entrer en Cilicie[446], lorsque Sophronius, un de ses secrétaires[447], qui s'était échappé de Constantinople, vint lui annoncer que Procope avait pris le titre d'Auguste, et qu'il était maître de la capitale de l'empire.
[442] Il y était encore le 19 mars. On voit par les paroles d'Ammien Marcellin, l. 26, c. 6, que Valens partit au printemps. Consumpta hieme, festinans ad Syriam Valens.—S.-M.
[443] Jamque fines Bithynorum ingressus, docetur relationibus ducum, gentem Gothorum ex tempestate intactam ideoque sævissimam, conspirantem in unum ad pervadenda parari collimitia Thraciarum. Amm. Marcell. l. 26, c. 6.—S.-M.
[444] Dans les lieux où on pouvait redouter une irruption des Barbares, ad loca, in quibus barbarici timebantur excursus. Amm. Marcell. l. 26, c. 6.—S.-M.
[445] Une de ses lois nous fait voir qu'il était dans cette ville le 5 juillet.—S.-M.
[446] Pour aller de là à Antioche; selon Socrate (l. 4, c. 2), et Sozomène (l. 6, c. 7), Valens aurait été cette année-là en Syrie; mais il est évident qu'ils se sont trompés.—S.-M.
[447] Il fut dans la suite préfet de Constantinople. On apprend de saint Basile (epist. 272, t. 3, p. 418) qu'il était né à Césarée en Cappadoce.—S.-M.
XXVIII.
Aventures de Procope.
Amm. l. 26, c. 6.
Zos. l. 4, c. 4 et 5.
Themist. or. 7, p. 90.
Philost. l. 9, c. 5.
Procope, né et élevé en Cilicie, était parent de Basilina, mère de Julien. Une alliance si illustre jeta de l'éclat sur sa personne dès ses premières années; et son intelligence dans les manéges de cour le fit parvenir auprès de Constance à la dignité de secrétaire du prince et de tribun. Il était assez bien fait, d'une taille avantageuse, mais un peu courbé, toujours les yeux baissés vers la terre. Il n'y avait point de grade auquel il ne pût aspirer, lorsque Constance mourut. Cet événement, loin de renverser sa fortune, éleva encore plus haut ses espérances. Julien lui donna le titre de comte. La régularité de ses mœurs le faisait estimer, mais son humeur sombre et taciturne inspirait de la défiance[448]. Cependant Julien se sentait trop de supériorité sur lui pour le craindre: il le laissa en Mésopotamie à la tête d'un corps de troupes considérable. On disait même, comme nous l'avons déja raconté, qu'il lui avait donné ordre de prendre la pourpre, s'il apprenait que l'empereur fût mort dans la guerre de Perse. En effet, sa conduite à l'égard de Julien qu'il ne secourut pas, peut faire penser qu'il avait quelque intérêt à le laisser périr. Si le fait est véritable, sa criminelle politique fut trompée. Jovien ne fut pas plus tôt monté sur le trône, que Procope songea à se mettre à couvert de ses soupçons. Il s'était répandu un faux bruit, que Julien en mourant avait désigné Procope pour son successeur[449]. Il n'en fallait pas tant pour alarmer le nouveau prince qui venait de faire périr un des plus braves officiers, parce que dans l'élection il avait eu quelques voix en sa faveur. Procope prit donc occasion des funérailles de Julien, dont il fut chargé, pour s'éloigner de la cour et se tenir caché, en attendant des temps plus favorables. Il se retira d'abord avec sa femme et ses enfants dans une terre qu'il possédait près de Césarée en Cappadoce. Jovien, à qui sa fuite le rendait plus suspect, en fut bientôt averti, il envoya des soldats pour le prendre et le ramener. Le fugitif se mit lui-même entre leurs mains, et protestant qu'il était prêt à les suivre, il obtint la permission de faire ses adieux à sa femme et à ses enfants. Il fit en même temps servir aux soldats un grand repas, et profitant de leur ivresse, il gagna le Pont-Euxin avec sa famille et passa dans la Tauride[450]. Il ne fut pas long-temps à s'apercevoir qu'il avait affaire à des Barbares perfides, qui ne manqueraient pas de le trahir à la première occasion. Il prit donc le parti de repasser avec les siens dans l'Asie Mineure. Là, changeant tous les jours de retraite, évitant la rencontre des hommes, caché dans les forêts, dans les cavernes, dans les rochers les plus inaccessibles, il vécut quelque temps d'herbes et de fruits sauvages. Enfin, pressé de la faim et réduit à la plus affreuse misère, il se détermina à se rapprocher de Chalcédoine par des sentiers écartés. Il n'avait de ressource que dans la fidélité d'un ami qui vivait à la campagne sur le territoire de cette ville. Cet ami, nommé Stratégius, était un ancien officier du palais, qui s'était retiré avec le titre de sénateur[451]. Le malheureux proscrit lui confia sa vie et sa famille. Il se tint aussi quelque temps caché dans une terre de l'hérétique Eunomius, qui étant alors absent prétendit dans la suite n'en avoir eu aucune connaissance. De cette retraite il passait souvent à Constantinople, où sa maigreur extrême et son extérieur déplorable le déguisaient assez pour empêcher qu'il ne fût reconnu. Il y recueillait avec une joie secrète les murmures du peuple qui détestait le gouvernement.
[448] Apparebat eum, si umquam potuisset, fore quietis publicæ turbatorem. Amm. Marcell. l. 26, c. 6.—S.-M.
[449] Susurravit obscurior fama; nemo enim dicti auctor exstitit verus. Amm. Marcell. l. 26, c. 6.—S.-M.
[450] Ἐπὶ τὴν Ταυριανὴν Χεῤῥόνησον. Zos. l. 4, c. 5.—S.-M.
[451] Apud fidissimum amicorum delitescebat, Strategium quemdam ex Palatino milite senatorem. Amm. Marc. l. 26, c. 6.—S.-M.
XXIX.
Méchanceté de Pétronius beau-père de Valens.
Amm. l. 26, c. 6.
Cod. Th. l. 9, tit. 34, leg. 7, 8.
Valens se rendait plus odieux par les vices de Pétronius son beau-père que par les siens propres. De simple commandant d'une cohorte, Pétronius était tout à coup parvenu au rang de patrice[452], la première dignité de l'empire après le souverain. C'était un homme aussi mal fait d'esprit que de corps, sans honneur, sans pitié, sans humanité. Le rang que tenait Albia Dominica sa fille, lui persuadait qu'il était au-dessus même de l'empereur, dont il traitait les sujets comme ses esclaves. Pour assouvir son insatiable avarice, il recherchait les dettes du fisc depuis le règne d'Aurélien, faisant valoir des titres surannés et prescrits: également incapable d'écouter et de rendre des raisons, il inventait de nouvelles tortures; il arrachait aux misérables ce qu'ils ne devaient pas; il se repaissait de leurs larmes; on le vit plusieurs fois pleurer lui-même de dépit, parce qu'il était forcé de renvoyer quelqu'un absous sans l'avoir dépouillé. On le comparait aux Séjan, aux Cléandre[453], aux Plautien[454], et à tous ces ministres détestés, que la postérité compte au nombre des crimes de leurs maîtres. On souffrait de grands maux, on en attendait encore de plus grands: les nobles étaient ruinés; le peuple et les soldats écrasés; tous gémissaient de concert, et pénétrés d'une douleur d'autant plus vive qu'elle était plus contrainte, tous adressaient en secret des vœux au ciel pour être délivrés par quelque heureuse révolution d'un gouvernement si tyrannique[455]. Les écrits outrageants qu'une vengeance impuissante répandait sous main contre l'empereur et son beau-père, portèrent alors Valens à rendre un édit rigoureux contre les libelles diffamatoires: il condamnait à mort non-seulement les auteurs, mais encore ceux qui oseraient publier de pareils écrits, ou même les garder.
[452] Il avait été chef, præpositus, de la cohorte des Martensiens, ex præposito Martensium militum promotus repentino saltu Patricius. Amm. Marcell. l. 26, c. 6.—S.-M.
[453] Invisior Cleandro. Cléandre avait été préfet du prétoire sous Commode, qui finit par lui faire trancher la tête.—S.-M.
[454] Onerosior Plautiano. Plautianus avait été de même préfet du prétoire sous Septime Sévère. On peut voir dans Hérodien l'histoire de son odieux ministère.—S.-M.
[455] Voici comment Ammien Marcellin (l. 26, c. 6) dépeint l'état des choses. Hæc lacrymosa, dit-il, quæ incitante Petronio sub Valente clausere multas paupertinas et nobiles domos, impendentiumque spes atrocior, provincialium et militum paria gementium sensibus imis hærebant; et votis licet obscuris et tacitis permutatio statûs præsentis ope numinis summi, concordi gemitu poscebatur.—S.-M.
XXX.
Intrigues de Procope.
Amm. l. 26, c. 6. Zos. l. 4, c. 5.
La disposition des esprits fit concevoir à Procope un dessein supérieur à son génie encore plus qu'à sa fortune. Il crut que le désespoir général lui rendrait facile à exécuter ce que le sien lui suggérait. N'ayant à risquer qu'une vie plus déplorable que la mort, il résolut de périr, ou de se rendre maître de l'empire[456]. Il se découvrit d'abord à un eunuque de la cour nommé Eugène, disgracié depuis peu, et très-capable par son ressentiment et par ses richesses de le seconder avec zèle et avec succès. Eugène lui promit de sacrifier tout pour une si noble entreprise. On voyait alors tous les jours passer par Constantinople des troupes qui filaient vers l'intérieur de la Thrace, pour garnir les bords du Danube. Deux cohortes[457] venaient d'arriver, et devaient séjourner dans la ville pendant deux jours. Procope, qui connaissait plusieurs de leurs officiers, les gagna par ses promesses: ils s'obligèrent par serment à le servir.
[456] Procopius ærumnis diuturnis attritus, et vel atrocem mortem clementiorem ratus malis quibus afflictabatur, aleam periculorum omnium jecit abrupte. Amm. Marcell. l. 26, c. 6.—S.-M.
[457] C'étaient les Divitenses et les Tungricani juniores, comme on l'apprend d'Ammien Marcellin, l. 26, c. 6.—S.-M.
XXXI.
Procope prend le titre d'empereur.
Amm. l. 26, c. 6.
Themist. or. 7, p. 91.
Zos. l. 4, c. 5.
Hier. chron.
Idat. chron.
Socr. l. 4, c. 3.
Till. Valens. note 1.
La révolution fut rapide. Dès la nuit suivante ses partisans vont saisir les magistrats dans leurs lits; ils traînent les uns dans les prisons; ils font aux autres une prison de leur maison même. Au point du jour, le 28 de septembre, Procope se rend aux bains d'Anastasie, où les deux cohortes étaient logées. C'était un vaste édifice qui avait pris le nom d'une sœur de Constantin. Les conjurés qui, pendant la nuit, avaient engagé dans leur complot leurs camarades et les soldats, le reçoivent avec joie au milieu d'eux et forment sa garde. Comme on ne trouvait pas de quoi lui faire les ornements impériaux, on l'habilla de plusieurs pièces qui lui donnaient l'air d'un empereur de théâtre[458]. En cet état on l'éleva sur un pavois pour le montrer aux troupes. Le nouvel Auguste soutint fort mal sa dignité; pâle et tremblant, comme un criminel, il remercia avec bassesse les auteurs de son élévation, leur promettant plus de richesses et d'honneurs qu'il n'en aurait pu donner, supposé même qu'il fût jamais devenu paisible possesseur de l'empire.
[458] Le portrait qu'Ammien Marcellin fait de son élévation est une véritable caricature. Stetit itaque, dit-il, subtabidus (excitum putares ab inferis), nusquam reperto paludamento, tunicâ auro distinctâ, ut regius minister, indutus, a calce in pubem in pædagogiani pueri speciem, purpureis opertus tegminibus pedum: hastatusque purpureum itidem pannulum læva manu gestabat, ut in theatrali scena simulacrum quoddam insigne per aulæum vel mimicam cavillationem subitò putares emersum. Amm. Marcell. l. 26, c. 6.—S.-M.
XXXII.
Il se rend maître de C. P.
Amm. l. 26, c. 6.
Themist. or. 7, p. 91.
Zos. l. 4, c. 5 et 6.
Dans ce ridicule appareil il sortit escorté d'une garde nombreuse. Les soldats sous leurs enseignes marchaient en ordre de bataille; et pour jeter l'effroi, ils frappaient à grands coups de javelots leurs boucliers, qu'ils tenaient élevés sur leurs têtes, afin de se mettre à couvert des pierres et des tuiles dont on aurait pu les accabler du haut des toits. Entre les premiers de la ville, les uns étaient déja arrêtés; les autres, surpris de cet événement imprévu, se tenaient renfermés, sans savoir quel parti prendre. Le peuple, sortant dans les rues, ne témoignait d'abord qu'une curiosité froide et indifférente. Cependant la haine universellement répandue contre Pétronius, jointe aux charmes de la nouveauté, rendait agréable à la plupart cette révolution subite. Les esclaves, la vile populace, les bas-officiers du palais, les vieux soldats qui avaient obtenu leur congé, se joignent de gré aux rebelles, ou sont entraînés par force. Les habitants d'une condition plus honnête et d'un esprit plus sensé s'échappent de la ville, passent le Bosphore, et vont avec empressement se rendre au camp de Valens. Procope à cheval traversait la foule, affectant un air affable et un sourire populaire à travers lequel on démêlait aisément ses craintes. Étant arrivé près de la salle du sénat, il monta sur le tribunal; et comme l'assemblée nombreuse dont il était environné, au lieu des acclamations ordinaires, demeurait dans un morne silence, il se crut au dernier moment de sa vie, un tremblement universel le saisit, et il resta long-temps debout sans pouvoir proférer une parole. Enfin, faisant un effort, il commença d'une voix faible et entrecoupée à parler de son alliance avec la famille des derniers empereurs. Ses partisans le tirèrent d'embarras en l'interrompant par un murmure flatteur, suivi aussitôt des acclamations confuses du peuple qui le proclama empereur. Plus heureux qu'il n'avait espéré, il entre dans le sénat, où n'ayant trouvé aucun sénateur, mais une poignée de gens sans aveu, il va en diligence prendre possession du palais impérial. Il attire le peuple par toutes les amorces que les tyrans ne manquent pas de présenter d'abord pour gagner les esprits: il promet d'abondantes largesses et la réduction des impôts. Il fait ouvrir le trésor public, les magasins, les arsenaux; il commence lui-même le pillage, et abandonne le reste à l'avidité du peuple.
XXXIII.
Artifices de Procope.
Amm. l. 26, c. 7.
Themist. or. 7, p. 91 et 92.
Zos. l. 4. c. 5 et 6.
Pour animer la confiance des habitants par une vaine apparence de succès, il faisait secrètement partir de Constantinople des courriers, qui, rentrant bientôt après couverts de sueur et de poussière, feignaient d'apporter des nouvelles de l'Orient, de l'Illyrie, de l'Italie, de la Gaule. Ils débitaient hardiment que Valentinien était mort, que tout pliait au nom du nouveau prince; et, ce qu'on aurait peine à croire, si la chose n'était attestée par un auteur contemporain, Procope se faisait présenter publiquement des députés supposés de la Syrie, de l'Égypte, de l'Afrique, de l'Espagne, qui venaient lui offrir les hommages de ces provinces éloignées, comme si par enchantement ils eussent été tout à coup transportés des extrémités de l'empire. Il fallait paraître dupe d'un artifice si grossier, pour éviter d'être mis aux fers et jeté dans les prisons. Tout était plein d'émissaires et de délateurs qui observaient l'air du visage, les paroles, le silence même.
XXXIV.
Il donne les charges à ses partisans.
Il destitua les magistrats établis par l'empereur, et mit en leur place ses créatures. Salluste Second avait enfin obtenu la permission de quitter la préfecture du prétoire. Nébridius qui lui avait succédé, et Césarius préfet de Constantinople, furent enfermés dans des prisons séparées, afin qu'ils ne pussent avoir ensemble aucune communication. Le tyran les força d'écrire dans les provinces tout ce qu'il voulut. Il conféra la charge de préfet de la ville à Phronémius, et celle de maître des offices à Euphrasius, tous deux Gaulois, tous deux fort versés dans l'étude des lettres; mais la faveur du tyran fait peu d'honneur à leur probité. Gumoaire et Agilon furent rappelés au service qu'ils avaient quitté, et chargés du commandement des troupes[459]. Araxius, beau-père d'Agilon, obtint par ses basses flatteries et par le crédit de son gendre, la dignité de préfet du prétoire. Quantité d'autres achetèrent à prix d'argent les offices du palais et les gouvernements des provinces; quelques-uns en furent pourvus malgré eux: c'était dans toutes les fortunes un bouleversement général; on voyait des hommes de néant s'élever de la poussière, et des personnes de la plus haute naissance tomber dans les dernières disgraces. Le comte Jule était à la tête des armées de Thrace[460]: Procope n'espérait pas de gagner un officier si brave et si fidèle; il craignait bien plutôt qu'à la première nouvelle du soulèvement, il ne vînt rompre ses mesures. L'usurpateur, l'ayant attiré à Constantinople par une lettre qu'il contraignit Nébridius de lui écrire comme de la part de Valens, s'assura de sa personne. Cette fourberie le rendit sans coup férir maître de toute la Thrace, dont il tira ses principales forces.
[459] Ammien Marcellin (l. 26, c. 7) blâme cette opération de Procope: Administratio negotiorum castrensium Gumoario et Agiloni revocatis in sacramentum committitur inconsultè, ut docuit rerum exitus proditor.—S.-M.
[460] Julius comes per Thracias copiis militaribus præsidens. Amm. Marc. l. 26, c. 7.—S.-M.
XXXV.
Il se prépare à la guerre.
Il fit répandre de grandes sommes d'argent parmi les troupes, qui se rendaient de toutes parts dans cette province pour gagner les bords du Danube; et les ayant réunies en un corps et enivrées de magnifiques promesses, il leur fit prêter serment en son nom avec d'horribles imprécations[461]. Afin de les attacher davantage à sa personne, il avait pris le nom de Constantin[462]; et portant entre ses bras la fille de Constance âgée de trois ans, il leur présentait, les larmes aux yeux, ce dernier rejeton d'une famille qu'ils avaient respectée: il leur répétait sans cesse qu'il était parent et héritier de Julien; il leur montrait une partie des ornements de la dignité impériale, que Faustine, veuve de Constance, lui avait remis[463]. Comme il était important pour lui de s'emparer de l'Illyrie, parce qu'il interrompait par ce moyen la communication entre les deux empires, et qu'il mettait une barrière entre lui et Valentinien; il envoya à cet effet les plus affectionnés de ses partisans[464], chargés de présents et surtout de pièces d'or frappées au coin du nouvel empereur: mais ces émissaires ne purent échapper aux recherches d'Équitius qui commandait les troupes d'Illyrie. Celui-ci les fit arrêter et mettre à mort; et pour prévenir les entreprises que le rebelle pourrait former sur sa province, il ferma trois passages qui y donnaient entrée: l'un, par la Dacie voisine du Danube[465]; l'autre, par le pas de Sucques; le troisième, par un défilé nommé Acontisma, sur la frontière de la Thrace et de la Macédoine, vis-à-vis de l'île de Thasos.
[461] Sub exsecrationibus diris in verba juravere Procopii. Ammian. Marc. l. 26, c. 7.—S.-M.
[462] C'est ce qui semble résulter, mais d'une manière bien vague, d'un passage du septième discours de Thémistius, p. 92. Ce fait n'est pas au reste confirmé par les médailles; celles qui nous restent de cet usurpateur ne portent pas d'autre nom que celui de Procopius.—S.-M.
[463] Gibbon dit (t. 5, p. 26) que Procope épousa la veuve de Constance. C'est une erreur; on ne trouve rien de pareil dans les auteurs anciens. Au contraire on apprend de Zosime (l. 4. c. 4) que Procope était marié et avait des enfants lorsqu'il se révolta contre Valens.—S.-M.
[464] D'une stupidité téméraire, dit Ammien Marcellin, l. 26, c. 7, et electi quidam stoliditate præcipites ad capessendum Illyricum missi sunt.—S.-M.
[465] Per Ripensem Daciam. Amm. Marcell. l. 26, c. 7.—S.-M.
XXXVI.
Valentinien apprend la révolte.
Amm. l. 26, c. 5.
Zos. l. 4, c. 9.
Hier. chron. in an. 373.
Équitius qui n'avait encore que la qualité de comte, mais qui eut bientôt après celle de maître de la milice, désolait l'Illyrie par des rapines et des exactions; mais il ne manquait ni de vigilance ni d'activité pour la défendre. Dès le commencement des troubles, il en avait été informé[466] par le tribun Antoine qui commandait dans la Dacie[467]; et quoique cet avis fût assez vague et sans aucun détail, il avait cru devoir sur-le-champ le faire passer à Valentinien. Ce prince, ne sachant d'abord si son frère vivait encore, ou si Procope lui avait ôté la vie avec le diadème, était fort embarrassé sur le parti qu'il devait prendre. Son premier dessein fut de retourner en Illyrie[468]. L'exemple récent de Julien lui faisait craindre que la rébellion ne se communiquât bientôt dans toute l'étendue de l'empire: mais comme il recevait en même temps la nouvelle d'une incursion des Allemans, ses premiers officiers retenaient son ardeur; ils lui conseillaient de ne pas laisser la Gaule exposée aux plus funestes ravages. Les députés des principales villes de cette importante province appuyaient ces conseils des plus vives instances; ils lui représentaient leurs alarmes, leur faiblesse; que son nom seul servirait de défense à leur patrie, et jetterait la terreur parmi les Barbares. Instruit de l'état de son frère par des avis postérieurs, il se rendit enfin, et continua sa route vers Paris, en disant que Procope n'était que son ennemi et celui de Valens, mais que les Allemans étaient les ennemis de l'empire[469]. Il s'en tint à cette idée, et lorsque dans la suite son frère l'eut averti des progrès de Procope, il lui laissa le soin de se défendre. Il se contenta de prendre des précautions pour mettre à couvert l'empire d'Occident. Craignant que Procope ne formât quelque projet sur l'Afrique, il y envoya Néothérius un de ses secrétaires[470], Masaucion officier de ses gardes[471], instruit de l'état du pays où il avait été élevé par le comte Crétion son père, et un de ses écuyers nommé Gaudentius, dont il connaissait depuis long-temps la fidélité.
[466] Vers la fin d'octobre ou le commencement de novembre, étant en route pour se rendre à Paris. Il apprit en même temps les démonstrations hostiles des Allemans. Et circa id tempus, aut non multò posterius, in Oriente Procopius in res surrexerat novas: quæ prope kal. novembris venturo Valentiniano Parisios, eodemque nuntiata sunt die. Amm. Marcell. l. 26, c. 5.—S.-M.
[467] Qui commandait les troupes de la Dacie méditerranée, agentis in Dacia mediterranea militem. Amm. Marc. l. 26, c. 5.—S.-M.
[468] Il nomma alors Equitius, maître de la milice. His cognitis Valentinianus eodem Æquitio aucto magisterii dignitate, repedare ad Illyricum destinabat. Amm. Marc. l. 26, c. 5.—S.-M.
[469] Replicabat aliquoties, hostem suum fratrisque solius esse Procopium; Alamannos vero totius orbis Romani. Amm. Marc. l. 26, c. 5.—S.-M.
[470] Il fut consul vingt-cinq ans après en 390.—S.-M.
[471] Masaucionem domesticum protectorem. Amm. Marcell. l. 26, c. 5.—S.-M.
XXXVII.
Premiers succès de Procope.
Amm. l. 26, c. 7.
Sueton. in Claud. c. 35.
Valens était sur le point de sortir de Césarée pour entrer en Cilicie, lorsqu'il apprit la révolte de Procope: il retourna aussitôt en Galatie. A mesure qu'il avançait, les progrès du tyran faisaient croître ses alarmes. A la nouvelle de ce qui s'était passé à Constantinople, cet esprit timide tomba dans le même abattement où la révolte de Scribonianus avait autrefois plongé l'empereur Claude: il ne songeait plus qu'à déposer le diadème, et il eut besoin de toute la fermeté de ses officiers pour soutenir sa faiblesse. Enfin, sur leurs remontrances, il se détermina à défendre sa couronne, et fit prendre les devants à deux légions renommées[472], avec ordre d'attaquer l'ennemi partout où elles le rencontreraient. A leur approche, Procope, arrivé depuis peu près de Nicée[473], s'avança en Phrygie, jusque sur le bord du fleuve Sangarius[474]. Déja les deux corps étaient en présence, et les flèches commençaient à voler de part et d'autre, lorsque Procope, poussant son cheval entre les deux troupes, fixa ses regards sur un officier ennemi nommé Vitalianus; et comme s'il l'eût connu, il l'invita en langue latine à s'approcher. L'étonnement que causait cette démarche imprévue, suspendit le combat. Procope ayant abordé Vitalianus avec politesse: «Voilà donc, lui dit-il, à quoi se termine cette antique fidélité des armées romaines! Voilà l'effet de leurs serments religieux! C'est donc pour des inconnus, c'est pour le service d'un vil Pannonien, le destructeur et le fléau de l'empire, que vous tirez vos épées! Vous voulez, braves soldats, au prix de votre sang et de celui de vos frères, lui assurer la puissance souveraine, à laquelle, jusqu'au moment de son indigne élection, il n'osa jamais aspirer! Déclarez-vous plutôt pour l'héritier de vos anciens maîtres[475], à qui la justice met les armes à la main, non pas pour piller les provinces, mais pour rentrer dans les droits de sa famille.» Ces paroles prononcées d'un ton pathétique éteignirent toute l'ardeur de la troupe ennemie; ils baissent leurs aigles et leurs enseignes, et se joignent aux soldats de Procope: au cri de bataille[476] succèdent des acclamations de joie; tous proclament Procope empereur, et les deux corps réunis le reconduisent au camp, en jurant au nom des dieux que Procope sera invincible.
[472] Les Joviens et les Vainqueurs. Agmina duo prœire jussisset, quibus nomina sunt Jovii atque Victores Amm. Marc. l. 26, c. 7.—S.-M.
[473] Il avait avec lui les Divitenses; et une troupe de déserteurs. Advenerat cum Divitensibus desertorumque plebe promiscua. Amm. Marcell. l. 26, c. 7.—S.-M.
[474] Dans un lieu qui est nommé Mygdus, dans le texte d'Ammien Marcellin, l. 26, c. 7. Il paraît que c'est une faute et qu'on doit y lire Midæum au lieu de Mygdum. Ptolémée et la table de Peutinger font voir que Midæum, Μιδάειον, était une ville de la Phrygie, sur le fleuve Sangarius et sur la grande route qui conduisait de Nicée jusque dans la Galatie, à 84 milles romains, ou environ vingt-huit lieues de Nicée.—S.-M.
[475] Quin potius sequimini culminis summi prosapiam. Amm. Marc. l. 26, c. 7. Procope cherche à relever son origine et à jeter du mépris sur Valens, qu'il appelle Pannonius degener.—S.-M.
[476] Il s'agit du cri que les Barbares appellent barritus. Quem Barbari dicunt barritum, dit Ammien Marcellin, l. 26, c. 7.—S.-M.
XXXVIII.
Siége de Chalcédoine.
Amm. l. 26, c. 8, et ibi Vales.
Socr. l. 4, c. 8.
Ce premier succès fut suivi de plusieurs autres. Pendant que Procope agissait en Asie, le tribun Rumitalcas[477] méditait à Constantinople une entreprise hardie. C'était un Thrace plein de valeur, qui s'était donné au tyran, et qui en avait reçu pour récompense la charge de maître du palais[478]. Ne pouvant rester oisif, il communiqua son dessein à quelques-uns des soldats qu'on avait laissés à Constantinople, et les ayant fait passer par mer à Drépanum, nommée alors Hélénopolis, il courut à Nicée, et s'en empara. Pour recouvrer cette place importante, Valens détacha Vadomaire avec un corps de troupes, et le chargea du soin de ce siége. Vadomaire était ce roi des Allemans[479], que Julien avait fait enlever et conduire en Espagne. Les nouveaux empereurs l'avaient rappelé de cet exil; il s'était attaché à Valens, qu'il servit toujours avec courage et fidélité. Valens, de son côté, ayant passé par Nicomédie[480], vint attaquer Chalcédoine dont Procope était maître: il y trouva une vive résistance. Les habitants l'insultaient du haut des murs, en l'appelant buveur de bière[481]; c'était la boisson du petit peuple en Illyrie et en Pannonie. L'empereur jura qu'il s'en vengerait, et qu'il raserait les murs de la ville. Cependant rebuté par le défaut de subsistance et par l'opiniâtreté des assiégés, il se disposait à la retraite, lorsque les troupes enfermées dans Nicée, sortant tout à coup à la suite de Rumitalcas, taillent en pièces le détachement de Vadomaire, et vont sans perdre de temps tomber à l'improviste sur Valens qui était encore devant Chalcédoine. Il était perdu sans ressource, s'il n'eût pas été averti à propos. L'ennemi le suivit de près, et il n'échappa qu'avec peine à la faveur du lac Sunon[482] et des détours du fleuve Gallus: par cette fuite précipitée toute la Bythinie resta au pouvoir de Procope.
[477] Ce nom est le même que celui de Rhémétalcès, qui, ainsi que nous l'apprenons des auteurs anciens et des médailles, fut porté par plusieurs rois de la Thrace et du Bosphore Cimmérien. On voit que ce nom prononcé un peu différemment selon les divers dialectes, était particulier aux Thraces. On peut au sujet de ces princes consulter les articles que je leur ai consacrés dans la Biographie moderne de Michaud, t. 37, p. 462.—S.-M.
[478] Susceptâ curâ palatii. Ammien Marcell. l. 26, c. 8. Il aurait été appelé quelques siècles plus tard Curopalate.—S.-M.
[479] Ex duce et rege Alamannorum. Amm. Marcell. l. 26, c. 8.—S.-M.
[480] Valens était devant cette place le 1er décembre, comme on le voit par une loi datée de ce jour.—S.-M.
[481] Sabaiarius, du nom d'une boisson appelée Sabaia, faite d'orge ou de froment, et qui était ordinairement la boisson des pauvres en Pannonie. Est autem Sabaia ex hordeo vel frumento in liquorem conversis paupertinus in Illyrico potus. Amm. Marcell. l. 26, c. 8. Cette indication est confirmée par un passage de S. Jérôme (in Esaiam, cap. 19, t. 4, p. 292), qui dit Ζύθον, quod genus est potionis ...... vulgò in Dalmatiæ Pannoniæque provinciis, gentili barbaroque sermone appellatur Sabaium.—S.-M.
[482] Per Sunonensem lacum. Amm. Marc. l. 26, c. 8. Ce lac est appelé actuellement Sapandjeh, du nom d'un petit endroit situé sur ses bords. Il portait dans le moyen âge le nom de Sophon. On voit sans peine le rapport qui existe entre ces diverses dénominations.—S.-M.
XXXIX.
Arinthée se fait livrer un des généraux de Procope.
Amm. l. 26, c. 8.
Basil. ep. 269. t. 3, p. 415.
L'empereur regagna promptement Ancyre. Ayant appris que Lupicinus lui amenait d'Orient un renfort considérable de troupes, il reprit courage, et envoya Arinthée, l'un de ses plus habiles généraux, pour chercher l'ennemi. Celui-ci arrivant à Dadastana, bourgade devenue depuis peu célèbre par la mort de Jovien, se rencontra vis-à-vis d'Hypéréchius, jusqu'alors officier du palais[483]. Mais Procope, qui faisait des généraux comme il s'était fait empereur, l'avait mis à la tête d'un détachement. Arinthée le méprisait trop pour daigner le combattre. Il fit alors une action dont on ne voit point d'autre exemple, et qui fut couronnée du succès. C'était l'homme de la plus haute taille et le mieux fait de son siècle; son extérieur vraiment héroïque lui donnait un air d'empire. Profitant de cet avantage, il ordonna aux soldats d'Hypéréchius de saisir eux-mêmes leur chef et de le lui amener enchaîné. Ces paroles eurent l'effet d'une victoire; ils obéirent, et traînant avec eux leur général devenu leur prisonnier, ils se rangèrent sous les enseignes d'Arinthée.
[483] Castrensis apparitor. Le recueil des lettres de Libanius, publié par Wolf, en contient un grand nombre qui étaient adressées à cet Hypéréchius; elles font voir que cet officier était très-lié avec le rhéteur d'Antioche. Le père d'Hypéréchius s'appelait Maxime.—S.-M.
XI.
Siége de Cyzique.
Amm. l. 26, c. 8.
Zos. l. 4, c. 6.
Soz. l. 6, c. 8.
Philost. l. 9, c. 6.
Procope fut bientôt avantageusement dédommagé de cette perte. Cyzique, capitale de l'Hellespont, était alors remplie de richesses. Vénustus, chargé du paiement de toutes les troupes de l'Orient[484], y avait dès le commencement des troubles transporté la caisse militaire, comme dans la place la plus sûre. C'était d'ailleurs un des plus riches dépôts des trésors de l'empire. Deux classes nombreuses d'habitants étaient sans cesse occupées, l'une à la fabrique de la monnaie, l'autre aux ouvrages d'une célèbre manufacture pour l'habillement des soldats. La place était renommée dès le temps des guerres de Mithridate, tant par l'avantage de sa situation, que par la force de ses murailles. Mais ce qui faisait alors sa faiblesse, c'est qu'elle était défendue par Sérénianus[485], chef d'une garnison aussi faible que son commandant. Procope la fit assiéger par terre et par mer sous la conduite du général Marcellus, son parent. Les attaques n'eurent d'abord aucun succès. Les assiégeants étaient accablés d'une grêle continuelle de traits, de pierres, de javelots, qui rendaient les approches très-meurtrières. L'unique moyen de prendre la ville était de forcer l'entrée du port: mais elle était fermée d'une grosse chaîne de fer, que les vaisseaux, malgré les plus violents efforts, ne purent jamais rompre. On essaya en vain de la couper à grands coups de hache. Les soldats, les officiers, épuisés de fatigues, ne demandaient qu'à lever le siége, lorsqu'un tribun, nommé Alison, obtint qu'on lui permît de faire une dernière tentative. Pour entrer dans le port, il fallait tourner le dos aux murs de la ville: le tribun ayant joint ensemble trois navires, s'en servit comme d'une plate-forme pour y établir quatre rangs de soldats les uns derrière les autres: le premier rang restait debout, et les trois autres s'inclinaient de plus en plus, en sorte que le quatrième se tenait sur les genoux. Leurs boucliers qu'ils rejetaient en arrière, étant carrés et exactement rapprochés par les bords, formaient un talus, sur lequel les flèches et les pierres lancées du haut des murs coulaient comme l'eau sur la pente d'un toit: cette ordonnance se nommait tortue. Elle était en usage dans le siége des places. Le tribun couvert de cette sorte de défense, approche de l'entrée du port, et ayant soulevé la chaîne, et placé un des anneaux sur une enclume, il vint à bout de le rompre à coups de marteaux et de haches, et d'ouvrir le port à la flotte. La ville se rendit aussitôt. Cette action mémorable sauva la vie à ce tribun, lorsque, dans la suite, on fit mourir les partisans de Procope. Valens lui conserva même son rang dans le service: il périt dans la suite en Isaurie, où il fut tué par une troupe de brigands. Procope s'étant en diligence transporté à Cyzique, fit grace à tous les assiégés. Ce fut, selon Philostorge, à la prière d'Eunomius, que les Ariens avaient nommé évêque de cette ville, et qu'ils avaient ensuite eux-mêmes déposé. Sérénianus fut excepté de l'amnistie générale[486]; il fut chargé de fers, et conduit dans les prisons de Nicée.
[484] Largitionum apparitor sub Valente. Amm. Marc. l. 26, c. 8.—S.-M.
[485] Ce général était comte des domestiques, domesticorum comes, c'est-à-dire commandant des gardes.—S.-M.
[486] Selon Zosime, l. 4, c. 6, Sérénianus s'était sauvé de Cyzique, et il avait été pris en Lydie.—S.-M.
XLI.
Hormisdas le fils, partisan de Procope.
Amm. l. 26, c. 8.
Hormisdas, fils de ce prince persan qui, s'étant venu réfugier à la cour de Constantin, avait servi avec zèle Constance et Julien, s'était jeté dans le parti du rebelle. Procope lui donna le gouvernement de l'Hellespont et le titre de proconsul, avec pouvoir de commander les armées, et de régler les affaires civiles; rendant ainsi au proconsulat toute l'autorité qui avait été attachée à cette charge au temps de la république[487]. Hormisdas avait épousé une femme riche, d'illustre naissance, et recommandable par sa vertu. Quelques jours après la prise de Cyzique, comme il se promenait seul avec elle sur le rivage, assez loin du vaisseau qui les y avait conduits, ils furent surpris et sur le point d'être enlevés par un parti ennemi[488]. Mais ce jeune guerrier, malgré les traits qu'on lançait sur eux, défendit et sa femme et sa propre vie avec tant de courage et de bonheur, qu'ils eurent le temps de regagner leur vaisseau et de s'échapper ensemble.
[487] Hormisdæ maturo juveni, Hormisdæ regalis illius filio, potestatem proconsulis detulit, et civilia more veterum et bella recturo. Ammien Marc., l. 26, c. 8.—S.-M.
[488] Il était composé de soldats que Valens avait envoyés par des chemins détournés, à militibus quos per devia Phrygiæ miserat Valens. Amm. Marc. l. 26, c. 8.—S.-M.
XLII.
Vexations de Procope.
Amm. l. 26, c. 8.
Themist. or. 7, p. 92 et 99.
Philost. l. 9, c. 6.
L'acquisition d'une ville si importante enfla le cœur de Procope: il regarda ce succès comme le gage d'un bonheur inaltérable, et ne se crut plus obligé de garder aucune mesure. Cette ame faible n'avait point de caractère; il prit celui de la prospérité: il devint superbe, violent, inhumain, aussi injuste que Pétronius. Il oublia que c'étaient les excès de ce ministre qui lui avaient à lui-même tenu lieu de mérite. Arbétion, ce politique corrompu, dont nous avons parlé tant de fois, ne s'était point encore ouvertement déclaré: aux fréquentes invitations du tyran, il répondait en s'excusant sur ses maladies et sur les infirmités de sa vieillesse. Procope fit enlever tous les meubles de la maison qu'Arbétion possédait à Constantinople: elle était remplie de trésors, fruits des crimes d'une longue vie. Par cette violence, il soulevait contre lui un homme qui n'avait jamais été un ami utile, mais qui fut toujours un ennemi dangereux. Peut-être lui aurait-on pardonné cette injustice exercée aux dépens d'un injuste ravisseur, mais il ne ménagea personne. Sans aucun égard pour les priviléges des sénateurs, il imposa sur tous les sujets des contributions excessives; il exigea dans l'espace d'un mois le tribut de deux années; et les habitants de Constantinople, qu'il avait séduits par tant de magnifiques promesses, se virent en peu de temps réduits à une extrême misère. On rechercha ceux qu'on soupçonnait d'être attachés à l'empereur. L'impie Aëtius, qui vivait à Lesbos, fut à cette occasion en danger de perdre la vie; il se rendit à Constantinople, où peu après il mourut de maladie. Les philosophes n'avaient pas sujet de se louer de Valens: cependant Procope les accusa d'intelligence avec ce prince; et quoiqu'il prétendît lui-même aux honneurs de la philosophie, et qu'il se fût décoré d'une longue barbe, il les força par ses mauvais traitements à détester son usurpation.
XLIII.
Il se prépare à continuer la guerre.
Amm. l. 26, c. 8.
Zos. l. 4, c. 7.
Eunap. in Max. t. 1, p. 59 et 60, ed. Boiss.
La rigueur de l'hiver suspendit pour quelque temps les opérations de la guerre. Le tyran qui prévoyait que la campagne prochaine serait sanglante et décisive, employa cet intervalle à ramasser des troupes et de l'argent. Il encourageait par des bienfaits ces artisans de la misère publique, qui savent réduire en système l'art de dépouiller les peuples, et qui, pour s'enrichir eux-mêmes sous prétexte d'enrichir le prince, lui procurent par de pernicieux projets une opulence passagère et une longue disette. Il députa un de ses courtisans à la nation des Goths pour leur demander des troupes auxiliaires[489]. Une multitude de déserteurs, d'aventuriers, de barbares vinrent grossir son armée. Il aurait pu porter ses vues jusque sur les provinces les plus orientales de l'empire; il y aurait trouvé les esprits rebutés du gouvernement de Valens, et disposés à se prêter à la révolution. Mais il se borna mal à propos à s'assurer des villes voisines. Il y rencontra beaucoup d'opposition de la part du vicaire d'Asie, nommé Cléarque. Celui-ci était riche, d'une famille illustre, né dans la Thesprotie en Épire, païen fanatique, entêté de magie, et adorateur de ces philosophes insensés qui avaient séduit Julien. Aussi était-il ennemi de Salluste, qu'il traitait de vieillard imbécille, parce que Salluste, idolâtre comme lui, était plus sage et plus modéré. Cependant Cléarque servit utilement Valens en traversant par toutes sortes de moyens les desseins de Procope.
[489] Zosime rapporte l. 4, c. 7, que Procope envoya quelques personnages distingués, τῶν ἐπιφανῶν τινας ἔστελλε, vers le prince des Scythes ou Goths qui étaient établis au nord du Danube, πρὸς τὸν ἔχοντα τὴν ὑπέρ τὸν Ἴϛρον Σκυθῶν ἐπικράτειαν, pour qu'il lui fournît un corps de dix mille auxiliaires, ὁ δὲ, μυρίους ἀκμάζοντας ἔπεμπε συμμάχους ἀυτῷ. On verra par la suite que le prince auquel Procope écrivit était Athanaric. Zosime ajoute encore que Procope demanda du secours à d'autres peuples barbares, καὶ ἄλλα δὲ βάρβαρα ἔθνη συνῄει, μεθέξοντα τῆς ἐγχειρήσεως. Je ne sais où Gibbon a pu prendre (t. 5, p. 113), que les Goths fournirent à Procope un secours de trente mille hommes. Il se trompe sans aucun doute; car rien de semblable ne se trouve dans les auteurs anciens qu'il a pu consulter touchant ce fait historique.—S.-M.
An 366.
XLIV.
Naissance de Valentinien Galate.
Idat. chron.
Chron. Alex. vel Pasch. p. 301.
Themist. or. 9, p. 121.
Socr. l. 4, c. 10.
Soz. l. 6, c. 10.
Till. Valens, note 3.
Pendant que Valens, retiré dans la ville d'Ancyre, se préparait à terminer la guerre, il lui naquit le 18 de janvier un fils, qu'il nomma Valentinien Galate, parce qu'il était né en Galatie. C'est mal-à-propos que quelques auteurs le font naître de Valentinien. Ce prince n'eut jusqu'en 371 aucun autre fils que Gratien, né le 18 d'avril en 359. Gratien, âgé de près de sept ans, fut consul cette année avec Dagalaïphe.
XLV.
Bataille de Thyatire.
Amm. l. 26, c. 9.
Zos. l. 4, c. 7 et 8.
Dès que la saison permit de tenir la campagne, Valens, ayant reçu les nouvelles troupes que lui amenait Lupicinus, partit d'Ancyre, et mit garnison dans Pessinunte, pour conserver ce pays dans l'obéissance. Le rebelle mettait l'artifice en usage autant que la force des armes: conduisant avec lui dans sa litière la fille de Constance et sa mère Faustine, il animait les soldats à la défense d'une veuve et d'une orpheline, dont il se disait le parent et le protecteur. Valens, à dessein de surprendre Gumoaire cantonné dans la Lydie[490], prit sa route par des chemins rudes et difficiles, au pied du mont Olympe. Pour opposer à Procope un général rusé et artificieux, il attira à son service Arbétion irrité du pillage de ses biens, et le mit à la tête de ses troupes. Il ne fut pas long-temps sans avoir sujet de s'en applaudir. Les deux armées se rencontrèrent près de Thyatire en Lydie. Arbétion par de sourdes pratiques débaucha un grand nombre de soldats, qui se rendirent à son camp et l'instruisirent de l'état des ennemis. Il corrompit Gumoaire lui-même, qui aurait pu éviter une action et se retirer sans aucun risque. Le combat s'étant engagé, le jeune Hormisdas, fidèle au parti qu'il avait embrassé, fit des prodiges de valeur, et malgré la trahison du général, il balançait la victoire. Alors, Arbétion quittant son casque et montrant ses cheveux blancs: Enfants, cria-t-il aux soldats ennemis, reconnaissez votre père: vous avez la plupart servi sous mes ordres; joignez-vous à un général de qui vous avez appris à vaincre, plutôt que de vous perdre avec un brigand dont la ruine est assurée. Vous n'avez point d'autre empereur que Valens. A ces paroles on entend de toutes parts répéter dans l'armée ennemie: Valens empereur. Presque tous les soldats se rangent du coté d'Arbétion, et Gumoaire se fit prendre lui-même et conduire au camp de Valens.