Histoire du Bas-Empire. Tome 03
LIVRE XIV.
I. Départ d'Antioche. II. Liberté d'un habitant de Bérhée. III. Julien à Hiérapolis. IV. Il passe l'Euphrate. V. Julien à Carrhes. VI. Il dispose tout pour sa marche. VII. Il arrive à Callinicus. VIII. A Circésium. IX. Discours de Julien à ses troupes. X. Marche de l'armée en Assyrie. XI. Elle avance dans le pays ennemi. XII. Prise de la forteresse d'Anatha. XIII. Inondation de l'Euphrate. XIV. Précautions de Julien. XV. Marche jusqu'à Pirisabora. XVI. Prise de Pirisabora. XVII. Sévérité de Julien. XVIII. Réprimande qu'il fait à ses soldats. XIX. Marche jusqu'à Maogamalcha. XX. Situation de la ville. XXI. Péril de Julien. XXII. Divers événements qui se passent hors de la ville. XXIII. Attaques. XXIV. Prise de la ville. XXV. Modération de Julien. XXVI. Ennemis enfermés dans des souterrains. XXVII. On détruit le parc du roi de Perse. XXVIII. Suite de la marche. XXIX. Passage du Naarmalcha. XXX. Julien rassure ses soldats. XXXI. Passage du Tigre. XXXII. Combat contre les Perses. XXXIII. Suites de la victoire. XXXIV. Julien se détermine à ne pas assiéger Ctésiphon. XXXV. Il refuse la paix. XXXVI. Il est trompé par un transfuge. XXXVII. Il brûle ses vaisseaux. XXXVIII. Il ne peut pénétrer dans la Perse. XXXIX. Il prend le chemin de la Corduène. XL. Marche de l'armée. XLI. Arrivée de l'armée royale. XLII. Divers événements de la marche. XLIII. Bataille de Maranga. XLIV. Inquiétudes de Julien. XLV. Blessure de Julien. XLVI. Succès du combat. XLVII. Dernières paroles de Julien. XLVIII. Sa mort. XLIX. Précis de son caractère. L. Fables inventées au sujet de sa mort. LI. Faits véritables.
I
Départ d'Antioche.
Jul. ep. 27, p. 399.
Amm. l. 23, c. 2.
Zos. l. 3, c. 12.
Evagr. l. 6, c. 11.
Julien partit le 5 de mars[83]; et après douze lieues[84] de chemin par des marais et des montagnes[85], il arriva sur le soir à Litarbes, bourg de la dépendance de Chalcis. La plus grande partie des sénateurs d'Antioche l'avaient suivi jusqu'en ce lieu, pour tâcher d'apaiser sa colère. Ils ne gagnèrent rien sur ce cœur inflexible: l'empereur les congédia durement, en leur répétant qu'il ne rentrerait plus dans leur ville, et qu'il irait passer à Tarse l'hiver suivant. Quoiqu'à son départ d'Antioche il n'eût pas aperçu dans les victimes des signes favorables, cependant enivré de ses succès passés et des flatteuses prédictions de Maxime, dont il se fit accompagner dans ce voyage, il tirait d'heureux pronostics de tout ce qu'il rencontrait sur sa route, et il en tenait un registre exact. Il vint le lendemain à Bérhée, nommée aujourd'hui Halep, où il s'arrêta pendant un jour[86]. Après avoir solennellement offert à Jupiter un taureau blanc en sacrifice[87], il assembla le sénat de cette ville, et tâcha de le porter à l'idolâtrie par un discours qui fut applaudi de tous, et qui ne persuada personne.
[83] Julien prit, selon le récit d'Ammien Marcellin, la route ordinaire qui conduisait à Hiérapolis. Jam apricante cœlo, dit cet historien, l. 23, c. 2, tertio nonas martias profectus, Hierapolim solitis itineribus venit. Les itinéraires anciens nous apprennent qu'on se rendait en cinq jours d'Antioche à Hiérapolis. Les stations de cette voie romaine étaient Immæ, Chalcis, Berhéa, Batné et Hiérapolis. Il ne paraît pas cependant que Julien ait pris précisément cette route. Il n'alla point à Chalcis; il suivit un chemin plus direct, et qui devait passer assez loin au nord de cette ville. Ce fut sans doute là le motif du séjour qu'il fit à Bérhée (actuellement Halep), lieu où on se rendait ordinairement en trois jours en venant d'Antioche par Chalcis, tandis qu'il y arriva en deux jours, en évitant cette dernière ville.—S.-M.
[84] Le bourg de Litarbæ était, selon Évagrius (l. 6, c. 11), à trois cents stades d'Antioche. On y trouvait, à ce que dit Julien (ep. 37, p. 399), des restes des habitations d'hiver des Antiochéniens. Les mots καὶ ἐνέτυχον ὁδῷ λείψανα ἐχούσῃ χειμαδίων Ἀντιοχικῶν, bien rendus par tous les interprètes latins, ne l'ont pas été avec autant de succès par les traducteurs français. En relevant le contre-sens commis par La Bletterie, qui a traduit: le chemin se ressentait de l'hiver d'Antioche, le dernier traducteur français (t. III, p. 164), n'a pu s'empêcher d'y en substituer un autre, un peu moins grave, il est vrai. Au lieu de: «Le hasard m'y a fait remarquer une route où sont les restes d'un camp d'hiver formé autrefois par l'armée du peuple d'Antioche,» il fallait traduire: «Le hasard me conduisit sur une route où se trouvaient les ruines des habitations d'hiver des Antiochéniens.» La Bletterie avait été trompé par Tillemont (t. IV, Julien, art. 21.), qui avait entendu comme lui le passage de Julien. Il paraît, par la distance indiquée, que Litarbes était située assez loin au-delà d'Immæ, première station des voyageurs qui se rendaient d'Antioche à Hiérapolis en passant par Chalcis, et au nord de cette ville. Imma, selon Pline (l. 5, c. 24), était le commencement de la Commagène; pour Litarbes, elle se trouvait dans la Chalcidène.—S.-M.
[85] Entre un marais et une montagne, τὸ μὲν τέλμα, τὸ δὲ ὄρος. «Vers le marais, dit Julien, étaient des pierres, jetées comme à dessein, mais non travaillées, et semblables à celles dont on pave les rues des autres villes. Elles étaient placées comme une muraille; seulement la vase y tenait lieu de ciment.» Le chemin qui conduit d'Antioche à Chalcis porte encore dans le pays le nom de Chaussée de Julien. Voyez Pococke (Desc. of the east, t. 2, p. 171), et Drummond (Travels, p. 183.).—S.-M.
[86] Il visita la citadelle, τὴν ἀκρόπολιν. C'est ce qu'il dit lui-même dans sa lettre à Libanius. La citadelle de la moderne Halep est encore très-remarquable par sa prodigieuse élévation au-dessus de la ville, aussi est-elle très-forte.—S.-M.
[87] Selon l'usage des rois, βασιλικώς, dit Julien.—S.-M.
II.
Liberté d'un habitant de Bérhée.
Theod. l. 3, c. 22.
Il eut lui-même occasion de s'apercevoir du peu de succès de son éloquence. Le chef du conseil de Bérhée, irrité contre son fils de ce qu'il avait embrassé la religion du prince, l'avait publiquement déshérité et chassé de sa maison. Comme Julien approchait de la ville[88], ce jeune homme alla se jeter à ses pieds pour lui demander justice. L'empereur lui promit de le réconcilier avec son père. Dans un repas qu'il donna aux magistrats de Bérhée, il fit placer à coté de lui le père et le fils. Après quelques moments d'entretien: Pour moi, dit-il au père, je ne puis souffrir qu'on veuille forcer la croyance des autres hommes, et exercer sur leur conscience une sorte de tyrannie. N'exigez pas de votre fils qu'il suive, malgré lui, votre religion; je ne vous oblige pas d'embrasser la mienne, quoiqu'il me fût aisé de vous y contraindre. Quoi! seigneur, lui répondit le père, vous me parlez de ce scélérat, de cet impie, qui a préféré le mensonge à la vérité? A cette brusque repartie, l'empereur prenant un air de douceur: Faites trève à vos invectives, lui dit-il, et se tournant vers le jeune homme, il ajouta: Je vous tiendrai lieu de père, puisque le vôtre vous abandonne.
[88] La ville de Bérhée était dans la Cyrrhestique, province de la Syrie septentrionale, qui tirait son nom de la ville de Cyrrhus. Selon quelques historiens, Julien, en traversant ce canton, aurait ajouté un martyr à ceux que son zèle contre le christianisme avait déjà faits. Un solitaire nommé Domitius habitait une caverne dans cette province; tout le monde s'y rendait pour recevoir sa bénédiction. Julien en fut irrité; il fit dire au solitaire que, s'il avait choisi la retraite pour plaire à Dieu, il ne devait pas tant rechercher l'empressement des hommes. Domitius lui répondit qu'il ne pouvait chasser ceux que la foi amenait vers lui. Julien fit alors boucher l'entrée de la caverne, et le saint y perdit la vie. Selon la Chronique de Malala (part. 2, p. 16), cet événement dont nous ne garantissons pas la vérité, serait arrivé dans la ville de Cyrrhus. Il est impossible que Julien se soit détourné autant de sa route pour passer par une ville si loin au nord de Bérhée. La chronique Paschale (p. 298), dit seulement que ce fut en traversant la Cyrrhestique, διὰ τῶν Κυῤῥεϛικῶν, ce qui serait plus vraisemblable. On voit par un passage de saint Grégoire de Tours (de glor. mart., p. 100), que de son temps le culte de Domitius, martyr de Syrie, était très-répandu.—S.-M.
III.
Julien à Hiérapolis.
Jul. ep. 27, p. 399.
Amm. l. 22, c. 2.
Liban. or. 10, t. 2, p. 311.
Zos. l. 3, c. 12.
Chrysost. de Sto Babyla, et in Jul. et Gent. t. 2, p. 575.
La Bletterie, 27e lettre de Julien.
Il fut plus content des habitants de Batné[89], où il arriva après une marche de huit lieues[90]. Cette ville, située en Syrie[91] dans une plaine délicieuse, et peuplée de cyprès, était fort adonnée à l'idolâtrie. L'empereur y respira avec plaisir l'odeur de l'encens dont la fumée s'élevait de toutes parts. Il rencontrait à chaque pas des victimes magnifiquement parées. Charmé de ce zèle il logea dans un palais rustique qui n'était construit que de bois et de terre. Après des sacrifices dont les signes parurent heureux à son imagination satisfaite, au lieu de prendre le chemin de Samosate[92], capitale de la Commagène, où il aurait trouvé un pont commode pour passer l'Euphrate, il prit celui d'Hiérapolis, qui n'était éloignée de Batné que de sept lieues[93]. Cette dernière route était plus courte pour arriver au bord de l'Euphrate[94]. D'ailleurs, Hiérapolis, dont le nom signifie ville sacrée, était fameuse par un ancien temple de Jupiter[95]. Les habitants vinrent en foule à sa rencontre et le reçurent avec joie. Il rendit d'abord ses hommages à Jupiter, et alla loger chez Sopater, disciple d'Iamblique. Julien chérissait[96] Sopater, parce que ce philosophe ayant plusieurs fois reçu chez lui Constance et Gallus, il avait résisté aux sollicitations de ces deux princes, qui le pressaient de renoncer à l'idolâtrie. C'était dans cette ville que l'empereur avait marqué le rendez-vous de l'armée. Au moment de son entrée, un portique, sous lequel campait un corps de troupes, s'étant tout-à-coup écroulé, écrasa cinquante soldats, et en blessa un grand nombre. Pendant les trois jours que Julien passa à Hiérapolis[97], il fit rassembler toutes les barques qui se trouvaient sur l'Euphrate à Samosate et ailleurs[98]. On y transporta les provisions qui seraient nécessaires dans les pays déserts et stériles qu'on aurait à traverser. Il rassembla quantité de chevaux et de mulets; il envoya des exprès aux diverses tribus des Sarrasins, pour les avertir de le venir joindre, s'ils voulaient être traités comme amis des Romains[99]. Son armée, qu'il savait animer par une éloquence militaire, montrait une ardeur extrême. Mais Julien ne comptait pas moins sur le secret de l'exécution. Persuadé que tout ce qui sort de la bouche du chef parvient bientôt aux oreilles des espions, qui se dérobent à la plus exacte vigilance, il n'avait d'autre confident que lui-même, et ne laissait transpirer aucun de ses projets. Il fit prendre les devants à des coureurs, à dessein d'arrêter les transfuges, et d'empêcher qu'ils ne portassent des nouvelles à l'ennemi. Enfin il tenta pour la dernière fois d'engager tous ses soldats dans l'idolâtrie. Plusieurs se laissèrent séduire par ses caresses; mais la plupart étant demeurés fermes, il n'osa congédier ces fidèles chrétiens, de peur d'affaiblir son armée.
[89] Ce nom, d'origine syriaque, se retrouve dans la langue arabe, et il sert à désigner un lieu situé dans une vallée où les eaux viennent se réunir. Il s'applique par cette raison à un grand nombre de localités.—S.-M.
[90] Ce lieu est appelé Bathnis ou Bannis, dans les itinéraires romains qui le mettent à vingt-sept milles de Berhæa ou Halep.—S.-M.
[91] Le nom de cette ville est barbare, dit Julien, mais le pays est grec. Βαρβαρικὸν ὄνομα τοῦτο, χωρίον ἐϛὶν Ἑλληνικόν. Cette ville était une autre Daphné, à cause de ses agréments. «Je n'ai rien vu d'aussi beau dans votre pays, dit Julien à Libanius; j'en excepte Daphné, à laquelle on la compare. Pour moi, je préférerais Batné à l'Ossa, au Pélion, à l'Olympe, aux belles vallées de la Thessalie, à Daphné même, sans ses temples de Jupiter Olympien et d'Apollon Pythien.» Ce lieu, que les Arabes modernes ont nommé Bab, n'a rien perdu de ses avantages. Le géographe Abou'lfeda (tab. Syriæ, p. 129, édit. Koehler), en parle de manière à justifier les éloges de Julien.—S.-M.
[92] Ville grande et peuplée, μεγάλην καὶ πολυάνθρωπον πόλιν, dit Libanius.—S.-M.
[93] La distance était plus considérable. La table de Peutinger nous fait voir qu'il y avait trois petites stations entre Batné ou Bannis et Hiérapolis. D'abord quinze milles de Batné à Thiltauri, puis douze milles jusqu'à Bathna, et enfin dix-huit milles de là à Hiérapolis; en tout quarante-cinq milles; ce qui fait environ quinze lieues. L'erreur est donc de moitié environ.—S.-M.
[94] Selon Zosime (l. 3, c. 12), Julien arriva le cinquième jour de sa marche à Hiérapolis, πέμπτῃ δὲ τὴν Ἱεράπολιν ἡμέρα καταλαβών. Cette indication est conforme à ce que l'empereur dit lui-même dans sa lettre à Libanius. Le premier jour après son départ d'Antioche, il arriva à Litarbes dans la Chalcidène. Le second à Bérhée, où il passa un jour entier. C'est donc le quatrième qu'il arriva à Batné, et le cinquième à Hiérapolis.—S.-M.
[95] Ἱερὸν ἀρχαῖον. Cette ville, déja métropole de l'Euphratèse, devait être encore recommandable à Julien, par d'autres titres: elle était, pour ainsi dire, le centre de toutes les superstitions syriennes; c'est là que la grande déesse des Syriens était révérée d'une manière particulière, et qu'elle recevait les hommages de presque tous les peuples de l'Orient. On peut à ce sujet voir le curieux Traité de Lucien sur cette divinité. La ville d'Hierapolis, presque ruinée maintenant, est nommée Manbedj par les Arabes. Les Syriens l'appelaient Maboug; elle a été aussi nommée quelquefois par les Grecs Bambyce (Strab., l. 17, p. 748 et 751.). C'est sans aucun doute une altération de sa dénomination syrienne.—S.-M.
[96] Il l'appelle θειοτάτος, très-divin.—S.-M.
[97] Hiérapolis n'était pas sur l'Euphrate, mais à une petite distance de ce fleuve, comme nous l'apprend Lucien (de Dea Syria, t. 3, p. 451, ed. Hemsters.). Cet intervalle était cependant de vingt-quatre milles romains, ou d'environ huit lieues, comme on le voit dans la table de Peutinger. Gibbon se trompe donc en disant (t. 4, p. 474), qu'elle était presque sur les bords de l'Euphrate. On traversait ce fleuve dans un endroit nommé Zeugma, c'est-à-dire le pont. C'était là le passage militaire de l'Euphrate pour les troupes envoyées d'Antioche contre les Perses. Ce lieu, où il ne se trouve plus que des ruines, fut nommé par les Arabes dans le moyen âge Djisr-Manbedj ou simplement Djisr (le Pont) ce qui est la traduction du grec. Le savant d'Anville s'est trompé en plaçant la situation de l'antique Zeugma à Roum-kalaah, fort sur l'Euphrate, très-loin au nord d'Hiérapolis et sur une route différente (D'Anville, l'Euphr. et le Tigre, p. 7 et 8). Je suis entré dans de grands détails sur la géographie de ces régions et de l'ancienne Syrie en général, dans une Histoire de Palmyre que je fais imprimer en ce moment à l'Imprimerie royale. Faute de connaissances positives sur la géographie de ce pays, tous les interprètes des auteurs anciens qui ont parlé des opérations de Julien pendant son séjour à Hiérapolis, l'ont fait d'une manière obscure, et comme si cette ville avait été située sur l'Euphrate.—S.-M.
[98] On apprend de Zosime qu'un général nommé Hiérius fut chargé du commandement de tous ces bâtiments de transport. Selon la chronique de Jean Malala (part. 2, p. 17), Julien avait fait fabriquer à Samosate des bâtiments de charge, πλοῖα, les uns en bois, διὰ ξύλων, les autres en cuir, διὰ βυρσῶν. Il avait tiré ce renseignement d'un auteur qui nous est entièrement inconnu d'ailleurs, d'un certain Magnus de Carrhes, Μάγνος ὁ Κaῤῥηνὸς, qui avait accompagné Julien dans son expédition.—S.-M.
[99] Julien dans sa lettre se contente de dire qu'il les fit prévenir de venir, s'ils le voulaient, ὑπομιμνήσκων αὐτοὺς ἥκειν, εἰ βούλοιντο.—S.-M.
IV.
Il passe l'Euphrate.
Amm. l. 23, c. 2.
[Ζοs. l. 3, c. 12.]
Theod. l. 3, c. 26.
Soz. l. 6, c. 1.
Ayant passé l'Euphrate sur un pont de bateaux[100], avant que les ennemis fussent avertis de sa marche, il vint à la ville de Batné en Osrhoène, de même nom que celle de Syrie[101].—[Un malheur assez semblable à celui qui l'avait déjà alarmé en entrant dans Hiérapolis, vint lui inspirer de nouvelles terreurs dans cette ville. Cinquante des hommes employés au service de l'armée y furent étouffés par la chute d'une meule de paille, qui était très-élevée, selon l'usage du pays. Il en conçut de sinistres craintes sur le succès de son expédition.] On laissa sur la gauche Édesse[102]: le christianisme y florissait, c'était assez pour en éloigner Julien.
[100] Navali ponte. Le pont de Zeugma avait sans doute été détruit pendant les guerres contre les Perses, pour les empêcher de passer l'Euphrate, et de pénétrer dans la Syrie. Outre son armée, Ammien Marcellin remarque que Julien passa le fleuve avec des troupes auxiliaires de Scythes, c'est-à-dire de Goths, cum exercitu et Scytharum auxiliis.—S.-M.
[101] Cette ville, qu'Ammien Marcellin qualifie de municipale, municipium, est appelée une petite ville, πολίχνιον, par Zosime et par Procope (de bell. Pers. l. 2, c. 12). C'est sans doute à une situation semblable qu'elle devait l'identité de son nom avec la Batné de la Cyrrhestique dont il a déja été parlé. Pour la distinguer des autres localités du même nom, on l'appelait en syriaque Bathnan di Saroug ou Batné de Saroug, du nom du pays où elle se trouvait. Ils l'appelaient aussi simplement Saroug; les Arabes l'ont nommée Saroudj. Voyez Assemani, Bibl. orient. t. 1, p. 284.—S.-M.
[102] Zosime (l. 3, c. 12), rapporte précisément le contraire. Selon lui, tout le peuple d'Édesse, Ἐδεσσηνοὶ πανδημεὶ, vint à sa rencontre jusqu'à Batné avec une couronne, l'invitant à visiter leur ville. Julien, selon lui, accéda à leur désir, et vint à Édesse, d'où il se rendit à Carrhes, ἐπιϛὰς τῇ πόλει, ... ἐπὶ Κάῤῥας ἐβάδιζε. C'est Sozomène et Théodoret qui prétendent que Julien évita de passer par Édesse, qu'il laissa sur la gauche. Il est à remarquer qu'Ammien Marcellin semble être de leur avis; car il dit, l. 23, c. 3, que Julien partit affligé de Batné, et se rendit promptement à Carrhes; mæstus exinde digressus venit cursu propero Carras.—S.-M.
V.
Julien à Carrhes.
Amm. l. 23, c. 3.
Theod. l. 3, c. 26.
Soz. l. 6, c. 1.
Zos. l. 3, c. 12 et 13, et l. 4, c. 4.
Spart. in Caracalla.
[Eckhel, Doct. num. vet. t. 3, p. 506-510.]
Etant arrivé à Carrhes[103], célèbre par la défaite de Crassus[104], il s'y arrêta quelques jours. En cette ville était un temple de la lune, adorée sous le nom de dieu Lunus. Ces peuples par une idée bizarre avaient changé le sexe attribué partout ailleurs à cette divinité. Il y avait selon eux une malédiction attachée à ceux qui adoraient la lune comme déesse: ils vivaient, disaient-ils, dans un perpétuel esclavage, toujours asservis aux caprices de leurs femmes[105]. L'empereur n'oublia pas de visiter ce temple. On dit qu'après le sacrifice, s'étant enfermé seul avec Procope son parent, il lui remit un manteau de pourpre, avec ordre de s'en revêtir et de prendre la qualité d'empereur, supposé qu'il pérît dans la guerre de Perse. Théodoret copié par d'autres auteurs chrétiens attribue en cette occasion à Julien une action tout-à-fait horrible. Il rapporte qu'au sortir du temple, ce prince en fit fermer les portes, et que les ayant scellées de son sceau, il y plaça une garde de soldats qui ne devait être levée qu'à son retour; qu'ensuite, à la nouvelle de sa mort, lorsqu'on entra dans le temple on y trouva une femme suspendue par les cheveux, les bras étendus, le ventre ouvert, Julien ayant cherché dans ses entrailles des signes de sa victoire. Sozomène, d'ailleurs assez crédule, et contemporain de Théodoret, n'a pas adopté ce récit. On n'en trouve rien dans saint Grégoire de Nazianze, qui, dans les reproches de cruauté qu'il lance avec tant de force contre Julien, n'aurait eu garde de passer sous silence un fait si atroce.
[103] Cette ville, située assez loin au midi d'Édesse, est nommée par les Orientaux Harran ou Kharran. On trouve cette dénomination dans Josèphe (Ant. Jud. l. 1, c. 7 et 19. Χαῤῥὰν). Elle se représente sur une médaille inédite de la collection de feu M. Tochon, de l'Académie des Inscriptions, où on lit ΧΑΡΡΑΝ. Selon Étienne de Byzance, elle était arrosée par le fleuve Carra. Elle séparait, dit Zosime, les Romains des Assyriens: Ἡ πόλις διορίζει Ῥωμαίους καὶ Ἀσσυρίους. C'est sans doute de son territoire qu'il veut parler; car la domination romaine s'étendait bien au-delà de cette ville.—S.-M.
[104] Carrhæ, clade Crassi nobiles, dit Pline (l. 5, c. 24). En mentionnant cette ville, les écrivains latins manquaient rarement de rappeler le désastre de Crassus. Ainsi Lucain, Phars. l. 1, v. 104:
et Ammien Marcellin, l. 23, c. 3, Carras, antiquum oppidum, Crassorum et Romani exercitus ærumnis insigne.—S.-M.
[105] Beaucoup d'auteurs ont traité du culte de la lune à Carrhes. Cette ville se distingua toujours par son attachement pour le paganisme; les empereurs ne purent jamais l'y détruire. Il y subsistait encore, lorsqu'elle passa, au septième siècle, sous la domination des Arabes. Les partisans de l'ancien culte connus des auteurs arabes sous les noms de Harraniens on de Sabéens, y étaient en très-grand nombre; ils furent protégés par les conquérants arabes, qui leur accordèrent la faculté d'être gouvernés par des chefs de leur nation. Aux huitième, neuvième et dixième siècles, ils étaient dans un état très-prospère; les sciences étaient très-cultivées parmi eux; ils produisirent un grand nombre d'écrivains distingués, souvent cités dans les ouvrages syriaques et arabes. Ces sectaires ont prolongé leur existence jusqu'à une époque très-rapprochée de nous, et il n'est pas sûr qu'il n'en subsiste pas encore actuellement dans la Mésopotamie des restes très-considérables.—S.-M.
VI.
Il dispose tout pour sa marche.
Amm. l. 23, c. 3.
Liban. or. 10, t. 2, p.312.
Zos. l. 3, c. 12 et 13.
Soz. l. 6, c. 1.
Chrysost. de Sto Babyla, contra Jul. et Gent. t. 2, p. 575.
La nuit du 18 au 19 de mars, Julien fut fort agité par des songes fâcheux. A son réveil, ayant consulté les interprètes de songes qu'il menait à sa suite, il jugea que le jour suivant allait être signalé par quelque événement funeste. Le jour se passa sans accident; mais la superstition trouva bientôt de quoi autoriser ses rêveries. On apprit quelque temps après que, cette nuit-là même, le feu avait pris dans Rome au temple d'Apollon Palatin, et que sans un prompt secours les oracles des Sibylles auraient été la proie des flammes. Il y avait deux grandes routes pour aller en Perse: l'une à gauche par Nisibe et l'Adiabène, en traversant le Tigre;[106] l'autre à droite par l'Assyrie, le long de l'Euphrate[107]. On appelait alors Assyrie la partie méridionale de la Mésopotamie qui obéissait aux Perses. Julien préféra cette dernière route. Pendant qu'il disposait tout pour son départ, on vint lui annoncer qu'un corps de cavalerie ennemie, ayant forcé les passages, ravageait les environs de Nisibe. L'alarme se répandit dans le camp; mais on apprit bientôt que ce n'étaient que des coureurs, et qu'ils s'étaient retirés après avoir fait quelque pillage. Pour mettre le pays à couvert de ces insultes, il détacha de son armée trente mille[108] hommes sous le commandement de Procope et du comte Sébastien[109]. Ces généraux avaient ordre de veiller à la sûreté de la Mésopotamie, jusqu'à ce que l'empereur eût pénétré dans la Perse; de se réunir ensuite à Arsace, et de venir avec ce prince par la Corduène, la Moxoène[110] et les frontières de la Médie, rejoindre Julien au-delà du Tigre[111]. Il écrivit en même temps au roi d'Arménie une lettre pleine de vanité, se relevant beaucoup lui-même, taxant Constance de lâcheté et d'impiété, menaçant Arsace, et comme il savait que ce prince était chrétien: N'espérez pas, lui disait-il, que votre Dieu puisse vous défendre, si vous négligez de m'obéir[112]. Étant sur le point de partir, il monta sur un lieu élevé pour jouir du spectacle de son armée: c'était la plus belle et la plus nombreuse qu'aucun empereur eût conduite contre les Perses. Elle était composée de soixante-cinq mille hommes. Ayant remarqué parmi les bagages un grand nombre de chameaux chargés, il demanda ce qu'ils portaient. On lui répondit que c'étaient des liqueurs et des vins de plusieurs sortes: Arrêtez-les ici, dit-il aussitôt, je ne veux pas que ces sources de volupté suivent mon armée; un soldat ne doit boire que le vin qu'il s'est procuré par son épée. Je ne suis moi-même qu'un soldat, et je ne prétends pas être mieux traité que le dernier de mes troupes.
[106] Τῆς μὲν, διὰ τοῦ ποταμοῦ Τίγρητος καὶ πόλεως Νισίβιος, ταῖς Ἀδιαβηνῆς σατραπείαις ἐκβαλλούσης. Zos., l. 3. c. 12. «L'un, par le Tigre et la ville de Nisibe, conduisait aux satrapies Adiabéniques.» Aucun des interprètes de Zosime, ni des savants qui se sont occupés de l'histoire de cette époque, n'a fait attention aux expressions de cet historien. Par les satrapies de l'Adiabène, Zosime veut désigner toutes les petites souverainetés, situées sur les bords du Tigre et dans les montagnes des Curdes qui séparaient le royaume de Perse, de celui d'Arménie. Nous savons par les actes des martyrs syriens, composés par Marouta et publiés par Assemani, que l'Adiabène formait alors un royaume particulier; ces actes font connaître un souverain de cette région appelé Ardeschir (t. 1, p. 99 et 153), qui était grand persécuteur des chrétiens. Les Grecs et les Romains nomment Jovinianus ou Junius satrape de la Gordyène. Les auteurs arméniens placent du même côté les principautés des Reschdouniens, des Ardzrouniens, des Andsevatsiens, de l'Arzanêne, de la Moxoène et une multitude d'autres. C'est à tous ces petits états que s'appliquent sans aucun doute les expressions de Zosime et le nom de satrapies de l'Adiabène.—S.-M.
[107] Τῆς δέ, διὰ τοῦ Εὐφράτου καὶ τοῦ Κιρκησίου, «l'autre par l'Euphrate et Circésium,» dit Zosime.—S.-M.
[108] C'est Ammien Marcellin qui porte à trente mille hommes la force de ce corps. Selon Zosime, elle n'était que de dix-huit mille hommes. Sozomène compte vingt mille hommes, ce qui est d'accord avec Libanius. Il est à remarquer que le traducteur latin de ce dernier a mis dans sa version trente mille. Le texte offre cependant μυρίαδας δύο. Dans la Chronique de Malala (part. 2, p. 17.), cette armée n'est portée qu'à seize mille hommes.—S.-M.
[109] C'était un manichéen, autrefois duc d'Égypte, Sebastiano Comite ex Duce Ægypti, dit Ammien Marcellin. Il en a déja été question, liv. IX, § 3 et suiv. C'est lui qui avait été chargé par Constance d'appuyer l'arien George dans ses mesures contre les catholiques. Il était fils d'Antiphilus; il avait reçu des leçons de Libanius, qui l'aimait beaucoup. On trouve plusieurs lettres qui lui sont adressées dans le recueil de ce sophiste.—S.-M.
[110] La Moxoène, est sans aucun doute, la province de l'Arménie méridionale, au milieu des montagnes des Curdes, appelée par les Arméniens Mog. Elle formait une des quinze grandes divisions de l'Arménie; sa position était à l'οrient du Tigre, au nord de la ville de Ninive. D'Anville s'est trompé en la plaçant sur les bords de l'Euphrate septentrional, dans le pays actuellement nommé Mousch. Il a été trompé par une apparente ressemblance de nom. Voyez sur ce point géographique, mes Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie, t. 1, p. 174.—S.-M.
[111] Julien leur avait ordonné en outre, après avoir opéré leur jonction avec le roi d'Arménie, de ravager une province fertile de la Médie, nommée Chiliocome par Ammien Marcellin, et de traverser rapidement les autres parties de ce pays; ce n'était qu'après cette opération qu'ils devaient se rendre dans l'Assyrie. Mandabatque eis, ut si fieri potiùs posset, regi sociarentur Arsaci: cumque eo per Corduenam et Moxoenam, Chiliocomo uberi Mediæ tractu, partibusque aliis præstricto cursu vastatis, apud Assyrios adhuc agenti sibi concurrerent. Amm. Marc. l. 23, c. 3. J'ignore quelle était la situation de ce pays de Chiliocome, dont il est encore question dans Ammien Marcellin, l. 24, c. 8; dans ce dernier endroit, il le place auprès de la Corduène: Chiliocomum propè Corduenum sitam; ce n'en est pas assez pour fixer sa véritable position. Je soupçonne que ce pays pourrait bien être la portion de l'Atropatène, baignée par le lac d'Ourmi, appelée par les anciens Mantiane, du côté de Tauriz. Ce pays dépendant du Vaspourakan, se nommait Margasdan en arménien, c'est-à-dire, pays de plaine. Chiliocome, ou les mille bourgs, doit être la traduction grecque d'un nom national qui avait le même sens. Il la devait sans doute à son extrême population.—S.-M.
[112] C'est l'historien ecclésiastique Sozomène (l. 6, c. 1.), qui nous donne la substance de cette lettre, si conforme dans son esprit avec celle qui a été retrouvée par Muratori, et dont nous avons parlé ci-devant, p. 37, liv. XIII, § 31.—S.-M.
VII.
Il arrive à Callinicus.
On avait préparé des étapes sur les deux routes pour tenir les Perses dans l'incertitude. Ayant fait une fausse marche du coté du Tigre, il tourna sur la droite; et après avoir passé une nuit sous des tentes, comme il s'était fait amener son cheval qu'on nommait le Babylonien, cet animal frappé d'une douleur soudaine s'abattit tout-à-coup, et se roulant à terre, mit son harnais en pièces. Julien s'écria avec joie: C'est Babylone qui tombe, dépouillée de tous ses ornements. Ses officiers applaudissent: on fait des sacrifices pour confirmer ce bon présage; et l'on arrive sur le soir au château de Davana[113], où une rivière nommée Bélias[114] prenait sa source pour s'aller jeter dans l'Euphrate. Le 27 de mars l'armée entra dans Callinicus, place forte et commerçante[115]. Julien y pratiqua les mêmes cérémonies qui étaient en usage à Rome ce jour-là en l'honneur de Cybèle. Le lendemain on campa sur les bords de l'Euphrate, qui devient fort large en cet endroit par l'abondance des eaux qui s'y rendent. Ce fut là que plusieurs princes sarrasins[116] vinrent lui rendre hommage comme au maître du monde et à leur souverain, lui offrant une couronne d'or. Pendant que l'empereur leur donnait audience, on vit passer en pompeux appareil à la vue du camp la flotte commandée par le tribun Constantianus et par le comte Lucillianus. Toute la largeur du fleuve était couverte de mille bâtiments[117], chargés de vivres, d'armes et de machines: sans compter cinquante vaisseaux armés en guerre, et autant de grosses barques, propres à établir des ponts pour le passage de l'armée.
[113] Ce château qu'Ammien Marcellin qualifie de Castra præsidiaria, faisait partie d'une chaîne de postes destinés à défendre l'approche de l'Euphrate. Julien suivit cette ligne pour se rendre à Callinicus sur ce fleuve; c'est ce qui résulte de ces paroles de Zosime (l. 3, c. 13), ἐξορμήσας δ' ἐκ Καῤῥῶν, καὶ τὰ ἐν μέσῳ διαδραμὼν φρούρια μέχρι Καλλινίκου: «Étant sorti de Carrhes et traversant les forts placés dans l'intervalle jusqu'à Callinicus, etc.» Le château de Davana est nommé Dabana dans la Notice de l'empire, qui y met une garnison de cavaliers Maures, armés à la façon des Illyriens, equites Mauri Illyriciani, et par Procope (de ædif. l. 2, c. 4) Dabanas. Les auteurs syriens appellent cette forteresse Dahbana. Voyez Assemani, Bibl. or. t. 1, p. 181.—S.-M.
[114] Ce petit fleuve est nommé par d'autres auteurs Bilecha, Bilicha ou Balicha. Il se jette dans l'Euphrate à Callinicus. Les auteurs arabes en parlent sous le nom de Balikh.—S.-M.
[115] Munimentum robustum, et commercandi opimitate gratissimum. Amm. Marc. l. 23, c. 3. Cette ville fut appelée Rakkah par les Arabes. Elle occupait de leur temps les deux rives de l'Euphrate. La partie à droite vers la Syrie avait le nom particulier de Rafikah. Selon l'auteur de la Chronique Paschale (p. 175), elle fut bâtie par le roi de Syrie, Séleucus Callinicus, après avoir vaincu, à ce qu'on croit, dans son voisinage, son frère Antiochus Hiérax. Le même auteur l'appelle Callinicopolis, Καλλινικόυπολις; mais il paraît que le nom de son fondateur a prévalu. Elle fut appelée dans la suite Léontopolis. Je suis entré dans de grands détails au sujet de cette ville commerçante, dans mon Histoire de Palmyre.—S.-M.
[116] Saracenarum reguli gentium.... oblatâ ex auro coronâ tamquam mundi nationumque suarum dominum adorarunt. Amm. Marc. l. 23, c. 3. C'étaient sans doute les princes ou chefs des tribus de la Palmyrène, qui vinrent alors à la rencontre de Julien.—S.-M.
[117] Ces bâtiments de transport n'étaient pas tous de la même forme ni de la même construction, naves ex diversa trabe contextæ, dit Ammien Marcellin, l. 23, c. 3. Zosime (l. 3, c. 13) donne des détails plus circonstanciés sur cette flotte. Selon lui il y avait six cents bâtiments construits en bois, ἐκ ξύλων, et cinq cents en cuir, ἀπὸ δερμάτων. Ce sont les vaisseaux de bois et de cuir que Julien avait fait construire à Samosate, selon la chronique de Malala; V. ci-devant, p. 58, note 3, liv. XIV, § 3. Zosime confirme donc l'exactitude du renseignement conservé par l'auteur de cette chronique, qui l'avait emprunté à Magnus de Carrhes, compagnon de Julien dans son expédition contre les Perses. Il y avait en outre, ajoute Zosime, cinquante bâtiments de guerre, ϛρατιωτικαὶ νῆες, des bateaux larges, πλατεῖα, destinés à faire des ponts et à faciliter le passage des fleuves, et enfin une multitude de transports, πάμπολλα πλοῖα, pour les vivres et pour les machines de guerre. On voit par tous ces détails que la flotte de Julien était un peu plus considérable, qu'on ne devrait le croire par le récit d'Ammien Marcellin. Selon le même Zosime, Lucien et Constance en étaient les chefs au lieu de Lucillianus et de Constantianus, nommés par Ammien Marcellin. Je crois que pour cette circonstance particulière, le témoignage du dernier doit être préféré. Selon la Chronique de Malala (part. 2, p. 17), la flotte entière se composait de douze cent cinquante bâtiments, ce qui est assez conforme au récit de Zosime.—S.-M.
VIII.
A Circésium.
Amm. l. 23, c. 5.
Zos. l. 3, c. 13.
[Ioan. Malala, chron. part. 2, p. 17 et 18.]
L'empereur, après avoir reçu les troupes des Sarrasins, qui pouvaient être d'un grand secours pour les courses et pour les surprises, entra dans Circésium[118] au commencement d'avril. C'était la dernière place des Romains de ce côté-là[119]. Elle était forte et bien bâtie, située au confluent de l'Aboras et de l'Euphrate[120]. Dioclétien l'avait fortifiée avec soin[121], pour servir de boulevard à la Syrie contre les incursions des Perses. Tandis que Julien faisait passer l'Aboras à ses troupes sur un pont de bateaux, il reçut une lettre de Salluste, préfet des Gaules, qui le suppliait de suspendre son expédition, jusqu'à ce qu'on eût obtenu des marques plus certaines de la faveur des Dieux. Julien qui s'en croyait assuré, ayant passé le fleuve après son armée, fit rompre le pont, pour ôter aux déserteurs toute espérance de retour[122]. Il rassembla ses bataillons et ses escadrons qu'il fit ranger en cercle autour de lui. Alors, élevé sur un tribunal de gazon, environné des principaux officiers, et montrant sur son visage l'assurance de la victoire, il leur parla en ces termes:
[118] Cette ville appelée par les Arabes Karkisiah, se trouve aussi désignée dans les auteurs anciens et dans Ammien Marcellin en particulier, sous le nom de Cercusium. On l'appelait encore Circessus. Le nom de Κιρκησίον, Circesium, est le plus commun. Quelques savants croient qu'elle est la Carchemis de l'Écriture (2 Par. XXXV, 20. Jerem. XLVI, 2. Isai. X, 9).—S.-M.
[119] Procope l'appelle (de bello Pers. l. 2, c. 5), le dernier fort des Romains φρούριον ἔσχατον: elle était encore de son temps sur l'extrême frontière de l'empire.—S.-M.
[120] Elle était comme dans une île. Cercusium, cujus mœnia Abora et Euphrates ambiunt flumina, velut spatium insulare fingentes, dit Ammien Marcellin, l. 23, c. 5.—S.-M.
[121] La Chronique de Malala rapporte aussi (part. 2, p. 17), que cette forteresse avait été construite par les ordres de Dioclétien.—S.-M.
[122] Je crois devoir faire ici mention d'un fait qui se trouve dans la Chronique de Malala, et qu'on a eu tort de négliger. Cet auteur qui, comme nous avons déja eu occasion de le remarquer, était fort bien informé, rapporte que Julien augmenta son armée à Circésium, de dix mille soldats: savoir, de six mille hommes des troupes, cantonnées sur cette frontière ἐγκαθέ τοὺς ϛρατιώτας, et de quatre mille autres qui s'y trouvaient. Il en conféra le commandement à deux officiers, nommés Accaméus et Maurus. Je ne doute pas qu'il n'y ait une petite erreur dans la manière dont les manuscrits de l'auteur grec présentent le nom du premier de ces généraux, et qu'il ne faille lire Μακαμέου au lieu de Ἀκκαμέου. Ces deux commandants sont Machamæus dont parle Ammien Marcellin, l. 25, c. 1, et son frère Maurus qui fut dans la suite duc de Phénicie. La mort de cet officier distingué par son courage, est racontée ci-après, p. 128, l. XIV, § 41. Zosime le nomme (l. 3, c. 26), Μακαμαῖος. Gibbon a mal entendu (t. 4, p. 480) ce passage de Malala. Il a cru y voir que Julien avait ajouté quatre mille hommes à la garnison ordinaire de Circésium. Il n'aurait sans doute pas commis ce contre-sens, s'il avait fait attention que les officiers mentionnés par le chroniqueur étaient cités par Ammien dans la suite de cette expédition.—S.-M.
IX.
Discours de Julien à ses troupes.
«Braves soldats, vous n'êtes pas les premiers Romains qui soyez entrés dans la Perse. Pour ne pas remonter jusqu'aux exploits de Lucullus, de Pompée, de Ventidius, plusieurs de mes prédécesseurs m'ont prévenu dans cette glorieuse carrière. Trajan, Vérus, Sévère sont revenus de ces contrées victorieux et triomphants; et le dernier des Gordiens, dont le monument va bientôt se montrer à nos yeux[123], ayant vaincu le roi de Perse auprès de Résaïna[124], aurait rapporté les même lauriers sur les terres de l'empire, si des mains perfides ne lui eussent arraché la vie au pied même de ses trophées[125]. Les héros dont je parle ne furent conduits dans ces lieux que par le désir de la gloire. Mais nous, des motifs plus pressants nous y appellent: nos villes ruinées; tant de nos soldats massacrés, dont les ombres sont errantes autour de nous, implorent notre vengeance. L'empire nous montre sa frontière dévastée; il s'attend que nous guérirons ses plaies, que nous éloignerons le fer et le feu auxquels il est exposé depuis plus d'un siècle. Nous avons à nous plaindre de nos pères; laissons à notre postérité de quoi nous vanter. Protégé par l'Éternel, vous me verrez partout à votre tête, vous commander, vous couvrir de mon corps et de mes armes, combattre avec vous. Tout me fait espérer la victoire; mais la fortune disposera de ma vie: si elle me l'enlève au milieu des combats, quel honneur pour moi de m'être dévoué à la patrie, comme les Mutius, les Curtius, comme la famille des Décius, qui se transmirent avec la vie, la gloire de mourir pour Rome! Nos ancêtres s'obstinèrent pendant des siècles entiers à soumettre les puissances ennemies de l'empire. Fidènes, Veïes, Faléries, furent rivales de Rome dans son enfance: Carthage et Numance luttèrent contre elle dans sa vigueur; ces états ne subsistent plus: nous avons peine à croire, sur la foi de nos annales, qu'ils aient jamais osé nous disputer l'empire. Il reste une nation opiniâtre, dont les armes sont encore teintes du sang de nos frères: c'est à nous à la détruire. Achevons l'ouvrage de nos aïeux. Mais pour réussir dans ce noble projet, il n'y faut chercher que la gloire. L'amour du pillage fut souvent pour le soldat romain un piége dangereux: que chacun de vous marche en bon ordre sous ses enseignes: si quelqu'un s'écarte, s'il s'arrête, qu'on lui coupe les jarrets[126], et qu'on le laisse sur la place. Je ne crains que les surprises d'un ennemi, qui n'a de force que dans ses ruses. Maintenant je veux être obéi: après le succès, quand nous n'aurons plus à répondre qu'à nous-mêmes, peu jaloux du privilége des princes, qui mettent leur volonté à la place de la raison et de la justice, je vous permettrai à tous de me demander compte de toutes mes démarches, et je serai prêt à vous satisfaire. Élevez votre courage: partagez mes espérances, je partagerai tous vos travaux, tous vos périls. La justice de notre cause est un garant de la victoire». Ce discours embrasa le cœur des soldats. Les divers sentiments de Julien paraissaient pénétrer dans leur ame, et se peindre sur leur visage. Dès qu'il eut cessé de parler, ils élèvent leurs boucliers au-dessus de leurs têtes: ils s'écrient qu'ils ne connaissent point de périls, point de travaux sous un capitaine qui en prend sur lui-même plus qu'il n'en laisse à ses soldats. Les Gaulois signalaient leur ardeur au-dessus de tous les autres: ils se souvenaient, ils racontaient avec transport, qu'ils l'avaient vu courir entre leurs rangs, se jeter au plus fort de la mêlée; qu'ils avaient vu les nations barbares, ou tomber sous ses coups, ou se prosterner à ses pieds. Julien, pour mieux assurer l'effet de ses paroles, fit distribuer à chaque soldat cent trente pièces d'argent.
[123] Cujus monumentum nunc vidimus. Il est à remarquer qu'Ammien Marcellin qui rapporte ce discours, l. 23, c. 5, en place le lieu au-delà de Zaïtha, où, selon lui, le jeune Gordien avait été enterré.—S.-M.
[124] Cette ville était dans la Mésopotamie, non loin des sources du Khabour ou Chaboras ou Aborras. Elle fut dans la suite nommée Théodosiopolis. Les Arabes l'appellent Rasaïn; on la trouve quelquefois mentionnée dans les auteurs syriaques sous le nom d'Aïn-varda, c'est-à-dire la fontaine de la rose. Elle est presque au centre de la Mésopotamie. Les médailles nous apprennent qu'elle reçut sous le règne de Septime-Sévère le titre de Colonie Romaine. Elle eut alors le surnom de Septimia. Voy. Eckhel, doctrina num. vet. t. 3, p. 518.—S.-M.
[125] Gordien, vainqueur des Perses, périt dans la Mésopotamie, par la trahison de Philippe, préfet du prétoire, qui fut son successeur.—S.-M.
[126] Exsectis cruribus relinquetur. Amm. Marc. l. 23, c. 5.—S.-M.
X.
Marche de l'armée en Assyrie.
Amm. l. 24, c. 1.
Zos. l. 3, c. 13 et 14.
Le fleuve Aboras faisait la séparation des terres de l'empire d'avec le pays ennemi. On passa la nuit sur ses bords, et dès le point du jour on sonna la marche. La lumière qui croissait peu à peu découvrait aux regards de l'armée les vastes plaines de l'Assyrie: l'empressement et la joie brillaient dans tous les yeux. Julien le premier à cheval, courant de rang en rang, inspirait aux soldats une nouvelle confiance. Il fit toutes les dispositions qu'on pouvait attendre d'un général expérimenté, pour la sûreté de la marche dans un pays inconnu; il envoya devant quinze cents coureurs pour battre l'estrade[127]. L'armée marchait sur trois colonnes. Celle du centre était composée de la meilleure infanterie, à la tête de laquelle était Julien. A droite, le reste des légions côtoyait le fleuve sous les ordres de Névitta. A gauche, la cavalerie commandée par Arinthée et par Hormisdas[128] traversait la plaine et couvrait l'infanterie. L'arrière-garde avait pour chefs Dagalaïphe et Victor[129]. Sécundinus, duc d'Osrhoène, fermait la marche. Les bagages étaient à couvert entre les deux ailes et le corps de bataille. Pour grossir le nombre des troupes aux yeux des coureurs ennemis, on fit marcher les différents corps à grands intervalles, en sorte qu'il y avait trois lieues[130] entre la queue et la tête de l'armée. La flotte avait ordre de mesurer ses mouvements avec tant de justesse, que, malgré les fréquents détours du fleuve, elle bordât toujours les troupes de terre, sans rester en arrière, ni les devancer.
[127] Selon la chronique de Malala (part. 2, p. 18), ces quinze cents hommes appartenaient aux corps des Lancearii et des Mattiarii.—S.-M.
[128] On pourrait croire, d'après ce que dit Zosime (l. 3, c. 13), qu'Hormisdas avait le principal commandement de la cavalerie, et qu'Arinthée lui était adjoint.—S.-M.
[129] Selon Zosime, Victor commandait toute l'infanterie.—S.-M.
[130] Laxatis cuneis jumenta dilatavit et homines, ut decimo pœnè lapide postremi dispararentur a signiferis primis. Amm. Marc. l. 24, c. 1. Selon Zosime, l. 3, c. 14, l'armée occupait un espace de soixante et dix stades, ce qui est à peu près autant.—S.-M.
XI.
Elle avance dans le pays ennemi.
Amm. l. 23, c. 5.
Zos. l. 3, c. 14.
Le premier pas que fit l'armée lui présenta un objet capable d'alarmer les superstitieux, et d'éveiller la diligence de ceux qui étaient chargés du soin des subsistances. C'était le corps d'un commissaire des vivres, que le préfet Salluste avait fait pendre, parce qu'ayant promis de faire venir au camp à un jour marqué certaines provisions, il avait manqué de parole. Un accident involontaire avait causé ce délai, et les vivres arrivèrent le lendemain de l'exécution. On passa près du château de Zaïtha, mot qui, dans la langue du pays signifiait olivier[131]. Entre ce lieu et la ville de Dura, on aperçut de loin le tombeau de Gordien, qui était fort élevé[132]. Julien y alla rendre ses hommages à ce prince, qu'on avait placé au rang des dieux[133]. Comme il continuait sa route, une troupe de soldats vint lui présenter un lion monstrueux qui était venu les attaquer et qu'ils avaient tué. Il s'éleva à ce sujet une vive contestation entre les aruspices toscans et les philosophes qui accompagnaient le prince. Les premiers qui s'étaient toujours opposés, mais en vain, à l'expédition de Perse, prétendaient prouver par leurs livres, que c'était un signe malheureux. Les philosophes tournaient en ridicule et les aruspices et leurs livres. La querelle se renouvela le lendemain[134], à l'occasion d'un soldat qui fut tué d'un coup de foudre avec deux chevaux qu'il ramenait du fleuve. Les deux partis alléguaient des raisons également chimériques, les uns pour intimider, les autres pour tranquilliser le prince[135]. Julien ne balança pas à regarder ces deux événements comme d'heureux présages.
[131] Zaitham venimus locum, qui olea arbor interpretatur, dit Amm. Marc. l. 23, c. 5; tel est en effet en syriaque le sens de ce nom, qui se reproduit sous une forme peu différente en Arabe, en hébreu et dans tous les idiomes de même origine. Cette petite ville χωρίον était selon Zosime (l. 3, c. 14) à soixante stades de Circésium.—S.-M.
[132] Ammien Marcellin semble indiquer que le tombeau de Gordien était à Zaïtha. Hic Gordiani imperatoris, dit-il, l. 23, c. 5, longè conspicuum vidimus tumulum. Cependant, comme cet endroit n'était qu'à soixante stades, ou environ huit milles de Circésium, il est difficile qu'on y ait vu ce monument, qui selon Eutrope (l. 9, c. 11) et Sextus Rufus, c. 22, avait été élevé à vingt milles de Circésium, vicesimo milliario a Circesso. Il aurait donc été plutôt à Dura comme l'atteste Zosime, οὗ Γορδιανοῦ τοῦ βασιλέως ἐδείκνυτο τάφος. Ce dernier témoignage ferait croire que ce tombeau était sur la route, entre ces deux villes, mais plus près de la dernière. Le tombeau de Gordien, selon Capitolin (in Gordian.) était chargé d'inscriptions grecques, latines, persanes, judaïques et égyptiennes.—
[133] C'est-à-dire qu'il avait obtenu les honneurs de l'apothéose comme beaucoup d'autres empereurs, et qu'on lui donnait après sa mort le titre de Divus.—S.-M.
[134] C'était le 7 avril. Ce soldat se nommait Jovien.—S.-M.
[135] Les philosophes alléguaient qu'on avait aussi présenté un lion et un sanglier à Maximien, lorsqu'il marchait pour combattre le roi de Perse Narsès, dont il était revenu vainqueur. Cette objection n'était pas sans réponse. On assurait que ce présage annonçait la perte de ceux qui voulaient envahir le bien d'autrui, et qu'en effet Narsès avait le premier attaqué l'Arménie qui appartenait aux Romains.—S.-M.
XII.
Prise de la forteresse d'Anatha.
Amm. l. 23, c. 5, et l. 24, c. 1.
Liban. or. 10, t. 2, p. 312 et 313.
Zos. l. 3, c. 14.
Cellar. l. 3, c. 15, art. 13.
Deux jours après le passage de l'Aboras on vint à Dura, bâtie autrefois par les Macédoniens sur le bord de l'Euphrate: il n'en restait plus que les ruines[136]. On y trouva une si grande quantité de cerfs, que ceux que l'on tua suffirent pour nourrir toute l'armée. Après quatre jours de marche, on arriva vers le commencement de la nuit à une bourgade nommée Phatusas[137]. Vis-à-vis s'élevait, dans une île de l'Euphrate, la forteresse d'Anatha[138], fort grande et fort peuplée. Julien fit embarquer mille soldats sous la conduite de Lucillianus, qui, à la faveur de la nuit, approcha de l'île sans être aperçu, et plaça ses vaisseaux dans tous les endroits où la descente était praticable. Au point du jour un habitant, qui était allé puiser de l'eau, ayant donné l'alarme, tous les autres montèrent sur le mur. Ils furent fort étonnés de voir les bords du fleuve couverts de troupes, et Julien lui-même qui venait à eux avec deux vaisseaux, suivis d'un grand nombre de barques chargées de machines propres à battre les murailles. Comme le siége pouvait être long et meurtrier, Julien leur fit dire qu'ils n'avaient rien à craindre s'ils se rendaient; rien à espérer s'ils faisaient résistance. Ils demandèrent à parler à Hormisdas, qui par ses promesses et ses serments les détermina à ouvrir leurs portes. Ils sortirent à la suite d'un taureau couronné de fleurs: c'était un symbole de paix. L'empereur les reçut avec bonté, leur permit d'emporter tous leurs effets, et leur donna une escorte pour les conduire à Chalcis en Syrie[139]. Parmi eux se trouvait un soldat romain âgé de près de cent ans, que Galérius avait, soixante-six ans auparavant, laissé malade dans ces contrées. C'était lui qui avait engagé les habitants à écouter Hormisdas. Courbé de vieillesse et environné d'un grand nombre d'enfants, qu'il avait eus de plusieurs femmes à la fois, selon l'usage du pays, il partait en pleurant de joie, et prenant les habitants à témoin qu'il avait toujours prédit, qu'il mourrait sur les terres de l'empire. On mit le feu à la place. Puséus, qui en était gouverneur pour Sapor, fut honoré du titre de tribun: il mérita par sa fidélité la confiance de l'empereur, et devint dans la suite commandant des troupes en Égypte. Pendant que Julien était arrêté en ce lieu, les Sarrasins lui amenèrent quelques coureurs ennemis: il les récompensa, et les renvoya pour continuer de battre la campagne.
[136] Il résulterait d'un passage d'Isidore de Charax, p. 4, que cette ville avait reçu des Macédoniens le nom d'Europus. Polybe en parle (l. 5, c. 48), et semble la placer à l'extrémité méridionale de la Mésopotamie. On croit qu'il en est question dans le prophète Daniel, cap. 3, v. 1.—S.-M.
[137] Φατούσας. Zosime est le seul auteur qui ait parlé (l. 3, c. 14) de ce lieu.—S.-M.
[138] Cette forteresse nommée Anathan ou Anathon, par Ammien Marcellin, et par Simocatta (l. 4, c. 10, et l. 5, c. 2), est appelée Anatho, par Isidore de Charax, qui rapporte que l'île dans laquelle elle se trouvait avait quatre stades d'étendue, Ἀναθὼ νῆσος κατὰ τὸν Εὐφράτην ϛάδια δ', ἐν ᾗ πόλις. Cette ville existe encore; elle est nommée par les Arabes Anah. Elle a été visitée par le voyageur Pietro della Valle.—S.-M.
[139] Cette ville nommée par les Arabes Kinesrin, était à 18 milles au sud de Berhea ou Halep.—S.-M.
XIII.
Inondation de l'Euphrate.
Amm. l. 24, c. 1.
Liban. or. 10, t. 2, p. 313 et 314.
Le lendemain il s'éleva une horrible tempête. Un vent impétueux renversait les hommes, abattait les tentes. En même temps le fleuve, grossi par les neiges que la chaleur du printemps faisait fondre sur les montagnes d'Arménie, submergea plusieurs barques chargées de blé, et pénétra par toutes les écluses pratiquées le long de ses bords, soit pour arroser les terres, soit pour inonder le pays. On eut lieu de douter si ce fut un effet de la violence des eaux, ou de la malice des habitants. L'armée se mit en marche pour échapper à ce déluge. Les canaux dont ce terrain est coupé étant remplis, formaient une infinité d'îles. Les soldats passaient à la nage, ou jetaient des ponts; d'autres se hasardaient à traverser à pied, ayant de l'eau jusqu'au cou: plusieurs périrent dans ces fosses profondes. Tout était dans un désordre affreux; il fallait s'entr'aider, et sauver à la fois sa personne, ses armes, ses provisions et les bêtes de somme. Quelques-uns défilaient sur la crête des bords du fleuve par un sentier étroit et glissant, où ils couraient risque de se précipiter à tous moments dans les eaux. Ce qu'il y avait de plus remarquable, c'est qu'au milieu de tant de fatigues et de périls pas un ne plaignait son sort, pas un ne murmurait contre l'empereur. Aussi ne cherchait-il pas à se soulager lui-même aux dépens de ses soldats; il ne prenait sur eux d'autre avantage que de leur donner l'exemple: ils le voyaient à leur tête, couvert de boue et de fange, fendre les eaux, et refuser les secours qui ne pouvaient être communiqués à tous.
XIV.
Précautions de Julien.
Après avoir traversé une grande étendue de terrain inondé, on se trouva enfin dans une plaine fertile en fruits, en vignes, en palmiers, et peuplée de bourgs et de villages: c'était le plus beau canton de l'Assyrie. Les habitants s'étaient retirés au-delà du fleuve; on les apercevait sur les hauteurs d'où ils regardaient le pillage de leurs campagnes. Julien escorté d'un corps de cavalerie légère, tantôt à la tête, tantôt à la queue de son armée, prenait les précautions nécessaires dans un pays inconnu. Il faisait fouiller jusqu'aux moindres buissons; il visitait tous les vallons; il empêchait les soldats de s'écarter trop loin, les contenant par une douce persuasion plutôt que par les menaces. L'exemple d'un soldat qui, étant pris de vin, se hasarda à passer l'Euphrate, et qui fut égorgé par les ennemis sur l'autre bord à la vue de l'armée, servit à rendre ses camarades plus sobres et plus circonspects. Julien leur permit d'enlever ce qui était propre à leur subsistance, et fit brûler le reste avec les habitations. L'armée se nourrissait avec plaisir des fruits de sa conquête; elle jouissait de l'abondance, sans toucher aux provisions qu'elle avait en réserve sur le fleuve.
XV.
Marche jusqu'à Pirisabora.
Amm. l. 24, c. 2.
Liban. or. 10, t. 2, p. 314.
Zos. l. 3, c. 15 et 16.
On arriva vis-à-vis du fort de Thilutha[140], situé dans une île escarpée, et tellement bordée d'une muraille, qu'il ne restait pas au-dehors de quoi asseoir le pied. L'attaque paraissant impraticable, on somma les habitants de se rendre. Ils répondirent qu'il n'en était pas encore temps; qu'ils suivraient le sort de la Perse, et que quand les Romains seraient maîtres de l'intérieur du pays, ils se soumettraient aux vainqueurs, comme un accessoire de la conquête. Julien se contenta de cette promesse, parce qu'il était persuadé que de s'arrêter, c'était servir ses ennemis, et que le temps si précieux, surtout dans la guerre, ne devait s'employer que pour acheter un succès de pareille valeur. Les habitants virent passer la flotte au pied de leurs murailles, sans faire aucun acte d'hostilité. On reçut la même réponse devant la forteresse d'Achaïachala, dont la situation était semblable. Le jour suivant, on brûla plusieurs châteaux déserts et mal fortifiés. Après une marche de huit ou neuf lieues[141] faite en deux jours, on vint à un lieu nommé Baraxmalcha[142]. On y passa une rivière[143], à sept milles[144] de laquelle était située sur la rive droite de l'Euphrate la ville de Diacira[145]. Les habitants n'y avaient laissé que quelques femmes, et de grands magasins de blé et de sel. Les soldats de la flotte passèrent impitoyablement les femmes au fil de l'épée, pillèrent les magasins, et réduisirent la ville en cendres[146]. Sur l'autre bord[147], l'armée ayant traversé une source de bitume, et laissé sur la gauche deux bourgades nommées Sitha et Mégia[148], entra dans Ozogardana[149], qu'elle trouva abandonnée. On y voyait encore le tribunal de Trajan; il était fort élevé et construit de pierres. Cette ville fut pillée et brûlée. L'armée se reposa deux jours en ce lieu. Pendant cet intervalle, l'empereur étonné de n'avoir encore rencontré aucunes troupes ennemies, envoya aux nouvelles Hormisdas qui connaissait le pays. Ce prince pensa être surpris à la fin de la seconde nuit par le généralissime des troupes de Perse, qu'on appelait Suréna[150]. Celui-ci s'était mis en campagne avec un fameux partisan nommé Podosacès, chef des Sarrasins Assanites[151], qui s'était rendu redoutable par les courses qu'il faisait depuis long-temps sur les terres de l'empire. Hormisdas et sa troupe marchant sans défiance allaient tomber dans une embuscade, s'ils n'eussent été arrêtés par un fossé profond, rempli des eaux de l'Euphrate. Au point du jour, l'éclat des casques et des cuirasses leur ayant fait découvrir l'ennemi, ils tournèrent le fossé, et couverts de leurs boucliers, ils fondirent sur lui avec tant de furie, que les Perses, sans avoir eu le temps de décocher leurs flèches, prirent la fuite, laissant plusieurs des leurs sur la place. L'armée encouragée par ce premier avantage s'avança jusqu'à une bourgade nommée Macépracta[152], où l'on voyait les ruines d'une ancienne muraille, que Sémiramis avait conduite d'un fleuve à l'autre, afin de couvrir la Babylonie[153]. En ce même endroit commençaient les canaux tirés de l'Euphrate au Tigre, pour arroser le terrain et pour joindre les deux fleuves. A la tête du premier canal s'élevait une tour qui servait de phare. Le terrain marécageux et la profondeur de l'eau rendaient déja le passage difficile; mais il devenait tout-à-fait impossible en présence des ennemis, qui postés sur l'autre bord se préparaient à le disputer. Les Romains commençaient à perdre courage, lorsque Julien, fécond en ressources et très-instruit de toutes les pratiques de la guerre, résolut de faire attaquer les Perses par derrière. Il pouvait employer à cette diversion les quinze cents batteurs d'estrade, qui devançant toujours l'armée avaient déjà passé le canal avant quelle y fût arrivée. Mais il était question de leur faire parvenir l'ordre. Julien, ayant attendu la nuit, détacha pour cet effet le général Victor avec une troupe de cavalerie légère. Celui-ci alla passer loin des ennemis, et s'étant joint aux coureurs, il rabattit avec eux sur les Perses qui ne l'attendaient pas: une partie fut taillée en pièces, et le reste prit la fuite. Julien fit défiler son infanterie sur plusieurs ponts, tandis que les cavaliers, ayant choisi les endroits où les eaux étaient moins rapides, passèrent sur leurs chevaux à la nage.
[140] Zosime se contente d'appeler ce lieu, l. 3, c. 15, φρούριον ὀχυρώτατον, sans rapporter son nom. Ammien Marcellin est le seul qui le fasse connaître. Zosime n'indique d'une manière particulière aucun des châteaux qui furent pris par Julien jusqu'à Diacira; il n'emploie, pour les désigner, que les mots vagues ἕτερα φρούρια, d'autres châteaux; il dit seulement qu'on passa plusieurs stathmes ou lieux de poste, σταθμούς τινας παραμείψας depuis Phatusas jusqu'à Dacira, qui est la même que la Diacira d'Ammien Marcellin.—S.-M.
[141] On fit en ces deux jours, dit Ammien Marcellin, l. 24, c. 2, 200 stades.—S.-M.
[142] Ce lieu et le suivant ne sont connus que par le récit d'Ammien Marcellin.—S.-M.
[143] Amne transito, dit Ammien Marcellin, l. 24, c. 2; cela ne veut pas dire qu'on traversa une rivière, mais qu'on passa l'Euphrate, dont l'armée avait suivi la rive gauche jusqu'à Baraxmalcha. En effet, toutes les places mentionnées jusqu'à cette dernière inclusivement étaient sur la gauche ou dans les îles du fleuve, et nous voyons que Diacira était sur la droite. La Bleterie s'est trompé aussi sur le sens des mots Amne transito (Vie de Julien, l. 6, p. 385, 2e édit.). Il a cru qu'il s'agissait d'une rivière qui se jette dans l'Euphrate; s'il avait mieux lu le texte d'Ammien Marcellin et mieux connu aussi la géographie de ces régions, il aurait su que ce fleuve ne reçoit aucune rivière sur sa droite, depuis les frontières de la Syrie jusqu'à la mer.—S.-M.
[144] Miliario septimo, dit Ammien Marcellin, l. 24, c. 2.—S.-M.
[145] Zosime la nomme Dacira, πόλιν ἐν δεξιᾷ πλέοντι τὸν Εὐφράτην κειμένην, ville, dit-il, située à la droite de ceux qui naviguent sur l'Euphrate.—S.-M.
[146] Ammien Marcellin remarque qu'on voyait dans cette ville un temple, placé au haut de la citadelle, qui était fort élevée, in qua, dit-il, l. 24, c. 2, templum alti culminis arci vidimus superpositum.—S.-M.
[147] C'est-à-dire sur la rive gauche de l'Euphrate. C'est là que passait, à ce qu'il paraît, le gros de l'armée; c'est au moins ce qui semble résulter des expressions employées par Zosime; ἐπὶ δὲ τῆς ἄντικρυς ἠϊόνος, δι' ἧς ὁ ϛρατὸς ἐποιεῖτο τὴν πορείαν, sur la rive opposée (par rapport à Diacira qui était sur la droite), par laquelle l'armée faisait route. Zos. l. 3, c. 15.—S.-M.
[148] C'est Zosime seul qui parle de ces deux endroits. D'Anville (l'Euphrate et le Tigre, p. 68 et 69) pense que le premier est la ville nommée actuellement Hit. Tous les renseignements placent cette dernière, sur la rive droite de l'Euphrate; tandis que Zosime semble mettre Sitha sur la gauche, mais il paraît y avoir un peu de confusion dans cette partie de sa narration. Rien n'indique dans Ammien Marcellin que l'armée eût repassé le fleuve. Les sources de naphte ou de bitume, dont les deux auteurs font mention vers ce point de la marche de Julien, sont sur la rive droite de l'Euphrate. Hit est encore célèbre dans tout l'Orient par cette production; cette circonstance fait croire qu'elle est la ville de Babylonie appelée Is par Hérodote, I, 79, et Æiopolis dans Isidore de Charax, qui la met à 43 schœnes de Séleucie sur le Tigre.—S.-M.
[149] Cette ville est nommée Zaragardia par Zosime, l. 3, c. 15.—S.-M.
[150] Zosime est je crois le seul auteur ancien, qui ait dit positivement que le nom de Suréna désigna chez les Perses une dignité; ὁ γὰρ Σουρήνας, ἀρχῆς δὲ τοῦτο παρὰ Πέρσαις ὄνομα. Tous ceux qui se sont occupés de recueillir les notions qui nous ont été transmises sur le gouvernement des anciens Perses, ont admis cette indication comme un fait certain. On peut voir à ce sujet Brisson, de Regio Persarum principatu, l. 1, § 220. Il a été copié par tous ceux qui l'ont suivi. Deux passages d'Ammien Marcellin, viennent à l'appui de ce renseignement, mais ils ne sont pas tout-à-fait aussi précis. Voici le premier: Surena post regem apud Persas promeritæ dignitatis (l. 24, c. 2). Dans le second, il dit advenit Surena potestatis secundæ post regem (l. 30, c. 2). Il pourrait se faire qu'il fût simplement question dans ces deux passages d'un ou de deux personnages appelés Suréna. L'historien arménien Faustus de Byzance, qui vivait précisément à cette époque, nous fait connaître deux généraux de ce nom, qui furent envoyés en Arménie par le roi de Perse. Selon lui (l. 4, c. 33) le premier appelé Souren et surnommé Balhav, parce qu'il était de la race des Arsacides, était parent du roi d'Arménie. Il périt dans une expédition qu'il fit contre ce pays par l'ordre de Sapor, peu de temps avant la prise du roi Arsace. Pour l'autre qui fit aussi la guerre en Arménie (l. 4, c. 34), Faustus remarque qu'il était Persan. C'est le même qui y fut envoyé quelques années après, en 378, avec un corps auxiliaire de dix mille hommes et le titre de marzban d'Arménie. Il est probable que le premier est le même que celui dont parle Ammien Marcellin, dans le récit de l'expédition de Julien. Pour le second il ne peut être le général mentionné par Ammien Marcellin (l. 30, c. 2), sous l'an 374; il est plus vraisemblable que ce dernier était le fils du Suréna qui avait combattu contre Julien, et qu'il avait hérité de sa dignité. Quoi qu'il en soit, il est évident par ces exemples que Suréna ne désignait pas une dignité, mais que c'était un nom propre; le témoignage des auteurs arméniens, qui connaissaient probablement bien un royaume avec lequel ils avaient tant de relations, me paraît irrécusable. Voici ce qui aura peut-être donné naissance à cette erreur. L'historien Moïse de Khoren nous apprend (l. 2, c. 27 et 65) qu'il existait en Perse, du temps des Arsacides, une race puissante qui n'était elle-même qu'une branche de la famille royale. Elle s'appelait Sourénienne, parce qu'elle descendait d'un certain Souren, frère du roi Ardaschès, qui n'est autre que l'Artaban III des Grecs et des Romains. Il avait été réglé que cette famille tiendrait le premier rang dans l'état, après la branche royale et la famille Carénienne, autre division des Arsacides; à leur défaut elle devait hériter de la couronne. Lors de l'élévation des Sassanides, la famille Sourénienne ne perdit rien de ses prérogatives; elles s'accrurent sous la nouvelle domination. Séparés de la couronne par trop d'autres princes, ceux de cette famille préférèrent des avantages réels, à un héritage éventuel; ils embrassèrent le parti des nouveaux maîtres de la Perse, qui les récompensèrent de leurs services, et l'histoire d'Arménie fait mention de plusieurs d'entre eux qui tenaient un rang fort distingué en Perse. Il est donc clair qu'un nom de famille a été pris pour un titre. Cette erreur était d'autant plus facile à commettre, que cette race possédait, à ce qu'il paraît, le droit héréditaire de couronner les rois et que ses membres aimaient à prendre le nom de Suréna ou Souren. On confondit ainsi trois choses bien distinctes, la charge, la famille et l'individu. Les auteurs anciens nous font connaître quatre personnages de ce nom. Le premier, le plus illustre de tous, est le célèbre général des Parthes, qui sous le règne d'Orodes, vainquit Crassus dans les plaines de Carrhes. Il était comme nous l'apprend Plutarque (in Vita Crassi), le premier après le roi, par ses richesses, par sa naissance et par ses dignités; πλόυτῳ καὶ γένει καὶ δόξῃ, μετὰ βασιλέα δεύτερος. Il était donc en Perse ce que les Arméniens appellent iergrort, c'est-à-dire le second, en grec δεύτερος. En outre il tenait de ses ancêtres le droit de couronner les rois, κατὰ γένους μὲν οὖν, ἐξαρχῆς ἐκέκτητο, βασιλεῖ γενομένῳ Παρθῶν, ἐπιτιθέναι τὸ διάδημα πρῶτος. Sa famille possédait ainsi en Perse la charge qui, en Arménie, était entre les mains de la race des Pagratides. Ceux-ci se transmettaient par succession le titre de Thakatir, c'est-à-dire, qui pose la couronne. Tacite nous fait connaître le second personnage du nom de Suréna; celui-ci, en l'an 36 de J. C. couronna roi des Parthes, selon l'usage de sa patrie, Tiridate, fils de Phrahates IV, compétiteur d'Artaban III; multis coram et adprobantibus, Surena patrio more Tiridatem insigni regio evinxit (Annal. VI, 42). Pour les deux autres ce sont ceux dont j'ai déja parlé d'après Ammien Marcellin et Zosime. Je remarquerai encore que la Chronique de Malala et celle d'Alexandrie parlent toutes deux du premier de ces personnages, de manière à ne laisser aucun doute que Suréna ne fût son nom propre. Ἕνα τῶν μεγιϛάνων ὀνόματι Σουῤῥαεινᾶν, dit la première, un des grands appelé Sourraeïna. L'autre s'exprime à peu près de la même façon, τινα τῶν μεγιστάνων, ὀνόματι Σουρέναν. Les auteurs arméniens nous donnent des renseignements sur dix princes appelés Souren. Le premier est l'auteur de la famille Sourénienne dont parle Moïse de Khoren (l. 2, c. 27 et 65); le second, était frère de S. Grégoire l'Illuminateur, apôtre de l'Arménie; le troisième et le quatrième sont les généraux persans, dont j'ai déja parlé d'après Faustus de Byzance; le cinquième est Souren, dynaste des Khorkhorouniens, du temps d'Arsace III, dont parle Moïse de Khoren (l. 3, c. 43 et 44); le sixième est un général persan contemporain du roi de Perse Bahram Gour, vers l'an 430; les quatre autres sont aussi des officiers persans qui vécurent à des époques plus récentes, et qui tous comme les précédents étaient issus de la race des Arsacides, et en conséquence joignaient à leur nom celui de Balhav, destiné à rappeler la commune origine des Arsacides, venus tous de Balh ou Balkh, dans la Bactriane. On n'aurait pas besoin d'un si grand nombre d'exemples, pour reconnaître l'erreur commise par les modernes à l'imitation de quelques anciens, sur le nom de Surena. Je n'ai donc pas hésité à substituer dans le texte de Lebeau, le nom de Surena, comme nom propre, et de retrancher l'article dont il l'avait fait précéder, dans la supposition qu'il s'appliquait à une dignité.—S.-M.
[151] Ammien Marcellin désigne ce personnage si redoutable aux Romains par les mots, famosi nominis latro; il est probable que les courses qu'il avait faites selon l'usage de sa nation, lui avaient mérité cette qualification. L'historien que je viens de citer est le seul auteur qui en parle, il le fait en ces termes: Malechus Podosaces nomine, phylarchus Saracenorum Assanitarum; ce qui pourrait se rendre ainsi, le malech appelé Podosacès, phylarque des Sarrasins Assanites. Le mot malechus, est le titre de ce chef; c'est le mot arabe malek ou melik, qui signifie roi, et qui se retrouve quelquefois comme nom propre dans les auteurs anciens. Le nom de Podosacès paraît, par son extérieur, d'origine persane; Ctésias (ap. Phot. cod. 72) en offre sous la forme Petisacas un à peu près pareil. Le titre de phylarque, c'est-à-dire chef de tribu, est celui que les Grecs et les Romains donnaient aux rois ou chefs Arabes; on pourrait le faire voir par une multitude de passages qu'il serait trop long de citer. Il ne reste plus qu'à connaître ce qu'étaient les Sarrasins Assanites, Saracenorum Assanitarum d'Ammien Marcellin. On n'en trouve la mention dans aucun autre auteur, et on resterait dans une complète ignorance, sur ce qu'ils pouvaient être, sans un passage de la Chronique de Malala (part. 2, p. 19) qu'il faut rapprocher du texte d'Ammien. Selon cet ouvrage, Julien se rendit, en suivant le Tigre, dans la région de Perse qu'on appelait des Mauzanites, et qui était voisine de Ctésiphon, résidence des rois, καὶ παρέλαβεν εἰς τὰ Περσικὰ, ἐν τῇ χώρᾳ τῶν λεγομένων Μαυζανιτῶν, πλησίον Κτησιφῶντος πόλεως, ἔνθα ὑπῆρχε τὸ Περσικὸν βασίλειον. Le pays des Mauzanites était à l'extrémité méridionale de l'Assyrie, sur les deux rives de l'Euphrate et du Tigre, comprenant tout l'intervalle entre ces fleuves et s'étendant jusqu'au golfe Persique. Les Grecs l'avaient appelé Mésène; on le retrouve dans les écrivains orientaux sous le nom de Misan. Sa capitale était Spasini-charax, située sur la rive droite du Tigre non loin de son embouchure; c'est à cette ville que le pays devait son nom de Characène que lui donnent fréquemment les auteurs anciens. La Characène ou Mésène formait un royaume particulier, qui paraît avoir joué un rôle assez important dans les événements politiques de l'Orient, surtout à cause de sa position géographique, qui lui donnait une grande influence sur les relations commerciales que les anciens entretenaient avec l'Inde. Ce petit état, gouverné par des rois arabes d'origine, datait de l'an 130 av. J.-C. Il devait son existence à un certain Spasinès, fils de Sogdonacès, qui avait relevé les ruines d'Alexandrie du Tigre, fondée par Alexandre, et qui en lui imposant son nom en avait fait sa capitale. Ce royaume s'était perpétué jusqu'au temps des Sassanides, on le voit par les auteurs orientaux qui en font mention sous le nom de Misan. On ne peut douter que le pays de Misan ou Mésène ne fut la région des Mauzanites; la marche de Julien dut le conduire sur les frontières de ce royaume, puisqu'il vint devant Ctésiphon qui en était fort voisine. Le récit d'Ammien Marcellin semblerait faire croire que l'empereur n'entra pas dans ce pays, comme il le paraîtrait d'après le témoignage de la Chronique de Malala. Il est presque impossible cependant que Julien, parvenu si près de ce pays, n'y ait pas envoyé quelques détachements de son armée. Heureusement Ammien Marcellin nous fournit lui-même de quoi assurer ce fait, par ce qu'il dit au sujet du phylarque Podosacès. Il est assez évident en effet que les Sarrasins Assanites, tout-à-fait inconnus d'ailleurs, et qui étaient commandés par ce phylarque, sont les Mauzanites de Malala. Il est de même hors de doute qu'au lieu de Assanitarum, il faut lire dans le texte de l'historien latin Massanitarum. C'est là une sorte d'erreur fort commune dans les anciens manuscrits, et qui provient de ce que le mot précédent (saracenorum) se terminant par un M, cette lettre selon l'usage devait former l'initiale du mot suivant. Cette particularité, qui ne trompe jamais quand il s'agit de mots connus, devait facilement induire en erreur dans cette circonstance particulière, et pour un nom si rare dans les auteurs anciens. Il faut donc lire ainsi ce passage d'Ammien Marcellin, Malechus Podosaces, phylarchus Saracenorum Massanitarum; le malek ou roi Podosacès phylarque des Sarrasins Massanites. Il existe un certain nombre de médailles avec des légendes grecques, qui appartiennent aux rois de la Mésène ou de la Characène. J'ai traité en détail de tout ce qui concerne la géographie et l'histoire de ce pays, dans un ouvrage encore inédit, intitulé Recherches sur l'Histoire et la Géographie du royaume Gréco-Arabe de la Mésène ou de la Characène. Des portions considérables de ce travail ont été communiquées à l'Académie des Inscriptions en l'an 1818. Gibbon a commis une grave erreur (t. 4, p. 484 et 485), en disant que Podosacès (qu'il appelle par inadvertance sans doute Rodosacès) était un émir de la tribu de Gassan. Les Arabes Ghassanites n'habitèrent jamais la Babylonie, mais dans le désert voisin de la Syrie, du côté de Damas. Bien loin d'être ennemis des Romains, ils furent constamment leurs alliés et les adversaires des rois de Hirah, qui occupaient la partie de la Babylonie, limitrophe du désert. Il est même douteux qu'à l'époque dont il s'agit, cette tribu originaire de l'Yemen, eût déja abandonné sa patrie pour venir s'établir sur la frontière de l'empire. Je ne partage point l'opinion émise à ce sujet, par M. Silvestre de Sacy, dans son Mémoire sur les divers événements de l'Histoire des Arabes avant Mahomet. (Mémoires de l'Acad. des Inscript. t. XLVIII.)—S.-M.
[152] Ce bourg était comme on le voit par le témoignage d'Ammien Marcellin (l. 24, c. 2), au point où les eaux de l'Euphrate, jusque là renfermées dans un seul lit, se divisent en plusieurs bras. Hinc pars fluminis scinditur largis aquarum agminibus, ducens ad tractus Babylonios interiores, etc. Le nom syriaque ou chaldéen de ce bourg est en rapport avec sa situation, car il signifie sans difficulté division des eaux. Cette circonstance me fait croire, comme l'ont déjà pensé Valois et Cellarius (l. 3, c. 15, § 18), qu'il était le lieu appelé Massice par Pline (l. 5, c. 26). Scinditur, dit le naturaliste romain, Euphrates a Zeugmate octoginta tribus millibus passuum circa vicum Massicen, et parte lævâ in Mesopotamiam vadit per ipsam Seleuciam, circa eam profluens infusus Tigri; dexteriore autem alveo Babylonem petit.—S.-M.
[153] In quo semiruta murorum vestigia videbantur: qui priscis temporibus in spatia longa protenti, tueri ab externis incursibus Assyriam dicebantur. Amm. Marcell., l. 24, c. 2. Il s'agit sans aucun doute ici du Mur de Médie mentionné par Xénophon dans son expédition des dix mille, et par Strabon (l. 2, p. 80), qui l'appelle le mur de Sémiramis, τὸ Σεμιράμιδος διατείχισμα. Ce rempart avait été destiné à défendre les terres fertiles de la Babylonie, arrosées par les canaux dérivés de l'Euphrate, contre les courses des Arabes, des Curdes et des autres tribus nomades.—S-M.
XVI.
Prise de Pirisabora.
Amm. l. 23, c. 4 et l. 24, c. 3.
Liban. or. 10, t. 2, p. 315.
Zos. l. 3, c. 17 et 18.
Cet heureux succès rendit le chemin libre jusqu'à Pirisabora[154], la plus grande ville de ce pays après Ctésiphon[155], bâtie dans une péninsule formée par l'Euphrate et par un large canal tiré du fleuve pour l'usage des habitants. Elle était ceinte d'une double muraille flanquée de tours, défendue du côté de l'occident et du midi par le fleuve et par des rochers, à l'orient par un fossé profond et par une forte palissade; au septentrion par le canal. Les tours étaient construites de brique et de bitume jusqu'à la moitié de leur hauteur; le reste n'était que de briques et de plâtre. A l'angle formé par le canal s'élevait une forte citadelle sur une éminence escarpée, qui s'arrondissait jusqu'au fleuve, où le terrain coupé à pic ne présentait que des pointes de rochers. On montait de la ville à la citadelle par un sentier rude et difficile. L'empereur, ayant reconnu la force de la place[156], mit inutilement en usage les promesses et les menaces. Il fallut en venir aux attaques. Son armée rangée sur trois lignes passa le premier jour à lancer des pierres et des traits. Les assiégés pleins de force et de courage paraissaient disposés à faire une longue résistance. Ils tendirent sur leurs murs de grands rideaux de poil de chèvre[157], lâches et flottants pour amortir la violence des coups. Leurs soldats étaient couverts de lames d'acier, qui, s'ajustant à la forme, et se prêtant aux mouvements de leurs membres depuis la tête jusqu'aux pieds, les faisaient paraître des statues d'acier[158]. Leurs boucliers en losange, à la manière des Perses, n'étaient que d'osier revêtu de cuir, mais tissu si fortement qu'ils étaient à l'épreuve des traits. Ils demandèrent plusieurs fois à parler au prince Hormisdas: ce ne fut que pour l'accabler d'injures, le traitant de perfide, de déserteur, de traître. Le premier jour s'étant passé en pourparlers inutiles, Julien fit pendant la nuit combler le fossé, arracher la palissade et avancer ses machines. Au point du jour, un bélier avait déja percé une des tours, et les habitants qui n'étaient pas trois mille hommes[159] (car les autres s'étaient sauvés par le fleuve avant le siége) n'espérant pas pouvoir défendre une si vaste étendue, abandonnèrent la double enceinte et se retirèrent dans la citadelle[160]. Aussitôt l'armée, s'étant emparée de la ville, abattit les murs, brûla les maisons, établit ses batteries sur les ruines. On attaquait, on défendait avec une ardeur égale. Les assiégés courbant avec effort leurs grands arcs, en faisaient partir des flèches armées d'un long fer, qui portaient des coups mortels au travers des boucliers et des cuirasses. Le combat continua sans relâche et sans aucun avantage depuis le matin jusqu'au soir. Il recommençait le troisième jour avec la même fureur, lorsque Julien, rival d'Alexandre, et accoutumé comme ce héros à prodiguer sa vie, prenant avec lui les plus déterminés de ses soldats, court à l'abri de son bouclier jusqu'à la porte du château revêtue de plaques de fer fort épaisses; et au travers d'une grêle de pierres, de traits, de javelots, couvert de sueur et de poussière, il fait battre la porte à coups de pics et de pieux; il crie, il anime sa troupe, il frappe lui-même, et ne se retire qu'au moment qu'il se voit prêt à être enseveli sous les masses énormes qu'on fait tomber du haut des murs. Alors, sans avoir reçu aucune atteinte, mais plein de dépit, il se retire avec ses gens, dont quelques-uns étaient seulement légèrement blessés. La situation du lieu ne permettant pas de faire jouer les béliers ni d'élever les terrasses, l'empereur fit dresser en diligence une de ces machines, qu'on appelait hélépoles. L'art n'avait encore rien imaginé de plus terrible pour le siége des villes. C'était une ancienne invention de Démétrius le Macédonien, qui s'en était servi pour forcer plusieurs places: ce qui lui avait fait donner le surnom de Poliorcète, c'est-à-dire, le preneur de villes. On construisit avec de grosses poutres une tour quarrée, divisée en plusieurs étages, dont la hauteur surpassait celle des murailles de la place, et qui s'élevait en diminuant de largeur. On la couvrit de peaux de bœufs nouvellement écorchés, ou d'osier vert enduit de boue, afin qu'elle fût à l'épreuve du feu. La face était garnie de pointes de fer à trois branches, propres à percer et à briser tout ce qu'elles rencontraient. Des soldats placés au-dessous la faisaient avancer sur des roues à force de bras: d'autres la tiraient avec des cordes; et tandis qu'on mettait en branle les béliers suspendus aux divers étages, tandis qu'il partait de toutes les ouvertures des pierres et des javelots lancés à la main et par des machines, la tour venant heurter avec violence les parties les plus faibles de la muraille, ne manquait guère d'y ouvrir une large brèche. A la vue de ce formidable appareil, les assiégés saisis d'effroi, et désespérant de vaincre l'opiniâtreté des Romains, cessent de combattre: ils tendent les bras en posture de suppliants; ils demandent la permission de conférer avec Hormisdas. Les Romains, de leur côté, suspendent les attaques. On descend du haut du mur, par le moyen d'une corde, le commandant de la place nommé Mamersidès[161]; il obtient de l'empereur que les habitants sortiront sans qu'il leur soit fait aucun mal; qu'on leur laissera à chacun un habit et une somme d'argent marquée, et que Julien, quelque traité qu'il fasse dans la suite, ne les livrera jamais aux Perses: ils savaient que s'ils retombaient entre les mains de ces maîtres cruels, ils ne pouvaient éviter d'être écorchés vifs comme des traîtres. Dès que le commandant fut retourné dans la ville, les habitants ouvrirent les portes; ils défilèrent à travers l'armée romaine, louant hautement la valeur et la clémence également héroïques de l'empereur. On trouva dans la place quantité de blé, d'armes, de machines, et de meubles de toute espèce. Le blé fut transporté sur la flotte; on en distribua une partie aux soldats. On leur abandonna les armes qui pouvaient être à leur usage. Le reste fut jeté dans le fleuve, ou consumé par les flammes avec la place.
[154] Cette place est nommée Bersabora par Zosime (l. 3, c. 17). C'était dit Libanius, une grande ville de l'Assyrie qui portait le nom de celui qui régnait, c'est-à-dire de Sapor; ἦν πόλις Ἀσσυρίων μεγάλη τοῦ τότε βασιλεύοντος ἐπώνυμος. L'orateur d'Antioche ne se trompe point; cette ville portait un nom qui était celui du prince régnant. Les Perses et les Syriens l'appelaient Fyrouz-Schahpour ou Fyrouz-Schabour, ce qui signifie en persan la victoire de Schahpour. Elle devait ce nom à Sapor Ier, deuxième prince de la race des Sassanides; avant lui elle s'appelait Anbar. Cette ancienne dénomination a fini par prévaloir, et elle la porte encore aujourd'hui. Le nom d'Ancobaritis, qui désigne dans Ptolémée toute la partie méridionale de la Mésopotamie, sur les bords de l'Euphrate, tirait probablement son origine de celui d'Anbar.—S.-M.
[155] Πόλεως μεγάλης καὶ τῶν ἐν Ἀσσυρίᾳ μετὰ Κτησιφῶντα μεγίϛης. Zos. l. 3, c. 18. Ammien Marcellin se contente de dire qu'elle était vaste, peuplée et environnée comme une île. Amplam et populosam, ambitu insulari circumvallatam. Ammien Marc. l. 24, c. 2.—S.-M.
[156] Selon Ammien Marcellin (l. 24, c. 2), Julien fit le tour de la place, obequitans mœnia imperator.—S.-M.
[157] Ces rideaux portaient le nom de Cilicia, Κιλίκια. Il en est souvent question dans les siéges des anciens.—S.-M.
[158] Ferreâ nimirum facie omni; quia laminæ singulis membrorum lineamentis cohærenter aptatæ, fido operimento totam hominis speciem contebegant. Amm. Marc. l. 24, c. 2.—S.-M.
[159] Ils étaient deux mille cinq cents, selon Ammien Marcellin. Zosime l. 3, c. 18, en compte au contraire cinq mille.—S.-M.
[160] Elle avait, dit Ammien, l. 24, c. 2, la forme d'un bouclier argien, c'est-à-dire, qu'elle était ronde, s'élevant considérablement vers le milieu: tereti ambitu Argolici scuti speciem ostendebat. Elle était seulement échancrée du côté du nord, nisi quὸd a septentrione id quod rotunditati deerat; de ce côté-là elle était suffisamment défendue par des rochers, qui dominaient l'Euphrate; in Euphratis fluenta projectæ cautes eminentius tuebantur.—S.-M.
[161] Il est appelé Momosirès par Zosime, l. 3, c. 18.—S.-M.
XVII.
Sévérité de Julien.
Amm. l. 24, c. 3 et 4, et ibi Vales.
Liban. or. 10, t. 2, p. 314 et 316.
Zos. l. 3, c. 19.
Le jour suivant, pendant que l'empereur prenait un repas léger, à son ordinaire, on vint lui annoncer que Suréna avait surpris trois compagnies de coureurs[162], qu'il en avait taillé en pièces une partie, et qu'ayant tué un tribun, il avait enlevé un dragon: c'était une enseigne qui portait la figure de cet animal. Il part sur-le-champ, suivi seulement de trois de ses gardes; et ralliant les fuyards qui regagnaient le camp à toute bride, il retourne à leur tête sur le vainqueur, arrache le dragon des mains des ennemis, les terrasse ou les met en fuite. Alors s'arrêtant sur la place même, presque seul au milieu de cent cavaliers qu'il allait punir, mais sûr d'être obéi, il commence par les deux tribuns qui s'étaient laissé battre; il les dégrade du service en leur ôtant la ceinture militaire; et, suivant la sévérité de l'ancienne discipline, il fait décimer les cavaliers et trancher la tête à dix d'entre eux. Il ramène les autres au camp, ayant presque en un même instant appris, vengé et puni la défaite de sa troupe.
[162] Procursatorum partis nostræ tres turmas. Amm. Marc. l. 24, c. 3.—S.-M.
XVIII.
Réprimande de Julien à ses soldats.
Étant ensuite monté sur un tribunal, il loua ses soldats de la valeur qu'ils avaient montrée au siége de Pirisabora; il les exhorta à conserver une réputation capable d'abréger leurs travaux, et leur promit cent pièces d'argent par tête. Comme il s'aperçut qu'une si modique récompense n'excitait que des murmures, prenant un air majestueux et sévère, et montrant de la main le pays qu'il avait devant lui: «Voilà, dit-il, le domaine des Perses; vous y trouverez des richesses, si vous savez combattre et m'obéir. L'empire fut opulent autrefois; il s'est appauvri par l'avarice de ces ministres, qui ont partagé les trésors de leurs maîtres avec les Barbares dont ils achetaient la paix[163]. Les fonds publics sont dissipés, les villes épuisées, les provinces désolées. Quelque noble que je sois, je suis le seul de ma maison; je n'ai de ressources que dans le cœur. Un empereur qui ne connaît de trésors que ceux de l'ame, sait soutenir l'honneur d'une vertueuse indigence. Les Fabricius, qui firent triompher Rome des plus redoutables ennemis, n'étaient riches que de gloire. Cette gloire vous viendra avec la fortune, si vous suivez sans crainte et sans murmure les ordres de la Providence et ceux d'un général qui partage avec elle le soin de vos jours. Mais si vous refusez d'obéir, si vous reprenez cet esprit de désordre et de mutinerie, qui a déshonoré et affaibli l'empire, retirez-vous, abandonnez mes drapeaux. Seul, je saurai mourir au bout de ma glorieuse carrière, méprisant la vie, qu'une fièvre me ravirait un jour; sinon, je quitterai la pourpre. De la manière dont j'ai vécu empereur, je pourrai, sans décheoir et sans rougir, vivre particulier. J'aurai du moins l'honneur de laisser à la tête des troupes romaines des généraux pleins de valeur, et instruits de toutes les parties de la guerre». A ces paroles, les soldats, touchés et attendris, lui promettent une soumission et un dévouement sans réserve: ils élèvent jusqu'au ciel sa grandeur d'ame, et cette autorité plus attachée à sa personne qu'à son diadème. Ils font retentir leurs armes; c'était par ce langage que s'expliquait l'approbation militaire. Remplis de confiance, ils se retirent sous leurs tentes, et prennent leur nourriture, discourant ensemble de leurs espérances, qui les occupent jusque dans le sommeil. Julien ne cessait d'entretenir cette chaleur; c'était l'objet de tous ses discours. Voulait-il affirmer quelque chose; au lieu d'employer les serments ordinaires, il disait, comme avait dit Trajan autrefois[164]: Puissé-je aussi-bien subjuguer la Perse! puissé-je aussi certainement assurer la tranquillité de l'empire!
[163] Julien fait la satire de ces ministres, qui avaient conseillé à Constance, de traiter avec les Barbares plutôt que de les combattre. Qui ut augerent divitias, docuerunt Principes auro quiete à Barbaris redempta redire. Amm. Marc. l. 24, c. 3.—S.-M.
[164] Trajan avait l'habitude de dire: Puissé-je réduire la Dacie en province; puissé-je passer sur des ponts le Danube et l'Euphrate. Sic in provinciarum speciem reductam videam Daciam: sic pontibus Istrum et Euphratem superem. Amm. Marc. l. 24, c. 3.—S.-M.
XIX.
Marche jusqu'à Maogamalcha.
Pendant que l'armée reposait sous ses tentes, Julien, toujours en haleine, envoyait des troupes légères pour enlever les habitants que la terreur avait dispersés dans les campagnes voisines. On en trouvait un grand nombre cachés dans des retraites souterraines. On emmenait des enfants avec leurs mères; et bientôt le nombre des prisonniers surpassa celui des vainqueurs. Dans une route de quatorze mille pas, le long du fleuve, on rencontra un château et une ville nommée Phissénia[165], dont les murailles étaient baignées par un canal profond. Julien, ne jugeant pas à propos de s'y arrêter, trouva au-delà un terrain que les Perses avaient inondé, à dessein de lui rendre le passage impraticable. Il campa en cet endroit et assembla le conseil. Les avis étaient partagés; plusieurs officiers proposaient une autre route, plus longue à la vérité, mais où l'on ne trouvait point d'eau: Et c'est là ce que je crains, répartit Julien: je ne vois ici que de la fatigue; là je vois notre perte. Lequel des deux vaut-il mieux, d'avoir la peine de traverser les eaux, ou de n'en pas trouver et mourir de soif? Souvenez-vous de Crassus et d'Antoine. Tous revinrent à son avis. En même temps il ordonna de préparer des outres, de rassembler des bateaux de cuir, dont les habitants faisaient grand usage sur les canaux; et comme tout ce terrain était planté de palmiers, il alla lui-même, à la tête d'une troupe de soldats et de charpentiers, abattre des arbres, et faire des planches[166]. Il passa cette nuit, le jour suivant, et la nuit d'après à établir des ponts, à combler des fosses profondes, à raffermir le sol des marais, en y jetant de la terre. Au commencement du second jour, il fit défiler son armée sur les ponts qu'il fallait démonter et dresser sans cesse avec un travail incroyable. Marchant lui-même au travers des eaux, il accélérait les ouvrages, et maintenait partout le bon ordre. Après une si pénible journée, on se reposa dans une ville nommée Bithra[167], où l'on trouva un palais d'une si vaste étendue, que l'empereur y logea toute son armée. Cette ville était habitée par des Juifs[168], qui s'étaient établis en grand nombre dans ces contrées; ils l'avaient abandonnée, et les soldats, en partant, y mirent le feu. Au sortir de l'inondation, se présenta une plaine charmante, couverte d'arbres fruitiers de toute espèce et surtout de palmiers, dont les plants formant de grandes forêts, s'étendaient de là jusqu'au golfe Persique[169]. Les vignes qui croissaient au pied de ces arbres féconds, se mariant avec eux, les soldats cueillaient à la fois les dattes et les raisins suspendus aux mêmes branches; et l'on n'avait à craindre que l'abondance dans un lieu où l'on avait appréhendé de trouver la disette. L'armée passa la nuit dans cette délicieuse campagne. Elle essuya, le jour suivant, quelques décharges de traits d'un parti ennemi, qui fut bientôt dissipé. Il fallut encore traverser un grand nombre de ruisseaux; c'étaient autant de saignées de l'Euphrate. Enfin, on arriva à la vue d'une grande ville nommée Maogamalcha[170].
[165] Ce lieu n'est nommé que par Zosime, l. 3, c. 19. Ammien Marcellin se contente de dire, l. 24, c. 3: Post hæc, decursis millibus passuum quatuordecim, ad locum quemdam est ventum.—S.-M.
[166] Imperator ipse prægressus, constratis ponticulis multis ex utribus, et coriaceis navibus, itidemque consectis palmarum trabibus, exercitum non sine difficultate traduxit. Amm. Marc. l. 24, c. 3—S.-M.
[167] Le nom de cette ville ne se trouve que dans Zosime, l. 3, c. 19; il diffère peu de celui de la ville de Mésopotamie (Virtha), assiégée en vain par Sapor en l'an 360. Voyez ci-devant l. XI, § 21, t. 2, p. 344, note 3. Il est probable que ce nom est le même; comme il signifie forteresse, il peut s'appliquer à un grand nombre de localités.—S.-M.
[168] C'est Ammien Marcellin qui nous apprend que les Juifs formaient la population de cette ville. In hoc tractu civitas, ob muros humiles ab incolis Judæis deserta (Amm. Marc., l. 24, c. 4.); ils avaient abandonné leur ville à cause du peu de hauteur de leurs murailles. Le même auteur remarque, l. 24, c. 3, que dans son voisinage le principal bras de l'Euphrate se divisait en plusieurs autres bras; ubi pars major Euphratis in rivos dividitur multifidos. Il est bon de remarquer à cette occasion que les Juifs formaient à cette époque une grande partie de la population de la Babylonie.—S.-M.
[169] Ammien Marcellin l'appelle la grande mer. Il dit aussi que ces forêts de palmiers s'étendent jusqu'à la Mésène; c'est le pays dont il a été amplement question, p. 81, note 1, l. XIV, § 15. Per spatia ampla adusque Mesenem et mare pertinent magnum, instar ingentium nemorum. Amm. Marc. l. 24, c. 3.—S.-M.
[170] Selon quelques manuscrits d'Ammien Marcellin, cette ville s'appelait Maïozamalcha. Zosime, qui ne la nomme pas, la qualifie, l. 3, c. 20, tout simplement de φρούριον, c'est-à-dire, château; mais Libanius, qui ne la nomme pas non plus, ajoute que c'était un château très-fort, φρούριον καρτερόν. Ammien Marcellin dont le témoignage est plus croyable, puisqu'il était dans l'expédition, dit l. 24, c. 4, que c'était une grande ville, défendue par de fortes murailles, Maogamalcha urbem magnam et validis circumdatam mœnibus.—S.-M.
XX.
Situation de la ville.
Amm. l. 24, c. 4.
Liban. or. 10, t. 2, p. 316-318.
Zos. l. 3, c. 20 et 22.
Le premier soin de Julien fut de se camper avantageusement, pour n'être pas exposé aux insultes de la cavalerie des Perses, très-redoutable en pleine campagne. Il alla ensuite lui-même à pied, avec une petite troupe d'infanterie légère, reconnaître les dehors de la place. Tout le terrain était coupé de canaux, au milieu desquels la ville s'élevait sur un tertre, qui semblait être une île. L'accès en était défendu par des rochers fort hauts, dont la coupe irrégulière formait un labyrinthe tortueux. Elle avait, ainsi que Pirisabora, deux enceintes, armées chacune d'une muraille de briques cimentées de bitume. Le mur extérieur, fort large et fort élevé, à l'épreuve des machines, était bordé d'un fossé profond, et flanqué de seize grosses tours de même construction que les murailles. Une citadelle, assise sur le roc, occupait le centre de la ville; au-dehors une forêt de roseaux qui s'étendait depuis les canaux jusqu'au bord du fossé, donnait aux habitants la facilité d'aller puiser de l'eau sans être aperçus[171]. Cette ville, très-peuplée par elle-même, se trouvait alors remplie d'une multitude d'habitants des châteaux voisins, qui s'y étaient retirés, comme dans une place de sûreté.
[171] Tous ces détails sur la situation et les fortifications de Maogamalcha sont tirés du dixième discours de Libanius, qui semble avoir voulu épuiser dans cette occasion toutes les ressources de son éloquence.—S.-M.
XXI.
Péril de Julien.
La hardiesse de Julien pensa lui coûter la vie. Dix soldats perses, étant sortis de la ville par une porte détournée, se glissèrent au travers des roseaux, et vinrent fondre sur sa troupe. Deux d'entre eux, ayant reconnu l'empereur, coururent à lui le sabre à la main. Il se couvrit de son bouclier, et tua l'un, tandis que l'escorte massacrait l'autre. Le reste s'étant sauvé par une prompte fuite, l'empereur revint au camp, où il fut reçu avec beaucoup de joie. L'armée ne respirait que vengeance, et Julien crut ne pouvoir, sans péril, laisser derrière lui une place si considérable. Ayant jeté des ponts sur les canaux, il fit passer ses troupes, et choisit un lieu sûr et commode pour y asseoir son camp, qu'il fortifia d'une double palissade.
XXII.
Divers événements qui se passent hors de la ville.
Ce siége, ou plutôt cette attaque, ne dura que trois jours: mais ce court intervalle présente un spectacle si varié, et si rempli d'événements, qu'on y trouverait de quoi marquer chaque journée d'un long siége, entrepris et soutenu par des combattants moins actifs. Tout était en mouvement dans la ville, au pied des murailles, sur le terrain des environs, sur les canaux. On avait envoyé les chevaux et les autres bêtes de somme de l'armée paître aux environs dans des bois de palmiers. Suréna vint pour les enlever; mais Julien, qui connaissait les forces des ennemis, comme les siennes propres, avait si bien proportionné l'escorte, qu'elle se trouva en état de les défendre. Tandis que l'infanterie attaquait la place, la cavalerie, divisée en plusieurs pelotons, battait toute la plaine; elle enlevait les grains et les troupeaux, elle nourrissait le reste de l'armée aux dépens des ennemis, elle assommait ou faisait prisonniers les fuyards dispersés dans la campagne. C'étaient les habitants de deux villes voisines[172], dont les uns se sauvaient vers Ctésiphon, les autres s'allaient cacher dans des bois de palmiers; un grand nombre gagnait les marais, et se jetant dans des canots légers, faits d'un seul arbre[173], ils échappaient à la cavalerie. Pour les atteindre, les soldats se servaient de bateaux de cuir, que Julien avait rassemblés; et quand ils arrivaient à la portée des traits, des pierres, et des feux qu'on leur lançait du haut des murailles, ils renversaient sur leurs têtes ces nacelles qui leur tenaient alors lieu de toit et de défense.
[172] Et duarum incolæ civitatum, quas amnes amplexi faciunt insulas. Amm. Marc. l. 24, c. 4. Ces deux villes étaient dans les îles formées par les divers bras et les canaux dérivés de l'Euphrate. On apprend de Zosime (l. 3, c. 20) que leur exemple avait été imité par les habitants de plusieurs autres lieux fortifiés, ἄλλα φρούρια πλεῖϛα, parmi lesquels se trouvait la ville de Bésuchis, Βησουχὶς, qui n'est pas mentionnée ailleurs, et qui selon le même auteur était une place bien peuplée, πολυάνθρωπος.—S.-M.
[173] Alii per paludes vicinas alveis arborum cavatarum invecti. Amm. Marc. l. 24, c. 4.—S.-M.
XXIII.
Attaques.
L'armée, rangée sur trois lignes, environnait les murs[174]. La garnison nombreuse et composée de troupes d'élite était déterminée à s'ensevelir sous les ruines, plutôt que de se rendre, et les habitants ne montraient pas moins de résolution[175]. Plusieurs aventuriers se hasardaient jusqu'au bord du fossé, d'où ils défiaient les Romains de leur donner bataille en rase campagne: pleins d'ardeur et de rage, ils n'obéissaient qu'avec peine aux ordres du commandant qui les rappelait. Cependant les Romains, moins fanfarons, mais plus actifs, partageaient entre eux les travaux: on élevait des terrasses; on comblait les fossés; on dressait des batteries[176]; on creusait de profonds souterrains. Névitta et Dagalaïphe commandaient les travailleurs[177]: Julien se chargea de la conduite des attaques. Tout était prêt, et l'armée demandait le signal, lorsque Victor, envoyé pour reconnaître le pays, vint rapporter, que le chemin était libre et ouvert jusqu'à Ctésiphon, qui n'était éloignée que de quatre lieues[178]. Cette nouvelle augmenta l'empressement des troupes. Les trompettes sonnent de part et d'autre. Les Romains, couverts de leurs boucliers, s'avancent avec un bruit confus et menaçant. Les Perses, revêtus de fer, se montrent sur la muraille[179]. D'abord ce n'était, de leur part, que des huées, des insultes, des railleries; mais quand ils voient jouer les machines, et les assaillants au pied de leurs murs, à couvert de leurs madriers[180], battre la muraille à coups de béliers, et travailler à la sape, alors ils font pleuvoir sur eux de gros quartiers de pierres, des javelots, des feux, des torrents de bitume enflammé. On redouble les efforts à plusieurs reprises: enfin, vers l'heure de midi, l'excessive chaleur qui croissait de plus en plus, obligea les Romains épuisés et couverts de sueur de passer le reste du jour sous leurs tentes. L'attaque recommença le lendemain avec une pareille fureur, et se termina avec aussi peu de succès. Un accident, rapporté par Ammien Marcellin, fait connaître quelle était la force de l'artillerie de ce temps-là. Un ingénieur[181] se tenait derrière une des pièces employées à foudroyer la ville, et qu'on appelait Scorpions; le soldat qui la servait, n'ayant pas bien placé la pierre dans la cuiller[182], d'où elle devait partir, cette pierre, au moment de la détente, rejaillit contre un des montants antérieurs de la machine, et revint frapper l'ingénieur avec tant de violence, que son corps fut mis en pièces, sans qu'on pût retrouver ni reconnaître aucun de ses membres. Le troisième jour, Julien s'exposait lui-même dans les endroits les plus hasardeux, animant ses soldats, et craignant que la longueur de ce siége ne lui fît manquer des entreprises plus importantes. Mécontent des travailleurs qui creusaient le souterrain, il les fit retirer avec honte et remplacer par trois cohortes renommées[183]. Après une rude attaque et une égale résistance, l'acharnement des deux partis se ralentissait; on était prêt à se séparer, lorsqu'un dernier coup de bélier, donné au hasard, fit écrouler la plus haute tour, qui entraîna dans sa chute un large pan de muraille. A cette vue, l'ardeur se rallume; on saute des deux côtés sur la brèche: les deux partis se disputent le terrain par mille actions de valeur; le dépit et la rage transportent les assiégeants; le péril prête aux assiégés des forces surnaturelles. Enfin, la brèche étant inondée de sang et jonchée de morts, la fin du jour força les Romains de s'apercevoir de leur perte et de leur fatigue: ils se retirèrent pour prendre de la nourriture et du repos.
[174] Jamque imperator muris duplicibus oppidum, ordine circumdatum trino scutorum. Amm. Marc. l. 24, c. 4.—S.-M.
[175] Accedebat his haud levius malum, quὸd lecta manus et copiosa quæ obsidebatur, nullis ad deditionem illecebris flectebatur, sed tamquam superatura vel devota cineribus patriæ, resistebat adversis. Amm. Marc. l. 24, c. 4.—S.-M.
[176] Locabant artifices tormenta muralia: les artilleurs plaçaient les machines destinées à battre les murailles. Amm. Marc. l. 24, c. 4.—S.-M.
[177] Et cuniculos cum vineis Nevitta et Dagalaiphus curabant. Ammien Marc. l. 24, c. 4. On sait que les mines pratiquées dans les siéges s'appelaient cuniculi; les vinea étaient des claies destinées à protéger les travailleurs.—S.-M.
[178] C'est-à-dire quatre-vingt-dix stades, selon Zosime, l. 3, c. 21. Comme il s'agit sans doute des stades en usage dans le pays, et qui étaient les moins grands de tous ceux qui sont mentionnés dans les auteurs anciens, la distance ne devait pas être tout-à-fait aussi considérable.—S.-M.