Histoire du Bas-Empire. Tome 03
LIVRE XIII.
I. Conduite de Julien à l'égard de ses ennemis. II. Ses occupations à Antioche. III. Son amitié pour Libanius. IV. Il va au mont Casius. V. Il censure la négligence des habitants d'Antioche sur les sacrifices. VI. Mort d'Artémius. VII. George massacré. VIII. Julien cherche à soulever le peuple contre les chrétiens. IX. Fureur des païens. X. Supplices de Marc, évêque d'Aréthuse. XI. Zèle ardent des chrétiens, XII. Superstitions de Julien. XIII. Translation des reliques de saint Babylas. XIV. Colère de Julien. XV. Fermeté d'une femme chrétienne. XVI. Incendie du temple de Daphné. XVII. Impiété du comte Julien. XVIII. Ses cruautés réprimées par l'empereur. XIX. Mort de Juventinus et de Maximin. XX. Malheurs arrivés cette année. XXI. Disette à Antioche. XXII. Julien l'augmente en voulant la diminuer. XXIII. Nouvelle persécution d'Athanase. XXIV. Il est chassé d'Alexandrie, XXV. Livres de Julien contre la religion chrétienne. XXVI. Mort du comte Julien. XXVII. Propositions de Sapor rejetées. XXVIII. Julien consul. XXIX. Mauvais présages. XXX. Il persiste dans le dessein d'attaquer les Perses. [XXXI. Lettre de Julien à Arsace. XXXII. Nouvelles menaces de Julien.] XXXIII. Il projette de rétablir le temple de Jérusalem. XXXIV. Insolence des Juifs. XXXV. Julien leur ordonne de rebâtir leur temple. XXXVI. Empressement des Juifs. XXXVII. Prodiges qui arrêtent l'entreprise. XXXVIII. Croix lumineuses. XXXIX. Preuves de ce miracle. XL. Railleries du peuple d'Antioche. XLI. Julien compose le Misopogon. XLII. Clémence et dureté de Julien.
JULIEN.
An 362.
I.
Conduite de Julien à l'égard de ses ennemis.
Amm. l. 22, c. 9 et 11 et ibi Vales.
[Liban. or. 8, t. 2, p. 246.]
Suid. in Σαλόυστιος.
La vanité de Julien était le ressort de ses vertus. C'est par là qu'on peut expliquer les contrariétés de sa conduite: tantôt une clémence qui semble héroïque; tantôt une rigueur implacable. Il préférait l'honneur de pardonner à la sombre satisfaction de la vengeance; mais sa générosité n'était pas entière, il voulait en être payé par la gloire; et s'il pardonnait avec éclat, il se vengeait aussi sans miséricorde, lorsque la circonstance ne lui semblait pas assez heureuse pour faire admirer sa grandeur d'ame. Le premier jour de son arrivée à Antioche, un officier[1], nommé Thalassius, qui avait contribué au désastre de Gallus, s'étant présenté avec les principaux[2] de la ville pour saluer l'empereur, Julien lui fit refuser l'entrée. Quelques citoyens, qui étaient en procès avec cet officier, vinrent dès le lendemain, en grande compagnie, porter leurs plaintes à l'empereur: Thalassius, s'écrièrent-ils, l'ennemi de votre majesté, est aussi le nôtre; il nous a ravi nos biens. Julien reconnut aisément qu'ils voulaient profiter de la disgrace de leur adversaire: Il est vrai, répondit-il, qu'il m'a sensiblement offensé: attendez donc, pour demander justice, que je sois satisfait moi-même; je mérite quelque préférence. Il ordonna en même temps au préfet de ne les point écouter, qu'il n'eût rendu ses bonnes graces à Thalassius: ce qu'il ne tarda pas à faire[3]. Mais tous ceux dont il avait à se plaindre n'éprouvèrent pas la même indulgence. Le secrétaire Gaudentius, qui, par l'ordre du défunt empereur, avait empêché les troupes de Julien de passer en Afrique, et Julien autrefois vicaire des préfets, à qui l'on ne pouvait reprocher que son zèle pour le service de son prince, furent conduits à Antioche et condamnés à mort. Le fils du général Marcellus[4], soupçonné d'aspirer à l'empire, fut exécuté publiquement. Marcellus, son père, tremblait dans sa retraite; il se souvenait des mauvais services qu'il avait rendus à Julien César, et la mort de son fils semblait lui annoncer la sienne. Il fut heureux d'avoir offensé Julien d'une manière éclatante: l'empereur se fit un mérite de l'épargner, parce que tout l'empire savait que Marcellus ne méritait point de pardon; il affecta même de le traiter avec honneur. Romain et Vincent, capitaines des gardes[5], convaincus d'avoir formé des projets trop ambitieux, ne furent condamnés qu'au bannissement.
[1] Ex proximo libellorum.—S.-M.
[2] Honorati.—S.-M.
[3] On croit, d'après un passage de Théophanes (p. 43), que Thalassius renonça bientôt après au christianisme, et que son goût pour les augures et la divination lui concilia la faveur de Julien. On prétend encore qu'il périt d'une manière miraculeuse, écrasé sous les ruines de sa maison, tandis que toute sa famille, qui était restée chrétienne, fut préservée.—S.-M.
[4] Ex magistro equitum et peditum filius. Amm. Marc. l. 22, c. 11.—S.-M.
[5] Scutariorum scholæ primæ secundæque tribuni. Amm. Marc. l. 22, c. 11.—S.-M.
II.
Ses occupations à Antioche.
Amm. l. 22, c. 10.
Chrys. de S.tο Babyla contra Jul. et Gent. t. 2, p. 559.
Socr. l. 6, c. 3.
Les délices de la Syrie n'avaient rien de contagieux pour un esprit tel que celui de Julien, naturellement sérieux et austère. Au milieu d'une ville voluptueuse, il conserva, avec l'extérieur philosophique, le même goût de frugalité, et de travail, la même sévérité dans ses mœurs. Ses occupations étaient la législation, l'exercice de la justice, et surtout le rétablissement du paganisme. La conversation des philosophes et des rhéteurs, la composition de plusieurs ouvrages, les sacrifices et les cérémonies de religion, faisaient ses délassements. Cependant saint Jean Chrysostôme, qui, étant pour lors âgé de quinze à seize ans, étudiait la rhétorique sous Libanius, nous donne de sa cour l'idée la plus affreuse: Les magiciens, dit-il, les enchanteurs, les devins, les augures, les fanatiques de Cybèle, et tous les charlatans de l'impiété, s'étaient rendus auprès de lui de toutes les contrées de la terre: son palais était rempli de fugitifs flétris par des jugements. Des misérables, qui avaient été condamnés pour empoisonnements et pour maléfices, qui avaient vieilli dans les prisons, qui travaillaient aux mines, qui pouvaient à peine soutenir leur misère par le commerce le plus infâme, revêtus tout à coup de sacerdoces et de sacrificatures, tenaient auprès de lui le rang le plus honorable. Environné de jeunes hommes perdus de débauche, de vieillards encore plus dissolus et de femmes prostituées, qui faisaient tout retentir de leurs ris immodérés et de leurs paroles impudentes, il traversait les rues et les places de la ville: son cheval et ses gardes ne le suivaient que de loin. Ce grand homme dépose à la face du peuple d'Antioche, de ce qu'il a vu lui-même; il en appelle à tous ceux qui vivaient alors: il les défie de le démentir. Son témoignage ne peut être soupçonné; mais il représente sans doute en cet endroit Julien tel qu'il l'avait vu fréquemment aller aux temples avec tout le cortége de l'idolâtrie. Il ne parle pas ici de la vie privée du prince, dont ni son âge ni sa religion ne lui permettaient pas d'être témoin. Ceux qu'il dépeint sous de si affreuses couleurs étaient les prêtres et non pas les courtisans de Julien; c'étaient ceux qui se rassemblaient auprès de lui pour les cérémonies, et non pas ceux qui vivaient avec lui dans son palais. Le prince était plus chaste que ses dieux: sa cour était plus honnête, composée à la vérité d'imposteurs et de charlatans, mais d'une autre espèce, et dont l'extérieur grave et sévère outrait la décence jusqu'à la singularité.
III.
Son amitié pour Libanius.
Liban. vit. t. 2, p. 40-42, et or. 4, p. 152.
Jul. ep. 27, p. 399.
Libanius, qui enseignait alors à Antioche, avait été le maître de Julien, quoiqu'il n'eût pas été permis à ce prince de prendre ses leçons: la défense expresse de Constance y avait apporté un obstacle invincible. Mais Julien avait secrètement dévoré avec d'autant plus d'ardeur les discours de ce rhéteur, aussi passionné que lui pour l'idolâtrie: c'était sur ce modèle qu'il avait formé son style. Il brûlait d'impatience de l'entendre, et il le lui déclara en entrant dans Antioche. Ce sophiste, dans l'histoire qu'il a pris la peine de faire de sa propre vie, raconte avec complaisance comment sa prétendue modestie fut forcée de céder aux avances de Julien. S'il l'en faut croire, le prince prenait à ses succès un si vif intérêt, que l'inquiétude le privait du sommeil, lorsque Libanius avait un discours à prononcer le lendemain: sujet de veille à peine pardonnable à l'auteur même, et infiniment frivole dans un empereur. Julien l'honora du titre de questeur: il l'appelle dans ses lettres son très-cher et très-aimable frère. Libanius paya ses faveurs par des éloges excessifs, mais qui respirent plutôt le fanatisme que la flatterie.
IV.
Il va au mont Casius.
[Jul. misop. p. 361.]
Amm. l. 22, c. 14 et ibi Vales.
Plin. l. 5, c. 18, et ibi Hard.
Cellar. Geog. l. 3, c. 12, art. 29.
On célébrait dans le mois d'août une fête[6] en l'honneur de Jupiter[7] sur le mont Casius, situé au midi d'Antioche, au-delà de l'Oronte[8]. La hauteur de cette montagne, qui était de quatre mille pas, avait donné lieu à une fable, qu'on débitait aussi du mont Caucase: on disait qu'on y voyait lever le soleil trois heures avant que cet astre parût à l'horizon de la plaine. L'empereur Hadrien avait passé une nuit sur le Casius pour vérifier de ses propres yeux cette merveille, qu'un furieux orage avait, dit-on, dérobé à sa curiosité. Sur le sommet couvert de bois et qui avait dix-neuf mille pas de circuit, était un temple superbe consacré à Jupiter. Pendant que Julien y offrait un sacrifice, un inconnu, fondant en larmes, vint se jeter à ses pieds, le suppliant humblement de lui accorder sa grace. L'empereur ayant demandé qui il était, on lui répondit que c'était Théodote ancien magistrat[9] d'Hiérapolis; qu'au passage de Constance ce méchant homme, lui faisant sa cour avec les principaux de la ville, s'était signalé par la plus criminelle adulation; flattant le prince d'une victoire indubitable, et lui demandant en grace avec des pleurs et des gémissements contrefaits, de leur envoyer au plus tôt la tête de Julien, cet ingrat, ce rebelle, comme il avait fait porter la tête de Magnence dans toutes les provinces de l'empire. Julien ayant froidement écouté ce récit: Je le savais déja, dit-il, sur le rapport de plusieurs témoins; retourne chez toi avec assurance; tu n'as rien à craindre d'un prince qui, suivant la maxime d'un sage, ne veut connaître d'autre manière de détruire ses ennemis qu'en les rendant ses amis.
[6] Præstituto feriarum die, dit Ammien Marcellin, l. 22, c. 14. Cette fête se célébrait le 10 du mois de loüs, qui, dans le calendrier macédonien alors en usage parmi les Syriens, répondait au même jour du mois d'août. Loüs était le dixième mois de l'année syrienne.—S.-M.
[7] Ce Jupiter portait particulièrement le nom de Philius; on l'appelait aussi Casius, à cause du lieu où il était révéré. C'était le dieu national de la capitale de la Syrie, comme le dit Julien, Misop. p. 361, Τοῦ Θεοῦ πάτριός ἐϛὶν ἐορτή. Ce dieu est représenté sur les médailles d'Antioche.—S.-M.
[8] Le mont Casius était bien au midi d'Antioche, mais non pas au-delà de ce fleuve par rapport à la ville. Ils étaient tous deux sur la rive gauche de l'Oronte. Comme après avoir arrosé les murailles d'Antioche, le fleuve se dirige du N. E. au S. O. pour se rendre à la mer, on conçoit comment la montagne se trouvait au midi de la ville sans qu'on fût obligé de passer la rivière pour s'y rendre.—S.-M.
[9] Præsidalis.—S.-M.
V.
Il censure la négligence des habitants d'Antioche sur les sacrifices.
Amm. l. 22, c. 14.
Jul. misop. p. 361 et 362.
Comme il descendait de la montagne, il reçut une lettre d'Ecdicius, gouverneur d'Égypte, qui lui mandait qu'après de longues recherches, on avait enfin trouvé un bœuf portant tous les caractères du dieu Apis[10]. C'était pour Julien un présage infaillible des plus heureux événements. Les malheurs de cette année et de la suivante ne firent pas honneur au pronostic. Une autre fête très-solennelle appelait Julien au temple d'Apollon à Daphné: il s'y rendit en diligence du mont Casius, s'attendant d'y voir la pompe la plus brillante. Il fut fort étonné de ne trouver dans le temple pas une victime, pas un grain d'encens: mais seulement, au lieu des anciennes hécatombes, une oie que le prêtre avait apportée de chez lui, afin que le Dieu ne passât pas la journée sans offrande. A cette vue le zèle de Julien s'enflamma, et debout devant l'autel, aux pieds de la statue, adressant la parole au petit nombre de ceux qui se trouvèrent présents, il leur fit une vive réprimande qui retombait sur tous les habitants d'Antioche; il leur reprocha leur impiété, leur épargne sordide et scandaleuse à l'égard du culte des dieux[11], tandis que leurs femmes épuisaient leurs richesses pour faire subsister des Galiléens: il les menaça de l'indignation céleste; et il ne manqua pas dans la suite d'attribuer à cette indifférence criminelle la disette dont la ville fut peu de temps après affligée.
[10] Le bœuf Apis, qui recevait les honneurs divins en Égypte, était consacré à la lune, selon Ammien Marcellin, l. 22, c. 14, tandis que celui qu'on appelait Mnévis l'était au soleil. Inter animalia antiquis observationibus consecrata, Mnevis et Apis sunt notiora: Mnevis soli sacratur,.... sequens lunæ,—S.-M.
[11] «N'est-il pas honteux, disait-il, qu'une ville qui possède un si vaste territoire, μυρίους κλήρους γῆς ιδίας κεκτημένην, ne fasse pas pour les dieux, ce qu'une bourgade reléguée à l'extrémité du Pont rougirait de ne pas faire.» Il reproche ensuite aux Antiochéniens leurs folles dépenses aux fêtes licencieuses nommées Maiouma, τἀ δεῖπνα τοῦ Μαϊουμᾶ, et leurs banquets splendides, Misop. p. 362.—S.-M.
VI.
Mort d'Artémius.
Jul. ep. 10, p. 378.
Amm. l. 22, c. 11.
Theod. l. 3, c. 18.
Soz. l. 4, c. 30.
Chron. Alex. vel Pasch. p. 297.
Zon. l. 13, t. 2, p. 26.
Vita Ath. in edit. Benedict. p. 77.
Till. persec. de Julien.
Dans le temps qu'il affectait d'oublier ses propres injures, il n'épargnait pas les ennemis de ses dieux. Artémius, commandant des troupes en Égypte, fut la première victime du zèle de Julien pour l'idolâtrie. Ammien Marcellin se contente de dire qu'il fut accusé de crimes atroces par les Alexandrins, et condamné à mort[12]. Son histoire est développée plus au long, par les auteurs ecclésiastiques. L'évêque George dévoué aux Ariens, auxquels il devait sa fortune, s'était rendu également odieux à tout le reste des Alexandrins, aux catholiques qu'il persécutait, aux païens dont il voulait détruire le culte, aux magistrats qu'il méprisait, au peuple qu'il accablait en tyran. Les païens surtout nourrissaient secrètement contre lui une haine mortelle. Il empêchait leurs sacrifices et la célébration de leurs fêtes: secondé d'Artémius et de ses troupes, il renversait leurs autels, il enlevait à main armée leurs statues et tous les ornements de leurs temples. Au retour d'un voyage qu'il avait fait à la cour de Constance, passant avec un nombreux cortége devant le temple du Génie[13], et jetant un regard de courroux sur ce magnifique édifice: Jusqu'à quand, dit-il, laisserons-nous subsister ce sépulcre[14]? Les idolâtres frappés de cette parole, résolurent de le perdre pour sauver leur dieu. Dès que Julien fut sur le trône, ils commencèrent par attaquer Artémius, dont la puissance servait de rempart à l'évêque. Ils le déférèrent à l'empereur comme le soutien et l'exécuteur de toutes les violences de George[15]. Julien lui ordonna de se rendre à Antioche. Artémius partit en menaçant les habitants de leur faire payer bien cher à son retour les frais d'un si fâcheux voyage. Il ne revint pas. Julien lui fit trancher la tête, et l'église grecque l'honore comme un célèbre martyr[16]. Les critiques se partagent à son sujet: tous conviennent qu'il avait été, comme son prédécesseur Sébastien, zélateur de l'Arianisme, partisan de George, ennemi déclaré d'Athanase qu'il avait poursuivi jusque dans les déserts; mais quelques-uns prétendent que touché de la grace divine, il reconnut son erreur, et mérita la couronne du martyre: les autres n'aperçoivent aucune preuve de sa pénitence, et désapprouvent le culte que lui rendent les Grecs.
[12] Tunc Artemius ex duce Ægypti, Alexandrinis urgentibus atrocium criminum mole, supplicio capitali mulctatus est. Théodoret l'appelle ςρατήγος τῶν ἐν Αίγύπτῳ ςρατιωτών. Julien le nomme par dérision le roi et le tyran de l'Égypte, βασιλέα τής Αίγύπτου καί τύραννον, faisant sans doute allusion aux violences commises par lui pour appuyer George et les Ariens.—S.-M.
[13] Per speciosum Genii templum, dit Ammien Marcellin, l. 22, c. 11, voulant sans doute parler du génie ou de la fortune, τύχη, d'Alexandrie. Toutes les villes possédaient un temple ou au moins un oratoire dédié à leur génie tutélaire.—S.-M.
[14] Quamdiu sepulchrum hoc stabit? Ammien Marcellin, l. 22, c. 11.—S.-M.
[15] On l'accusait d'avoir renversé et pillé le temple de Sérapis. Dans ses actes recueillis par Surins, on rapporte aussi qu'il avait contribué à la mort de Gallus. Cette circonstance pourrait peut-être nous faire connaître la véritable cause ou au moins le prétexte de la sévérité de Julien envers ce général.—S.-M.
[16] C'est le 20 octobre que l'on célèbre sa fête.—S.-M.
VII. George massacré.
Jul. ep. 10, p. 378.
Amm. l. 22, c. 11.
Greg. Naz. or. 21, t. 1, 389 et 390.
Ambros. ep. 40, t. 2, p. 951.
[Epiph. hær. 76, t. 1, p. 912.]
Socr. l. 3, c. 2 et 3.
Soz. l. 5, c. 7.
Philost. l. 7, c. 2.
La nouvelle de la mort d'Artémius, parvenue à Alexandrie, fut le signal du massacre de George. Le peuple idolâtre, poussant des hurlements affreux, court l'arracher de sa maison. Ce malheureux est en un moment assommé, foulé aux pieds, traîné, mis en pièces. Dracontius, intendant de la monnaie, et Diodore qui tenait le rang de comte, expirent au milieu de mille outrages. L'un avait détruit un autel de Sérapis; l'autre présidait à la construction d'une église; il attirait les enfants au christianisme, et leur coupait les cheveux qu'on laissait croître par une superstition païenne. Cette populace forcenée charge un chameau de ces cadavres déchirés; on les promène par toute la ville; on les conduit ensuite au rivage, où après les avoir brûlés on jette leurs cendres dans la mer, de peur, disait-on, qu'elles ne fussent recueillies et honorées comme des reliques de martyrs[17]. Les seuls Ariens auraient été capables de leur rendre ce culte religieux[18]. Ils accusèrent les catholiques d'avoir trempé leurs mains dans le sang de George; et Socrate avoue que dans une émeute populaire les mécontents se laissent aisément entraîner par les séditieux[19]. Cependant Ammien Marcellin paraît les disculper, en disant que les chrétiens étaient assez forts pour défendre George, mais qu'ils s'abstinrent de le faire parce qu'il était universellement odieux[20]; et le témoignage de Julien achève de les justifier; il n'imputa ce massacre qu'aux païens. Il en parut d'abord extrêmement irrité; il ne parlait que de châtiments. Mais les violences qui attaquaient les chrétiens, ne blessaient que sa politique, sans toucher son cœur. Sa colère se laissa bientôt fléchir par son oncle le comte Julien, qui intercéda pour Alexandrie dont il avait été gouverneur. L'empereur se contenta d'écrire aux Alexandrins une lettre, dans laquelle il leur reproche leur inhumanité: il avoue que George méritait ces traitements et peut-être de plus rigoureux encore: Mais, ajoute-t-il, vous ne deviez pas être ses bourreaux: vous avez des lois; elles devaient être sacrées pour vous, quoiqu'il les foulât aux pieds. Rendez graces au grand Sérapis: par respect pour ce Dieu qui vous protége, et par considération pour un oncle qui vous a gouvernés[21], je veux bien vous pardonner de si coupables excès. George laissait de grandes richesses, fruits de ses concussions et de ses rapines. Julien les abandonna sans regret à ceux qui les avaient pillées; mais il revendiqua la bibliothèque, qui, malgré l'ignorance du possesseur, était nombreuse et choisie. L'empereur donna des ordres très-pressants d'en recueillir exactement tous les livres, de les lui envoyer en diligence et de n'en laisser écarter aucun, pas même, dit-il, les livres impies des Galiléens.
[17] Iisdemque subdito igne crematis, cineres projecit in mare, id metuens ut clamabat, ne collectis supremis, ædes illis exstruerentur ut reliquis, qui deviare a religione compulsi, pertulere cruciabiles pœnas, adusque gloriosam mortem intemerata fide progressi, et nunc Martyres appellantur. Amm. Marcell., l. 22, c. 11. S. Epiphane dit à peu près la même chose (hær. 76, t. 1, p. 912) et aussi à propos du massacre de George.—S.-M.
[18] Quelques savants ont pensé que l'Arien George, massacré par les païens d'Alexandrie, était le même que le patron de l'Angleterre, dont la légende a été défigurée par une multitude de fables. Voyez à ce sujet Gibbon, t. 4, p. 443 et 444.—S.-M.
[19] Ἐγὼ δὲ ἡγοῦμαι μὲν τοὺς μισοῦντας ἐν ταῖς ςάσεσι συνεπιτίθεσθαι τοῖς ἀδικoῦσιν. Socr. l. 3, c. 3.—S.-M.
[20] Poterantque miserandi homines ad crudele supplicium ducti, christianorum adjumento defendi, ni Georgii odio omnes indiscretè flagrabant. Amm. Marc. l. 22, c. 11.—S.-M.
[21] Sozomène (l. 5, c. 7) y ajoute Alexandre, fondateur de la ville.—S.-M.
VIII.
Julien cherche à soulever les peuples contre les chrétiens.
Jul. ep. 52, p. 435.
Greg. Naz. or. 3, t. 1, p. 91.
Soz. l. 5, c. 15.
[Theoph. p. 41.]
L'impunité des Alexandrins[22] fit connaître à tout l'empire que Julien pardonnait volontiers les outrages faits aux chrétiens, et que leur sang n'était à ses yeux qu'un sang vil et méprisable. On acheva de s'en convaincre par la colère qu'il fit éclater contre le gouverneur de Cappadoce. La populace païenne qui habitait Césarée, se souleva contre les chrétiens de la ville. Il y eut un grand carnage. Pour prévenir les suites de ce désordre, on arrêta les plus coupables. Le gouverneur voulant faire sa cour au prince, fit tomber sur les chrétiens la plus grande partie des châtiments; mais il ne put se dispenser de punir aussi quelques idolâtres. Julien en fut indigné: il manda le gouverneur: il voulait d'abord le faire traîner au supplice. Comme on lui prouvait que les païens étaient les auteurs du massacre: Le grand malheur, s'écria-t-il, que des Hellènes aient fait périr dix Galiléens! Il crut donner une grande marque de clémence en ne le condamnant qu'à l'exil. Il ne tint pas à lui que l'évêque de Bostra ne fût traité comme celui d'Alexandrie. L'église de cette capitale de l'Arabie[23] était alors gouvernée par Titus, prélat respectable par sa sainteté, et redoutable à Julien par sa doctrine. L'empereur ordonna aux habitants de le chasser; il fit en même temps déclarer à Titus que s'il arrivait quelque émeute à son occasion, il s'en prendrait à lui et à son clergé. Sur cette menace, l'évêque représenta à l'empereur que les chrétiens étaient à la vérité par leur grand nombre en état de faire tête aux Hellènes; mais que loin de les animer, il ne travaillait qu'à les contenir. Aussitôt Julien envoya aux habitants un édit[24], où par une interprétation maligne et tout-à-fait indigne d'un prince, il envenimait les paroles de Titus. Après les avoir rapportées: Voilà, dit-il, le langage de votre évêque; vous voyez comme il vous dérobe le mérite de votre obéissance: à l'entendre, vous n'êtes que des séditieux: c'est lui qui par ses discours vous contient malgré vous: chassez-le donc de votre ville comme un délateur perfide. Sozomène donne lieu de croire que cet ordre fut exécuté.
[22] Dans sa lettre Julien leur dit, ep. 10, p. 380, qu'il conserve pour eux une amitié fraternelle, ἀδελφικὴν εὔνοιαν ὑμῖν ἀποσώζω.—S.-M.
[23] C'est le nom que les Romains donnaient à une province formée aux dépens de la Syrie, et située sur les frontières du désert d'Arabie. Elle avait été réunie à l'empire sous le règne de Trajan.—S.-M.
[24] Cet édit ou plutôt cette lettre est datée d'Antioche le 1er août 362.—S.-M.
IX.
Fureurs des païens.
Jul. Misop. p. 357 et 361.
Socr. l. 3, c. 15.
Theod. l. 3. c. 6.
Soz. l. 5, c. 3, 8, 9 et 10.
C'était proscrire le christianisme, que de montrer tant de mépris et tant de haine contre les chrétiens. L'idolâtrie enchaînée depuis la conversion de Constantin, ayant enfin brisé ses fers, signala sa vengeance par les plus affreuses violences. Profaner les églises, les consacrer aux divinités païennes en y plaçant les idoles les plus infâmes, détruire les sépultures des martyrs, disperser leurs os, jeter au vent leurs cendres, ce n'était que les exploits ordinaires d'une superstition victorieuse. Mais la plupart des villes de Syrie et de Phrygie se portèrent à des excès de cruauté qui font horreur à raconter. On mit en usage les anciens supplices; on en imagina de nouveaux et d'inouïs. Les habitants d'Héliopolis, pour venger leur Vénus dont Constantin avait tâché d'abolir le culte impudique, firent ouvrir le ventre à des vierges sacrées, le remplirent d'orge, et les exposèrent dans cet état horrible à l'avidité des animaux les plus immondes, qui dévoraient en même temps l'orge et les entrailles. On vit des hommes manger le foie d'un diacre nommé Cyrille. Gaza, Ascalon, Émèse, Aréthuse imitèrent ces monstrueuses barbaries, qui semblent souiller l'histoire même. Ce sont ces villes que Julien comble de louanges dans ses ouvrages: il les appelle des villes saintes, des villes généreuses, qui lui sont étroitement unies par leur piété. Elles ont, dit-il, secondé mes intentions avec tant d'ardeur, qu'elles ont porté le châtiment des impies Galiléens plus loin que je ne désirais. Il récompensa les fureurs des habitants de Gaza, en rappelant sous la dépendance de leur ville le bourg de Maïuma, qu'il dépouilla de tous les titres et de tous les droits dont Constantin l'avait honoré.
X.
Supplices de Marc d'Aréthuse.
[Greg. Naz. or. 3, t. 1, p. 89-91.]
Theod. l. 3, c. 7.
Soz. l. 5, c. 10.
Till. pers. note 16.
Le fanatisme étouffait dans le cœur de Julien jusqu'aux sentiments de la plus juste reconnaissance. Marc, évêque d'Aréthuse, lui avait sauvé la vie dans son enfance. On ne sait si ce prélat, fameux auparavant par son zèle pour l'arianisme, était revenu de ses erreurs, comme Théodoret le fait entendre, ou s'il y restait encore engagé. Tout ce qui portait le nom de chrétien, était également en butte aux traits de l'idolâtrie; et dans cette proscription générale, plusieurs hérétiques souffrirent constamment la mort. Marc accablé d'années, mais plein de force et de courage, fut la victime d'une populace effrénée[25]. Il endura pendant plusieurs jours tous les tourments que peut inventer la cruauté, toujours plus ingénieuse dans les ames les plus stupides et les plus grossières. Sa vieillesse triompha cependant des supplices les plus douloureux, et il survécut à l'empereur. La nouvelle de ce traitement inhumain étant parvenue à la cour, Julien n'en témoigna aucun ressentiment. Mais le préfet Salluste, dont l'ame généreuse en fut révoltée, prit la liberté de dire à l'empereur: Prince, quelle honte pour nous d'être si inférieurs aux chrétiens, qu'un de leurs vieillards ait surmonté un peuple entier et tout ce que nous avons de tortures! Ce n'était pas un honneur de le vaincre; mais c'est le comble de l'ignominie, d'en avoir été vaincus.
[25] On l'accusait d'avoir détruit, sous le règne de Constance, un temple, et on voulait le contraindre de le rétablir à ses dépens.—S.-M.
XI.
Zèle ardent des chrétiens.
Socr. l. 3, c. 15.
Theod. l. 3, c. 7.
Soz. l. 5, c. 10.
Baron. in an. 362.
Tandis que ces sanglantes tragédies remplissaient l'Orient d'horreur, l'Occident ne fut pas épargné. Rome vit immoler par le glaive, ou précipiter dans le Tibre plusieurs de ses citoyens. On y poursuivait les chrétiens, comme coupables de magie. Et il faut avouer que sans chercher de prétexte pour les faire périr, on en trouvait assez dans leur hardiesse. Les insultes des païens, leurs blasphèmes, la vue de leurs abominations, embrasaient le zèle des fidèles, et le portaient souvent au-delà des bornes. Nourris et élevés sous la domination du christianisme, ils regardaient le règne de l'idolâtrie comme une usurpation; ils renversaient les autels, brisaient les statues, troublaient les sacrifices, et n'ayant d'autres armes que leur zèle, ils provoquaient contre eux-mêmes toutes les forces du paganisme. La multitude ignorait alors ce qu'elle a de tout temps ignoré, que la religion chrétienne ne s'élève jamais par voie de fait contre l'ordre public, et que sous un gouvernement qui lui fait la guerre, elle ne doit que souffrir. La constance des martyrs qui répandirent leur sang sous Julien, répare sans doute ce qu'on pourrait trouver de répréhensible dans l'excès de leur zèle. Julien n'en est pas plus excusable: il connaissait assez les hommes pour prévoir les effets que ne pouvaient manquer de produire, d'un côté l'insolence des païens triomphants, de l'autre l'impatience des chrétiens accablés.
XII.
Superstitions de Julien.
[Jul. or. 7, p. 225 et frag. p. 288.]
Amm. l. 22, c. 12.
Greg. Naz. or. 3, t. 1, p. 91, et or. 4, p. 122.
Elias Cretensis et Nonnus in or. 4.
Greg. Naz.
Chrysost. de Sto Babyla et contra Jul. et Gent. t. 2, p. 575 et passim.
[Soz. l. 5, c. 19.]
Theod. l. 3, c. 21 et 22.
Baron. in ann. 362.
Till. pers. art. 7.
Fleury, hist. eccles. l. 15, c. 33.
Son acharnement contre le christianisme ne lui faisait pas perdre de vue la guerre qu'il avait projetée. Loin qu'un de ces objets pût le distraire de l'autre, il savait les faire concourir. On enrôlait les clercs et les moines. Ceux-ci lui étaient surtout odieux; et quoique leur extérieur n'eût rien de plus singulier que celui de l'empereur même et des philosophes qui remplissaient sa cour, ils étaient l'objet perpétuel de ses mépris et de ses railleries. Ils n'osaient sortir de leurs déserts; on allait les enlever jusque dans leurs retraites pour les forcer au service. Cependant l'empereur cherchait dans sa superstition des présages de victoire; il inondait les autels du sang des victimes; il égorgeait quelquefois cent taureaux ensemble, un nombre infini d'animaux de toute espèce, et des oiseaux rares qu'il faisait rassembler de toutes les contrées; en sorte que les dépenses des sacrifices étaient énormes. La folle dévotion du prince altérait même la discipline militaire. Les soldats qu'il nourrissait de la chair des animaux immolés, s'en remplissaient avec excès dans les temples, et buvant sans mesure il fallait les porter comme morts à leur quartier, au grand scandale de la religion païenne. Ce désordre était surtout très-commun parmi les soldats gaulois, qui se donnaient plus de licence, parce que Julien leur devait l'empire[26]. On voyait de toutes parts une multitude d'astrologues, d'aruspices, d'augures, d'interprètes de songes, d'imposteurs de mille ordres différents. Julien qui n'en trouvait pas encore assez à son gré, fit déboucher la source prophétique de la fontaine de Castalie[27]. On disait que le souffle qui s'élevait de son sein animait les prêtres, et que le murmure de ses eaux les instruisait des événements futurs. C'était par cet oracle qu'Hadrien avait autrefois appris qu'il parviendrait à l'empire; mais il avait fait combler cette source d'une masse énorme de pierres, dans la crainte qu'elle ne fût par la suite assez indiscrète pour lui nommer un successeur. Plusieurs pères de l'église accusent Julien d'avoir encore employé pour pénétrer les secrets de l'avenir d'autres pratiques, qui dans les mœurs de ce prince seraient incroyables, si cette curiosité insensée n'avait été trop souvent cruelle et meurtrière. Ils rapportent qu'il fit jeter pendant la nuit quantité de cadavres dans l'Oronte; et qu'après sa mort on trouva dans le palais d'Antioche des réservoirs, des fosses, des puits comblés de victimes humaines qu'il avait immolées dans les affreux mystères de la nécromancie.
[26] Petulantes ante omnes et Celtæ, quorum eâ tempestate confidentia creverat ultra modum. Amm. Marc., l. 22, c. 12.—S.-M.
[27] Il ne s'agit pas ici de la fontaine Castalie près de Delphes, mais d'une autre qui existait auprès du temple d'Apollon à Daphné, et à laquelle on avait donné le même nom, parce qu'on lui supposait la même vertu. Julien la fit purifier en employant les rites suivis autrefois par les Athéniens, lorsque, pendant la guerre du Péloponèse, ils voulurent rendre à l'île de Délos son antique sainteté. On peut consulter à ce sujet le 3e livre de Thucydide et le 12e de Diodore de Sicile. Circumhumata corpora, dit Ammien Marcellin, l. 22, c. 12, statuit exinde transferri eo ritu, quo Athenienses insulam purgaverant Delon.—S.-M.
XIII.
Translation des reliques de S. Babylas.
[Jul. misop. p. 361.]
Liban. monod. t. 2, p. 185 et 186.
Chrysost. de Sto Babyla, et contra Jul. et Gent. t. 2, passim, 5 p. 1-577.
Rufin. l. 10, c. 35 et 36.
Aug. de civ. l. 18, c. 52, t. 7, p. 535.
Socr. l. 3, c. 18, 19.
Theod. l. 3, c. 10 et 11.
Soz. l. 5, c. 18 et 19.
Evagr. l. 1, c. 16.
Tous les oracles de l'empire, abandonnés depuis long-temps, n'étaient occupés qu'à répondre aux députés de l'empereur. Il envoya à Delphes, à Délos, à Dodone. Tous lui promettaient la victoire; mais en si mauvais vers, qu'on disait plaisamment que le Dieu de la poésie avait oublié son métier faute d'exercice. Il consulta par lui-même Apollon de Daphné. Après un grand nombre de sacrifices et de magnifiques offrandes, le Dieu répondit enfin, qu'il ne pouvait parler, tant qu'il serait infecté des cadavres dont il était environné. Julien comprit que le voisin le plus incommode dont Apollon voulût se plaindre, était saint Babylas[28], dont les reliques transportées en ce lieu fermaient depuis onze ans la bouche à l'oracle. Il donna ordre de reporter ce corps dans la ville d'Antioche, d'où Gallus l'avait transféré. Ce fut pour les chrétiens une nouvelle occasion de disgraces. Ils viennent en foule au-devant des reliques du saint martyr; ils les placent sur un char; et dans cette espèce de triomphe, où ils ramenaient Babylas vainqueur des démons de Daphné, hommes, femmes, enfants animés par la vue de leur multitude et comme enivrés de la joie d'une victoire, dansent autour du char et chantent des psaumes, ajoutant à chaque verset cette reprise: Qu'ils soient confondus, tous ceux qui adorent les ouvrages de sculpture, et qui se glorifient dans leurs idoles.
[28] Julien l'appelle τὸν νεκρὸν, le mort.—S.-M.
XIV.
Colère de Julien.
Cette hardiesse piqua vivement l'empereur. Dès le lendemain il ordonna à Salluste de faire le procès aux chefs de la cérémonie. En vain le préfet tâcha de l'apaiser, en lui représentant qu'il allait combler les vœux de ceux qu'il prétendait punir. Il fallut obéir. Plusieurs chrétiens furent mis en prison. Salluste commença cette rigoureuse procédure par un jeune homme nommé Théodore. On l'étend sur un chevalet: on lui déchire les flancs; on épuise sur son corps toute la rage des bourreaux. C'est trop peu de dire qu'il semblait être insensible: plus gai et plus libre que les païens qui assistaient à ce spectacle, au milieu des plus douloureuses tortures il ne cessait de chanter ce même verset, qui lui attirait son supplice. Après avoir été tourmenté depuis le point du jour jusqu'à la onzième heure, sans avoir rien perdu de ses forces ni de son courage, il fut sur le soir reconduit en prison. Ce premier essai donna du poids à la remontrance de Salluste. L'empereur, enfin persuadé que les rigueurs ne tourneraient qu'à sa confusion et à la gloire des chrétiens, mit en liberté tous ceux qu'on avait arrêtés, et Théodore lui-même, qui vécut encore long-temps après.
XV.
Fermeté d'une femme chrétienne.
Teod. c. 17.
Julien avait malheureusement fait connaître qu'il était sensible aux traits de la satire; et la piété, naturellement si patiente et si douce, contracte trop souvent quelque teinture des passions humaines qu'elle trouve dans le cœur; elle y prend surtout dans la persécution un peu de fiel et d'amertume. Une sainte veuve, nommée Publia, connue par sa vertu et par celle de son fils, un des prêtres les plus respectés de la ville d'Antioche, était à la tête d'une communauté de filles chrétiennes. Leur occupation ordinaire était de chanter des hymnes. Depuis le martyre de Théodore, toutes les fois que Julien passait devant leur maison, elles affectaient d'élever leur voix, et de lancer, pour ainsi dire, sur le prince certains versets des psaumes, comme autant de traits qui lui perçaient le cœur. Elles avaient choisi celui-ci: Les dieux des nations ne sont que de l'or et de l'argent; c'est l'ouvrage de la main des hommes: que ceux qui les font, et qui mettent en eux leur confiance, leur deviennent semblables. Julien leur fit commander de se taire. Publia n'en devint que plus hardie: dès la première fois qu'elle sut que le prince approchait, elle fit chanter cet autre verset: Que Dieu se lève, et que ses ennemis soient dissipés. L'empereur, outré de colère, manda la supérieure; il lui fit donner des soufflets par un de ses gardes, et la renvoya. Elle continua; et Julien s'aperçut un peu trop tard que, ne pouvant faire taire ces femmes, il n'avait d'autre parti à prendre que de ne pas paraître les entendre. Théodoret donne à Publia de grands éloges: sa fermeté dans la foi est sans doute admirable; et le sentiment de Théodoret mérite d'être respecté. Mais il voyait apparemment mieux que nous comment cette conduite à l'égard du prince peut s'accorder avec les maximes de l'Évangile et la doctrine des apôtres.
XVI.
Incendie du temple de Daphné.
Liban. monod. t. 2, p. 187.
Amm. l. 22, c. 13.
Chrysost. de Sto Babyla et contra Jul. et Gent. t. 2, p. 531-577.
Theod. l. 3, c. 10.
Soz. l. 5, c. 19.
Theoph. p. 42.
Cedr. t. 1, p. 306.
Peu de temps après la translation de saint Babylas, la nuit du 22 octobre, le feu prit au temple d'Apollon à Daphné, que Julien faisait alors décorer d'un magnifique péristyle: il consuma le toit et les ornements sans endommager les murailles ni les colonnes. La statue d'Apollon fut réduite en cendres. Quoiqu'elle ne fût que de bois doré, à l'exception de la tête, du col, et peut-être des autres extrémités qui étaient de marbre, c'était un ouvrage fameux, pareil en grandeur au Jupiter d'Olympie[29]. On racontait que la beauté de cette statue avait, du temps de Valérien, désarmé Sapor, roi de Perse, premier du nom. Ce prince, qui, selon les dogmes de Zoroastre, avait en horreur les temples et les statues[30], étant entré dans Daphné à dessein de brûler le temple, frappé de la majesté du dieu, avait jeté son flambeau et adoré Apollon. Le dieu était debout, tenant sa lyre d'une main, et de l'autre une coupe d'or, dont il semblait faire une libation à la terre. Quelques visionnaires prétendaient avoir quelquefois entendu sur l'heure de midi les sons de sa lyre. Les statues des Muses, celles du fondateur Séleucus Nicator et de plusieurs autres rois de Syrie, les pierres précieuses dont le sanctuaire était enrichi, furent aussi la proie des flammes. A la première alarme, Julien qui venait de se mettre au lit, accourut tout éperdu. Son oncle, qui portait le même nom que lui, et tous les païens d'Antioche se rendirent en diligence à Daphné pour porter du secours. Ils ne purent qu'être les témoins de ce désastre: la violence des flammes et les poutres embrasées qui tombaient avec fracas, ne leur permettaient pas d'approcher. On remarqua que l'embrasement avait commencé par le toit. Quelques-uns l'attribuaient[31] à l'imprudence d'un philosophe, nommé Asclépiade, qui était venu ces jours-là de bien loin rendre visite à Julien. Il avait, disait-on, posé aux pieds de la statue une petite figure d'argent de Vénus Uranie[32], qu'il portait partout avec lui; et après avoir, selon sa coutume, allumé à l'entour un grand nombre de cierges, il s'était retiré. Quelques étincelles s'étant élevées jusqu'au toit, et rencontrant une charpente sèche et très-combustible, avaient produit cet incendie. La cause était trop simple pour trouver crédit dans un événement de cette importance. La plupart des chrétiens aimèrent mieux croire que le feu était descendu du ciel; et des paysans qui venaient alors à la ville, assurèrent qu'ils avaient vu tomber la foudre. Julien au contraire se persuada qu'il ne fallait s'en prendre qu'à la méchanceté des chrétiens, et à la négligence, peut-être même à la collusion criminelle des gardiens du temple. En conséquence de ce soupçon il fit appliquer à la question et les ministres et le principal sacrificateur; mais il n'en put tirer aucun éclaircissement.
[29] C'est Ammien Marcellin qui compare cette statue à celle d'Olympie. Simulacrum in eo Olympiaci Jovis imitamenti æquiparans magnitudinem. Amm. Marc. l. 22, c. 13. Selon Cédrénus, p. 306, elle avait été faite par un statuaire célèbre nommé Bryxis ou Bryaxis.—S.-M.
[30] Quoiqu'il soit vrai, en général, que les sectateurs de Zoroastre dussent avoir un grand éloignement pour les représentations des dieux, il n'en est pas moins certain que plusieurs des monuments de la Perse, élevés en l'honneur des rois de la dynastie des Sassanides, offrent les images de plusieurs des anges ou intelligences suprêmes qui, portant en persan le nom d'Ized, c'est-à-dire dieux, pouvaient être réellement assimilés aux dieux des Grecs et des Romains. Ainsi, par exemple, sur un bas-relief de Nakschi Roustam (Ker Porter, travels in Georgia, Armenia, Persia, etc., t. 1, p. 548. pl. 23), qui représente le même Sapor dont il s'agit dans le texte de Lebeau, on voit en face de lui l'image d'Ormouzd, à cheval, offrant au roi une couronne, emblème de la victoire. Ormouzd est qualifié du titre de dieu dans l'inscription grecque placée au-dessous. Cette inscription est conçue ainsi: ΤΟΥΤΟ ΤΟ ΠΡΟΣΩΠΟΝ ΔΙΟΥ ΘΕΟΥ, c'est-à-dire: Ceci est l'image du Dieu Jupiter (Ormouzd). Les inscriptions en langue syriaque et pehlvie, placées au-dessus, contiennent précisément la même chose.—S.-M.
[31] Ce n'était, selon Ammien Marcellin, l. 22, c. 13, qu'un bruit sans fondement, une vaine rumeur, rumore levissimo.—S.-M.
[32] Ce n'était pas une statue de cette divinité, mais comme nous l'apprend Ammien Marcellin, l. 22, c. 13, de la Déesse Céleste, Dea Cœlestis, c'est-à-dire de Junon. C'est là le nom que lui donnaient ordinairement les Romains de cette époque. On l'appelait aussi Regina Cœlestis, ou simplement Regina. Ces noms se trouvent souvent sur les médailles impériales. Elle était la principale divinité de Carthage, colonie romaine, comme elle l'avait été de Carthage indépendante.—S.-M.
XVII.
Impiété du comte Julien.
[Amm. l. 22, c. 13.]
Chrysost. de Sto Babyla et contra Jul. et Gent. t. 2, p. 563.
Idem, in Mat. Hom. 4, t. 7, p. 47, et de laudibus Pauli, Hom. 4, t. 2, p. 492.
Theod. l. 3, c. 11 et 12.
Soz. l. 5, c. 7.
Philost. l. 7, c. 10.
Theoph. p. 42.
Il se vengea sur la grande église d'Antioche, alors possédée par les Ariens[33]. Il ordonna d'en fermer les portes, après qu'on en aurait tiré tous les vases sacrés qu'il confisquait au profit du trésor. Le comte Julien, Félix, trésorier de l'épargne[34], Helpidius, intendant du domaine[35], tous trois déserteurs du christianisme, furent chargés de cette commission. Ils ajoutèrent à l'exécution de leurs ordres toute l'impiété et toute l'insolence dont des apostats sont capables. Après avoir souillé par les profanations les plus abominables le sanctuaire et les vases qu'ils enlevaient, comme l'évêque Euzoïus les menaçait de la vengeance divine, le comte Julien lui donna un soufflet, en lui disant: Ne vois-tu pas que ton Dieu ne songe plus à défendre ses adorateurs? Félix, considérant la magnificence des vases consacrés aux saints mystères (c'étaient pour la plupart de riches présents de Constantin et de Constance), Voyez, dit-il, en quelle vaisselle se fait servir le fils de Marie? Ces blasphèmes ne furent pas impunis. Le châtiment d'Helpidius fut différé de quelques années; mais Félix mourut le soir même en vomissant le sang à gros bouillons. Le comte Julien, à qui Dieu réservait un plus long supplice, fut frappé ce jour-là même dans les parties secrètes d'une plaie horrible dont il mourut deux mois après.
[33] Quo tam atroci casu repentè consumpto, ad id usque imperatorem ira provexit, ut quæstiones agitari juberet solito acriores, et majorem ecclesiam Antiochiæ claudi.—S.-M.
[34] Ταμίας τῶν βασιλικῶν θησᾶυρων. Theod., l. 3, c. 12. Questeur des trésors impériaux.—S.-M.
[35] Τῶν ἰδίων τοῦ βασιλέως χρημάτων τε καὶ κτημάτων τὴν ἠγεμονίαν πεπιϛευμένος, c'est-à-dire, ayant le soin des richesses et des possessions particulières de l'empereur, ou ce que les Romains, dit Théodoret, l. 3 c. 12, appellent κόμιτα πριβάτων (comes privatarum).—S.-M.
XVIII
Ses cruautés réprimées par l'empereur.
Soz. l. 5, c. 7.
Acta Mart. Ruinart. p. 658 et 664.
Ce persécuteur impitoyable travaillait à se rendre tous les jours plus digne du châtiment dont il sentait déjà les atteintes. Tous les clercs de l'église d'Antioche avaient pris la fuite, mais le prêtre Théodoret[36], gardien du trésor de l'église, était resté dans la ville. Le comte, espérant découvrir encore quelque vase précieux qui aurait échappé à ses recherches, le fit venir, et lui donna le choix de la mort ou de l'apostasie. Le saint prêtre ne balança pas, et Julien lui fit endurer de si cruels tourments, que les deux bourreaux effrayés de sa constance, et touchés en même temps de la grace divine, tombèrent à ses pieds et se déclarèrent chrétiens. Ils furent aussitôt conduits au rivage et précipités dans la mer. Théodoret, après avoir prédit au comte sa mort et celle de l'empereur, eut la tête tranchée. On traita avec la même inhumanité plusieurs officiers de guerre, dont les seuls connus sont Bonosus et Maximilianus, qui commandaient, l'un dans le corps des Joviens, l'autre dans celui des Herculiens. Leur crime était de n'avoir pas voulu, selon les ordres de l'empereur, changer leur enseigne, qui portait le monogramme de Christ. Ce fut en cette occasion que le comte Hormisdas[37] donna des preuves de son attachement au christianisme: il les alla visiter dans la prison; il les encouragea et se recommanda à leurs prières. L'empereur se crut obligé d'arrêter la fureur de son oncle: Vous me faites, lui dit-il, plus de tort qu'aux chrétiens mêmes: vous leur procurez le titre de martyrs, et vous m'attirez celui de tyran. N'ai-je pas défendu de les mettre à mort pour raison de religion? Obéissez et veillez vous-même à me faire obéir par les autres magistrats. Le comte restait confus et déconcerté: l'empereur le rassura en l'invitant à venir avec lui célébrer un sacrifice, pour se laver de ce sang impur dont il s'était souillé.
[36] Ce prêtre est appelé Théodore par Sozomène.—S.-M.
[37] Le frère du roi de Perse Sapor, dont il a déjà été plusieurs fois question. Je remarquerai à cette occasion, que Gibbon s'est trompé en voulant jeter du doute sur les liens de parenté qui unissaient Hormisdas et Sapor. Jamais les auteurs qu'il allègue n'ont rapporté l'absurdité qu'il leur prête. «Il est à peu près impossible, dit-il (t. 4, p. 481, not. 1), qu'il fût le frère (frater germanus) d'un prince son aîné et posthume.» Ces écrivains ont bien soin de remarquer qu'Hormisdas était plus âgé que Sapor, né d'une autre mère, qui avait eu plusieurs enfants; que tous ils avaient été exclus de la couronne, et qu'on leur avait préféré l'enfant, encore à naître, auquel la femme favorite de Sapor devait donner le jour.—S.-M.
XIX.
Mort de Juventinus et de Maximin.
Chrysost. in Juvent. et Maxim. t. 2, p. 578-583.
Theod. l. 3, c. 14.
Cette modération n'était que l'effet d'une haine plus froide et plus réfléchie. Il inventait lui-même mille moyens d'alarmer la conscience des chrétiens et de révolter leur délicatesse en fait de religion. Il s'avisa de faire répandre le sang des victimes dans les fontaines d'Antioche et de Daphné, et d'arroser d'eau lustrale toutes les provisions de bouche qui se vendaient au marché. Les chrétiens les plus instruits se moquaient de ce frivole artifice; et, suivant le conseil de saint Paul, ils ne se faisaient aucun scrupule d'user de ces aliments. D'autres gémissaient de cette dure nécessité. Deux soldats de la garde, Juventinus et Maximin, se trouvant à table avec plusieurs de leurs camarades, s'emportèrent en murmures: Quel esclavage! s'écriaient-ils; nous ne respirons qu'un air impur, infecté de l'odeur et de la fumée des victimes; on fait entrer jusque dans nos veines les souillures de l'idolâtrie; et appliquant à Julien les paroles que prononcèrent les trois enfants dans la fournaise de Babylone: Seigneur, disaient-ils, vous nous avez livrés à un prince injuste et apostat, qui surpasse en impiété toutes les nations de la terre. Ces discours furent rapportés à l'empereur. Il fait venir les deux soldats; il les interroge: Prince, répondent-ils avec liberté, nous avons été élevés dans la véritable religion: toujours fidèles aux lois de Constantin et de ses enfants, nous ne pouvons nous empêcher de gémir en voyant l'idolâtrie non-seulement triompher dans les temples, mais corrompre jusqu'à nos aliments. Nous versons des larmes en secret, et nous osons nous plaindre devant vous. C'est le seul déplaisir que nous éprouvions sous votre empire. Julien, après les avoir fait battre avec violence, les condamna à la mort, non pas comme chrétiens, mais comme des rebelles, qui avaient outragé la majesté impériale.
XX.
Malheurs arrivés cette année.
Jul. misop. p. 368.
Liban. vit. t. 2, p. 42, et or. 10, p. 314.
Amm. l. 22, c. 13.
Greg. Naz. or. 4, t. 1, p. 112 et 124.
Chrysost. de Sto Babyla, contra Jul. et Gentil., t. 2, p. 572.
Idem in Mat. hom. 4, t. 7, p. 47.
Idem de laudib. Pauli, hom. 4, t. 2, p. 493.
Idem, in primam ad Cor. hom. 39, t. 9, p. 362.
Soz. l. 6, c. 2.
Pendant que l'idolâtrie insultait au christianisme, l'empire était affligé des fléaux les plus funestes. Le règne de Julien, malgré tant d'heureux présages, ne fut qu'une suite de calamités. Un grand nombre de villes furent ruinées par des tremblements de terre en Palestine, en Afrique, en Grèce, en Sicile. Le 2 décembre sur le soir, Nicomédie déjà renversée quatre ans auparavant, acheva d'être détruite par une nouvelle secousse, qui fit aussi tomber une grande partie de Nicée. Un pareil désastre fut accompagné à Alexandrie d'un phénomène qui n'était pas moins effrayant. La mer, s'étant tout à coup retirée, revint avec violence; elle se porta fort loin dans les terres, et monta à une telle hauteur, qu'en retournant dans son lit elle laissa des nacelles sur le toit de plusieurs cabanes. En mémoire de cet événement on célébra par la suite tous les ans dans Alexandrie une fête solennelle, qu'on appelait la fête du tremblement. La mer engloutit des villes entières. A ces accidents se joignit la sécheresse qui dura jusque vers le solstice d'hiver. Les sources tarirent, et les fontaines de Daphné, toujours abondantes même dans les plus grandes chaleurs, demeurèrent long-temps à sec. La peste survint encore et fit périr quantité d'hommes et d'animaux. Enfin une famine générale réduisit les hommes dans plusieurs provinces à vivre d'herbes et de racines.
XXI.
Disette à Antioche.
Jul. misop. p. 368.
Amm. l. 22, c. 14.
Liban. vit. t. 2, p. 42 et 43; or. 4, p. 152 et 168, et or. 10, p. 306.
Chrysost. de Sto. Babyla, et contra Jul. et Gent. t.2, p. 522.
Socr. l. 3, c. 17.
Soz. l. 5, c. 18.
Quoique la moisson eût manqué en Syrie, les récoltes des années précédentes suffisaient pour entretenir l'abondance. Mais l'avarice, qui compte la famine entre ses plus utiles revenus, avait pris des mesures pour procurer une entière disette. Les possesseurs des fonds avaient fermé leurs greniers; les marchands vendaient à un prix arbitraire; et parmi les magistrats, les plus intègres étaient ceux qui toléraient cet abus sans en profiter eux-mêmes. Les marchés étaient vides, et la populace affamée ne trouvait de subsistance que dans le pillage. Dès les premiers jours de l'arrivée de Julien, le peuple s'était écrié en plein théâtre: Tout abonde, et tout est hors de prix. Le lendemain Julien manda les plus notables bourgeois; il les exhorta à sacrifier un gain injuste et sordide au soulagement de leurs citoyens. Ils promirent tout à l'empereur, et ne firent rien de ce qu'ils avaient promis.
XXII.
Julien l'augmente en voulant la diminuer.
Julien attendit avec patience pendant trois mois. Voyant enfin que ses paroles n'avaient produit aucun effet, il eut imprudemment recours à un remède qui ne fit qu'aigrir le mal. Sans vouloir écouter les remontrances du conseil de la ville, qui lui représentait que la cherté des vivres est dans un état une matière délicate, à laquelle on ne doit toucher qu'avec beaucoup de ménagement, il taxa tout à coup par un édit les denrées à très-bas prix; et pour donner l'exemple de la générosité, il fit venir à ses frais de Chalcis, d'Hiérapolis et des villes voisines quatre cent mille boisseaux de blé. Cette provision n'ayant pas duré long-temps dans une ville si peuplée, il fit encore porter au marché en différents jours vingt-deux mille boisseaux qu'il avait tirés d'Égypte pour la subsistance de sa maison. Tout ce blé fut vendu un tiers au-dessous du prix ordinaire. Mais cette libéralité tourna toute entière au profit de l'avarice. Les riches achetaient sous main le blé de Julien; et le transportant hors de la ville dans leurs greniers, ils le revendaient ensuite à un prix exorbitant. D'un autre côté, les marchands qui ne pouvaient vendre au prix taxé, sans se ruiner, renoncèrent au commerce; plusieurs même abandonnèrent la ville. Antioche, avant l'édit, ne manquait que de blé; le vin, l'huile et les autres denrées y étaient en abondance. Après l'édit elle manqua de tout. On n'entendait que reproches réciproques: tous les ordres murmuraient contre Julien; Julien se plaignait de tous les ordres. Il perdit même auprès du peuple le mérite de la bonne volonté, parce qu'il lui échappa de dire hautement que la ville était digne de châtiments, et que tout le bien qu'il faisait, c'était en considération de Libanius. Enfin irrité contre les sénateurs, qu'il soupçonnait de rompre toutes ses mesures, il les condamna tous à la prison. Mais fléchi par les prières de Libanius, il révoqua l'ordre avant qu'il eût été exécuté. Ce ne fut pas sans beaucoup de risque, que Libanius osa intercéder pour eux. Toute la cour de Julien était tellement indignée, qu'un des officiers du prince menaça en sa présence l'orateur de le jeter dans l'Oronte. Ces mécontentements mutuels s'aigrirent de plus en plus. La disette continua pendant l'hiver, qui fut fort rude. A la sécheresse succédèrent des pluies excessives; et Julien, dévot de théâtre, allait au fort des plus grandes pluies faire en plein air des sacrifices.
XXIII.
Nouvelle persécution d'Athanase.
Jul. epist. 6, p. 376, ep. 26, p. 398. ep. 51, p. 432.
Greg. Naz. or. 3, t. 1, p. 87, et or. 21, p. 389-393.
Hier. chron.
[Ambros. ep. 40, t. 1, p. 951.
Rufin. l. 10, c. 34.
Epiph. hær. 69, t. 1, p. 728.]
Socr. l. 3, c. 4, 7, 14.
Theod. l. 3, c. 4 et 9.
Soz. l. 5, c. 6, 7 et 15.
Vita Athan. apud Phot. cod. 258.
Vita Athan. in edit. Benedic. p. 78-81.
Hermant, vie d'Ath. l. 10.
Till. pers. art. 13.
La Bletterie, lettres de Julien, p. 301 et suiv.
L'ennemi du christianisme ne pouvait manquer d'être en particulier celui d'Athanase. Ce prélat, l'honneur de son siècle, caché pendant six ans dans les plus affreux déserts, était venu après la mort de George, rendre la joie et la liberté à son peuple. En vertu de l'édit de Julien qui rappelait les exilés, il avait repris possession de son siége. Bientôt sa gloire blessa les Ariens: ils s'unirent contre lui avec les idolâtres. L'évêque avait converti quelques dames illustres. On écrivit à l'empereur, qu'Athanase enlevait tous les jours aux dieux quelques-uns de leurs adorateurs, et que si on le laissait impuni, il séduirait toute la ville[38]. Julien prit aussitôt l'alarme: il commanda au prélat de sortir d'Alexandrie, sous peine des plus rigoureux châtiments. Par une distinction frivole, il prétendait qu'il avait bien permis aux Galiléens de retourner dans leur patrie, mais non pas à leurs évêques de se remettre en possession de leurs églises. Il écrivit en même temps au préfet d'Égypte une lettre fulminante: Je jure, lui disait-il, par le grand Sérapis, que, si, avant les calendes de décembre, Athanase, l'ennemi des dieux, n'est sorti d'Alexandrie et même de toute l'Égypte, les officiers qui sont sous vos ordres paieront une amende de cent livres d'or. Vous savez que je suis lent à condamner, plus lent encore à pardonner quand j'ai une fois condamné. Je suis outré du mépris qu'on fait des dieux. Vous ne pouvez rien faire qui me soit plus agréable, que de chasser de toute l'Égypte Athanase, ce scélérat qui sous mon règne a osé baptiser des femmes Hellènes.
[38] Peu après son retour, S. Athanase s'était occupé de faire rentrer dans le sein de l'église tous ceux qui, pendant la persécution de Constance, avaient participé aux erreurs des Ariens. De concert avec Eusèbe de Verceil, qui avait été exilé dans la Thébaïde, et qui retournait dans son diocèse, il tint pour cet objet un concile à Alexandrie. Astérius de Pétra en Arabie, Caïus de Parétonium en Libye, Ammonius de Pachnamounis, Agathodémon de Schédia, Dracontius d'Hermopolis, Adelphius d'Onuphis, et un grand nombre d'autres évêques de l'Égypte, y assistèrent. L'indulgence de ces évêques ramena un grand nombre d'Ariens, et redonna une nouvelle vigueur à l'Église. Ce fut là sans doute ce qui alarma Julien. Les actes de ce concile furent approuvés et imités dans l'Occident. On en tint un pour le même objet dans la Grèce. Lucifer, évêque de Cagliari en Sardaigne, prélat d'une rigidité outrée, fut seul opposant. Sa résistance donna naissance à un schisme.—S.-M.
XXIV.
Il est chassé d'Alexandrie.
Les catholiques, pour conjurer cette tempête, adressèrent au nom de la ville une requête à l'empereur en faveur d'Athanase. Julien ne répondit que par un long édit plein de sophismes et de reproches, traitant Athanase avec un mépris qui est accompagné des marques d'une violente colère.—[«Je rougis pour vous, leur disait-il, de ce qu'il se trouve dans votre ville quelqu'un qui s'avoue Galiléen. Les pères des Hébreux ont subi autrefois le joug des Égyptiens; et vous, dominateurs de l'Égypte, puisque votre fondateur en fut le conquérant, au mépris des rites nationaux, vous obéissez volontairement aux détracteurs de vos antiques lois. Quoi, vous osez révérer comme le Verbe lui-même, ce Jésus inconnu à vous et à vos pères, et vous négligez celui que l'homme voit de toute éternité, qu'il contemple, qu'il honore comme la source de tous les biens. Vous abandonnez ce grand soleil, image vivante, animée, intelligente et bienfaisante du Père, intelligence première? Vous ne pouvez vous égarer en me prenant pour guide, moi qui jusqu'à vingt ans ai partagé vos erreurs, dont, graces aux dieux, je suis affranchi depuis douze ans. Plût au ciel que les dogmes impies d'Athanase ne fussent nuisibles qu'à lui seul! mais leur fatale influence se répand sur vous: c'est un homme fertile en ruses; c'est là ce qui l'a déja fait bannir de cette ville. Entreprenant, avide de popularité, sa présence est sujette à une multitude d'inconvénients. Quoiqu'il soit bien méprisable de sa personne, il se donne de l'importance par les périls auxquels il s'expose. Il causerait encore de sanglantes divisions. Pour vous préserver d'un tel malheur, nous lui avons déja ordonné de sortir de votre ville, et nous le bannissons de l'Égypte entière.»]—S.-M.
Les païens armés de cet édit menaçant vont, de concert avec les Juifs, attaquer la grande église, nommée la Césarée, où les fidèles assemblés retenaient Athanase. Pythiodore, philosophe de cour[39], qui se trouvait pour-lors dans Alexandrie, marche à leur tête: on emploie le fer et le feu. L'église est profanée, pillée, réduite en cendres. Les persécuteurs étaient altérés du sang d'Athanase[40], mais Dieu le sauva encore de leurs mains: il s'échappa, et comme il s'embarquait sur le Nil, après avoir fait ses adieux à une troupe de fidèles qui fondaient en larmes: Consolez-vous, leur dit-il, ce n'est là qu'un petit nuage qui passera bien vite[41]. Il regagna sa retraite, où il resta jusqu'à la mort de Julien.
[39] Ἑνὸς τῶν βασιλικῶν φιλοσόφων. Par ces expressions, saint Grégoire de Nazianze, or. 3, t. 1, p. 87, veut peut-être désigner un des amis de Julien. Cependant il serait possible, et même il est plus probable qu'il entend par là un philosophe attaché au Muséum d'Alexandrie ou à un autre établissement public littéraire, et qui recevait de l'empereur un traitement pour y faire des cours de philosophie ou de belles-lettres, comme sous les rois grecs. Le même usage s'étant perpétué sous la domination romaine, c'était donc un professeur royal ou impérial.—S.-M.
[40] Selon Théodoret, l. 3, c. 9, Julien n'avait pas ordonné de chasser Athanase, il avait commandé de le tuer, ἀλλὰ καὶ ἀναιρεθῆναι.—S.-M.
[41] Nubecula est, et citò pertransit. Rufin., l. 10, c. 34.—S.-M.
XXV.
Livres de Julien contre la religion chrétienne.
Cyrill. cont. Jul. ad calc. Jul.
Socr. l. 3, c. 22 et 23.
Till. pers. art. 33.
En même temps que Julien tâchait d'écraser le christianisme de tout le poids de l'autorité souveraine, il mettait en œuvre pour le même dessein toutes les forces de sa plume, sur laquelle sa vanité ne comptait guère moins que sur sa puissance. Il commença pendant les longues nuits de cet hiver à composer ses livres contre la religion chrétienne: il ne les acheva que pendant son expédition de Perse[42]. Dès ce temps-là, les impies ne pouvaient plus rien inventer de nouveau pour combattre l'Évangile: les traits de l'incrédulité étaient épuisés. Celsus, Hiéroclès, Porphyre, avaient dit tout ce que l'enfer peut inspirer; et Julien, avec tout ce qu'il avait de génie, fut réduit à réchauffer des objections cent fois réfutées, et que l'ignorance ou la mauvaise foi ne cessent de reproduire comme nouvelles et sans réplique. La puissance de l'auteur, bien plus que la force de ses raisonnements, ne manqua pas de donner un grand crédit à cette invective. Les païens en triomphaient. Julien mourut avant qu'on eût eu le temps de répondre à ses sophismes; mais suivant le sort fatal de ces sortes d'ouvrages, l'éclat constant et inaltérable de la vérité éclipsa bientôt les lueurs fausses et passagères, qu'une plume légère et frivole avait su jeter dans ces livres. Il ne nous en resterait rien[43] si, cinquante ans après, saint Cyrille d'Alexandrie en ayant entrepris la réfutation, ne nous en avait conservé une grande partie. On y voit que l'agresseur, dans le temps même qu'il veut porter à la religion des coups mortels, lui fournit des armes pour sa défense.
[42] Julianus Augustus septem libros in expeditione Parthica adversùm Christum evomuit, dit saint Jérôme, ep. 70, t. 1, p. 425, ed. Vallars.—S.-M.
[43] L'exemplaire dont se servait saint Cyrille était divisé en trois livres. Selon saint Jérôme, l'ouvrage avait sept livres, et il cite même un passage du septième dans son Commentaire sur Osée, ch. 11.—S.-M.
XXVI.
Mort du comte Julien.
Acta Mart. Ruinart. p. 662, 667.
Chrysost. de Sto Babyla et contra Jul.et Gent. t. 2, p. 563.
Idem in Mat. hom. 4, t. 7, p. 47·
Idem de laud. Pauli, hom. 4, t. 2, p. 492.
Theod. l. 3, c. 13.
Soz. l. 5, c. 8.
Philost. l. 7, c. 10 et 12.
Dieu confondit ses blasphèmes par le châtiment terrible du plus ardent ministre de ses impiétés. Le comte Julien, attaqué à la fin d'octobre d'une maladie semblable à celle de Galérius, résista quelque temps. Enfin, dévoré par les vers, qui sortaient de ses plaies, et dont tous les secours des médecins ne purent tarir la source, déchiré des plus horribles douleurs, n'ayant de présence d'esprit que pour les sentir, et de voix que pour se reprocher ses crimes, il envoya prier l'empereur de rouvrir les églises d'Antioche: C'est pour avoir servi vos désirs, lui disait-il, que je suis réduit à cet état déplorable. L'empereur lui fit répondre: Qu'il n'avait à se plaindre que de lui-même; que c'étaient apparemment les dieux qui le punissaient de son incrédulité. Après tout, ajoutait-il, je n'ai point fermé les églises, et je ne les rouvrirai point. En effet, l'empereur n'avait fait fermer que la principale église: c'était le comte qui, par haine contre les chrétiens, avait donné le même ordre pour toutes les autres. Ce malheureux, au lit de la mort, eut en vain recours aux prières de sa femme, qui avait persévéré dans la religion chrétienne. Il expira à la fin de cette année ou au commencement de la suivante[44], en demandant à Dieu miséricorde avec des cris affreux. Ce qui aurait dû achever d'ouvrir les yeux au prince, c'est que les oracles qui, depuis le rétablissement de l'idolâtrie, avaient recouvré la voix, s'accordèrent tous à prédire que l'oncle de l'empereur ne mourrait pas de sa maladie.
[44] Il est certain que le comte Julien ne mourut qu'en l'an 363, car il existe une loi de cette année qui lui est adressée; mais il faut que ce soit au commencement de l'année, puisqu'il avait déjà cessé de vivre lors de la composition du Misopogon, qui est du mois de février. Ceci est d'accord avec le témoignage d'Ammien Marcellin, qui parle à cette époque de la nomination d'Aradius Rufinus, comte d'Orient, à la place de Julien, mort depuis peu. Rufinum Aradium comitem Orientis in locum avunculi sui Juliani, recens defuncti provexit. Amm. Marc. l. 23, c. 1.—S.-M.
XXVII.
Propositions de Sapor rejetées.
Liban. or. 8, t. 2, p. 243-245, et or. 9, p. 255.
Socr. l. 3, c. 19.
[Soz. l. 5, c. 3.]
Julien, trop endurci, ne fut point touché de cet exemple: il ne s'occupait que de projets de conquêtes. On avait d'abord appréhendé que les Perses[45] ne fissent dès cette année une irruption du côté de Nisibe[46]; mais Sapor, soit pour s'instruire plus certainement de l'état des forces romaines, soit qu'en effet il fût las de la guerre, écrivit à Julien. Il lui proposait de terminer leurs différends par la voie de la négociation: il demandait une trève pour envoyer des ambassadeurs, et faisait espérer qu'il s'en tiendrait aux conditions que Julien jugerait équitables. L'empereur jeta la lettre par terre avec mépris, et répondit au courrier qu'il n'était pas besoin d'ambassade; qu'il irait lui-même incessamment porter sa réponse à Sapor[47].
[45] Il paraîtrait, selon le rapport de Théodoret (l. 3, c. 21.) qu'aussitôt après la mort de Constance, les Perses avaient fait une irruption sur le territoire romain. Quoiqu'il n'en soit pas mention ailleurs, ce fait est très-vraisemblable. On voit par ce que dit Libanius (or. 8, t. 2, p. 243), qu'avant l'arrivée de Julien, l'Orient, menacé d'une irruption des Perses, était dans la désolation.—S.-M.
[46] Julien avait même répondu aux envoyés de cette ville, qui était chrétienne, que, si elle voulait être secourue, elle n'avait qu'à rouvrir les temples des dieux.—S.-M.
[47] Cette réponse est dans Socrate l. 3, c. 19, sous une forme bien plus énergique. J'irai vous voir bientôt; il n'était pas besoin d'ambassade. αὐτόν με ὄψεσθε μετ' οὐ πολὺ, καὶ οὐδέν μοι δεήσει πρεσβείας.—S.-M.
An 363.
XXVIII.
Julien consul.
Amm. l. 23, c. 1.
Liban. vit. p. 43 et 44, or. 4, p. 170 et or. 8, p. 227.
Tout annonçait une guerre sanglante. Les grands préparatifs de Julien faisaient penser que l'année qui commençait, allait terminer l'ancienne querelle entre les deux empires, et décider enfin laquelle des deux nations devait commander à l'autre. Jamais les Romains et les Perses n'avaient vu dans le même temps à la tête de leurs armées deux princes plus habiles, plus intrépides et plus heureux. Julien prit le consulat pour la quatrième fois, et se donna pour collégue Salluste, préfet des Gaules[48]. La ville de Rome lui ayant envoyé une députation de plusieurs sénateurs distingués par leur naissance et par leur mérite, il leur conféra des dignités. Il fit Apronianus[49], préfet de Rome; Octavianus, proconsul d'Afrique; Vénustus[50], vicaire d'Espagne, et Aradius Rufinus, comte d'Orient, à la place de Julien qui venait de mourir. L'empereur avait chargé Libanius de préparer un discours pour la solennité de son consulat: c'était demander un panégyrique. Nous avons celui que prononça ce sophiste. Il s'en faut beaucoup que le lecteur en doive être aussi content que le fut l'empereur. Julien applaudissait à ses propres éloges avec un enthousiasme qui ne répondait ni à la modestie d'un philosophe, ni à la gravité d'un prince. Ces premiers jours furent employés en sacrifices dans tous les temples de la ville.
[48] Ammien Marcellin remarque que depuis le consulat de Dioclétien et d'Aristobule, c'est-à-dire depuis l'an 285, aucun particulier n'avait partagé la dignité consulaire avec un empereur, et videbatur novum adjunctum esse Augusto privatum, quod post Diocletianum et Aristobulum nullus meminerat gestum. Il se trompe cependant; car en l'an 288, Januarius avait été consul avec Maximien.—S.-M.
[49] On croit que ce préfet était L. Turcius Secundus Apronianus, fils de L. Turcius Apronianus, préfet de Rome en 339.—S.-M.
[50] On pense qu'il s'appelait L. Ragonius Vénustus.—S.-M.
XXIX.
Mauvais présages.
L'attente des grands événements de cette année éveillait la superstition. On croyait voir partout des présages; et comme les songes, selon qu'ils sont gais ou tristes, indiquent la température actuelle des humeurs, de même les chimères dont on s'occupait alors n'ayant rien que de sombre et de funeste, marquaient la crainte et l'inquiétude des esprits. On trouvait un fâcheux pronostic dans l'inscription des statues et des images du prince, quoiqu'elle ne présentât que les titres ordinaires: Julianus Felix Augustus. Le comte Julien et le trésorier Félix étant morts depuis peu d'une manière tragique, on regardait l'arrangement de ces trois mots comme une liste mortuaire, où l'empereur était compris. Le premier jour de janvier, pendant que Julien montait les degrés du temple du Génie, le plus âgé des pontifes tomba mort à ses côtés. La mort subite du pontife annonçait, disait-on, celle d'un personnage éminent. Les courtisans appliquaient ce présage au consul Salluste: le peuple craignait pour Julien même. On apprit dans ce même temps qu'un tremblement de terre s'était fait sentir à Constantinople. Suivant les règles de la divination, c'était un pronostic malheureux pour les guerres offensives. On conseillait à Julien de renoncer à une entreprise contre laquelle le ciel et la terre semblaient se déclarer. Les oracles des sibylles qu'il avait envoyé consulter à Rome, lui défendaient aussi de sortir cette année des limites de l'empire.
XXX.
Julien persiste dans son dessein.
Amm. l. 23, c. 2.
Socr. l. 3, c. 21.
[Zos. l. 3, c. 25.]
Julien esclave de la superstition, quand elle s'accordait avec ses caprices, osait s'en affranchir lorsqu'elle venait à les contredire. Il persista dans son dessein malgré ses dieux. Il se flattait, dit Socrate, d'avoir l'ame d'Alexandre-le-Grand: chimère puisée dans la doctrine de Pythagore et de Platon, et entretenue dans son esprit par les philosophes de cour, la plus bizarre espèce de flatteurs. Comme un autre Alexandre il se croyait né pour la conquête de l'Orient. Il savait que les Perses ne pouvaient résister au froid, et que l'hiver leur ôtait une grande partie de leur force et de leur courage: c'était un proverbe, qu'un Perse n'osait en hiver montrer sa main hors de sa casaque[51]. Le soldat romain, au contraire, affrontait toutes les saisons. Julien résolut donc de ne pas attendre les chaleurs. Plusieurs nations venaient lui offrir leurs services. Il répondit à leurs ambassadeurs, que c'était aux Romains à défendre leurs alliés, et non pas à recevoir des secours étrangers. Il prit à sa solde quelques corps auxiliaires des Goths, comme des otages qui lui répondraient de la tranquillité de toute la nation. Il fit sortir des quartiers les troupes cantonnées en-deçà de l'Euphrate, et leur ordonna de l'aller attendre au-delà du fleuve: ce qui fut promptement exécuté. Croyant cependant avoir besoin d'Arsace, roi d'Arménie, il lui manda d'assembler toutes ses troupes, et de se tenir prêt à marcher au premier ordre[52].
[51] Ἀλλ' οὐδὲ χεῖρα, τὸ τοῦ λόγου, βάλλοι ἂν τότε ἔξω τοῦ φάρους Μῆδος ἀνήρ. Socr. l. 3, c. 21.—S.-M.
[52] Solum Arsacem monuerat Armeniæ regem, ut, collectis copiis validis jubenda opperiretur, quò tendere, quid deberet urgere, properè cogniturus. Amm. Marc., l. 23, c. 2.—S.-M.
XXXI.
[Lettre de Julien.]
[Muratori, anecd. Græca. p. 334.]
—[C'est dans les termes les plus méprisants que Julien réclama les secours d'Arsace, ou plutôt qu'il lui signifia ses ordres. Sans daigner lui donner le titre de roi, il se contente de l'appeler le satrape des Arméniens[53]. «Arsace, lui disait-il, aussitôt après la réception de cet ordre, préparez-vous à marcher contre les Perses, nos furieux ennemis. J'ai pris les armes avec le dessein de périr dans cette expédition contre les Parthes[54], après leur avoir fait tous les maux possibles, et m'être signalé par mes exploits, ou de revenir couvert de gloire, après avoir élevé des trophées et subjugué l'ennemi avec l'assistance des dieux. Sortez de votre nonchalance; laissez-là toutes vos frivoles excuses; songez que ce n'est plus maintenant le règne de ce Constantin, d'heureuse mémoire, ni celui de cet efféminé de Constance, qui n'a vécu que trop long-temps[55], qui vous enrichissait, vous et les Barbares vos pareils, des dépouilles des plus illustres personnages[56]. L'empire appartient maintenant à Julien, souverain pontife, César, Auguste, serviteur des dieux et de Mars[57], le destructeur des Francs et des autres Barbares, le libérateur des Gaules et de l'Italie. Si vous aviez quelque projet contraire à votre devoir, je n'en serais pas étonné, car je sais que vous êtes un homme rusé, un lâche soldat et un orgueilleux; vous en donnez même des preuves actuellement, puisque vous gardez chez vous un ennemi[58] du bien public, et que pour vous déclarer, vous attendez la fortune de cette guerre. L'assistance des dieux nous suffit pour détruire nos ennemis. Si le destin, dont la volonté est celle des dieux mêmes, en ordonne autrement, je le braverai généreusement; vous tomberez alors sans résistance sous la main des Perses; votre palais, toute votre race et la souveraineté de l'Arménie seront renversés. La ville de Nisibe partagera votre malheur, il y a long-temps que les dieux du ciel[59] me l'ont fait connaître.» Au milieu de ces outrages, il n'est pas difficile de démêler que la politique versatile d'Arsace avait éveillé les soupçons de Julien. Il avait apprécié à sa juste valeur le roi d'Arménie. Ce prince timide et inconstant, aussi méprisé que méprisable, redoutait également les Romains et les Perses. Tour à tour leur ennemi et leur allié, il n'avait jamais su, ni les servir, ni leur nuire. Détesté de ses sujets, inquiet sur l'avenir, il n'avait pu cacher les craintes que lui inspirait la lutte qui allait s'engager entre les deux empires. Un ton aussi altier, et le tableau des malheurs prêts à fondre sur lui si la victoire restait aux Perses, étaient les seuls moyens de fixer ses irrésolutions. La suite fera voir que Julien ne s'était pas trompé, et qu'il avait bien jugé Arsace. Il n'était pas fâché non plus d'humilier un protégé de Constance, qui, malgré l'honneur insigne et inouï jusqu'alors qu'on lui avait fait, en lui permettant d'épouser une princesse du sang impérial, promise à un empereur, ne savait témoigner sa reconnaissance que par une amitié toujours chancelante. Le christianisme du roi d'Arménie fut sans doute un dernier motif qui contribua à lui mériter les insultes de Julien. Malgré une conduite aussi odieuse que criminelle, Arsace n'avait cessé de persévérer dans la foi chrétienne, et rien ne put l'en détacher.
[53] Cette lettre, découverte et publiée pour la première fois par Muratori, et réimprimée ensuite dans la bibliothèque grecque de Fabricius (1re édit. t. 7, p. 82.), est assez généralement regardée comme supposée, par la seule raison qu'elle paraît indigne de Julien. On la trouve inconvenante, pleine d'une vanité insupportable et même impolitique. Toutes ces objections sont assez faibles; elles appuient son authenticité plutôt qu'elles ne l'affaiblissent. Julien était trop plein de la haute idée qu'il avait de la grandeur romaine, pour ne pas traiter un prince de l'Orient comme il l'aurait été, selon lui, au temps de Trajan ou de Marc Aurèle. La manière dont il avait congédié les ambassadeurs de Sapor, en est une assez bonne preuve. Un roi comblé de bienfaits par Constance, un chrétien enfin, ne devait pas s'attendre à de plus grands égards. Julien lui reproche les bienfaits de son prédécesseur, et, sans le blâmer de son christianisme, pour ne pas démentir sans doute la tolérance dont il se vantait, il ne manque pas de parler avec affectation des dieux, comme il le faisait d'ailleurs en toute occasion. Des menaces et un grand étalage de sa puissance, déplacés peut-être avec tout autre, ne pouvaient être impolitiques avec un prince faible et inconstant comme le roi d'Arménie. Quant à la prédiction qui semble être à la fin de la lettre, elle doit peu surprendre. Il ne fallait pas être un grand prophète pour prévoir que les Persans, plusieurs fois maîtres de l'Arménie depuis un siècle, profiteraient de la défaite des Romains pour s'en assurer la possession. Les trois siéges opiniâtres que Nisibe avait soutenus sous le règne de Constance, étaient une preuve assez évidente de l'importance que Sapor attachait à la possession de cette place, et devait faire prévoir que si la fortune était favorable à ce prince, ce serait contre elle que se dirigeraient ses premiers efforts. Arsace le savait mieux que personne, puisque lui-même, quelques années avant, avait conduit son armée au camp persan, devant cette ville. On pourrait joindre encore d'autres considérations en faveur de l'authenticité de cette pièce. Sozomène nous atteste (l. 6, c. 1), que Julien avait effectivement adressé une lettre de cette espèce à Arsace, qu'il qualifiait de chef des Arméniens, Ἀρμενίων ἡγουμένος, et pleine d'invectives contre Constance. Les auteurs arméniens font aussi mention d'une lettre envoyée à leur roi par Julien, conçue dans le même esprit, et dans laquelle il se contentait de lui donner le titre de kousagal, c'est-à-dire gouverneur ou satrape.—S.-M.
[54] Quoique la puissance des Parthes fût détruite depuis plus d'un siècle, on avait conservé l'usage de donner leur nom aux Perses. On en pourrait trouver un grand nombre d'exemples dans les écrivains de cette époque, et en particulier dans Ammien Marcellin.—S.-M.
[55] La Bletterie, premier traducteur français de cette lettre, trouve que les paroles employées ici ont quelque chose d'impropre, parce que Constance avait à peine quarante-quatre ans lorsqu'il mourut, comme si on ne pouvait pas dire d'un prince dont on blâmait toutes les actions, et qui avait occupé le trône vingt-cinq ans environ, qu'il avait vécu trop long-temps.—S.-M.
[56] Τὰς τῶν εὐγεγονότων περιουσίας, les richesses ou les possessions des nobles. Julien veut sans doute indiquer les riches présents que Constance avait faits à Arsace, et dont parle Amm. Marc.(l. 20, c. 11 et l. 21, c. 6). Il a probablement aussi en vue les biens possédés dans l'empire, par le roi d'Arménie qui, comme on l'a vu liv. X, § 1, étaient exempts de charges, par une décision de Constance. Toutes ces faveurs avaient, à ce qu'il paraît, été accordées au roi d'Arménie, en considération de son mariage avec Olympias. Cette alliance, regardée de mauvais œil dans tout l'empire, comme on l'apprend de saint Athanase (ad monach. t. 1, p. 386), n'avait pas eu vraisemblablement l'approbation de Julien. Il se pourrait donc encore que les reproches qu'il adresse à Constance eussent rapport à ce mariage.—S.-M.
[57] Julien avait une grande dévotion pour le dieu Mars. On pourra remarquer ci-après, § 32, p. 42, un serment pareil dans la lettre adressée au roi d'Arménie, qui a été conservée par l'historien arménien Moïse de Khoren. On verra plus loin, p. 118, liv. XIV, § 33, à quelle occasion l'empereur jura de ne plus offrir de sacrifices à cette divinité.—S.-M.
[58] Il est difficile de deviner de qui Julien veut parler en cet endroit. Il ne peut être question que d'un personnage considérable qui avait mérité sa haine. Les détails de l'histoire de ce temps sont trop mal connus pour qu'il soit possible de le désigner avec certitude. Je suis fort porté à croire cependant qu'il s'agit du patriarche Nersès. Son attachement à la foi catholique, qui lui avait déjà mérité la haine de Constance, et qui lui attira plus tard celle de Valens, pouvait exciter contre lui le zèle de Julien, au même titre que saint Athanase.—S.-M.
[59] Τῶν οὐρανίων θεῶν. Cette expression était consacrée pour désigner les dieux. On la retrouve dans une belle inscription en vers, qui est actuellement au Musée royal de Paris. Cette inscription, venue de Cyzique, faisait partie de la collection de marbres réunie par le comte de Choiseul-Gouffier. Publiée pour la première fois par Muratori (t. 1, p. 75), elle l'a été plusieurs fois depuis et avec plus d'exactitude. Elle paraît être du deuxième siècle de notre ère, et elle est adressée aux dieux de l'Égypte. Voyez Dubois, Catalogue de la collection Choiseul, p. 74.—S.-M.
XXXII.
[Nouvelles menaces de Julien.]
[Faust. Byz. hist. d'Arm. en Armén. l. 3, c. 19.
Mos. Chor. hist. Arm. l. 3, c. 15.]
—[Pour se dispenser d'obéir à un pareil ordre, il aurait fallu se jeter sur-le-champ entre les bras du roi de Perse; Arsace n'était pas homme à prendre si vite une résolution généreuse: il préféra persister dans l'alliance des Romains. Il commanda donc à Zoura, dynaste des Rheschdouniens[60], général de l'armée du midi[61], de se tenir prêt à seconder les troupes impériales. Zoura, aussi indépendant que les autres seigneurs arméniens, était en outre un chrétien zélé; pour ne pas participer en quelque sorte à l'apostasie de Julien, il refusa d'exécuter les ordres de son souverain, et il se fortifia dans les châteaux de sa principauté, attendant le parti que prendraient les autres dynastes. Julien ne voyant pas marcher les troupes arméniennes, et étant informé de la mauvaise volonté de leur chef, écrivit à Arsace une autre lettre non moins méprisante[62], pour lui demander le châtiment du coupable, seul moyen de lui prouver qu'il n'était pas son complice. «Sans quoi, ajoutait-il, je jure par Mars qui m'a donné l'empire, et par Minerve qui me donnera la victoire, qu'à mon retour, avec mon invincible armée, je détruirai vous et votre royaume.» Arsace effrayé de cette menace fit partir le chef de ses eunuques, pour saisir le rebelle et sa famille. Celui-ci ne fut pas secondé, comme il avait espéré l'être, par les autres dynastes arméniens; il fut victime de leur inconstance: abandonné à ses seules forces, il ne put faire une longue résistance. Arsace, peut-être bien aise de satisfaire sa vengeance particulière, s'empressa de le faire périr avec tous ses parents; il n'en échappa qu'un seul: ce fut son neveu Dadjad, fils de Mehentak. Le connétable Vasag le sauva. Reintégré par la suite dans les biens de sa famille, il en continua la postérité, qui se conserva encore pendant plusieurs siècles[63]. L'île forte d'Althamar[64], au milieu du lac de Van, fut conquise, et remise entre les mains du roi avec toutes les possessions de Zoura. Salmouth, dynaste d'Andsda[65], fut nommé en sa place général de la frontière méridionale de l'Arménie. Malgré la punition du prince des Rheschdouniens, Arsace ne devint pas un allié plus sûr. Julien fut encore obligé de prendre un langage menaçant, lorsque après le passage de l'Euphrate[66], il le somma de faire avancer les troupes qu'il devait fournir contre les Perses.]—S.-M.
[60] Ce canton, compris dans la grande province de Vaspourakan en Arménie, occupait une grande partie des rives méridionales du lac de Van. Voyez mes Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie, t. 1, p. 131.—S.-M.
[61] Les quatre frontières de l'Arménie étaient confiées à des officiers-généraux qui, avec le titre de pétéaschkh, commandaient les troupes chargées de la défense de cette partie du royaume. Ils avaient les mêmes fonctions que les officiers nommés en Perse marzban ou commandants de frontières. Voyez ci-devant, l. VI, § 14, t. 1, p. 408, note 2; et l. X, § 3, t. 2, p. 210.—S.-M.
[62] Les auteurs arméniens rapportent par erreur tous ces événements au règne du roi Diran, père d'Arsace. La chose est impossible, puisque Diran avait cessé de régner en l'an 337, vingt-cinq ans avant l'époque dont il s'agit.—S.-M.
[63] Nous connaissons au septième siècle Théodore, prince des Rheschdouniens, gouverneur-général de l'Arménie pour l'empereur grec, et son fils Vard.—S.-M.
[64] Cette île, qui porte encore le même nom, est placée dans une situation très-forte, au milieu du lac de Van, appelé aussi quelquefois lac d'Althamar ou d'Aghthamar. On voit dans cette île un antique monastère, où se trouvent les tombeaux des anciens princes du pays. Il est la résidence d'un patriarche particulier, le seul qui parmi les Arméniens soit uni de communion avec l'église grecque.—S.-M.
[65] Ce pays, appelé autrement Handsith, et par les Grecs Anzitène, était dans la quatrième Arménie, non loin des bords de l'Euphrate, au N. de la Mésopotamie. Voyez Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie, t. 1, p. 93.—S.-M.
[66] Voyez ci après, p. 64, l. XIV, § 6.—S.-M.
XXXIII.
Il veut rétablir le temple de Jérusalem.
Daniel. c. 9, v. 37.
Matth. c. 24, v. 2.
Marc. c. 13, v. 2.
Luc. c. 19, v. 44.
Jul. ep. 25, p. 396, et in fragm. p. 288.
Greg. Naz. or. 4, t. 1, p. 119 et 111.
Chrysost. de Sto Babyla, et contra Jul. et Gent. t. 2, p. 573 et 574.
Idem contra Jul. et Gent. t. 1, p. 580.
Idem, contra Jud. or. 5, p. 628 et 646.
Ambros. ep. 40, t. 2, p. 952.
Amm. l. 23, c. 1.
Socr. l. 3, c. 20.
Theod. l. 3, c. 20.
Soz. l. 5, c. 22.
Philost. l. 7, c. 9 et 14.
Ruf. l. 10, c. 37.
Theoph. p. 43.
Zon. l. 12, t. 2, p. 25.
Niceph. Call. l. 10, c. 32 et 33.
Cedr. t. 1, p. 307.
Rabbi Gedaliah apud Wagensel. tela ignea Satanæ.
Warburton, dissertation sur ce prodige.
Mais tandis qu'il se préparait à cette guerre, il en projetait une autre qui ne devait pas être moins sanglante. Ceux qui participaient à ses conseils ne cessaient de dire d'un ton menaçant que Julien avait deux sortes d'ennemis, les chrétiens et les Perses; qu'après s'être débarrassé des Perses, comme des moins redoutables; il tournerait contre les chrétiens toute la puissance de l'empire. Ayant donc résolu d'anéantir le christianisme, il voulut d'avance le confondre. Il crut en avoir entre les mains un moyen sûr et facile. Instruit des divines écritures qu'il avait étudiées dans sa jeunesse, il y avait vu les Juifs condamnés à vivre sans patrie, sans gouvernement, sans temple, sans sacrifices. Rassembler cette nation dispersée et relever le temple de Jérusalem, c'était casser l'arrêt que Dieu même avait prononcé. Julien lisait cet arrêt gravé sur le front de la nation juive, destinée à porter par tout l'univers, avec son crime et sa sentence, les titres fondamentaux du christianisme, auquel elle sert contre elle-même de témoin irréprochable. Il enlevait par ce moyen à la religion chrétienne un miracle toujours subsistant dans un peuple, qui, mêlé avec tous les peuples du monde, sans jamais se confondre avec eux, immortel quoique ses membres soient séparés et épars sur la face de la terre, voit s'abîmer successivement toutes les nations au travers desquelles il passe, sans être entraîné dans leur chute. Il ne doutait pas de l'empressement des Juifs à seconder son dessein. Ils avaient déjà deux fois tenté de rebâtir le temple de Jérusalem: la politique d'Hadrien et la piété de Constantin s'y étaient opposées. Mais ici la superstition et la politique, agissant de concert avec le pouvoir impérial, semblaient rendre le succès infaillible. La vanité de Julien et sa haine contre Constantin étaient encore deux puissants motifs: il rendait son nom immortel[67], et il goûtait le plaisir d'exécuter une entreprise que Constantin avait traversée. Ce n'était pas qu'il aimât les Juifs: il est vrai que leur animosité contre les chrétiens et leur goût pour les sacrifices s'accordaient avec les inclinations de Julien; mais il les méprisait; et après s'être servi d'eux pour démentir les Écritures, il espérait sans doute réussir à changer l'objet de leur culte, et à les entraîner à l'idolâtrie, où leurs ancêtres étaient tombés tant de fois.
[67] Imperii sui memoriam magnitudine operum gestiens propagare. Amm. Marc., l. 23, c. 1.—S.-M.
XXXIV.
Insolence des Juifs.
Dès le commencement de son règne, il les avait distingués des chrétiens, par des marques de bienveillance. On lit entre ses ouvrages un édit adressé à la communauté des Juifs: cette pièce, malgré les soupçons de quelques savants, nous paraît authentique[68]. Le prince y décharge les Juifs des tributs exigés par leur patriarche; il les exhorte à prier leur Dieu pour la prospérité de son empire; il leur promet de rétablir à son retour de Perse la ville de Jérusalem, dans son ancienne splendeur, et d'y venir adorer avec eux le Dieu créateur[69], auquel il reconnaît qu'il doit sa couronne. Cette nation couverte d'opprobres depuis trois siècles crut avoir trouvé dans Julien un libérateur et un nouveau Cyrus. Fière de ses témoignages de faveur, elle y répondit par des actions de violence contre les chrétiens. Les Juifs brûlèrent plusieurs églises à Alexandrie, à Damas et dans les autres villes de Syrie.
[68] Julien y parle de leur patriarche Jule, qu'il appelle son frère et un homme très-respectable, τὸν ἀδελφὸν Ἴουλον τὸν αἰδεσιμώτατον πατριάρχην. Ce pontife est nommé Hillel par les écrivains juifs. Ces patriarches, qui exerçaient une autorité spirituelle, et à quelques égards civile, sur leurs coréligionaires, résidaient dans la ville de Tibériade. Ils furent supprimés par le gouvernement romain en l'an 429, sous Théodose le jeune. Voyez, sur leurs droits et prérogatives, l'Histoire des Juifs par Basnage, liv. III, ch. 2-5.—S.-M.
[69] Dans sa lettre aux Juifs, il le nomme κρείττων, le meilleur, et dans un fragment théologique (p. 295), il l'appelle μέγας θέος, le grand dieu.—S.-M.
XXXV.
Julien leur ordonne de rebâtir leur temple.
Les principaux d'entre eux s'étant rendus à Antioche pour profiter des heureuses dispositions de l'empereur, Julien les fit venir devant lui. Il leur reprocha leur indifférence à remplir les devoirs que leur imposait la loi de Moïse: Pourquoi, leur dit-il, négligez-vous de faire des sacrifices, surtout dans un temps où vous devriez par les vœux les plus ardents intéresser votre Dieu au succès de mes armes? Ils répondirent qu'il ne leur était permis d'immoler des victimes que dans le temple de Jérusalem, et que ce temple n'était plus: Lisez vos prophéties, leur répliqua Julien, vous y verrez que votre exil et vos malheurs doivent se terminer sous mon règne. Allez, rebâtissez votre temple, rétablissez la religion de vos pères, et soyez assurés de ma protection. Il chargea en même temps les trésoriers de l'épargne de fournir les sommes nécessaires; et le gouverneur de la province, de veiller à la conduite de l'ouvrage. Il envoya sur les lieux Alypius, pour presser l'exécution de ses ordres: c'était un habitant d'Antioche, chéri de Julien[70], et qui avait exercé dans la Grande-Bretagne l'emploi de vicaire des préfets[71].
[70] Julien se sert en lui écrivant des expressions les plus tendres. Il l'appelle son aimable et très-cher frère, ἀδελφὲ ποθεινότατε καὶ φιλικώτατε. Alypius cultivait les lettres, et Julien compare ses productions poétiques aux odes de Sapho. Cet Alypius avait aussi composé un traité de géographie qu'il avait dédié à Julien. Voyez les lettres 29 et 30 de Julien, qui sont adressées à cet officier.—S.-M.
[71] Qui olim Britannias curaverat pro præfectis. Amm. Marc., l. 23, c. 1.—S.-M.
XXXVI.
Empressement des Juifs.
Les Juifs crurent entendre la voix de Dieu même. Cette heureuse nouvelle se répand en un moment dans les contrées voisines. Ils accourent de toutes parts avec un empressement incroyable. En peu de jours plusieurs milliers d'hommes se trouvent assemblés sur le terrain du temple. Les païens se joignent à eux. Bientôt de prodigieux amas de matériaux s'élèvent comme autant de montagnes. On travaille avec ardeur sous la direction des plus habiles architectes. On nettoie l'emplacement; on fouille la terre. Les Juifs prodiguaient leurs richesses: plusieurs avaient fait fabriquer exprès des bêches, des pelles, des hottes d'argent. Les femmes donnaient avec joie leurs colliers et leurs bijoux: revêtues de leurs plus riches habits elles recevaient dans le pan de leurs robes les pierres et la terre des décombres; les plus délicates ne s'épargnèrent pas: les enfants et les vieillards prêtaient ce qu'ils avaient de forces, et chacun croyait se sanctifier en contribuant à cette pieuse entreprise. Cependant Cyrille, évêque de Jérusalem, mieux instruit que les Juifs du sens de leurs prophéties, se moquait de leurs efforts: il disait hautement que le temps était venu où l'oracle du Sauveur du monde allait s'accomplir à la lettre; que de ce vaste édifice, il ne resterait pas pierre sur pierre.
XXXVII.
Prodiges qui arrêtent l'entreprise.
En effet les fondements de l'ancien temple étaient déjà démolis. Tout semblait répondre du succès: on allait voir qui devait avoir le démenti ou du Dieu des chrétiens, ou de ceux de Julien; lorsque sur le soir un vent impétueux, s'étant élevé tout à coup, emporte les amas de plâtre, de chaux, de ciment, comble les fouilles en y rejetant les terres, disperse et dissipe les matériaux. La nuit étant venue, la terre tremble avec d'horribles mugissements; les maisons voisines s'écroulent; un portique, sous lequel s'était retiré un grand nombre d'ouvriers, tombe avec fracas: les uns restent ensevelis sous les ruines; les autres s'échappent, mais meurtris et estropiés; d'autres courent en foule se réfugier dans une église voisine comme dans un asyle; il en sort une flamme qui étouffe une partie de ces malheureux, et qui laisse sur le corps des autres des traces ineffaçables de la colère divine. L'air est embrasé d'éclairs; les coups redoublés de la foudre tuent les hommes, calcinent les pierres, mettent en fusion les outils de fer dont la place était jonchée. Les ouvrages étaient ruinés, mais l'opiniâtreté des Juifs n'était pas vaincue. Après les horreurs de cette nuit, ils remettent la main à l'œuvre. Alors la terre se soulevant par de nouvelles secousses ouvre ses entrailles; elle lance des tourbillons de flamme; elle repousse sur les ouvriers les pierres qu'ils s'efforcent d'établir dans son sein; ils périssent ou dévorés par les feux, ou écrasés sous les pierres. Ce terrible phénomène se renouvela à plusieurs reprises; et ce qui montre évidemment l'action d'une intelligence qui commande à la nature, c'est que l'éruption du feu recommença autant de fois que les ouvriers reprirent le travail, et ne cessa tout-à-fait que quand ils l'eurent entièrement abandonné.
XXXVIII.
Croix lumineuses.
Dieu développait sa puissance. Jamais la nature ne rassembla tant de météores pour produire un effet unique. On vit dans le ciel pendant la seconde nuit et le jour suivant une croix éclatante renfermée dans un cercle de lumière. Les habits et les membres mêmes des spectateurs se trouvèrent au point du jour semés de croix qui semblaient avoir été gravées par l'impression des flammes. Tant de merveilles frappèrent d'étonnement les Juifs, les païens et l'empereur même. Un grand nombre de Juifs se convertit. Julien qui ne croyait que les fables, aveugle au milieu de la plus vive lumière, fut effrayé sans être éclairé: il renonça à l'entreprise.
XXXIX.
Preuves de ce miracle.
Ce miracle se passa aux yeux de l'univers; et la Providence en a perpétué la mémoire par des témoignages authentiques que nul des païens n'a osé démentir. Saint Grégoire de Nazianze et saint Jean Chrysostôme, contemporains de cet événement, en ont développé toutes les circonstances. Saint Ambroise qui vivait dans le même temps en prend avantage, comme d'un fait incontestable, pour détourner le grand Théodose de rétablir un temple des païens. Mais ce qui doit fermer la bouche à l'incrédulité, c'est l'autorité des ennemis du christianisme. Ammien Marcellin, qui était alors à la cour, atteste la vérité de ce prodige[72]. Julien lui-même avoue qu'il a voulu rebâtir ce temple; et s'il s'abstient de parler des obstacles que le ciel et la terre opposèrent à son dessein, son silence est suppléé par un auteur qui n'est pas d'un moindre poids, parce qu'il n'était pas moins intéressé à cacher la vérité. Un fameux rabbin qui écrivait dans le siècle suivant, rapporte le fait; et ce qui doit être d'une grande considération, il le rapporte d'après les annales de la nation juive[73]. De nos jours un protestant célèbre[74] a recueilli tous ces témoignages, et il en a fait sentir la force dans un ouvrage solide et lumineux[75].
[72] Quum itaque rei idem fortiter instaret Alypius, juvaretque provinciæ rector metuendi globi flammarum prope fundamenta crebris assultibus erumpentes, fecere locum exustis aliquoties operantibus inaccessum: hocque modὸ elemento destinatius repellente, cessavit inceptum. Amm. Marc., l. 23, c. 1.—S.-M.
[73] Voyez à ce sujet l'Histoire des Juifs de Basnage, l. 8, c. 5.—S.-M.
[74] C'est de Warburton, évêque de Glocester, que Lebeau veut parler. Cet évêque a composé sur ce sujet un discours intitulé Julien, qui a été plusieurs fois imprimé en Angleterre.—S.-M.
[75] On peut aussi consulter Gibbon, t. 4, p. 405-421, et la note de son dernier éditeur, p. 418.—S.-M.
XL.
Railleries du peuple d'Antioche.
Jul. Misop. p. 357, 370 et passim. et or. 7, p. 223.
Amm. l. 22, c. 14 et l. 23. c. 2.
[Greg. Naz. or. 3, t. 1, p. 82, et or. 4. p. 133.
Liban. or. 10, t. 2, p. 307.]
Socr. l. 3, c. 17.
Soz. l. 5, c. 10.
[Zonar. l. 13, t. 2, p. 25 et 26.]
Pagi, in Baron.
Avant que de quitter Antioche, Julien voulut y laisser des marques de son mécontentement et de son mépris. Sa philosophie n'avait point imposé dans cette ville. Son extérieur austère, son éloignement des théâtres et des divertissements populaires, sa cour peuplée de sévères platoniciens, lui donnaient un air sauvage dans une ville qui ne respirait que le luxe et les plaisirs, plus choquée des ridicules que des vices. On s'était égayé aux dépens du prince par des chansons et des vers satiriques: on le raillait sur sa petite taille et sur sa démarche grave et gigantesque: les minuties de sa superstition, la multitude de ses sacrifices, ses processions, ses monnaies marquées de figures bizarres, tantôt d'un taureau, tantôt des divinités monstrueuses de l'Égypte donnaient matière de risée. Mais la plupart des traits portaient sur sa barbe hérissée[76]: c'était l'objet éternel des plaisanteries d'un peuple frivole. Des causes encore plus sérieuses avaient aigri l'humeur des habitants, surtout des plus riches et des plus injustes. A son arrivée dans Antioche, ils lui avaient demandé des terres qui étaient vacantes[77]. Lorsqu'il les eut accordées, les riches s'en emparèrent sans en faire part aux pauvres. Julien, averti de cette usurpation, les avait retirées de leurs mains; il en avait assigné le revenu à la commune pour fournir aux dépenses de la ville. D'ailleurs, les habitants, sans avoir égard à la droiture de ses intentions, ne lui pardonnaient pas, les uns d'avoir augmenté la disette par des mesures mal prises, les autres d'avoir voulu les empêcher de profiter de la misère publique. Tous ces motifs envenimaient la plume de ces auteurs ténébreux, qui achètent au péril de leur tête le plaisir criminel de divertir leurs citoyens en outrageant leur prince[78].
[76] C'est là ce qui le faisait appeler le bouc ou la chèvre. On le nommait encore Cercops, à cause de sa taille et de sa démarche; Victimarius, ou le sacrificateur, à cause des nombreuses offrandes qu'il faisait à ses dieux. On lui donnait aussi, selon saint Grégoire de Nazianze (or. 3, t. 1, p. 82), les noms d'Idolianus, de Pisæus, d'Adonæus et de Causitaurus, Καυσίταυρος, ou brûleur de taureaux. Ils lui venaient sans doute des chrétiens qui étaient fort nombreux à Antioche, car cette ville, malgré sa corruption, qui lui est reprochée par beaucoup d'autres que Julien, ne laissait pas que d'être fort zélée pour la religion.—S.-M.
[77] Selon ce qu'il dit dans son Misopogon (p. 374), il leur avait accordé trois mille arpents de terre.—S.-M.
[78] Il paraît que l'attachement des Antiochéniens pour le christianisme était aussi un des motifs qu'ils avaient pour haïr Julien. Ils disaient, comme il le rapporte lui-même dans le Misopogon (p. 357 et 360), que le χ et le κ n'avaient jamais fait de mal à leur ville. Τὸ Χῖ, φησίν, οὐδὲν ἠδίκησε τὴν πόλιν, οὐδὲ τὸ Κάππα. Par l'un, ils désignaient le Christ, et, par l'autre, Constance. Les Antiochéniens regrettaient le dernier, et blâmaient Julien de combattre le premier.—S.-M.
XLI.
Il compose le Misopogon.
Pour se venger de la haine publique, il n'eut garde de la mériter par des recherches et par des supplices. Il prit une voie plus douce, mais peu convenable à un souverain. Il aimait la satire. Il avait déjà censuré tous les Césars ses prédécesseurs par un écrit, où Constantin et ses enfants ne sont pas épargnés. En cette occasion il composa un ouvrage sous le titre de Misopogon, l'ennemi de la barbe. Quelques auteurs disent qu'il y fut aidé par Libanius[79], à qui Julien en aurait dû laisser l'honneur. C'est une ironie perpétuelle, où feignant de se faire lui-même son procès, il peint les désordres et les débauches d'Antioche. Le portrait est plein de feu et de force; mais, selon Ammien Marcellin, les traits en sont outrés, et les couleurs rudes et chargées[80]. Le lecteur est choqué d'y voir un prince se dépouiller de la pourpre, pour se mesurer et se battre, pour ainsi dire, corps à corps avec les plus méprisables de ses sujets. Cette satire produisit son effet naturel: elle attira des répliques; et Julien fut réduit à finir par où il aurait dû commencer, c'est-à-dire, à dévorer en silence ces nouvelles railleries, et à renfermer son ressentiment. Il avait protesté dans son ouvrage qu'il allait quitter Antioche pour toujours. En effet, lorsqu'il partit de la ville, comme il était suivi d'une foule d'habitants, qui lui souhaitant un heureux voyage et un glorieux retour, le suppliaient de leur rendre ses bonnes graces, il leur répondit d'un ton de colère qu'il ne les reverrait plus, et qu'après sa victoire il irait faire sa résidence à Tarse. Mémorius[81], qui gouvernait alors la Cilicie, avait déjà reçu ordre d'y préparer tout pour le recevoir au retour de Perse. Mais Julien n'eut besoin d'y trouver qu'une sépulture.
[79] C'est l'opinion du seul Élie de Crète, commentateur de saint Grégoire de Nazianze, t. 2, p. 483. Comme cet Élie de Crète vivait au onzième siècle, son autorité n'est pas d'une grande importance.—S.-M.
[80] Probra civitatis infensa mente dinumerans, addensque veritati complura. Amm. Marc. l. 22, c. 14.—S.-M.
[81] Il existe une lettre de Libanius adressée à cet officier, præses. Voyez epist. 756, ed. Wolf. p. 358.—S.-M.
XLII.
Clémence et dureté de Julien.
Liban. or. 4, t. 2, p. 161; or. 10, p. 307. Amm. l. 23, c. 2.
Comme il était prêt à se mettre en marche, on découvrit une conjuration formée par dix soldats, qui devaient l'assassiner lorsqu'il ferait la revue des troupes. Ils se trahirent eux-mêmes dans l'ivresse. Julien les ayant convaincus de leur crime, se contenta de les punir par des reproches: il voulut, dit Libanius, commencer par triompher de lui-même, avant que d'aller ériger des trophées dans la Perse. Mais cette action de clémence fut aussitôt démentie par un trait de malignité tout-à-fait indigne d'un souverain. Il laissa, pour gouverner la Syrie, Alexandre d'Héliopolis; et sur ce qu'on lui représentait que c'était un esprit turbulent et cruel: Je sais bien, répondit-il, qu'Alexandre ne mérite pas un gouvernement; mais Antioche mérite bien un tel gouverneur[82]. Vengeance injuste, et plus inhumaine que s'il eût sévèrement puni les auteurs de tant de libelles outrageants, puisque c'était confondre les innocents avec les coupables, et qu'un gouverneur de ce caractère est le plus terrible fléau dont une province puisse être affligée.
[82] Dicebat non illum meruisse, sed Antiochensibus avaris et contumeliosis hujusmodi judicem convenire. Amm. Marc. l. 23, c. 2.—S.-M.