← Retour

Histoire du Bas-Empire. Tome 03

16px
100%

LIVRE XVIII.

I. Valens établit Démophile sur le siége de Constantinople. II. Persécution des catholiques. III. Valens fait brûler vifs quatre-vingts ecclésiastiques. IV. Famine. V. Modestus préfet du prétoire. VI. Élévation de Maximin. VII. Il est chargé de rechercher les crimes de magie. VIII. Ses cruautés. IX. Condamnations. X. Funestes artifices de Maximin pour multiplier les accusations. XI. Histoire d'Aginatius. XII. Méchanceté de Simplicius, successeur de Maximin. XIII. Calomnie contre Aginatius. XIV. Sa mort. XV. Ampélius préfet de Rome. XVI. Réglement de Valentinien pour les études de Rome. XVII. Il défend les mariages avec les Barbares. XVIII. Perfidie des Romains à l'égard des Saxons. XIX. Valentinien appelle les Bourguignons pour faire la guerre aux Allemans. XX. Origine et mœurs des Bourguignons. XXI. Ils viennent sur le Rhin et se retirent mécontents. XXII. Valentinien veut surprendre Macrianus roi des Allemans. XXIII. Macrianus lui échappe. XXIV. Cruautés de Valentinien dans la Gaule. XXV. Lois de Valentinien. XXVI. Valens traverse l'Asie. XXVII. S. Basile lui résiste. XXVIII. Valens tremble devant S. Basile. XXIX. Mort de Valentinien Galate. XXX. S. Basile arrête une sédition dans Césarée. XXXI. Valens à Antioche. [XXXII. Nouvelles intrigues de Sapor en Arménie]. XXXIII. Valens envoie des troupes dans l'Ibérie. XXXIV. Valens à Édesse. XXXV. Il traverse la Mésopotamie. [XXXVI. Le roi d'Arménie soumet tous les rebelles de ses états]. XXXVII. Décennales des deux empereurs. XXXVIII. Seconde campagne de Valens contre les Perses. [XXXIX. Nouveaux troubles en Arménie. XL. Mort du patriarche Nersès.] XLI. Courses des Blemmyes. XLII. Guerre de Mavia reine des Sarrasins. XLIII. Persécution en Égypte. XLIV. Troubles d'Afrique. XLV. Plaintes de ceux de Leptis éludées par les intrigues du comte Romanus. XLVI. Nouvelles incursions des Austuriens. XLVII. Succès des artifices de Romanus. XLVIII. Innocents mis à mort. XLIX. Découverte et punition de l'imposture. L. Suites de cette affaire sous Gratien. LI. Révolte de Firmus. LII. Théodose envoyé contre Firmus. LIII. Conduite prudente de Théodose. LIV. Ses premiers succès. LV. Firmus se soumet en apparence. LVI. Punition des déserteurs. LVII. La guerre recommence. LVIII. Belle retraite de Théodose. LIX. Il se remet en campagne. LX. Rencontre des Nègres. LXI. Guerre contre les Isafliens. LXII. Victoire remportée sur les Barbares. LXIII. Mort de Firmus.

VALENTINIEN, VALENS, GRATIEN.

An 370.

I.

Valens établit Démophile sur le siége de C. P.

Idat. chron.

Hier. chron.

Chron. Alex, vel Pasch. p. 302.

Socr. l. 4, c. 14 et 15.

Soz. l. 6, c. 13.

Philost. l. 9, c. 8 et 10.

Vita Ath. apud Phot. cod. 258.

Les entreprises de Sapor avaient déterminé Valens, dès la seconde année de son règne, à s'approcher de la Perse[806]; mais la révolte de Procope et la guerre contre les Goths l'avaient arrêté pendant cinq ans. Au commencement de l'an 370, étant consul avec son frère pour la troisième fois, il reprit son premier dessein[807]. Après avoir assisté le 9 avril à la dédicace de l'église des Saints-Apôtres, nouvellement rebâtie[808], il partit de Constantinople et prit le chemin d'Antioche. Ce voyage fut encore interrompu par un autre sorte de guerre: c'était celle que Valens avait déjà déclarée à l'église catholique, et qu'il recommença pour-lors avec plus de fureur. A peine était-il arrivé à Nicomédie qu'il apprit la mort d'Eudoxe, son théologien, entre les mains duquel il avait juré un attachement inviolable à la doctrine d'Arius. Les Ariens remplirent aussitôt le siége de Constantinople par l'élection de Démophile, cet évêque de Bérhée qui avait fait preuve de son zèle pour l'Arianisme en travaillant à séduire le pape Libérius. D'autre part, les catholiques, profitant de l'absence de l'empereur, choisirent Évagrius[809]. Le parti hérétique, plus hardi et plus nombreux, se préparait à exercer les dernières violences, lorsque l'empereur, craignant les suites d'une sédition, envoya des troupes avec ordre de chasser Évagrius. Dans ces circonstances il n'osa s'éloigner, et demeura pendant plusieurs mois dans la Bithynie et sur les bords de la Propontide, d'où il revint à Constantinople[810].

[806] Il s'était avancé jusqu'à Césarée de Cappadoce et il se préparait à entrer dans la Cilicie pour aller ensuite à Antioche, quand il apprit la révolte de Procope. Voyez ci-devant p. 226, liv. XVI, § 27.—S.-M.

[807] Πάλιν ἐπὶ τὴν Ἀντιόχειαν σπέυδων. Socr. l. 4, c. 14.—S.-M.

[808] Cette église, fondée et dédiée trente-trois ans avant par Constantin, en l'an 337, avait déja été rebâtie une fois dans ce court intervalle de temps. Ceci pourrait paraître surprenant, si on ne savait par le témoignage de Thémistius (or. 3, p. 47), que tous les édifices élevés à Constantinople lors de sa fondation, étaient peu solides.—S.-M.

[809] Cet Évagrius avait été évêque d'Antioche. Voyez t. 1, p. 293, note 1, l. IV, § 65.—S.-M.

[810] Une loi de Valens nous apprend que ce prince était à Cyzique le 10 juin de cette année; il se trouvait à Constantinople, le 8 et le 12 décembre suivants. Les lois du commencement de l'an 371, montrent qu'il était dans la capitale à cette époque. Voyez à ce sujet Tillemont, tom. V, Valens, notes 8 et 9.—S.-M.

II.

Persécution contre les catholiques.

Socr. l. 4, c. 15.

Soz. t. 6, c. 14 et 21.

Il fit bien voir qu'en prévenant les troubles il n'avait pas eu dessein de ménager les orthodoxes. Il favorisait par lui-même et par ses officiers toutes les poursuites de leurs ennemis. Les outrages, les confiscations de biens, les chaînes, les supplices étaient leur partage. Valens avait rapporté de la Mésie une haine plus envenimée contre eux. Il prétendait avoir reçu un affront de Brétannion[811], évêque de Tomes, capitale de la petite Scythie. En voici l'occasion: l'empereur s'étant rendu dans cette ville, entra dans l'église, et voulut engager le prélat à communiquer avec les Ariens dont il était accompagné. Mais Brétannion, après lui avoir répondu avec fermeté qu'il ne connaissait pour orthodoxes que ceux qui étaient attachés à la foi de Nicée, se retira dans une autre église; il y fut suivi de tout le peuple, et Valens demeura seul avec sa suite. Dans le premier mouvement de sa colère, il fit saisir le prélat et l'envoya en exil. Peu de jours après, intimidé par les murmures des habitants, tous guerriers et qui pouvaient donner la main aux Barbares, dont ils n'étaient séparés que par le Danube, il leur rendit leur évêque; il conserva dans son cœur un vif ressentiment, qui éclata dans la suite, surtout contre le clergé[812].

[811] Il est probable que le nom de cet évêque a été altéré par les historiens grecs et qu'il s'appelait réellement Vétranio.—S.-M.

[812] Tillemont (t. V, Valens, art. 8) place cet événement en l'an 368, pendant la deuxième campagne contre les Goths.—S.-M.

III.

Valens fait brûler vifs quatre-vingts ecclésiastiques.

Socr. l. 4, c. 16.

Soz. l. 6, c. 14.

Theod. l.4, c. 24.

[Theoph. p. 50.]

Zon. l. 13, t. 2, p. 30.

Cedr. t. 1, p. 311.

Suid. in Οὐάλης.

Les catholiques de Constantinople ne pouvaient se persuader que le prince fût l'auteur des traitements inhumains qu'ils éprouvaient. Ils se flattèrent de l'espérance d'en obtenir quelque justice, et députèrent à Nicomédie quatre-vingts ecclésiastiques des plus respectables par leur vertu[813]. Valens écouta leurs plaintes et dissimula sa colère, mais il ordonna secrètement au préfet Modestus de les faire périr. Le préfet craignant que toute la ville ne se soulevât, si on les mettait publiquement à mort, prononça contre eux une sentence d'exil, à laquelle ils se soumirent avec joie, et il les fit embarquer tous dans le même navire. Les matelots avaient ordre d'y mettre le feu, lorsqu'ils seraient hors de la vue du rivage. Dès qu'ils furent arrivés au milieu du golfe d'Astacus[814], l'équipage sauta dans la chaloupe, laissant le vaisseau embrasé. Il fut poussé par un vent impétueux dans une anse nommée Dacidiza[815], où il acheva d'être consumé. De ces quatre-vingts prêtres il ne s'en sauva pas un seul; tous périrent dans les flammes ou dans les eaux[816].

[813] Leurs chefs étaient Urbain, Théodore et Ménédème.—S.-M.

[814] Le golfe de Nicomédie, dans la Propontide, devait ce nom à la ville d'Astacus, qui était située dans la Bithynie, sur le bord de la mer, entre Nicomédie et Constantinople.—S.-M.

[815] Le nom de ce lieu est écrit diversement dans les auteurs. Dacidizus dans Socrate et dans Théophanes, Dacibiza dans Sozomène et Dacibyza dans Cédrénus. C'était une ville de la Bithynie.—S.-M.

[816] L'église honore la mémoire de ces martyrs le 5 septembre.—S.-M.

IV.

Famine.

Idat. chron.

Chron. Hier.

Greg. Naz. or. 20, t. 1, p. 340 et 341.

Greg. Nyss. or. in laud.

Basil, t. 3, p. 491.

On regarda comme une punition de cette horrible cruauté la famine qui affligea cette année tout l'empire, et principalement la Phrygie et la Cappadoce. Elle fut extrême, et la plupart des habitants de ces deux provinces furent obligés d'abandonner le pays. La charité de saint Basile se fit alors connaître de toute l'Asie. Il n'était encore que prêtre de Césarée, et Dieu le préparait à succéder dans l'église à la gloire du grand Athanase, qui approchait du terme de sa pénible et brillante carrière. Basile était fort riche, mais il vivait dans toute la rigueur de la pauvreté évangélique. Il saisit avec empressement cette occasion de se défaire avantageusement de ses biens: il vendit ses terres, acheta des vivres, et nourrit pendant cette famine un nombre infini de pauvres, sans distinction de juif, de païen et de chrétien.

V.

Modestus préfet du prétoire.

Amm. l. 29, c. 1, et l. 30, c. 4 et ibi Vales.

Zos. l. 4, c. 11.

Greg. Naz. or. 20, t. 1, p. 348 et 349.

Philost. l. 9, c. 11.

Ce fut un malheur pour Valens de trouver dans le préfet du prétoire, non pas une ame généreuse qui sût opposer de sages remontrances à des ordres injustes et cruels, mais un cœur impitoyable, prêt à sacrifier la vie des innocents et l'honneur même de son maître. Tel était Modestus, comte d'Orient sous Constance[817]; il s'était prêté à l'humeur sanguinaire de ce prince dans la recherche d'une conjuration chimérique. On voulut le rendre suspect à Julien; mais ce politique sans religion, qui n'adorait que la fortune, gagna bientôt les bonnes graces du nouvel empereur en sacrifiant aux idoles; il obtint pour récompense la préfecture de Constantinople[818]. Arien zélé sous Valens, il fut une seconde fois revêtu de la même charge; et Auxonius étant mort, il lui succéda dans celle de préfet du prétoire. Il sut se conserver dans cette dignité jusqu'à la mort de l'empereur par ses basses complaisances. Il admirait sans cesse les vertus que ce prince n'avait pas, et flattait les vices qu'il avait. Valens était paresseux et ennemi des affaires; mais le sentiment de ses devoirs se réveillant quelquefois dans son cœur, il se proposait de les remplir, et de rendre la justice à ses sujets. Alors tout le palais prenait l'alarme; les eunuques se croyaient en grand péril: sous les yeux de l'empereur l'innocence allait respirer, et leur licence allait être enchaînée; tous se réunissaient pour détourner Valens d'un dessein si dangereux. Modestus, qui rampait devant les eunuques, s'empressait de lui faire entendre que la majesté impériale ne pouvait, sans s'avilir, descendre jusqu'à des objets de si peu d'importance[819]. Il débitait ces belles maximes avec une apparence de zèle et d'intérêt pour la gloire de son maître. Comme il avait affaire à un esprit grossier, sans principes et sans étude, aidé de la paresse naturelle à Valens, il lui persuada tout ce qu'il voulut[820]; et l'administration de la justice, abandonnée à des ames vénales qui ne craignaient plus que les regards du souverain, devint un brigandage.

[817] En 359. Il se nommait Domitius Modestus. Il existe beaucoup de lettres qui lui furent adressées par S. Basile et par Libanius.—S.-M.

[818] Il occupa même deux fois cette place.—S.-M.

[819] Ob hæc et similia concordi consensu dehortantibus multis, maximeque Modesto præfecto prætorio regiorum arbitrio spadonum exposito,.......... adserente quòd infra imperiale columen causarum essent minutiæ privatarum. Amm. Marc. l. 30, c. 4.—S.-M.

[820] Obumbratis blanditiarum concinnitatibus cavillando Valentem sub-rusticum hominem sibi variè commulcebat, horridula ejus verba et rudia flosculos Tullianos appellans, et ad extollendam ejus vanitiem sidera quoque, si jussisset, exhiberi posse promittens. Amm. Marc. l. 29, c. 1.—S.-M.

VI.

Elévation de Maximin.

Amm. l. 28, c. 1 et ibi Vales.

Hier. chron.

Symm. l. 10, ep. 2.

L'église jouissait en Occident d'une entière liberté: sous un empereur actif et vigilant, les lois étaient en vigueur. Mais dans Valentinien la haine du crime dégénérait en cruauté[821]. Maximin, vicaire des préfets, plus méchant et plus inhumain que Modestus, remplissait Rome et l'Italie de sang et de larmes. Il était né à Sopianas en Pannonie[822], d'une famille très-obscure[823]: il descendait de ces Barbares que Dioclétien avait transférés en-deçà du Danube[824]; et son caractère ne démentait pas son origine. Après avoir pris une légère teinture des lettres, il embrassa le parti du barreau; mais bientôt rebuté d'une profession où le mérite seul peut conduire à la fortune, il se jeta dans les intrigues de cour, et parvint au gouvernement de la Corse et de la Sardaigne, et ensuite à celui de la Toscane[825]. Il fut appelé à Rome pour être chargé de l'intendance des vivres. Il se conduisit d'abord avec modération: c'était un serpent qui rampait sous terre[826], jusqu'à ce qu'il eût acquis assez de force pour pénétrer au grand jour, et porter des coups mortels. De plus il s'était mêlé de nécromancie, crime irrémissible auprès de Valentinien; et comme il avait un complice, il vécut long-temps dans de perpétuelles inquiétudes. Enfin s'étant défait de ce témoin[827], il se livra désormais sans crainte à son inclination malfaisante et cruelle, et il en saisit la première occasion.

[821] Erat vitiorum inimicus acer magis quam severus. Amm. Marc. l. 28, c. 1.—S.-M.

[822] Cette ville était située à 54 milles au nord de Mursa, dans la portion de la Pannonie qu'on appelait Valérie.—S.-M.

[823] Son père était greffier du présidial de la ville: obscurissimè natus est, patre tabulario præsidialis officii. Amm. Marc. l. 28, c. 1. Valentinus qui avait voulu se faire déclarer empereur en Angleterre, était son beau-frère. Voyez ci-dev. p. 311, liv. XVII, § 19.—S.-M.

[824] Ammien Marcellin dit, l. 28, c. 1, qu'il appartenait à la nation des Carpes. Orto a posteritate Carporum quos antiquis excitos sedibus Diocletianus transtulit in Pannoniam.—S.-M.

[825] Il occupait cette dernière charge en l'an 366, comme on le voit par une loi de Valentinien, qu'il reçut le 17 novembre de cette année.—S.-M.

[826] Tamquam subterraneus serpens per humiliora reptando, nondum majores funerum excitare poterat causas. Amm. Marc. l. 28, c. 1.—S.-M.

[827] Ce n'était qu'un vain bruit. Ut circumtulit rumor, dit Ammien Marcellin, l. 28, c. 1.—S.-M.

VII.

Il est chargé de rechercher les crimes de magie.

Chilon, qui avait été vicaire des préfets[828], et sa femme Maxima, accusèrent trois personnes[829] d'avoir attenté à leur vie par des maléfices. Olybrius préfet de Rome, à qui la connaissance de cette affaire appartenait, étant tombé malade, ils demandèrent pour juge l'intendant des vivres; et l'empereur, pour procurer une plus prompte exécution, souscrivit à leur requête. Armé de ce pouvoir, Maximin donna libre carrière à sa cruauté naturelle[830]. Il fit appliquer à la question les accusés, et sur leurs dépositions, vraies ou fausses, il mit à la torture un grand nombre de personnes. Chaque interrogatoire produisait de nouvelles charges, et le nombre des prétendus coupables se multipliait à l'infini. Des trois premiers accusés, Maximin en fit expirer deux sous les coups de lanières chargées de balles de plomb, parce que pour les engager à révéler leurs complices, il leur avait juré qu'il ne les ferait périr ni par le fer ni par le feu: comme il n'avait rien juré au troisième, il le condamna à être brûlé vif. Ce barbare commissaire[831], jaloux d'étendre sa juridiction sur les têtes les plus distinguées, fit entendre à l'empereur qu'il fallait redoubler de rigueur pour découvrir tant de forfaits, et pour en tarir la source: et Valentinien, toujours prêt à s'enflammer, déclara que les crimes de cette espèce seraient traités comme ceux de lèse-majesté; et qu'en conséquence nulle dignité, nul[832] privilége n'exempterait de la torture. Afin d'augmenter le pouvoir de Maximin, il le nomma vicaire des préfets; et comme si ce n'était pas assez de cette ame farouche, il lui donna pour adjoint le secrétaire Léon, monstre aussi altéré de sang, auparavant gladiateur en Pannonie, depuis maître des offices[833]. Le nouveau titre de Maximin, et l'union d'un collègue si bien assorti, le rendirent plus redoutable. Il s'attribua la connaissance de toutes les sortes de crimes, et s'érigea en inquisiteur général.

[828] Chilo ex vicario et conjux ejus Maxima nomine. Amm. Marcel. l. 28, c. 1. On voit par une loi de Valentinien, que c'était en Afrique qu'il avait exercé sa charge.—S.-M.

[829] C'étaient le musicien Séricus, le palestrite Asbolius et l'aruspice Campensis. Organarius Sericus, et Asbolius palæstrita, et haruspex Campensis. Amm. Marc. l. 28, c. 1.—S.-M.

[830] Acceptâ igitur nocendi materiâ Maximinus effudit genuinam ferociam, pectori crudo adfixam. Amm. Marc. l. 28, c. 1.—S.-M.

[831] Tartareus cognitor. Amm. Marc. l. 28, c. 1. Il le nomme un peu plus loin, ferreus cognitor.—S.-M.

[832] Divorum arbitria; c'est ainsi que l'on désignait les rescrits ou ordonnances des empereurs.—S.-M.

[833] Sociavit ad hæc cognoscenda quæ in multorum pericula struebantur, Leonem notarium, postea officiorum magistrum, bustuarium quemdam latronem Pannonium. Amm. Marc. l. 28, c. 1.—S.-M.

VIII.

Ses cruautés.

Tout l'Occident était consterné: l'innocence ne voyait nulle ressource contre des procédures précipitées, où la peine n'attendait pas la conviction. Entre tant de malheureux, l'histoire ne distingue qu'un petit nombre des plus remarquables. Hymétius, qui avait été vicaire de Rome sous le règne de Julien, était estimé pour sa vertu: on croit qu'il était oncle de sainte Eustochia[834], si connue par les éloges que lui donne saint Jérôme. Lorsqu'il gouvernait l'Afrique en qualité de proconsul, il distribua aux habitants de Carthage, dans un temps de stérilité, le blé qu'on destinait à la subsistance de Rome. Il vendit ce blé au prix d'un sou d'or pour dix boisseaux. La récolte qui suivit ayant été fort abondante, il racheta la même quantité de blé sur le pied d'un sou d'or pour trente boisseaux, remplit les greniers, et renvoya au trésor du prince le profit qui résultait de cette opération. L'empereur devait des récompenses à un si exact désintéressement; il aima mieux soupçonner Hymétius de malversation, et confisqua une partie de ses biens. L'injustice n'en demeura pas là. Un délateur inconnu accusa secrètement Amantius, devin alors fort renommé, d'avoir prêté son ministère à Hymétius pour opérer des maléfices. Le devin, appliqué à la torture, persistait dans la négative, lorsqu'on trouva dans ses papiers un billet de la main d'Hymétius; celui-ci le priait d'employer les secrets de son art pour adoucir la colère de l'empereur, et il laissait échapper quelques traits satiriques sur l'avarice et la dureté du prince[835]. On n'examina pas la vérité de ce billet. Frontinus, assesseur du proconsul[836], accusé d'avoir trempé dans cette intrigue obscure, s'avoua coupable dans les tourments de la question, et fut relégué dans la Grande-Bretagne. Amantius fut mis à mort. On conduisit Hymétius à Ocriculum pour y être jugé par Ampélius, préfet de Rome, et par le vicaire Maximin; comme il se voyait sur le point d'être condamné, il en appela à l'empereur. Le prince renvoya au sénat la connaissance de cette affaire. Après une exacte révision du procès, on se contenta d'exiler Hymétius dans l'île de Bua [Boas] en Dalmatie; et Valentinien se montra fort offensé qu'on l'eût condamné à une peine si légère.

[834] Il était frère de Toxotius, père de cette sainte, comme on le voit par les lettres de saint Jérôme.—S.-M.

[835] Cujus extima parte quædam invectiva legebantur in principem, ut et avarum et truculentum. Amm. Marc. l. 28, c. 1.—S.-M.

[836] Frontinus consiliarius antedicti. Amm. Marc. l. 28, c. 1.—S.-M.

IX.

Condamnations.

Pour apaiser sa colère, le sénat lui députa Prétextatus, Vénustus et Minervius[837]. Ces trois sénateurs distingués par leur mérite et par leurs anciens services, le supplièrent de vouloir bien proportionner les punitions à la nature des crimes[838], et ne pas dépouiller le sénat de ses anciens priviléges, en assujettissant les sénateurs à la torture lorsqu'il ne s'agissait pas du crime de lèse-majesté. Valentinien les rebuta d'abord, disant qu'il n'avait jamais donné de pareils ordres, et que c'était une calomnie. Mais le questeur Eupraxius, toujours ferme dans les intérêts de la justice et de la vérité, lui représenta avec respect que les remontrances du sénat étaient bien fondées. Cette liberté ramena le prince à de sages réflexions; il rétablit le sénat dans ses droits, mais il n'ôta pas à Maximin le pouvoir de continuer ses procédures cruelles. Lollianus, fils de Lampadius, ce préfet de Rome dont nous avons parlé ailleurs[839], était encore dans la première jeunesse[840]; il fut convaincu d'avoir copié un livre de magie[841]: comme on allait prononcer contre lui la sentence d'exil, son père lui conseilla d'en appeler à l'empereur. On le conduisit à la cour, où loin de trouver l'indulgence que son âge devait espérer, il fut mis entre les mains de Phalangius, gouverneur de la Bétique, qui, plus barbare encore que Maximin, le fit mourir par la main du bourreau[842]. Les femmes même ne furent pas épargnées. On en fit mourir plusieurs de la plus haute naissance pour cause d'adultère ou de prostitution[843]. Il y en eut une des plus qualifiées qui fut traînée toute nue au supplice; mais le bourreau fut brûlé vif en punition de cette insolence qui ne lui était pas commandée[844].

[837] Prætextatus ex urbi præfecto, et ex vicario Venustus, et ex consulari Minervius. Amm. Marc. l. 28, c. 1. Prétextatus avait été préfet de Rome en 367, et Venustus vicaire en Espagne sous Julien.—S.-M.

[838] Oraturi ne delictis supplicia sint grandiora; neve senator quisquam, inusitato et illicito more tormentis exponeretur. Amm. Marc. l. 28, c. 1.—S.-M.

[839] Voyez ci-devant, p. 262, l. XVI, § 59.—S.-M.

[840] Primæ lanuginis adulescens. Amm. Marc. l. 28, c. 1.—S.-M.

[841] Convictus codicem noxiarum artium descripsisse. Amm. Marc. l. 28, c. 1.—S.-M.

[842] Tarracius Bassus, qui fut préfet de Rome, et son frère Caménius, Marcianus et Eusaphius, tous du nombre des sénateurs qui portaient le titre de clarissimus, furent impliqués sans preuves dans une affaire d'empoisonnement avec le cocher Auchénius.—S.-M.

[843] Ammien Marcellin, l. 28, c. 1, en fait connaître deux, qui s'appelaient Claritas et Flaviana.—S.-M.

[844] Maximin fit encore périr les sénateurs Paphius et Cornélius; celui-ci était l'administrateur de la monnaie, procurator monetæ.—S.-M.

X.

Funestes artifices de Maximin pour multiplier les accusations.

Jamais les calomniateurs ne manquèrent quand la calomnie fut écoutée. Cependant Maximin, comme s'il eût appréhendé que les passions humaines ne pussent pas fournir par elles-mêmes assez de matière à sa cruauté, employait la ruse pour faciliter et multiplier les accusations. On dit qu'il tenait une corde pendue à une des fenêtres de sa maison pour la commodité des délateurs[845], qui, sans se faire connaître venaient de nuit y attacher leurs billets. Le simple énoncé tenait lieu de preuve: il avait des émissaires secrets, qui, dispersés dans la ville, affectaient de gémir de l'oppression générale, exagéraient la barbarie du vicaire, et répétaient sans cesse que l'unique ressource des accusés était de nommer au nombre de leurs complices des hommes puissants, qu'on n'oserait condamner; que les faibles et les petits s'attachant à eux comme dans un naufrage, pourraient se sauver avec eux. Ces funestes artifices épouvantaient tous les nobles; c'était en quelque sorte mettre leurs têtes à prix: ils s'humiliaient devant cet homme superbe; ils ne le saluaient qu'en tremblant; ils reconnaissaient la vérité de ses paroles, lorsque, faisant vanité de sa propre malice, il disait insolemment: Personne ne doit se flatter d'être innocent, quand je veux qu'il soit coupable[846].

[845] Resticulam de fenestra prætorii quadam remota dicitur semper habuisse suspensam. Amm. Marc. l. 28, c. 1.—S.-M.

[846] Nullum se invito reperiri posse insontem. Amm. Marc. l. 28, c. 1.—S.-M.

XI.

Histoire d'Aginatius.

En effet, ni le crédit, ni la noblesse, ni la plus haute fortune ne pouvaient se défendre de ses attaques meurtrières. Aginatius sortait d'une famille ancienne et illustre[847]. Il avait été gouverneur de la Byzacène, et sous la préfecture d'Olybrius, il était vicaire de Rome[848]. Offensé de la préférence que l'empereur avait donnée dans l'affaire de Chilon à Maximin, magistrat subalterne, il résolut de renverser la fortune naissante du nouveau favori. Maximin portait déjà l'arrogance jusqu'à mépriser Probus, préfet du prétoire, et le plus grand seigneur de l'empire[849]. Aginatius tâcha d'exciter la jalousie de Probus; il lui offrit ses services pour écarter un aventurier superbe, qui osait se mesurer avec un homme de son mérite et de son rang. Probus, en cette occasion, donna lieu à des soupçons qui le déshonorèrent: on prétendit qu'il avait sacrifié Aginatius à sa faible politique, et qu'il avait eu la lâcheté de mettre entre les mains de Maximin les lettres d'Aginatius. Maximin résolu de prévenir celui-ci, ne s'occupa plus que des moyens de le perdre; et son ennemi, plus vif et plus ardent que prudent et circonspect, ne lui en fournissait que trop d'occasions. Victorinus, confident de Maximin, venait de mourir, laissant par testament à son ami des sommes considérables. Aginatius publiait qu'il n'en laissait pas encore assez; que ce n'était qu'une petite portion des profits que Victorinus avait faits, en vendant par un infâme trafic les sentences de Maximin: il inquiétait Anepsia, veuve de Victorinus, la menaçant de la dépouiller d'une fortune si mal acquise. Anepsia, pour s'appuyer d'une protection puissante, fit encore présent à Maximin de trois mille livres pesant d'argent, feignant que son mari l'avait ainsi ordonné par un codicile. Mais ce magistrat, aussi avare que sanguinaire, n'eut pas honte de lui demander la moitié de toute la succession, et, pour envahir le reste, il lui proposa le mariage de son fils avec la fille de Victorinus, ce qu'Anepsia n'osa refuser[850].

[847] Ammien Marcellin doute cependant, l. 28, c. 1, de la noblesse et de l'antiquité de sa race. Aginatium, dit-il, jam indè a priscis majoribus nobilem, ut locuta est pertinacior fama: nec enim super hoc ulla documentorum rata est fides.—S.-M.

[848] C'est sous Julien, en l'an 363, qu'il avait été consulaire de la Byzacène; il fut vicaire de Rome en 369.—S.-M.

[849] Vir summatum omnium maximus. Amm. Marc. l. 28, c. 1.—S.-M.

[850] Il paraît, au contraire, que cette femme n'était pas fille de Victorinus, mais fille de sa femme; car Ammien Marcellin dit, l. 28, c. 1, Victorini privignam Anepsiæ filiam petit filio conjugem.—S.-M.

XII.

Méchanceté de Simplicius successeur de Maximin.

Les choses étaient dans cet état, lorsque Valentinien rappela Maximin à la cour, et le nomma préfet du prétoire de la Gaule. Il lui donna Ursicin pour successeur dans la charge de vicaire du préfet d'Italie. Ursicin était d'un caractère modéré. Dès la première affaire qui fut portée devant lui, il s'attira par sa douceur le mépris de la cour et la disgrace du prince[851]. L'empereur l'ayant aussitôt révoqué comme un magistrat faible et inutile, mit à sa place Simplicius. Celui-ci né dans la ville d'Émona[852], méritait de succéder à Maximin, dont il était le conseil[853]. C'était un esprit sombre et rempli de la plus noire méchanceté. Il débuta par des supplices, et confondant ensemble les innocents et les coupables, il s'efforça de surpasser[854] son prédécesseur par son acharnement contre la noblesse.

[851] Ammien Marcellin donne, l. 28, c. 1, le détail de cette affaire. Les accusés absous par Ursicinus, furent condamnés et exécutés sous son successeur.—S.-M.

[852] La ville d'Æmona paraît être Laybach, capitale de la Carniole. Voy. d'Anville, Géogr. abrég. t. 1, p. 187.—S.-M.

[853] Huic successit Emonensis Simplicius, Maximini consiliarius ex grammatico. Amm. Marc. l. 28, c. 1.—S.-M.

[854] In cruento enim certamine cum Maximino velut antepilano suo contendens, superare eum in succidendis familiarum nobilium nervis studebat. Amm. Marc. l. 28, c. 1.—S.-M.

XIII.

Calomnie contre Aginatius.

Simplicius s'était chargé de toute la haine de Maximin contre Aginatius; il trouva bientôt l'occasion d'immoler cette victime à son protecteur. Un esclave d'Anepsia, maltraité par sa maîtresse, alla de nuit avertir Simplicius qu'Aginatius avait employé pour la corrompre les secrets de la magie[855]. Simplicius en donna sur-le-champ avis à la cour, et Maximin obtint de l'empereur un ordre de faire mourir ce magicien suborneur. Cependant craignant d'attirer sur lui-même l'indignation publique, s'il faisait périr un sénateur des plus illustres par les mains de Simplicius sa créature, il tint l'ordre secret jusqu'à ce qu'il eût trouvé un ministre propre à l'exécuter.

[855] Ammien Marcellin donne un long et minutieux détail de toutes les intrigues qui précédèrent ce procès.—S.-M.

XIV.

Sa mort.

Amm. l. 28, c. 1.

Cod. Th. l. 9, tit. 29, leg. 1.

Il ne le chercha pas long-temps. Un Gaulois, nommé Doryphorianus, homme grossier et brutal, mais capable de tout faire pour sa fortune[856], s'offrit à le servir avec ardeur. Maximin le fit nommer à la charge de vicaire, et lui mit entre les mains l'ordre de l'empereur: il l'avertit d'user de diligence, s'il voulait prévenir tous les obstacles. Doryphorianus ne perdit pas un moment. Il apprit en arrivant qu'Aginatius était déjà arrêté et gardé dans une de ses terres. Il le fit transporter à Rome avec Anepsia. La mort d'Aginatius était résolue, il ne s'agissait que de revêtir cette injustice de quelque forme judiciaire. On s'étudia à donner à l'interrogatoire l'appareil le plus effrayant. On introduisit Aginatius pendant la nuit dans une salle éclairée de la lugubre lumière de quelques flambeaux, et remplie de roues et de chevalets préparés pour tourmenter ses esclaves, et pour leur arracher, contre les lois romaines, la condamnation de leur maître. Ces malheureux, déjà affaiblis par les rigueurs de la prison, furent livrés en proie à la cruauté des bourreaux. Au milieu d'un affreux silence, on n'entendait que la voix menaçante du juge, et les gémissements de ceux qu'on déchirait par les tortures. Enfin, une servante cédant aux douleurs, laissa échapper quelque parole équivoque à la charge de son maître. Aussitôt, sans attendre d'autre éclaircissement, on prononça la sentence d'Aginatius, et quoiqu'il en appelât au jugement de l'empereur, il fut traîné au supplice et exécuté. Anepsia fut enveloppée dans la même condamnation; et ni la qualité de belle-mère du fils de Maximin, ni le sacrifice qu'elle avait fait de ses biens et de sa propre fille, ne purent la sauver de la mort. Maximin, quoique éloigné de Rome, continuait d'y régner dans la personne de ses successeurs animés de son esprit. Nous verrons dans la suite quelle fut la digne récompense de tant de forfaits.

[856] Doryphorianus quidam repertus est Gallus, audax adusque insaniam. Amm. Marc. l. 28, c. 1.—S.-M.

XV.

Ampélius préfet de Rome.

Amm. l. 28, c. 4 et ibi Vales.

Symm. l. 5, ep. 54 et 56.

[Tillem. Valentinien I. art. 23, note 39.]

Les préfets de Rome, dont l'autorité était supérieure à celle des vicaires, auraient pu arrêter ce torrent d'iniquités, si leur vie molle et voluptueuse, ne les eut pas rendus trop insensibles aux malheurs publics, et trop timides, pour s'opposer aux entreprises des favoris. Olybrius se contenta de gémir en secret. Principius qui lui succéda, n'est connu que de nom, et ne fut en charge que très-peu de temps. Ampélius, quoiqu'il eût de bonnes intentions, se laissa lui-même entraîner, et se prêta quelquefois à l'injustice. Il était d'Antioche; il fut maître des offices, proconsul d'Achaïe et d'Afrique; homme de plaisir, il ne laissait pas d'aimer la règle. Le peuple, quoique dans l'oppression, était livré au luxe et à tous les vices qui en sont la suite; Ampélius entreprit de le réformer: il publia à cet effet, plusieurs réglements, qu'il n'eut pas la fermeté de faire exécuter.

XVI.

Réglements de Valentinien pour les études de Rome.

Cod. Th. l. 14, tit. 9, leg. 1.

Giann. hist. Nap. l. 1, c. 10.

S. Aug. conf. l. 5, c. 8, t. 1, p. 113.

Les mœurs se corrompaient jusque dans leur source. L'instruction publique, le premier germe de vertu et de bonne discipline dans les états, s'altérait de plus en plus. Plongés dans la débauche, les jeunes gens ne venaient plus aux académies de Rome, que pour satisfaire aux formes de l'usage; ils ne fréquentaient que les jeux, les spectacles, les femmes de mauvaise vie. Le cours des études était devenu un cours de libertinage et de désordre; la matricule des professeurs était encore remplie, mais leurs leçons étaient abandonnées[857]. Les plus habiles maîtres, au milieu de leurs écoles froides et solitaires, craignant d'éloigner leurs disciples, par une régularité que l'autorité publique n'aurait pas soutenue, et de peupler à leurs dépens les académies de province, se croyaient forcés de tolérer les déréglements, de pardonner l'ignorance, et de passer tout hors la soustraction de leurs honoraires. Valentinien sentit la nécessité de la réforme sur un objet si important, et donna dans cette vue une constitution célèbre. Il ordonne que les jeunes gens, qui viendront étudier à Rome, apporteront des lettres de congé expédiées par les magistrats de leur province, où seront énoncés leur nom, leur patrie, leur naissance, les titres de leurs pères et de leur famille; qu'en arrivant à Rome, ils présenteront ces lettres au magistrat chargé de la police de la ville, et qu'ils déclareront à quel genre d'étude, ils ont dessein de s'appliquer: que ce magistrat sera instruit de leur demeure, et attentif à examiner s'ils s'occupent réellement des études auxquelles ils ont déclaré qu'ils se destinaient: qu'on éclairera leurs démarches: qu'on observera s'ils ne fréquentent pas des compagnies criminelles ou dangereuses; s'ils n'assistent pas trop souvent aux spectacles; s'ils ne passent pas le temps en festins et en parties de plaisir. Pour ceux qui, par leur mauvaise conduite déshonorent les études, il ordonne au magistrat de les châtier publiquement, et de les renvoyer aussitôt dans les lieux d'où ils sont venus. Il ne permet aux étudiants des provinces de demeurer à Rome que jusqu'à l'âge de vingt ans: ce terme expiré, il enjoint au préfet de la ville de les obliger par force, s'il en est besoin, de retourner dans leur patrie. Et afin que rien n'échappe à la vigilance publique, il veut qu'ils s'inscrivent tous les mois sur un registre où seront marqués leur nom, leur qualité, leur patrie, leur âge; et que tous les ans cette matricule soit envoyée au secrétariat de l'empereur, qui s'instruisant de leurs progrès et de leur mérite tiendra une note de ceux dont l'état pourra tirer quelque service dans les différents emplois. Cette constitution était vraiment digne d'un grand prince, si l'on eût tenu la main à l'exécution. Mais dans les maladies politiques, la vue des maux fait multiplier les remèdes; et le défaut de vigueur et de constance dans l'usage de ces remèdes rend à la fin les maux incurables. Cependant une loi si sage ne fut pas entièrement sans effet, et quelques années après, saint Augustin quitta l'Afrique pour aller enseigner à Rome, où les écoles, quoiqu'il y régnât plusieurs abus, étaient, dit-il, mieux disciplinées qu'à Carthage.

[857] Il y avait alors à Constantinople trente-un professeurs salariés par l'autorité publique: un pour la philosophie, deux pour la jurisprudence, cinq sophistes, et dix grammairiens pour la langue grecque; trois orateurs, et dix grammairiens pour la langue latine, sans compter sept scribes ou antiquaires, destinés à copier des manuscrits.—S.-M.

ΧVΙΙ.

Il défend les mariages avec les Barbares.

Cod. Th. l. 3, tit. 14, leg. unic. et ibi God.

Valentinien crut que le mêlange des Barbares contribuait encore à la corruption des mœurs. Les bords du Rhin et du Danube, dans toute l'étendue de leur cours, étaient couverts de nations féroces, qui, habitant des pays incultes et sauvages, regardaient comme une fortune de s'établir au-delà de ces fleuves sur les terres de l'empire. Il s'en introduisait un grand nombre dans les armées romaines, et surtout dans les troupes qui gardaient les frontières. La garde même des empereurs en contenait des corps entiers: ils s'unissaient aux Romains par des mariages, et tâchaient de faire ainsi disparaître la trace de leur origine. Il eût été dès lors difficile de décider lequel des deux partis gagnait davantage à ces alliances; et si la simplicité grossière de ces peuples du Nord ne valait pas bien la politesse abâtardie des Romains de ce temps-là. L'empereur en jugea selon les anciennes prétentions de la fierté romaine; il pensa que le sang de ses sujets s'altérait par ces mariages, et il les défendit par une loi.

XVIII.

Perfidie des Romains à l'égard des Saxons.

Amm. l. 28, c. 5.

Oros. l. 7, c. 32.

Chron. Hier.

Vales. rerum Franc. l. 1, p. 47.

Till. Valent. art. 23, n. 40.

C'était bien moins ces mésalliances, que la bassesse de cœur et la mauvaise foi qui dégradaient les Romains, et qui les faisaient dégénérer de leur ancienne noblesse. Plus de scrupule à violer les traités, plus de précautions pour voiler du moins la perfidie. Une multitude de Saxons, portée sur des barques légères, vint se jeter dans la Gaule sur la côte de l'Océan, et s'avançant le long du Rhin, désolait toute la contrée. Le comte Nannéius, chargé de défendre cette frontière, accourut avec ce qu'il avait de troupes. C'était un guerrier expérimenté; mais comme il avait affaire à des ennemis déterminés et opiniâtres[858], ayant perdu dans les fréquentes rencontres une partie de ses soldats, et se voyant blessé lui-même, il envoya demander du secours à l'empereur qui était à Trèves. Le général Sévère[859] vint à la tête d'un corps considérable, et se rangea en bataille. La vue d'un si grand nombre de troupes, leur belle ordonnance, l'éclat de leurs armes et de leurs enseignes, jetèrent l'effroi parmi les Barbares; ils demandèrent la paix[860]. Après une longue délibération, on consentit à leur accorder une trève: selon la convention qu'on fit avec eux, on incorpora aux troupes romaines l'élite de leur jeunesse[861], et on permit aux autres de retourner dans leur pays. Pendant qu'ils se disposaient à partir, on détacha à leur insu un corps d'infanterie pour leur dresser une embuscade, et les tailler en pièces dans un vallon, qui se trouvait sur leur passage au-delà du Rhin, près de Duitz [Deusone][862], vis-à-vis de Cologne. Cette perfidie réussit: mais elle coûta plus de sang qu'on ne s'y était attendu. Les Saxons marchaient sans crainte et sans défiance sur la foi du traité; et ayant passé le Rhin ils étaient déja sur les terres des Francs leurs alliés. A leur approche quelques soldats sortis trop tôt de l'embuscade, leur donnèrent le temps de se reconnaître; les Romains poussés vivement par les Barbares, qui fondirent sur eux avec de grands cris, prirent la fuite. Mais bientôt soutenus par leurs camarades, qui vinrent se joindre à eux, ils retournèrent sur l'ennemi, et combattirent avec courage. Malgré leurs efforts, ils allaient être accablés par le nombre, si un gros escadron de cavaliers, qu'on avait postés sur l'autre bord du vallon, ne fût promptement accouru aux cris des combattants. Ce renfort rassura l'infanterie. On se battit avec fureur. Les Saxons, enveloppés et pris comme dans un piége, se défendirent jusqu'au dernier soupir. Tous, sans exception, furent victimes de la mauvaise foi de leurs ennemis; et ce qui montre jusqu'à quel point la morale romaine était alors corrompue, c'est que cette victoire plus honteuse qu'une défaite, a trouvé un apologiste dans Ammien Marcellin, l'historien d'ailleurs le plus sage et le plus judicieux de ce temps-là[863].

[858] Valentinianus Saxones, gentem in Oceani littoribus et paludibus inviis sitam, virtute atque agilitate terribilem, periculosam Romanis finibus, eruptionem magna mole meditantes, in ipsis Francorum finibus oppressit. Oros. l. 7, c. 32.—S.-M.

[859] C'était un maître ou lieutenant-général d'infanterie, magister peditum.—S.-M.

[860] Signorum aquilarumque fulgore præstricti venialem poscerent pacem. Amm. Marc. l. 28, c. 5.—S.-M.

[861] Datis ex conditione proposita juvenibus multis habilibus ad militiam. Amm. Marc. lib. 28, c. 5.—S.-M.

[862] Le récit d'Ammien Marcellin ne nous apprend rien sur le lieu où les Saxons furent défaits par les Romains. C'est saint Jérôme qui, dans sa chronique, le nomme Deusone, et il indique assez vaguement sa position, en rapportant qu'il était dans le pays des Francs: Saxones, dit-il, cœsi Deusone in regione Francorum. Orose se contente de dire que les Barbares furent vaincus sur les frontières du pays des Francs; in ipsis Francorum finibus oppressit. Il est assez difficile d'indiquer la position moderne qui répond à Deusone; c'est une conjecture de Valois (Rer. franc. l. 1, p. 47), adoptée par Tillemont (Valentinien I, art. 23), qui le place à Duitz, vis-à-vis de Cologne, au-delà du Rhin. Des médailles de Postumus, qui porta pendant plusieurs années le titre d'empereur dans la Gaule sous le règne de Gallien, offrent la légende HERC. DEVSONIENSI. Il est probable qu'Hercule devait le surnom de Deusoniensis à ce qu'il était révéré dans un lieu appelé Deuso ou Deuson; mais rien ne prouve que ce lieu soit Duitz, auprès de Cologne. On pourrait, avec autant et plus de raison, penser qu'on doit le chercher à Duisbourg, sur la Ruhr, dans l'ancien duché de Clèves. Cette position, moins avancée dans l'intérieur des terres, pourrait mieux convenir. Voy. à ce sujet Eckhel, doctr. num. vet., t. 7, p. 443 et 444.—S.-M.

[863] At licet justus quidam arbiter rerum factum incusabit perfidum et deforme: pensato tamen negotio non feret indignè, manum latronum exitialem tandem copiâ datâ factam. Amm. Marc. l. 28, c. 5.—S.-M.

XIX.

Valentinien appelle les Bourguignons pour faire la guerre aux Allemans.

Les autres Barbares voisins des frontières en jugèrent plus sainement. Une action si noire réveilla toute leur haine contre un peuple qui rompait les liens les plus sacrés de la société humaine. Macrianus, roi des Allemans, qui avait onze ans auparavant obtenu la paix de Julien, semblait disposé à venger la cause commune des nations[864]. Valentinien, occupé alors à fortifier les bords du Rhin et du Danube, aurait bien voulu n'être pas forcé d'interrompre ces travaux. Il forma le projet d'opposer aux Allemans[865] d'autres Barbares, et de se procurer la paix tandis qu'ils s'égorgeraient les uns les autres. Il crut pouvoir employer à ce dessein les Bourguignons, qui habitaient dans le voisinage des Allemans en remontant vers la source du Mein.

[864] Il paraît, d'après Ammien Marcellin, l. 28, c. 5, que ce roi faisait de fréquentes irruptions sur le territoire de l'empire. Reputans multa et circumspiciens (Valentinianus), quibus commentis Alamannorum et Macriani regis frangeret fastus, sine fine vel modo rem Romanam irrequietis motibus confundentes.—S.-M.

[865] Ammien Marcellin représente les Allemans comme un peuple très-redoutable à cette époque. Immanis enim natio, dit-il, p. 28, c. 5, jam indè ab incunabulis primis varietate casuum imminuta, ita sæpius adolescit, ut fuisse longis sæculi sæstimetur intacta.—S.-M.

XX.

Origine et mœurs des Bourguignons.

Amm. l. 28, c. 5.

Oros. l. 7, c. 32.

Hier. Chron.

Plin. l. 4, c. 14.

Sidon. carm. 12.

Cluv. ant. Germ. l. 3, c. 36.

Vorburg. t. 2, p. 612.

Vales. rerum Franc. l. 1, p. 48, et seq. et l. 3, p. 158.

Alsat. illust. p. 419.

Cette nation guerrière, nombreuse et devenue redoutable à ses voisins[866], était Vandale d'origine[867]. Elle avait été autrefois resserrée dans des bornes assez étroites entre la Warta et la Vistule, aux environs du lieu où est aujourd'hui la ville de Gnesne. Chassée par les Gépides, elle s'approcha du Rhin, et s'étant jetée dans la Gaule avec les autres Vandales, après la mort d'Aurélien, elle fut défaite au retour par Probus[868]. Quelques années après, les Bourguignons s'étant unis aux Allemans pour rentrer en Gaule[869], ils y furent encore taillés en pièces par Maximien Hercule, et se fixèrent enfin en Germanie aux dépens des Allemans, auxquels ils enlevèrent une partie de leur territoire[870]. Cette invasion alluma une haine mortelle entre les deux peuples; et pour perpétuer leurs querelles, ils se disputaient la propriété du fleuve Sala, dont les eaux propres à faire du sel avaient de tout temps causé la guerre entre les habitants de ses bords[871]. Les Bourguignons étaient de haute taille, d'un caractère et d'un extérieur farouche, portant une longue chevelure qu'ils frottaient de beurre pour la rendre rousse[872]; grands mangeurs; aimant une musique rude et grossière, pour laquelle ils se servaient d'une sorte de guitare à trois cordes. Ils donnaient à leur roi le nom de Hendinos: on le déposait lorsqu'il avait eu quelque mauvais succès dans la guerre, ou que l'année avait été stérile; car ils le croyaient maître des événements et des saisons[873]. Leur grand-prêtre portait le nom de Sinistus: il était perpétuel, et ne pouvait être déposé comme les rois[874]. Quelques auteurs anciens donnent aux Bourguignons une origine, que les meilleurs critiques rejettent comme fabuleuse[875]: ils disent que Drusus et Tibère, beaux-fils d'Auguste, ayant conquis une grande étendue de pays dans la Germanie, y laissèrent des garnisons, qui, abandonnées ensuite par les Romains, formèrent un corps de nation; et qu'elle prit son nom des Bourgs[876], c'est-à-dire, en langue germanique, des châteaux bâtis sur la frontière. Cette fable s'était deja accréditée chez les Bourguignons eux-mêmes, qui se faisaient honneur de descendre des Romains; et ce fut un des motifs que Valentinien employa pour les engager à faire la guerre aux Allemans[877].

[866] Seditque consilia alia post alia imperatori probanti, Burgundios in eorum excitari perniciem, bellicosos et pubis immensæ viribus affluentes, ideoque metuendos finitimis universis. Amm. Marc. l. 28, c. 5.—S.-M.

[867] C'est au moins ce qui résulte assez clairement du témoignage de Pline, qui dit, l. 4, c. 14, Vindili, quorum pars Burgundiones. Ce système est savamment développé et bien établi dans la Germania antiqua de Cluvier, l. 3, c. 36.—S.-M.

[868] Αὐτὸς (Πρόβος) Βουργόυνδοις καὶ Βανδίλοις ἐμάχετο. Zos. lib. 1, c. 68. On voit que Zosime unit aussi les Bourguignons et les Vandales.—S.-M.

[869] Omnes barbaræ nationes excidium universæ Galliæ minarentur, neque solùm Burgundiones et Alamanni, sed etiam, etc. Cl. Mamert., pan. Max. § 5.—S.-M.

[870] Ces révolutions sont indiquées dans le panégyriste Mamertinus, § 17, Gothi Burgundios penitus excindunt; et ailleurs, Burgundiones Alamannorum agros occupavere, sed sua quoque clade quæsitos. Alamanni terras amisêre, sed repetunt. Ammien Marcellin parle aussi, liv. 18, c. 2, des deux peuples comme étant voisins. Ventum fuisset, dit-il, ad regionem cui Capellatii vel Palas nomen est, ubi terminales lapides Alamannorum et Burgundiorum confinia distinguebant. Voy. t. 2, p. 313, note 2, liv. X, § 73.—S.-M.

[871] Salinarum finiumque causâ Alamannis sæpè jurgabant (Burgundii). Amm. Marc. l. 28, c. 5. C'est la circonstance physique mentionnée par l'historien latin, qui a fait penser qu'il fallait placer la première demeure des Bourguignons sur les bords de la Saal, fleuve qui vient de la Franconie et traverse l'ancienne Thuringe, pour aller se jeter dans l'Elbe. Ce fleuve est mentionné dans Strabon, l. 7, p. 291, qui l'appelle Σάλας. Tacite fait mention (Ann. l. 13, c. 57) d'une guerre qui eut lieu, long-temps avant l'époque dont il s'agit, pour la même cause et dans les mêmes localités sans doute, entre les Chattes et les Hermundures, qui occupaient alors les bords de ce même fleuve.—S.-M.

[872]

.......Burgundio cantat esculentus
Infundens acido comam butyro.

Sidon. Carm. 12, v. 6.—S.-M.

[873] Apud hos generali nomine rex appellatur Hendinos, et ritu veteri potestate deposita removetur, si sub eo fortuna titubaverit belli, vel segetum copiam negaverit terra. Amm. Marc. l. 28, c. 5.—S.-M.

[874] Sacerdos apud Burgundios omnium maximus vocatur Sinistus: et est perpetuus, obnoxius discriminibus nullis ut reges. Amm. Marc., l. 28, c. 5.—S.-M.

[875] C'est Orose, l. 7, c. 32, qui leur attribue cette origine. Hos quondam subactâ interiore Germaniâ a Druso et Tiberio, adoptivis filiis Cæsaris, per castra dispositos, aiunt in magnam coaluisse gentem. Ce qui est remarquable, c'est que cette opinion qui paraît assez invraisemblable s'était répandue chez les Bourguignons eux-mêmes. Ces peuples, selon Ammien Marcellin, l. 28, c. 5, se regardaient depuis long-temps comme issus des Romains. Jam indè, dit-il, temporibus priscis, subolem se esse Romanam Burgundii sciunt. Il est certain, par le témoignage de Strabon, l. 7, p. 290, et de Dion Cassius, l. 55, § 1, t. 2, p. 770, ed. Reimar., que Drusus César avait porté ses armes jusque dans les régions qui étaient occupées au quatrième siècle par les Bourguignons. Pourquoi, lorsque ces peuples vinrent s'y établir, ne se seraient-ils pas mêlés avec les descendants des garnisons romaines, restés dans ce pays, comme nous voyons que les descendants des colons et des soldats romains établis dans la Dacie par Trajan, ont donné naissance aux Valaques, dont la langue démontre l'origine? Une circonstance de cette nature, qui n'a rien d'invraisemblable, suffirait pour rendre convenablement raison de la tradition rapportée par Orose et attestée par Ammien Marcellin.—S.-M.

[876] Per castra dispositos, aiunt in magnam coaluisse gentem: atque ita etiam nomen ex opere præsumpsisse, quia crebra per limitem habitacula constituta, Burgos vulgò vocant. Oros. l. 7, c. 32.—S.-M.

[877] Il est extraordinaire qu'Orose, après avoir donné une origine romaine aux Bourguignons, dise, en parlant de leur expédition, que leur nom était inconnu aux Romains et que c'était pour l'empire un ennemi nouveau. Burgundionum, dit-il, l. 7, c. 32, novorum hostium, novum nomen.—S.-M.

XXI.

Ils viennent sur le Rhin, et se retirent mécontents.

Il sollicita leurs rois par des messages secrets[878], à venir joindre les Romains pour accabler de concert leurs communs ennemis. Il leur promit de passer le fleuve, et convint du temps auquel les deux armées se réuniraient. La proposition fut acceptée avec joie; les Bourguignons firent plus que l'on n'attendait: ils se rendirent au bord du Rhin au nombre de quatre-vingt mille[879]. Une armée si redoutable fit trembler leurs alliés autant que leurs ennemis[880]. Les Romains n'en tirèrent aucun secours, et elle ne fit aucun mal aux Allemans. Après avoir quelque temps attendu Valentinien, sans voir aucun effet de ses promesses, les Bourguignons lui envoyèrent demander des troupes d'observation, pour couvrir leur retraite[881]. Ils n'en avaient pas besoin sans doute, et cette démarche ne tendait qu'à s'éclaircir des mauvaises dispositions de l'empereur. Ils en furent pleinement convaincus par le refus qu'ils essuyèrent. Irrités de se voir joués si indignement, ils égorgèrent tout ce qu'ils purent saisir de sujets de l'empire, et reprirent le chemin de leur pays, trompés par Valentinien, mais trompant aussi les espérances de sa politique artificieuse. La terreur de leur marche mit en fuite les Allemans qui habitaient sur leur passage. Ceux-ci s'étant répandus dans la Rhétie, furent tués ou pris par le général Théodose[882]. Les prisonniers furent par ordre du prince transportés en Italie: on leur donna des terres à cultiver aux environs du Pô, à condition qu'ils payeraient un tribut annuel.

[878] Scribebat frequenter ad eorum reges per taciturnos quosdam et fidos. Amm. Marc. l. 28, c. 5.—S.-M.

[879] Ammien Marcellin se contente de dire vaguement, l. 28, c. 5, catervas misêre lectissimas. C'est S. Jérôme, Orose et Cassiodore qui déterminent le nombre des Bourguignons qui vinrent alors secourir les Romains.—S.-M.

[880] Antequam milites congregarentur in unum, adusque ripas Rheni progressæ, imperatore ad struenda munimenta districto, terrori nostris fuere vel maximo. Amm. Marc. l. 28, c. 5.—S.-M.

[881] Poscentes adminicula sibi dari redituris ad sua, ne nuda hostibus exponerent terga. Amm. Marc. l. 28, c. 5.—S.-M.

[882] Il était alors général de la cavalerie, magister equitum. Amm. Marc. l. 28, c. 5.—S.-M.

An 371.

XXII.

Valentinien veut surprendre Macrianus.

Idat. chron.

Amm. l. 29, c. 4.

Cluv. ant. Germ. l. 3, c. 7.

Dès que les Bourguignons se furent retirés, Macrianus recommença ses ravages. Valentinien forma le dessein de l'enlever, comme Julien avait fait enlever Vadomaire. L'année suivante Gratien étant consul pour la seconde fois avec Probus[883], l'empereur pour tromper le prince alleman, passa une grande partie de l'année à Trèves et aux environs, feignant de n'être occupé que de la réparation des forteresses[884]. Pendant ce temps-là il donnait des ordres, et disposait tout pour une expédition secrète. Ayant été instruit par des transfuges du lieu où était Macrianus, il se rendit à Mayence [Mogontiacum] au commencement de septembre[885] avec peu de troupes, pour ne donner à l'ennemi aucune défiance. Le général Sévère passa sans bruit quelques lieues au-dessous de Mayence sur un pont de bateaux avec un corps d'infanterie, et s'avança dans le pays. Il avait ordre de cacher sa marche et de ne point permettre à ses soldats de s'écarter. Sévère ayant rencontré une troupe de marchands, les fit massacrer, dans la crainte qu'ils n'allassent donner avis de son approche. Mais appréhendant d'être découvert, et de ne pas se trouver assez fort pour résister, il fit halte près de Wisbaden[886], qu'on appelait alors Aquæ Mattiacæ[887], et attendit Valentinien qui vint le joindre au commencement de la nuit. On s'arrêta quelques heures en ce lieu, mais sans y camper, parce qu'on n'avait point apporté de bagage. L'empereur fit seulement dresser sur des pieux quelques tapis, qui lui tinrent lieu de tente. On se remit en marche avant le jour; l'armée était conduite par de bons guides. Théodose la devançait à la tête d'un corps de cavalerie; on avait pris les plus justes mesures pour surprendre Macrianus endormi.

[883] Il se nommait Sextus Pétronius Probus, et il était en même temps préfet du prétoire.—S.-M.

[884] Ses lois jusqu'au 28 juin de cette année sont datées de Trèves. On possède ensuite d'autres lois du 29 juin, du 21 et du 29 juillet, du 15 août, datées d'un lieu nommé Contionacum, endroit inconnu, mais qui paraît avoir été un palais dans les environs de Trèves.—S.-M.

[885] On voit par une loi que Valentinien se trouvait à Mayence le 6 septembre 371.—S.-M.

[886] Ce lieu est au-delà du Rhin, à une petite distance au nord de Mayence dans la principauté de Nassau.—S.-M.

[887] Pline est le premier qui ait fait mention de ces eaux thermales, sunt et Mattiaci, dit-il, l. 31, c. 2, in Germania fontes callidi trans Rhenum, quorum haustus triduo fervet. Elles devaient leur nom à une ville appelée Mattium, qui fut détruite en l'an 15 par Germanicus César, comme le rapporte Tacite, Ann. l. 1, c. 56: Cæsar, incenso Mattio, aperta populatus, vertit ad Rhenum. Ptolémée l'appelle Mattiacum, Ματτιακὸν, Geogr. lib. 2, cap. 11. Les eaux de Wisbaden n'ont pas moins de célébrité chez les modernes.—S.-M.

XXIII.

Macrianus lui échappe.

L'imprudence des soldats fit échouer l'entreprise. Les défenses de l'empereur ne purent contenir leur avidité pour le pillage. L'incendie des métairies et les cris des paysans donnèrent l'alarme à la garde du prince; on l'enleva à demi éveillé dans un chariot, et on le sauva sur des hauteurs par des défilés impraticables à une armée. Valentinien, se voyant dérober sa proie[888], s'en vengea sur le territoire ennemi, qu'il ravagea dans une étendue de cinquante milles, et revint à Trèves[889] fort mécontent d'avoir manqué une occasion ménagée avec tant de précautions. Les Allemans qui habitaient au-delà du Rhin vis-à-vis de Mayence, s'appelaient Bucinobantes[890]: pour ôter à Macrianus l'espérance de rentrer dans ce pays, l'empereur y établit pour roi Fraomarius. Le canton était tellement ruiné, que celui-ci aima mieux aller dans la Grande-Bretagne commander en qualité de tribun une cohorte d'Allemans qui s'était mise au service de l'empire, et qui se distinguait par sa valeur[891]. Valentinien donna aussi quelque commandement dans ses troupes à Bithéridus et à Hortarius, seigneurs allemans[892]; mais peu de temps après, Hortarius, accusé[893] d'entretenir de secrètes intelligences avec Macrianus, fut appliqué à la torture, et sur l'aveu qu'il fit de sa trahison, il fut brûlé vif[894].

[888] Ammien Marcellin appelle cela de la gloire: Hâc Valentinianus gloriâ defraudatus, l. 29, c. 4.—S.-M.

[889] Valentinien y était le 6 décembre.—S.-M.

[890] In Macriani locum Bucinobantibus, quæ contra Mogontiacum gens est Alamanna, regem Fraomarium ordinavit. Amm. Marc. l. 29, c. 4.—S.-M.

[891] Quem paulo postea, quoniam recens excursus eumdem penitùs vastaverat pagum, in Britannos translatum potestate tribuni Alamannorum præfecerat numero, multitudine viribusque ea tempestate florenti. Amm. Marcel. l. 29, c. 4.—S.-M.

[892] Bitheridum vero et Hortarium nationis ejusdem primates item regere milites jussit. Amm. Marc. l. 29, c. 4.—S.-M.

[893] Il fut accusé par Florentius, duc de Germanie. Amm. Marc. l. 29, c. 4.—S.-M.

[894] Conflagravit flamma pœnali. Amm. Marcel. l. 29, c. 4.—S.-M.

XXIV.

Cruautés de Valentinien dans la Gaule.

Amm. l. 29, c. 3.

Hier. chron.

La rigueur de Valentinien croissait tous les jours. Maximin, préfet des Gaules, aigrissait de plus en plus son naturel dur et impitoyable. Les accès de sa colère devenaient plus fréquents, et se marquaient dans le ton de sa voix, dans l'altération de son visage, dans le désordre de sa démarche[895]. Ceux qui jusqu'alors avaient par leurs sages remontrances travaillé à modérer ses emportements, n'osaient plus ouvrir la bouche: il n'écoutait que Maximin. Il fit assommer un de ses pages pour avoir dans une chasse découplé un chien plutôt qu'il ne fallait. Un chef de fabrique lui ayant présenté une cuirasse de fer très-bien travaillée, s'attendait à en être récompensé: il fut mis à mort parce que la cuirasse pesait un peu moins que Valentinien n'avait ordonné. Octavianus qui avait été proconsul d'Afrique[896], encourut la disgrace du prince. Un prêtre chrétien, chez qui il se tenait caché, n'ayant pas voulu le découvrir, eut la tête tranchée à Sirmium. Constantianus, écuyer de l'empereur, fut lapidé pour avoir changé, sans sa permission, quelques chevaux de son écurie. Athanase était un cocher du Cirque fort renommé: ses partisans formaient des cabales en sa faveur. Valentinien le menaça du feu s'il donnait occasion à quelque émeute; et peu de jours après il lui fit souffrir ce supplice sur un simple soupçon de magie. Africanus, célèbre avocat, ayant obtenu un gouvernement, en demandait un autre plus considérable: cette ambition pardonnable et très-ordinaire lui coûta la vie. Comme Théodose sollicitait pour lui: Eh! bien, dit l'empereur, puisqu'il n'est pas content de sa place, je vais lui en donner une autre; qu'on lui abatte la tête[897]. Cet ordre cruel fut exécuté. Claude et Salluste, tribuns de la garde, furent accusés d'avoir parlé en faveur de Procope lorsqu'il s'était révolté. Le conseil de guerre fut chargé de leur faire le procès. Comme on ne trouvait pas de preuves contre eux, l'empereur ordonna aux juges de condamner Claude à l'exil et Salluste à la mort, promettant de leur accorder leur grace. Les juges obéirent; mais Valentinien ne tint pas sa parole. Salluste fut décapité, et Claude ne revint d'exil qu'après la mort de l'empereur. Il fit périr dans les tourments de la question plusieurs personnes dont on reconnut trop tard l'innocence. Il employait, contre la coutume, des officiers de ses gardes pour arrêter les accusés; et ils répondaient sur leur vie du succès de leur commission. Mais ce qui met le comble à la barbarie, et ce qui rend ce prince presque comparable à Maximien Galérius, c'est qu'il avait deux ourses très-carnassières[898], qu'il nourrissait de cadavres. L'une portait le nom de Mica[899], l'autre d'Innocentia. Il prenait grand soin de ces cruels animaux; il avait fait placer leurs loges à côté de son appartement; des esclaves étaient chargés de les servir et d'entretenir leur férocité. Après quelques années, il donna la liberté à Innocentia, et la fit lâcher dans les forêts, étant, disait-il, content de ses services[900].

[895] Adeò ut irascentis sæpè vox et vultus et incessus mutaretur et color. Amm. Marc. l. 29, c. 3.—S.-M.

[896] Julien lui avait donné cette charge en l'an 363.—S.-M.

[897] Abi, inquit, comes: et muta ei caput, qui sibi mutari provinciam cupit. Αmm. Marc. l. 29, c. 3.—S.-M.

[898] Duas haberet ursas sævas hominum ambestrices. Amm. Marc. l. 29, c. 3.—S.-M.

[899] Mica aurea, c'est-à-dire la miette d'or.—S.-M.

[900] Innocentiam denique, post multas quas ejus laniatu cadaverum viderat sepulturas, ut benemeritam in silvas abire dimisit innoxiam. Amm. Marc. l. 29, c. 3.—S.-M.

XXV.

Lois de Valentinien.

Cod. Th. l. 3, tit. 7, leg. 1; l. 4, tit. 6, leg. 1; l. 6, tit. 7, leg. 1, tit. 9, leg. 1, tit. 11, leg. unic. tit. 14, leg. 1; l. 12, tit. 1, leg. 38;

Lib. vit. t. 2, p. 48 et 49.

Ces traits d'inhumanité qui font horreur, étaient les effets, d'un caractère fougueux et violent, et non pas d'une stupidité brutale. Ce prince avait des lumières; il fit cette année et la suivante plusieurs lois, tant pour conserver l'honneur des familles, que pour régler l'ordre politique: pour défendre les jeunes veuves de race sénatorienne, contre leur propre faiblesse, il ordonna, que celles qui seraient au-dessous de vingt-cinq ans, ne pourraient contracter un second mariage, sans le consentement de leur père, ou de leurs parents, si leur père était mort; que si leurs parents s'opposaient à leur désir, et qu'ils proposassent un autre parti, les juges civils en décideraient, et qu'en cas d'égalité entre les deux partis, on préférerait celui qui serait du choix de la femme; que, supposé que la veuve eût lieu de soupçonner que ses proches parents, devant être ses héritiers si elle mourait sans enfants, voulussent par un motif d'intérêt, empêcher ce second mariage, elle s'en rapporterait au jugement des parents plus éloignés, qui n'auraient rien à prétendre sur sa succession. Il écartait par cette loi le manège de séduction, qui altérait le sang des plus nobles familles, par des alliances mal assorties, et souvent déshonorantes. Une autre loi, par laquelle il modérait la rigueur de celle de Constantin, contre les bâtards et les concubines, ne fut pas si généralement approuvée: il déclara, que si un homme laissait des héritiers en ligne directe, il pourrait léguer à ses enfants naturels et à leur mère, le douzième de ses biens, et le quart, s'il ne laissait que des héritiers collatéraux. Valens rejeta d'abord cette loi, mais il l'adopta dans la suite. Valentinien régla les rangs entre les grandes dignités: les préfets de Rome, les préfets du prétoire, les deux généraux de la cavalerie et de l'infanterie, étaient au même degré; après eux, les questeurs, le maître des offices, les deux comtes des largesses, c'est-à-dire, l'intendant des finances et l'intendant du domaine, les proconsuls, les quatre chefs du secrétariat du prince, les comtes, qui commandaient les troupes dans les provinces d'au-delà de la mer, les vicaires des préfets. Tel était l'ordre des grandes charges de l'état; les empereurs suivants y firent quelques changements, et ajoutèrent plusieurs autres dignités. Dans ce dénombrement, je ne vois pas le comte des domestiques, quoique ce fût une dignité déja ancienne, et que Constance le nomme dans une loi avant le maître des offices; la raison en est peut-être, que c'était une charge du palais, et non pas une dignité de l'empire.

XXVI.

Valens traverse l'Asie.

Zos. l. 4, c. 13.

Them. or. 11, p. 150.

[Joan. Mal. part. 2, p. 35.]

Till. Valens, art. 11, n. 10.

Au milieu des rigueurs que Valentinien exerçait sur les peuples, l'église était tranquille; Valens au contraire, avait jusqu'alors épargné ses sujets, dans ce qui regardait le gouvernement civil, mais il affligeait l'église. Ce prince prit pour la troisième fois, la résolution d'aller à Antioche, et partit de Constantinople vers le mois de mai[901]: en traversant l'Asie, il y trouva les traces funestes des maux qu'avaient causés la famine et le tremblement de terre; les provinces, désolées et languissantes, ne se repeuplaient qu'à peine. L'empereur donnait audience aux députés qu'on lui envoyait de toutes parts, et leur accordait les graces qu'ils venaient lui demander; il se proposait deux objets, de rétablir le pays, et d'y faire dominer l'Arianisme. Il relevait les villes abattues; il ajoutait aux autres de nouveaux embellissements, ou étendait leur enceinte: on nettoyait les ports bouchés par les sables, ou comblés de vase; on travaillait à rendre les grands chemins plus praticables; tout semblait ranimé par la présence du prince. Il partagea plusieurs provinces: Tyanes devint métropole de la seconde Cappadoce; et Iconium, de la seconde Pisidie: quelques auteurs lui attribuent la nouvelle division de la Palestine, de la Cilicie, de la Syrie, de la Phénicie et de l'Arabie; mais d'autres, prétendent avec plus de vraisemblance, que ces provinces ne furent partagées, les unes en deux, les autres en trois, que sous le règne de Théodose ou d'Arcadius. Nous avons déja observé, que cette multiplication de départements aggravait le fardeau des peuples, en multipliant les officiers.

[901] La dernière des lois qu'il rendit pendant son séjour à Constantinople est datée du 7 avril de l'an 371.—S.-M.

XXVII.

S. Basile lui résiste.

Greg. Naz. or. 20, t. 1, p. 345-355.

Greg. Nyss. l. 1, contra Eunom. t. 2, p. 312-315.

Theod. l. 4, c. 19.

Socr. l. 4, c. 26.

Soz. l. 6, c. 16.

Ruf. l. 12, c. 9.

Basil. ep. 104, 110, 111, 279, 280 et 281.

Valens, après avoir fait quelque séjour à Ancyre[902], passa en Cappadoce; devant lui, marchait le préfet Modestus, en apparence pour disposer ce qui était nécessaire à la réception de l'empereur, mais en effet pour préparer un triomphe à l'Arianisme, qui s'établissait dans tous les lieux où passait Valens. On chassait les évêques orthodoxes; on les exilait, on confisquait leurs biens; on installait en leur place des hérétiques, dont l'empereur avait à sa suite, une nombreuse recrue; c'était un orage sorti de la Propontide, qui traversait la Bithynie, la Galatie, et venait fondre sur la Cappadoce. Basile était assis depuis peu sur le siége de Césarée, capitale de cette province; l'empereur avait en vain employé les plus puissants du pays pour traverser son élection: ce prélat fut un rempart inébranlable, contre lequel vinrent se briser toutes les forces de l'hérésie. Valens, en approchant de Césarée, envoya Modestus pour l'intimider, et l'obliger à recevoir les Ariens dans sa communion: le préfet manda Basile, et d'un ton fier et menaçant, il lui reprocha d'abord son opiniâtreté à rejeter la doctrine, que l'empereur avait embrassée; comme il le voyait inflexible: Ne savez-vous donc pas, lui dit-il, que je suis le maître de vous dépouiller de vos biens, de vous exiler, de vous ôter même la vie? Celui qui ne possède rien, répondit le prélat, ne peut rien perdre, à moins que vous ne vouliez peut-être m'arracher ces misérables vêtements, et un petit nombre de livres qui font toute ma richesse: quant à l'exil, je ne le connais pas: toute la terre est à Dieu; elle sera partout ma patrie, ou plutôt le lieu de mon passage: la mort me sera une grace; elle me fera passer dans la véritable vie; il y a même long-temps que je suis mort à celle-ci. Ce discours, animé de la seule et vraie philosophie, mais tout nouveau pour les oreilles d'un homme de cour, étonna le préfet: Personne, dit-il, ne m'a encore parlé avec une pareille hardiesse. C'est apparemment, lui repartit froidement Basile, que vous n'avez encore rencontré aucun évêque. Modestus ne put s'empêcher d'admirer la fermeté de cette ame intrépide: il alla rendre compte à l'empereur, du peu de succès de sa commission: Prince, lui dit-il, nous sommes vaincus par un seul homme: n'espérez ni l'effrayer par des menaces, ni le gagner par des caresses; il ne vous reste que la violence. Valens ne jugea pas à propos d'employer d'abord cette voie; il craignait le peuple de Césarée, et sentait, malgré lui, du respect pour le saint prélat.

[902] Valens se trouvait dans cette ville le 13 juillet.—S.-M.

XXVIII.

Valens tremble devant S. Basile.

Il passa l'hiver en cette ville; le jour de l'Epiphanie, il se rendit à l'église avec sa garde, et se mêla parmi les fidèles, pour avoir l'honneur de communiquer avec eux, du moins en apparence; mais quand il entendit le chant des psaumes, qu'il vit la modestie de ce grand peuple, le bel ordre et la majesté toute céleste qui régnaient dans le sanctuaire, le prélat, debout à la tête de son clergé, aussi recueilli, aussi immobile, que s'il ne se fût passé autour de lui rien d'extraordinaire, ceux qui l'environnaient, pénétrés d'un profond respect, plus semblables à des anges qu'à des hommes; ce prince demeura comme ébloui et glacé de crainte. Lorsque ensuite il se fut avancé pour présenter son offrande, comme aucun des ministres sacrés, ne venait la recevoir selon l'usage, parce qu'on ignorait si Basile voudrait l'accepter; alors saisi d'un tremblement soudain, il eut besoin d'être soutenu par un des prêtres, qui s'aperçut de sa faiblesse: Basile crut devoir user de condescendance, il reçut l'offrande de Valens. En vain, pour ébranler le saint évêque, l'empereur le fit tenter, tantôt par des magistrats, tantôt par des officiers d'armée, tantôt par ses eunuques, et surtout par le grand-chambellan nommé Mardonius: il voulut avoir lui-même, un entretien avec Basile. Le prélat, par son éloquence toute divine, confondit Valens, sans sortir des bornes du respect[903]; et il imposa silence avec une liberté apostolique, à un officier du palais[904], qui osait le menacer en présence du prince. Cette conversation adoucit le cœur de Valens: il donna à l'église de Césarée plusieurs terres de son domaine, pour subvenir à la subsistance des pauvres, et au soulagement des malades.

[903] Un passage de la chronique de S. Jérôme, qui ne se trouve pas dans tous les manuscrits de cet ouvrage, semblerait imputer à S. Basile un peu trop de hauteur dans la conduite qu'il tint à cette époque. Basilius, dit-il, Cæsariensis episcopus Cappadociæ clavus habetur ... qui multa continentiæ et ingenii bona uno superbiæ malo perdidit.—S.-M.

[904] Ce personnage s'appelait Démosthénès. Il avait été intendant de la cuisine de l'empereur. Comme dans ses argumentations théologiques, il se servait de termes qui rappelaient son ancien métier, il s'attira, de la part de l'évêque de Césarée, d'assez mordants sarcasmes.—S.-M.

XXIX.

Mort de Valentinien Galate.

Mais les évêques Ariens étouffèrent bientôt ces dispositions favorables. L'exil de Basile fut arrêté; tout était prêt pour son départ: les fidèles étaient dans les larmes, et les Ariens dans la joie; il ne s'agissait plus que de signer l'ordre. La main de l'empereur se refusa constamment à sa volonté: elle trembla, sans pouvoir tracer aucune lettre, toutes les fois qu'il voulut la contraindre à cet injuste ministère. Un autre accident, porta dans le même temps à Valens un coup bien plus sensible; son fils unique, Valentinien Galate, tomba dangereusement malade; après avoir épuisé tous les remèdes humains, l'empereur eut recours à Basile. Le saint vint au palais: sa seule présence, calma d'abord la violence de la maladie, et sur la promesse que lui fit Valens, qu'il lui permettrait d'instruire le jeune prince dans les principes de la doctrine catholique, ses prières achevèrent la guérison; mais l'empereur, plus fidèle aux engagements pris avec Eudoxe qu'à la parole donnée à Basile, ayant peu après fait baptiser son fils par les Ariens, ce prince retomba malade et mourut[905]. Valens et Dominica, affligés de ce malheur, envoyèrent prier Basile, d'employer son crédit auprès de Dieu, pour détourner la mort dont ils se croyaient eux-mêmes menacés. Le préfet Modestus s'adressa aussi à saint Basile, dans une grande maladie; et reconnaissant, dans la suite, qu'il lui était redevable de la vie, il devint son protecteur; on voit par plusieurs lettres du saint, que Modestus n'osait rien refuser à sa recommandation.

[905] On voit, par le récit détaillé, mais un peu confus, de l'historien arménien Faustus de Byzance (l. 4, c. 5, 6 et 7), que le patriarche d'Arménie, Nersès, se trouvait à Césarée à l'époque de la mort du fils de Valens. On y peut reconnaître que le pontife arménien y fut, comme tous les autres prélats catholiques, en butte aux persécutions de l'empereur. Seulement la narration de l'auteur est tellement embrouillée, qu'il est difficile d'y distinguer ce qui appartient à la persécution que Nersès éprouva sous Constance et dont j'ai déjà parlé ci-devant, t. 2, p. 222, l. X, § 9, et ce qui concerne la persécution de Valens, qui toutes deux furent suscitées par les Ariens. On peut remarquer aussi que Nersès était venu à Césarée, lorsque Eusèbe en était encore archevêque et qu'il assista à l'exaltation de S. Basile, qui lui succéda en l'an 370 (Faust. Byz. l. 4, c. 8). Le patriarche d'Arménie était sans doute venu dans cette ville, pour être plus à portée de solliciter les secours des Romains, qu'il ne cessait de réclamer pour son pays, et pour se mettre à l'abri des troubles qui agitaient sa patrie. La présence de Nersès, dans la ville de Césarée, à cette époque, suffit pour faire voir, que c'est à lui qu'il faut appliquer le nom de Nersès, qui se trouve parmi les signatures des trente-deux évêques, qui souscrivirent la lettre adressée, en l'an 372, aux évêques d'Italie et de l'Occident par S. Basile et la plupart des évêques d'Orient (S. Basil. ep. 92, t. 3, p. 183). Ce n'était donc pas Barsès, évêque d'Édesse, qui vivait à la même époque comme Henri Valois (ad Theod. l. 5, c. 4), et Tillemont (Hist. eccles. t. 9, S. Basile, not. 52), l'ont cru sans raison suffisante.—S.-M.

XXX.

S. Basile arrête une sédition dans Césarée.

Quelque temps après que Valens fut parti de Césarée, le saint évêque y apaisa une sédition que l'attachement de son peuple à sa personne avait excitée. Eusèbe, gouverneur du Pont et de la Cappadoce, oncle de l'impératrice, et dévoué aux Ariens, saisissait toutes les occasions de chagriner Basile. Un de ses assesseurs, devenu éperdûment amoureux d'une veuve de famille illustre, voulait la contraindre à l'épouser; pour éviter ses poursuites soutenues de l'autorité du gouverneur, elle se réfugia dans l'église, auprès de la table sacrée. Le magistrat voulant forcer cet asile, Basile prit la défense de cette femme; il s'opposa aux gardes envoyés pour la saisir, et lui procura les moyens de s'échapper: le gouverneur, irrité, cita Basile devant son tribunal; et le traitant comme un criminel, il ordonna de le dépouiller et de lui déchirer les flancs, avec des ongles de fer; le prélat se contenta de lui dire: Vous me ferez un grand bien si vous m'arrachez le foie, qui me cause de perpétuelles douleurs. Mais les habitants, apprenant aussitôt le péril de leur évêque, entrent en fureur: hommes, femmes, enfants, armés de tout ce qu'ils rencontrent, accourent avec des cris terribles à la maison d'Eusèbe; chacun brûle d'envie de lui porter le premier coup; ce magistrat un moment auparavant si fier et si intraitable, tremblant pour-lors, se jette aux pieds de sa victime; il n'eut pas besoin de prières: Basile, délivré des mains des bourreaux, alla au-devant du peuple; sa seule vue calma la sédition, et sauva la vie à celui qui lui préparait une mort cruelle.

An 372.

XXXI.

Valens à Antioche.

Idat. chron.

Liban. vit. t. 2, p. 48 et 49.

Them. or. 12, p. 156 et 157.

Socr. l. 4, c. 17.

Theod. l. 4, c. 25 et 26.

Soz. l. 6, c. 17.

Valens arriva enfin à Antioche[906] au mois d'avril, sous le consulat de Modestus et d'Arinthée. Libanius, dont la faveur était passée, commença par l'ennuyer d'un long panégyrique, dont on ne lui permit de prononcer que la moitié. Des soins plus importants occupaient Valens; il se partageait, entre les préparatifs de la guerre de Perse, et le dessein qu'il avait formé, de détruire dans ses états la foi de Nicée. Pour rendre la persécution moins odieuse, il permit l'exercice de toutes les superstitions: les sacrifices se renouvelèrent; on célébrait publiquement les fêtes de Jupiter, de Cérès, de Bacchus; la liberté n'était refusée qu'aux catholiques. Mélétius fut banni pour la troisième fois; les fidèles de sa communion, exclus des églises où ils s'assemblaient, étaient contraints de célébrer les saints mystères hors de la ville; poursuivis partout et chassés par les soldats, ils changeaient tous les jours de retraite; plusieurs expirèrent dans les tourments, un grand nombre fut précipité dans l'Oronte. Ces rigueurs, loin de les abattre, animaient et fortifiaient leur zèle; les moines accouraient de leurs solitudes, pour soutenir le courage de leurs frères. Un jour, Valens se promenant dans une galerie de son palais qui donnait sur l'Oronte, vit passer au bord du fleuve un homme mal vêtu et courbé de vieillesse; on lui dit que c'était le moine Aphraatès, respecté de tous les catholiques d'Antioche: Où vas-tu? lui dit l'empereur, tu devrais te tenir renfermé dans ta cellule. Prince, lui repartit le vieillard, vous embrasez l'église de Dieu; et quand le feu est à la maison, il faut sortir, pour travailler à éteindre l'incendie. On dit, que l'église eut alors obligation à Thémistius. Cet orateur, déiste dans le cœur, quoique idolâtre dans la pratique, représenta à l'empereur qu'il en était de la religion, comme de tous les arts qui se perfectionnent par la dispute: que les diverses sectes étaient autant de différentes voies, qui toutes aboutissaient au même terme, c'est-à-dire à Dieu même: que la contrariété des opinions sur la nature divine, entrait dans les vues de l'Être suprême, qui a voulu se cacher aux hommes; et que la diversité de culte, loin de lui déplaire, lui était aussi agréable, que la différence du service l'est dans une armée à un général, dans une maison à un père de famille. Des raisons si absurdes firent, dit-on, quelque impression sur un prince faible et ignorant; sans s'adoucir tout-à-fait, il relâcha beaucoup de sa cruauté, et tourna sa principale attention sur les affaires de la Perse[907].

[906] On voit, par les lois de Valens, que ce prince était à Séleucie, près de l'embouchure de l'Oronte, le 4 avril de l'an 372, et qu'il se trouvait à Antioche, le 13 du même mois. Il paraît qu'il fit, vers le même temps, un voyage dans la Syrie; car une autre loi nous le présente à Béryte en Phénicie, le 5 juin de la même année.—S.-M.

[907] Les paragraphes 32, 33, 34 et une partie du 35e, qui, dans les premières éditions, retraçaient d'une manière très-imparfaite les révolutions survenues dans l'Arménie, avant l'arrivée de Valens à Antioche, ont été transportés avec les additions convenables, à leur véritable place chronologique. Voyez ci-devant, liv. XVII, § 3-13 et § 57-67.—S.-M.

XXXII.

[Nouvelles intrigues de Sapor en Arménie.]

[Amm. l. 27, c. 12.

Them. or. 10, p. 243.

Faust. Byz. l. 5, c. 6.

Mos. Chor. l. 3, c. 38.]

[—Valens fut à peine arrivé à Antioche, qu'il y rassembla des troupes, qu'il se hâta de faire marcher vers l'Arménie, pour y renforcer les corps qui étaient cantonnés dans ce royaume, où il y avait lieu de craindre que Sapor ne fît de nouvelles tentatives. Après les défaites du roi de Perse, et la retraite des armées persanes, le jeune roi Para s'était occupé de réparer les maux que ses états avaient soufferts. Pendant quelques temps il se laissa guider par les conseils du connétable et du patriarche Nersès; il ne prit que de sages mesures. Les princes de Camsar furent remis en possession des provinces de Schirag et d'Arscharouni[908], dont ils avaient été dépouillés par Arsace; ce fut la récompense de la valeur qu'ils avaient montrée à la bataille de Dsirav. Tous les autres dynastes, qui avaient aussi éprouvé des confiscations sous le gouvernement tyrannique de son père, en furent amplement dédommagés. Cette conduite qui semblait promettre un excellent roi, ne se soutint pas long-temps. Le fils d'Arsace était bien jeune[909], et les corrupteurs de son père se trouvaient encore à sa cour; le goût des plaisirs s'empara de lui, il négligea tout-à-fait les soins du gouvernement; sa faiblesse, son inexpérience et ses inclinations vicieuses, ramenèrent le désordre et rendirent l'espérance à Sapor. Enfin quand Valens fit repartir[910] Arinthée], les affaires d'Arménie avaient changé de face. Sapor qui savait prendre toute sorte de formes, souple et insinuant, fier et intraitable selon la diversité des circonstances et de ses intérêts, avait séduit la simplicité du jeune prince, en lui promettant son alliance et sa protection. Il l'avertissait, avec une bienveillance apparente, qu'il exposait sa dignité et même sa personne; que Cylacès et Artabannès ne lui laissaient que le nom de souverain; qu'il était en effet leur esclave: et que n'avait-il pas à craindre de deux perfides, qu'il semblait par une aveugle confiance inviter à une troisième trahison[911]? [Cylacès qui, comme nous l'avons déja vu[912], avait été laissé à Gandsak-Schahastan ou Tauriz, avec un corps de trente mille hommes d'élite, pour observer les Persans, était entré, dit-on, en correspondance avec Sapor. Il devait, à ce qu'on assurait, lui livrer son souverain, le général Térentius, et le connétable. De grands trésors auraient été sa récompense. Tels étaient les crimes dont l'accusaient Gnel, prince des Andsévatsiens[913] et plusieurs des officiers employés dans l'armée de l'Atropatène. Ils en avaient secrètement averti le roi. Ces imputations, vraies ou fausses[914], firent impression sur l'esprit de Para; il écrivit aussitôt à Cylacès pour qu'il laissât son armée sous les ordres de Gnel, et qu'il vînt sur-le-champ à la cour, afin de s'entendre avec lui, voulant, disait-il, l'envoyer vers Sapor, qu'il avait dessein de reconnaître pour son seigneur suzerain. Cylacès s'empressa de quitter son camp, pour se rendre auprès du roi, qui, pendant plusieurs jours, le combla de distinctions flatteuses, pour mieux cacher le triste sort qu'on lui préparait. Un auteur contemporain[915], qui raconte tous ces faits, ne balance pas à regarder la trahison de Cylacès comme avérée; il est cependant permis d'en douter. Le mécontentement que la mort de ce ministre causa aux Romains, qui ne cessèrent d'en faire de vifs reproches au roi d'Arménie[916], est une preuve au moins qu'ils le regardaient comme sincèrement attaché à leur parti, qui était celui des serviteurs fidèles de Para. En examinant avec attention tous les indices, on est plus disposé à croire que Cylacès et Artabannès, périrent victimes des intrigues de la faction, qui plus tard par ses imprudents conseils causa la perte du jeune roi d'Arménie. Gnel, prince des Andsévatsiens, qui en était le chef à ce qu'il paraît, ne fut peut-être qu'un aveugle instrument mis en œuvre par l'astucieuse politique de Sapor. Le roi de Perse, qui n'oubliait jamais l'accomplissement de ses projets, voulait se venger de deux hommes dont il redoutait l'habileté, et qui déja lui avaient ravi sa conquête. Quoiqu'il en soit], Para trop crédule, fit égorger ses deux ministres, et envoya leurs têtes à Sapor, comme un gage de sa soumission[917]. L'Arménie alors sans conseil et sans défense allait être [encore une fois] la proie du roi de Perse, si Arinthée ne fût arrivé à propos pour la mettre à couvert[918]. Sapor, désespéré de perdre le fruit de son crime, n'osa cependant entrer dans le pays; il envoya des députés à Valens pour le sommer d'observer le traité, et de ne prendre aucun parti dans les démêlés des Perses et des Arméniens[919]. Ces envoyés ne furent pas écoutés.

[908] Voy. t. 1, p. 408, not. 1, liv. VI, § 14.—S.-M.

[909] Etiam tum adultum, dit Ammien Marcellin, l. 30, c. 1.—S.-M.

[910] Il paraîtrait qu'après la défaite et l'expulsion des Perses, Arinthée était rentré sur le territoire de l'empire. Ce fait n'est pas énoncé positivement dans les auteurs anciens que nous possédons; mais on peut le déduire de leur récit. Les expressions dont Ammien Marcellin se sert en parlant de ce général, font voir assez clairement qu'il se rendit deux fois en Arménie. La première il vint secourir Para, après la mort de Pharandsem; quas ob causas ad eas regiones Arinthæus cum exercitu mittitur comes, suppetias laturus Armeniis. Amm. Marc. l. 27, c. 12. L'assistance d'Arinthée, comme on l'a vu, l. XVII, § 64, rétablit Para sur son trône. Ce fut après cette heureuse restauration qu'éclatèrent les intrigues qui agitèrent la cour d'Arménie et amenèrent la perte des deux ministres Cylacès et Artabannès. Arinthée n'était pas alors en Arménie; car Faustus de Byzance, en racontant, liv. 5, c. 6, la conspiration vraie ou supposée de Cylacès, ne parle que du projet de faire périr le général Térentius avec le roi, pour remettre l'Arménie au pouvoir des Persans. Si Arinthée avait été alors dans ce pays, il eût été non moins important pour les conjurés de s'assurer de sa personne. Enfin la mort de Cylacès et d'Artabannès, qui jeta le plus grand désordre dans l'Arménie, aurait livré ce pays aux Perses sans coup férir, sans l'arrivée d'Arinthée, dit Ammien Marcellin, l. 27, c. 12, hac clade latè diffusâ, Armenia omnis perisset impropugnata, ni Arinthæi adventu territi Persæ eam incursare denuò distulissent. Après cette explication, il est évident que l'historien romain fait allusion, dans sa brève narration, aux deux voyages que le général Arinthée fit en Arménie. Il est probable que cet officier, après sa première campagne d'Arménie, était venu à Antioche auprès de Valens qui, en récompense de ses services, le fit consul pour l'année 372.—S.-M.

[911] Inter quæ Sapor immensum quantùm astutus, et cum sibi conduceret humilis aut elatus, societatis futuræ specie Param ut incuriosum sui per latentes nuntios increpabat, quod majestatis regiæ velamento Cylaci serviret et Artabanni. Amm. Marc. l. 27, c. 12.—S.-M.

[912] Voyez p. 382, liv. XVII, § 66.—S.-M.

[913] Ce pays était situé dans la partie méridionale de l'Arménie, au milieu des montagnes des Curdes. Voyez mes Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie, t. 1, p. 131.—S.-M.

[914] Il est bien difficile de croire en effet que les deux ministres, dont les officiers romains ne cessèrent de reprocher la mort à Para, fussent des partisans de Sapor, qu'ils avaient si fortement offensé, en lui ravissant l'Arménie; il est évident que les récits arméniens, qui les chargent d'une dernière trahison, ne font que nous exposer les accusations de leurs ennemis.—S.-M.

[915] Cet auteur est Faustus de Byzance. Il raconte, avec toute la longueur et la satisfaction d'un ennemi, les ruses et les finesses qui furent employées pour attirer le ministre à la cour.—S.-M.

[916] Scribendo ad comitatum assiduè Cylacis necem replicabat et Artabannis. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[917] Quos ille præceps blanditiarum illecebris interfecit, capitaque cæsorum ad Saporem ut ei morigerus misit. Amm. Marc. l. 27, c. 12.—S.-M.

[918] Armenia omnis perisset impropugnata, ni Arinthæi adventu territi Persæ eam incursare denuò distulissent. Amm. Marc. l. 27, c. 12.—S.-M.

[919] Hoc solo contenti, quòd ad imperatorem misêre legatos, petentes nationem eamdem, ut sibi et Joviano placuerat, non defendi. Amm. Marc. l. 27, c. 12.—S.-M.

XXXIII.

Valens envoie des troupes dans l'Ibérie.

Amm. l. 27, c. 12.

Themist. or. 11, p. 148 et 149.

Dans le même temps Térentius [avec douze légions] remenait Sauromacès en Ibérie[920]. Comme il approchait du fleuve Cyrus[921], Aspacurès vint offrir de partager le royaume avec son cousin[922]: il protestait qu'il céderait volontiers tout le pays à Sauromacès, s'il ne craignait pour son fils[923], qui était en otage entre les mains des Perses. On envoya consulter l'empereur, qui, pour éviter une guerre, consentit au partage de l'Ibérie. Le Cyrus fit la séparation des états des deux princes[924]. Sauromacès prit pour sa part les provinces limitrophes de l'Arménie et de la Lazique[925]; il laissa à son cousin les pays qui confinaient à l'Albanie et à la Perse[926]. Sapor se plaignit hautement de l'infidélité des Romains, qui sans égard, disait-il, pour ses justes remontrances, envoyaient des troupes en Arménie contre la foi des serments, et disposaient en souverains du royaume d'Ibérie. Il déclara le traité rompu, et ne songea plus qu'à lever une armée, et à tirer des secours de ses alliés et de ses vassaux, afin de ruiner au printemps prochain toutes ces entreprises de la politique romaine[927].

[920] Quibus repudiatis, Sauromaces pulsus, ut antè diximus, Iberiæ regno, cum duodecim legionibus et Terentio remittitur. Amm. Marc. l. 27, c. 12.—S.-M.

[921] Ce fleuve, qu'on appelle à présent le Kour, traversait l'Ibérie dans toute sa largeur de l'ouest à l'est, et la divisait en deux parties presque égales, comme il fait actuellement pour la Géorgie. Les Géorgiens lui donnent le nom de Mtkvari. V. mes Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie, t. 1, p. 38.—S.-M.

[922] Et eum amni Cyro jam proximum Aspacures oravit, ut sociâ potestate consobrini regnarent. Amm. Marc. l. 27, c. 12.—S.-M.

[923] Si les éditeurs d'Ammien Marcellin ont bien lu les manuscrits de cet auteur, ce dont j'ai beaucoup de raisons de douter, le fils d'Aspacurès s'appelait Ultra. Voici le passage où il en est question: Quod Ultra ejus filius obsidis lege tenebatur adhuc apud Persas. Amm. Marc. l. 27, c. 12.—S.-M.

[924] Quæ imperator doctus, ut concitandas ex hoc quoque negotio turbas consilio prudentiâque molliret, divisioni adquievit Iberiæ: ut eam medius dirimeret Cyrus. Amm. Marc. l. 27, c. 12.—S.-M.

[925] Voyez, au sujet de la Lazique, ce que j'ai dit ci-devant, p. 372, not. 1, liv. XVII, § 63.—S.-M.

[926] Sauromaces Armeniis finitima retineret et Lazis, Aspacures Albaniæ Persisque contigua. Amm. Marc. l. 27, c. 12.—S.-M.

[927] His percitus Sapor, pati se exclamans indigna, quòd contra fœderum textum juvarentur Armeniæ, et evanuit legatio quam super hoc miserat corrigendo, quodque se non assentiente nec conscio dividi placuit Iberiæ regnum; velut obseratis amicitiæ foribus vicinarum gentium auxilia conquirebat, suumque parabat exercitum, ut serenata cœli temperie subverteret omnia, quæ ex re sua struxêre Romani. Amm. Marc. l. 27, c. 12.—S.-M.

XXXIV.

Valens à Edesse.

Socr. l. 4, c. 18.

Theod. l. 4, c. 17.

Soz. l. 6, c. 18.

Valens n'attendit pas si long-temps. Il eut encore assez de troupes pour former une troisième armée, à la tête de laquelle il marcha lui-même vers la Mésopotamie, à dessein de braver le roi de Perse. Ayant passé l'Euphrate, il prit sa route par Édesse, d'où il avait chassé l'évêque Barsès[928] pour y établir un Arien. A son arrivée, il trouva tout le peuple catholique assemblé dans une plaine hors de la ville, parce que les églises étaient au pouvoir des hérétiques. Il s'emporta contre le préfet Modestus jusqu'à le frapper, lui reprochant de négliger l'exécution de ses ordres. Il lui commanda de dissiper ces séditieux à coups d'épée, s'ils étaient désormais assez hardis pour s'assembler. Modestus devenu, depuis sa guérison, moins vif pour les intérêts de l'Arianisme, fit secrètement avertir les catholiques; il voulait les sauver du massacre dont ils étaient menacés. Dès le lendemain tous accoururent au même lieu avec plus d'ardeur que jamais. Le préfet dans la triste alternative ou de répandre du sang, ou de s'attirer la disgrace du prince, prit le parti d'obéir et de se transporter dans la plaine. En y allant, il aperçut une femme dont les cheveux et les vêtements en désordre montraient assez son empressement: elle traînait un enfant par la main, et se faisait passage à travers les soldats dont le préfet était accompagné. Modestus l'ayant fait arrêter pour lui demander où elle courait avec tant de hâte, elle répondit qu'elle craignait d'arriver trop tard à l'assemblée des fidèles, nous allons, dit-elle, recevoir le martyre. Et pourquoi, lui dit le préfet, menez-vous cet enfant? C'est mon fils, repartit-elle, je veux qu'il soit couronné avec nous. Modestus retourna aussitôt rendre compte à l'empereur de la résolution des catholiques; et Valens convaincu que la violence tournerait à sa honte et à leur gloire, révoqua ses ordres et sortit d'Edesse.

[928] Cet évêque, nommé Barsa par les auteurs syriens, passa du siége de Harran à celui d'Édesse en l'an 361, et il mourut en exil dans la Thébaïde, au mois de mars 378. Il eut pour successeur S. Eulogius.—S.-M.

XXXV.

Il traverse la Mésopotamie.

Them. or. 11, p. 149, et ibi not.

Il s'approcha du Tigre sans rencontrer d'ennemis[929]. Il n'eut à combattre que les incommodités du climat, dont les chaleurs excessives produisirent dans son armée beaucoup de maladies. Il se fit aimer de ses soldats par le vif intérêt qu'il prit à leur soulagement. On loua surtout ses soins infatigables pour rétablir la santé du plus distingué de ses généraux. On croit que c'était le comte Victor. Dans le cours de cette expédition, il réduisit, sans tirer l'épée, une tribu de Sarrasins[930]. Il retourna ensuite passer l'hiver à Antioche[931].

Chargement de la publicité...