Histoire du Bas-Empire. Tome 03

[929] Ἀυτὸς δὲ τῷ Εὐφρὰτῃ ἐφορμᾷ, καὶ τῷ Τίγρητι. Themist. or. 11, p. 149.—S.-M.

[930] Thémistius se contente de dire, or. 11, p. 149, que c'était une portion considérable des Barbares voisins (de l'empire), οὐκ ὀλίγην μοῖραν τῶν προσοικούντων Βαρβάρων. Le même orateur parle encore d'une nation plus infidèle que les anciens Thessaliens, ἀπιστοτέρου ὄντος τῶν πάλαι Θεσσαλῶν, qui, toujours déchirée par des guerres intestines, ὥστε ἀλλήλοις ἔτι καὶ νῦν διαφέρονται, restait cependant fidèle aux Romains, Ῥωμαὶοις δὲ συμφέρονται, καὶ συμπνέουσι. Dans leurs rapports entre eux, ajoute-t-il, ils se laissent guider par leur caractère naturel, τῇ μὲν φύσει χρῶνται πρὸς ἑαυτοὺς, mais, dans leur conduite avec l'empereur, ils suivent la loi de la nécessité, τῇ δὲ ἀνάγκῃ πρὸς Βασιλέα. Tous ces détails s'appliquent si bien à l'Arménie, et ils donnent une idée si juste des troubles qui agitaient ce malheureux royaume, qu'on doit en conclure que Thémistius avait ce pays en vue dans cette partie de son discours.—S.-M.

[931] On apprend de la Chronique de Malala (part. 2, p. 30), que Valens entra, avec son armée, dans Antioche, le 10 novembre, 14e indiction, c'est-à-dire en l'an 371. C'était sans doute au retour de son expédition de Perse. Il faut qu'il y ait une légère erreur dans l'indication chronologique du chroniqueur syrien; car il est constant qu'au commencement de l'année suivante 372, Valens n'était pas encore arrivé à Antioche. Au lieu de la 14e, il faut sans doute lire la 15e indiction, et placer, par conséquent, au 10 novembre 372, le retour de Valens à Antioche. Le même auteur rapporte qu'il s'y arrêta pour traiter de la paix avec les Perses, ἕνεκεν τοῦ ποιῆσαι μετὰ Περσῶν τὰ πάκτα τῆς εἰρήνης. Ceci n'a rien d'étonnant; car Valens, pendant tout le temps de son séjour dans l'Orient, y fut aussi occupé de paix que de combats. Il est plus difficile de savoir ce qu'on doit penser d'un fait que rapporte ensuite le même historien. Selon lui, Valens fit une paix de sept ans avec les Perses, ἐποίησε τὰ πάκτα, ἐπὶ ἔτη ἑπτὰ, τῶν Περσῶν αἰτησάντων εἰρήνην, qui, ajoute-t-il, lui rendirent la moitié de Nisibe, καὶ παραχωρησάντων τὸ ἥμισυ τοῦ Νιτζίβιος. Il est probable qu'il s'agit plutôt ici du territoire, que de la place de Nisibe; mais du reste on ne trouve ailleurs aucun renseignement sur ce fait; il est donc impossible de déterminer jusqu'à quel point il est exact.—S.-M.

XXXVI.

[Le roi d'Arménie soumet tous les rebelles de ses états.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 8-19.

Themist. or. 11, p. 149.]

—[Les troupes envoyées en Arménie par Valens, sous les ordres d'Arinthée, n'avaient pas seulement assuré la délivrance complète de ce royaume; elles s'étaient encore portées dans l'Ibérie, tandis que d'autres corps s'avançaient vers l'Albanie et pénétraient jusqu'au mont Caucase[932]. L'accroissement et les progrès des armées romaines, laissèrent le connétable Mouschegh libre d'employer les forces du royaume, pour faire rentrer dans le devoir tous les dynastes et les seigneurs dont la défection criminelle avait amené et prolongé les malheurs de l'Arménie. Pendant que Valens occupait Sapor sur les bords du Tigre et de l'Euphrate, le connétable soumettait les cantons de l'Atropatène[933], de la Médie[934], de la Cordouène[935], et de Norschiragan[936], ainsi que les peuplades du mont Tmoris[937], qui s'étaient soustraites à l'obéissance du roi d'Arménie; il en exigeait de forts tributs et des otages, destinés à garantir leur soumission future. Il attaqua ensuite la Caspiène[938] et les cantons arrosés par le Cyrus, et limitrophes de l'Albanie; les dynastes de l'Otène[939], d'Artsakh[940], de Gardman[941], de la Sacassène[942], furent défaits et contraints de livrer également des otages. La ville de Phaïdakaran[943], signalée par plus de haine dans sa révolte contre le roi d'Arménie, fut traitée avec plus de rigueur. Le connétable passa de là dans l'Ibérie, et ce pays éprouva tout le poids de sa colère. Le seigneur de la Gogarène[944], commandant héréditaire de la frontière septentrionale de l'Arménie, fut décapité, sa femme et ses enfants emmenés captifs; tous ceux qui avaient partagé sa trahison éprouvèrent un traitement pareil; le pays fut mis à feu et à sang. Tous les individus de la race de Pharnabaze[945], qui tombèrent entre les mains de Mouschegh, furent mis en croix, et, non moins cruel que les Perses, c'est par des dévastations sans nombre qu'il marqua partout son passage. Tel était l'usage alors. La victoire ou la défaite devenaient assez indifférentes à des peuples, qui, quelles que fussent les décisions de la fortune, avaient toujours les mêmes maux à attendre. Le connétable termina son expédition, qui embrassa presque toute la circonférence du royaume, par les provinces situées du côté du sud-ouest, sur les frontières de la Mésopotamie. Il entra successivement dans l'Arzanène, la Sophène, l'Anzitène et l'Ingilène[946], où il commit les mêmes ravages; la dernière ne put être protégée par le droit d'asyle[947] dont elle jouissait, tout y fut réduit en servitude. Ces actes d'une justice, peut-être un peu trop sévère, augmentèrent beaucoup le nombre déja très-considérable des ennemis du connétable: ils contribuèrent à accroître les jalousies et les haines qui divisaient depuis si long-temps la noblesse arménienne. Le roi était trop faible d'âge et de caractère pour faire cesser les troubles et les intrigues qui, en divisant sa cour et en l'éloignant de son connétable, menaçaient de replonger l'état dans les malheurs dont il était à peine délivré.]—S.-M.

[932] Καὶ οἱ μὲν στρατηγοὶ οὕτω χωρὶς περιστάντες · ὁ μὲν, τοῦ Καυκάσου ἀποπειρᾶται ὁ δὲ Ἀλβανῶν, καὶ Ἰβήρων · ὁ δὲ ἀνασωζεται Ἀρμενίους. Themist. or. 11, p. 149.—S.-M.

[933] Voy. t. 1, p. 408, not. 3, liv. VI, § 14, et ci-devant p. 278, not. 1, liv. XVII, § 5.—S.-M.

[934] La Médie portait en arménien le nom de Marastan, et les Mèdes celui de Mar ou Mark. Cette dénomination s'appliquait à toutes les régions montagneuses situées au sud-est de l'Arménie et même à l'Atropatène.—S.-M.

[935] Voyez t. 2, p. 284, not. 2, liv. X, § 55.—S.-M.

[936] Pays sur les bords du Tigre limitrophe de l'Assyrie, au sujet duquel il faut voir ci-dev. p. 287, not. 1; liv. XVII, § 8.—S.-M.

[937] Cette montagne était située dans la Gordyène ou Cordouène. Elle communiquait même son nom à une grande partie de cette province. On y trouvait une forteresse du même nom qui est souvent mentionnée dans les anciens auteurs arméniens et qui était réputée imprenable. Voyez à ce sujet mes Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie, t. 1, p. 177.—S.-M.

[938] Voyez, au sujet de ce canton, ce que j'ai dit ci-dev. p. 286, not. 2, liv. XVII, § 8.—S.-M.

[939] L'Otène, appelée Oudi par les Arméniens, formait une des quinze grandes divisions de l'Arménie, du temps des Arsacides. Elle était à l'extrémité septentrionale du royaume et limitrophe de l'Ibérie. Voy. mes Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie, t. 1, p. 86-91.—S.-M.

[940] Voyez ci-dev. p. 287, not. 6, liv. XVII, § 8.—S.-M.

[941] Voyez ci-dev. p. 287, not. 5, liv. XVII, § 8.—S.-M.

[942] Ce pays, mentionné par Strabon seul, l. 11, p. 528, était appelé Schikaschen par les anciens Arméniens; il paraît avoir répondu à une partie considérable de la grande province de Siounie, située entre le Cyrus et l'Araxes. Voyez ce que j'en ai dit dans mes Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie, t. 1, p. 142 et 143.—S.-M.

[943] Cette ville, actuellement ruinée et autrefois capitale d'une province du même nom, était située entre le Cyrus et l'Araxes, non loin du confluent des deux fleuves. Dans le moyen âge elle fut appelée Baïlakan, comme on l'apprend des auteurs arabes. Voyez à son sujet mes Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie, t. 1, p. 154.—S.-M.

[944] Voy. ci-dev. p. 287, not. 3 et 4, liv. XVII, § 8.—S.-M.

[945] Cette famille descendait d'un certain Pharnabaze, qui fut le premier roi de l'Ibérie. Il se déclara indépendant des Séleucides à la fin du troisième siècle avant notre ère, du temps d'Antiochus le Grand, roi de Syrie. J'ai donné de grands détails sur ce personnage, resté jusqu'à présent inconnu à l'histoire, dans mes Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie, t. 2, p. 195-200. Ces renseignements sont tirés des Chroniques géorgiennes.—S.-M.

[946] Au sujet de ces provinces dont il a déja été souvent question dans cet ouvrage, voyez mes Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie, t. 1, p. 91, 92, 93, 97 et 156.—S.-M.

[947] Ces lieux d'asyles étaient nombreux en Arménie, où ils étaient désignés, par le nom d'Osdan.—S.-M.

An 373.

XXXVII.

Décennales des deux empereurs.

Idat. chron.

Them. or. 11, p. 141 et 144.

Symm. l. 10, ep. 26.

Zos. l. 4, c. 13.

Les deux empereurs prirent l'année suivante le consulat pour la quatrième fois. Valens entrait le 28 de mars dans la dixième année de son règne; Valentinien y était entré un mois auparavant. Pour honorer leurs décennales le sénat de Rome leur envoya un présent considérable. Les princes reçurent encore des provinces, selon l'usage, de l'or, de l'argent, des étoffes précieuses. De leur part, ils remirent pour cette année une partie de la taxe imposée sur les terres. Valens exigea de Thémistius une harangue, qui fut prononcée en sa présence, apparemment à Hiérapolis, où il avait coutume de passer la saison du printemps, pendant qu'il fit son séjour en Syrie[948].

[948] Τὸν μὲν χειμῶνα διατρίβων ὲν τοῖς αὐτόθι Βασιλείοις, ἧρος δὲ ἐπὶ τὴν Ἱερὰν πολιν ἀπιὼν, κᾴκεῖθεν τὰ στρατόπεδα τοῖς Πέρσαις ἐπάγων, καὶ αὖθις ἐνισταμένου τοῦ χειμῶνος ἐπανιὼν εἰς τὴν Ἀντιόχειαν. Zos. l. 4, c. 13.—S.-M.

XXXVIII.

Seconde campagne de Valens contre les Perses.

Amm. l. 29, c. 1.

Dès que les armées purent tenir la campagne, Sapor envoya des troupes en Mésopotamie; il méprisait les Romains depuis la retraite de Jovien, et se promettait une victoire assurée[949]. Valens fit partir le comte Trajan et Vadomaire[950], à la tête d'une belle armée, avec ordre de se tenir sur la défensive, afin qu'on ne pût les accuser d'avoir fait le premier acte d'hostilité[951]; arrivés dans la plaine de Vagabante[952], ils furent attaqués par toute la cavalerie des Perses; ils se contentaient d'en soutenir le choc, et se battaient en retraite; mais enfin se voyant poussés avec vigueur, ils chargèrent à leur tour; et après avoir fait un grand carnage, ils demeurèrent maîtres du champ de bataille[953]. Les deux monarques vinrent joindre leurs troupes; il se livra plusieurs petits combats, dont les succès furent balancés; enfin ils convinrent d'une trève, pour terminer leurs différends. L'été s'étant passé en négociations infructueuses, Sapor se retira à Ctésiphon, et Valens à Antioche[954].

[949] Exactâ hieme rex Persarum gentis Sapor pugnarum fiduciâ pristinarum immaniter arrogans, suppleto numero suorum abundèque firmato, erupturos in nostra cataphractos et sagittarios et conductam misit plebem. Amm. Marc. l. 29, c. 1.—S.-M.

[950] Qui avait été autrefois un des rois des Allemans. Voy. t. 2, p. 359, liv. XI, § 34, et ci-devant, p. 240, liv. XVI, § 38; et p. 316, note 3, liv. XVII, § 22.—S.-M.

[951] Contra has copias Trajanus comes et Vadomarius ex rege Alamannorum cum agminibus perrexere pervalidis, hoc observare principis jussu appositi, ut arcerent potiùs quàm lacesserent Persas. Amm. Marc. l. 29, c. 1.—S.-M.

[952] J'ignore la position de ce lieu, qui n'est mentionné que par Ammien Marcellin, l. 29, c. 1; il est cependant probable qu'il était situé dans la Mésopotamie. C'était, suivant cet historien, une excellente position, habilem locum.—S.-M.

[953] Confossis multis discessêre victores. Amm. Marc. l. 29, c. 1.—S.-M.

[954] Pactis induciis ex consensu æstateque consumptâ, partium discessêre ductores etiamtum discordes. Et rex quidem Parthus hiemem Ctesiphonte acturus, rediit ad sedes: et Antiochiam imperator Romanus ingressus. Amm. Marc. l. 29, c. 1.—S.-M.

XXXIX.

[Nouveaux troubles en Arménie.]

Amm., l. 30, c. 1.

Faust. Byz. l. 5, c. 21 et 22.

—[La lutte, qui se prolongeait entre les deux empires, permettait à l'Arménie de respirer, après tant de malheurs. Elle avait besoin d'un long repos, pour cicatriser les plaies profondes, que lui avaient fait les ravages des Perses; mais les troubles qui continuaient d'agiter la cour de Para répandaient l'inquiétude et le désordre dans le royaume, et faisaient appréhender que la paix fût de courte durée. Para, bien jeune encore, était à peine en âge de pouvoir tenir les rênes du gouvernement[955]; il se trouvait ainsi le jouet des ministres ou des serviteurs, qui se disputaient tour à tour sa confiance; sa conduite inconsidérée menaçait de compromettre encore le salut de l'état. Il était fier et présomptueux, ne manquait pas de courage, comme il le montra dans la suite; il passait même pour trop enclin aux entreprises hardies, et c'était un des sujets de crainte des officiers romains, laissés par Valens en Arménie. Ceux-ci ne cessaient de rappeler le meurtre de Cylacès et d'Artabannès[956]. On reprochait encore au roi d'être trop cruel envers ses sujets[957]. On voit, que malgré ces défauts, il possédait au moins les germes de quelques belles qualités, qui se seraient peut-être développées, si le destin le lui avait permis. Il aimait encore la magnificence, était généreux et libéral, mais il était aussi porté que son père pour les plaisirs; ses courtisans trouvèrent dans cette disposition le moyen de le maîtriser, et d'en faire le docile instrument de leur ambition particulière. Ils n'eurent garde de s'opposer à un penchant qui avait été si funeste à Arsace; ils s'empressèrent au contraire de le favoriser, pour conserver la faveur du jeune prince et leur pouvoir sur son esprit. Ils réussirent à éloigner de la cour et à rendre suspects le patriarche Nersès, le connétable, et tous les seigneurs qui par leur fermeté et leur vertu auraient pu préserver le roi des écarts d'une jeunesse fougueuse.

[955] Etiamtum adultum, dit Ammien Marcellin, l. 30, c. 1. On peut voir d'après ce que j'ai dit, t. 2, p. 232, note 2, liv. X, § 14, et ci-devant, p. 274, note 1, et p. 302, note 2, liv. XVII, § 4 et 13, que le roi Para devait être âgé d'une vingtaine d'années environ.—S.-M.

[956] Scribendo ad comitatum assiduè Cylacis necem replicabat (Terentius) et Artabannis; addens eumdem juvenem ad superbos actus elatum. Am. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[957] Nimis esse in subjectos immanem. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

XL.

[Mort du patriarche Nersès.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 21-24 et 29-31.

Μοs. Chor. l. 3, c. 38.]

[Para, ne trouvant auprès de lui ni obstacles ni conseils, s'abandonna sans réserve, à toute la violence de ses passions, et ne tarda pas à se déshonorer par les plus honteux excès[958]. Le patriarche Nersès, que son âge vénérable et la sainteté de son ministère devaient rendre respectable à ce jeune insensé, osa élever sa voix contre tant de désordres; il en fit de sévères réprimandes à Para, et le menaça d'un sort aussi malheureux que celui de son père, s'il ne savait pas mieux réprimer ses criminels désirs. Le roi, livré tout entier à des ministres corrompus, instruments empressés de ses débauches, accueillit fort mal les reproches du patriarche; cependant le respect que tout le royaume portait à ce saint personnage le contraignit de dissimuler son mécontentement; mais il se lassa des discours de ce censeur sévère, et pour s'en délivrer, sans exciter contre lui l'indignation du peuple, attaché à son pasteur, il résolut de le faire empoisonner: son criminel dessein fut exécuté; le patriarche invité par le roi, à venir le trouver dans son château de Khakhavan, dans la province d'Acilisène[959], y prit place à la table royale, et il y reçut la coupe fatale, de la main de son souverain, déja bien pervers. La mort de Nersès, fut un deuil général pour l'Arménie, dont il était, depuis trente-quatre ans, le guide spirituel[960]. On lui fit des funérailles magnifiques; le grand-intendant du royaume, le connétable, et tous les personnages les plus distingués suivirent son convoi, et on le déposa, dans le bourg de Thiln[961], où se trouvaient les tombeaux de la plupart de ses ancêtres, qui avaient possédé comme lui, la dignité patriarchale[962]. Le roi lui donna aussitôt pour successeur Hésychius[963], qui, comme les deux prédécesseurs de saint Nersès, appartenait à la famille d'Albianus, évêque de Manavazakerd[964]. Il semble que cette famille fût rivale des descendants de saint Grégoire; car, dès que la suprême dignité sacerdotale était enlevée à ceux-ci, c'est dans cette autre race qu'on leur cherchait des successeurs. L'archevêque de Césarée avait été jusqu'alors dans l'usage de sacrer les patriarches de la grande Arménie[965]; saint Basile, comme on l'a déja vu, était en ce temps-là, assis sur le siége métropolitain de la Cappadoce: on doit bien penser, qu'un prélat d'une sainteté aussi éminente, et d'un aussi grand courage, n'était pas homme à sanctionner lâchement une nomination telle que celle d'Hésychius; il refusa donc de le reconnaître, et depuis ce temps-là les patriarches arméniens cessèrent d'aller demander à Césarée la confirmation de leur dignité. Un pontife redevable de son rang et de ses droits, au crime de son souverain, n'était pas propre à inspirer beaucoup de confiance aux peuples indignés; il n'obtint pas plus de considération auprès de Para, qui le méprisait, comme un servile instrument de ses caprices. Aucun obstacle ne s'opposant plus à la tyrannie de ce prince, il n'y eut rien de sacré pour lui en Arménie; il s'empara de tous les édifices affectés par la religion au service des pauvres, des orphelins, des malades, et des vierges dévouées au seigneur; il se rendit aussi maître de la meilleure partie des terres qui avaient été autrefois accordées au clergé par le saint roi Tiridate, et les réunit au domaine de l'état[966]. Tant d'usurpations répandirent le désordre dans tout le royaume: nobles, prêtres, soldats et paysans, riches et pauvres, tous étaient contre ce roi, qu'ils avaient rétabli sur le trône de ses pères, au prix de tant de maux et de tant de sacrifices; enfin, l'Arménie était encore une fois menacée d'une prochaine révolution.]—S.-M.

[958] L'historien Faustus de Byzance, l. 5, c. 31, fait un tableau si affreux des débordements du roi d'Arménie, qu'on pourrait soupçonner cet auteur d'avoir répété légèrement toutes les accusations des ennemis de ce prince, si lui même il n'était pas au nombre de ses plus ardents adversaires; ce qu'on serait assez porté à croire en le lisant.—S.-M.

[959] Cette province, qui faisait partie de la haute Arménie et qui s'appelait en arménien Egéghiats, était située sur les bords de l'Euphrate, qui la traversait dans toute sa longueur. Elle était frontière de l'empire romain. Voyez mes Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie, t. 1, p. 45.—S.-M.

[960] Moïse de Khoren (l. 3, c. 38) et tous les auteurs arméniens donnent cette durée au patriarchat de S. Nersès, qui avait commencé en l'an 339, la troisième année du règne d'Arsace (Mos. Chor. l. 3, c. 20). On lit trente-trois dans la version latine de l'historien arménien, mais c'est une erreur du traducteur; car le texte présente bien trente-quatre. Le même nombre se retrouve dans une liste abrégée des patriarches d'Arménie, composée en grec dans le 7e siècle par un certain Grégoire. Cet ouvrage, qui a été inséré dans l'Auctarium Bibliothecæ Patrum, donné par le père Combéfis (t. 2, p. 271-292), s'exprime ainsi au sujet de ce patriarche, qu'il appelle Norsésès: ὁ ἅγιος Νορσέσης ἔτη λδ', ὄν ἀπέκτεινε Φάρμη υἱὸς Ἀρσάκου Βασιλέως, c'est-à-dire S. Norsésès, qui fut tué par Pharmé, fils du roi Arsace, 34 ans. Il est évident que le nom corrompu de Pharmé est celui du prince, qui est appelé Para par Ammien Marcellin, et Bab ou Pap par les Arméniens.—S.-M.

[961] Ce bourg, que Ptolémée, l. 5, c. 13, appelle Thalina, était dans l'Acilisène; voyez ce que j'en ai dit dans mes Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie, t. 1, p. 72.—S.-M.

[962] Voyez t. 2, p. 216 et 217, liv. X, § 6, ce qui concerne l'origine de S. Nersès.—S.-M.

[963] Faustus de Byzance est le seul historien arménien, qui ait jamais parlé, l. 5, c. 29, de ce patriarche Hésychius, en arménien Housig. Il n'en est pas question dans Moïse de Khoren, et, à son imitation, il a été passé sous silence par tous les autres auteurs arméniens, qui en ont peut-être agi ainsi à cause de son élévation illégitime. Il faut nécessairement le rétablir dans la suite des patriarches, pour faire disparaître une discordance chronologique que présente la série de ces pontifes comparée à celle des rois de l'Arménie, et qui n'a pas d'autre cause que cette omission. Hésychius n'a pas été oublié dans la liste grecque de Grégoire, qui l'appelle Iousec, et lui donne trois ans de patriarchat, εἶθ' οὕτως Ἱουσὴκ ἕτη γ', ce qui est nécessaire pour remplir la lacune. Cet auteur remarque que ce pontife et ses successeurs n'étaient patriarches que de nom, parce que l'archevêque de Césarée, c'est-à-dire S. Basile, avait interdit, à cause de la mort de S. Norsésès, l'ordination des évêques de la grande Arménie, ἐκωλύθησαν παρὰ τοῦ ἀρχιεπισκόπου Καισαρείας αἱ χειροτονίαι τῶν ἐπισκόπων τῆς μέγαλης Ἀρμενίας. Ce récit est conforme à celui de Faustus de Byzance, et nécessaire pour rétablir cette partie de la chronologie arménienne. Cet évêque me paraît être le même qu'un certain Isacocis, qualifié d'évêque de la grande Arménie, ou dans la grande Arménie, Ἰσακοκὶς Ἀρμενίας μεγάλης, et dans une lettre adressée au synode d'Antioche, qui se tint contre les Ariens en l'an 364. Cette lettre se trouve dans l'Histoire ecclésiastique de Socrate, l. 3, c. 25. Je crois encore qu'il est le Iosacis, Ἰωσακὶς, mentionné dans la lettre que S. Basile et les évêques d'Orient écrivirent, en l'an 372, aux prélats de l'Occident et qui a déja été citée ci-devant, p. 426, note 1, liv. XVIII, § 29, à l'occasion de S. Nersès qui la signa. Les Grecs, ordinairement assez embarrassés pour exprimer les noms orientaux dans leur langue, le furent autant pour celui d'Hésychius, qui s'introduisit alors parmi eux, que pour tout autre. Ils rendirent par Iosec, Iousec, Iosacis, Isocasis et même Isocasès, un nom dont la forme originale était Housig ou Housag.—S.-M.

[964] Voy. t. 2, p. 217, note 1, liv. X § 6.—S.-M.

[965] Voy. t. 2, p. 218 et 219, liv. X, § 7.—S.-M.

[966] Faustus de Byzance, qui rapporte cette circonstance, l. 5, c. 31, dit qu'il ôta aux prêtres cinq septièmes des terres qui leur avaient été données par Tiridate. On voit par d'autres auteurs que ces terres étaient celles mêmes qui avaient été possédées, au même titre, par les prêtres des idoles, avant l'établissement du christianisme.—S.-M.

XLI.

Courses des Blemmyes.

Till. Valens, art. 13.

Cellar. geog. antiq. l. 4, c. 1, art. 15, et c. 8, art. 16 et 31.

Pendant que Valens était occupé de la guerre de Perse, les Sarrasins se défendaient contre des Barbares, venus du fond de l'Éthiopie, et attaquaient eux-mêmes les frontières de l'empire[967]. Sur les côtes de la mer d'Éthiopie, le long du golfe Avalitès, habitait une peuplade de Blemmyes[968], nation cruelle, dont l'extérieur même était affreux[969]. Ils étaient différents de ceux que nous avons déja vus[970] à l'occident du Nil, vers les extrémités méridionales de l'Égypte. Un vaisseau d'Aïla[971], en Arabie, échoua sur leurs côtes; ils s'en saisirent, s'y embarquèrent en grand nombre[972], et devenus pirates, sans connaître la mer, ils résolurent d'aller à Clysma[973], port d'Égypte très-riche et très-fréquenté, vers la pointe occidentale du golfe Arabique. Ayant pris leur route trop à l'Orient, ils abordèrent à Raïthe[974], qui appartenait aux Sarrasins[975] de Pharan[976]: c'était le 28 décembre 372[977]. Les habitants, au nombre de deux cents[978], voulurent s'opposer à la descente, mais ils furent taillés en pièces; leurs femmes et leurs enfants furent enlevés; les Blemmyes[979], massacrèrent quarante solitaires[980], qui s'étaient réfugiés dans l'église de ce lieu[981]. Ils se rembarquèrent ensuite pour gagner Clysma; mais leur vaisseau n'étant pas en état de faire route, ils égorgèrent leurs prisonniers, descendirent de nouveau sur le rivage, et mirent le feu aux palmiers, dont le lieu était couvert. Cependant Obédianus, prince de Pharan[982], ayant rassemblé six cents archers Sarrasins, vint fondre sur les Blemmyes; et quoique ceux-ci se battissent en désespérés, ils furent tous passés au fil de l'épée[983].

[967] «En ce temps-là, dit Socrate, l. 4, c. 36, tout l'Orient était ravagé par les Sarrasins.» Πάντα οὖν τὰ ὑπὸ τὴν ἀνατολὴν, ὑπὸ τῶν Σαρακηνῶν κατὰ τὸν αὐτὸν ἐπορθεῖτο χρόνον.—S.-M.

[968] Le nom de Blemmyes désignait, chez les anciens, les peuples barbares et presque sauvages qui habitaient au midi de l'Égypte, dans les déserts compris entre le Nil et la mer Rouge, s'étendant fort au loin dans l'intérieur de l'Éthiopie. Les Coptes, ou les descendants des anciens Égyptiens, les désignent, dans leurs écrits, par le nom de Balnemmôoui, qui a évidemment donné naissance à la dénomination qui est employée par les anciens. M. Étienne Quatremère, membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, a donné sur ce peuple un mémoire fort intéressant, inséré dans ses Mémoires géographiques et historiques sur l'Égypte, t. 2, p. 127-161. Il y fait voir que les Balnemmôoui des Coptes, les Blemmyes des anciens et les Bedjah des auteurs arabes sont la même nation. Voyez ce que j'ai dit sur ces derniers, t. 2, p. 151, not. 3, l. IX, § 9.—S.-M.

[969] Pline rapporte sérieusement, l. 5, c. 8, qu'ils n'avaient point de têtes, et qu'ils avaient la bouche et les oreilles placées dans la poitrine: Blemmyis traduntur capita abesse, ore et oculis pectori adfixis. Lorsque l'empereur Probus alla en Égypte, il y fit la guerre à ces barbares, et leur fit des prisonniers qui furent un objet d'étonnement à Rome, où il les envoya. Blemyos subegit, quorum captivos Romam transmisit, qui mirabilem sui visum, stupente populo romano, præbuerunt. Vopis. in Prob. c. 17.—S.-M.

[970] Voyez t. 1, p. 291, liv. IV, § 65. et p. 438, note 6, liv. VI, § 37. Les barbares, dont il s'agit ici, ne différaient pas de ceux qui habitaient à l'occident du Nil; il est évident qu'ils venaient d'un autre lieu, mais ils n'en étaient pas moins d'une même nation; ils appartenaient à une autre tribu. Selon Strabon, l. 17, p. 819, les Blemmyes étaient voisins de l'Egypte, Αἰγυπτίοις ὁμόρους, et habitaient auprès de Syène. Le même géographe les avait déja placés dans le voisinage de Méroé, assez loin dans l'Éthiopie. Ammien Marcellin les met aussi, l. 14, c. 4, dans les environs de Syène; Zosime, l. 1, c. 71, les place auprès de Ptolémaïs, dans la Thébaïde; Olympiodore (apud Phot. cod. 80) dit qu'ils habitaient auprès de Talmis, hors des limites méridionales de l'Égypte; il est ainsi d'accord avec Procope (de Bell. Pers. l. 1, c. 19), qui les place auprès d'Éléphantine. D'un autre côté, Ptolémée (l. 4, c. 8) les met bien loin au midi, entre le fleuve Astaboras et le golfe d'Adulis, appelé Avalitès; il en est de même d'Agathémère (l. 2, c. 5, ap. Geogr. græc. min. t. 2, p. 41), qui remarque qu'ils étaient mangeurs d'autruches. Tout ce qu'on peut conclure de ces passages en apparence contradictoires, c'est que ce peuple nomade habitait tous les pays où on vient de le signaler, portant au loin ses ravages, et qu'il serait possible encore de les rencontrer en d'autres lieux.—S.-M.

[971] Cette ville d'Aïla, Αἰλὰ, mentionnée encore par S. Jérôme (de Loc. Hebr.), est ordinairement appelée Ἐλάνα et Ἀίλανα dans les anciens (Ptol. l. 5, c. 17 et Steph. Byz. in Lex.). Procope (de Bell. Pers. l. 1, c. 19) la nomme Ἀϊλὰς. C'est la fameuse Ailath ou Elath de l'Écriture. La même dénomination se retrouve dans les auteurs arabes du moyen âge. Cette ville, actuellement ruinée, était située à l'extrémité septentrionale de l'un des deux golfes qui terminent la mer Rouge vers le nord, et au milieu desquels est la presqu'île du mont Sinaï. Le golfe oriental était celui qui menait à Aïlath ou Aïla, et il recevait de cette ville le nom d'Elanites ou d'Aïlanites.—S.-M.

[972] Ils étaient trois cents, selon Ammonius, qui a écrit les Actes des Martyrs de Raïthe.—S.-M.

[973] Clysma, Κλύσμα, était un fort, φρουρίον ou κάστρον, situé à la dernière extrémité du golfe occidental, qui termine la mer Rouge vers le nord. Il avait aussi un port à l'endroit où débouche le canal, ouvert par les rois Ptolémées, pour la facilité du commerce de l'Inde, et qui communiquait avec le Nil. Ce château, où les Romains entretenaient une garnison pour protéger le pays voisin contre les incursions des Arabes, subsista fort long-temps; il fut appelé Kolzoum par les Arabes, qui donnèrent son nom à la mer Rouge. Il est ruiné maintenant, et ses restes se voient dans les environs de la ville moderne de Suez. La position de ce fort a donné lieu à de grandes discussions entre les géographes. Voyez à ce sujet les Mémoires géographiques et historiques sur l'Égypte, par M. Ét. Quatremère, t. 1, p. 151-189.—S.-M.

[974] Ce lieu est appelé Raïthou, Ῥαῒθοῦ, dans les Actes des martyrs écrits par Ammonius. Il était dans une plaine, sur le bord oriental de la mer Rouge, s'étendant au loin vers le midi, sur une largeur de douze milles, μεχρὶ μιλίων ιβ', jusqu'aux montagnes qui forment le Sinaï, et qui s'élèvent comme une muraille, ὥσπερτεῖχος, qui semble inaccessible à ceux qui ne connaissent pas le pays, τοῖς ἀγνοῦσι τὸν τόπον εἶναι ἀδιάβατον. Cet endroit est appelé Elim dans l'Écriture; on y voyait encore les douze fontaines et les palmiers que l'Exode y marque.—S.-M.

[975] Ammonius, auteur des Actes des martyrs de Raïthe, les appelle Ismaélites de Pharan, τῶν Ἰσμαηλιτῶν τῶν οἰκούντων τὰ μέρη τῆς Φαρὰν, ou bien ἀνδρῶν Ἰσμαηλιτῶν ἀπὸ τῆς Φαρὰν. Illustr. Chr. Μart. triumphi ed. Combef. p. 99 et 124.—S.-M.

[976] La ville de Pharan était située non loin de l'extrémité méridionale de la presqu'île que forment les deux golfes qui terminent la mer Rouge, du côté du nord, auprès d'un cap à qui elle donnait son nom. Elle était donc entre l'Égypte et l'Arabie proprement dite, comme le rapporte Étienne de Byzance; Φαρὰν πόλις μεταξὺ Αἰγύπτον καὶ Ἀραβίας. Elle est ruinée maintenant.—S.-M.

[977] C'était le 2 tybi, selon Ammonius qui se sert du calendrier égyptien. Ce jour répondait effectivement au 28 décembre romain.—S.-M.

[978] Ammonius dit, p. 109, que c'étaient tous les laïcs de Pharan, οἱ λαϊκοὶ ὅσοι εὑρέθησαν ἐν τῷ τόπῳ τῶν Φαρανιτῶν.—S.-M.

[979] Ces Barbares sont plusieurs fois appelés Maures, Μαῦροὶ, dans la relation d'Ammonius; c'est sans doute à cause de la couleur de leur peau.—S.-M.

[980] Ils étaient au nombre de quarante-trois et habitaient séparément dans des cavernes creusées dans le roc. Il n'en échappa que trois; tous les autres furent égorgés par les Blemmyes. On compte, parmi eux, S. Paul, S. Psoès, Salathiel, Sergius et Jérémie. L'église célèbre leur mémoire le 14 janvier. L'histoire de leur martyre fut écrite par un certain Ammonius, solitaire, qui habitait ordinairement à Canope, non loin d'Alexandrie, et qui était leur contemporain. Cet ouvrage, écrit en langue égyptienne, fut traduit en grec par un prêtre nommé Jean, qui l'avait trouvé à Naucratis. On ignore l'époque à laquelle vivait ce traducteur, mais il est fort probable que ce n'était pas long-temps après Ammonius. Cette traduction a été publiée, à Paris, en 1660, par le père Combéfis dans son recueil in 8º, intitulé: Illustrium Christi martyrum lecti triumphi, vetustis Græcorum monumentis consignati.—S.-M.

[981] Dans le temps même où les Blemmyes ravageaient le territoire de Pharan, les Sarrasins, alors en guerre avec l'empire, attaquaient les monastères des solitaires du mont Sinaï. Tous les religieux, au nombre de quarante, qui se trouvèrent à Geth-rabbi, à Chobar et à Coder, furent tués. Il n'échappa que le supérieur Daulas et Ammonius, qui a écrit l'histoire de ce massacre.—S.-M.

[982] Ἀπὸ τῆς Φαρὰν Ὀβεδιανός τις ὀνόματι, πρῶτος τοῦ ἔθνους αὐτοῦ. Ammon. p. 101.—S.-M.

[983] Selon Ammonius, p. 124, les Pharanites perdirent dans cette affaire quatre-vingt-quatre hommes, sans compter un grand nombre de blessés.—S.-M.

XLII.

Guerre de Mavia reine des Sarrasins.

Socr. l. 4, c. 29.

Theod. l. 4, c. 23. Soz. l. 6, c. 38.

Theoph. p. 55.

Hermant, vie de S. Basile, l. 5, c. 21.

Till. Arian. art. 122 et Valens, art. 13.

Obédianus était chrétien[984]; les saints solitaires, retirés dans les déserts d'Arabie, avaient converti, plusieurs tribus de Sarrasins[985]; un autre de leurs chefs nommé Zocomès, avait aussi embrassé la foi catholique[986]. Obédianus étant mort, peu de temps après sa victoire sur les Blemmyes, sa veuve[987] Mavia, d'un courage au-dessus de son sexe, prit sa place, et se fit obéir de cette nation indocile[988]. Elle était née chrétienne, ayant été enlevée sur les terres de l'empire, par une troupe de Sarrasins[989]; de captive d'Obédianus, elle était devenue sa femme à cause de sa beauté. Dès qu'elle se vit seule maîtresse du royaume, elle rompit la paix avec les Romains, se mit elle-même à la tête de ses troupes, fit des courses en Palestine, et jusqu'en Phénicie, ravagea les frontières de l'Égypte[990], et livra plusieurs batailles, dont elle remporta tout l'honneur. Le commandant de Phénicie, demanda du secours, au général des armées d'Orient[991]; celui-ci, vint avec un corps d'armée considérable, et taxant de lâcheté le commandant qui ne pouvait résister à une femme, il lui ordonna de se tenir à l'écart avec ses soldats, et de demeurer simple spectateur du combat. La bataille étant engagée, les Romains pliaient déja et allaient être taillés en pièces, lorsque le commandant de Phénicie, oubliant l'insulte qu'il venait de recevoir, accourut au secours, se jeta entre les deux armées, couvrit la retraite du général d'Orient, et se retira lui-même en combattant l'ennemi, et le repoussant à coups de traits[992]. Comme la princesse guerrière continuait d'avoir partout l'avantage, il fallut rabattre de la fierté romaine, et lui demander la paix[993]; elle y consentit, à condition qu'on lui donnerait Moïse, pour évêque de sa nation. C'était un pieux solitaire, renommé pour ses miracles; on l'alla tirer de son désert[994], par ordre de l'empereur, et on le conduisit à Alexandrie, pour y recevoir l'ordination épiscopale. Athanase était mort le 2 mai de cette année[995]; et Lucius, que les Ariens s'efforçaient depuis long-temps de placer sur le siége d'Alexandrie, venait enfin d'en prendre possession par ordre de Valens. Moïse, qui n'acceptait l'épiscopat qu'à regret, refusa constamment, l'imposition des mains d'un usurpateur hérétique: il fallut l'envoyer aux prélats orthodoxes, relégués dans les montagnes. Le nouvel évêque acheva de détruire l'idolâtrie dans le pays de Pharan[996]; il maintint l'alliance de Mavia avec les Romains; et cette reine, pour gage de son attachement à l'empire, donna sa fille en mariage, au comte Victor[997].

[984] Ammonius lui donne, p. 128, le nom d'ami du Christ, φιλόχριστος Ὀβεδιανός. Il avait été converti par Moïse, un des religieux du monastère de Raïthe.—S.-M.

[985] Sozomène remarque, l. 6, c. 38, que, par suite des rapports que les Arabes du désert avaient eus avec les Juifs, beaucoup d'entr'eux avaient adopté les usages judaïques, νῦν Ἰουδαϊκῶς ζῶσιν. Les auteurs orientaux font la même remarque et nomment plusieurs des tribus arabes qui avaient embrassé la religion juive. Il s'en trouvait beaucoup dans les environs de la Mecque. Elles furent les premiers adversaires de Mahomet.—S.-M.

[986] Ce chef, selon Sozomène, l. 6, c. 38, se convertit avec toute sa tribu, λέγεται δὲ τότε καὶ φυλὴν ὅλην εἰς χριστιανισμὸν μεταβαλεῖν. Ζοκόμου τοῦ ταύτης φυλάρχου. Le même auteur rapporte qu'après cette conversion, la tribu de Zocomès, heureuse et forte en hommes, devint redoutable aux Perses et aux autres Sarrasins, ταύτην τὴν φυλὴν γενέσθαι φασὶν εὐδαίμονα καὶ πολυάνθρωπον, Πέρσαις τε καὶ τοῖς ἄλλοις Σαῤῥακηνοῖς φοβεραν.—S.-M.

[987] Ceci est une erreur. Aucun auteur ne rapporte que la reine Mavia ait été veuve d'Obédianus, prince des Ismaélites de Pharan; mais Sozomène, l. 6, c. 38, Socrate, l. 4, c. 36, et Théodoret, l. 4, c. 23, disent tous qu'elle était femme du roi des Sarrasins, dont la mort amena la guerre des Arabes contre les Romains. Aucun ne donne le nom de ce prince. «Dans le même temps, dit Sozomène, le roi des Sarrasins étant mort, les traités avec les Romains furent rompus.» Ὑπὸ δὲ τὸν αὐτὸν τοῦτον χρόνον, τελευτήσαντος τοῦ Σαρακηνῶν βασιλέως, αἱ πρὸς τοὺς Ρωμαίους σπονδαὶ ἐλύθησαν. Socrate s'exprime ainsi: «Les Sarrasins, autrefois liés par des traités, se révoltèrent contre les Romains, sous la conduite de Mavia, qui les commandait depuis la mort de son mari.» Σαρακηνοὶ οἱ πρώην ὑπόσπονδοι, τότε Ῥωμαίων ἀπέϛησαν, ϛρατηγούμενοι ὑπὸ Μαυΐας γυναικὸς, τοῦ ἀνδρὸς ἀυτῆς τελευτήσαντος. Théodoret se contente de dire que Mavia, oubliant les vertus de son sexe pour se revêtir d'un courage viril, était leur chef. Μαβία τούτων ἡγεῖτο, ὀυχ ὁρῶσα μὲν ἥν ἔλαχε φύσιν, ἀνδρείῳ δὲ φρονήματι κεχρημένη. Aucun de ces auteurs ne donne le nom du mari de cette princesse. Ammonius, celui qui a rédigé les Actes des martyrs de Raïthe, est le seul qui ait fait connaître Obédianus; et en ne le donnant que pour un petit chef des Sarrasins de Pharan, qui vivait après le commencement des hostilités contre les Romains, il montre qu'il ne put être le mari de Mavia. «Le chef de la phylarchie des Sarrasins étant mort, dit-il, une multitude de ces Barbares se jeta inopinément sur nous.» Ἄφνω ἐπιῤῥίπτει ἡμῖν πλῆθος Σαρακηνῶν ἀποθανόντος τοῦ κρατοῦντος τὴν φυλαρχίαν. Ammon. ap. Combef. p. 91. Il est évident qu'il s'agit dans ce passage du phylarque, du chef principal des Sarrasins, dont la mort amena une rupture avec l'empire. Aussitôt après, Ammonius fait mention d'Obédianus, chef des Pharanites, qui vint combattre les Blemmyes débarqués sur son territoire particulier. Il est évident, ce me semble, que Mavia, veuve du grand phylarque des Sarrasins, ne peut avoir été la femme du petit chef de Pharan, et que Lebeau s'est trompé en faisant entre eux un rapprochement auquel personne n'avait encore songé.—S.-M.

[988] Le nom de Moawiah qui semble être le même que celui de cette reine, est assez commun parmi les anciens Arabes, mais, à ce qu'il paraît, comme nom masculin seulement.—S.-M.

[989] Théophanes, dans sa Chronographie, p. 55, est le seul écrivain qui lui attribue cette origine.—S.-M.

[990] Après avoir ravagé, dit Sozomène, l. 6, c. 38, les villes de la Phénicie et de la Palestine, elle pénétra dans cette partie de l'Égypte, qui reçoit de ses habitants le nom d'Arabie, τὸ Ἀράβιον καλούμενον κλίμα οἰκούντων.—S.-M.

[991] Στρατήγος πάσης τῆς ἀνὰ τὴν ἕω ἱππικῆς τε καὶ πεζῆς στρατιᾶς. Sozom. l. 6, c. 38.—S.-M.

[992] Sozomène remarque, l. 6, c. 38, que les exploits de la reine Mavia, étaient célébrés dans les poésies des Sarrasins. Ταῦτα δὲ πολλοὶ τῶν τῇδε προσοικούντων, εἰσέτι νῦν ἀπομνημονεύουσι· παρὰ δὲ Σαρακηνοῖς, ἐν ᾠδαῖς ἐστίν.—S.-M.

[993] Cette paix fut conclue à ce qu'il paraît en l'an 377, peu de temps avant que Valens partît d'Antioche, pour retourner dans l'Occident combattre les Goths. Voyez Tillemont, Hist. des empereurs, t. 5, Valens, art. 13.—S.-M.

[994] Théodoret remarque, l. 4, c. 23, que ce religieux faisait son séjour habituel entre la Palestine et l'Égypte, ἐν μεθορίῳ τῆς Αἰγύπτου καὶ Παλαιστίνης. Ces paroles semblent indiquer le désert du mont Sinaï et de Pharan; il se pourrait donc, comme le pensait Tillemont, Histoire de l'Église, t. 7, p. 574 et 594, que cet évêque fût le supérieur du mont Sinaï, appelé Daulas, dont j'ai parlé ci-devant, p. 449, n. 1, et qui, comme nous l'apprend Ammonius, p. 91, était appelé Moïse par beaucoup de gens, ὅθεν οἱ πολλοὶ Μωϋσῆν αὐτὸν ἐκάλουν.—S.-M.

[995] Il y a cependant quelques doutes sur ce point. Voyez à ce sujet Tillemont, Hist. de l'Église, t. 8, S. Athanase, art. 116.—S.-M.

[996] Ce n'est pas seulement dans le pays de Pharan, mais c'est encore dans tous les pays soumis à la reine Mavia, qu'il dut répandre l'évangile.—S.-M.

[997] Θυγατέρα αὐτῆς τῷ στρατηλάτῃ κατεγγυῆσαι Βίκτορι. Ce fait ne se trouve que dans l'historien Socrate, l. 4, c. 36.—S.-M.

XLIII.

Persécution en Egypte.

Greg. Naz. or. 23, t. 1, p. 418 et 419.

Basil. ep. 139 t. 3, p. 230.

Epiph. hær. 68, § 10, t. 1, p. 726.

Ruf. l. 12, c. 3 et 4.

Oros. l. 7, c. 33.

Socr. l. 4, c. 20, 21, 22, 24 et 37.

Theod. l. 4, c. 20, 21 et 22.

Soz. l. 6, c. 19 et 20.

Paul. diac. hist. misc. in Valen. ap. Murat. t. 1, part. 1, p. 82.

Suid. n Ὀυάλης.

La mort d'Athanase fit renaître toutes les horreurs dont Alexandrie avait été deux fois le théâtre, pendant la vie de ce saint prélat. Pierre, le fidèle compagnon de ses travaux, qu'il avait en mourant, désigné pour son successeur, ne fut pas plus tôt établi par le suffrage du clergé, du peuple, et des évêques des contrées voisines, que Palladius préfet d'Égypte, qui était païen, saisit cette occasion de venger ses dieux, en servant la haine de l'empereur contre les catholiques. Il rassemble une troupe d'idolâtres et de juifs, entre par force dans l'église, profane le sanctuaire et l'autel par les abominations les plus exécrables; il anime lui-même l'insolence et la fureur de sa cohorte effrénée. On massacre les hommes, on foule aux pieds les femmes enceintes; on traîne toutes nues dans les rues de la ville les filles chrétiennes; on les abandonne à la brutalité des païens; on les assomme, avec ceux que la compassion excitait à leur défense; on refuse à leurs parents la triste consolation de leur donner la sépulture. Bientôt arrivent, Euzoïus évêque arien d'Antioche, et le comte Magnus, intendant des finances, celui qui s'était signalé en faveur du paganisme, sous le règne de Julien[998]; ils ramenaient comme en triomphe Lucius, le dernier persécuteur d'Athanase. Les sollicitations des Ariens, et les sommes d'argent répandues à la cour, avaient enfin couronné son ambition: les païens le reçurent avec joie; et au lieu des psaumes et des hymnes, dont les villes retentissaient d'ordinaire, à la première entrée des évêques, on entendait crier de toutes parts: Tu es l'ami de Sérapis, c'est le grand Sérapis qui t'amène à Alexandrie. La conduite du nouveau prélat répondit à ces acclamations impies; armé de l'autorité impériale, il mit en œuvre la cruauté de Magnus. Ce comte fit venir en sa présence les prêtres, les diacres, et les moines les plus distingués par leurs vertus, dont plusieurs avaient passé quatre-vingts ans; après avoir beaucoup vanté la clémence de l'empereur, qui n'exigeait d'eux, disait-il, que de souscrire à la doctrine d'Arius, il entreprit de leur persuader, que cette signature n'intéressait point leur conscience; qu'ils pouvaient conserver leur opinion dans le cœur, pourvu que leur main se prêtât à l'obéissance, et que la nécessité, serait devant Dieu une excuse légitime. Le comte, ne les trouvant pas disposés à profiter de ces leçons, les fit jeter en prison, et les y laissa plusieurs jours, espérant affaiblir leur courage; mais voyant que les mauvais traitements et les menaces ne servaient qu'à les affermir de plus en plus, il les fit cruellement tourmenter, dans la place publique d'Alexandrie, et les envoya, les uns aux mines de Phéno[999], les autres aux carrières de Proconnèse, d'autres à Héliopolis en Phénicie, ville peuplée de païens, qui les accablèrent d'outrages. Leur départ, causa une douleur extrême dans Alexandrie; le peuple les accompagna jusqu'à la mer, en versant des larmes, et suivit des yeux leur vaisseau, avec des cris lamentables. La persécution s'étendit par toute l'Égypte; les supplices, que la rage de l'idolâtrie avait inventés contre les chrétiens, se renouvelèrent avec plus de fureur contre les catholiques, par un effet de cet acharnement naturel aux divers partis d'une même religion. On vit des hommes dévorés par les bêtes, dans les spectacles du Cirque. Onze évêques d'Égypte[1000], qui s'étaient rendu redoutables aux Ariens par leur sainteté et par leur doctrine, furent envoyés en exil. Les déserts n'étaient plus un asile; trois mille soldats, commandés et conduits par Lucius, allèrent porter le trouble et la terreur dans les tranquilles solitudes de Nitrie et de Scétis[1001]. On y chassait les moines de leurs cellules, on les égorgeait, on les lapidait: ceux qu'on traitait avec le moins d'inhumanité, étaient dépouillés, enchaînés, battus de verges, traînés à Alexandrie, où par ordre de l'empereur, on les forçait de s'enrôler dans la milice[1002]. Pierre avait échappé aux meurtriers, avant l'arrivée de l'usurpateur; et, s'étant secrètement embarqué, il se réfugia à Rome, auprès du pape Damase, où il demeura jusqu'à la mort de Valens. Pour mettre sous les yeux des Romains une image des cruautés exercées dans Alexandrie, il porta avec lui une robe teinte du sang des martyrs, et il instruisit toute la terre, de ces horribles violences, par une lettre pathétique, adressée à l'église universelle[1003]. Lucius, méprisé tant qu'Athanase avait vécu, devint le tyran d'Égypte, et conserva cette injuste puissance pendant les cinq années suivantes.

[998] Voyez ci-dev. p. 183, liv. XV, § 24.—S.-M.

[999] Le lieu, nommé Phéno, Phénon on Phinon, où il se trouvait des mines de cuivre dans lesquelles on forçait les criminels de travailler, était situé dans le désert qui s'étend au midi de la Palestine, dans l'ancien pays d'Edom, ou l'Idumée, entre la ville de Pétra, capitale du canton habité par les Arabes Nabathéens, et la ville de Zoora, en arabe Zoghar, la Ségor de l'Écriture, qui se trouvait à l'extrémité méridionale du lac Asphaltide, ou mer Morte. C'est ce que dit Eusèbe dans son traité De locis hebraicis: Φινῶν ἔν κατῴκησεν Ἰσραὴλ ἐπὶ τῆς ἐρήμου · ἦν δὲ καὶ πόλις Ἐδώμ. Αὕτη ἐστὶ Φαινῶν, ἔνθα τὰ μέταλλα τοῦ χαλκοῦ, μεταξὺ κειμένη Πέτρας πόλεως καὶ Ζοορῶν. Il serait possible cependant que les confesseurs de la foi, persécutés par les Ariens, n'eussent pas été envoyés en cet endroit par le préfet d'Égypte. Théodoret, le seul auteur qui parle de ce fait, l. 4, c. 22, d'après la lettre de Pierre, patriarche d'Alexandrie, adressée au pape Damase, appelle Phennès le lieu de leur déportation. Ces exilés, dit-il, furent conduits aux mines de Phennès, τοῖς κατὰ Φεννης παρεδόθη μετάλλοις. C'étaient des mines de cuivre comme celles de Phéno: ἔστι δὲ ταῦτα χαλκοῦ. Un peu avant, le même auteur s'était servi du nom dérivatif de ce lieu; on les avait envoyés, disait-il, aux mines Phennésiennes, τοῖς Φεννησίοις παρεδίδοντο μετάλλοις. Cette différence d'orthographe semblerait indiquer qu'il s'agit dans Théodoret d'un autre lieu, différent de Phéno dans l'Idumée, et où il pouvait aussi se trouver des mines de cuivre. Ceci est d'autant plus vraisemblable, qu'il est certain qu'il se trouvait dans ces contrées plusieurs autres lieux dont le nom était à peu près pareil. Le voyageur Burckhardt a découvert tout récemment à Misséma, dans le Hauran, pays au nord de la Palestine, entre cette province et Damas, plusieurs inscriptions grecques lesquelles font voir que ce lieu, situé dans l'ancienne Trachonite, fut autrefois habitée par des Phénésiens, dont il tirait son nom. La principale de ces inscriptions contient une lettre du gouverneur de la province, Julius Saturninus, aux habitants de ce lieu, qualifié de bourgade-mère dans la Trachonite, Ἰούλιος Σατουρνῖνος Φαινησίοις μητροκωμίᾳ τοῦ Τράχωνος χαίρειν. Cette indication fait voir que ce bourg est l'endroit appelé Φαινὰ, dans le Synecdème d'Hiéroclès (apud Wessel. Itiner. veter. page 723), qui était aussi dans la Trachonite, et qui a été confondu mal à propos avec Phéno de l'Idumée. Voyez à ce sujet Burckhardt, Travels in Syria and holyland, p. 116 et suiv. et le Journal des Savants, 1822, p. 616.—S.-M.

[1000] Leurs noms se trouvent dans S. Épiphanes, hæres. 72, tome 1, page 842; c'étaient Eulogius, Adelphius, Alexandre, Ammonius, Harpocration, Isaac, Isidore, Aunubion, Pétrinus, Euphratius et Aaron.—S.-M.

[1001] Toute la partie de l'Égypte, située au midi du lieu où le Nil se divise en plusieurs bras pour former le Delta, est une vallée longue et étroite, traversée dans toute sa longueur par le fleuve. Cette vallée, mal défendue à droite et à gauche contre les envahissements du désert, par des montagnes arides et sablonneuses, n'est composée que des terres cultivables que le Nil inonde tous les ans de ses eaux. Un peu au-dessus du lieu où fut l'antique Memphis, sur le côté occidental du fleuve, entre cette ville et la province de Fayoum (le nome Arsinoïte des anciens), que les sables environnent de tous les côtés, on trouve une vallée sablonneuse qui se prolonge jusqu'à une fort grande distance dans le désert. Elle conduit à une espèce d'oasis, d'une étendue très-circonscrite, située à-peu-près à une égale distance d'Alexandrie et de Memphis. C'est dans ce canton séparé, par la nature, de tous les pays habités, que les pieux cénobites, qui étaient en si grand nombre dans le quatrième et le cinquième siècle de notre ère, avaient choisi leur retraite; aussi y trouvait-on une multitude de monastères. Les auteurs anciens l'appellent Scytis, Scétès, Scithis, Scytiaca et Scythium; ce ne sont que des altérations du nom égyptien Schihet, que portaient ces solitudes. Il signifie balance du cœur; mais c'est en vain qu'on a voulu établir un rapport entre ce sens et la destination religieuse de ce lieu, on doit le regarder comme fortuit, puisque le nom dont il s'agit se trouve déja dans la géographie de Ptolémée. Au milieu de ce canton, il y avait une colline sur laquelle était élevé le principal de ces monastères, désigné plus particulièrement sous le nom de Scétis ou Scété. On y trouvait encore le Lycus, ruisseau assez considérable, et un lac ou un marais célèbre par la grande quantité de natron qu'il produit. C'est à cette production naturelle que cette région dut le nom de Nitriotis, que lui donnèrent aussi les anciens, et qui fit appeler Nitrie un des monastères qu'elle contenait. M. Étienne Quatremère, membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, a donné de longs et curieux détails sur cette contrée dans ses Mémoires géographiques et historiques sur l'Égypte, t. 1, p. 451-490.—S.-M.

[1002] Indépendamment du fanatisme religieux qui fut le principal et véritable moteur de cette persécution, il paraît que l'on voulut la faire passer pour l'application d'une loi qui se trouve encore dans le Code théodosien, l. 12, tit. 1, leg. 63, et dont l'objet était de mettre des bornes au goût de la vie monastique, qui faisait alors des progrès alarmants pour l'état.—S.-M.

[1003] Cette lettre très-longue et très-détaillée a été insérée presque toute entière dans l'Histoire ecclésiastique de Théodoret, l. 4, c. 22.—S.-M.

XLIV.

Troubles d'Afrique.

Amm. l. 27, c. 9, et l. 28, c. 6, et l. 30, c. 2.

Les autres contrées de l'Afrique éprouvaient, dans le même temps, d'autres malheurs: la Tripolitaine[1004], déja ravagée par les Barbares, ne souffrait pas moins, de la part des officiers chargés de la défendre; et la révolte de Firmus, qui éclata cette année, désolait la Mauritanie. L'avarice, et les impostures du comte Romanus, furent la cause de ces désastres: cette sanglante tragédie, chargée d'intrigues et de funestes incidents, commença avant le règne de Valentinien, et ne fut terminée que sous celui de Gratien; pour n'en pas interrompre le fil, nous en avons jusqu'ici différé le récit, et nous en allons donner toute la suite.

[1004] Cette province devait son nom à ce qu'elle contenait trois villes principales, unies par une sorte d'alliance. Ces villes étaient Leptis, Sabrata et Œa; c'est à celle-ci que le nom de Tripoli est resté.—S.-M.

XLV.

Plaintes de ceux de Leptis éludées par les intrigues du comte Romanus.

Jovien vivait encore, lorsque les habitants de Leptis attaqués par les Austuriens, ainsi que nous l'avons raconté[1005], implorèrent le secours de Romanus, commandant des troupes en Afrique[1006]: ce général avare ayant exigé, pour les défendre, des conditions auxquelles il était impossible de satisfaire[1007], ils résolurent de porter leurs plaintes à l'empereur[1008]; ils nommèrent pour députés Sévère et Flaccianus; et sur la nouvelle que Valentinien venait de succéder à Jovien, on les chargea en même temps de lui offrir, selon la coutume, les présents de la province Tripolitaine[1009]. Romanus n'était pas moins artificieux, que cruel et avare; il avait à la cour un puissant appui, dans la personne de Rémigius, qui fut depuis maître des offices[1010], avec lequel il partageait le fruit de ses rapines, pour en acheter l'impunité. Il savait que l'empereur, prévenu en faveur de ses officiers, ne voulait jamais les croire coupables, et qu'il ne punissait que les subalternes; dès qu'il fut instruit de la résolution des Leptitains, il dépêcha en toute diligence un courrier à Rémigius, pour le prier de faire en sorte que l'empereur voulût bien s'en rapporter sur toute cette affaire à lui-même et au vicaire d'Afrique, dont il était sûr: c'était demander avec impudence, que le coupable fût déclaré juge. Les députés vinrent à la cour: ils exposèrent leurs malheurs, et présentèrent le décret de la province, qui en détaillait toutes les circonstances; Ruricius, gouverneur de la Tripolitaine, y avait joint son rapport, conforme aux plaintes des habitants. L'empereur en fut frappé: Rémigius fit l'apologie de Romanus; mais ses mensonges ne purent cette fois que balancer la vérité. Valentinien promit de faire justice, après une exacte information; il accorda même à la prière des députés, qu'en attendant sa décision, Ruricius serait chargé du commandement des armées, aussi-bien que du gouvernement civil. Les amis du coupable éludèrent ces dispositions équitables de l'empereur; ils obtinrent, que le commandement demeurât au comte Romanus, et vinrent à bout d'éloigner l'information, et de la faire enfin tout-à-fait oublier, en mettant toujours en avant d'autres affaires, qu'ils disaient plus importantes et plus pressées.

[1005] Voyez ci-devant, p. 186, l. XV, § 27.—S.-M.

[1006] Il y était depuis peu de temps; præsidium imploravere Romani comitis per Africam recens provecti. Amm. Marc. l. 28, c. 6.—S.-M.

[1007] C'était de faire un amas considérable de vivres et de réunir quatre mille chameaux. Abundanti commeatu aggesto, et camelorum quatuor millibus apparatis. Amm. Marc. l. 28, c. 6.—S.-M.

[1008] Cette résolution fut prise, selon Ammien Marcellin, l. 28, c. 6, dans l'assemblée générale de la province qui se tenait une fois par an, adlapso legitimo die concilii quod apud eos est annuum.—S.-M.

[1009] C'étaient des statues d'or qui représentaient des Victoires. Severum et Flaccianum creavere legatos, Victoriarum aurea simulacra Valentiniano ob imperii primitias oblaturos. Amm. Marc. l. 28, c. 6.—S.-M.

[1010] Le texte d'Ammien Marcellin fait voir qu'il occupait alors cette charge. Cet auteur remarque de plus que Rémigius était parent de Romanus; misso, dit-il, equite velocissimo magistrum officiorum petit Remigium, affinem suum rapinarum participem. Amm. Marc. l. 28, c. 6.—S.-M.

XLVI.

Nouvelles incursions des Austuriens.

La province de Tripoli attendait, avec impatience, quelque soulagement de la part de l'empereur; lorsque les Barbares, animés par leurs premiers succès, revinrent en plus grand nombre, ravagèrent le territoire de Leptis et celui d'Œa[1011], ville considérable de la même contrée, massacrèrent les principaux du pays[1012], qu'ils surprirent sur leurs terres, et se retirèrent avec un riche butin. Valentinien était alors dans la Gaule; la nouvelle de cette seconde incursion réveilla dans son esprit le souvenir de la première: il envoya le secrétaire Palladius[1013], pour payer les troupes d'Afrique, et pour prendre connaissance de l'état de la Tripolitaine. Avant que celui-ci fût arrivé, les Austuriens, semblables à ces animaux féroces qui reviennent affamés à l'endroit où ils se sont déja repus de carnage[1014], accoururent une troisième fois; ils égorgèrent ceux qui tombèrent entre leurs mains, coupèrent les arbres et les vignes, enlevèrent tout ce qu'ils n'avaient pu emporter, dans les irruptions précédentes. Teints de sang et chargés de butin, ils s'approchèrent de Leptis, conduisant devant eux un des premiers de la ville, nommé Mychon, qu'ils avaient surpris dans une de ses métairies; il était blessé, et ils menaçaient de l'égorger, si l'on ne payait sa rançon. Sa femme traita avec eux du haut des murailles; et leur ayant jeté l'argent qu'ils demandaient, elle le fit enlever par-dessus le mur avec des cordes; il mourut deux jours après. Les habitants et surtout les femmes, qui n'avaient jamais vu leur ville assiégée, se croyaient perdus sans ressource; tout retentissait de gémissements et de cris. Cependant, après huit jours de siége, les Barbares qui n'entendaient rien à l'attaque des places, voyant plusieurs des leurs tués et blessés, se retirèrent, en détruisant tout sur leur passage.

[1011] C'est celle qu'on appelle actuellement Tripoli de Barbarie.—S.-M.

[1012] C'étaient des décurions, parmi lesquels étaient le pontife Rusticianus et l'édile Nicasius. Occisis decurionibus multis: inter quos Rusticianus sacerdotalis et Nicasius enitebat ædilis. Amm. Marc. l. 28, c. 6.—S.-M.

[1013] Tribunus et notarius Palladius mittitur. Amm. Marc. l. 28, c. 6.—S.-M.

[1014] Ut rapaces alites advolarunt, irritamento sanguinis atrociùs efferatæ. Amm. Marc. l. 28, c. 6.—S.-M.

XLVII.

Succès des artifices de Romanus.

Les envoyés de Leptis, n'étant pas encore de retour, les habitants, dont les malheurs croissaient sans cesse, députèrent de nouveau Jovinus et Pancratius; ceux-ci rencontrèrent à Carthage Sévère et Flaccianus, qui leur apprirent que Palladius était en chemin; ils ne laissèrent pas de continuer leur voyage. Sévère mourut de maladie à Carthage, et Palladius arriva dans la Tripolitaine; Romanus, bien averti de l'objet de sa commission, s'avisa d'un stratagème que lui suggéra une ingénieuse scélératesse. Pour lui fermer la bouche, il résolut de le rendre lui-même coupable; il fit entendre aux officiers des troupes, que Palladius était un homme puissant, qui avait l'oreille de l'empereur, et que s'ils voulaient s'avancer, il fallait acheter sa recommandation, en lui faisant accepter une partie de l'argent qu'il apportait pour le paiement des soldats. Ce conseil fut suivi, et Palladius ne refusa point le présent; il alla ensuite à Leptis, et, pour s'instruire de la vérité, il s'adressa à deux habitants distingués, nommés Érechthius et Aristoménès, qui lui firent une peinture fidèle de leurs calamités, et le conduisirent sur les lieux ravagés par les Barbares; Palladius, témoin lui-même du déplorable état de ce pays, vint trouver Romanus, lui reprocha sa négligence, et le menaça d'informer le prince, de ce qu'il avait vu: A la bonne heure, lui répondit le comte, mais je l'informerai, moi, de votre péculat: il saura que vous avez appliqué à votre profit une partie de la solde de ses troupes[1015]. Ce peu de paroles adoucit Palladius; il devint ami de Romanus; et de retour à Trèves, il persuada à l'empereur, que les plaintes des Tripolitains, n'étaient qu'un tissu de calomnies.

[1015] Ille ira percitus et dolore, se quoque mox referre firmavit, quòd missus ut notarius incorruptus, donativum militis omne in quæstus averterit proprios. Amm. Marc. l. 28, c. 6.—S.-M.

XLVIII.

Innocents mis à mort.

Il fut renvoyé en Afrique avec Jovinus, l'un des deux derniers députés; l'autre était mort à Trèves; Palladius était chargé, conjointement avec le vicaire d'Afrique, de vérifier les faits allégués par la seconde députation: il avait ordre encore, de faire couper la langue à Érechthius et à Aristoménès qu'il avait, contre sa propre conscience, dépeints comme des imposteurs[1016]. Romanus, dont la fourberie était inépuisable en ressources, ne fut pas plus tôt instruit des ordres donnés pour cette seconde information, qu'il résolut d'en profiter, pour se défaire de tous ses adversaires. Il envoya à Leptis deux scélérats adroits, et propres aux plus noires intrigues; l'un, nommé Cécilius, était conseiller[1017] au tribunal de la province: par leur moyen, il corrompit un grand nombre d'habitants, qui désavouèrent Jovinus; et Jovinus lui-même, intimidé par des menaces secrètes, démentit le rapport qu'il avait fait à l'empereur. Palladius instruisit Valentinien de ces rétractations; et ce prince, se croyant joué par les accusateurs de Romanus, condamna à la mort Jovinus, et trois autres habitants[1018], comme complices de ses calomnies. Il prononça le même arrêt contre Ruricius; et ce gouverneur intègre, qui n'avait d'autre crime, que d'avoir, selon le devoir de sa charge, travaillé à soulager les maux de sa province[1019], fut exécuté à Sitifis[1020] en Mauritanie. Le vicaire[1021] fit mourir les autres à Utique; Flaccianus fut assez heureux pour s'évader de la prison: il se retira à Rome, où il demeura caché jusqu'à sa mort, qui arriva peu de temps après. Érechthius et Aristoménès se sauvèrent dans des déserts éloignés, dont ils ne sortirent, que sous le règne de Gratien.

[1016] Præter hæc linguas Erechthii et Aristomenis præcidi jusserat imperator, quos invidiosa quædam locutos idem Palladius intimarat. Amm. Marc. l. 28, c. 6.—S.-M.

[1017] Consiliarium.—S.-M.

[1018] Ils se nommaient Célestinus, Concordius et Lucius.—S.-M.

[1019] On l'accusait encore de s'être servi dans ses rapports d'expressions peu mesurées, hoc quoque accedente, dit Ammien Marcellin, l. 28, c. 6, quὸd in relatione ejus verba quædam (ut visum est) immodica legebantur.—S.-M.

[1020] Cette ville qui donnait le nom de Sitifensis à toute la partie occidentale de la Mauritanie, dont elle était capitale, jouissait du titre et des droits de colonie romaine. D'Anville (Geograph. abrég. t. 3, p. 101) indique dans le pays de la régence d'Alger un lieu nommé Sétif qui doit y répondre selon lui. Au vrai, on ignore encore quelle fut la situation de cette ville, aussi-bien que celle de presque toutes les autres places de cette partie de l'Afrique qui s'éloigne des côtes.—S.-M.

[1021] Cet officier se nommait Crescens; on voit par une loi rendue sous le deuxième consulat de Gratien et de Probus, qu'il exerçait ses fonctions en l'an 371.—S.-M.

XLIX.

Découverte et punition de l'imposture.

La Tripolitaine fut réduite à souffrir sans se plaindre; mais l'œil de la justice éternelle[1022], qui ne dort jamais, suivit partout les coupables, et tira enfin la vérité de ce labyrinthe ténébreux. Palladius, disgracié pour un sujet qu'on ignore, se retira de la cour; quelques temps après, Théodose étant venu en Afrique, pour réprimer la rébellion de Firmus, dont nous allons bientôt parler, fit arrêter le comte Romanus, et se saisit de ses papiers; il y trouva une lettre[1023], qui prouvait manifestement, que Palladius en avait imposé à l'empereur[1024], et il l'envoya au prince. Palladius fut arrêté; et pressé par les remords de ses crimes, il s'étrangla dans la prison. Rémigius ne lui survécut pas long-temps; Léon lui ayant succédé, dans la charge de maître des offices, il s'était retiré dans ses terres près de Mayence [Mogontiacum], où il était né. Maximin, préfet des Gaules, avide de condamnations et de supplices, jaloux d'ailleurs du crédit dont Rémigius avait joui long-temps, cherchait l'occasion de le perdre; il fit mettre à la question un nommé Césarius, qui avait eu part à la confiance de Rémigius, et qui révéla toutes ses impostures. Dès que Rémigius en fut averti, il prévint la punition qu'il méritait, en s'étranglant lui-même.

[1022] Vigilavit justitiæ oculus sempiternus, ultimæque legatorum et præsidis diræ. Amm. Marc. l. 28, c. 6. Il dit ailleurs, l. 30, c. 6, en se servant de la même métaphore, sempiternus vindicavit justitiæ vigor.—S.-M.

[1023] C'était une lettre d'un certain Métérius, adressée à Romanus son patron. Domino patrono Romano Meterius. Amm. Marc. l. 28, c. 6.—S.-M.

[1024] «De ce que, y est-il dit, dans l'affaire des Tripolitains, il avait menti aux oreilles sacrées.» Quὸd in causa Tripolitanorum apud aures sacras mentitus est. Amm. Marc. l. 28, c. 6.—S.-M.

L.

Suite de cette affaire sous Gratien.

Après la mort de Valentinien, Érechthius et Aristoménès se présentèrent à Gratien, et l'instruisirent de la vérité, qui n'avait jamais été entièrement connue de son père. Ce prince les adressa au proconsul Hespérius[1025], et au vicaire Flavianus[1026], magistrats éclairés, et dont la justice était incorruptible. Ils firent arrêter Cécilius; il avoua dans la question que c'était lui qui avait engagé les habitants à désavouer leurs propres députés; sa déposition fut envoyée à Gratien. Romanus, toujours prisonnier depuis que Théodose l'avait fait arrêter, ne se tint pas encore pour convaincu; aussi hardi à nier ses crimes qu'à les commettre, il obtint d'être transporté à Milan, où la cour était alors. Il y fit venir Cécilius, à dessein d'accuser le proconsul et le vicaire, d'avoir trompé l'empereur, pour favoriser la province; il trouva même un protecteur dans le comte Mellobaudès, qui pouvait beaucoup auprès de Gratien; et il eut le crédit de faire appeler à Milan plusieurs Tripolitains, dont la présence était, disait-il, nécessaire à sa justification; ils vinrent en effet; mais Romanus, ne put ni les intimider, ni les corrompre: ils persistèrent à déposer la vérité. L'histoire ne parle plus de Romanus; et le principal acteur de tant d'impostures et de scènes sanglantes disparaît tout à coup, sans qu'on soit instruit de son sort. Il serait bien étrange, que ce monstre de cruauté, d'avarice et de fourberie, après avoir si long-temps trompé son souverain, et fait périr tant d'innocents, convaincu enfin des plus noirs forfaits, eût échappé au supplice, et qu'il n'eût été puni que par les malédictions de ses contemporains, et l'horreur de la postérité.

[1025] On voit par une loi insérée dans le Code Théodosien, qu'Hespérius qui était proconsul d'Afrique en l'an 376, fut dans la suite préfet du prétoire des Gaules.—S.-M.

[1026] Une autre loi du Code Théodosien nous fait voir que Flavianus exerçait les fonctions de vicaire d'Afrique, en l'an 377. En l'an 382, il était préfet du prétoire d'Illyrie et d'Italie, charge qu'il occupa de nouveau en 391. On apprend d'une inscription antique qu'il s'appelait Virius Nicomachus Flavianus.—S.-M.

LI.

Révolte de Firmus.

Amm. l. 29, c. 5.

[Aurel. Vict. epit. p. 230.]

Zos. l. 4, c. 16.

Oros. l. 7, c. 33.

Symm. l. 1, ep. 64.

S. Aug. ep. 87, t. 2, p. 213, et in Parmen. l. 1, c. 10 et 11, t. 9, p. 22 et 23.

Ce furent encore ses pernicieuses intrigues, qui jetèrent Firmus dans le désespoir: la haine que le comte s'était attirée, donna des partisans au rebelle, et pensa faire perdre à l'empire les vastes contrées de la Mauritanie, ainsi que nous l'allons raconter. Nubel, qui tenait le premier rang entre les Maures[1027], laissa en mourant sept fils, Firmus, Zamma, Gildon, Mascizel, Dius, Salmacès, Mazuca, et une fille nommée Cyria. Zamma, lié d'amitié avec le comte Romanus, fut assassiné par Firmus, son frère; le comte résolut de faire punir le meurtrier, et ce dessein, n'avait rien que de louable; mais Romanus ne savait poursuivre la justice même, que par des voies obliques et injustes. Les amis qu'il avait à la cour, et surtout Rémigius, appuyèrent auprès du prince le rapport de Romanus, et ôtèrent à Firmus tous les moyens de défense qu'on accorde aux plus grands criminels: l'empereur ne voulut ni écouter ses envoyés, ni recevoir ses apologies. Firmus, voyant qu'il allait être la victime de cette cabale, prévint sa perte par la révolte[1028]; il y trouva les esprits disposés; les concussions du comte soulevaient tout le pays; un grand nombre de soldats romains, et même des cohortes entières, vinrent se ranger sous les drapeaux du rebelle. Suivi d'un grand corps de troupes, il entra dans Césarée, capitale de la province[1029]: c'est aujourd'hui la ville d'Alger; il la saccagea[1030] et la réduisit en cendres. Fier de ce succès, il prit le titre de roi[1031], et ce fut un tribun romain, qui lui posa son collier sur la tête, pour lui tenir lieu de diadème. Les Donatistes, furent les plus ardents à se déclarer en sa faveur[1032]; comme ils étaient divisés en deux sectes, l'une s'appuya de ses armes pour écraser l'autre[1033]. Un de leurs évêques, lui livra la ville de Rucate[1034], où il ne maltraita que les catholiques.

[1027] Il paraît que ce chef barbare portait parmi les siens le titre de roi. Nubel velut regulus per nationes Mauricas potentissimus, dit Ammien Marcellin, l. 29, c. 5. Saint Augustin n'hésite pas à appeler Firmus, fils de Nubel, un roi barbare. Regem barbarum Firmum, dit-il (in Parmen. l. 1, c. 10, t. 9, p. 22). J'aurai dans la suite plusieurs fois occasion de faire remarquer que, pendant la domination des Romains sur l'Afrique, il existait un grand nombre de chefs indigènes, maures, numides, gétules ou libyens, qui prenaient le titre de rois, et étaient restés à peu près indépendants au milieu du mont Atlas.—S.-M.

[1028] Ab imperii ditione descivit; une lacune qui se trouve après ces mots dans le texte d'Ammien Marcellin, l. 29, c. 5, nous empêche de connaître quelles furent d'après cet historien les premières entreprises de Firmus. Cette révolte dut arriver en l'an 372; car on voit, par une loi de cette année, que, le 29 juin, Romanus était encore comte de l'Afrique; et Rémigius, maître des offices, qui, par sa connivence, fut cause de cette guerre, mourut en l'an 373. Voyez Tillemont, Hist. des emper. Valentinien, note 47.—S.-M.

[1029] Cæsaream, urbem nobilissimam Mauritaniæ, barbaris in prædam dedit. Oros. l. 7, c. 33.—S.-M.

[1030] On peut au sujet de la belle conduite que l'évêque Clément tint en cette circonstance, consulter une lettre de Symmaque, l. 1, ep. 64. Voyez ci-après, § 55, p. 472.—S.-M.

[1031] Hujus tempore Firmus apud Mauritaniam regnum invadens. Vict. epit. p. 230. Orose dit la même chose plus clairement, l. 7, c. 33: Interea in Africæ partibus Firmus sese, excitatis Maurorum gentibus, regem constituens, Africam Mauritaniamque vastavit. St. Augustin, comme je l'ai déja remarqué, p. 465, note 1, ne balance pas à lui donner le titre de roi. Bien plus, selon Zosime, l. 4, c. 16, il se serait revêtu de la pourpre et aurait pris le titre d'empereur. Son témoignage est formel. Λίβυες... Φίρμῳ τὴν ἁλουργίδα δόντες, ἀνέδειξαν βασιλέα.—S.-M.

[1032] Quoiqu'il eût été le plus cruel ennemi des Romains, ces sectaires regardaient cependant Firmus comme un prince légitime; c'est ce que dit Saint Augustin, in Parmen. l. 1, c. 10, t. 9, p. 22. Etsi illum licet hostem immanissimum Romanorum in legitimis numerent. Cette observation de l'évêque d'Hippone est encore une preuve indirecte que Firmus avait pris effectivement le titre d'empereur.—S.-M.

[1033] Les Donatistes dissidents portaient le nom de Rogatistes. Ils embrassèrent le parti de Firmus, d'où ils reçurent le nom de Firmianiens, comme l'atteste S. Augustin, ep. 87, t. 2, p. 213, de Rogatensibus non dixerim, qui vos Firmianos appellare dicuntur.—S.-M.

[1034] Cette ville, nommée aussi Rusicade, était dans la Numidie ou Mauritanie Césarienne. Elle était sur le bord de la mer.—S.-M.

LII.

Théodose envoyé contre Firmus.

Valentinien qui était encore à Trêves, mais qui bientôt après, se transporta à Milan[1035], crut qu'il devait opposer à ce rebelle entreprenant et hardi un général aussi prudent que brave et intrépide. Il donna à Théodose quelques-unes des troupes de la Gaule; mais pour ne pas trop dégarnir cette province, où l'on craignait toujours les incursions des Allemans, il tira des cohortes, de la Pannonie et de la Mésie supérieure. Théodose partit d'Arles, et aborda à [Igilgili][1036], dans la Mauritanie [Sitifense][1037], avant qu'on eût en Afrique, aucune nouvelle de son départ; il y trouva le comte Romanus, qui commençait à être suspect à l'empereur: il avait un ordre secret de l'arrêter; mais comme ses troupes n'étaient pas encore arrivées, craignant que ce méchant homme ne se portât à quelque extrémité dangereuse, il se contenta de lui reprocher avec douceur sa conduite passée, et l'envoya à Césarée, avec ordre de veiller à la sûreté de ces quartiers; il fit aussi de fortes réprimandes à Vincentius, lieutenant de Romanus[1038], et complice de ses rapines et de ses cruautés[1039]. Lorsqu'il eut réuni, tout ce qu'il attendait de troupes, il donna des gardes à Romanus, et se rendit à Sitifis.

[1035] On voit par les lois insérées dans le Code Théodosien que Valentinien se trouvait à Milan depuis le 28 juin jusqu'au 18 novembre de l'an 372. Il y était encore le 5 février 373, mais il retourna bientôt dans les Gaules, et il était à Trèves le 21 mai.—S.-M.

[1036] Cette ville est Gigéri, place maritime du royaume d'Alger.—S.-M.

[1037] Ad Sitifensis Mauritaniæ litus, quod appellant accolæ Igilgitanum. Amm. Marc. l. 39, c. 5.—S.-M.

[1038] L'ordre d'arrêter cet officier fut exécuté par Gildon, frère de Firmus, et par un certain Maxime. Ce Gildon fut dans la suite comte d'Afrique, et oubliant le sort de son frère, comme le dit Claudien (de bello Gildon., v. 333 et seq.), il se révolta contre Honorius.

.............. Firmum jacentem
Obliti, Libyam nostro sudore receptam
Rursus habent? ausus Latio contendere Gildon?
Germani nec fata timet?

[1039] Qui curans Romani vicem, incivilitatis ejus erat particeps et furtorum. Amm. Marc. l. 29, c. 5.—S.-M.

LIII.

Conduite prudente de Théodose.

Ce général s'occupa d'abord à dresser le plan de la guerre; il fallait conduire, dans un pays brûlé par les excessives chaleurs, des soldats accoutumés aux climats froids de la Gaule et de la Pannonie; on avait affaire à des ennemis exercés à voltiger sans cesse, plus propres à des surprises qu'à des batailles[1040]. Firmus de son côté, alarmé de la réputation de Théodose, parut disposé à rentrer dans le devoir; il s'excusa du passé par députés et par lettres; il protesta que la seule nécessité l'avait jeté dans la révolte, offrant pour l'avenir toutes les assurances qu'on exigerait de lui. Théodose lui promit la paix, quand il aurait donné des otages; mais il ne s'endormit pas sur ces belles apparences de soumission: il manda à tous les corps de troupes répandus dans l'Afrique, de le venir joindre[1041]. Les ayant réunis avec ceux qu'il avait amenés[1042], il les anima à bien faire, par cette éloquence militaire qui lui était naturelle; il fit toutes les dispositions nécessaires pour entrer en campagne; il se concilia l'amour des peuples, en déclarant que ses troupes ne seraient point à charge à la province, et qu'elles ne subsisteraient qu'aux dépens des ennemis[1043].

[1040] Agensque in oppido sollicitudine diducebatur ancipiti, multa cum animo versans, quâ viâ quibusve commentis per exustas caloribus terras pruinis adsuetum duceret militem: vel hostem caperet discursatorem et repentinum, insidiisque potius clandestinis, quam præliorum stabilitate confisum. Am. Marc. l. 29, c. 5.—S.-M.

[1041] Dans une position militaire appelée Panchariana, dont la situation est inconnue. Dux ad recensendas legiones quæ Africam tuebantur, ire pergebat ad Pancharianam stationem, quo convenire præceptæ sunt. Amm. Marc. l. 29, c. 5.—S.-M.

[1042] Il y joignit encore des troupes du pays; concitato indigena milite cum eo quem ipse perduxerat, dit Amm. Marcellin, l. 29, c. 5.—S.-M.

[1043] Il disait que les moissons et les magasins des ennemis, étaient les seuls qui pussent convenir à la valeur de ses soldats. Messes et condita hostium virtutis nostrorum horrea esse, fiduciâ memorans speciosâ. Amm. Marc. l. 29, c. 5.—S.-M.

LIV.

Ses premiers succès.

Après avoir inspiré la confiance, il se mit en marche; et comme il approchait de la ville de Tubusuptus[1044], située au pied d'une chaîne de montagnes, qui portaient le nom de montagnes de fer[1045], il reçut de nouveaux députés de Firmus. Il les congédia sans réponse, parce qu'ils n'amenaient point d'otages, ainsi qu'il en avait demandé. De tous les frères de Firmus, Gildon seul était demeuré fidèle; il servait dans l'armée de Théodose: les autres, suivaient le parti du rebelle, qui les employait comme ses lieutenants. Le général romain, s'avançant avec précaution dans ce pays inconnu, rencontra un grand corps de troupes légères[1046], commandées par Mascizel[1047] et par Dius. Après quelques décharges de flèches, on se mêla; le combat fut sanglant, et la victoire demeura aux Romains: ce qui les étonna le plus en cette rencontre, ce furent les cris affreux de ces Barbares, lorsqu'ils étaient pris ou blessés[1048]. On fit le dégât dans les campagnes; on détruisit un château d'une vaste étendue, qui appartenait à Salmacès[1049]; on s'empara de la ville de Lamfocté[1050]; Théodose y établit des magasins, pour en tirer des subsistances, s'il n'en trouvait pas dans l'intérieur du pays. Cependant Mascizel, ayant rallié les fuyards et rassemblé de nouvelles troupes[1051], vint attaquer de nouveau les Romains; et après avoir perdu un grand nombre des siens, il n'échappa lui-même, que par la vitesse de son cheval.

[1044] Cette ville, dont la position est inconnue, était à 65 milles au nord-ouest de Sitifis, sur la route de Saldas, ville de la côte.—S.-M.

[1045] Tubusuptum progressus oppidum Ferrato contiguum monti. Amm. Marc. l. 29, c. 5.—S.-M.

[1046] Ces troupes appartenaient à deux tribus barbares qu'Ammien Marcellin nomme, l. 29, c. 5, Tyndensis et Massissensis, et qui nous sont tout à fait inconnues d'ailleurs. Concito gradu, dit-il, Tyndensium gentem et Massissensium petit, levibus armis instructas.—S.-M.

[1047] Ce Mascizel fut, sous Honorius, chargé de réduire son frère Gildon. Il le vainquit et le fit périr, comme on le verra liv. XXVI, § 48.—S.-M.

[1048] Interque gemitus mortis et vulnerum audiebantur barbarorum ululabiles fletus captorum et cæsorum. Amm. Marc. l. 29, c. 5.—S.-M.

[1049] C'était un domaine nommé Pétra, dont Salmacès avait fait une sorte de ville. Inter quos clades eminuere fundi Petrensis, excisi radicitus: quem Salmaces dominus, Firmi frater in modum urbis exstruxit. Amm. Marc. l. 29, c. 5.—S.-M.

[1050] Cette place, dont la position est inconnue, était au milieu même du pays occupé par les ennemis. Lamfoctense oppidum occupavit, inter gentes positum antedictas. Amm. Marc. l. 99, c. 5. Cet auteur veut sans doute désigner les nations mentionnées ci-dessus, p. 469, note 4.—S.-M.

[1051] Parmi les nations voisines. Mascizel reparatis viribus nationum confinium adminicula ductans, dit Ammien Marcellin, l. 29, c. 5.—S.-M.

LV.

Firmus se soumet.

Le rebelle, découragé par ces mauvais succès, députa des évêques pour offrir des otages et demander la paix[1052]. C'étaient apparemment des évêques Donatistes. Théodose exigea des vivres pour son armée. Firmus accepta la condition, et ayant envoyé des présents, il alla lui-même avec confiance trouver Théodose. A la vue de l'armée romaine et de la contenance fière du général, il affecta de paraître effrayé; il descendit de cheval et se prosterna aux pieds de Théodose, avouant avec larmes sa témérité et demandant grace. Le vainqueur le releva et le rassura en l'embrassant[1053]. Firmus remit les vivres qu'il avait promis, laissa plusieurs de ses parents pour otages, donna parole de rendre les prisonniers, et se retira. Deux jours après il renvoya à Icosium[1054] plusieurs enseignes militaires, et une partie du butin[1055] qu'il avait fait dans ses courses. Théodose reprit la route de Césarée. Après de longues marches, comme il entrait dans la ville de Tipasa[1056], colonie maritime entre Icosium et Césarée, il rencontra les députés des Maziques[1057], qui venaient implorer sa clémence. Cette nation belliqueuse s'était liguée avec le rebelle. Le général romain leur répondit avec fierté, qu'il irait incessamment les chercher lui-même pour tirer raison de leur perfidie. Ils se retirèrent en tremblant, et Théodose arriva à Césarée[1058]. Cette ville lui offrit un déplorable spectacle: il n'y restait plus que des masures et des monceaux de pierres calcinées par les flammes. La première et la seconde légion eurent ordre d'enlever les cendres et les décombres, de rebâtir cette belle ville, et d'y demeurer en garnison. Firmus avait enlevé les deniers du fisc. Quelques années après, les officiers de l'empereur prétendirent en rendre les magistrats responsables. Mais l'évêque Clément arrêta par ses représentations cette injuste poursuite; et le zèle de ce charitable prélat fut appuyé du crédit de Symmaque, et loué des païens même.

[1052] Christiani ritus antistites oraturos pacem cum obsidibus misit. Amm. Marc. l. 29, c. 5.—S.-M.

[1053] Parce que l'intérêt de la république l'exigeait, dit Ammien Marcellin, l. 29, c. 5. Quoniam id reipublicæ conducebat.—S.-M.

[1054] Il paraît que cette ville où Vespasien avait établi une colonie romaine, est le lieu appelé par les modernes Sarsal. On y trouve des ruines très-considérables, et souvent mentionnées dans les auteurs arabes, à cause de leur extrême magnificence. Elles ont été visitées et décrites, mais avec trop peu de détails, par le voyageur Shaw, t. 1, p. 49-55.—S.-M.

[1055] Parmi ces objets était une couronne sacerdotale, coronam sacerdotalem, c'est-à-dire une de ces couronnes d'or que les pontifes païens de chaque province, avaient coutume de porter. Voy. à ce sujet la note de Valois ad Am. Marc. l. 29, c. 5.—S.-M.

[1056] Tipasa était une colonie romaine, voisine de Césarée ou Alger. Il faut bien la distinguer d'une autre ville du même nom, qui était dans la Numidie, et dont l'emplacement conserve encore le nom de Taïfas.—S.-M.

[1057] Le nom des Maziques se trouve répandu depuis la Mauritanie jusqu'aux frontières de l'Égypte, où ils n'étaient pas moins connus que dans l'Afrique proconsulaire, par leurs fréquentes incursions. J'ai lieu de croire que ce nom qui se trouve très-souvent et avec quelques légères différences dans les auteurs anciens, s'appliquait à la principale et à la plus puissante des nations indigènes de l'Afrique, aux peuples qui portent actuellement le nom de Berbères. Je pense même que c'était là le nom national de cette puissante race d'hommes; et je regarde comme constant qu'il s'est perpétué parmi eux jusqu'à nos jours.—S.-M.

[1058] Urbem opulentam quondam et nobilem. Am. Marc. l. 29, c. 5.—S.-M.

LVΙ.

Punition des déserteurs.

La nouvelle de la paix s'étant répandue, les magistrats de la province et le tribun Vincentius, qui, jusqu'alors s'étaient tenus cachés, de crainte de tomber entre les mains de Firmus, vinrent joindre Théodose. Il était encore à Césarée, quand il apprit que Firmus n'avait demandé la paix qu'à dessein d'endormir sa vigilance, et de tomber sur l'armée romaine lorsqu'elle s'y attendrait le moins. Il marcha aussitôt vers la ville de Zuchabbari[1059], où il surprit un détachement de déserteurs romains[1060], commandés par plusieurs tribuns, entre lesquels était celui qui avait posé son collier sur la tête de Firmus. Pour leur faire croire qu'il se contentait à leur égard d'un châtiment léger, il les réduisit au dernier grade de la milice, et se rendit avec eux à Tigava[1061]. Gildon et Maxime, qu'il avait envoyés dans le pays des Maziques, revinrent le joindre dans cette ville; ils lui amenaient deux chefs de ces Barbares, nommés Bellénès et Féricius[1062], qui s'étaient mis à la tête de la faction de Firmus. Ayant réuni tous ces coupables, afin de rendre le spectacle de la punition plus terrible, et de n'être pas obligé d'y revenir à plusieurs fois, il ordonna le soir même à des officiers et à des soldats de confiance, de se saisir pendant la nuit de tous ces traîtres, de les conduire enchaînés dans une plaine hors de la ville, et de faire ensuite assembler autour d'eux toute l'armée. L'ordre fut exécuté. Théodose se rendit en ce lieu au point du jour, et trouvant ces criminels environnés de ses troupes: Fidèles camarades, dit-il à ses soldats, que pensez-vous qu'on doive faire de ces perfides? Tous s'écrièrent qu'ils méritaient la mort. Cette sentence ayant été prononcée par toute l'armée, le général abandonna les fantassins aux soldats pour les assommer à coups de bâtons[1063]: c'était l'ancienne punition des déserteurs. Il fit couper la main droite aux officiers de cavalerie, et trancher la tête aux simples cavaliers, aussi-bien qu'à Bellénès, à Féricius,et à un tribun[1064] nommé Curandius, qui dans un combat avait refusé de charger l'ennemi. Cette sévérité ne manqua pas de trouver des censeurs parmi les courtisans jaloux de la gloire de Théodose; mais elle rétablit la discipline en Afrique; et la suite fit connaître que la vigueur dans l'exercice du commandement est plus salutaire aux soldats qu'une fausse indulgence[1065].

[1059] Cette ville avait le titre de municipe, ad municipium Sugabarritanum; elle était voisine d'une montagne appelée Transcellensis; Transcellensi monti adcline. Amm. Marc. l. 29, c. 5. Ptolémée la nomme Zouchabbari. Elle était épiscopale.—S.-M.

[1060] Les uns appartenaient à la 4e cohorte des archers, equites quartæ sagittariorum cohortis; les autres étaient d'un corps d'infanterie qui portait le nom de Constantiens, Constantianorum peditum partent. Am. Marc. l. 29, c. 5.—S.-M.

[1061] Cette ville, qui était épiscopale, est mentionnée dans l'itinéraire d'Antonin, qui la place sur la route de Calama à Rusucurrum.—S.-M.

[1062] Reverterunt Gildo et Maximus, Bellenen e principibus Mazicum et Fericium gentis præfectum ducentes, qui factionem juverant quietis publicæ turbatoris. Amm. Marc. l. 29, c. 5. Un passage de la lettre de saint Augustin à Hésychius, ep. 199, t. 2, p. 758, sert à indiquer la différence qu'il y avait entre le rang de ces deux personnages. Bellénès devait à la naissance la qualité de prince des Maziques, tandis que Féricius était un chef nommé par les Romains. Les Barbares de l'Afrique, dit ce père de l'Église, sont innombrables, sunt apud nos barbaræ innumerabiles gentes; ils n'ont point de rois, non habeant reges suos, mais des commandants qui leur sont donnés par les Romains, sed super eos præfecti a Romano constituantur imperio. Il ajoute que ces peuplades et leurs chefs étaient chrétiens, illi et ipsi eorum præfecti christiani esse cœperunt. On aura par la suite occasion de remarquer que plusieurs des tribus maures et numides avaient cependant conservé leur ancienne croyance long-temps après cette époque.—S.-M.

[1063] Prisco more militibus dedit occidendos. Amm. Marc. l. 29, c. 5.—S.-M.

[1064] C'était le tribun des archers, tribunus sagittariorum.—S.-M.

[1065] Salutaris vigor vincit inanem speciem clementiæ. C'est un passage de la 2e lettre de Cicéron à Brutus, qui est cité par Ammien Marcellin, l. 29, c. 5.—S.-M.

LVII.

La guerre recommence.

On alla ensuite attaquer le château de Gallonas, place très-forte qui servait de retraite aux Maures[1066]. L'armée y entra par la brèche, passa tous les habitants au fil de l'épée, et rasa les murailles. De là Théodose, après avoir traversé le mont Ancorarius[1067], comme il approchait de la forteresse de Tingita[1068], rencontra une armée de Maziques[1069], qui annoncèrent leur arrivée par une grêle de traits. Les Romains les chargèrent avec vigueur, et ces Barbares, malgré leur bravoure naturelle, ne purent tenir contre des troupes bien exercées et bien commandées. Ils furent taillés en pièces, à l'exception d'un petit nombre qui ayant échappé à l'épée des vainqueurs, vinrent ensuite se rendre, et obtinrent leur pardon. Théodose qui pénétrait de plus en plus dans l'intérieur de l'Afrique, envoya le successeur de Romanus dans la Mauritanie [Sitifense], pour mettre la province à couvert, et marcha contre d'autres Barbares nommés les Musons[1070]. Ceux-ci persuadés qu'on ne leur pardonnerait pas les massacres et les ravages qu'ils avaient faits dans la province romaine, s'étaient joints à Firmus, qu'ils espéraient voir bientôt maître de tout ce vaste continent.

[1066] Fundum nomine Gallonatis, muro circumdatum valido, receptaculum Maurorum tutissimum arietibus admotis evertit. Amm. Marc. l. 29, c. 5. La position de ce lieu est tout-à-fait inconnue.—S.-M.

[1067] Per Ancorarium montem, Mazicas in unum collectos invasit. Amm. Marc. l. 29, c. 5. Aucun autre auteur ne fait mention de cette montagne que d'Anville croit être nommée actuellement Waneseris (Géog. abr. t. 3, p. 102), sans en donner aucune autorité précise.—S.-M.

[1068] Ad Tingitanum castellum progressus. Amm. Marcell. l. 39, c. 5. Rien ne fait connaître la position de ce lieu.—S.-M.

[1069] Un nommé Suggès était leur chef. Suggen eorum ductorem; une lacune de quatre lignes qui se trouve dans le texte d'Ammien Marcellin, l. 29, c. 5, après ces mots, nous empêche de connaître ce qu'il avait dit de ce personnage.—S.-M.

[1070] Gentem petit Musonem. Amm. Marc. l. 29, c. 5. C'est la seule mention qui existe de ces peuples: ils sont peut-être les Mucones, Μουκῶνοι, de Ptolémée, l. 4, c. 1.—S.-M.

LVIII.

Retraite de Théodose.

L'armée de Théodose, après les divers détachements qu'il avait été obligé de faire, était réduite à trois mille cinq cents hommes. Étant arrivé près de la ville d'Adda[1071], il apprit qu'il allait avoir sur les bras une multitude innombrable. Cyria, sœur de Firmus, puissante par ses richesses, soutenait avec une ardeur opiniâtre la révolte de son frère; elle mettait en mouvement toute l'Afrique jusqu'au mont Atlas. Tant de Barbares différents de mœurs, de figure, d'armes, de langage[1072], aguerris par l'habitude de combattre les lions de leurs montagnes, et presque aussi féroces que ces animaux, traversaient ces plaines arides et marchaient à Théodose. Bientôt ils parurent à la vue de l'armée romaine. On ne pouvait les attendre sans s'exposer à une perte certaine. On prit donc le parti de se retirer. Les Barbares précipitent leur marche; ils atteignent l'ennemi, l'enveloppent, l'attaquent avec furie. Les Romains, sûrs de périr, ne songeaient qu'à vendre bien cher leur vie, lorsqu'on aperçut un grand corps de troupes qui approchait. C'étaient des Maziques qui venaient se joindre aux autres Barbares. Mais ceux-ci voyant des déserteurs romains à la tête, et s'imaginant que c'était un secours pour Théodose, prirent la fuite et le laissèrent continuer librement sa retraite. Il arriva à un château qui appartenait à Mazuca[1073], où il fit brûler vifs quelques déserteurs, et couper les mains à plusieurs autres. Après avoir tenu la campagne une année entière, parce que l'hiver est inconnu dans ces climats, il revint à Tipasa[1074] au mois de février, lorsque Gratien était consul pour la troisième fois avec Équitius.

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