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Histoire du Bas-Empire. Tome 04

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LIVRE XXI.

I. Théodose à Thessalonique. II. Belles qualités de Théodose. III. Calomnies de Zosime réfutées. IV. Fautes de Théodose. V. Caractère de Flaccilla. VI. Famille de Théodose. VII. Théodose délivre la Thrace. VIII. Exploit du général Modarius. IX. Gratien à Milan. X. Il retourne dans les Gaules. XI. Baptême de Théodose. XII. Lois de Théodose concernant la religion. XIII. Lois civiles. XIV. Théodose envoie en Égypte un grand nombre de Goths. XV. Division entre les Goths. XVI. Gratien se prépare à repousser les Goths. XVII. Avantages de Gratien et de Théodose sur les Goths. XVIII. Théodose à Constantinople. XIX. Loi contre les hérétiques. XX. Théodose se concilie l'amour des peuples. XXI. Athanaric vient à Constantinople. XXII. Intrigue de Maxime le Cynique. XXIII. Concile de Constantinople où saint Grégoire est confirmé dans l'épiscopat. XXIV. Troubles dans le concile au sujet du successeur de Mélétius. XXV. Saint Grégoire abdique l'épiscopat. XXVI. Il obtient le consentement de Théodose. XXVII. Élection de Nectarius. XXVIII. Décrets du concile. XXIX. Lois de Théodose contre les Hérétiques à l'occasion de ce concile. XXX. Lois en faveur des évêques. XXXI. Concile d'Aquilée. XXXII. Suite des intrigues de Maxime. XXXIII. Concile de Rome et de Constantinople. XXXIV. Troisième concile de Constantinople. XXXV. Loi sur les sacrifices. XXXVI. Exploits de cette année. XXXVII. Les Goths se soumettent à l'empire. XXXVIII. Divers effets de la clémence de Théodose. XXXIX. Famine à Antioche. XL. Lois de Théodose. XLI. Lois de Gratien. XLII. Saint Ambroise obtient la grace d'un criminel. XLIII. Gratien travaille à la destruction de l'idolâtrie. XLIV. Famine dans Rome. XLV. Discours d'Anicius Bassus. XLVI. Gratien se rend odieux. XLVII. Caractère de Maxime. XLVIII. Il est proclamé empereur. XLIX. Il marche contre Gratien. L. Mort de Gratien. LI. Circonstances de sa mort.

GRATIEN, VALENTINIEN II, THÉODOSE.

An 379.

I.

Théodose à Thessalonique.

Themist. or. 14, p. 180 et seq.

Liban. de ulcisc. mort. Jul.

Zos. l. 4, c. 25.

Jornand. de reb. Get. c. 27.

La défaite de Valens semblait devoir entraîner la ruine de l'empire. A la vue de Théodose élevé sur le trône, l'audace des vainqueurs s'arrêta, et le courage revint aux vaincus: tous connaissaient sa capacité et sa valeur. Le nouvel empereur reçut à Thessalonique des députés de toutes les provinces orientales. Ils obtinrent pour leurs villes et pour eux-mêmes tout ce que la justice permettait de leur accorder. Thémistius, à la tête des principaux sénateurs de Constantinople, pria le prince de venir au plus tôt se montrer à sa capitale; il demanda pour la ville la confirmation de ses priviléges, et pour le sénat de nouveaux honneurs, qui pussent l'élever à la dignité du sénat romain, comme la nouvelle Rome égalait déja l'ancienne par la magnificence des édifices, des statues et des aquéducs. Libanius, toujours inconsolable de la perte de son crédit, tenta dans ces premiers moments de prévenir Théodose en faveur de l'idolâtrie; il lui adressa un discours pour l'exciter à venger la mort de Julien, attribuant à l'oubli de cette vengeance tous les malheurs de l'État; il prétendait que le silence des oracles était une marque sensible de la colère des dieux, qui ne daignaient plus donner de conseils aux hommes. Les vaines remontrances de ce fanatique ne produisirent d'autre effet que de le rendre méprisable.

II.

Belles qualités de Théodose.

Pacat. paneg. c. 14.

Vict. epit. p. 232 et 233.

Themist. or. 15, p. 190 et seq.

L'empereur ne s'occupait que des moyens de soulager les peuples et de relever l'honneur de l'empire. Le diadème qu'il n'avait pas désiré, n'altéra rien dans son caractère. Aussi chaste, aussi humain, aussi désintéressé qu'il l'avait été dans sa vie privée, il ne se permettait que ce que les lois lui avaient toujours permis. Sensible à l'amitié, ami des hommes vertueux, fidèle dans ses promesses, libéral et donnant avec grandeur, communicatif et d'un accès facile, il ne voyait, dans la souveraineté, que le pouvoir d'étendre ses bienfaits. Un jour qu'il commettait des juges à l'examen d'une conspiration qu'on prétendait formée contre sa personne, comme il les exhortait à procéder avec équité et avec douceur: Notre premier soin, dit un des commissaires, doit être de songer à la conservation du Prince. Songez plutôt à sa réputation, repartit Théodose: l'essentiel pour un prince n'est pas de vivre long-temps, mais de bien vivre. Son extérieur noble et majestueux attirait le respect; sa bonté inspirait la confiance. Prudent et circonspect dans le choix des magistrats, il eut, en arrivant à l'empire, le singulier bonheur d'en trouver en place un grand nombre, tels qu'il les aurait choisis. Il n'était pas savant; mais il avait un goût exquis pour tout ce qui regarde la littérature, et il aimait les gens de lettres, pourvu que l'usage qu'ils faisaient de leurs talents n'eût rien de dangereux. Il s'instruisait avec soin de l'histoire de ses prédécesseurs, et ne cessait de témoigner l'horreur que lui inspiraient l'orgueil, la cruauté, la tyrannie, et surtout la perfidie et l'ingratitude. Les actions lâches et indignes excitaient subitement sa colère; mais il s'apaisait aisément, et un court délai adoucissait la sévérité de ses ordres. Il savait parler à chacun selon son rang, sa qualité, sa profession. Ses discours avaient en même temps de la grâce et de la dignité. Il pratiquait les exercices du corps, sans se livrer trop au plaisir, et sans se fatiguer. Il aimait surtout la promenade; mais le travail des affaires précédait toujours le délassement. Il n'employait d'autre régime pour conserver sa santé, qu'une vie sobre et frugale, ce qui ne l'empêchait pas de donner dans l'occasion des repas, où l'élégance et la gaîté brillaient plus que la dépense. Il diminua dès le commencement celle de sa table, et son exemple tint lieu de loi somptuaire; mais il conserva toujours dans le service de sa maison cet air de grandeur qui convient à un puissant prince.

III.

Calomnies de Zosime réfutées.

Zos. l. 4, c. 27, 28 et 29.

Vict. epit. p. 232 et 233.

Ce juste tempérament d'une noble économie a prêté également aux louanges de ses panégyristes et à la censure de ses ennemis. Zosime, déclaré contre tous les princes qui ont travaillé aux progrès du christianisme, reproche à Théodose le luxe de sa table, la multitude de ses eunuques, qui disposaient, dit-il, de tous les emplois, et gouvernaient l'empereur même. Il ne tient pas à lui qu'on ne croie que ce prince, plongé dans la mollesse, endormi dans le sein des plaisirs, livré à des bouffons et à des farceurs qui corrompaient sa cour, ne fit par lui-même rien de mémorable; qu'il dut tous ses succès à ses généraux; qu'il vendait au plus offrant les charges et les gouvernements; et que, sous son règne, les provinces accablées d'impôts, épuisées par l'avarice de leurs magistrats, faisaient des vœux pour changer de maître. A ces reproches, Zosime ne manque pas d'ajouter celui d'avoir aboli le culte des dieux. Ce dernier trait décèle le ressentiment de l'auteur, et l'on sent que ses invectives ne sont que le cri de l'idolâtrie terrassée. Un autre historien, païen ainsi que Zosime, mais plus équitable, fait de Théodose un héros accompli; il remarque même, comme un exemple presque unique, que ce prince devint meilleur sur le trône, et que sa grandeur fit croître ses vertus. Il le compare à Trajan, dont il lui attribue toutes les belles qualités d'esprit et de corps, sans lui donner aucun de ses vices.

IV.

Fautes de Théodose.

Zos. l. 4, c. 27.

Il faut cependant convenir qu'entre les imputations de Zosime, il en est deux qui semblent avoir quelque fondement. Théodose multiplia les commandements; au lieu de deux généraux, l'un de la cavalerie, l'autre de l'infanterie, il en établit jusqu'à cinq, et peut-être encore plus. Il doubla le nombre des préfets, des tribuns, des capitaines. Les gages de ces officiers épuisaient le trésor, et leur avarice ruinait les soldats, sur lesquels ils s'établissaient des droits arbitraires. Il commit une autre faute d'une conséquence encore plus dangereuse. Les malheurs précédents ayant diminué le nombre des troupes, il reçut dans ses armées les Barbares qui venaient d'au-delà du Danube lui demander du service: c'était altérer la discipline des légions, et donner des armes et des leçons aux ennemis de l'empire.

V.

Caractère de Flaccilla.

Ducange, fam. Byz. p. 69.

Chron. Alex. p. 305.

Greg. Nyss. de Placilla, t. 3, p. 533.

Sa femme, Ælia Flaccilla, que les Grecs nomment souvent Placilla et quelquefois Placidie, contribua beaucoup à sa gloire et au bonheur de ses sujets. Elle était Espagnole, selon le sentiment le plus suivi, fille d'Antoine, consul en 382. Jamais union ne fut mieux assortie. Ils semblaient se disputer l'un à l'autre le prix de toutes les vertus. Flaccilla secondait Théodose lorsqu'il s'agissait de fermeté et de justice; elle le devançait dans les actions de douceur et de bonté; c'était un modèle de piété, de chasteté, de tendresse conjugale. Elle savait allier la modestie avec une noble hardiesse, l'humilité avec la grandeur d'âme. Pleine de foi, de zèle pour l'église, de charité pour les pauvres, elle sanctifiait son mari par son exemple et par ses conseils; elle lui répétait souvent ces paroles: Ne perdez jamais de vue ce que avez été et ce que vous êtes. Lorsqu'elle quitta l'Espagne, elle était déja mère d'un fils et d'une fille. Arcadius doit être né en 377, et Pulchérie l'année suivante.

VI.

Famille de Théodose.

Vict. epit. p. 234.

Themist. or. 16, p. 203.

Zos. l. 5, c. 2.

Symm. l. 10, ep. 57.

Claud. de laud. Serenæ et in Fescenn. et de laud. Stilic. l. 3.

Till. Theod. art. 1, et Honor. art. 1.

Théodose avait un oncle qu'on croit être Euchérius, qui fut consul en 381. Devenu empereur, il continua de l'honorer comme un second père. On sait qu'il eut une sœur, dont le nom est ignoré; et plusieurs frères plus âgés que lui, desquels on ne connaît qu'Honorius, qui mourut avant 384. Il paraît qu'ils demeurèrent en Espagne, et qu'après la mort d'Honorius, Théodose fit venir à Constantinople ses deux filles, Thermantia et Séréna. Leur mère était une dame espagnole, nommée Marie. Théodose maria l'aînée à un général que l'histoire ne nomme pas; Séréna, la cadette, épousa Stilichon. Elle était adroite, insinuante, instruite par la lecture des poètes. L'empereur l'aima par prédilection[411]; elle charmait ses chagrins, elle savait apaiser sa colère; il lui confiait ses secrets[412]. Il paraît même qu'il l'adopta; du moins les enfants de Stilichon et de Séréna sont-ils appelés par Claudien, petits-fils de l'empereur[413]. L'obscurité répandue sur les parents de Théodose fait honneur à ce prince; c'est une preuve qu'il ne leur permit pas d'abuser de sa puissance, et que l'amour qu'il avait pour sa famille ne l'emporta pas sur celui qu'il devait à ses sujets.

[411]

Defuncto genitore tuo sublimis adoptat
Te patruus, magnique animo solatia luctus
Restituens, propius, quam si genuisset, amavit
Defuncti fratris sobolem.

Claud. laus Seren. v. 104 et seq.—S.-M.

[412]

Et quoties, rerum moles ut publica cogit,
Tristior, aut ira tumidus flagrante redibat,
Cum patrem nati fugerent, atque ipsa timeret
Commotum Flaccilla virum, tu sola frementem
Frangere, tu blando poteras sermone mederi.

Claud. laus Seren. v. 134 et seq.—S.-M.

[413]

Dedit hæc exordia lucis
Eucherio, puerumque ferens hic regia mater
Augusto monstravit avo; lætatus at ille
Sustulit in Tyria reptantem veste nepotem.

Claud. de laud. Stilich. l. 3, v. 176 et seq.—S.-M.

VII.

Théodose délivre la Thrace.

Zos. l. 4, c. 25.

Themist. or. 14, p. 181.

Claud. in 6º Consul. Honor. et de laud. Serenæ.

Soz. l. 7, c. 4.

Oros. l. 7, c. 34.

Jornand. de reb. Get. c. 27.

Prosp. chron.

Idat. chron. et fast.

Marcel. chr.

Le premier soin de ce guerrier actif et vigilant, fut d'assembler des troupes pour chasser les Barbares hors de la Thrace[414]. Il en avait battu l'année précédente un corps très-nombreux; mais il en restait encore la plus grande partie, divisée en plusieurs détachements, qui continuaient de ravager la province. Théodose rappela les soldats dispersés après la défaite de Valens; et, par la sévérité de la discipline, qu'il sut tempérer de douceur et de largesses faites à propos, il fit renaître leur ancien courage. Il rassura les habitants des campagnes; et de timides fugitifs, il en fit des soldats qui ne respiraient que vengeance. Il enrôla surtout ceux qui travaillaient aux mines, gens endurcis aux plus rudes travaux. Cette armée, séparée en divers corps, donna la chasse aux Barbares, et les resserra vers les bords du Danube. Il se livra plusieurs sanglants combats, dont les écrivains du temps ne détaillent aucune circonstance[415]. Ils nous apprennent seulement que, le 17 de novembre, on reçut à Constantinople la nouvelle d'une grande victoire remportée sur les Goths, les Huns et les Alains. Une partie de ces nations repassa le fleuve avec Fritigerne, Alathée et Saphrax; ceux qui restèrent en Thrace se soumirent à l'empire, et donnèrent des ôtages. Stilichon commença de se signaler dans cette guerre[416]. On croit que ce fut dans une des rencontres qui furent fréquentes pendant cette campagne, que le fameux Alaric, encore jeune alors, et chef d'un détachement de l'armée de Fritigerne, surprit Théodose et l'enferma sur les bords de l'Hèbre[417]; mais on ne dit point par quel moyen l'empereur se tira de ce péril.

[414] Les lois de cette année nous font voir que Théodose était encore à Thessalonique le 17 juin. On le trouve le 7 juillet à Scupi et le 10 août, dans un lieu dont la position est inconnue, mais qui s'appelait le bourg d'Auguste, Vicus Augusti.—S.-M.

[415] C'est une remarque qu'on ne doit pas perdre de vue en lisant ce qui concerne Théodose. Il ne reste aucun auteur original qui le fasse connaître. La grande lumière jetée par Ammien Marcellin sur l'histoire de l'empire romain, cesse au règne de Théodose. Il faut se contenter alors du témoignage suspect de Zosime, et des faibles indications de quelques obscurs annalistes.—S.-M.

[416]

Haud aliter Stilicho, fremuit cum Thracia belli
Tempestas, cunctis pariter cedentibus, unus
Eligitur ductor.......

Claud. laus Seren. v. 208 et seq.—S.-M.

[417]

Maurusius Atlas
Gildonis furias, Alaricum barbara Peuce
Nutrierat: qui sæpe tuum Sprevere profana
Mente patrem. Thracum venientem finibus alter
Hebri clausit aquis.

Claud. de 6º cons. Honor. v. 104 et seq.—S.-M.

VIII.

Exploit du général Modarius.

Zos. l. 4, c. 25.

Greg. Naz. ep. 135 et 136, t. 1, p. 863 et 864.

De tous ces exploits, celui du général Modarius[418] est le seul dont l'histoire nous ait laissé quelque détail. Modarius était du sang royal des Goths[419]. Un démêlé qu'il eut avec Fritigerne, dès le temps de Valens, l'avait fait passer au service de l'empire; il s'y était tellement distingué par sa fidélité et par sa valeur, que Théodose le mit à la tête d'un corps de troupes. Ce général, sans être aperçu des ennemis, vint se poster sur une hauteur, qui commandait une vaste plaine où les Barbares s'étaient répandus pour le pillage. Ayant appris par ses coureurs, que les Goths, ensevelis dans le vin, étaient épars çà et là et couchés par terre, il ordonna à ses soldats de ne prendre que leurs épées et leurs boucliers, et de fondre sur eux. Il n'en coûta que la peine de les égorger, la plupart endormis, tous hors d'état de se défendre. Après avoir recueilli leurs dépouilles, on marcha vers leur camp fermé de quatre mille chariots. On y trouva leurs femmes, leurs enfants et leurs esclaves. Les Goths en conduisaient un si grand nombre que, dans leurs marches, les uns remplissaient les chariots, les autres suivaient à pied et y montaient à leur tour. Toute cette multitude fut emmenée prisonnière. Nous voyons par les lettres de saint Grégoire de Nazianze, que Modarius fut lié avec lui d'une étroite amitié. L'éloge que ce saint prélat fait de sa piété, et le secours qu'il lui demande pour apaiser les troubles de l'église, ne permettent pas de douter qu'en quittant les Goths, Modarius n'eût abandonné le parti de l'arianisme. Cette première campagne de Théodose annonçait un règne glorieux, et rendait le repos à la Thrace désolée depuis trois ans par les plus horribles ravages.

[418] Zosime lui donne, l. 4, c. 25, le nom de Modarès.—S.-M.

[419] Ἐκ τοῦ βασιλείου τῶν Σκυθῶν γένους. Zos. l. 4, c. 25.—S.-M.

IX.

Gratien à Milan.

Socr. l. 5, c. 6.

Auson. grat. act. p. 526 et 527.

Epist. Grat. ad Ambros.

Ambros. de fide, l. 1, c. 1, t. 2, p. 445, et de Spiritu sancto, l. 1. c. 1, t. 2, p. 599.

Cod. Th. l. 16, tit. 5, leg. 5.

Paul. vit. Ambros.

Till. Grat. art. 10, et vie de S. Ambr. art. 19.

Fleury, hist. ecclés. l. 17, art. 44.

Gratien s'étant déchargé sur son nouveau collègue du soin de l'Orient, fit à Sirmium un séjour de quelques mois. Il remporta de son côté plusieurs avantages sur différents partis de Barbares qui s'étaient avancés jusqu'en Pannonie[420]. Il reprit ensuite le chemin de la Gaule, en passant par Aquilée et par Milan, où il arriva vers la fin de Juillet. Les catholiques, dont il s'était déclaré le protecteur, accouraient sur son passage et faisaient des vœux pour la prospérité de son gouvernement. Pendant son séjour à Milan, il eut de fréquents entretiens avec saint Ambroise. Il avait pour ce saint évêque un respect mêlé de tendresse, et puisait dans cette source féconde la connaissance et l'amour de la vérité. Lorsqu'il était parti pour l'Illyrie, il avait prié saint Ambroise de lui composer quelque ouvrage, pour le confirmer dans la loi de la consubstantialité; et il en avait reçu deux livres intitulés: De la Foi. En partant de Sirmium, il lui écrivit pour le prier de confondre les sectateurs de Macédonius, qui niaient la divinité du Saint-Esprit. Il voulait même que le saint prélat le vînt trouver en diligence. Saint Ambroise s'en excusa; il attendit l'empereur à Milan, et se contenta pour lors d'ajouter trois autres livres aux deux premiers, dans lesquels il prouvait la divinité du Fils: il lui promit d'écrire dans la suite sur la divinité du Saint-Esprit, et s'acquitta de cette promesse deux ans après. Ce fut sans doute par le conseil de ce saint, que Gratien révoqua la loi qui permettait aux hérétiques de tenir leurs assemblées[421]. Le zèle d'Ambroise ne se renfermait pas dans les bornes de son diocèse: le siége de Sirmium étant vacant par la mort de l'arien Germinius, Justine, que Gratien avait laissée dans cette ville avec son fils Valentinien, entreprit d'y placer un évêque du même parti. Sur cette nouvelle, Ambroise vole à Sirmium; il s'oppose avec fermeté aux efforts de l'impératrice, et vient à bout de faire nommer un évêque catholique; c'était Anémius. Ce coup de vigueur fut l'origine de la haine implacable, dont les éclats scandaleux déshonorèrent Justine, et augmentèrent la gloire de l'intrépide prélat.

[420] Voyez ci-devant, p. 149, note 2, liv. XX, § 40—S.-M.

[421] En vertu d'une loi rendue à Milan le 3 août 379.—S.-M.

X.

Il retourne dans les Gaules.

Zos. l. 4, c. 24.

Socr. l. 5, c. 6.

Soz. l. 7, c. 4.

Auson. grat. act. p. 553 et 554.

Cod. Th. l. 4, tit. 20, leg. 1, l. 13, tit. 3, leg. 12, 13, 14 et 15.

Les incursions des Allemands appelèrent Gratien dans la Gaule plus tôt qu'il n'aurait désiré[422]. Ils ne l'attendirent pas, et ce prince passa l'hiver à Trèves[423]. Il y publia plusieurs lois. Les débiteurs du fisc se mettaient à couvert des poursuites, en faisant cession de leurs biens, ce qui donnait occasion à des fraudes plus préjudiciables aux peuples qu'au prince même, puisque le prince ne perd jamais ce qui lui est dû, et qu'il sait se dédommager, aux dépens de ses sujets, de ce qui lui est enlevé par des mains infidèles. Gratien ordonna d'employer contre ces débiteurs la rigueur des supplices, à moins qu'ils ne prouvassent qu'ils avaient été ruinés par quelque accident involontaire. Il confirma les priviléges accordés aux médecins; Théodose en fit autant dans la suite. Ausone, en sortant du consulat, prononça en présence de l'empereur le discours de remercîment que nous avons encore, et qui peut servir à fixer une des époques du dépérissement de l'éloquence.

[422] Ausone décrit en ces termes, Grat. act. cons. p. 553, le rapide voyage de Gratien. Tu Gratiane, tot Romani imperii limites, tot flumina et lacus, tot veterum intersepta regnorum, ab usque Thraciam, per totum, quam longum est, latus Illyrici, Venetiam, Liguriamque, et Galliam veterem, insuperabilia Rhætiæ, Rheni aquosa, Sequanorum invia, porrecta Germaniæ, celeriore transcursu, quam est properatio nostri sermonis, evolvis, nulla requie otii, ne somni quidem, aut cibi munere liberali, ut Gallias tuas inopinatus illustres, ut consulem tuum, quamvis desideratus, anticipes.—S.-M.

[423] Il était dans cette ville le 14 septembre et sans doute long-temps avant. C'est au séjour que ce prince et son père avaient fait dans cette ville, qu'elle dut les nombreux monuments dont il reste encore des débris, et qu'elle acquit le haut rang qu'elle conserva jusqu'à la chute de l'empire.—S.-M.

An 380.

XI.

Baptême de Théodose.

Prosp. chron.

Socr. l. 5, c. 6.

Soz l. 7, c. 4.

Zos. l. 4, c. 34.

Jorn. de reb. Get. c. 27.

Ambr. ep. 15, t. 2, p. 819.

Aug. de civ. l. 5, c. 26, t. 7, p. 442.

Hermant, vie de S. Greg. l. 9, c. 1.

Au commencement de l'année suivante, Théodose, consul avec Gratien, tomba malade à Thessalonique[424]. On désespérait de sa vie, et tout l'Orient craignit de voir éteindre cet astre naissant, qui promettait à tant de peuples des jours plus sereins et plus tranquilles. L'empereur, plus occupé du soin de son âme que de la guérison de son corps, désirait le baptême. Mais inviolablement attaché à la foi catholique, qu'il avait héritée de ses pères, il ne voulait être baptisé que par un orthodoxe. Il fit venir Ascolius, évêque de Thessalonique. Ce prélat, célèbre par sa vertu, mais renfermé dans les fonctions de son ministère, était encore inconnu à la cour. Lui seul avait servi de défense à la Macédoine dans le désastre de l'empire; et lorsque les Goths vainqueurs, pillant impunément la Thrace, et poussant au loin leurs partis, étaient venus attaquer Thessalonique, dépourvue de secours, Ascolius, sans autres armes que les prières qu'il adressait à Dieu, avait repoussé leurs efforts. Frappés de la peste et poursuivis par un bras invisible, les Goths avaient pris la fuite. Théodose l'interrogea sur sa croyance; il répondit: Qu'il n'en avait point d'autre que celle de Nicée; et que c'était la doctrine constante de toute la Macédoine, où les dogmes d'Arius n'avaient jamais eu le crédit de s'établir; plus heureuse en ce point que les provinces orientales et que la ville de Constantinople, où les sectes hérétiques déchiraient le sein de l'église. L'empereur, satisfait de cette profession de foi, reçut le baptême de la main d'Ascolius, avec plus de joie qu'il n'avait, un an auparavant, reçu de Gratien la couronne impériale. Il conserva toujours un profond respect pour ce saint évêque; il se gouvernait par ses conseils dans ce qui concernait les affaires de l'église. La confiance d'un si grand prince, et l'éminente vertu du prélat relevèrent beaucoup l'éclat du siége de Thessalonique. Le pape Damase revêtit Ascolius et ses successeurs de la qualité de vicaires du saint siége pour l'Illyrie orientale; ils avaient l'autorité de juger en dernier ressort les causes ecclésiastiques dans ces provinces; ils y tenaient le premier rang entre les primats, sans préjudice des droits respectifs des églises. La guérison de Théodose suivit de près son baptême.

[424] On voit par ses lois qu'il fut dans cette ville durant l'année 380, au moins depuis le 15 janvier jusqu'au 14 juillet.—S.-M.

XII.

Lois de Théodose concernant la religion.

Soz. l. 7, c. 4.

Greg. Naz. carm. de vita sua, t. 2, p. 21 et 22.

Cod. Th. l. 16, tit. 1, leg. 3, tit. 2, leg. 25. l. 9, tit. 35, leg. 4, 5, tit. 38, leg. 6, 7, 8; l. 15, tit. 5, leg. 2; l. 2, tit. 8, leg. 2.

Append. Sirm. leg. 7. Baronius in ann. 385.

Sa convalescence fut longue: il ne put quitter Thessalonique avant le mois de Juillet. Il profita de ce temps de repos, pour remédier aux désordres de l'église et de l'état. Il traita d'abord les hérétiques avec douceur; et St. Grégoire de Nazianze paraît douter si cette tolérance venait d'un défaut de zèle, ou si c'était un effet de prudence, que ce saint ne peut s'empêcher d'approuver. Mais Théodose ne tarda pas à déclarer quelle était la doctrine à laquelle il souhaitait que tous ses sujets voulussent se conformer; et comme la ville de Constantinople était tout à la fois la capitale de son empire, d'où ses édits pouvaient plus aisément se répandre dans toute l'étendue de ses états, et le centre de l'hérésie qui s'y était affermie sous le règne de Constance et de Valens, ce fut au peuple de Constantinople que, dès le 28 de février, il adressa une loi célèbre, dont voici les termes: Nous voulons que tous les peuples de notre obéissance professent la religion qui, suivant une tradition constante, a été enseignée aux Romains par l'Apôtre saint Pierre, qui est évidemment professée par le pontife Damase et par Pierre, évêque d'Alexandrie, prélat d'une sainteté apostolique; en sorte que, selon les instructions des Apôtres et la doctrine de l'Évangile, nous reconnaissions dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, une seule Divinité, avec une égale majesté et dans une adorable Trinité. Nous donnons le titre de Chrétiens Catholiques à ceux qui suivront cette loi; et, regardant les autres comme des insensés, nous voulons qu'ils portent le nom ignominieux d'hérétiques, et que leurs assemblées ne soient point honorées du titre d'Églises, en attendant qu'ils ressentent les effets de la vengeance de Dieu et de la nôtre, selon ce que la divine Providence daignera nous inspirer. Il déclare, par une autre loi datée du même jour, que ceux qui altèrent par leur ignorance, ou qui violent par leur négligence, la sainteté de la loi de Dieu, se rendent coupables de sacrilége. Au milieu du carême de cette année, il ordonna par une loi[425] de suspendre toute procédure criminelle durant les quarante jours qui précèdent la fête de Pâques; ce qu'il confirma neuf ans après par une seconde loi: Les juges, dit-il, ne doivent pas punir les criminels dans un temps, où ils attendent de Dieu la rémission de leurs propres crimes. Il suspendit aussi dans la suite les procédures, même civiles, durant la quinzaine de Pâques, et tous les Dimanches de l'année, pendant lesquels les spectacles furent interdits. Nous avons une loi sans date, par laquelle, à l'exemple de Valentinien, il fait grâce à tous les criminels en faveur de la fête de Pâques; il en excepte aussi les crimes énormes, qui sont celui de lèse-majesté, l'homicide, l'adultère, le poison ou la magie, la fausse monnaie. Gratien, à l'occasion d'une pareille rémission, excepte encore le rapt et l'inceste; et il exclut de cette grâce ceux qui, après l'avoir déjà obtenue, sont retombés dans les mêmes crimes. Valentinien le jeune en fit une loi perpétuelle pour l'Occident; mais aux exceptions précédentes, il ajoute le sacrilége en général, et en particulier celui qui consistait à violer les sépultures. En l'année 387, comme Théodose dictait l'ordonnance de l'indulgence Paschale, plût à Dieu, dit-il, qu'il fût en mon pouvoir de ressusciter les morts. Dans une autre loi faite sur le même sujet, on lit cette belle maxime: Que c'est une perte pour l'Empereur de ne trouver personne à qui il puisse pardonner.

[425] Rendue le 27 mars 380 à Thessalonique.—S.-M.

XIII.

Lois civiles.

Cod. Th. l. 10, tit. 10 leg. 12, 13, 17, 18, 19. tit. 18, leg. 2, 3, l. 9, tit. 2, leg. 3, tit. 3, leg. 6, tit. 27, leg. 1, 2, 3, 4, 5, 6; l. 15, tit. 1, leg. 20, 21, 23, 24, 27, 29 et ibi God. p. 302, tit. 5, leg. 2. l. 8, tit. 15, l. 3, tit. 8; leg. 1, 2, tit. 11, leg. unic. leg. 12, tit. 1, leg. 80 usque ad 140, et ibi God. p. 431. tit. 12, leg. 7.

Cod. Just. l. 5, tit. 9, leg. 1. l. 6, tit. 55, leg. 4.

Liban. de Vetus descr. C. P.

Themist. or. 15, p. 194.

La faiblesse de Valens avait laissé un libre cours à plusieurs abus: Théodose se fit un devoir de les réformer. Il se déclara ennemi des délateurs; et, pour rendre ce pernicieux métier aussi rare qu'il est infâme, il prononça la peine capitale contre tout esclave qui accuserait son maître, même avec fondement; et contre tout délateur qui aurait réussi dans trois différentes dénonciations, la mort était le prix de sa troisième victoire. Il y eut toujours de ces hommes dangereux qui abusent de leur puissance et de leur crédit pour opprimer les faibles, et toujours ils ont trouvé des magistrats intéressés ou timides qui se sont prêtés à leurs injustices. Sur une plainte non avérée, on arrêtait les accusés; on les laissait languir dans des cachots étroits et incommodes, où ils ne pouvaient dormir que debout: là, ces misérables, souvent innocents, étaient abandonnés à l'avarice des geôliers, qui leur vendaient bien cher les nécessités de la vie, et les traitaient cruellement lorsqu'ils n'avaient pas de quoi payer: ils y mouraient souvent de faim. Les magistrats, occupés de spectacles, de festins et d'amusements frivoles, ne trouvaient pas le temps de visiter les prisons. Théodose défendit de mettre aux fers quiconque ne serait pas convaincu: il voulut que l'accusateur fût détenu en prison, pour subir la peine du talion, s'il était reconnu calomniateur; que le procès fût promptement instruit et jugé, afin que le coupable ne tardât pas à recevoir son châtiment, et l'innocent sa délivrance. Il interdit aux geôliers leurs exactions inhumaines, et ordonna que tous les mois le garde des registres mettrait sous les yeux du juge, le rôle des prisonniers, avec la note de leur âge, de la qualité des crimes dont ils étaient accusés, et du temps de leur détention; que le juge négligent et paresseux, qui n'avait de sa charge que le titre, serait condamné à une amende de dix livres d'or et à l'exil. Six ans après, pour donner aux magistrats le loisir de s'acquitter de leurs devoirs, il leur défendit d'assister aux spectacles, excepté le jour de la naissance et du couronnement des empereurs. Il paraît, par un discours de Libanius, que ces lois furent plus faibles que les désordres: l'an 386 il adressa à Théodose, en faveur des prisonniers, une remontrance hardie, dans laquelle il ne craint pas de dire que le prince ne peut s'excuser sur ce qu'il ignore ces iniquités; que son devoir est de les connaître et de les punir. Jamais empereur ne prit tant de précautions pour arrêter les concussions des magistrats: il ordonna que les juges convaincus de ce crime, seraient dépouillés de leur charge, déclarés incapables d'en posséder aucune; qu'en cas de mort, leurs héritiers seraient responsables de leurs larcins; que, pour les malversations dans les causes des particuliers, ils seraient assujettis aux peines du péculat: il invita ceux qui se trouveraient lésés, à poursuivre la vengeance, et leur promit justice et récompense. Natalis, commandant des troupes en Sardaigne, sous le règne de Valens, avait pillé la province: Théodose l'y fit reconduire sous bonne garde, pour y être convaincu sur les lieux, et le condamna à rendre le quadruple de ce qu'il avait pris injustement. Il défendit aux officiers qu'il envoyait dans les provinces, d'y faire aucune acquisition d'immeubles, d'y recevoir aucun présent ni pour eux ni pour leur famille, leurs conseillers, leurs domestiques; il permit aux habitants de répéter en justice ce qu'ils auraient ainsi donné. Si un gouverneur ou magistrat de province employait son autorité pour tirer une promesse de mariage, soit en sa faveur, soit en faveur de qui que ce fût, il déclarait la promesse nulle; et pour une simple tentative du magistrat, pour une simple proposition accompagnée de promesses ou de menaces, il le condamnait à payer dix livres d'or, et à perdre, après sa gestion, toutes les prérogatives que sa charge procurait; les personnes qu'il avait sollicitées étaient affranchies de sa jurisdiction, elles et leur famille, et avaient leurs causes commises par-devant d'autres juges. Pour entretenir cet esprit de vie qui, dans un grand empire, doit animer toutes les parties même les plus éloignées du centre, il maintint en vigueur l'ordre municipal des villes. Il nous reste de lui beaucoup de lois sur la nomination de ces officiers, sur les moyens de conserver leur nombre, sur leurs exemptions et leurs priviléges. Flavianus, proconsul d'Asie, et un préfet d'Égypte, furent mis en prison pour avoir appliqué à la torture des officiers municipaux. Afin d'épargner aux villes les frais des nombreuses députations, il ordonna que, dans les occasions où elles auraient quelque demande à porter au prince, toutes celles d'une même province concerteraient ensemble, et se contenteraient d'envoyer trois députés pour la province entière. Il eut encore plus de soin d'entretenir les anciens édifices, que d'en construire de nouveaux, ce qui flattant davantage la vanité des princes ou des magistrats, apporte aux villes plus de dépense et souvent moins d'utilité. Il ne permit aux gouverneurs de faire de nouveaux ouvrages publics, qu'après qu'ils auraient réparé les anciens qui tombaient en ruine, et achevé ceux que leurs prédécesseurs avaient commencés. Il voulut que les entrepreneurs fussent pendant quinze ans, eux et leurs héritiers, responsables de la solidité des constructions. Cette attention ne l'empêcha pas de travailler à l'embellissement de Constantinople. Il y fit dans la suite construire un port, un aquéduc, des bains, des portiques, des académies, un palais, une place et une colonne qui portèrent son nom. Valentinien II suivit l'exemple de Théodose, et recommanda d'entretenir dans Rome les anciens monuments, plutôt que d'en entreprendre de nouveaux. Constantin avait décidé que, si quelqu'un trouvait un trésor, il le partagerait par moitié avec le fisc; Théodose le laissa tout entier à qui l'aurait découvert, à condition cependant que, s'il le trouvait sur le terrain d'autrui, il en céderait le quart au propriétaire du terrain. Les lois romaines avaient borné le temps du deuil au terme de dix mois; Théodose l'étendit à l'année entière; il déclara infame la veuve qui, avant l'année révolue, convolerait à de secondes noces: telle était déjà la disposition des anciennes lois; mais il y ajouta la perte de tous les biens que la femme tiendrait du premier mari. Quant aux veuves qui se remariaient après le terme prescrit, il les obligea de conserver aux enfants du premier lit tous les biens venus de leur père, et il leur ôta la liberté de les aliéner. La plupart de ces lois sont adressées à Eutrope, alors préfet du prétoire d'Orient, et dont nous avons déjà parlé dans l'histoire de la conjuration de Théodore.

XIV.

Théodose envoie en Égypte un grand nombre de Goths.

Zos. l. 4, c. 30, 31 et 56.

Eunap. in excerpt. de leg. p. 21 et 22.

Dans le même temps que Théodose s'occupait à corriger les désordres, il songeait aussi à fortifier l'empire contre les attaques des Barbares. Il employa pour cet effet un moyen dangereux, ainsi qu'il a déjà été observé, et tout-à-fait contraire à la saine politique. Les malheurs précédents avaient affaibli les armées; il invita les Goths d'au-delà du Danube à prendre parti dans ses troupes, et il promit de les traiter comme ses sujets naturels. Il en vint une si grande multitude, qu'ils surpassèrent bientôt en nombre les soldats romains, et l'empereur craignit avec raison de n'être plus le maître de les contenir, s'ils venaient à former quelque entreprise. En effet, selon un auteur de ce temps-là, avant que de passer le fleuve, ils s'étaient secrètement engagés, par des serments exécrables, à faire aux Romains tous les maux qu'ils pourraient, soit par la force, soit par la ruse et la trahison, et à ne se donner de repos qu'après s'être rendus maîtres de tout l'empire. Quoique Théodose ignorât ce perfide complot, cependant, par une sage précaution, il résolut de les mettre hors d'état de nuire en les divisant: il manda une partie des légions qu'il avait en Égypte, et envoya pour les remplacer un corps considérable de ces Barbares, sous la conduite d'Hormisdas, ce neveu de Sapor qui s'était signalé dans la révolte de Procope. Les deux détachements se rencontrèrent à Philadelphie. Celui des Goths était de beaucoup le plus nombreux: ils avaient traversé l'Asie, comme des brigands, en pillant tout sur leur passage. Réunis dans la même ville avec des troupes disciplinées, ils voulurent continuer les mêmes violences. Un habitant qui venait de vendre quelque denrée à un soldat goth, en reçut pour paiement un coup d'épée au travers du corps; un autre qui était accouru pour le défendre, ne fut pas mieux traité. On s'attroupa de part et d'autre. Les officiers venus d'Égypte s'efforcèrent en vain de faire entendre aux Barbares, que la discipline romaine qu'ils avaient embrassée, ne permettait pas ces emportements; on ne leur répondit qu'à grands coups d'épée. Alors les soldats romains, quoique fort inférieurs en nombre, se jetant sur les Goths, en massacrèrent plus de deux cents: plusieurs se sauvèrent dans les égouts de la ville, où ils périrent. On épargna les autres, qui après cette sanglante leçon, continuèrent leur voyage en observant une plus exacte discipline.

XV.

Division entre les Goths.

Ce mélange de Goths et de Romains introduisit le désordre dans les armées. On dit même que l'empereur, pour attirer à son service un plus grand nombre de ces Barbares, leur permettait de retourner dans leur pays en substituant un soldat en leur place, et de revenir reprendre leur rang lorsqu'ils le jugeraient à propos. Malgré la haine qu'ils avaient jurée au nom romain, Théodose, à force de caresses et de libéralités, parvint à gagner le cœur de quelques-uns, et à les attacher sincèrement à l'intérêt de l'empire. C'était le plus faible parti, s'il n'avait eu pour chef un jeune homme plein de courage; il se nommait Fravita. Païen de religion, mais sincère, ennemi du déguisement et de l'artifice, il détestait les noirs desseins de ses compatriotes, et croyait faire pour eux plus encore qu'il ne devait, en ne les démasquant pas[426]. Il épousa même une Romaine, pour ne pas entretenir dans sa maison une secrète intelligence avec la trahison et la perfidie. A la tête de l'autre parti était Ériulphe[427], homme violent et emporté. Un jour qu'ils étaient tous deux à la table de l'empereur, qui pour adoucir l'humeur féroce de ces Barbares, les traitait souvent avec magnificence, le vin échauffant leurs esprits, ils se prirent de paroles. Dans les transports de leur colère, ils dévoilèrent le secret de la conspiration générale. Les convives prennent la fuite en tumulte: Fravita tire l'épée et tue Ériulphe: les gens de celui-ci accoururent pour venger leur maître; ils allaient mettre en pièces le meurtrier, si les gardes du prince ne se fussent jetés à la traverse et ne l'eussent tiré de leurs mains. Théodose, averti par cet événement du complot des Barbares, ne crut pas devoir employer la violence pour en prévenir les effets: il prit sans doute des mesures de prudence dont l'histoire ne rend aucun compte.

[426] Il fut consul en l'an 401. Il est appelé Φραόυστιος, par Zosime, l. 4, c. 56. D'autres auteurs l'appellent Φράβιθος.—S.-M.

[427] Ce chef Goth est nommé Prioulphe Πρίουλφος, par Zosime, l. 4, c. 56. C'est Eunapius qui le nomme Ἐρίουλφος.—S.-M.

XVI.

Gratien se prépare à repousser les Goths.

Zos. l. 4, c. 33 et 34.

Vict. epit. p. 231.

Till. vie de S. Ambr. art. 21.

Cod. Th. l. 11, tit. 16, leg. 12; l. 15, tit. 7, leg. 4, 5, 6, 9, 10, 11, 12 et ibi God.

Les Goths établis en Thrace, n'étaient pas mieux intentionnés que leurs compatriotes. Oubliant les ôtages qu'ils avaient donnés l'année précédente, ils envoyèrent des partis en Pannonie, et favorisèrent le passage d'Alathée et de Saphrax, qui, sans trouver aucun obstacle, vinrent encore avec Fritigerne se montrer en-deçà du Danube[428]. Vitalianus commandait en Pannonie. Gratien, ne comptant pas beaucoup sur la capacité de ce général, partit de Trèves[429] au mois de mars, après avoir ordonné des levées d'hommes, de chevaux et de vivres, et il alla attendre à Milan que ses troupes fussent assemblées. Justine qui s'y trouvait alors, toujours ardente à protéger l'hérésie, profita de ce séjour pour solliciter l'empereur d'accorder aux ariens une des églises de la ville. Elle obtint seulement par ses importunités, que cette église fût mise en séquestre. Mais bientôt Gratien, honteux d'une si faible complaisance, la rendit aux catholiques, sans attendre les remontrances de saint Ambroise. Ce fut sans doute par le conseil du saint prélat, que ce prince exempta les femmes chrétiennes de la nécessité de monter sur le théâtre, à moins qu'elles n'eussent démenti la sainteté de leur religion par les désordres de leur vie. Il imposa une amende de cinq livres d'or à quiconque retirerait dans sa maison une comédienne ou une danseuse. Théodose animé des mêmes sentiments, entreprit dans les années suivantes de réformer la licence et le luxe des gens de théâtre: il défendit d'acheter, de vendre, d'instruire, et de produire dans les festins ou dans les spectacles, d'entretenir même dans son domestique, une chanteuse ou joueuse d'instruments; d'exposer dans les lieux publics où se trouvait l'image des princes, les portraits des pantomimes, des cochers du cirque, des histrions; il interdit aux comédiennes l'usage des pierreries et la magnificence des habits; aux femmes chrétiennes et à leurs enfants tout commerce avec les acteurs et les actrices.

[428] Jornandès qui rapporte, c. 27, cette nouvelle irruption des Goths, en donne un motif assez plausible, c'est la maladie de Théodose. Sed Theodosio, dit-il, principe pene tunc usque ad desperationem ægrotante, datur iterum Gothis audacia, divisoque exercitu, Fridigernus ad Thessaliam prædandam, Epiros, et Achaïam digressus est: Alatheus vero, et Safrach cum residuis copiis Pannoniam petierunt.—S.-M.

[429] L'empereur était à Trèves le 6 et le 15 février; à Aquilée le 14 mars et à Milan le 24 et le 27 avril. On le retrouve à Aquilée, le 27 juin. Ce voyage fut nécessité, à ce qu'il paraît, par la maladie de Théodose et par la nouvelle irruption des Goths.—S.-M.

XVII.

Avantages de Gratien et de Théodose sur les Goths.

Zos. l. 4, c. 32, 33 et 34.

Jorn. de reb. Get. c. 27.

Cod. Th. l. 7, tit. 13, leg. 8, 9, tit. 22, leg. 9, 10.

Idat. fast.

Greg. Naz. carm. de vita sua, t. 2, p. 20.

Philost. l. 9, c. 19.

Marcel. chr.

Oros. l. 7, c. 34.

Prosp. chr.

Gratien, étant parti de Milan au mois de juin, passa par Aquilée, et prit la route de la Pannonie. Il défit les partis des Goths qui ravageaient la province. Pour les détacher du reste de la nation, il entra en négociation avec eux et conclut un traité de paix[430], auquel Théodose crut devoir accéder[431]; mais ni Alathée, ni Saphrax, ni Fritigerne ne furent compris dans ce traité[432]. Celui-ci s'étant séparé des autres après le passage du Danube, prit sa route vers la Thessalie, dans le dessein de ravager la Grèce[433]. Théodose avait trop de sujet de se défier des Goths, pour n'être pas sur ses gardes. Tout ce qu'il pouvait réunir de troupes romaines était depuis long-temps assemblé auprès de lui; il avait rappelé au service les fils des vétérans, qui prétendaient jouir des priviléges de leurs pères, sans en avoir supporté les fatigues. Quoiqu'il eût besoin de soldats, il avait cependant par une loi expresse, exclu du métier des armes, les esclaves, les eunuques, et toutes les professions qui travaillent pour la table, le luxe et la volupté. Au premier bruit de la marche de Fritigerne, il se mit en campagne. Tous les auteurs, à l'exception de Zosime, s'accordent à dire que ce prince remporta cette année plusieurs victoires, qu'il dompta les Goths, et qu'il entra triomphant dans Constantinople[434]; mais si l'on s'en rapporte à cet historien, l'empereur fut défait et revint couvert de honte. Son récit, qui ne se soutient pas lui-même, et qui est démenti par les autres écrivains et par la suite des événements, ne mérite aucune croyance. Fritigerne repassa le Danube avec les deux autres généraux, qui n'avaient pas eu plus de succès que lui.

[430] Nec tamen fretus (Gratianus) in armis, sed gratia eos muneribusque victurus, pacemque et victualia illis concedens, cum ipsis inito fædere fecit. Jornand. de reb. Get. c. 27.—S.-M.

[431] Ubi vero post hæc Theodosius convaluit imperator, reperitque Gratianum cum Gothis et Romanis pepegisse fœdus, quod ipse optaverat, admodum grato animo ferens, et in hac ipse pace consistit. Jornand. de reb. Get. c. 27.—S.-M.

[432] Zosime a commis, l. 4, c. 34, une assez singulière erreur au sujet de ces trois chefs goths. Il dit que deux des nations germaniques qui habitaient au-delà du Rhin, et qui étaient commandées, l'une par Fritigerne et l'autre par Allothus et Safracès firent alors une irruption chez les nations de la Gaule, τοῖς Κελτικοῖς ἔθνεσιν ἐπικείμεναι. Il est facile de reconnaître ici une confusion assez étrange. Il est évident que Zosime a pris les Germains pour les Goths, et le Rhin pour le Danube.—S.-M.

[433] Ils voulaient, dit Zosime, l. 4, c. 34, passer de la Pannonie en Épire, traverser le fleuve Achéloüs et attaquer les villes de la Grèce. Διαπλεύσαντες οὖν ἐπὶ τούτοις τὸν Ἴστρον, διανούμενοί τε διὰ Παιονίας ἐπὶ τὴν Ἤπειρον διαβῆναι, περαιωθῆναι δὲ τὸν Ἀχελῶον, καὶ τᾶις Ἑλληνικαῖς πόλεσιν ἐπιθέσθαι.—S.-M.

[434] Theodosius adflictam rempublicam ira dei reparandam credidit misericordia illius, omnem fiduciam sui ad opem Christi conferens, maximas illas Scythicas gentes, formidatasque cunctis majoribus, Alexandro quoque illi magno, sicut Pompeius Corneliusque testati sunt, evitatas, nunc autem, exstincto romano exercitu, Romanis equis armisque instructissimas, hoc est, Alanos, Hunnos et Gothos, incunctanter adgressus, magnis multisque præliis vicit. Urbem Constantinopolim victor intravit. Oros. l. 7, c. 34.—S.-M.

XVIII.

Théodose à Constantinople.

Zos. l. 4, c. 33.

Idat. chron. et fast.

Marcel. Chr.

Chron. Alex. p. 303.

Greg. Naz. or. 28, t. 1, p. 473-486, et or. 32, p. 516 et seq. et carm. de vita sua, t. 2, p. 20 et 21.

Socr. l. 5, c. 6 et 7.

Soz. l. 7, c. 5 et 6.

Philost. l. 9, c. 19.

Chron. Cod. Theod.

Hermant, vie de S. Greg. l. 9, c. 9.

Fleury, hist, eccles. l. 17, art. 59.

Théodose ayant dissipé ce nouvel orage, alla conférer avec Gratien à Sirmium[435], où il paraît qu'il était le 8 de septembre; mais il n'y demeura que peu de jours, puisque le 20 du même mois, il était de retour à Thessalonique. Il entra le 24 novembre à Constantinople, où il fut reçu avec beaucoup de joie, surtout de la part des catholiques. Il y avait quarante ans que l'arianisme dominait dans cette ville; depuis l'exil d'Evagrius choisi pour évêque par les catholiques en 370, et chassé par Valens, Démophile possédait seul toutes les églises. Valens étant mort, les catholiques avaient appelé Grégoire de Nazianze pour les soutenir contre les hérétiques. Grégoire, sans être attaché à aucun siége, était revêtu du caractère épiscopal: il avait été ordonné évêque de Sasima en Cappadoce, dont il n'avait jamais pris possession. Après la mort de son père, qu'il avait aidé dans les fonctions d'évêque de Nazianze sa patrie, il s'était retiré dans la solitude. Pressé par les instances de l'église de Constantinople, qui le priait de venir combattre les ennemis de la foi, il s'était rendu dans cette ville. Ce saint prélat, chéri et respecté des fidèles, persécuté sans cesse par les Ariens, avait par la sainteté de sa vie et la force de son éloquence, ranimé la foi prête à s'éteindre dans la capitale de l'empire. Un philosophe cynique, nommé Maxime, flétri de crimes et de châtiments, mais hypocrite effronté, était venu d'Alexandrie traverser les succès du saint évêque; et s'était fait secrètement ordonner et installer par une cabale sur le siége de Constantinople. Chassé aussitôt par les catholiques, il était allé trouver Théodose à Thessalonique pour implorer sa protection. L'empereur l'avait rebuté avec indignation; mais ce fourbe était soutenu par un puissant parti. Tel était l'état de l'église de Constantinople à l'arrivée de Théodose. Ce prince, deux jours après, c'est-à-dire le 26 de novembre, fit demander à Démophile s'il voulait embrasser la foi de Nicée; et sur son refus, il lui ordonna d'abandonner toutes les églises de la ville. Le prélat hérétique préféra l'exil à l'abjuration de ses erreurs: il alla mourir à Berrhée en Thrace, dont il avait été autrefois évêque. Grégoire ne soupirait qu'après la retraite; accablé d'années et de travaux, il voulait se décharger du fardeau de l'épiscopat. L'empereur le retint malgré lui, le conduisit lui-même à la grande église, et le mit en possession de la maison épiscopale et de tous les revenus attachés au siége de Constantinople. Eunomius, le chef des Anoméens, dogmatisait alors à Chalcédoine. Comme il était hardi et subtil dans la dispute, il attirait à ses discours un grand nombre de personnes. Théodose lui-même témoigna quelque désir de l'entendre; mais l'impératrice Flaccilla l'en détourna, en lui représentant que ce serait accréditer l'erreur et autoriser une curiosité dangereuse.

[435] Il était à Andrinople, le 17 août de la même année.—S.-M.

An 381.

XIX.

Loi contre les hérétiques.

Cod. Th. l. 16, tit. 5, leg. 6.

Theod. l. 5, c. 2.

Appendix Sirm. ad Cod. Th.

Till. Arian. art. 136 et vie de S. Melèce, art 14.

Après avoir dépouillé les ariens des églises de Constantinople, il déclara par une loi datée du 10 janvier[436], sous le consulat d'Euchérius et de Syagrius, qu'il ne serait permis à nulle secte hérétique, et nommément aux Photiniens, aux Ariens, aux Eunomiens, de tenir leurs assemblées dans l'enceinte d'aucune ville; qu'on n'aurait nul égard aux rescrits impériaux qu'ils pourraient surprendre en leur faveur; que la foi de Nicée serait seule publiquement professée; que les évêques orthodoxes seraient dans toute l'étendue de l'empire remis en possession des églises, et que si les hérétiques formaient quelque entreprise séditieuse pour s'y maintenir, ils seraient eux-mêmes chassés des villes sans espérance de retour. Cette loi ne leur ôtait que les églises des villes. On voit en effet que dans ce même temps les Ariens obtinrent hors de Constantinople, l'église de Saint-Mocius, qui tombait en ruine: ils la réparèrent; elle tomba sept ans après, lorsqu'ils y étaient assemblés, et en écrasa un grand nombre. Elle ne fut rebâtie que sous Justinien. Sapor, un des plus illustres généraux de Théodose, fut chargé de faire exécuter cette loi dans toutes les provinces. Il n'eut pas de peine à y rétablir la paix, excepté dans Antioche. Il en chassa Vitalis, évêque des Apollinaristes, qui avaient formé une secte séparée en 376; mais le peuple catholique était lui-même divisé entre deux évêques orthodoxes, Paulin et Mélétius. Celui-ci, pour rétablir la concorde, offrait de partager l'épiscopat avec Paulin, à condition qu'on ne nommerait point de successeur à celui des deux qui mourrait le premier. Sur le refus que fit Paulin d'accepter une proposition si raisonnable, Sapor donna les églises à Mélétius, et n'en laissa qu'une seule à Paulin pour y célébrer les mystères avec ses partisans qu'on appelait Eustathiens. Ce triomphe de la foi, si long-temps opprimée, combla de joie les fidèles; et dans la suite plusieurs conciles en témoignèrent à Théodose une pieuse reconnaissance.

[436] Cette loi fut rendue à Constantinople.—S.-M.

XX.

Théodose se concilie l'amour des peuples.

Themist. or. 15, p. 192; 16, p. 212; 17, p. 216 et 221; 19, p. 227.

Cod. Th. l. 9, tit. 42, leg. 8, et 9; l. 10, tit. 24, leg. 2, et 3; l. 13, tit. 11. leg. 1, 2, 3 et 4.

L'Arianisme abattu n'osait faire éclater son ressentiment. Les vertus de Théodose rendaient impuissante la malignité naturelle à l'hérésie. Il était irréprochable; ses sujets l'aimaient avec tendresse; et jamais prince ne fut plus propre à régner sur les esprits, à la faveur de ce doux empire qu'il sut s'établir dans le cœur de ses peuples. La douceur de ses regards, celle de sa voix, la sérénité qui brillait sur son visage, tempéraient en lui l'autorité souveraine. Grand observateur des lois, il savait cependant en adoucir la rigueur. Dans les trois premières années de son règne, il ne condamna personne à la mort. Il ne fit usage de son pouvoir que pour rappeler les exilés, faire grace aux coupables dont l'impunité ne tirait pas à conséquence, relever par ses libéralités les familles ruinées, remettre ce qui restait à payer des anciennes impositions. Il ne punissait pas les enfants des fautes de leurs pères par la confiscation de leurs biens: mais il ne pardonnait pas les fraudes qui tendaient à frustrer le prince des contributions légitimes: également attentif à arrêter deux excès, d'enrichir son trésor par des exactions odieuses, et de le laisser appauvrir par négligence. Ses sujets le regardaient comme leur père; ils entraient avec confiance dans son palais comme dans un asyle sacré. Ses ennemis mêmes, qui auparavant ne se fiant pas aux traités, ne se croyaient point en sûreté à la table des empereurs, venaient sans défiance se jeter entre ses bras; et ceux qu'on n'avait pu vaincre par les armes, se rendaient volontairement à sa bonne foi.

XXI.

Athanaric vient à C. P.

Zos. l. 4, c. 34.

Themist. or. 15, p. 190-192.

Socr. l. 5, c. 10.

Idat. fast. et chron.

Prosp. chr.

Marcel. chr.

Oros. l. 7, c. 34.

Jornand. de reb. Get. c. 28.

Isidor. Chr. Goth.

Amm. l. 27, c. 5.

Ambr. proœm. de Spir. Sancto, t. 2, p. 603.

On en vit un exemple éclatant dans la personne d'Athanaric. Ce fier monarque des Visigoths[437], qui avait traité d'égal à égal avec Valens, chassé par Fritigerne[438] du territoire où il s'était long-temps maintenu contre les Huns, n'eut d'autre ressource que la générosité de Théodose. Il oublia le serment qu'il avait fait autrefois de ne jamais mettre le pied sur les terres des Romains, et envoya demander à l'empereur une retraite pour lui et pour les Goths qui lui étaient demeurés fidèles. Théodose oublia de son côté les hostilités d'Athanaric; il tint à grand honneur que son palais devînt l'asyle des princes malheureux; il l'invita à venir à sa cour; il alla plusieurs milles au-devant de lui, et l'ayant embrassé avec tendresse, il le conduisit à Constantinople[439]. Athanaric y entra le 11 de janvier avec cet air de grandeur, que l'infortune ajoute encore aux princes qui savent s'élever au-dessus d'elle[440]. L'empereur lui fit les honneurs de sa capitale, et le roi barbare, qui n'avait vu jusqu'alors que les forêts et les cabanes des Goths, ne put considérer sans étonnement la situation de cette ville, la hauteur de ses murs, la beauté de ses édifices, ce nombre infini de vaisseaux qui remplissaient le port, l'affluence de tant de nations qui venaient y aborder de toutes les contrées de la terre, la belle ordonnance des troupes rangées en haie sur son passage. Il était païen, et avait même persécuté les chrétiens avec violence. Frappé de cette sorte d'admiration, qui agit plus fortement dans les ames les plus grossières, il s'écria: Certes, l'empereur est le dieu de la terre; et quiconque ose lever le bras contre lui, court infailliblement à sa perte. La vue de la statue de son père, érigée par Constantin, lui tira des larmes[441]: il se crut établi dans le sein de sa famille; et le traitement honorable que lui fit Théodose, lui promettait les jours les plus heureux de sa vie, lorsqu'il fut frappé d'une maladie qui le conduisit au tombeau le quinzième jour après son arrivée[442]. L'empereur lui fit faire de magnifiques funérailles[443]; il y assista lui-même, marchant devant le cercueil. Les Goths qui étaient venus avec leur roi, charmés de la bonté de Théodose, lui vouèrent un attachement inviolable[444]. Les uns s'en retournèrent dans leur pays, publiant hautement les louanges de ce prince; les autres en plus grand nombre s'engagèrent dans ses troupes. Ils furent employés à garder les passages du Danube contre les entreprises de leurs compatriotes, et ils s'en acquittèrent avec fidélité[445]. Pendant le court intervalle qui s'écoula entre l'arrivée et la mort d'Athanaric, Thémistius prononça dans le palais en présence de Théodose, un discours dans lequel, en faisant l'éloge de l'empereur, il montra que la justice, la bonté, la vigilance à maintenir l'ordre, sont les qualités essentielles de la souveraineté; que ce sont ces vertus qui forment la vraie grandeur du prince et le bonheur des sujets.

[437] Ἀθανάριχόν τε, παντὸς τοῦ βασιλείου τῶν Σκυθῶν ἄρχοντα γένους; κ. τ. λ. Zos. l. 4, c. 34.—S.-M.

[438] Ammien Marcellin rapporte, l. 27, c. 5, qu'Athanaric fut chassé par ses parents; il ne nomme pas Fritigerne, qui était sans doute de ce nombre. Postea, dit-il, Athanaricus proximorum factione genitalibus terris expulsus. Quoique la chose ne soit pas rapportée précisément de cette façon, par les auteurs anciens, qui sont fort obscurs sur ce point, et en particulier Zosime, l. 4, c. 34, il est certain qu'il faut l'entendre comme elle est présentée ici.—S.-M.

[439] Αὐτὸς ἀκονιτὶ ἐφειλκύσω τὸν Γέτην δυνάστην · καὶ ἥκει σοι ἐθελοντὴς, ὁ πάλαι σεμνὸς, καὶ ὑψηλογνώμων, ἱκέτης εἰς τὴν πόλιν τὴν βασιλίδα. Them. or. 15, p. 190.—S.-M.

[440] S. Ambroise s'exprime ainsi au sujet de l'arrivée d'Athanaric à Constantinople. Postea verò quam fidei exsules abdicavit, hostem ipsum, judicem regum, quem semper timere consueverat, deditum vidit, supplicem recepit, morientem obruit, sepultum possidet. Ambros. in proœm. de spir. sancto, t. 2, p. 603.—S.-M.

[441] Οὕ τὸν πατέρα ὁ μαμμεγέθης Κωνσταντῖνος εἰκόνι ἀπεμειλίσσετο, νῦν ἔτι ἀνακειμένῃ πρὸς τῷ ὀπισθοδόμῳ τοῦ βουλευτήριου. Them. or. 15, p. 191.—S.-M.

[442] On apprend d'Isidore de Séville, dans sa chronique des Goths, que le règne d'Athanaric avait été de treize ans. Voyez ci-devant, p. 104, not. 1. liv. XX, § 5.—S.-M.

[443] Fatali sorte decessit, dit Ammien Marcellin, l. 27, c. 5, et ambitiosis exsequiis ritu sepultus est nostro.—S.-M.

[444] Gothi autem proprio rege defuncto, aspicientes benignitatem Theodosii imperatoris, inito fædere, Romano se imperio tradiderunt. Isid. Chron. Goth. Ces paroles ne sont pas autre chose qu'une transcription de ce que dit Orose, l. 7, c. 34, sur le même sujet.—S.-M.

[445] Jornandès rapporte que les Goths d'Athanaric, restés au service de l'empire renouvelèrent le traité fait par leurs ancêtres avec Constantin; traité par lequel ils s'étaient engagés à fournir constamment un certain nombre d'hommes, destinés à se joindre aux armées impériales, avec le titre de fæderati ou alliés. Defuncto ergo Athanarico, cunctus exercitus in servitio Theodosii imperatoris perdurans, Romano se imperio subdens, cum milite velut unum corpus efficit, milliaque illa dudum sub Constantino principe fæderatorum renovata et ipsi dicti sunt Fæderati. Jorn. de reb. Get. c. 28.—S.-M.

XXII.

Intrigues de Maxime le cynique.

Greg. Naz. carm. de vita sua, t. 2, p. 16; et or. 32, t. 1, p. 516.

Pagi ad Baron.

Till. vie de S. Damase, art. 12.

La faveur que Théodose accordait à saint Grégoire et l'affection des catholiques ne mettaient ce prélat à couvert ni des attentats des hérétiques, ni des sourdes intrigues de Maxime. Cet hypocrite n'ayant pu séduire l'empereur, était retourné à Alexandrie. Loin de s'y tenir en repos, il força Pierre, évêque de cette ville, prélat bien intentionné, mais faible et timide, de lui donner des lettres de communion et de le reconnaître pour légitime évêque de Constantinople. Il menaçait de le déposséder lui-même. Le préfet d'Égypte craignant les suites d'une audace si déterminée, l'obligea de sortir de la province. Mais Maxime, muni du témoignage de Pierre, passa en Italie et vint à bout d'en imposer à tout l'Occident. Damase était lui-même alors vivement attaqué par les calomnies de l'anti-pape Ursinus, qui, relégué à Cologne, tâchait inutilement de s'accréditer auprès de Gratien. Le pape ne fut pas instruit par son propre exemple; il ne fit pas réflexion que la révolte de Maxime contre ce saint prélat ressemblait à celle d'Ursinus contre lui-même. Il se laissa tromper, et mit les évêques d'Occident dans les intérêts de l'imposteur. Grégoire avait encore d'autres assauts à soutenir dans Constantinople. Les hérétiques se vengeaient sur lui de leur disgrace; ils avaient porté la hardiesse jusqu'à lui jeter des pierres pendant qu'il prêchait au peuple dans l'église des Saints-Apôtres. Sa pauvreté évangélique, la simplicité de ses habits, son visage mortifié et atténué par les jeûnes, son corps courbé d'austérités et de vieillesse, son extérieur peu avantageux, opposé au faste et à la magnificence des autres évêques, le rendaient un objet de mépris. Comme s'il eût été lui-même d'intelligence avec ses ennemis, il ne songeait qu'à quitter le siége épiscopal. Son dessein fut découvert: les catholiques alarmés s'assemblent aussitôt; on le supplie de ne pas abandonner son peuple; on le force d'en donner sa parole. Il promet de demeurer jusqu'à l'arrivée des prélats qui devaient incessamment tenir un concile à Constantinople, et qu'il espérait engager à nommer un autre évêque.

XXIII.

Concile de C. P. où S. Grégoire est confirmé dans l'épiscopat.

Greg. Naz. carm. de vita sua, t. 2, p. 30 et seq.

Socr. l. 5, c. 8.

Theod. l. 5, c. 8.

Prosp. chr.

Marcel. chr.

Chron. Alex. p. 304.

Zon. l. 13 t. 2, p. 36.

Pagi ad Baron.

Hermant, vie de S. Grég. l. 9, c. 18.

Till. Arian. art. 137 et vie de S. Mélèce, art. 16.

Théodose résolu de faire tous ses efforts pour rétablir la paix dans l'église universelle, et en particulier dans celles d'Antioche et de Constantinople, avait convoqué pour le mois de mai de cette année, un concile de tout l'Orient. Cent cinquante évêques orthodoxes s'y rendirent des diverses provinces. Il y en vint aussi trente-six qui étaient attachés à l'hérésie de Macédonius. L'empereur espérant les ramener, les avait appelés au concile. Mais à peine y furent-ils arrivés, qu'ils se séparèrent, protestant qu'ils ne consentiraient jamais à reconnaître la consubstantialité. Les prélats catholiques commencèrent par examiner l'ordination de Maxime; elle fut déclarée nulle, et Grégoire, malgré ses larmes et sa résistance, fut confirmé dans la possession du siége de Constantinople.

XXIV.

Troubles dans le concile au sujet du successeur de Mélétius.

Greg. Naz. carm. de vita sua, t. 2, p. 24. et seq.

Greg. Nyss. in fun. Meletii, t. 3, p. 591 et 592.

Joan. Chrys. laus Meletii, t. 2, p. 518-523.

Socr. l. 5, c. 9.

Soz. l. 7, c. 10, et 11.

Till. vie de S. Mélèce, art. 9.

Vie de S. Ambr. art. 27.

Il n'y fut pas long-temps tranquille. Mélétius qui avait d'abord présidé au concile, mourut en peu de jours. L'empereur témoigna sa vénération pour la vertu de ce saint évêque par la pompe des funérailles qu'il lui fit faire. Le corps de Mélétius fut porté à Antioche, et, contre la coutume des Romains, toutes les villes qui se trouvaient sur le passage, eurent ordre de le recevoir. Cette mort troubla la paix du concile. Les partisans de Mélétius et de Paulin étaient enfin depuis quelque temps convenus entre eux, qu'on ne donnerait point de successeur à celui des deux qui mourrait le premier, et que les deux partis se réuniraient sous l'autorité du survivant. Cet accord avait même été confirmé par un serment. Cependant, dès que Mélétius eut fermé les yeux, le concile se trouva partagé en deux avis. Saint Grégoire, à la tête des vieillards, demandait que la convention fût exécutée, il représentait que la bonne foi et la paix de l'église d'Antioche y étaient également intéressées; que Paulin avancé en âge, recommandable d'ailleurs par sa vertu et par la pureté de sa doctrine, méritait bien d'occuper une place qu'il laisserait bientôt vacante; que d'agir autrement, ce serait à la fois rendre la division éternelle, et mettre le bon droit dans le parti de Paulin, dont le rival ne pouvait devenir évêque, sans violer un pacte authentique. Ces motifs, quelque puissants qu'ils fussent, n'arrêtaient pas les nouveaux prélats, qui faute de meilleures raisons, s'écriaient que Paulin n'était en communion qu'avec les églises d'Occident, et que Jésus-Christ ayant honoré l'Orient de sa présence, la partie orientale ne devait pas céder à l'autre. La chaleur et l'activité de ces jeunes évêques entraîna enfin les vieillards. Flavien, prêtre d'Antioche, fut élu pour successeur de Mélétius. Le seul Grégoire refusa de consentir à cette élection; il prit de nouveau le parti de renoncer à l'épiscopat, et ne fut retenu que par les instances de son peuple.

XXV.

S. Grégoire abdique l'épiscopat.

Greg. Naz. carm. de vita sua, t. 2, p. 25-28.

Theod. l. 5, c. 8.

Soz. l. 7, c. 7.

Pagi ad Baron.

Till. vie de S. Ambr. art. 21.

Cependant, on avait mandé aux évêques d'Égypte et de Macédoine de venir se joindre au concile, sous prétexte de contribuer au rétablissement de la paix. C'étaient sans doute les ennemis de saint Grégoire qui les y avaient appelés. Les évêques d'Occident étaient prévenus contre son ordination: Timothée frère et successeur de Pierre d'Alexandrie, mort depuis peu, et les autres évêques d'Égypte n'étaient pas mieux disposés. Ils réclamaient l'autorité des canons contre un prélat, qui déja évêque de deux siéges, disaient-ils, était venu s'emparer encore de celui de Constantinople. Saint Grégoire n'eût pas été embarrassé de se défendre, s'il eût souhaité de gagner sa cause; mais il embrassa avec empressement cette occasion de se soustraire à tant de cabales et de traverses; et après avoir déclaré que, pour calmer la tempête, il subirait avec joie le sort de Jonas, il abdiqua l'épiscopat en plein concile. Il y eut un petit nombre d'évêques qui sentirent la perte que faisait l'église de Constantinople, et qui pour n'avoir rien à se reprocher, sortirent de l'assemblée avec une profonde douleur. Les autres acceptèrent sans délibérer, la démission d'un prélat dont l'éloquence excitait leur jalousie et dont l'austérité condamnait leur luxe.

XXVI.

Il obtient le consentement de Théodose.

Greg. Naz. de vita sua, t. 2, p. 28, 29 et seq.

Il ne devait pas être si facile d'obtenir le consentement de Théodose. Grégoire alla au palais, et s'approchant de l'empereur, qu'il trouva environné d'une cour nombreuse et brillante: «Prince, lui dit-il, je viens vous demander une grâce; vous aimez à en accorder. Ce n'est pas de l'or pour mon usage, ni de riches ornements pour mon église; ce ne sont pas non plus des gouvernements ni des emplois pour quelqu'un de mes proches. Je laisse ces faveurs à ceux qui recherchent ce qui n'est de nul prix. Mon ambition s'est toujours élevée au-dessus des choses de la terre. Je ne désire de votre bonté que la permission de céder à l'envie. Je respecte le trône épiscopal; mais je ne veux le voir que de loin. Je suis las de me rendre odieux à mes amis mêmes, parce que je ne cherche à plaire qu'à Dieu. Rétablissez entre les évêques cette concorde si précieuse; qu'ils terminent enfin leurs débats, si ce n'est par la crainte de la justice divine, du moins par complaisance pour l'empereur. Vainqueur des Barbares, remportez encore cette victoire sur l'ennemi de l'église. Vous voyez mes cheveux blancs et mes infirmités. J'ai épuisé au service de Dieu, ce qu'il m'avait donné de forces. Vous le savez, prince, c'est contre mon gré que vous m'avez chargé du fardeau sous lequel je succombe; permettez-moi de le mettre à vos pieds, et d'achever en liberté ce qui me reste d'une longue et pénible carrière.» Ces paroles affligèrent sensiblement l'empereur; mais la demande était aussi juste que sincère; il consentit à regret, et le saint prélat, après avoir dit adieu à son peuple par un discours plein d'une tendresse noble et chrétienne, qu'il prononça dans la grande église de Constantinople, en présence des évêques du concile, alla terminer le cours d'une vie pénitente et laborieuse dans sa chère solitude, après laquelle il n'avait cessé de soupirer.

XXVII.

Élection de Nectarius.

Socr. l. 5, c. 8.

Soz. l. 7, c. 7, 8 et 10.

Theod. l. 5. c. 8, 9.

Marcel. Chr.

Zon. l. 13, t. 2, p. 36.

Hermant, vie de S. Greg. l. 9, c. 18 et 26.

On ne pouvait se flatter de donner à Grégoire un successeur d'un égal mérite. Théodose recommanda au concile de ne rien négliger pour trouver un pasteur digne d'une place si importante: mais les vues de la plupart des prélats n'étaient pas si pures que celles du prince. Les intérêts d'amitié ou de parenté, déterminaient les suffrages. Il y avait alors à Constantinople un nommé Nectarius, né à Tarse, d'une famille sénatorienne, et actuellement préteur. Comme il était sur le point de retourner dans sa patrie, il alla rendre visite à Diodore évêque de Tarse, pour lui offrir de se charger de ses lettres. Diodore cherchait alors dans son esprit sur qui il ferait tomber son choix. La vue de Nectarius fixa son irrésolution. Les cheveux blancs du magistrat, sa physionomie noble et majestueuse, la douceur et la probité peintes sur son visage, le rendaient respectable. Le prélat, frappé de cette idée, le conduisit au nouvel évêque d'Antioche, qui avait beaucoup de crédit sur l'esprit de l'empereur; il lui demanda sa voix en faveur de Nectarius. Flavien reçut d'abord en riant la recommandation de Diodore; il trouvait quelque chose de bizarre à proposer un laïque presque inconnu, en concurrence avec les ecclésiastiques les plus distingués dans le clergé des églises d'Orient. Cependant, par complaisance pour son ami, il conseilla à Nectarius de différer son départ de quelques jours. Théodose, pour accélérer l'élection, pria les évêques de lui donner par écrit les noms de ceux que chacun d'eux avait en vue, se réservant la liberté de choisir. Flavien ayant composé la liste de ceux qu'il proposait sérieusement, voulut bien, pour ne pas désobliger Diodore, ajouter à la fin le nom de Nectarius. Ce fut à ce nom que s'arrêta la pensée de l'empereur; il connaissait ce magistrat; il estimait sa vertu. La vie de Nectarius n'avait pas toujours été fort réglée; mais il avait corrigé dans la maturité de l'âge les désordres de sa jeunesse. Théodose, après avoir plusieurs fois relu la liste avec réflexion, se décida pour Nectarius. Ce choix surprit tous les évêques; on se demandait qui était ce Nectarius; on fut encore plus étonné d'apprendre qu'il ne fût pas encore baptisé, quoique déja avancé en âge. Ni cette circonstance, ni les représentations de plusieurs prélats ne firent changer d'avis à l'empereur. Nectarius fut baptisé; et, avant même que d'avoir quitté l'habit de néophyte, il reçut les ordres sacrés et fut, en présence du prince, installé sur le siége épiscopal avec le suffrage unanime des évêques, du clergé et du peuple de la ville. Ce fut un prélat médiocre, plus pieux que savant, plus capable de ménagement que de fermeté, plus versé dans les affaires politiques que dans les matières de la foi; mais Théodose fut heureux qu'un choix si hasardé n'eût pas des suites plus fâcheuses.

XXVIII.

Décrets du concile.

Socr. l. 5, c. 8.

Soz. l. 7, c. 9.

Pagi ad Baron.

Hermant, vie de S. Greg. l. 9, c. 27.

L'agitation qui avait régné dans le concile, tant que les intérêts personnels avaient divisé les esprits, se calma par l'élection de Nectarius. Dans le silence des passions humaines, la foi parla seule, et son langage fut unanime. Toutes les hérésies contraires à la décision de Nicée, et à la doctrine orthodoxe sur la Trinité, furent frappées d'anathème. Pour confondre les Macédoniens, qui niaient la divinité du Saint-Esprit, on arrêta le symbole, tel qu'on le chante aujourd'hui à la messe, à l'exception de l'addition filioque, qui est plus récente. On fit plusieurs canons de discipline. Le plus fameux est celui qui donne à l'église de Constantinople le premier rang d'honneur après celle de Rome; et la raison qu'allègue le concile, c'est que Constantinople est la nouvelle Rome. Ce canon ne parlait que du rang; on l'étendit depuis à la juridiction. Le concile de Chalcédoine attribua à l'église de Constantinople l'ordination des métropolitains de la Thrace, de l'Asie et du Pont. Ce nouveau patriarche eut la supériorité d'honneur sur ceux d'Alexandrie et d'Antioche; mais il n'en fut point un démembrement; parce que les trois diocèses dont il fut composé, ne dépendaient auparavant d'aucun patriarchat. Les évêques se séparèrent vers la fin de juillet, après que Théodose eut promis d'appuyer de son autorité l'exécution de leurs décrets. Ce concile n'était pas œcuménique dans son origine; mais il le devint ensuite pour ce qui regarde la foi, par l'accession du pape Damase et de tout l'Occident. Il tient le second rang entre les conciles généraux.

XXIX.

Lois de Théodose contre les hérétiques à l'occasion de ce concile.

Cod. Th. l. 16, tit. 7, leg. 1, 2, 3; tit. 5, leg. 7, usque ad 25.

Soz. l. 7, c. 12.

Imper. Orien. Band. t. 1, p. 92, t. 2, p. 491, 789.

Tandis que les évêques employaient les armes spirituelles pour abattre l'erreur, l'empereur armait contre elle l'autorité des lois. Dès les premiers jours du mois de mai, lorsque les prélats s'assemblaient, il donna le signal par deux lois[446] contre les apostats et les manichéens, qu'il déclara incapables de tester et de recevoir aucun héritage, aucune donation testamentaire. Gratien, deux ans après, suivit son exemple[447]. Pendant la tenue du concile, il défendit aux ariens de bâtir aucune église, ni dans les villes ni dans les campagnes, sous peine de confiscation du fonds sur lequel on aurait osé en construire. Pour mettre sous un seul point de vue toutes les lois de ce prince contre les hérétiques, je les rassemblerai ici en peu de mots. Il leur interdit toute assemblée, même dans les maisons particulières, et s'ils contrevenaient à cette défense, il permit aux catholiques d'user de voies de fait pour les dissiper; cette permission pouvait être d'une dangereuse conséquence. Il leur défendit d'ordonner des prêtres ou des évêques; il commanda de rechercher leurs ministres et de les forcer de retourner dans leur pays natal, avec défense d'en sortir ni de demeurer à Constantinople sous quelque prétexte que ce fût. Il avait surtout en horreur les manichéens; ces hérétiques se divisaient en plusieurs sectes, dont quelques-unes avaient des pratiques aussi contraires à la pudeur qu'à la religion; il proscrivit ces sectes infames; il déclara punissables de mort ceux qui seraient convaincus d'y être engagés; il ordonna au préfet du prétoire d'en faire la recherche[448]. Il renouvela plusieurs fois ces lois; mais il est à remarquer que la dernière année de son règne, il rendit aux eunomiens la liberté de donner et de recevoir par testament. On apporte diverses raisons de cette variation; la plus vraisemblable à mon avis, c'est que l'empereur s'éloignant alors de Constantinople, où il laissait ses deux fils, voulut, par cette indulgence, adoucir l'aigreur de ces hérétiques, qui formaient un parti redoutable. Sozomène observe que les peines portées contre les hétérodoxes dans les lois de Théodose, n'étaient que comminatoires; qu'elles ne furent jamais mises à exécution, et que ce prince ne témoignait d'estime qu'à ceux qui revenaient à l'église par un mouvement libre de leur volonté. D'ailleurs, il s'étudia à couvrir de mépris les hérésiarques. Ce fut dans ce dessein qu'il fit poser dans la grande place les bustes en marbre de Sabellius, d'Arius, de Macédonius et d'Eumonius. Ces bustes ne s'élevaient que de deux ou trois pieds au-dessus du terrain, et étaient exposés à toutes les insultes des passants.

[446] Ces lois données à Constantinople, sont datées des 2 et 8 mai 381.—S.-M.

[447] Comme on le voit par une loi datée de Padoue le 22 mai 383.—S.-M.

[448] Ce surcroît de rigueur contre les Manichéens fut prescrit par une loi donnée à Constantinople le 31 mars 382.—S.-M.

XXX.

Lois en faveur des évêques.

Cod. Th. l. 11, t. 39, leg. 8, 10. l. 16, tit. 1, leg. 3; l. 9, tit. 17; leg. 6, 7.

Socr. l. 5, c. 9.

Soz. l. 7, c. 10.

Aug. de opere Monach. c. 28. t. 6, p. 498.

Quelques-uns des évêques assemblés à Constantinople ne s'occupaient pas seulement des affaires de l'église, qui devaient être leur unique objet; ils se mêlaient dans les querelles séculières, et se laissaient traduire devant les tribunaux pour y servir de témoins. Théodose défendit d'y contraindre aucun évêque; il déclara qu'un évêque ne pouvait, sans déshonorer son caractère, se faire entendre publiquement en qualité de témoin. Il permit de citer les prêtres en témoignage; mais il les exempta de la question, qui était alors en usage dans les causes criminelles, pour assurer la vérité des dépositions, à condition qu'ils seraient sévèrement punis s'ils étaient convaincus de faux; car, dit-il, ceux qui abusent de nos respects pour couvrir la fraude et le mensonge, méritent les châtiments les plus rigoureux. Après la conclusion du concile, il renouvela l'ordre qu'il avait déja donné, de remettre toutes les églises entre les mains des évêques qui professaient la vraie foi sur le mystère de la Trinité; et pour les reconnaître à une marque sensible, il désigna nommément, dans toutes les provinces de l'empire, les prélats les plus orthodoxes, déclarant qu'il ne tiendrait pour catholiques, que ceux qui communiqueraient avec eux. Pour honorer encore le caractère épiscopal, il fit transférer d'Ancyre à Constantinople les reliques de Paul, évêque de cette dernière ville, que les ariens avaient fait mourir à Cucusus, sous le règne de Constance. Le corps fut déposé dans une église, qui porta dans la suite le nom du saint; c'était celle que Macédonius son persécuteur avait fait bâtir, et cette translation fut regardée comme un triomphe que le martyr remportait après sa mort sur ses ennemis. A l'occasion de cette cérémonie, Théodose renouvela à l'égard de Constantinople, la loi ancienne qui défendait d'enterrer les corps ou les cendres des morts dans l'enceinte de Rome et des villes municipales; il n'excepta que les reliques des martyrs, et les corps des empereurs, qui avaient leur sépulture dans le vestibule de l'église des Saints-Apôtres, où l'on permit aussi d'inhumer les évêques de Constantinople. J'ajouterai ici une autre loi de Théodose, quoiqu'elle n'ait été faite que cinq ans après. Il s'introduisait dès-lors une sorte d'imposture, qui devint dans les siècles suivants beaucoup plus commune et plus scandaleuse. Des charlatans, qui, selon saint Augustin, étaient pour la plupart des moines hypocrites et vagabonds, abusaient de la simplicité des peuples; ils allaient de ville en ville, et vendaient de fausses reliques de martyrs. Théodose tâcha d'abolir ce honteux trafic, capable de décréditer les vrais objets de la vénération des fidèles; il défendit de transférer un corps hors de sa sépulture, de vendre, ni d'acheter des reliques.

XXXI.

Concile d'Aquilée.

Append. Sirm. ad Cod. Th.

Baronius.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 2, c. 18, 22, 23.

Till. Arian. art. 137 et vie de S. Flavien, art. 4.

Fleury, hist. eccles. l. 18, c. 10 et suiv.

La doctrine du concile de Constantinople fut reçue de tout l'Occident; c'était celle de l'église universelle; mais l'ordination de Nectarius et celle de Flavien ne trouvèrent pas la même approbation. Dès l'an 379, Palladius et Sécundianus, évêques d'Illyrie, zélés défenseurs de l'arianisme, avaient demandé à l'empereur Gratien un concile général; ils prétendaient s'y justifier des erreurs qu'on leur imputait; car, en défendant la doctrine d'Arius, ils niaient qu'ils fussent ariens. Les prélats catholiques offraient de prendre l'empereur pour arbitre de cette dispute. Gratien refusa de se charger de ce jugement. Il indiqua d'abord un concile général à Aquilée; mais saint Ambroise lui ayant représenté qu'il n'était pas raisonnable de mettre en mouvement tout le monde chrétien, et d'obliger tous les évêques aux fatigues d'un long voyage pour une cause si peu importante, il consentit que le concile ne fût convoqué que des évêques du vicariat d'Italie et des députés des autres provinces. Ce concile se tint au mois de septembre, la même année que celui de Constantinople. Palladius et Sécundianus y furent convaincus d'arianisme et déposés. Les évêques écrivirent deux lettres à Gratien, l'une pour lui rendre compte de leur décision, l'autre pour le prier de réprimer les nouvelles entreprises de l'anti-pape Ursinus, et une troisième à Théodose, par laquelle ils paraissaient ne pas reconnaître Flavien pour légitime évêque d'Antioche, et demandaient un nouveau concile, afin d'apaiser les divisions qui troublaient l'église.

XXXII.

Suites des intrigues de Maxime le Cynique.

Append. Sirm. ad Cod. Th.

Baronius.

Pagi ad Baron.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 3, c. 6.

Till. vie de S. Ambr. art. 30, et suiv.

Fleury, hist. eccles. l. 18, art. 17.

L'ordination de Nectarius était encore plus odieuse aux yeux des évêques d'Occident. Ils reçurent à bras ouverts Maxime le cynique. Ce prélat, sans titre légitime, comme sans vertu, s'étant présenté au concile de Milan, fut admis à la communion. On écrivit en sa faveur à Théodose, et on le pria de concourir avec Gratien pour assembler à Rome un concile universel. Ce prince répondit aux évêques que leurs raisons n'étaient pas suffisantes pour cette convocation; que comme l'affaire de Nectarius et celle de Flavien s'étaient passées en Orient, et que toutes les parties y étaient présentes, il n'était pas à propos de transférer la décision de ces deux causes en Occident, et de changer, par des innovations, les bornes que leurs pères avaient posées; que les évêques d'Orient avaient sujet de s'offenser de leur demande. Il les blâmait de témoigner un peu trop de chaleur contre les Orientaux, et d'ajouter foi trop légèrement à Maxime, dont il leur dévoilait les impostures.

XXXIII.

Concile de Rome et de C. P.

Theod. l. 5, 8, 9, 10 et 11.

Append. Sirm. ad Cod. Th.

Baronius.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 3, c. 6.

Till. vie de S. Flavien, art. 4.

Fleury, hist. eccles. l. 18, art. 18, 19.

Cette réponse de Théodose trouva les évêques déja assemblés à Rome. Il avait lui-même fait revenir à Constantinople la plupart des prélats qui l'année précédente avaient assisté au concile général, afin de prendre avec eux les moyens de rétablir la concorde entre l'église d'Orient et celle d'Occident. Ces évêques reçurent une députation du concile de Rome, qui les invitait à se rendre en Italie. Ils s'en excusèrent sur la difficulté de s'éloigner de leurs églises, où l'hérésie nouvellement proscrite excitait encore de grands troubles. Ils se contentèrent de députer à Rome trois d'entre eux avec une lettre par laquelle ils justifiaient l'élection de Nectarius et de Flavien, et envoyaient leur profession de foi tout-à-fait conforme à la croyance des Occidentaux. Le pape Damase, à la tête du concile de Rome, répondit par une exposition de foi claire et détaillée sur le mystère de la Trinité: il déclara que les évêques d'Occident abandonnaient Maxime, reconnaissant qu'ils avaient été trompés par ses fourberies, et remerciant Théodose de leur avoir ouvert les yeux. Ce concile écrivit à Gratien pour le prier de réprimer l'insolence de la faction d'Ursinus qui, malgré les ordonnances de l'empereur, se soutenait en Italie. Gratien répondit par un rescrit adressé au vicaire Aquilinus, dans lequel il le réprimandait de ce qu'il ne faisait pas exécuter ses ordres: il attribuait ces troubles à la négligence ou même à la collusion des magistrats, et les menaçait de punition, s'ils ne procuraient pas le repos à Damase. Il établissait de nouveau les règles des jugements ecclésiastiques.

XXXIV.

Troisième concile de C. P.

Socr. l. 5, c. 10, 20, 21.

Soz. l. 7, c. 6, 12, 17.

Theod. l. 5, c. 16.

Philost. l. 10, c. 6.

Pagi ad Baron.

Hermant, vie de S. Greg. l. 10, c. 13.

Till. Arian. c. 138, 139.

La disgrâce des hérétiques, loin de les abattre, échauffait leur opiniâtreté et les accréditait parmi le peuple; leurs évêques chassés des autres villes, se réfugiaient dans la capitale de l'empire; ils y répandaient leur venin, et Constantinople retentissait de controverses. On s'assemblait dans les places publiques pour disputer sur l'essence de Dieu; les femmes, les artisans, les valets s'érigeaient en dogmatistes: c'était une frénésie épidémique. L'empereur voulut d'abord imposer silence; il défendit ces dangereuses contestations. Ses efforts furent inutiles. Il crut que, pour fermer la bouche à l'hérésie, le meilleur moyen était de la confondre. Il assembla encore un concile de tout l'Orient, et y manda les chefs de toutes les sectes. Ils s'y rendirent ainsi que les évêques orthodoxes. Ceux-ci n'approuvaient pas cette condescendance du prince; c'était à leur avis paraître chanceler dans la foi, que de remettre en question ce qui avait été décidé par tant de conciles. Un d'entre eux osa faire connaître à l'empereur le mécontentement général des catholiques. Théodose venait de déclarer Auguste son fils Arcadius; et ce jeune prince, âgé de six ans, assis à côté de son père, partageait avec lui les hommages des prélats, qui venaient saluer l'empereur à mesure qu'ils arrivaient à Constantinople. Amphilochius, évêque d'Iconium, était un vieillard aussi simple dans ses mœurs que célèbre pour la sainteté de sa vie. S'étant présenté à Théodose, et l'ayant salué avec respect, il passa tout droit devant Arcadius, et se contenta de lui dire, en lui portant la main au visage, Dieu vous garde mon fils. L'empereur, offensé de cette familiarité indécente, ordonna aussitôt de faire retirer ce vieillard. Alors Amphilochius se tournant vers lui: Prince, s'écria-t-il, vous ne pouvez souffrir qu'on manque de respect à votre fils; pensez-vous que le Père céleste, le souverain des empereurs et des empires, pardonne à ceux qui blasphèment contre son fils unique, ou qui usent de ménagement et de condescendance envers ces blasphémateurs? Ces paroles firent une vive impression sur l'empereur; il embrassa le saint prélat, et conçut plus d'horreur que jamais contre les dogmes impies des ariens. Les conférences s'ouvrirent au mois de juin: ce qu'on en sait de certain, c'est qu'elles se terminèrent à l'avantage des orthodoxes, et que les hérétiques furent confondus. Eunomius, le plus redoutable de tous par sa subtilité et sa hardiesse, et qui avait corrompu plusieurs chambellans de l'empereur, fut envoyé en exil, où il mourut. Théodose épargna seulement les novatiens, qui témoignaient la même ardeur que les catholiques pour la défense de la doctrine orthodoxe sur la Trinité. Le zèle de l'empereur pour étouffer les hérésies, n'eut pas le succès qu'il désirait: privées d'honneurs et de crédit, elles subsistèrent pendant tout son règne, comme on le voit par les lois qu'il fut obligé de renouveller presque tous les ans. Ce dernier concile de Constantinople ne se tint qu'en 383: mais ce fut une suite du concile œcuménique assemblé en 381, et j'ai cru qu'il était à propos de suivre sans interruption la conduite que Théodose a tenue à l'égard des ennemis de l'église catholique.

XXXV.

Lois sur les sacrifices.

Cod. Th. l. 16, tit. 10, leg. 7 et 8.

L'idolâtrie s'affaiblissait de jour en jour. Constantin lui avait porté les premiers coups: Gratien et Théodose se proposaient d'en achever la ruine. Une mort prématurée traversa le projet de Gratien; Théodose eut le temps d'y réussir, mais il ménagea ce dessein avec prudence; et, avant que d'abattre les temples, il voulut en miner les fondements par diverses ordonnances. Il se contenta cette année de bannir des temples les sacrifices et les cérémonies superstitieuses, par lesquelles on consultait les Dieux sur l'avenir. L'année suivante, il usa d'indulgence à l'égard des païens de l'Osrhoène[449]. Il y avait à Édesse un temple fameux, orné de magnifiques statues, et qui servait de lieu d'assemblée au peuple de la ville. On avait obtenu de l'empereur un ordre de le fermer, ce qui excitait les murmures de tout le pays. Théodose permit de le rouvrir, à condition qu'on n'abuserait pas de cette liberté pour y célébrer les sacrifices dont il avait interdit l'usage.

[449] Par une loi du 30 novembre 382, adressée à Palladius duc de l'Osrhoène.—S.-M.

XXXVI.

Exploits de cette année.

Zos. l. 4, c. 33 et 34.

Socr. l. 5, c. 24.

Oros. l. 7, c. 35.

Jornand. de reb. Get. c. 50.

Suid. in Ἀρβογάϛης.

Pendant que ce prince animait par sa présence les évêques assemblés à Constantinople[450], il se préparait à mettre ses troupes en campagne. Les Squires[451], qui faisaient partie des Alains, joints aux Huns et aux Carpodaces, avaient passé le Danube[452]. Les Carpodaces étaient un reste de la nation des Carpes, qui, chassés de leur pays par les Goths, s'étaient établis dans l'ancienne Dacie[453]. L'empereur marcha en personne contre ces barbares, les défit, et les obligea de repasser le fleuve. Dans le même temps, une armée de Goths traversait la Macédoine et marchait vers la Thessalie. Théodose se reposa du soin de les repousser, sur Bauton[454] et Arbogaste, que Gratien avait envoyés à son secours avec un grand corps de troupes. C'étaient deux capitaines Francs[455], qui s'étant attachés au service de l'empire, parvinrent aux premières dignités. Tous deux vaillants, désintéressés, et pleins de prudence: mais Bauton était plus fidèle, plus doux et plus modéré; il fut consul dans la suite[456], et se contenta des distinctions que lui procurait son mérite. Arbogaste, hardi, emporté, cruel, ambitieux au point de vouloir dominer ses maîtres, était d'ailleurs réglé dans ses mœurs, sobre et frugal, vivant comme un simple soldat. Ces deux généraux arrêtèrent les Goths à l'entrée de la Thessalie; et, par leur bravoure et leur sage conduite, ils leur firent perdre l'espérance de pénétrer plus avant. Les Goths regagnèrent la Thrace, où ne se flattant pas de pouvoir se soutenir contre les forces de Théodose, ils prirent le parti de retourner au-delà du Danube.

[450] Théodose resta la plus grande partie de cette année à Constantinople. Il n'en sortit, à ce qu'il paraît, que vers le milieu de l'été, sans doute pour aller combattre les Barbares. On a de lui deux lois, du 21 juillet, datées d'Héraclée. Il était à Andrinople le 5 septembre, et on le retrouve à Constantinople le 28 du même mois. Il n'en sortit plus de cette année.—S.-M.

[451] C'est Jornandès qui nous apprend, c. 50, que les Scires faisaient partie des Alains. Sciri, dit-il, et Satagarii, et cæteri Alanorum. Pline est le premier auteur qui en ait parlé, l. 4, c. 27, il semble les placer du côté de la Vistule, vers la mer Baltique. Il les range parmi les Sarmates, mais, il faut l'avouer, ce qu'il en dit n'est pas assez clair, pour qu'on puisse se flatter de bien saisir sa pensée. Quidam hæc (insula Eningia), dit-il, habitari ad Vistulam usque fluvium, à Sarmatis, Venedis, Sciris, Hirris tradunt. Zosime les fait voir, l. 4, c. 34, à la fin du 4e siècle, avec les Goths et les autres Barbares, que la terreur des Huns forçaient à franchir le Danube, pour trouver un refuge et des établissements sur le territoire de l'empire. Une très-longue et très-belle inscription grecque trouvée récemment dans l'antique ville d'Olbiopolis, vers l'embouchure du Borysthène, fait mention des Scires, et elle en parle comme d'une des nations scythiques établies dans le voisinage de cette ville. Ce renseignement est tout-à-fait en harmonie avec ce que racontent Zosime et Jornandès sur le même peuple; on conçoit alors comment il pouvait être compris parmi les Alains. La date de cette inscription importante est fort incertaine. Plusieurs savants la font remonter jusqu'au milieu du 3e siècle avant notre ère, d'autres la rabaissent jusqu'au premier siècle avant cette même ère. Pour moi, je la crois plus moderne, et encore du deuxième siècle après J.-C. Voyez à ce sujet les Nouvelles annales des voyages de MM. Eyriès et Malte-Brun, t. XIX, p. 132, et le Journal asiatique, t. 3, p. 126. Quoi qu'il en soit, il paraît toujours constant, en rapprochant ce nouveau renseignement de ceux que nous possédions déja, que les Scires, fixés dès long-temps sur les rives du Borysthène, se dirigèrent vers le Danube, lorsque la puissance des Huns devint redoutable à tous les Barbares du Nord. Il paraît qu'ils avaient aussi obtenu de Théodose, des établissements au midi de ce fleuve, car Sozomène rapporte, l. 9, c. 5, qu'Uldès, roi des Huns, le passa au commencement du 5e siècle, comme allié des Romains, et qu'il attaqua les Scires, alors leurs ennemis, et il en fit un grand carnage. Avant cette calamité, dit l'historien grec, c'était une nation très-nombreuse, Ἔθνος δὲ τοῦτο βάρβαρον, ἱκανῶς πολυάνθρωπον, πρὶν τοιᾷδε περιπεσεῖν συμφορᾷ. On fit un grand nombre de prisonniers qui furent conduits à Constantinople et vendus à l'encan; tous ceux qui ne trouvèrent pas d'acquéreurs furent transportés en Asie, où on leur donna des terres à cultiver dans la Bithynie, auprès du mont Olympe. Après la mort d'Attila et le démembrement de son empire, les Scires obtinrent la possession de la petite Scythie et de la Mésie inférieure. Scythiam minorem, inferioremque Mæsiam accepere. Jorn. c. 50. Leur chef s'appelait alors Candax. Péria, père d'un certain Alanowamuthis, qui donna le jour à Jornandès, avait été secrétaire de ce prince. C'est une circonstance propre à inspirer une grande confiance dans l'exactitude des renseignements que l'historien des Goths nous a transmis sur ce peuple. Les Scires eurent aussi de grands démêlés avec les Ostrogoths qui les exterminèrent presque tous, ita sunt præliati, dit Jornandès, c. 53, ut penè de gente Scirorum, nisi qui nomen ipsum ferrent, et hic cum dedecore non remansissent, sic omnes extinxerunt. Les restes de cette nation s'attachèrent ensuite au service des Romains, ils passèrent en Italie où ils contribuèrent puissamment à la destruction de l'empire d'occident. Tout ce qui concerne cette partie de leurs annales, se retrouvera dans la suite de cette histoire.

[452] Σκύρους γὰρ καὶ Καρποδάκας Οὔννοις ἀναμεμιγμένους, ἠμύνατο. Zos. l. 4, c. 34.—S.-M.

[453] Les Carpes étaient, durant les trois premiers siècles de notre ère, un des plus puissants peuples qui habitaient les régions au nord du Danube. Ils y furent long-temps les adversaires des Romains. Ils tiraient leur nom des montagnes qui forment la limite septentrionale de la Hongrie et qui s'appellent encore Carpathes. Les Carpodaces dont parle Zosime, n'étaient que les débris des anciens Daces, réunis aux restes des anciens Carpes, pour former une de ces nombreuses tribus d'origine mélangée, souvent désignées par les anciens sous les noms collectifs de Sarmates et de Gètes, et qui passèrent le Danube en même temps que les Goths et les Alains.—S.-M.

[454] Il est appelé Baudon par Zosime l. 4, c. 33.—S.-M.

[455] Ἄμφω δὲ ἦσαν Φράγκοι τὸ γένος. Zos. l. 4, c. 33.—S.-M.

[456] Il fut consul en l'an 385. Sa fille Eudoxie épousa l'empereur Arcadius. On croit que Bauton était païen et qu'il mourut vers l'an 387.—S.-M.

An 382.

XXXVII.

Les Goths se soumettent à l'empire.

Themist. or. 16, p. 199-211; or. 18, p. 219; et or. 19, p. 229.

[Zos. l. 4, c. 33 et 34.]

Oros. l. 7, c. 34.

Idat. fast. et Chron.

Marcel. chr.

Synes. de regno. p. 25 et 26.

Ce n'était pas pour eux une retraite plus assurée. Le voisinage des Huns, qui les avait obligés sous le règne de Valens de quitter leurs demeures, les tenait dans de continuelles alarmes; et ce peuple malheureux, ne pouvant ni rester tranquillement dans son pays, ni en sortir impunément, courait risque d'être entièrement détruit. Théodose crut pouvoir profiter de leur embarras pour le bien de l'empire. La Thrace et la Mésie étaient tellement désolées que, sans une colonie étrangère, il fallait plusieurs siècles pour les repeupler. Les Goths étaient affaiblis; leurs défaites, leurs victoires mêmes leur avaient coûté une partie de leur nation; sans compter ceux qui, s'étant détachés de leurs compatriotes, s'étaient déjà donnés à l'empire. Théodose pensa qu'ils n'avaient plus assez de forces pour être de redoutables ennemis, mais qu'il leur en restait assez pour devenir des sujets utiles. Dans ces circonstances, il leur envoya Saturninus, au commencement de l'année dans laquelle Antoine était consul avec Syagrius. Différent de celui que nous avons vu dans le consulat l'année précédente, Saturninus était propre à cette négociation: parvenu par son mérite aux premiers emplois militaires, il ne pouvait manquer d'être agréable à une nation guerrière qui n'estimait que la valeur. Il connaissait les Goths, contre lesquels il avait servi dans toutes les guerres, et il en était connu. Il ne se pressa pas de terminer cette importante affaire. Il leur fit entendre à loisir que la clémence de l'empereur leur tendait les bras; qu'il voulait bien oublier les violences passées; qu'il ne tenait qu'à eux de trouver un asile assuré dans le pays même qu'ils avaient d'abord ravagé, et ensuite inondé de leur propre sang, pourvu qu'ils se consacrassent sincèrement au service de l'empire: que s'ils étaient assez sages pour embrasser ce parti, ils auraient à se féliciter de leurs défaites, puisque le vainqueur leur accordait ce que n'avaient pu leur procurer des succès passagers, dont ils avaient été assez punis. Les Goths écoutèrent ces propositions. Leurs chefs suivirent Saturninus à Constantinople, où étant arrivés le 3 d'octobre, ils se prosternèrent devant l'empereur, lui demandèrent grâce, et lui promirent une inviolable fidélité. Théodose permit à toute la nation de s'établir dans la Thrace et dans la Mésie. Elle y répara les maux qu'elle y avait causés; les campagnes furent ensemencées et se couvrirent de moissons: les villages se relevèrent de leurs ruines, et les bords du Danube recouvrèrent leur ancienne fertilité. Un grand nombre de Goths prit des établissements à Constantinople, et du service dans les armées. Si l'on en juge par l'événement, cette politique de Théodose n'est pas exempte de censure. Il est vrai que les conjonctures n'étaient pas les mêmes que du temps de Valens: aussi, tant que Théodose vécut, les Goths se tinrent dans les bornes de la soumission; mais la faiblesse de ses successeurs réveilla leur haine qui n'était qu'assoupie. Théodose les laissa réunis dans le même pays; ceux qui servaient dans ses troupes formaient un corps à part sous des chefs de leur nation. Cette distinction les empêcha de s'incorporer aux autres sujets; bientôt ils s'en séparèrent et excitèrent de nouveaux troubles. Théodose était sans doute assuré de les contenir tant qu'il vivrait; mais un prince bon et prudent porte ses vues au-delà des bornes de sa vie; il écarte les dangers les plus éloignés; il prépare des jours heureux à ses successeurs et à leurs sujets. C'est par les effets de cette prévoyance paternelle qu'on peut dire qu'il règne encore sur la postérité.

XXXVIII.

Divers effets de la clémence de Théodose.

Liban. or. 14, t. 2, p. 394 et 403; or. 15, p. 410.

Themist. or. 16, p. 212.

Les barbares établis depuis peu à Constantinople, avaient peine à se plier aux lois d'une police réglée. Un d'entre eux ayant commis quelque violence, le peuple se jeta sur lui, le massacra et traîna son corps dans la mer. La cruauté d'une telle vengeance pouvait causer le soulèvement de toute la nation. Pour le prévenir, Théodose se hâta de punir la ville; il retrancha le pain qu'on avait coutume de distribuer au peuple: mais il se laissa fléchir dès le même jour. Ce prince mettait son bonheur à pardonner. Il donna la vie à quelques Galates condamnés à mort, et fit grâce à une ville de Paphlagonie, que l'histoire ne nomme pas, non plus que le crime dont elle s'était rendue coupable.

XXXIX.

Famine à Antioche.

Liban. vit. t. 2, p. 64 et 65.

L'intempérie des saisons produisit en Orient la stérilité et la famine. Le pain manqua dans Antioche. Malgré les soins empressés des magistrats, le peuple s'en prenait à eux de sa misère: il menaçait d'égorger le Sénat. Philagrius, comte d'Orient, se contenta d'abord d'exhorter les boulangers à se relâcher sur le prix du pain; il craignait qu'ils ne prissent la fuite, s'il usait de rigueur à leur égard. Mais voyant que le peuple l'accusait de leur vendre sa protection, il voulut se justifier à leurs dépens. Il les fit arrêter et appliquer à la torture au milieu de la grande place, pour leur faire dire s'il y avait quelque magistrat qui s'entendît avec eux. La populace impitoyable repaissait ses yeux du supplice de ces malheureux; elle était armée de bâtons et de pierres pour assommer le premier qui prendrait leur défense. Un si grand danger n'effraya point l'orateur Libanius. Il osa percer la foule, et ayant pénétré jusqu'au tribunal, il parla avec tant de force en faveur de ces innocents, qu'il calma la colère du peuple, et engagea Philagrius à faire cesser les tortures. Ce miracle de persuasion perd beaucoup de son autorité, parce qu'il n'est rapporté que par l'auteur même. Je soupçonnerais que quelque convoi de vivres survenu à propos, aida aux efforts de son éloquence.

XL.

Lois de Théodose.

Cod. Th. l. 1, tit. 2, leg. 6; l. 9, tit. 37, leg. 3; l. 10, tit. 21, leg. 2.

Les abus et les vices qui cherchent sans cesse à s'introduire dans un grand état, trouvaient un obstacle puissant dans la vigilance de Théodose. Il réprima le luxe, en défendant aux particuliers l'usage de l'or sur leurs habits; il ôta aux calomniateurs tout moyen d'excuse, toute espérance d'impunité. Comme il savait que la bonté du prince l'expose à la surprise, et que ceux qui, par leurs richesses et leur crédit, sont plus en état de payer les taxes publiques, sont d'ordinaire les seuls qui obtiennent des remises, il défendit aux officiers d'avoir égard sur cet article à ses propres rescrits.

XLI.

Lois de Gratien.

Cod. Th. l. 11, tit. 6, leg. unic. l. 14, tit. 8, leg. unic.

Ambr. offic. l. 2, c. 16, t. 2, p. 88.

Si Gratien n'avait pas les qualités brillantes de Théodose, il ne lui cédait pas en humanité, en attention sur la police de l'état, en zèle pour le progrès de la religion chrétienne. Des gouverneurs durs et avares prenaient quelquefois la liberté d'imposer des taxes extraordinaires, qu'ils faisaient autoriser par des lettres des préfets du prétoire. Il arrêta ces concussions, et défendit absolument de lever aucun impôt qui ne fût établi par un édit du prince. Persuadé que les mendiants valides sont dans tout État un levain de sédition et de désordres, et que les moins dangereux sont en quelque sorte des frelons qui dévorent la subsistance des vrais pauvres, il proscrivit ce métier honteux[457]: il ordonna que les mendiants qu'on trouverait n'avoir d'autre titre à la compassion publique, que le libertinage et la paresse, seraient livrés à ceux qui les auraient dénoncés, à titre d'esclaves, s'ils étaient de condition servile, et de colons perpétuels, s'ils étaient libres[458].

[457] Par une loi rendue à Milan le 20 juin 382.—S.-M.

[458] Il paraît que la présence continuelle des Barbares, sur les frontières de la Pannonie, et sur les bords du Danube, avait forcé Gratien de séjourner pendant presque toute l'année 381, et même durant l'année 382, sur les frontières de l'Illyrie et de la partie septentrionale de l'Italie. Après son retour de Sirmium, où il était le 6 septembre 380, on le trouve à Milan le 29 mars 381, à Aquilée le 22 avril et le 8 mai. Il paraît qu'il fit alors un voyage dans la Gaule, et il était à Trèves le 14 octobre, mais il revint bientôt après en Italie, où on le retrouve à Aquilée le 26 décembre. Les lois de l'année suivante sont presque toutes datées de Milan, il n'en est qu'une seule datée de Viminacum et du mois de juillet. Il est bien probable qu'il fut alors obligé de quitter son séjour habituel, pour se porter vers le Danube et sans doute par la même cause, c'est-à-dire la crainte des Barbares, mais son absence fut courte, car bientôt après on le retrouve à Milan.—S.-M.

XLII.

S. Ambroise obtient la grace d'un criminel.

Soz. l. 7, c. 25. Till. vie de S. Ambr. art. 28.

L'évêque de Milan, où Gratien faisait alors sa résidence la plus ordinaire, profitait de la bonté naturelle de l'empereur, pour le porter à des actions de clémence. Mais plusieurs officiers du palais, qui ne cherchaient qu'à perdre leurs ennemis ou leurs rivaux, tâchaient d'éloigner de l'oreille du prince un prélat si opposé à leurs projets violents ou injustes. Un magistrat s'était échappé en discours injurieux contre l'empereur; il en fut convaincu et condamné à mort. Comme on le conduisait au supplice, Ambroise accourut au palais pour intercéder en sa faveur. Les ennemis que cet infortuné avait à la cour, ayant bien prévu cette sollicitation, avaient engagé le prince à une partie de chasse dans son parc: et lorsque Ambroise vint demander audience, on lui répondit que l'empereur était à la chasse, et qu'il n'était permis à personne d'aller troubler ses plaisirs. L'évêque feignit de se retirer; mais il trouva moyen de s'introduire secrètement par une autre porte avec les valets qui menaient les chiens. Alors s'étant présenté à Gratien, il se fit écouter malgré les contradictions des courtisans, et ne quitta le prince qu'après avoir obtenu la grâce du coupable.

XLIII.

Gratien travaille à la destruction de l'idolâtrie.

Ambr. ep. 17, t. 2, p. 824 et 829.

Cod. Th. l. 16, tit. 10, leg. 20.

Zos. l. 4, c. 36.

Till. Grat. art. 14.

Vie de S. Damase, art. 13.

Vie de S. Ambr. art. 33.

Mem. Acad. Insc. et B. L. t. 15, p. 140.

Ce saint prélat soutint l'honneur de l'empereur et du christianisme dans une affaire plus éclatante. L'autel de la Victoire subsistait à Rome dans la salle du sénat, depuis que Julien l'avait rétabli. C'était un monument célèbre où l'idolâtrie semblait encore triompher, et que les sénateurs chrétiens ne pouvaient voir sans honte et sans douleur. Gratien fit cesser ce scandale; l'autel fut détruit. Il fit plus; il confisqua les revenus assignés à l'entretien des pontifes, et les terres dont la superstition avait fait donation aux temples. Il annula les priviléges et les immunités des prêtres et des vestales; il ordonna que les fonds qui leur seraient légués par testament, seraient dévolus au fisc, et il ne les laissa jouir que des legs mobiliaires. Jamais l'idolâtrie n'avait reçu de coup plus sensible. Attaquée dans son sanctuaire, elle anima à sa défense les sénateurs païens: ils dressèrent une requête pour demander la révocation de cet édit, et députèrent au nom du sénat entier Symmaque, à la tête du collége des pontifes, qui tous étaient sénateurs. Ce Symmaque est celui dont nous avons dix livres de lettres. Il était recommandable par son mérite et par celui de son père, que nous avons vu préfet de Rome sous Valentinien[459]. Il avait été gouverneur de la Lucanie et du pays des Bruttiens[460], et proconsul d'Afrique[461]. La demande des païens ne pouvait être appuyée d'une plus grande autorité. Mais les sénateurs chrétiens, et c'était le parti le plus nombreux, désavouèrent hautement les députés; ils mirent entre les mains du pape Damase une requête toute contraire, par laquelle ils protestaient que, loin de demander le rétablissement de l'autel de la Victoire, ils étaient résolus de ne plus aller au sénat, s'il était rétabli. Damase fit tenir cette requête à saint Ambroise, pour la remettre à l'empereur. Gratien, prévenu par le prélat, renvoya les députés païens sans vouloir les entendre; il refusa même la robe de grand pontife, qu'ils avaient apportée pour la lui présenter à cette occasion, et rejeta ce titre, que Constantin et ses successeurs avaient jugé à propos de conserver. Il crut que, dans l'état de faiblesse où tant de coups redoublés avaient réduit le paganisme, il n'était plus besoin de ce ménagement politique. Depuis ce temps, le titre de grand pontife cessa d'être attaché à la dignité impériale; et Gratien conféra au préfet de Rome la jurisdiction dont avait été revêtu le chef de la religion païenne. Zosime raconte que le premier des pontifes, en recevant la robe que Gratien lui renvoyait, s'écria: S'il ne veut pas être grand pontife, Maxime le sera bientôt. La témérité de ces paroles est voilée dans l'expression latine, sous une équivoque assez puérile[462]. Si le fait est véritable, il faut supposer qu'on avait déjà en Italie quelque pressentiment de la révolte de Maxime.

[459] En 364 et 365.—S.-M.

[460] Correcteur de la Lucanie et du Brutium en 365. Il s'appelait Q. Aurélius Symmachus.—S.-M.

[461] Ce proconsulat est de l'an 370 ou de l'an 373.—S.-M.

[462] Εἰ μὴ βούλεται Ποντίφιξ βασιλεὺς ὀναμάζεσθαι, τάχιστα γενήσεται Ποντίφιξ μάξιμος. Zos. l. 4, c. 36.—S.-M.

An 383.

XLIV.

Famine dans Rome.

Ambr. ep. 18, t. 2, p. 833; ep. 49, p. 991 et offic. l. 3, c. 7, p. 119.

Symm. l. 2, ep. 7, et l. 10, ep. 54.

Amm. l. 14, c. 6.

Themist. or. 18, p. 222.

Baronius.

Till. Grat. art. 16, et not. 23.

Suet. in Aug. c. 42.

L'année suivante, Mérobaudès étant consul pour la seconde fois avec Saturninus, les païens attribuèrent à la colère des Dieux, que Gratien méprisait, la famine dont Rome fut affligée[463]. La moisson avait manqué dans cette contrée de l'Italie, et les vents contraires avaient arrêté les vaisseaux qui apportaient le blé d'Afrique. Ce fut alors que Rome fit connaître la prodigieuse corruption où elle était parvenue depuis un peu plus de trois siècles, et que nous avons tracée d'avance dans l'histoire de Constantin. Auguste, dans une pareille extrémité, avait fait sortir de Rome les étrangers, excepté les médecins et ceux qui enseignaient les arts libéraux. Cette dureté, à laquelle la nécessité servait d'excuse, avait été trop souvent imitée. Dans l'occasion dont je parle, tous les étrangers eurent ordre de sortir de la ville; mais on y retint par privilége, les baladins et les danseuses, qui se trouvèrent au nombre de trois mille. Ces malheureux bannis, errans sans secours dans les campagnes desséchées et stériles, étaient réduits à se nourrir de glands, de racines et de fruits sauvages. Leur sort déplorable attendrissait ceux qui, dans leurs propres maux, conservaient encore quelque sensibilité du malheur des autres. Personne n'en fut plus vivement touché que le préfet de la ville: on croit qu'il se nommait Anicius Bassus. C'était un vieillard ferme et généreux, rempli de cette charité que la religion chrétienne étend sur tous les hommes, et de cette confiance qu'elle inspire dans les plus rudes adversités.

[463] Les diverses lois de cette année font voir que Gratien résida encore en Italie, il en passa tout le commencement jusqu'au 2 mai à Milan. Il alla ensuite à Padoue, où il était les 22, 27 et 28 du même mois. On le retrouve à Vérone, le 17 juin.—S.-M.

XLV.

Discours d'Anicius Bassus.

Il assembla les plus riches citoyens. «Que faisons-nous? leur dit-il. Pour prolonger notre vie, nous faisons périr ceux qui travaillent à la soutenir. Ces étrangers que nous bannissons, ne font-ils pas une partie de l'État, précieuse et nécessaire? Ne sont-ils pas nos laboureurs, nos serviteurs, nos marchands, quelques-uns mêmes nos parents? Nous ne retranchons pas la nourriture à nos chiens, et nous la plaignons à des hommes! Que la crainte de la mort est aveugle, en même temps qu'elle est cruelle! Qui voudra désormais nous procurer, par un commerce utile, les nécessités de la vie? Qui voudra ensemencer nos terres? Qui nous fournira du pain, si nous en refusons à ceux par les mains desquels la Providence nous le donne? Quelle horreur les provinces vont-elles concevoir de Rome? Enverront-elles leurs enfants dans une ville homicide? Mais la faim qui va consumer ces innocentes victimes, fera-t-elle cesser la nôtre? Nous épargnons quelques morceaux de pain; nous achetons un répit de peu de jours au prix de la vie de tant d'infortunés; semblables à ces malheureux navigateurs qui, pour éloigner la mort de quelques moments, se dévorent les uns les autres. Sacrifions bien plutôt toutes nos fortunes; ce sera subsister à meilleur marché que par la perte d'un seul homme. Nous n'avons de secours à attendre que du ciel: il sera d'airain pour nous, si nous sommes impitoyables pour nos frères: notre miséricorde méritera la sienne. Ouvrons les bras à ces misérables; contribuons tous à leur subsistance. Il ne nous en coûtera pas plus pour les nourrir, que pour en acquérir d'autres après les avoir perdus. Et où en trouverons-nous qui veuillent s'exposer à la mort en servant des maîtres inhumains?» Ce discours arracha des larmes aux plus insensibles. L'avarice même ouvrit ses trésors. On fit venir des blés de toutes parts; on permit l'entrée de la ville aux bannis, que la famine avait épargnés. Le superflu des riches versé sur les pauvres, procura à ceux-ci le nécessaire; et la charité d'un seul homme, assez féconde pour suppléer à la stérilité de la terre, sauva la vie à un peuple nombreux.

XLVI.

Gratien se rend odieux.

Cod. Th. l. 11, tit. 13, leg. unic. l. 13, tit. 10, leg. 8; l. 1, tit. 3, leg. 1.

Zos. l. 4, c. 35.

Vict. epit. p. 231.

Gratien avait de la bonté et de la justice; mais il manquait de prudence. Il venait de publier plusieurs lois qui tendaient à soulager ses peuples et à les affranchir des vexations que les officiers exerçaient dans les provinces, en supposant des ordres de l'empereur. S'apercevant que sa facilité naturelle avait tellement multiplié les exemptions, que ceux qui demeuraient assujettis aux charges publiques, en étaient écrasés, il révoqua toute immunité, tout privilége; et pour donner l'exemple, il se réduisit lui-même au droit commun, et voulut que sa propre maison partageât le fardeau des contributions[464]. Il défendit de faire exécuter aucun ordre du prince qui ne serait pas justifié par lettres patentes[465]. En un mot, il s'occupait à rendre ses sujets heureux; mais il ne songeait pas assez à ménager leurs esprits. Franc et sans défiance, trop livré au plaisir de la chasse, et trop peu attentif aux murmures de sa cour, il prodiguait les distinctions à des barbares, et surtout à des Alains qu'il avait attirés à son service. Il leur donnait des emplois honorables dans les armées, il les approchait de sa personne, il prenait même plaisir à s'habiller à leur manière. Cette préférence excita d'abord la jalousie contre les nouveaux favoris, et bientôt une haine secrète contre le prince[466]. Les Romains comblés de ses bienfaits, les oublièrent dès qu'ils les virent partagés avec des étrangers. Ces mécontentements préparaient une révolution; il ne manquait plus qu'un chef pour la faire éclater.

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